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Au Palais de Justice Vélo Taffe

Hier, ce mercredi 29 juin 2022, jour du verdict des attentats terroristes de Novembre 2015 à Paris

Paris, ce mercredi 29 juin 2022, le matin, avant 7 heures, près de la gare St Lazare. Photo©️Franck.Unimon

Hier, ce mercredi 29 juin 2022, jour du verdict des attentats terroristes de Novembre 2015 à Paris

 

Hier était un jour spécial. Celui du verdict des attentats terroristes islamistes à Paris du 13 novembre 2015 à Saint-Denis (ville de banlieue proche de Paris) devant le Stade de France lors d’un match de Foot amical ; dans plusieurs rues des 10 ème et 11 ème arrondissements de Paris sur des terrasses de café et de restaurants ; en plein concert dans la salle de concert Le Bataclan qui se trouve aussi dans le 11ème arrondissement de Paris.

 

Je travaillais de nuit dans le 18ème arrondissement de Paris, près de la Porte de Clignancourt, lors de ces attentats du 13 novembre 2015. Je me rappelle encore un peu de cette nuit. Dans un de mes journaux intimes, j’avais écrit un peu à propos de cette ambiance de mort dans Paris qui avait duré quelques temps à cette période. A ce jour, je n’ai pas encore recherché ce journal intime. Mon blog n’existait pas à cette époque.

 

Hier, ce mercredi 29 juin 2022, je travaillais de 8h à 20 heures dans mon nouveau service depuis un peu plus d’un an, maintenant. Je n’ai pas pu me rendre au tribunal de la cité pour assister à ce verdict. Pas plus que je n’ai pu me rendre à une seule audience de ce procès qui avait pourtant démarré le 8 septembre 2021. Alors que cela avait été mon intention.

 

Deux ou trois fois, je suis allé au tribunal de la cité afin « d’assister » à ce procès (comme pour le procès de l’attentat de Charlie Hebdo où je m’étais rendu à une seule audience au nouveau tribunal de Paris) des attentats de novembre 2015.

Au tribunal de la cité, j’ai pu assister à une partie de l’audience d’un tout autre jugement  (Extorsion en bande organisée : Des hommes dans un garage et les avocats de la Défense) . Mais concernant le procès des attentats du 13 novembre 2015,  à chaque fois, je suis « mal » tombé. Y compris ce jour où l’audience avait été reportée car Salah Abdeslam, le principal accusé, avait attrapé le Covid.

 

Lorsque je l’ai pu, j’ai lu ce que j’ai pu trouver concernant ce procès : en grande partie, le récit fait chaque mercredi dans Charlie Hebdo

Mais j’ai aussi pu écouter quelques podcasts ou lire sur le sujet des attentats islamistes de ces dernières années en France ou sur le fanatisme islamiste d’une manière générale. J’ai aussi écouté quelques témoignages de victimes d’attentats de novembre 2015.

Sans être autant impliqué que les victimes, leurs proches, les associations de victimes d’attentats, les accusés et les complices de ces attentats, mais aussi les professionnels de la justice, de la sécurité, et les journalistes qui ont « suivi », « traité » ou se sont chargés de ce procès, je me suis senti et continue de me sentir concerné par ces attentats de novembre 2015 ainsi que par ces actes et ces situations qui peuvent leur ressembler ou s’en approcher. ( Panser les attentats- un livre de Marianne KédiaRicochets-Un livre de Camille EmmanuelleL’instinct de vie , Helie de Saint Marc par Laurent Beccaria, Sans Blessures Apparentes, Utoya, 22 juillet, Journal 1955-1962 de Mouloud Feraoun, Qu’un sang impur…    .Interview en apnée avec Abdel Raouf Dafri  ,   ). 

D’où la raison de cet article aujourd’hui, même si je n’ai assisté à aucune audience de ce procès qui a totalisé « 148 journées de débats » (page 2 du journal Le Parisien de ce mercredi 29 juin 2022, article de Pascale ÉGRÉet de Timothée BOUTRY).

 

Vélo Taffe :

 

Paris, vers la Place Vendôme, ce mercredi 29 juin 2022 au matin. Photo ©️Franck.Unimon

 

Depuis un peu plus d’un an maintenant, je me rends et repars de mon travail avec mon vélo pliant en passant par la Gare St Lazare par laquelle j’arrive en train depuis la ville de banlieue où j’habite.

Le plus souvent, je passe par le boulevard Raspail. Mais hier matin, j’ai eu à nouveau envie de passer par la rue de Rivoli. Ce qui m’a amené, ensuite, au Boulevard St Michel, et, avant cela, à tomber à nouveau sur ce barrage de véhicules de police que j’avais déjà aperçues, en passant à vélo, lors d’autres audiences de ce procès. J’ai pris le temps de m’arrêter pour faire quelques photos. J’ai aussi pu entendre un cycliste, descendant assez vite du Boulevard St Michel, crier en se rapprochant :

 

« Mais ils nous emmerdent avec ces barrières ! ».

 

 

Paris, ce mercredi 29 juin 2022, vers 7 heures du matin, vers le tribunal de la Cité. On peut remarquer l’enseigne Le Soleil D’or, au fond, à droite. Photo©️Franck.Unimon

 

On parle quelques fois de la barrière de la langue pour expliquer certains malentendus ou des relations difficiles. Mais, là, il s’agissait d’une toute autre barrière. Cela fait neuf mois que dure ce procès. Et cet homme, vraisemblablement un habitué de ce trajet, pressé d’arriver à sa destination, ne pouvait et ne voulait pas consacrer quelques minutes supplémentaires (cinq ou dix selon qu’il décide de mettre à pied à terre pour redevenir piéton et longer les barrières ou pour prendre un itinéraire bis) afin de permettre la conclusion de ce procès pour des événements qui nous avaient diversement touchés en 2015…..

Qu’est-ce qui est le plus horrible et le plus meurtrier ? Les actions terroristes préméditées, multipliées et impitoyables de 2015 ou la façon de penser de ce cycliste ?

Dans les faits, ce cycliste n’a tué personne et n’est responsable, a priori, de la mort de personne. Peut-être même exerce-t’il la plus grande mesure de son temps à sauver des vies de par le métier qu’il exerce. C’est peut-être un garde du corps. Un chirurgien chevronné. Un pompier. Un infirmier de pointe. Un homme qui part veiller sa mère ou sa grand-mère très malade. Ou un livreur de sang rare et réputé pour être l’un des plus rapides de Paris.

 

 

Ne pas juger

 

 

En revenant hier d’un transfert dans un hôpital du 18ème arrondissement pour mon travail, j’ai écouté un podcast sur le sujet du Crack. Les addictions font partie des « sujets » par lesquels je me sens concerné. D’ailleurs, j’ai toujours mon article à faire sur les 50 ans de Marmottan fêtés l’année dernière ( le 3 décembre 2021 !) à la salle de concert de la Cigale.

 

Dans les faits, nous sommes tous concernés par le sujet des addictions mais nous sommes encore plus que nombreux à l’ignorer pour différentes raisons  qui ont à voir soit avec une certaine désapprobation morale ou avec, tout simplement, notre méconnaissance grandiloquente de ce qu’est une addiction ou de ce que peut être une addiction.

Dans ce podcast de 59 minutes où interviennent entre-autres, Alain Morel, psychiatre et directeur de l’association Oppelia, mais aussi Karim, un des travailleurs pairs mais aussi quelques consommateurs, il est aussi rappelé que pour aider et travailler avec des personnes addict, il est nécessaire de Ne pas juger.

Photo prise à Marmottan, lors des journées portes ouvertes du 4 et du 5 décembre 2021. Installation réalisée pour cette circonstance. Photo©️Franck.Unimon

 

J’avais déjà entendu ça mais aussi été le témoin de cela. A Marmottan ou dans les services de psychiatrie adulte et de pédopsychiatrie où j’ai pu travailler.

 

Depuis mes débuts d’infirmier en psychiatrie il y a bientôt trente ans, j’ai été amené à rencontrer, au moins dans les différents services où j’ai travaillé, différentes sortes de profils de personnes des plus « sympathiques », des plus « tristes » aux plus « antipathiques » et « exaspérants », des plus « faciles » aux plus « difficiles » et, cela, aussi face à des publics âgés de 3 ou quatre ans. Puisque mes expériences en pédopsychiatrie m’ont aussi amené à rencontrer, avec mes collègues éducateurs ou autres, des enfants de trois et quatre ans et leurs parents.

 

A moins de se barricader derrière de la paperasse, derrière son écran d’ordinateur, derrière son téléphone ou des sms, derrière un bureau et des logiciels ; derrière des protocoles ; derrière des phrases et des pensées toutes faites et définitives ; derrière des chiffres, des murs, des peurs, des certitudes absolues ; derrière des collègues, des portes de prison et des traitements ; ou derrière des cohortes d’intermédiaires et de serviteurs dont la fonction est de dévier, de différer, de diluer ou de faire disparaître l’expérience de la rencontre directe, instinctive et imprévisible, le métier d’infirmier en psychiatrie et en pédopsychiatrie fait partie de ces métiers où les rencontres répétées ont des effets immédiats et prolongés, superficiels et profonds, sur les différents interlocuteurs.

On se heurte où l’on se comprend. On s’apaise ou l’on se blesse. On se confronte où l’on trouve un accord ou un compromis. Peut-être tout de suite, peut-être plus tard. Peut-être très difficilement. Ou jamais.

 

Je peux donc dire que j’ai un peu d’expérience pour ce qui est des rencontres « difficiles » dans ma vie professionnelle et sans doute dans ma vie personnelle. Pourtant, hier, en entendant cette recommandation dans le podcast consacré aux addictions, à nouveau, je me suis demandé :

 

 Comment fait-on pour « Ne pas juger ? ».

 

Puisqu’il arrive un moment, où une situation, où nous parvenons au bout de la chaine de nos forces morales et personnelles et où le jugement, la désapprobation et la condamnation morale s’expriment d’eux-mêmes au travers de notre être :

 

Devant une action, un fait avéré, dont nous sommes le témoin, la victime, le lecteur, le « spectateur » contraint ou le confesseur. Et cette action, ce fait avéré, ou cette proposition, décide « viscéralement » pour nous de ce que nous ressentons.

 

Et cela, malgré nos efforts d’intelligence et nos tentatives de raisonnement. Malgré nos intentions officielles et sincères « d’ouverture » et de tolérance.

 

Une entreprise inhumaine.

 

Ne pas juger, d’une manière générale, dans la vie courante, m’apparaît donc être une action assez surhumaine. Ou, plutôt….inhumaine.  Et je vais le dire comme je le pense : je pense que, quotidiennement, nous passons une grande partie de notre temps à juger nos semblables et à nous juger nous mêmes. Et la justice que nous rendons aux autres ainsi que celle que nous pouvons nous rendre aussi à nous mêmes mais aussi à nos proches me paraît assez souvent, assez facilement, approximative, inexacte, pour ne pas dire, assez énigmatique. Et peut-être même, certaines fois….quelque peu fantomatique.

 

Et qu’ont fait, pendant des mois, depuis le mois de septembre 2021, des professionnels de la Justice, mais aussi des victimes des attentats (et leurs proches) de novembre 2015, les associations de victimes, les accusés et les complices des accusés mais aussi tous ceux qui ont assisté régulièrement à ce procès ?

 

 

Juger.

 

 

Bien-sûr, comparer la démarche qui consiste à essayer d’aider une personne addict à se sortir de son addiction de la démarche qui consiste à juger des terroristes et des complices de ces terroristes peut choquer, mettre très en colère et pousser à se demander si je suis complètement con ou dégénéré ! Et si c’est le cas (si en lisant cet article, on se demande déja si je suis complètement con ou dégénéré) , cela (me) démontrera déjà avec quelle facilité, encore une fois, nous pouvons être jugés –et rapidement dépréciés- par nos semblables dès que nous pensons de manière un peu différente. Et, tant pis, si par ailleurs, sur d’autres points très sensibles, nous sommes du même avis qu’eux :

 

Puisque ce qui importe à celles et ceux qui jugent et veulent être des juges expéditifs, c’est d’obtenir des autres qu’ils soient exactement sur la même ligne qu’eux.

 

Photo prise ce mercredi 29 juin 2022, le matin, avant 7 heures. Photo ©️Franck.Unimon

 

 

Ne pas regarder

 

En rentrant chez moi ce matin, j’ai croisé une jeune femme plutôt jolie. Sans doute influencé par ma lecture récente de l’ouvrage féministe Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon sur lequel j’écrirai un article dès que je le pourrai, je me suis senti un peu coupable en regardant cette jeune femme. Comment regarder quelqu’un sans l’incommoder ? Comment passer à côté de quelqu’un sans pour autant faire montre d’une indifférence fausse qui, elle aussi, interdit d’emblée toute possibilité de rencontre mais, aussi, lorsqu’une attention est bienveillante, une certaine forme de reconnaissance ?

