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Frères ennemis

Frères ennemis un film de David Oelhoffen (sorti en salles le 3 octobre 2018 )

Je tenais beaucoup à voir ce film. D’un côté, l’acteur Matthias Schoenaerts dont je préfère la prestation dans le film Bullhead ( 2011) à celle qu’il avait pu ensuite délivrer dans De Rouille et d’os ( 2012) de Jacques Audiard. Même si j’aime beaucoup le cinéma de Jacques Audiard. Peut-être parce-que j’avais été influencé par mes très bons souvenirs de lecture, quelques années auparavant, du livre de nouvelles Un Goût de rouille et d’os de l’auteur Craig Davidson dont Audiard s’était inspiré.

Je n’ai pas encore vu l’acteur Matthias Schoenaerts dans Maryland (2015) d’Alice Winocour.

De l’autre côté, l’acteur Reda Kateb que j’avais interviewé pour son rôle dans Qu’un seul tienne et les autres suivront ( 2009) de Léa Fehner et dont j’essaie autant que possible de suivre la fertile carrière.

 

L’affiche montrant Reda Kateb et Matthias Schoenaerts face à face est racoleuse. Le titre du film est racoleur. Et le rictus de Reda Kateb est peu flatteur pour lui. L’un des inconvénients avec ce type d’affiche, c’est d’inciter le spectateur à faire des comparaisons avec des films policiers américains comme Heat ( 1995) de Michael Mann où les deux acteurs vedettes- mondialement connus- poids lourds que sont Robert De Niro et Al Pacino avaient partagé l’affiche. Certains spectateurs qui auront ce genre de film en tête comme repère seront sûrement déçus devant l’écran. Mais il fallait bien rendre ce projet attractif et convaincre les amateurs de films policiers qu’une réalisation franco-belge peut captiver notre attention.

 

Frères ennemis a certes des scènes d’action très bien filmées et très bien servies. Mais ce serait du gâchis que de le résumer à un film de « Boum-Boum ! Pan ! Pan ! T’es mort ! Tu croyais que tu allais m’avoir ?! Regarde ta face dans le crachoir. Je t’ai bien eu, fils de p… ! ».

 

Reprenons-nous. Frères ennemis a bien sa personnalité. Celle d’un film bien au fait d’une certaine réalité sociale au moins en France peut-être en Belgique.

 

Le film respecte la règle selon laquelle, la solidité d’une histoire tient une sa bonne distribution et à un scénario bien taillé. Même si, quelques fois, il y’a des bouts qui dépassent.

Autour de Matthias Schoenaerts et Reda Kateb, j’ai été marqué par les rôles clés tenus par Adel Benchérif ( Imrane), Ahmed Benaissa ( Raji, le « parrain » de la cité ), Gwendolyn Gourvenec ( Manon, l’ex-compagne de Manuel joué par Matthias Schoenaerts ). Et il m’a plu de retrouver l’acteur Marc Barbé, qui, dans Qu’un seul tienne et les autres suivront de Léa Fehner, imposait sa violence au personnage friable interprété alors par Reda Kateb. Indirectement, il est assez drôle de pouvoir constater dans ce film l’évolution de ces deux acteurs dans les deux rôles qu’ils occupent.

 

J’ai beaucoup aimé Frères ennemis car j’y ai retrouvé de ce fatum présent dans un film comme Romanze Criminale (2005) réalisé par Michele Placido, où, en devenant adultes, les héros sont restés les mêmes enfants se heurtant aux mêmes murs du monde qui les entoure et qu’ils aspirent, pourtant, à conquérir. Ils ont beau devenir grands et calés dans leur domaine (les Stups pour Driss devenu flic, le trafic de coke pour Imrane et Manuel) ils restent contrecarrés par leurs limites.

Tout puissants et reconnus qu’ils sont, Imrane et Manuel appartiennent plus à leur cité de banlieue qu’elle ne leur appartient. Manuel a beau avoir un bel appartement dans un bon quartier parisien, celui-ci est déserté et lui sert…de cité-dortoir voire de cachette.

