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Au Palais de Justice VĂ©lo Taffe

Hier, ce mercredi 29 juin 2022, jour du verdict des attentats terroristes de Novembre 2015 Ă  Paris

Paris, ce mercredi 29 juin 2022, le matin, avant 7 heures, prĂšs de la gare St Lazare. Photo©Franck.Unimon

Hier, ce mercredi 29 juin 2022, jour du verdict des attentats terroristes de Novembre 2015 Ă  Paris

 

Hier Ă©tait un jour spĂ©cial. Celui du verdict des attentats terroristes islamistes Ă  Paris du 13 novembre 2015 Ă  Saint-Denis (ville de banlieue proche de Paris) devant le Stade de France lors d’un match de Foot amical ; dans plusieurs rues des 10 Ăšme et 11 Ăšme arrondissements de Paris sur des terrasses de cafĂ© et de restaurants ; en plein concert dans la salle de concert Le Bataclan qui se trouve aussi dans le 11Ăšme arrondissement de Paris.

 

Je travaillais de nuit dans le 18Ăšme arrondissement de Paris, prĂšs de la Porte de Clignancourt, lors de ces attentats du 13 novembre 2015. Je me rappelle encore un peu de cette nuit. Dans un de mes journaux intimes, j’avais Ă©crit un peu Ă  propos de cette ambiance de mort dans Paris qui avait durĂ© quelques temps Ă  cette pĂ©riode. A ce jour, je n’ai pas encore recherchĂ© ce journal intime. Mon blog n’existait pas Ă  cette Ă©poque.

 

Hier, ce mercredi 29 juin 2022, je travaillais de 8h Ă  20 heures dans mon nouveau service depuis un peu plus d’un an, maintenant. Je n’ai pas pu me rendre au tribunal de la citĂ© pour assister Ă  ce verdict. Pas plus que je n’ai pu me rendre Ă  une seule audience de ce procĂšs qui avait pourtant dĂ©marrĂ© le 8 septembre 2021. Alors que cela avait Ă©tĂ© mon intention.

 

Deux ou trois fois, je suis allĂ© au tribunal de la citĂ© afin « d’assister Â» Ă  ce procĂšs (comme pour le procĂšs de l’attentat de Charlie Hebdo oĂč je m’étais rendu Ă  une seule audience au nouveau tribunal de Paris) des attentats de novembre 2015.

Au tribunal de la citĂ©, j’ai pu assister Ă  une partie de l’audience d’un tout autre jugement  (Extorsion en bande organisĂ©e : Des hommes dans un garage et les avocats de la DĂ©fense) . Mais concernant le procĂšs des attentats du 13 novembre 2015,  Ă  chaque fois, je suis « mal Â» tombĂ©. Y compris ce jour oĂč l’audience avait Ă©tĂ© reportĂ©e car Salah Abdeslam, le principal accusĂ©, avait attrapĂ© le Covid.

 

Lorsque je l’ai pu, j’ai lu ce que j’ai pu trouver concernant ce procĂšs : en grande partie, le rĂ©cit fait chaque mercredi dans Charlie Hebdo

Mais j’ai aussi pu Ă©couter quelques podcasts ou lire sur le sujet des attentats islamistes de ces derniĂšres annĂ©es en France ou sur le fanatisme islamiste d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale. J’ai aussi Ă©coutĂ© quelques tĂ©moignages de victimes d’attentats de novembre 2015.

Sans ĂȘtre autant impliquĂ© que les victimes, leurs proches, les associations de victimes d’attentats, les accusĂ©s et les complices de ces attentats, mais aussi les professionnels de la justice, de la sĂ©curitĂ©, et les journalistes qui ont « suivi Â», « traitĂ© Â» ou se sont chargĂ©s de ce procĂšs, je me suis senti et continue de me sentir concernĂ© par ces attentats de novembre 2015 ainsi que par ces actes et ces situations qui peuvent leur ressembler ou s’en approcher. ( Panser les attentats- un livre de Marianne KĂ©diaRicochets-Un livre de Camille EmmanuelleL’instinct de vie , Helie de Saint Marc par Laurent Beccaria, Sans Blessures Apparentes, Utoya, 22 juillet, Journal 1955-1962 de Mouloud Feraoun, Qu’un sang impur…    .Interview en apnĂ©e avec Abdel Raouf Dafri  ,   ). 