 

 

J’ai croisé cette jeune femme deux fois en quelques minutes.  La seconde fois, j’ai « évalué » que cette jeune femme devait être adolescente. Elle devait avoir 16 ans ou 17 ans. Et je me suis rappelé qu’une jeune personne devient adolescente ou s’aperçoit de son adolescence lorsque des hommes adultes la remarquent particulièrement et la regardent dans la rue avec une autre attention que celle que l’on peut porter aux enfants lorsque l’on les regarde (exception faite des pédophiles).

 

Ce matin, après avoir croisé cette jeune femme, je me suis dit que certaines jeunes femmes se mariaient ou se mettaient sans doute en couple très vite, et devenaient mères aussi très vite, espérant, aussi, se protéger du regard sexuel des hommes sur elles. Puisque devenir mère, cela peut, plus ou moins (car bien des contre-exemples existent), désexualiser un corps, voire le rendre un peu sacré. Sans oublier que la présence des enfants peut rendre l’acte sexuel ou sa probabilité plus difficile. Le corps est déjà dévoué à l’action de s’occuper des enfants.

 

Le mariage ou le couple peut être pour certaines femmes une protection contre les regards des hommes sur leur corps. Quel que soit ce qu’exprime le regard des hommes, d’ailleurs. Il n’y a pas que le soleil qui donne des coups. Certains regards aussi.

 

Il y a des regards d’hommes qui mettent mal  à l’aise. Je peux aussi en parler- un peu- en tant qu’homme qui a pu être regardé par d’autres hommes. En tant qu’homme hétéro se retrouvant une fois ou deux en minorité dans un lieu clos (un théâtre, l’appartement d’un copain homo) et regardé, par plusieurs homos. Ce qui m’avait permis, un tout petit peu, de manière très superficielle, d’avoir un aperçu de ce que peuvent vivre- ou ressentir- des jeunes femmes et des femmes tous les jours lorsqu’elles croisent des hommes. Dans les transports en commun. Au travail. En faisant les courses. Au volant de leur voiture. En rentrant chez elles. En faisant du sport.

 

 

Certaines femmes s’accommodent plutôt bien de ces regards et de la diversité de ces regards. D’autres femmes vivent et ressentent beaucoup plus mal ces regards et ces expériences de regards.

 

Quel est le rapport de cette histoire de « regard » avec ce procès des attentats de novembre 2015 ?

Paris, vers le tribunal de la cité, ce mercredi 29 juin 2022, aux alentours de 21h. Photo ©️Franck.Unimon

 

Lors de ce procès qui a duré neuf mois, des femmes et des hommes, de différents « bords », de différents âges, de différents horizons, de différentes croyances et confessions, de différentes sexualités, professionnels de justice, victimes, proches de victimes, associations de victimes, accusés, complices de ces accusés, journalistes, « spectateurs » ont passé une grande partie de leur temps à se juger, à se jauger et à…se regarder.

 

Que l’on n’essaie pas de me faire croire, malgré les faits incontestés et incontestables (les attentats, l’horreur des attentats) que tout le monde, pour ce procès, dans ce procès et par ce procès, est venu – et parti- avec les mêmes armes pour ces expériences qui consistent à juger, être jugé (que l’on soit accusé ou victime ou témoin) et à être regardé.

 

 

Et que l’on n’essaie pas de me faire croire que tout le monde, au cours de ce procès, mais aussi lors de toute autre procès, a bénéficié et bénéficie des mêmes armes pour exprimer et vivre ces expériences qui consistent à être victime, accusé,  témoin, être jugé et regardé, mais aussi écouté et interrogé par une audience, par un public…..

 

 

Une aventure titanesque

 

Dans son livre Cette Nuit, La Mer est noire  qu’elle avait co-écrit peu de temps avant sa mort accidentelle en hélicoptère, et paru en 2015 après sa mort, la navigatrice Florence Arthaud, qui n’avait pourtant pas beaucoup froid aux yeux, raconte qu’elle n’a jamais pu oser regarder Eric Tabarly qu’elle admirait. A propos d’une des traversées de celui-ci en solitaire, elle ajoute qu’il avait, tout seul, piloté un bateau qui, « normalement », nécessite la présence de 13 ou 14 hommes ! On parle bien-sûr, ici, de 13 ou 14 marins (femmes ou hommes) aguerris. On ne parle pas, ici, d’une promenade d’une demie heure en bateau mouche sur la Seine.

 

Pour moi, qui reste un regard extérieur parmi d’autres, ce procès des attentats de novembre 2015 à Paris a nécessité des efforts encore bien plus invraisemblables et violents que ceux, pourtant hors normes mais aussi hors forme humaine,  alors accomplis par Eric Tabarly. Ou par d’autres navigateurs, femmes ou hommes, qu’il s’agisse de Florence Arthaud elle-même ou de Ellen Macarthur lors de leurs courses en solitaire.

 

 

L’une des plus brutales différences est que les victimes et les proches des victimes, comparativement aux navigatrices et navigateurs, n’ont pas choisi d’être les proies de cette  violence. Comme elles et ils n’ont pas choisi les rôles de victimes et de proches de victimes qui ont découlé de cette violence terroriste.

Les traversées qu’ont à connaître les victimes, leurs proches, et celles et ceux qui les côtoient ne s’arrêtent pas une fois que le retour au port a été effectué. Car ce port s’est déplacé. L’aiguillage interne qui permettait, auparavant, plus ou moins, de faire en sorte que l’expérience extérieure et immédiate, s’accordait plutôt bien avec l’expérience intérieure, n’existe plus ou a été bousillé. Le temps et les distances ne sont plus les mêmes qu’auparavant. La sensibilité, aussi. Pour ces victimes, et leurs proches, il est devenu beaucoup plus difficile de s’accommoder du quotidien comme « auparavant ».

 

Les terroristes, eux, ainsi que leurs complices, ont choisi et prémédité leur action jusqu’à un certain point. Ils étaient volontaires. Pendant plusieurs mois, des années, les terroristes se sont entraînés, « transformés » et ont préparé leur “épopée”. Pendant des mois ou des années, dans cette partie d’échecs et mat, il avaient plusieurs « coups » d’avance. Sur les victimes. Sur les Autorités. Sur le plus grand nombre. Sur nous tous.

 

Mais si ces accusés se sont finalement retrouvés dans ce procès et jugés, cela signifie, aussi, qu’ils ont fini par se faire rattraper. Généralement, on dit des accusés- et de leurs complices- qu’ils se sont faits « rattraper » par la Justice. Mais ce n’est pas uniquement par la justice. Ils se sont aussi faits ici rattraper (hormis ceux qui se sont faits tuer ou se sont suicidés) par leur appartenance au genre humain « commun » ou dit-universel. Par leur finitude.

Sortes de navigateurs meurtriers  de leurs idées, qui se sont crus totalement libres, les terroristes et leurs complices, sont redevenus des terriens qui doivent se rendre compte qu’ils n’étaient pas aussi libres qu’ils ont voulu le croire.  Qu’ils vivent dans le même monde que leurs victimes et les proches de leurs victimes. Mais aussi dans le même monde que les services de police qui les recherchaient.

 

Dans leur imaginaire, ces terroristes et ces complices, n’avaient sans doute par prévu de devoir se retrouver face tous ces gens dans ce genre de circonstances et pour cette durée :

 

Des victimes, des proches de victimes, des associations de victimes, des juges, des avocats, des journalistes et des spectateurs qui les ont regardés, qui les ont jugés et qui les ont interrogés.

Ce mercredi 29 juin 2022, à Paris, aux alentours de 21h. Dans l’arrière champ, au delà du véhicule de police, on peut peut-être apercevoir un joueur de violon. Je me rappelle qu’après l’attentat du Bataclan, un homme était venu à vélo avec son piano portatif afin de jouer sur les lieux de afin d’essayer d’adoucir les événements en expliquant “Je n’ai pas les mots”. Hier soir, je me suis demandé si ce joueur de violon était présent pour les mêmes raisons. Photo©️Franck.Unimon

 

On a beaucoup parlé du silence de Salah Abdeslam et du silence d’autres accusés. Mais ce silence, ou plutôt, cette barrière du silence, si elle a empêché la « rencontre » ou la « communication » n’a pas empêché ces accusés d’entendre, d’écouter ou leur conscience d’être active. Après ce procès, il est possible que certains de ces accusés changent un peu de point de vue concernant la légitimité de leurs actes.

 

Et, au pire, si le psychopathe peut se réjouir de la souffrance de ses victimes mais aussi de celle des proches des victimes, et de la couverture médiatique dont il a « bénéficié », il a aussi ses souffrances personnelles. Et ses « triomphes » (ici, les attentats et leurs victimes) contiennent aussi ses défaites. Même si, du point de vue des victimes, de leurs proches et de celles et ceux qui les défendent, les souffrances du psychopathe terroriste sont bien-sûr secondaires :

 

Les souffrances des victimes des attentats et de leur entourage sont bien-sûr prioritaires.

 

Deux extrêmes opposés :

 

Les victimes des attentats terroristes et leurs auteurs sont deux extrêmes opposés. La rencontre s’est faite et se fait dans la douleur pour les victimes et leurs proches.

 

Pour les terroristes et leurs complices, leurs « cibles » n’existaient pas. C’étaient des inconnus sans aucune valeur. Ou, au contraire, des « valeurs » qu’ils ont eu plaisir à saccager car ces « valeurs » étaient des vies qu’ils ne pourraient jamais obtenir ou comprendre. Donc, autant les détruire.

 

Lorsqu’ils se sentent investis par un droit « souverain » ou « divin », les êtres humains peuvent accomplir le meilleur ou le pire au détriment d’autrui. Là, avec ces attentats terroristes, nous sommes dans le « pire ». Comme lors de l’esclavage, des camps de concentration, comme lors de n’importe quelle guerre ou génocide ou de n’importe quelle forme d’exploitation ou de torture d’un être humain.

 

Il « suffit » que des êtres humains se sentent largement supérieurs ou largement inférieurs à d’autres et « en droit » de se faire justice pour que le pire puisse arriver.

« Normalement », une démocratie permet d’éviter ça : que trop de personnes se sentent largement supérieures à d’autres mais aussi que trop de personnes se sentent trop  inférieures par rapport à d’autres.

 

Ce procès a été une justice différente de celle des terroristes. Une Justice institutionnalisée, avec d’autres règles, d’autres lois, d’autres protocoles.

 

Mais il y a deux sortes de « vaincus » devant cette Justice. Les victimes, leurs proches et les associations de victimes. Ainsi que, peut-être aussi la Justice et l’idée que l’on s’en fait dans une Démocratie.

 

Car les accusés font aussi partie des vaincus : Si les accusés étaient restés libres ou avaient réussi à imposer leur Justice, ils n’auraient pas été jugés. Ils auraient été célébrés comme des héros malgré leurs meurtres. L’horreur est aussi dans ce constat.

 

Ce constat, on va vite passer dessus car imaginer ça est insupportable. Comme de devoir imaginer que ces terroristes, et leurs complices, sont des êtres humains comme nous :

 

« Les juges ont cherché une vérité dans ces événements et même la part d’humanité des accusés » (l’éditorial de la journaliste Marie-Christine Tabet dans le journal Le Parisien, de ce mercredi 29 juin 2022, page 2).

 

Lorsque je traduis cette phrase, je comprends que les accusés ne font pas partie de l’espèce humaine. Car lorsque l’on est un être humain, on ne fait pas ce qu’ils ont fait. On ne dit pas ce qu’ils ont dit. On ne pense pas comme ils pensent.

Donc, avec un tel raisonnement, si la peine de mort existait encore en France en juin 2022 (alors que la France se vante de faire partie des pays qui ont aboli la peine de mort), ces accusés, aujourd’hui, en 2022, seraient exécutés. Comme ils ont exécuté et contribué à faire exécuter les victimes des attentats. L’expression « Œil pour œil, dent pour dent » est donc toujours en cours et au coeur de nos mœurs. Sauf que contrairement aux accusés qui ont tué, nous, nous «prenons » sur nous officiellement en quelque sorte. Je me demande alors :

Pour combien de temps ?