La vie qu’il aurait souhaité reste pour lui énigmatique. La greffe, malgré l’attirance magnétique que cette vie rêvée a sur lui, n’a pas pris. Et l’on devine par sa relation avec son ex compagne, Manon, qu’il est trop dépendant de sa vie passée pour pouvoir s’insérer dans un autre mode de vie. Ses véritables repères se trouvent dans l’environnement qu’il a toujours connu et qui va l’engloutir : la cité où il a grandi.

Un des points forts du film est d’avoir bien montré que la dépendance de Manuel, Imrane et de Driss s’exprime par rapport à ce passé et cette cité qu’ils ont en commun.

Frères ennemis nous fait donc l’économie de protagonistes embarqués par les effets d’une consommation inflationniste de stupéfiants. Ce faisant, le film rappelle une vérité. Un « bon » trafiquant de stupéfiants est un trafiquant clean, lucide, vif, instinctif et suffisamment maitre de lui-même. Un adepte du grand banditisme, c’est d’abord une personne qui a certaines aptitudes physiques, qui sait se servir de sa tête et qui connaît si bien son environnement qu’il peut s’y déplacer et s’en échapper sans se faire attraper.

Le film nous le montre à plusieurs reprises de manière réaliste. Car la cité où ont grandi Driss, Manuel et Imrane, est leur royaume.

Ce royaume, Driss a fait le choix de le quitter pour être en accord avec la loi. Ce qui aurait pu, normalement, se traduire pour lui en respect et admiration, s’est transformé en bannissement et en reniement. Il est le portrait-robot du traître. Peut-être parce qu’il est devenu flic et que le flic, ici, représente le Français armé, le blanc, le riche, qui s’en prend aux étrangers et aux pauvres. Peut-être aussi, ce n’est pas énoncé, parce qu’il a choisi de se mettre en couple avec une Française. A voir la popularité et la respectabilité dont bénéficient Imrane et Manuel au contraire d’un Driss, particulièrement esseulé sauf lorsqu’on le voit avec sa fille idéalement mature et sereine, on a une idée du fort attrait que le crime et la loyauté peuvent exercer sur bien des jeunes et des moins jeunes.

 

Comme dans tout film policier, nous assistons à des duels entre des caractères affirmés. Entre untel et untel qui joue au chat et à la souris avec untel. En plus de cela, Frères ennemis, sans trop en faire, nous explique qu’il y’a deux sortes d’adeptes du grand banditisme :

 

Ceux comme Imrane et Manuel, dans la force de l’âge, qui sont établis, organisés, respectés mais qui vivent au jour le jour. Ce qui les rabaisse au rang de petites frappes malgré leur « réussite ».

Et ceux qui voient loin, qui étrennent une certaine conscience politique, et bénéficient d’une très haute respectabilité.

Les scènes familiales et conjugales de Frères ennemis sont abouties. Il en est une où Driss rend visite à ses parents. On comprend ce qu’il lui en a coûté de grandir et de s’émanciper. Mais ce film dit aussi beaucoup avec peu de mots. Et c’est aussi en cela qu’il est réussi.

Lorsque Manuel, braqué par un de ses complices, reste le dominant et le soumet à la confession :

« Regarde-moi ! ».

Lorsque Driss doit presque se cacher à l’égal d’un clandestin en situation irrégulière dans son ancien quartier pour assister durant quelques moments à une partie de pétanque à laquelle son propre père participe sans doute.

Ou Lorsque Driss encore, au sortir d’une planque, est entouré de jeunes de sa cité qui le menacent.

 

La conclusion du film est socialement très pessimiste pour le futur d’une certaine jeunesse et d’une partie du pays puisque la famille qui devrait être un repaire garant de l’avenir est ici une famille décomposée, déloyale ou qui renie ses enfants.

 

Franck, ce vendredi 19 octobre 2018.

 

 

 

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