D’oĂč la raison de cet article aujourd’hui, mĂȘme si je n’ai assistĂ© Ă  aucune audience de ce procĂšs qui a totalisĂ© « 148 journĂ©es de dĂ©bats Â» (page 2 du journal Le Parisien de ce mercredi 29 juin 2022, article de Pascale ÉGRÉet de TimothĂ©e BOUTRY).

 

VĂ©lo Taffe :

 

Paris, vers la Place VendĂŽme, ce mercredi 29 juin 2022 au matin. Photo ©Franck.Unimon

 

Depuis un peu plus d’un an maintenant, je me rends et repars de mon travail avec mon vĂ©lo pliant en passant par la Gare St Lazare par laquelle j’arrive en train depuis la ville de banlieue oĂč j’habite.

Le plus souvent, je passe par le boulevard Raspail. Mais hier matin, j’ai eu Ă  nouveau envie de passer par la rue de Rivoli. Ce qui m’a amenĂ©, ensuite, au Boulevard St Michel, et, avant cela, Ă  tomber Ă  nouveau sur ce barrage de vĂ©hicules de police que j’avais dĂ©jĂ  aperçues, en passant Ă  vĂ©lo, lors d’autres audiences de ce procĂšs. J’ai pris le temps de m’arrĂȘter pour faire quelques photos. J’ai aussi pu entendre un cycliste, descendant assez vite du Boulevard St Michel, crier en se rapprochant :

 

« Mais ils nous emmerdent avec ces barriĂšres ! Â».

 

 

Paris, ce mercredi 29 juin 2022, vers 7 heures du matin, vers le tribunal de la CitĂ©. On peut remarquer l’enseigne Le Soleil D’or, au fond, Ă  droite. Photo©Franck.Unimon

 

On parle quelques fois de la barriĂšre de la langue pour expliquer certains malentendus ou des relations difficiles. Mais, lĂ , il s’agissait d’une toute autre barriĂšre. Cela fait neuf mois que dure ce procĂšs. Et cet homme, vraisemblablement un habituĂ© de ce trajet, pressĂ© d’arriver Ă  sa destination, ne pouvait et ne voulait pas consacrer quelques minutes supplĂ©mentaires (cinq ou dix selon qu’il dĂ©cide de mettre Ă  pied Ă  terre pour redevenir piĂ©ton et longer les barriĂšres ou pour prendre un itinĂ©raire bis) afin de permettre la conclusion de ce procĂšs pour des Ă©vĂ©nements qui nous avaient diversement touchĂ©s en 2015
..

Qu’est-ce qui est le plus horrible et le plus meurtrier ? Les actions terroristes prĂ©mĂ©ditĂ©es, multipliĂ©es et impitoyables de 2015 ou la façon de penser de ce cycliste ?

Dans les faits, ce cycliste n’a tuĂ© personne et n’est responsable, a priori, de la mort de personne. Peut-ĂȘtre mĂȘme exerce-t’il la plus grande mesure de son temps Ă  sauver des vies de par le mĂ©tier qu’il exerce. C’est peut-ĂȘtre un garde du corps. Un chirurgien chevronnĂ©. Un pompier. Un infirmier de pointe. Un homme qui part veiller sa mĂšre ou sa grand-mĂšre trĂšs malade. Ou un livreur de sang rare et rĂ©putĂ© pour ĂȘtre l’un des plus rapides de Paris.

 

 

Ne pas juger

 

 

En revenant hier d’un transfert dans un hĂŽpital du 18Ăšme arrondissement pour mon travail, j’ai Ă©coutĂ© un podcast sur le sujet du Crack. Les addictions font partie des « sujets Â» par lesquels je me sens concernĂ©. D’ailleurs, j’ai toujours mon article Ă  faire sur les 50 ans de Marmottan fĂȘtĂ©s l’annĂ©e derniĂšre ( le 3 dĂ©cembre 2021 !) Ă  la salle de concert de la Cigale.

 

Dans les faits, nous sommes tous concernĂ©s par le sujet des addictions mais nous sommes encore plus que nombreux Ă  l’ignorer pour diffĂ©rentes raisons  qui ont Ă  voir soit avec une certaine dĂ©sapprobation morale ou avec, tout simplement, notre mĂ©connaissance grandiloquente de ce qu’est une addiction ou de ce que peut ĂȘtre une addiction.

Dans ce podcast de 59 minutes oĂč interviennent entre-autres, Alain Morel, psychiatre et directeur de l’association Oppelia, mais aussi Karim, un des travailleurs pairs mais aussi quelques consommateurs, il est aussi rappelĂ© que pour aider et travailler avec des personnes addict, il est nĂ©cessaire de Ne pas juger.