 

Pourtant, même si on hait ces accusés, leur humanité est indiscutable. Et c’est ça qui est insupportable :

Devoir regarder quelqu’un en face, le détester ( je détesterais sans doute celle ou celui qui a tué un de mes proches comme cela est arrivé pour les victimes des attentats de novembre 2015 : tuer par surprise, comme des lapins de fête foraine,  des civils désarmés et non entraînés….), lui souhaiter le pire. Et devoir admettre, que cela nous plaise ou non, malgré tout, que cette personne-là, est aussi humaine que nous. Et que l’on ne peut rien changer à cette humanité. A part, si l’on y arrive, ce que l’on ressent vis à vis de cette personne mais aussi de nous-mêmes.

 

 

Les verdicts :

 

Je n’ai pas encore appris les verdicts des accusés. Hier soir, lorsque je suis rentré du travail, je suis à nouveau passé près du tribunal de la cité entre 20h30 et 21h et j’ai vu que le procès n’était pas encore terminé.

 

Paris. Au loin, on peut apercevoir La Défense, ce mercredi 29 juin 2022, aux alentours de 21h. Photo©️Franck.Unimon

 

J’ai été marqué, hier, par la belle journée que c’était. Il faisait chaud. Dehors, dans Paris, les gens étaient souriants, vêtus légèrement, s’amusant. En short, jambes nues, les caractères sexuels secondaires bien en vue. C’était l’été.

 

Il y avait ce contraste entre ce qui se passait à l’intérieur du tribunal et ce qui se passait dehors devant et autour de moi. Rien à voir. A nouveau deux extrêmes opposés comme tous les jours. D’un côté l’insouciance et l’ignorance. De l’autre, la souffrance et la sentence.

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 30 juin 2022.

 

 

 

 

 

 

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Au Palais de Justice

Extorsion en bande organisée : un témoin reconnaissant

Dans le palais de justice de l’île de la cité, Paris, 8 novembre 2021.

                         Extorsion en bande organisée : Un témoin reconnaissant

Reprise de l’audience ( voir Extorsion en bande organisée : suspension de séance)

 

Les dix minutes de suspension de l’audience sont terminées. Il est environ 15h. Je suis arrivé ce matin à 10h et l’audience avait déjà commencé.

 

Le témoin, qui a attendu plusieurs heures dans le box des témoins – hors des regards de la cour-, a accepté dix minutes plus tôt de patienter encore un peu avant de venir s’exprimer. Il arrive, se place face à la cour et au juge. Comme cela lui est demandé, il décline son identité.

 

Le juge : « On va vous entendre. Vous pouvez nous dire tout ce que vous voulez… ».

Le témoin tient à le faire savoir : « Je n’ai jamais demandé d’être témoin ».

Le juge : « On ne demande jamais… ».

 

 

Le témoin dit ne pas savoir pourquoi il est convoqué comme témoin. Oui, il répond connaître le plaignant. Il explique :

 

« C’est mon ancien associé. Ça a mal tourné. On a fait faillite. Chacun a fait sa route ensuite ».

 

Le juge : «  Il était aussi question de votre frère… »

Le témoin : « Il était quoi ?! ».

 

Le témoin ne se rappelle pas quand il s’est associé avec le plaignant. Selon lui, c’est le plaignant qui avait été à l’origine de leur association, qui avait lancé l’idée :

 

« C’était lui (le plaignant) qui gérait tout ». Le témoin répond que la femme du plaignant était gestionnaire.

 

Il raconte que lui et le plaignant avaient acheté un fonds de commerce «  pas très cher ». Puis, pour les travaux, ils avaient chacun investi moitié-moitié.

 

Le juge mentionne K qui aurait aussi fait partie des associés. Le témoin répond :

 

« Il faut pas avoir trois associés dans un garage ». Oui, il connaissait K…comme client qui passait des voitures au contrôle technique. Il poursuit :

 

« Je ne connais pas K. C’était un ami de …(du plaignant) ». A propos de K, tout ce que le témoin peut dire à son sujet c’est :

 

« Il ramène des voitures de l’étranger, ça s’arrête là ». La cour s’étonne. Comment le témoin peut-il ignorer le véritable nom de K alors qu’il passait des voitures au contrôle technique dans son entreprise ?

Le témoin explique que les contrôles techniques s’effectuaient au nom de la carte grise.

 

« Moi, j’ai jamais été racketté » répond le témoin. « Je sais pas, monsieur » répond-t’il aussi au juge concernant certains des faits rapportés auparavant par le plaignant.

Derrière son dos, le témoin serre ses doigts. Cet homme a peur. Concernant certains actes de violence dont il aurait été le témoin selon le plaignant, il assure :

 

 «  J’étais pas là » ; « J’étais pas au courant de ça ».

 

Il lui est demandé de bien vouloir regarder les prévenus afin de dire s’il reconnaît quelqu’un. Il pivote avec une certaine raideur sur sa gauche. Il se dépêche de regarder. Ses yeux prennent à peine le temps d’attraper les personnes qui se trouvent dans le box.  Il semble très soulagé de pouvoir dire qu’il ne les a jamais vus ! Il répond :

 

« Y a pas eu de pression » ; « C’était une réunion normale » ; «  Y’a pas eu de menace » ; « Je comprenais pas c’était quoi, le problème ? ». « Ils m’ont demandé si j’avais une dette envers…(le plaignant) ».

 

Derrière moi, assis également sur un banc, un jeune homme dans le public est nerveux. Ses genoux cognent de façon répétée contre le banc. Je finis par me retourner tant le bruit est dérangeant. C’est un des proches des prévenus. Je devine que ce témoignage est capital. Le plaignant avait affirmé que ce témoin avait tout vu et qu’il pourrait confirmer la violence qu’il avait subie.

 

La Défense

 

Quelques avocats de la Défense prennent la parole. Autant, je les ai trouvés charognards avec le plaignant, autant, avec ce témoin, ils se montrent délicats. Il ne faut pas le brusquer. D’une part, ce qu’il dit peut grandement contribuer à atténuer la charge de l’accusation sur leurs clients. D’autre part, il est pour moi évident que cet homme a peur. On pourrait penser que c’est la peur de s’exprimer dans un tribunal devant du monde. Mais on peut aussi penser qu’il a très peur de certaines représailles.

 

La première avocate qui intervient :

 

« J’ai quelques petites questions…. ».

 

Le témoin répond « Il n’y a jamais eu de bénéfices ». Il parle d’une entreprise qui s’est soldée par « 15 000 euros de découvert ». Il répond que le plaignant était « un mauvais gestionnaire ».

L’avocate évoque un système d’achat/revente « occulte au moyen de votre société »….

 

La deuxième avocate l’interroge à propos du règlement de l’ardoise par le plaignant.

 

Le témoin : «  Quelle ardoise ? Il a rien remboursé ».

 

K lui est présenté comme l’associé « occulte » de leur entreprise. Le témoin répond que dans le contrat de leur entreprise, K est « nulle part ». Concernant les hommes qui se sont présentés, il explique que ceux-ci portaient une casquette, un cache cou :

 

« On ne peut pas les reconnaître ».

 

A propos du plaignant, le témoin ajoute :

 

« Il a laissé 100 000 euros de TVA à la société qu’il devait rembourser ».

 

Le troisième avocat de la défense interroge le témoin à son tour.

 

Il répond que le plaignant « faisait tout » dans leur entreprise. Et que la femme du plaignant «  ne faisait rien ».

Selon le témoin, K était un ami du plaignant.

 

Le témoin raconte que le plaignant achetait des voitures au nom de leur société sans le dire. Sans payer la TVA.

 

Le quatrième avocat de la défense.

 

 

L’avocat : « Monsieur, je viens de comprendre quelque chose ». «  Qui achetait la voiture ? ».

Le témoin : « Je ne sais pas ». Le témoin répond qu’il ne sait pas comment ça se passe avec la TVA.  Il affirme : «  J’ai vendu aucun véhicule ».

 

L’avocat à propos du plaignant : « Qu’est-ce qu’il a fait avec l’argent de la TVA ? »

Le témoin : « Demandez-lui ».

 

 

Peu après, le témoin est libéré et peut quitter la cour.

 

Mes premières impressions :

 

Autant, en écoutant d’abord le plaignant, j’avais eu de l’empathie pour lui, autant, après ce témoignage d’à peine vingt minutes, je le perçois comme bien moins exemplaire qu’il ne s’est présenté. Néanmoins, pour moi, les prévenus sont loin des gentils garçons qui se trouvent là par erreur. La peur perceptible de ce témoin et son insistance pour dire qu’il n’y a eu « aucun problème » me pousse à croire qu’il y a bien eu violence et intimidation. Et qu’il veut surtout tourner la page et ne pas avoir d’emmerdes supplémentaires. Il serait compréhensible qu’il soit en colère contre le plaignant or il semble avoir pris le parti d’accepter le découvert laissé par celui-ci après l’échec de leur entreprise. Cela pourrait être la décision d’un homme sage ou fataliste. Mais la peur peut rendre  sage.

 

Ou fataliste.

 

Cependant, on comprend aussi grâce à son témoignage que le plaignant était le véritable patron de leur association et qu’il avait su le mettre en confiance et l’embobiner. De victime, le plaignant m’apparaît maintenant comme un homme plein d’idées de grandeur. S’il a un esprit d’entreprise certain et sans aucun doute des compétences réelles dans le domaine de la mécanique, c’est plus un raté bling-bling que le génie des affaires qu’il voudrait ou prétend être. Il se trouve magnifique et  plein aux as lorsqu’il se regarde alors qu’il est régulièrement dans des combines ou des affaires qui tournent mal. Parce-que c’est un mauvais commerçant qui confond ses rêves de réussite avec les faits.

 

Comme il s’exprime bien, a la baraka et est sans doute très sympathique, il séduit. Puis, lorsque l’on creuse, on s’aperçoit qu’il est rempli de vent car ses compétences commerciales sont très inférieures à ses ambitions, et, surtout, aux lois du marché . La scène ainsi décrite par le plaignant où il se serait fait frapper dans un bar à chicha à coups de  « Ne sers pas la main à cet enculé, y ‘a pas fric ! » est donc crédible pour moi. ( Voir  Extorsion en bande organisée : Des hommes dans un garage et les avocats de la Défense)  

 

 La première avocate de la défense, qui semble évoluer à côté de ses pensées, l’avait raillé quant au fait qu’ordinairement les racketteurs s’en prennent à des gens vraiment friqués, contrairement à lui. Et, donc, qu’il n’y avait pas de raison de penser qu’ils lui avaient autant fait de mal que ça, finalement. Mais si cet homme a su faire illusion, ce qu’il est assez apte à faire, et laisser croire qu’il était plus riche qu’il ne l’était, cela a pu suffire pour qu’il devienne la cible de racketteurs. Surtout, si, en plus, il devait vraiment de l’argent à quelqu’un. K ou un autre.

 

Lorsque le témoin a eu terminé de s’exprimer, un des prévenus dans le box avait tenu à dire que, lui non plus, ne le reconnaissait pas. Au point qu’il s’était même demandé qui était cet homme qui venait témoigner. Comme si leur rencontre avait été très courte et aussi  cordiale que venait de le dire le témoin. Une drôle de rencontre quand même puisque le témoin avait expliqué que des hommes (des inconnus) étaient venus le voir pour lui demander si le plaignant lui devait de l’argent. Comme s’il était tout à fait insignifiant que quelqu’un débarque à notre commerce pour nous demander si untel, que l’on connaît, nous doit de l’argent, avant, ensuite, de partir le voir.

 

Je n’ai pas assisté à la suite de ce procès et ne puis dire quelles autres informations ont été ensuite apportées. Je ne connaîtrai peut-être pas le dénouement de ce jugement. Mais j’ai eu devant moi le fait que même s’il existe des lois, des représentants et des garants de ces lois, que l’on peut être très exposé, et isolé, face à certaines violences. Cela peut dissuader de dénoncer certaines de ces violences. Le plaignant, ici, n’a peut-être « peur de rien » comme l’avait affirmé l’un des avocats de la défense. Mais d’autres personnes rackettées ont eu peur et ont peur de leurs agresseurs qui seront peut-être aussi bien défendus que ceux de cette « affaire ». Voire peut-être mieux défendus que leurs victimes. Car j’ai été marqué par la différence de niveau entre les avocats de la défense et les deux avocats du plaignant : j’ai préféré la « classe » des avocats de la défense même si leurs insinuations et certaines de leurs méthodes m’ont déplu. Car, eux, ont véritablement défendu leurs clients.

