Rewind and play un film documentaire d’Alain Gomis
Au cinéma le 11 janvier 2023.
On l’oublie à voir la mine éblouie de Thélonius Monk alors qu’il descend sur le tarmac de l’aéroport de Paris en 1969 à l’âge de 52 ans et qu’il est déjà un artiste reconnu. Mais lorsque l’on arrive dans un nouveau pays on s’attend à ce que la vie y soit différente.
Le nouveau film du réalisateur Alain Gomis est constitué du montage d’archives qu’il a retrouvé du passage de Thélonius Monk, et de sa femme Nellie, à Paris.
Le pianiste de jazz Thélonius Monk ( 1917-1982) ne dira pas grand chose à celles et ceux qui sont nés à partir des années 1980 ou qui ne voient par exemple que par Mylène Farmer, Angèle, Soprano, Damso, Jul, PNL, Goldman et Jones, les Stones, Beyoncé, Booba ou Billie Eilish. Pour les autres, historiens, amateurs de Thélonius Monk ou de jazz, ce « documentaire » intrigue.
Gomis laisse parler les images ainsi que le puzzle Monk. Ce sont des mystères visuels. Ceux-ci nous paient en musique. Souvent mutique, probablement psychotique, la dysarthrie de Monk, ses absences et son incapacité à s’avancer jusqu’à une élocution simple, malgré les efforts du journaliste français qui l’entoure, nous font d’abord regretter son naufrage parmi les hommes.
Monk ressemble alors au Lenny des Souris et des hommes de Steinbeck. Pour sa grande taille massive, et sa façon d’être à côté dès lors qu’il cesse d’arpenter le clavier d’un piano.
Et sa femme Nellie, avec ses lunettes fantaisistes à la Bootsy Collins, bien que mieux parée pour correspondre, semble aussi s’être téléportée depuis un autre monde que celui que nous appréhendons.
A priori, pourtant, nous sommes entre de bonnes mains. Monk, à Paris, donc en Europe, est reçu comme une personnalité du Jazz qui, aux Etats-Unis, parce-que noir, parce-que Jazz man, passe inaperçu. Et, l’accueil du journaliste qui reçoit Monk peut d’abord faire penser à l’hommage que rendra plus tard au Jazz le réalisateur Bertrand Tavernier avec son film Autour de Minuit (1986).
Puis, le malaise grandit. Il est difficile de savoir si, dès son arrivée en France, ou même avant, ce malaise était déja présent. Car le journaliste français (blanc) semble être un véritable amateur de Jazz et on l’envie alors qu’il raconte sa « proximité » avec Thélonius Monk, ses séjours aux Etats-Unis et quelques moments historiques du Jazz avec Dizzy Gillespie, Sonny Rollins ou John Coltrane. On envie aussi ce journaliste quand il évoque quelques clubs de Jazz qui ont fait l’Histoire. Au départ, on a donc une certaine sympathie pour ce journaliste qui tente, de différentes façons, d’entrer en relation avec Thélonius Monk et de faire en sorte que celui-ci participe davantage au tournage de l’émission télévisée.
Sauf que Monk lui échappe en permanence.
« Fais comme tu veux » ou « Fais comme bon te semble » articule Monk difficilement. On comprend que tout ce que Monk veut, c’est être devant son piano et en jouer. No Bullshits. On est très très loin de la Star Académie ou de toutes sortes de minauderies pour faire joli. Seule compte la musique. Et, c’est d’ailleurs elle seule qui le dompte. Les prises pour l’émission s’accumulent telles des secondes gâchées dans un cendrier. Difficile de trouver la bonne prise entre les ratés du journaliste et Monk qui se dessaisit de l’étreinte de ce que l’on veut lui faire dire. Ou jouer.
Nous avons droit à quelques très beaux solos de Monk au piano dans Rewind and play. Mais plus le temps passe et plus la relation entre lui et le journaliste blanc, amateur de Jazz, devient la taule dont Monk, l’esclave noir ou le hamster, doit se contenter selon le souhait du Maitre. Pas bouger. Toi, obéir et faire comme on te dit.
En regardant Monk et ses sourires de politesse, on croit alors voir plusieurs fois un esclave du sud des Etats-Unis tels qu’on a pu nous les décrire du temps de l’esclavage.
Le journaliste, qui se veut sans doute ouvert d’esprit n’a de cesse de rappeler que lors son premier passage en France 15 ans plus tôt, en 1954 ( année du début de la guerre d’Algérie, laquelle n’est pas mentionnée), sa musique était sans doute « encore trop avant gardiste » et le public français ne l’avait alors pas « comprise ». Sauf qu’ensuite, l’esprit rétrograde de ce même journaliste- qui n’a pas compris- produit des étincelles. Et ce n’est pas du Be Bop.
Lorsque Monk s’exprime enfin librement et suggère le racisme qu’il a subi car, malgré son statut de musicien célèbre, il avait été moins bien payé que les musiciens ( blancs) qui l’accompagnaient, le journaliste décide de couper ce passage, le jugeant « désobligeant ». On découvre alors que même en Europe où il est donc désormais adulé, Monk n’est qu’un Noir qui doit rester à sa place dans son rôle de sous-homme seulement compétent pour divertir des blancs condescendants et ignorants comme ont pu les décrire certains héros de la Négritude tels Césaire ou Senghor.
Malgré la barrière de la langue (Monk ne parle pas Français) Monk déchiffre parfaitement son interlocuteur. Peut-être parce-que, où qu’ils soient dans le Monde, tous les racistes composent le même fond de notes. Et, Monk, en a assez de ces singeries.
Rewind and Play sortira au cinéma le 11 janvier 2023.
Franck Unimon, ce vendredi 23 décembre 2022