Photo prise Ă  Marmottan, lors des journĂ©es portes ouvertes du 4 et du 5 dĂ©cembre 2021. Installation rĂ©alisĂ©e pour cette circonstance. Photo©Franck.Unimon

 

J’avais dĂ©jĂ  entendu ça mais aussi Ă©tĂ© le tĂ©moin de cela. A Marmottan ou dans les services de psychiatrie adulte et de pĂ©dopsychiatrie oĂč j’ai pu travailler.

 

Depuis mes dĂ©buts d’infirmier en psychiatrie il y a bientĂŽt trente ans, j’ai Ă©tĂ© amenĂ© Ă  rencontrer, au moins dans les diffĂ©rents services oĂč j’ai travaillĂ©, diffĂ©rentes sortes de profils de personnes des plus « sympathiques Â», des plus « tristes Â» aux plus « antipathiques Â» et « exaspĂ©rants Â», des plus « faciles Â» aux plus « difficiles Â» et, cela, aussi face Ă  des publics ĂągĂ©s de 3 ou quatre ans. Puisque mes expĂ©riences en pĂ©dopsychiatrie m’ont aussi amenĂ© Ă  rencontrer, avec mes collĂšgues Ă©ducateurs ou autres, des enfants de trois et quatre ans et leurs parents.

 

A moins de se barricader derriĂšre de la paperasse, derriĂšre son Ă©cran d’ordinateur, derriĂšre son tĂ©lĂ©phone ou des sms, derriĂšre un bureau et des logiciels ; derriĂšre des protocoles ; derriĂšre des phrases et des pensĂ©es toutes faites et dĂ©finitives ; derriĂšre des chiffres, des murs, des peurs, des certitudes absolues ; derriĂšre des collĂšgues, des portes de prison et des traitements ; ou derriĂšre des cohortes d’intermĂ©diaires et de serviteurs dont la fonction est de dĂ©vier, de diffĂ©rer, de diluer ou de faire disparaĂźtre l’expĂ©rience de la rencontre directe, instinctive et imprĂ©visible, le mĂ©tier d’infirmier en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie fait partie de ces mĂ©tiers oĂč les rencontres rĂ©pĂ©tĂ©es ont des effets immĂ©diats et prolongĂ©s, superficiels et profonds, sur les diffĂ©rents interlocuteurs.

On se heurte oĂč l’on se comprend. On s’apaise ou l’on se blesse. On se confronte oĂč l’on trouve un accord ou un compromis. Peut-ĂȘtre tout de suite, peut-ĂȘtre plus tard. Peut-ĂȘtre trĂšs difficilement. Ou jamais.

 

Je peux donc dire que j’ai un peu d’expĂ©rience pour ce qui est des rencontres « difficiles Â» dans ma vie professionnelle et sans doute dans ma vie personnelle. Pourtant, hier, en entendant cette recommandation dans le podcast consacrĂ© aux addictions, Ă  nouveau, je me suis demandĂ© :

 

 Comment fait-on pour « Ne pas juger ? Â».

 

Puisqu’il arrive un moment, oĂč une situation, oĂč nous parvenons au bout de la chaine de nos forces morales et personnelles et oĂč le jugement, la dĂ©sapprobation et la condamnation morale s’expriment d’eux-mĂȘmes au travers de notre ĂȘtre :

 

Devant une action, un fait avĂ©rĂ©, dont nous sommes le tĂ©moin, la victime, le lecteur, le « spectateur Â» contraint ou le confesseur. Et cette action, ce fait avĂ©rĂ©, ou cette proposition, dĂ©cide « viscĂ©ralement Â» pour nous de ce que nous ressentons.

 

Et cela, malgrĂ© nos efforts d’intelligence et nos tentatives de raisonnement. MalgrĂ© nos intentions officielles et sincĂšres « d’ouverture Â» et de tolĂ©rance.

 

Une entreprise inhumaine.

 

Ne pas juger, d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, dans la vie courante, m’apparaĂźt donc ĂȘtre une action assez surhumaine. Ou, plutĂŽt….inhumaine.  Et je vais le dire comme je le pense : je pense que, quotidiennement, nous passons une grande partie de notre temps Ă  juger nos semblables et Ă  nous juger nous mĂȘmes. Et la justice que nous rendons aux autres ainsi que celle que nous pouvons nous rendre aussi Ă  nous mĂȘmes mais aussi Ă  nos proches me paraĂźt assez souvent, assez facilement, approximative, inexacte, pour ne pas dire, assez Ă©nigmatique. Et peut-ĂȘtre mĂȘme, certaines fois
.quelque peu fantomatique.