 

 Après ces quelques heures passées au tribunal, cela m’a fait du bien de pouvoir retrouver l’extérieur et de circuler librement. Cette impossibilité de pouvoir circuler librement à l’air libre, quand on le souhaite, lorsque l’on est prévenu, victime ou témoin, doit sans doute beaucoup peser sur les déclarations que l’on fait ensuite devant la cour.

En sortant du palais de justice de l’île de la cité, ce 8 novembre 2021.

 

 

Paris, 8 novembre 2021, en sortant du palais de justice de l’île de la Cité.

 

 

Palais de justice de l’île de la Cité, Paris, 8 novembre 2021.

 

 

Franck Unimon, mardi 30 novembre 2021.

 

 

 

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Extorsion en bande organisée : suspension de séance

Paris, photo prise le 16 novembre 2021.

                 Extorsion en bande organisée : Suspension de séance

 

Dix minutes. C’est la durée de la suspension de séance décidée par le président.

 

Une musique d’ambiance pourrait être mise pour « relâcher » l’atmosphère. Mais nous sommes dans la cour d’assises d’un tribunal en plein Paris. Et non dans une discothèque. Un plaignant s’est exprimé et a aussi été interrogé. 87 500 euros ont été exigés de lui. Il a raconté un « calvaire » qui a duré six mois. Jusqu’à ce qu’il décide de porter plainte. ( Lire Extorsion en bande organisée : Des hommes dans un garage et les avocats de la Défense ) 

 

Six accusés ont assisté à ces échanges. Trois dans le box, gardés par des gendarmes qui se sont relayés. Trois assis de profil devant la ligne des avocats de la défense.

 

Sitôt la durée de la suspension de séance prononcée, la salle Georges Vedel se vide.

Les personnes assises devant et derrière moi, mais aussi sur le côté, sortent. Il est un peu plus de 13h45. Lorsque je suis arrivé vers 10h, l’audience avait déja commencé.  

 

J’ai faim. Mais dix minutes, c’est court. Je décide de rester. Je me sens très bien, assis. Si personne ne me demande de sortir, je reste assis. En sortant, l’avocat de la Défense aux cheveux gominés, le premier des avocats de la Défense à s’être adressé au plaignant, celui que j’avais ensuite vu passer son bras autour du cou de la femme à qui il avait parlé dans le creux de l’oreille, me sourit. Je dissèque ce sourire comme l’adresse du séducteur d’expérience plus que comme une marque de sympathique. C’est mon parti pris. Je sors une des compotes de mon sac et la bois.

 

Je n’attends rien de particulier. Cependant, dans la salle, pendant ces dix minutes où tout le monde est sorti, à quelques mètres devant moi, il se passe quelque chose.

Je me dis que j’ai bien fait de rester. Manger, aller aux toilettes, passer ou recevoir un coup de téléphone, fumer une cigarette, discuter, cela peut être nécessaire en dix minutes et important pour la suite. Mais, ici, aussi, ce que je vois maintenant est important.

Un des accusés dans le box, assez grand, peut-être le plus grand des trois, s’est retourné. Debout, il parle à un des gendarmes. On dirait une discussion. Du moins dirait-on que cet homme, parmi les accusés, parle à ce gendarme comme s’il était ailleurs que dans un tribunal. L’homme est assez volubile, détendu. Le gendarme qui l’écoute, aussi, bien qu’une certaine distance physique subsiste. Non loin de là, ses deux autres collègues gendarmes sont bien présents.

 

Je ne sais si le gendarme écoute le prévenu par intérêt. Ou s’il l’écoute par curiosité et par politesse. Le prévenu, lui, semble chercher à convaincre de sa bonne foi ce gendarme qui ne le juge pas.

 

La jeune avocate de la défense, celle que dans la vie courante j’aurais plutôt eu envie de protéger, revient avec à manger et deux petites bouteilles d’eau. Le genre de nourriture (sandwich avec du pain de mie ou autre) que l’on achète dans des distributeurs. Elle le tend aux prévenus dans le box.

Le prévenu « parlant », remet aussitôt au gendarme ce qu’il vient de recevoir afin que celui-ci l’inspecte. Un seul coup d’œil suffit au gendarme pour donner son accord.

 

Peu après, le même prévenu, parle à l’avocate de la Défense qui a donné « chaud » au plaignant en l’acculant avec ses questions. Dès que la suspension de la séance avait été prononcée par le juge, je l’avais vue sortir en souriant alors qu’elle discutait, en toute décontraction, avec un des avocats de la Défense. Peut-être celui des « colorations » ou celui qui avait évoqué un vice de procédure parce-que le plaignant lui avait donné l’impression de lire des notes.

 

Cette avocate «  qui donne chaud » est revenue avant plusieurs de ses collègues de la Défense mais aussi avant la fin des dix minutes.

 

Toujours le même prévenu, qui semble le meneur des trois, parle maintenant à cette avocate. Il pose sa main sur sa manche de l’avocate. La vitre du box des accusés mais aussi trente bons centimètres de hauteur les séparent tant il est plutôt grand. Et, elle, plutôt petite. Cependant, à nouveau, elle est souriante et très détendue. Même sans cette vitre entre eux, on comprend que seule, avec lui, elle n’aurait pas peur. Une relation de grande confiance, voire de complicité, est visible entre les deux.

 

Je n’ai pas du tout perçu ça entre le plaignant et son avocat. Il est vrai que je n’ai pas entendu l’avocat du plaignant beaucoup s’exprimer. Mais un autre avocat, apparemment du plaignant, présent, lui, dans la salle, ne m’a pas fait une impression aussi mémorable lorsqu’il a pris la parole.

 

En constatant ce contraste, le prévenu apparaît être un gentil garçon ; ou l’avocate, une personne très rouée pour pouvoir être aussi à l’aise avec un homme ( l’accusé) qui, lorsqu’il est libre, est sûrement beaucoup moins affable lors de certaines circonstances.

Je me fais des idées. Car je m’imagine que réclamer de l’argent, faire pression sur quelqu’un, lorsque l’on est ni banquier, ni percepteur des impôts, cela se fait autrement qu’au moyen d’un courrier que l’on envoie. Le destinataire de cette réclamation ou le débiteur désigné est, je crois, susceptible d’accuser corporellement réception de quelques coups. Ou d’apprendre concrètement à les envisager dans un avenir toujours trop immédiat.

 

Toute cette trame est absente de ce que je vois. Sans cette cour d’assises et ces gendarmes, je pourrais penser qu’il y a juste quelques personnes qui restent là à discuter comme partout ailleurs. On pourrait remplacer cet endroit par la terrasse d’un café ou d’un restaurant. Et ces gens que je regarde seraient alors des gens comme il y en a tant. Ordinairement. Quotidiennement.

Paris, gare St Lazare, mercredi 16 novembre 2021.

 

Franck Unimon, mercredi 17 novembre 2021.

 

 

 

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Extorsion en bande organisée : Des hommes dans un garage et les avocats de la Défense

Photo prise le lundi 8 novembre 2021, au Palais de justice de la Cité. Paris. C’est dans une autre salle que s’est déroulée l’audience à laquelle je fais référence.

Extorsion en bande organisée : Des hommes dans un garage et les avocats la Défense

( On peut lire avant cet article Extorsion : Trouver la salle d’audience )

Une dette à payer

 

 

Ce lundi matin, l’audience a déjà commencé. Six accusés sont présents. Trois sont dans le box. Derrière eux, autant de gendarmes. Devant eux, la ligne des avocats de la défense. Cinq ou six avocats de la défense sont assis à une table. Deux ou trois ordinateurs portables sont en marche devant eux. A côté de chaque avocat, sa pile de dossiers et de documents. Trois femmes. Autant d’hommes ou presque. Devant les avocats de la défense : trois autres accusés assis de profil, les uns derrière les autres. Ces prévenus ont entre 30 et 40 ans de moyenne d’âge. Le plaignant est également dans cette moyenne d’âge.

 

On le regarde et l’entend – le plaignant- en hauteur sur deux écrans. Celui-ci est assis devant une table. A ses côtés, son avocat en robe noire.

 

Le plaignant répond aux questions du juge. Et raconte. Un jour, des hommes sont venus dans le garage auto qu’il dirige alors. Ils lui ont appris qu’il devait 87 500 euros à une de ses connaissances, K ( la lettre du prénom a été changée pour des raisons d’anonymat).

 

L’un des avocats de la défense intervient et évoque un vice de procédure : il fait remarquer que le plaignant semble lire des notes sur la feuille posée devant lui ! Le plaignant dément. Son avocat prend la feuille et vient la rapprocher de la caméra. A part la date du jour, il n’ y a rien d’écrit sur la feuille. Le juge fait savoir que rien n’interdit au plaignant d’avoir des notes.

 

A la suite de ce « racket », le plaignant est amené à se rendre dans diverses villes de la région parisienne ( où le plaignant réside) à la demande de ceux qui le pressent de payer. Celui-ci explique qu’il a aussi dû effectuer des réparations à « l’œil ».

 

La première visite de ses agresseurs remonterait à décembre 20…. Le juge parle de « l’épisode relativement violent où vous êtes frappé ». Le plaignant acquiesce. Après avoir donné une certaine somme d’argent, il s’est mis d’accord avec ceux qui lui forcent la main de rembourser 5000 euros par mois. « Des ponctions ». Ainsi que pour accepter de faire des réparations gratuites pour eux, leurs amis. Il raconte qu’il a aussi été sollicité pour ouvrir une ligne de crédit. Afin que ceux qui le molestaient puissent avoir accès à ses fournisseurs gratuitement et, ce, aux frais de son garage.

 

Le plaignant raconte qu’il est allé chercher ses économies en espèces chez ses parents pour un montant de 9000 euros. Qu’il a obtenu qu’un de ses amis lui prête 3000 euros alors que celui-ci avait besoin de cette somme pour partir à l’étranger. Des collègues ont pu lui prêter 35 000 euros. Et il a réussi par ailleurs à récupérer 20 000 euros.

Il lui a été dit «  Si on vient, c’est pour K…. ». Le juge constate :

 

« Vous avez lâché K très tard. Avec beaucoup de difficultés… ».

Porter plainte

 

Le juge : « On s’interroge tous. Pourquoi vous avez attendu pour déposer plainte ? »

Le plaignant : « J’ai tenu jusqu’au moins de juin. Ça a sûrement été une grosse erreur ».

 

« Comment expliquez-vous que cette menace ne se soit jamais matérialisée ? ».

Nous apprenons que le plaignant est surnommé Madoff. Celui-ci raconte avoir été obligé de se rendre dans un bar à chicha. D’avoir reçu un coup de tuyau à Chicha derrière la tête. De s’être fait frapper par plusieurs personnes. De s’être retrouvé au sol, replié en boule. «  Ne serre pas la main à ce fils de pute, il n’y a pas d’argent ! ». Un homme l’a sommé de trouver une solution dans les dix minutes, autrement, une pince à chicha dans la main :

 

« Je te crève les yeux avec ! ».

 

Le plaignant raconte que lorsque l’un de ses agresseurs l’appelait chez ses parents, il était obligé de répondre dès la première sonnerie. «  Comment va ton père ? ». Ensuite, son interlocuteur lui demandait de l’argent. «  J’comprends pas » commente le plaignant.

Il y a eu un incendie dans son garage. Il aurait été suspecté. Il répond :

« Suspect ? Non. Je suis témoin assisté ». Le plaignant explique qu’il y a eu un non-lieu. Un appel. « Je suis toujours témoin assisté ».

 

« Comment ces individus ont pu vous convaincre de les payer ? ».

 

« C’est pas des enfants de chœur. Ça se voit directement. N’importe qui aurait réagi comme moi ».

 

« Est-ce que vous avez vu un psychiatre ensuite ? ».

 

Oui, il a vu une psychologue.

 

L’Avocat général

L’avocat général prend la parole :

 

« D’abord, je voudrais dire que je vous trouve plutôt courageux. Je le dis comme je le pense. Vous avez maintenu ce que vous avez dit. C’est important pour moi ».

 

L’avocat général précise que lorsque l’on entend parler de la première fois où ces hommes sont venus dans son garage, que l’on a l’impression que cela a duré peu de temps :

 

« Est-ce que vous pouvez nous dire combien de temps ça a duré ? ».

 

« ça a duré longtemps. Deux à trois heures ». Le plaignant dit que le bornage des téléphones permet de le savoir.

 

L’avocat général : « Qu’est-ce qui se passe pendant ces deux heures trente de temps ? ».

 

Le plaignant : « Déjà, on voit sa vie défiler. Après, j’ai appelé tout mon répertoire pour ramasser de l’argent…ça prend du temps. Il fallait que je laisse le haut parleur quand j’appelais….des gens que je n’avais pas eus au téléphone depuis un p’tit moment. Donc, il fallait d’abord prendre des nouvelles…. ».

 

L’avocat général : « Comment on arrive à se souvenir ? Qu’est-ce qui est marquant ? Est-ce que vous pouvez le dire à la cour d’assises ? ».

 

Le plaignant : «  Monsieur, tout est marquant. Pendant six mois, c’est un calvaire. C’est un traumatisme. Plus j’en reparle et plus il y a des choses qui reviennent ».

 

L’avocat général : « Ma question est un peu provocatrice. Quel serait votre intérêt d’avoir inventé tous ces détails ? De donner de tels détails ? Sauf si vous avez une déficience ou une maladie nosographiquement répertoriée par la psychiatrie ».

 

Le plaignant : «  Oui, je suis encore traumatisé. Sinon, je serais avec vous en salle. J’ai même peur de sortir. J’ai peur d’être suivi. Je suis redevenu salarié. Je veux plus les voir. Même voir leur visage, j’ai pas envie. Ils m’ont bousillé ma vie. Je veux être tranquille ».

 

Un des jurés (vraisemblablement) se lève et l’interroge.

 

Le plaignant : « Je n’ai pas fait Sciences Po mais on voit que c’est des professionnels. Ce n’est pas leur premier coup (….).

 

L’avocat général ? : « Je suis désolé, j’ai fait Sciences Po…mais j’ai eu du mal à calculer le préjudice…. ». « S’il n’y a pas de dettes, pourquoi ils viennent vers vous ? Vous avez expliqué qu’ils étaient bien renseignés sur vous. En juin 20… ( six mois après le début des faits), vous avez déposé plainte. Comment se fait-il qu’ils arrivent avec cette somme de 87 500 euros ? ».

 

Le plaignant : « Mr B…savait même que le garage n’était pas encore à mon nom. Donc, ce sont des gens très professionnels. Très bien renseignés ».

 

Du flouze et des flous

 

S’ensuivent des interrogations sur l’identité de Mr K qui se serait plaint que le plaignant ait une dette envers lui. Ce que le plaignant dément. Selon lui, il aurait remboursé Mr K de la somme qu’il lui devait (20 000 euros). Et il ne voit pas la raison pour laquelle Mr K serait mêlé à cette histoire. Le plaignant affirme aussi ne pas connaître le nom et l’identité de ce Mr K qu’il a pourtant rencontré à plusieurs reprises. Le plaignant peut dire de Mr K, qu’il l’a toujours vu « sale ». Pour le présenter comme quelqu’un de très travailleur.

 

L’avocat général prend la parole pour affirmer :

« S’il y a quelqu’un qui doit donner l’identité de Mr K, c’est les accusés et pas vous ! ».

 

Le plaignant souligne qu’il y avait un litige entre les deux recouvreurs de dettes qui faisaient pression sur lui. Comme s’il y avait une compétition entre eux. A qui obtiendrait le premier les remboursements qu’ils lui réclamaient. « Ils parlaient de dossiers ». Le plaignant en déduit que ces deux hommes exerçaient du racket sur d’autres personnes.

 

Mes impressions :

Je suis en totale empathie avec le plaignant. Je suis aussi agréablement surpris : pour une fois que le procureur est sympa. Je n’ai pas aimé l’intervention de l’avocat de la défense au début avec cette histoire de feuilles et de notes. J’ai vu ça comme une tentative de déstabilisation du plaignant.

 

Mais je retrouve déja ce fossé entre, d’une part, les principaux acteurs de la cour qui s’expriment bien, qui ont fait de hautes études et qui appartiennent à une classe sociale élevée. Et le plaignant qui, malgré ses efforts et son entreprise ( il a l’air d’être bon en mécanique) est un homme d’un milieu social « limité ».

 

C’est ensuite au tour des avocats de la défense.

Les avocats de la Défense

Après quelques regards et quelques échanges, les avocats de la défense se décident rapidement entre eux afin de savoir lequel d’entre eux va prendre la parole le premier.

C’est finalement un avocat aux cheveux noirs gominés, qui porte des lunettes, d’une quarantaine d’années qui, pour commencer, s’adresse au plaignant, en s’avançant jusqu’à l’un des micros.

 

Le premier avocat de la défense récapitule :

 

« Le 1er décembre 20…, une incursion a lieu dans votre garage. Des gens vous disent qu’ils sont bien renseignés sur vous. Que vous disent-ils exactement ? ».

 

Le plaignant :

 

« Ils me disent que mon frère va ouvrir un restaurant à A…ce que j’ignorais. Ils connaissent l’adresse de mes parents. Ils savent aussi que je suis propriétaire ( à l’étranger) ».

 

L’avocat de la défense :

 

« C’est quoi, aujourd’hui, les raisons de vos craintes ? Il y a 15 gendarmes ! ».

 

Le plaignant : « Ce sont des gens très professionnels. J’ai dû changer d’adresse ».

 

L’avocat de la défense :

« Depuis votre plainte, il n’y a jamais eu de problèmes ? ».

Le plaignant : «  Non ».

 

L’avocat de la Défense : « C’est finalement vous qui pensez….c’est votre ressenti ».

 

Mes impressions

Avec ses cheveux gominés, et sa façon de gommer les aspects de la violence de la situation, je vois cet avocat de la défense comme un roublard. En le voyant ensuite assis devant moi, son bras passé autour du cou de la femme à qui il parlera dans l’oreille avec aisance, il me fera d’autant plus l’effet de celui qui parade. Plus tard, lors de la suspension de séance, en quittant la salle, il m’adressera en passant un sourire que je prendrai davantage comme une attache de séduction que pour un réel geste de bienveillance et de sympathie.

 

La seconde avocate de la défense :

La cinquantaine, les cheveux quelque peu ébouriffés, elle se lève et s’approche du micro. Après le « Bonjour Monsieur » d’usage comme son confrère précédent, elle commence.

 

« Vous nous avez dit que vous êtes un honnête travailleur….depuis 2013, pouvez-vous nous dire votre CV ? »

«  A combien estimez-vous votre revenu déclaré en 2016 ? ».

« Est-ce que vous avez un joli véhicule ? Une belle montre ? ».

 

Le plaignant répond que sur les réseaux sociaux, il a pu se montrer en photo près de sa belle voiture.

 

L’avocate de la défense pointe que sa société n’était pas à son nom. « C’est un ami » explique le plaignant.

 

L’avocate de la défense demande s’il a un compte bancaire. Oui.

« Ce n’est pas ce que vous avez déclaré, mais ce n’est pas grave ». Le plaignant conteste. Pendant trois à quatre bonnes minutes, l’avocate de la défense cherche dans son dossier la déclaration à laquelle elle fait référence. Puis, elle annonce la cote du document à la cour.

 

« Le diable se cache dans les détails » poursuit l’avocate de la défense. Celle-ci dit devant la cour que cet ami dont le nom se retrouve sur sa société «  est connu pour avoir renversé une personne âgée ».

 

« Pour quelqu’un qui menait grande vie, vous n’aviez pas de compte bancaire. Donc, vous aviez menti au juge d’instruction » avance l’avocate de la défense.

 

Le plaignant répond avoir acheté une Bentley 32 800 euros. Mais elle était «  en très mauvais état ». Il ajoute : « Je suis toujours en procédure ». Le véhicule , qui a été revendu, a été immobilisé.

 

Le policier qui était son conseil, Mr M, « a été condamné » informe l’avocate de la défense. Celle-ci continue. D’après ses recherches, il est décrit comme

« Un très mauvais gestionnaire » ; «  Un puits sans fond » ; « avec une montre de merde ». Elle demande au plaignant :

 

« Comment vous vous définiriez ? ».

 

Le plaignant : « Comme un très bon gestionnaire ».

L’avocate de la défense : « Ce n’est pas ce qui ressort de votre dossier, je vous le dis ! ». «  Vous ne le savez peut-être pas ! ».

 

L’avocate de la défense : « Ces gens s’en prennent rarement à des personnes qui n’ont pas d’argent. En général, ils s’en prennent à des patrons de boites de nuit. Alors que vous, vous n’avez rien ! ».

 

Le plaignant : «  Vous avez l’air très bien renseignée, peu importe ».

 

Mes impressions :

Je suis partagé. Avec son style ébouriffé et apparemment bordélique, cette avocate de la défense a d’abord l’air à côté de ses pensées. Alors qu’elle s’entortille autour de son dossier tel du lierre, se resserre, puis  se montre particulièrement opiniâtre. D’un côté, son style « fripé » un peu à la Columbo  me plait. D’un autre côté, comme je suis encore en empathie avec le plaignant, je vois dans son attitude un certain manque de respect mais aussi beaucoup d’agressivité déplacée envers celui que je continue de voir comme innocent. Et plus à protéger qu’à attaquer.

 

C’est ensuite au tour d’un troisième avocat de la défense.

 

Le troisième avocat de la défense :

Cheveux très courts. Il a à peine la quarantaine mais, néanmoins, un aplomb certain.

 

A nouveau, cela commence par un bonjour d’usage poli puis :

 

«  J’ai peu de questions. Avant, je faisais un peu de Droit des affaires….ces 20 000 euros ( que le plaignant affirme avoir rendu devant témoins à Mr K), vous les avez déclarés au fisc ? ».

 

Le plaignant reconnaît que non.

L’avocat de la Défense : « A partir de 750 euros, vous êtes obligé de les déclarer ».

Le plaignant :

«  Je ne savais pas ».

 

L’avocat de la Défense : « Pourquoi vous ne les avez pas empruntés à la banque ? ».

Le plaignant explique qu’il avait dépassé les 33% de son taux d’endettement en créant et en ouvrant son garage.

L’avocat de la défense :

« Celui qui prétend qu’il a payé doit prouver qu’il a payé. Il y a un écrit ? On trouve des formulaires sur internet. C’est très bien fait sur google. Vous savez ce que c’est, une facture ? ».

 

Le plaignant répond et affirme avoir remboursé sa dette.

 

L’avocat de la défense : « Non. Ce n’est pas vrai. On n’a pas lu le même dossier ». « Tout va bien depuis que tout le monde est en prison ? ». « Je n’ai pas envie de vous embêter avec ça….(….) vous sortez un peu dans Paris ? (….) vous longez les murs….(….) Si je vous donne le Libertalia, vous connaissez ? ».

 

Le plaignant connaît cet endroit. Il y est déjà allé. L’avocat de la défense lui demande quand il y est allé pour la dernière fois. Le plaignant peine à se souvenir. 3 ans ? 5 ans ?

 

L’avocat de la Défense annonce qu’il a une preuve attestant qu’il s’y est rendu….

 

Le juge intervient alors à l’encontre de l’avocat de la défense :

 

« Vous n’êtes pas aux Etats-Unis ! Si vous abordez le sujet, vous devez verser la pièce au dossier ! C’est tout à fait déloyal ! »

 

 

Mes impressions :

Je suis heurté par le manque d’empathie de l’avocat de la défense pour le plaignant. Tout est bon pour le bousculer. Y compris le fait de faire passer le plaignant pour un abruti.

 

4ème avocate de la Defense, 2ème conseil d’un des accusés :

 

Si mes souvenirs sont bons, il s’agit d’une jeune femme, d’à peine trente ans, dont l’allure, dans la vie réelle, la ferait passer pour une personne douce faisant partie des espèces que l’on aurait plutôt envie de protéger ou d’escorter.

 

Après un bonjour poli d’usage, elle prévient :

Elle est en total désaccord avec ses déclarations….” comme vous allez très vite  vous en rendre compte “.

« Vous avez une propension à aller au commissariat… ». (….) « Dommage que vous ne l’ayez pas dit au juge d’instruction » (….) « Est-ce que c’est normal, pour une victime traumatisée, d’être entendue 11 fois par la SDPJ  ( Sous-direction de la Police Judiciaire )? ».

Le plaignant : «  Je n’en sais rien ».

L’avocate de la défense : «  Alors, je vais vous l’apprendre, Monsieur…. ».

 

L’avocate s’appuie un moment sur le bornage de la téléphonie mobile pour affirmer que, contrairement à ses dires, un des accusés était absent lors d’une des transactions de racket.

 

Le juge intervient de nouveau :

« Non, Maitre ! Vous ne pouvez pas dire ça ! La téléphonie n’est pas une preuve incontestable de l’absence de quelqu’un ».

L’avocate de la Défense reprend :

« C’est assez impressionnant, le nombre de vos versions, Monsieur. Mais vous allez nous l’expliquer ». (….) « Vous venez vous adapter, si vous me le permettez, aux questions que l’on vous posait…moi, je ne comprends plus…. » (….) « Il n’y a pas de bonne réponse,monsieur ! ». (….)

Mes impressions :

Cette impression que les avocats de la défense, par tous les moyens qu’a leur inspiration, tentent d’imposer au plaignant la reconstitution du puzzle qu’ils se sont faites mais, aussi, qui les arrange. Je prise peu, cette mauvaise foi et aussi ces coups de griffe qu’ils adressent  au passage, l’air de rien, au plaignant, et qui imposent un certain mépris à celui ou celle qui n’est pas de leur « race ». Leur « race » étant leur bord et celles et ceux qui défendent. On peut bien-sûr voir leurs remarques et leurs astuces comme une mise en scène. Mais ce n’est pas eux qui jouent leur vie ou leur moral ou leur réputation. J’ai l’impression qu’ils disposent d’un certain droit de tuer peut-être aussi meurtrier ou plus meurtrier que celles et ceux qui commettent des meurtres de chair et de sang. Sauf que leur droit de tuer est récompensé et salué par la société.

Je n’aime pas non plus le fait qu’ils jouent sur le temps et l’usure dont ils semblent disposer à leur gré pour faire plier ou supplicier celle ou celui qu’ils ciblent. Plusieurs fois, un avocat ou une avocate de la défense a lancé «  j’ai encore une avant dernière question. Non, finalement, trois… ». Il y a une sorte de sadisme de leur part, je trouve, dans leur façon d’interroger. Une certaine manière de séquestrer psychologiquement celle ou celui qu’ils confrontent en vue de le posséder. On dit que le but d’un jugement est de se rapprocher de la vérité. Mais je me demande si tout cela est un prétexte. L’autre but est peut-être aussi de tenter de disposer de la destinée d’autrui et de la faire se déplacer  vers un trajet autre que celui de sa propre volonté.

 

L’avocate-lierre ( pour la défense) aux cheveux ébouriffés reprend la main :

 

« J’ai cru ne pas comprendre….vous m’avez dit quoi ? pour votre activité plus ou moins occulte…. ».

 

Le juge intervient de nouveau :

« Vous avez mal entendu, Maitre ».

L’avocate-lierre (pour la défense) :

« Je ne peux pas prendre de notes quand je suis à la barre, Monsieur le Président ».

 

La cinquième avocate de la Défense :

 

C’est une femme brune d’une trentaine d’années, plutôt ronde. Jusque là, elle s’est peu fait remarquer. Elle doit à peine mesurer 1m65. Spontanément, si je l’avais croisée dehors, je lui trouverais une certaine douceur. Peut-être le cliché dû aux rondeurs. Car de tous, ce sera celle qui cognera, le plus fort et le plus longtemps, le plaignant dans les angles.

 

Elle commence par un « Bonjour » comme d’habitude. Puis :

 

« Est-ce que vous suivez l’actualité ? ». L’avocate de la Défense enchaîne ensuite sur un article récent du journal Le Parisien sur le logiciel Orion que la gendarmerie envisage d’utiliser pour détecter les mensonges en recoupant les propos employés dans les déclarations.

«  Si on avait passé vos auditions au logiciel Orion, on ne s’en sortirait pas ». (…..) . Avec un grand sourire, l’avocate parle de «  suivre le menteur jusqu’à sa porte ».

« Comment vous expliquez la somme de 87 500 euros ? ».

Le plaignant : «  Je vais répondre pour la troisième fois ».

L’avocate de la Défense : « Même une quatrième fois, s’il le faut ! ». (….) « C’est quand vous avez été acculé que vous avez daigné… » ( ….) « Vous avez répondu plus ou moins jusque là…. » (….) « Comme vous dites, tout et son contraire, on ne sait plus ! ». (….) «  Je sais, vous avez chaud ! ».

 

Le plaignant : «  Je n’ai pas du tout chaud, Madame. Vous me donnez chaud ! ».

Grand sourire- presque sympathique- de l’avocate de la Défense :

« Je vous ai un petit peu bousculé » ( ….) « On a prouvé que vous avez menti…. » (…) « Je suis désolée » (…..) « Chaque fois que l’on vous demande de prouver quelque chose, il n’y a pas de traces… » (….) « Je ne suis pas dans votre vie ! ».

 

Il est expliqué (par le plaignant ?) qu’il avait eu le projet de vendre un véhicule 83 000 euros. Ce véhicule a été réquisitionné par le policier qui aurait été en cheville avec les personnes qui l’ont racketté.

 

Agacé d’être «  un petit peu bousculé », le plaignant lâche à l’avocate de la Défense :

« Lisez le Parisien, vous avez raison, Madame ! ».

 

L’avocate de la Défense :

« J’ai une question sur X…vous dites quoi sur X ? Il a quoi à faire dans notre affaire ?! » (….) « ça s’apparente à des menaces. Vous faites la différence entre violences et menaces ? ». (….) « Je veux juste comprendre votre psychologie, c’est ça qui m’intéresse ! » (…..) « Vous êtes quelqu’un d’intelligent, c’est pas possible de me dire ça ! »

 

Lorsque cette avocate de la Défense a débuté, il était 12h55. Son intervention devait être assez courte. D’autant que le plaignant avait répondu au juge qu’il devrait partir à 13h. Etant donné qu’on lui avait dit de prendre «  sa demi-journée ». Il travaille à 14h et, pour être l’heure, il lui fallait impérativement partir à  13h. Or, il est 13h30 lorsque cette confrontation se termine. A plusieurs reprises, cerné, dépité, débouté, le plaignant a soit tardé à répondre, soit lâché : «  Si vous le dites ! ». Un moment, se tournant vers son avocat, il a voulu refuser de répondre tant il se sentait agressé par l’avocate de la Défense. Son avocat l’a alors enjoint à répondre. Le plaignant s’est alors plié à l’exercice devant une avocate de la Défense le pressant crescendo. «  C’est trop facile de ne pas répondre ! ».

 

Plus tôt, concernant les coups ( avant ceux « portés » par l’avocate de la Défense) que le plaignant dit avoir reçus dans le bar à chicha, l’ami chez qui il s’est refugié quelques jours ensuite en Belgique a affirmé aux enquêteurs ne pas avoir remarqué de traces de coups sur lui. Le plaignant maintient sa version. Les coups ont été portés sur son thorax (« Je ne me déshabille pas devant mon ami ») et derrière la tête. Ce qui, selon lui, ne se voit pas forcément. Et, il n’est pas allé voir un médecin car, autrement, avec le certificat médical, il serait parti « porter plainte ». « Bonne réponse » avait alors dit l’avocate de la Défense. Mais cela, c’était dans les débuts de leur « échange ». A la fin de celui-ci, le plaignant  finit par lâcher :

«  Hé bien, le jour où vous aurez vécu ce que j’ai vécu, vous comprendrez…. ».

 

Mes impressions :

 

Encore une fois, l’agressivité frontale et les insinuations- en termes de jugement mais aussi de domination- de l’avocate de la Défense m’ont dérangé. Cependant, dans les propos, cette avocate de la Défense, peut-être plus que les autres, fait corps à corps avec le plaignant. Des expressions comme  « Je ne suis pas dans votre vie ! » ou «  je veux juste comprendre votre psychologie, c’est ça qui m’intéresse ! » laissent penser que nous sommes plus dans une relation intime et passionnelle que dans une salle d’audience. Une relation intimepassionnelle et publique qu’elle impose au plaignant et qui ne peut que, en tant qu’homme hétérosexuel et marié,  l’embarrasser et lui faire perdre une partie de ses moyens comme de ses défenses. Par moments, que ce soit avec cette avocate de la Défense et/ou une autre, je perçois dans certains propos des allusions à la supposée impuissance virile du plaignant. Ce n’est jamais dit comme tel. Mais glissé dans les expressions par petites touches. Et on appuie.

 

La démonstration de cette avocate de la défense, à la suite des interventions des autres avocats de la défense, est si imposante qu’elle me marque plus que les éventuels mensonges du plaignant. A ce stade-là, je ne me dis pas encore que le plaignant a tout faux. Je remarque surtout la prestation de cette avocate de la Défense. Et, même si j’ai du mal avec toute cette agressivité et ces insinuations qu’elle déverse après ses consoeurs et confrères  je me dis qu’en cas de nécessité, j’aimerais bien avoir cette personne comme avocate. Mais surtout pas comme compagne : Maitre Keren Saffar.

Quant à L’avocat de la Défense aux cheveux gominés, il s’agit de Maitre Raphaël Chiche.

 

 

Il est donc 13h30. Le plaignant aurait dû partir à 13h pour arriver à l’heure à son travail où il est désormais salarié. Et, c’est là que s’avance un dernier avocat de la Défense. Il s’était déjà un petit peu exprimé. Cet avocat de la Défense a une bonne cinquantaine d’années. Il a l’aura-et le verbe élégant- de l’avocat qui étincelle. Ses phrases sont des mouchoirs à la ponctuation fine et délicate repassée de près. Mais  elles s’emparent de tout ce qu’elles approchent. Le plaignant proteste. Il est déjà en retard pour son travail. Il est aussi trop tard pour échapper à l’avocat de la Défense qui, dans la facilité et le sourire, l’entourloupe et lui fait comprendre qu’il va rester pour répondre à quelques questions. Il en a juste « pour cinq minutes » assure-t’il.

Les « cinq minutes » du Sixième avocat de la Défense :

 

Je croyais avoir bien entendu son nom lorsqu’il l’a prononcé. J’avais entendu Maitre Viguier. Mais je n’en suis pas sûr. Celui-ci commence par :

 

« Que faisait votre femme  dans le garage ? » (….) « Avez-vous fait des photos ? » (…) « J’ai une dernière question ou peut-être une avant dernière ? ».

 

Soulagé par le « tact » de cet avocat de la Défense, le plaignant dit «  à vous, je vais vous répondre ».

Le plaignant répond que sa femme s’occupait de la gestion (ou de le comptabilité) du garage.

L’avocat de la Défense qualifie les réponses ou les affirmations du plaignant comme étant «  les plus alourdissantes en termes de coloration ». L’avocat de la Défense ajoute :

 

« Je ne suis pas d’emblée convaincu par ce que vous venez de dire ». Rappelant au plaignant que son courage avait été salué par l’avocat général, l’avocat de la Défense conclut :

« Moi, j’ai surtout l’impression que vous n’avez peur de rien ».

 

Mes impressions :

L’avocate précédente de la défense a opéré un très beau travail au corps du plaignant. Pour la première fois, celui-ci a eu du mal à répondre comme il le faisait jusqu’alors en étant concentré, sûr de lui , et fournissant force détails. Il ne reste plus beaucoup de temps avant que celui-ci s’en aille. D’autant qu’il a répondu qu’il n’avait pas de disponibilité dans l’immédiat pour être à nouveau interrogé. Donc, autant s’engouffrer pendant qu’il reste quelques minutes, dans le travail de brèche réalisé dans la défense du plaignant.

 

 

Ensuite, c’est au tour de l’avocat qui avait fait « un peu de Droit des affaires » de reprendre la parole. Celui qui s’est cru aux Etats-Unis d’après la remarque du juge.

 

Le plaignant proteste à nouveau. Il est alors plus de 13h30. Il devait partir à 13h.

 

L’avocat de la Défense qui avait fait « un peu de Droit des affaires » justifie le fait de retenir et de retarder encore un peu plus le plaignant par un « Il me reste 30 secondes sur les 5 minutes » dit avec un discret sourire.

Cet avocat de la Défense reste sur son parcours au Libertalia. ( Un lieu dont je n’avais jamais entendu parler. Je m’attendais à un endroit quelconque ou plutôt à éviter. Mais en regardant sur le net, j’ai vu que c’était plutôt assez select). Il poursuit :

« Mr Z (un des accusés)…a été physionomiste au Libertalia. Il vous a laissé entrer gratuitement. Vous avez pu échanger tranquillement. Vous avez été filmé. Vous avez un beau verre à la main ».

Le plaignant ne semble pas plus dérangé que cela par cette “révélation” lorsqu’il prend congé et quitte l’écran.

Ensuite, cet avocat de la Défense s’adresse à la greffière. Le juge intervient :

« Faisons les choses simplement. Pourquoi vous vous adressez à ma greffière ? Passez par moi ».

 

L’avocat de la Défense s’exécute. Puis, le juge traduit à la greffière la demande de l’avocat de la Défense de joindre au dossier telle preuve relative à la vidéo montrant le plaignant devant le Libertalia.

 

Le plaignant s’en va à 13h35.

 

Le juge répond à l’avocate de la Défense-Lierre  aux cheveux ébouriffés et qui semble à côté de ses pensées:

« Non ! Ce n’est pas possible d’avoir une suspension d’audience par correction pour le témoin qui attend »

 

L’entrée du témoin :

Mr V a été associé du plaignant. Le plaignant a plusieurs fois cité cet homme comme étant présent lorsqu’il a remboursé Mr K.  Mais aussi comme pouvant témoigner de certains faits de violence qui se sont déroulés dans son garage (celui que dirigeait alors le plaignant).

 

Il est pratiquement 13h45 lorsque le témoin, Mr V, entre dans la salle d’audience.

 

Il est demandé au témoin de décliner/confirmer son identité. Ce qu’il fait. Le juge s’adresse à lui :

« Cela fait deux heures et demie que vous attendez. Vous est-il possible d’attendre encore un petit peu avant de témoigner ? ». Le témoin répond que c’est possible. Le juge le remercie et prononce une suspension de séance de dix minutes. Le témoin retourne dans la pièce où il attendait.

 

Mes impressions :

Coupable ou innocent, je me dis que passer dans le tamis des questions et des remarques des avocats de la Défense, du procureur, des juges, et, avant eux, des officiers de police ou de nos propres avocats est une épreuve éreintante qui peut détruire. J’ai bien-sûr au moins pensé aux victimes des attentats du 13 novembre 2015 dont le procès a débuté début septembre jusqu’en avril ou mai 2022. Je comprends que certaines des victimes de ces attentats du 13 novembre 2015 aient préféré éviter de venir témoigner au tribunal. Dans mon prochain article, qui sera plus court, je parlerai du témoignage de Mr V après la reprise de l’audience.

 

Franck Unimon, ce vendredi 12 novembre 2021.

 

 

 

 

 

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Extorsion : Trouver la salle d’audience

Paris, au Palais de Justice de l’île de la Cité, ce lundi 8 novembre 2021. Prêter Serment.

 Extorsion : Trouver la salle d’audience

( cet article suit l’article Au Palais de Justice).

Ce lundi 8 novembre 2021, il n y a pas de barrières pour bloquer la route qui mène au Palais de justice de l’île de la Cité. Je suis étonné. Je me demande s’il y a des jugements. Alors que je viens pour assister au procès des attentats du 13 novembre 2015.

 

Dans la cour, un jeune gendarme m’indique aimablement où aller pour me rendre au procès.

 

On s’y perd un peu dans le Palais de justice. Il n’y a pas beaucoup de monde. Peut-être parce-que les audiences ont déjà commencé.

 

Dans les toilettes, je croise un jeune homme noir, élégant dans son costume bleu ou violet, qui me dit bonjour. Je me dis qu’il est nouveau dans le milieu. A la sortie, il ne peut pas m’indiquer où aller. Puis, j’aperçois le panneau qui indique le procès des attentats du 13 novembre 2015.

 

Je monte des marches. Prends un escalier vers la salle Victor Hugo. Je tombe sur deux gendarmes qui renseignent.  A travers la vitre d’une porte, j’aperçois des gens de la Cour, debout en train de parler.

L’un des deux gendarmes m’apprend que ce n’est pas ici. Il m’explique comment m’y rendre.

Il me répond que ce procès, tout près d’eux, est « complet ». Impossible d’y entrer. Je demande quand même de quel procès il s’agit :

Celui du meurtre de Mireille Knoll.

C’est à l’ « accueil directionnel » où se trouvent deux hommes, que j’apprends vraiment, qu’aujourd’hui, le procès des attentats du 13 novembre 2015 n’a pas lieu. Sous le regard d’apprenti d’un jeune d’une vingtaine d’années, c’est le plus ancien, la cinquantaine, qui me répond et m’explique ça.  Il me dit que « demain » (ce mardi 9 novembre), mercredi et vendredi, le procès des attentats du 13 novembre 2015 aura lieu. Puis que la semaine prochaine, si j’ai bien retenu, le procès aura lieu du mardi, je crois, jusqu’au vendredi. Mais que je ne pourrai pas entrer dans la salle. Ce que je savais déjà. Je lui demande :

« Y’a t’il quand même un procès où je peux aller ? ». Il me répond « oui, oui » et m’indique où aller derrière moi dans la salle Georges quelque chose dont j’ai du mal à comprendre le nom. Mais j’ai bon espoir de trouver. Car j’ignore alors comme le Palais est grand.

Non loin de là, je vois un attroupement de personnes joyeuses. On applaudit. On sort son téléphone portable pour prendre des photos. Quelques oiseaux blancs filent sous le plafond. Depuis que je suis entré, je ne sais pas ce que j’ai le droit de photographier. Là, je me sens autorisé à le faire alors que je me rapproche de cette foule qui acclame celles et ceux qui viennent de prêter serment.

Lundi 8 novembre 2021, Paris, au Palais de la Justice de l’île de la Cité. Prêter Serment.

 

Prêter serment :

 

Prêter serment est un très grand engagement. Je suis surpris du décalage entre cette joyeuse humeur et la lourde tâche du travail futur de ces personnes qui sortent de la salle avec leur robe noire, le sourire aux lèvres.

 

Puis, je reprends mon chemin. Un long couloir. Un sol clair. Immaculé. Je ne crois pas faire affront en prenant quelques photos.

Paris, Palais de la Justice de l’île de la Cité, lundi 8 novembre 2021.

 

 

 

Je ne brise aucune instruction, aucun secret. Je ne prends en photo aucune personne reconnaissable ou a priori recherchée. Le fait d’avancer dans des longs couloirs plutôt vides me donne l’impression de me faufiler. Ces grands espaces, cette hauteur sous plafond, le lustre et l’Histoire de l’endroit imposent le respect.

Paris, Palais de la Justice de l’île de la Cité, Lundi 8 novembre 2021.

 

 

Je tombe sur un homme égaré. Comme moi. Il vient à ma rencontre et me sollicite afin que je le guide. Sa convocation à la main, il ne sait où aller. Il me montre le plan qu’on lui a remis à l’entrée et me dit «  On est là ». Mais je ne sais pas lire les plans. J’ai du mal avec l’espace reproduit sur des plans. Un employé passe. Je le questionne. Il réfléchit. La salle d’audience où je veux aller ne lui dit rien. L’endroit où doit se rendre cet homme, à peine plus. Pourquoi, comment ? Nous descendons de larges escaliers près de nous. En bas de ces escaliers, en passant devant des toilettes, nous trouvons son lieu d’audience. Mais il ne sait pas ce qu’il doit faire. Il ne sait pas où est son avocat. J’ouvre la porte. Une femme d’autorité m’intime aussitôt de la refermer :

 

« On viendra vous chercher ! ».

 

Sur la porte, parmi d’autres, j’ai lu le mot Mineurs et aussi Affaires sociales. Mais mon « homme » n’a pas une tête de mineur. Celui-ci m’apprend avoir rendez-vous à 10h. Il est 9h45. Je lui dis :

 

« ça va ! Vous êtes même en avance ». Il ne sourit pas. Ne semble pas plus rassuré que cela. Il me remercie néanmoins. Avant de le quitter, je lui souhaite bonne chance et lui demande de quel pays vient-il : Le Mali.

 

 

Peu après, je trouve la salle d’audience que je cherche : La salle d’audience Georges Vedel. Je ne sais pas ce qu’a fait cet homme. Je ne crois avoir jamais entendu parler de lui. Un gendarme sort. Je lui demande si je peux assister à l’audience. Bien-sûr ! Lui et son collègue, la vingtaine prolongée, m’accueillent avec décontraction et sympathie. Ils me demandent de vider mes poches de tout objet métallique type clé etc…avant de passer au détecteur. Puis, je récupère mes affaires une fois passées aux rayons X.

On m’informe que je n’aurai pas le droit de filmer ou de prendre des photos dans la salle.

 

Avant d’entrer, je demande de quoi parle le procès en question, dans cette cour d’assises.

Une histoire d’extorsion m’apprend-t’on. Pour 87 500 euros. Les gendarmes m’informent que je peux sortir de la salle d’audience quand je le souhaite.

 

Lorsque j’entre, un gendarme me montre l’endroit où m’asseoir : sur les bancs, en bois, de gauche. Les bancs de droite sont réservés à des témoins ou à des proches si j’ai bien compris. Devant moi, sur le côté, une jeune femme tape sur son ordinateur portable. Elle semble retranscrire ce qu’elle observe. Ce qu’elle entend.

 

Je vois trois prévenus derrière un box. Derrière eux, deux ou trois gendarmes. Deux ou trois autres gendarmes sont dans la salle et se déplacent. Je verrai les gendarmes dans le box permuter avec d’autres gendarmes venus les relayer. Plus tard, derrière le juge, je verrai deux portes s’entrouvrir et deux ou trois autres gendarmes entrer. En moyenne, ces gendarmes ont la trentaine, des physiques de sportifs, et sont habillés et parés pour l’action. Rien à voir avec le gendarme de St Tropez avec Louis de Funès ou Benoit Poelvoorde qui pourrait se promener en bermuda, marcel, jambes maigres, ventre à raclettes et claquettes.

 

Pourquoi des gendarmes assurent-ils la sécurité dans un palais de Justice ? Parce-que, m’a depuis appris un collègue, les gendarmes sont formés au maintien de l’ordre. Ils sont les équivalents des CRS voire sont des CRS. Le policier ou le gardien de la paix n’est pas formé au maintien de l’ordre comme ils le sont. Le maintien de l’ordre ne se résume pas à sortir son arme et à tirer. C’est aussi appliquer des stratégies de retrait, de désencerclement ou d’encerclement.

 

Cependant, à la cour d’assises, l’atmosphère est plutôt sereine. Sereine et concentrée. Les avocats de la Défense, cinq ou six ou plus (dont trois ou quatre femmes), sont assis derrière leur table sur laquelle, pour certains, se trouve un ordinateur portable en étant de marche. A côté, un dossier constitué d’une pile de documents.

 

Sur un écran, je vois et entends le plaignant qui répond aux questions du juge. Le plaignant est assis devant une table. A ses côtés, en robe noire, son avocat ou l’un de ses avocats. Un stylo ou un crayon ainsi qu’une feuille sont devant le plaignant.

Un autre écran est situé face à la défense. L’image est nette. Le son est bon. 

Dans la rangée où je suis assis, dans le public, nous sommes alors à peine cinq personnes. Dans la rangée de bancs de droite, pareil.

 

Je comprendrai plus tard que les trois hommes assis l’un derrière l’autre de profil devant les avocats de la Défense, face à la cour, font aussi partie des accusés. Derrière la cour, manifestement, répartis sur la largeur de la cour, les jurés. A droite de la cour, l’avocat général. Et une autre personne dont je ne connais pas la fonction.

 

Il est alors à peu près dix heures du matin. Je pense alors rester jusqu’à 13h. Jusqu’au moment de la pause déjeuner. Je sortirai finalement de là à 14h30 à peu près.

Paris, au Palais de Justice de la Cité, Lundi 8 Novembre 2021.

 

(à suivre)

 

Franck Unimon, ce mardi 9 novembre 2021.

 

 

 

 

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Au Palais de Justice

Paris, ce lundi 8 novembre 2021, vers 10h.

                                              Au palais de Justice

 

Mardi 9 novembre 2021, 7h15

Cette nouvelle catégorie de mon blog balistiqueduquotidien est particulière. Je viens de me lever pour l’écrire. Ce n’est pas tôt. Je peux me lever encore bien plus tôt ou me coucher bien plus tard dans la nuit pour écrire. Lorsque c’est comme ça, l’action de boire et de manger attend ou attendra.

 

Enfant, naïvement, j’ai voulu être avocat. J’avais moins de dix ans. Je me rappelle avoir défendu la « cause » de quelqu’un. J’étais tellement touché par l’injustice à laquelle j’assistais que je m’étais mis à pleurer.

 

 Ma plaidoirie n’avait pas été prise en compte. Le copain ou le camarade que j’avais essayé de sauver avait été condamné. Cependant, il avait eu la vie sauve.

 

Enfant, j’ai voulu faire plusieurs métiers. Policier, pompier et footballeur le plus souvent et, une fois, avocat.

 

Une seule fois, chez des amis de mes parents, je me souviens avoir ouvert une sorte de guide de droit qui se trouvait là. Je m’ennuyais sans doute parmi ces adultes et j’aimais lire. Je suis tombé sur un article qui concernait le droit familial. Et, vu que je me rappelais avoir porté le nom de jeune fille de ma mère jusqu’à mes six ans, j’avais appris que mes parents avaient ensuite dû aller faire une déclaration devant le juge afin de pouvoir m’attribuer le nom de mon père. J’avais alors interrogé mes parents chez ces amis. Je me souviens de ma mère qui avait alors confirmé que, oui, c’était vrai.

 

Enfant, on sait se satisfaire de réponses et d’actions simples pour des sujets complexes. Dès l’instant où l’on se sent aimé- et en confiance- par celles et ceux qui nous entourent et nous répondent. Plus tard, cela peut devenir plus difficile à faire. Soit nous devenons plus critiques et plus exigeants. Soit, aussi, celles et ceux qui nous ont entouré et aimé plus jeunes disparaissent. Et celles et ceux qui les remplacent ou que nous choisissons ensuite, à nos yeux, ne font pas l’affaire. Ou, sans  celles et ceux qui nous élevés ou que nous avons connus plus jeunes, près de nous, nous avons du mal à nous tenir « droits ». D’autres fois, aussi, nos modèles de départ, nos parents, notre famille mais aussi notre entourage, bien qu’aimants et disponibles, nous ont donné des exemples de vie qui, au regard de certaines lois, ne sont pas durables.

 

Première expérience d’audience dans un tribunal

 

J’étais soit au collège ou au lycée la première fois qu’avec un de nos professeurs, avec ma classe, à Nanterre, nous sommes allés au tribunal. Dans ce très haut bâtiment de la Préfecture de Nanterre. Un bâtiment très familier situé à une vingtaine de minutes à pied à peu près de là où nous habitions, alors. Au delà du grand parc de Nanterre qu’ado, j’ai beaucoup plus connu pour mes séances d’entraînement d’athlétisme que pour aller m’y promener. J’étais déjà, aussi, passé quantité de fois devant ce bâtiment de la préfecture dans le bus 304 pour aller aux Pâquerettes chez une de mes tantes maternelles. Où j’aimais aller jouer avec un de mes cousins.

Mais j’avais aussi pris le 304 bien des fois pour aller rejoindre ma mère qui travaillait alors à l’hôpital de Nanterre, pas très loin des Pâquerettes, des Glycines, des Canibouts… il était fréquent de voir des SDF ( on disait “clochards”) alcoolisés et allongés en face de l’hôpital. 

L’hôpital de Nanterre ou hôpital Max Fourastier, aujourd’hui, s’appelait La Maison de Nanterre et dépendait alors de la Préfecture de Paris. C’était plusieurs années avant la construction de la Maison d’arrêt de Nanterre.

 

Ce  jour où nous étions au tribunal avec ma classe, je me souviens du jugement d’un grand adulte. Il avait une vingtaine d’années. Il était jugé pour récidive. A nouveau, il avait exhibé ses parties intimes devant une petite fille. Il triturait nerveusement quelque chose qu’il avait dans ses mains. Il était terrorisé. A l’entendre, on comprenait que cet homme, adulte pourtant, avait un retard mental. Il parlait comme un petit garçon. Sauf qu’il avait un corps, la tête et la force d’un homme. Si j’avais croisé cet homme dans la rue, moi, qui, comme beaucoup de garçons, a été éduqué dans l’admiration de la grandeur et de la force physique, j’aurais été intimidé en cas de conflit. Alors, qu’aurait pu faire une petite fille si cet homme avait entrepris de la saisir et de lui faire connaître pire ? Cette question, je ne me l’étais pas posé ce jour-là. Je l’ajoute aujourd’hui.

 

L’homme avait été sermonné comme un enfant. La Loi lui avait parlé. Et, il avait dû être condamné à du sursis. A cette époque, les bracelets électroniques n’existaient pas. Je ne crois pas que l’on ait parlé de suivi psychologique pour lui et cela n’aurait d’ailleurs servi à rien.

 

Après le jugement, nous avions débattu avec notre professeur. C’était peut-être en troisième, au collège public Evariste Galois. Avec notre prof principale, notre prof de Français, Mme Epstein, qui nous avait emmené voir E.T au cinéma à la Défense. Ainsi qu’une pièce de théâtre au Théâtre des Amandiers : Combat de Nègres et de chiens par Bernard Marie Koltès

 

Cela collerait bien avec la personnalité de Mme Epstein de nous avoir fait vivre cette expérience. Elle, qui nous avait proposé, un jour, de faire venir le Dr Francis Curtet, spécialiste des addictions.

 

 Mais je ne suis pas sûr que ce soit elle qui nous ait emmené au tribunal assister à une audience. A ma première audience. Car je ne me souviens pas du visage de celle ou celui qui nous y avait accompagné.

 

Seconde expérience d’audience dans un Tribunal

 

J’ai connu ma seconde audience dans le public au Palais de Justice de l’île de la Cité. Près de St Michel, à Paris. J’avais vingt ans de plus. En grandissant, j’avais ensuite voulu devenir champion du monde d’athlétisme en sprint, kinésithérapeute dans le sport, journaliste, écrivain, poète, acteur. J’étais devenu infirmier diplômé d’Etat.

 

A la Fac de Nanterre, où j’avais passé trois ans après mon diplôme d’infirmier – ce qui avait étonné quelques unes de mes camarades puisque j’avais déjà un diplôme et un travail !- j’avais très bien identifié le bâtiment où se tenaient les cours de Droit. Je n’y suis jamais entré. Pour moi, les cours de Droit, cela rimait avec les partis politiques de droite et d’extrême droite. Mais aussi avec des personnes issues de classes sociales bien plus favorisées que la mienne. Sans oublier toutes ces plâtrées de lois et de textes aux tournures de phrases alambiquées qu’il fallait s’enfoncer dans la tête et ingurgiter.

Et, à aucun moment, il ne m’était apparu que pendant mes trois années d’études d’infirmier, j’avais aussi dû m’enfoncer «  dans la tête et ingurgiter » des « plâtrées » de connaissances. Car, ces « connaissances » infirmières acquises avaient pour moi un effet et un pouvoir concret immédiat afin de me permettre rapidement d’avoir un travail et de gagner ma vie. Alors que l’issue concrète d’études de Droit m’apparaissait sûrement à la fois trop étrangère, trop floue et trop lointaine. Soit l’opposition classique et magistrale entre ce qui pousse certaines et certains à « choisir » – et aussi à s’y tenir- des études courtes plutôt que des études longues.

 

Sans surprise, aujourd’hui, je ne pouvais pas me satisfaire de mes études d’infirmier en soins généraux. Après quelques années de diplôme, après le DEUG d’Anglais, après le service militaire, après avoir commencé à passer un brevet d’Etat d’éducateur sportif, j’avais d’abord choisi d’aller travailler en psychiatrie générale avec un public adulte à Pontoise.

 

Lors de cette seconde audience dans un tribunal, j’étais infirmier dans un nouveau service, en pédopsychiatrie, à Montesson. La pédopsychiatrie était une spécialité que je découvrais dans ce service depuis un ou deux ans lorsqu’un de nos collègues avait été très content de nous proposer de venir voir son grand frère plaider au tribunal, à Paris.

 

Son grand frère, né à Nanterre comme ce collègue et moi, avait réussi. Il était maintenant un avocat reconnu et pas n’importe où.

 

Ce grand frère avocat nous avait accueilli avec amabilité. Nous étions plusieurs soignants du service à être présents. Il nous avait même payé le repas dans le self ou le restaurant du tribunal.

 

J’ai oublié le motif du jugement. Je me rappelle d’une femme procureur, noire, plus caricature de procureur, et assez brouillonne. Et de l’éloquence du grand frère de ce collègue commençant par raconter, comment, plus jeune, il passait du temps à assister aux audiences au tribunal de Nanterre… jusqu’à ce que son père finisse par venir le chercher.

 

Avant de plaider, le grand frère de ce collègue nous avait dit que la procureur avait tellement mal travaillé qu’elle lui avait « ouvert des boulevards ». En effet, lorsqu’il avait commencé à plaider, par contraste, sa démonstration avait été magistrale. Sauf qu’il avait fini par être un peu trop long à mon sens.

 

J’avais été néanmoins content de cette nouvelle expérience. Et j’avais bien vu, aussi, la grande fierté de ce collègue d’être le petit frère de cet homme qui avait réussi. Je m’étais aussi dit que je retournerais dans un tribunal pour assister à des audiences.

 

En Guadeloupe, sans doute après cet épisode, une fois, en passant devant un tribunal, alors que nous y étions en vacances mon jeune frère et moi, j’avais un moment envisagé d’y entrer. Après avoir aperçu un magistrat ou un avocat dans sa parure sur les marches blanches. Mais mon frère m’avait fait comprendre comme il trouvait mon idée, une fois de plus, incongrue. Je n’avais pas insisté et avais continué de conduire vers notre destination, peut-être vers Basse-Terre.

 

Les Attentats du 13 novembre 2015

 

Hier, c’est le procès des attentats du 13 novembre 2015 qui m’a ramené dans un tribunal. Une volonté que j’ai eue assez vite lorsque j’ai su que ce procès allait commencer…le 8 septembre 2021. Jusqu’à fin Mai 2022.

 

 Cependant, auparavant, je m’étais rendu à une des audiences du procès ( Du 2 septembre au 10 novembre 2020) des attentats « de » Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’hypercacher de Vincennes. Dans le nouveau Tribunal de Paris, situé à la Porte de Clichy, ce « plus grand centre judiciaire d’Europe » ouvert en 2018.

 

J’avais pris des notes lorsque j’étais allé à cette audience du procès des attentats « de » Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’hypercacher. J’avais commencé à écrire un article. Puis, j’ai laissé s’endormir cette volonté. Peut-être que le sujet était-il trop conséquent pour moi. Que j’avais trop traîné pour venir assister à ce procès. Et/ou que je me suis dit, en lisant les comptes rendus de Charlie Hebdo de ce procès, que je n’apporterais rien de différent ou de plus.

 

Néanmoins, le fait d’aller dans un tribunal m’avait à nouveau « plu ». Tant pour le déroulement de l’audience que, d’abord, pour tout le décorum et les protocoles d’accès au tribunal. Les personnes lambda comme moi se rappellent de l’existence des tribunaux et des procès lorsqu’il y a des « affaires » marquées médiatiquement. Ou lorsqu’elles doivent venir s’y justifier, ce qui est plutôt exceptionnel pour la majorité des personnes lambda. Autrement, nous passons à côté de ce qui se déroule quotidiennement dans des tribunaux qui sont des mondes à la fois clos (on n’y entre pas comme dans un commerce qui nous accueille presque à cartes de crédit et à caddies ouverts) mais pourtant suffisamment accessibles pour celle ou celui qui souhaite prendre le temps de venir les découvrir. Comme de s’y rendre régulièrement. Afin d’assister à des audiences. Ou d’y circuler là où c’est autorisé.

 

 

Une institution publique prestigieuse

Un tribunal, pour moi, c’est en principe une institution publique prestigieuse. Que ce soit par les murs ou par les personnes qui y exercent de hautes fonctions (magistrats, procureurs, avocats….). Pourtant, cette institution publique prestigieuse, comme d’autres institutions publiques prestigieuses, est souvent méconnue de la majorité des gens lambda comme moi. Même si « nul n’est censé ignorer la Loi ».

 

 Combien de fois suis-je passé devant un tribunal ou une autre institution publique prestigieuse  (l’assemblée nationale ou une Grande Bibliothèque) sans même envisager, de temps en temps, d’y entrer afin d’apprendre ?

 

Je ne compte plus.

 

Nous vivons dans un monde et dans une société inégalitaire. Mais lorsque nous pouvons bénéficier de certains apprentissages et vivre certaines expériences qui sont à notre portée, nous préférons rester dans ce que nous connaissons et savons faire. Par confort, conformisme, et sûrement, aussi, pour rester avec les autres. Les autres que nous choisissons ou que nous avons choisi.

 

Hier, je suis allé assister à une audience parce-que j’ai accepté d’ y aller seul. Une fois de plus. Certaines décisions, bonnes ou mauvaises, se prennent et se vivent seul. Avant de pouvoir retourner ensuite, si c’est possible, avec les autres. Celles et ceux que l’on a choisi, qui nous ont accepté ou qui semblent le faire.

 

 

Aujourd’hui, je n’écrirai pas plus car ce serait un article trop long. Mais je crois que c’était important de préparer cette nouvelle rubrique ou catégorie de mon blog par ce préambule. Même si, ensuite, si cette rubrique ou cette catégorie dure, celles et ceux qui la découvriront en cours de route ignoreront tout de ce préambule.

Paris, ce lundi 8 novembre 2021, vers 15h, après être sorti du Palais de justice.

Franck Unimon, ce mardi 9 novembre 2021. 9h45