 

Et qu’ont fait, pendant des mois, depuis le mois de septembre 2021, des professionnels de la Justice, mais aussi des victimes des attentats (et leurs proches) de novembre 2015, les associations de victimes, les accusĂ©s et les complices des accusĂ©s mais aussi tous ceux qui ont assistĂ© rĂ©guliĂšrement Ă  ce procĂšs ?

 

 

Juger.

 

 

Bien-sĂ»r, comparer la dĂ©marche qui consiste Ă  essayer d’aider une personne addict Ă  se sortir de son addiction de la dĂ©marche qui consiste Ă  juger des terroristes et des complices de ces terroristes peut choquer, mettre trĂšs en colĂšre et pousser Ă  se demander si je suis complĂštement con ou dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© ! Et si c’est le cas (si en lisant cet article, on se demande dĂ©ja si je suis complĂštement con ou dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©) , cela (me) dĂ©montrera dĂ©jĂ  avec quelle facilitĂ©, encore une fois, nous pouvons ĂȘtre jugĂ©s –et rapidement dĂ©prĂ©ciĂ©s- par nos semblables dĂšs que nous pensons de maniĂšre un peu diffĂ©rente. Et, tant pis, si par ailleurs, sur d’autres points trĂšs sensibles, nous sommes du mĂȘme avis qu’eux :

 

Puisque ce qui importe Ă  celles et ceux qui jugent et veulent ĂȘtre des juges expĂ©ditifs, c’est d’obtenir des autres qu’ils soient exactement sur la mĂȘme ligne qu’eux.

 

Photo prise ce mercredi 29 juin 2022, le matin, avant 7 heures. Photo ©Franck.Unimon

 

 

Ne pas regarder

 

En rentrant chez moi ce matin, j’ai croisĂ© une jeune femme plutĂŽt jolie. Sans doute influencĂ© par ma lecture rĂ©cente de l’ouvrage fĂ©ministe Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon sur lequel j’écrirai un article dĂšs que je le pourrai, je me suis senti un peu coupable en regardant cette jeune femme. Comment regarder quelqu’un sans l’incommoder ? Comment passer Ă  cĂŽtĂ© de quelqu’un sans pour autant faire montre d’une indiffĂ©rence fausse qui, elle aussi, interdit d’emblĂ©e toute possibilitĂ© de rencontre mais, aussi, lorsqu’une attention est bienveillante, une certaine forme de reconnaissance ?

 

 

J’ai croisĂ© cette jeune femme deux fois en quelques minutes.  La seconde fois, j’ai « Ă©valuĂ© Â» que cette jeune femme devait ĂȘtre adolescente. Elle devait avoir 16 ans ou 17 ans. Et je me suis rappelĂ© qu’une jeune personne devient adolescente ou s’aperçoit de son adolescence lorsque des hommes adultes la remarquent particuliĂšrement et la regardent dans la rue avec une autre attention que celle que l’on peut porter aux enfants lorsque l’on les regarde (exception faite des pĂ©dophiles).

 

Ce matin, aprĂšs avoir croisĂ© cette jeune femme, je me suis dit que certaines jeunes femmes se mariaient ou se mettaient sans doute en couple trĂšs vite, et devenaient mĂšres aussi trĂšs vite, espĂ©rant, aussi, se protĂ©ger du regard sexuel des hommes sur elles. Puisque devenir mĂšre, cela peut, plus ou moins (car bien des contre-exemples existent), dĂ©sexualiser un corps, voire le rendre un peu sacrĂ©. Sans oublier que la prĂ©sence des enfants peut rendre l’acte sexuel ou sa probabilitĂ© plus difficile. Le corps est dĂ©jĂ  dĂ©vouĂ© Ă  l’action de s’occuper des enfants.

 

Le mariage ou le couple peut ĂȘtre pour certaines femmes une protection contre les regards des hommes sur leur corps. Quel que soit ce qu’exprime le regard des hommes, d’ailleurs. Il n’y a pas que le soleil qui donne des coups. Certains regards aussi.

 

Il y a des regards d’hommes qui mettent mal  Ă  l’aise. Je peux aussi en parler- un peu- en tant qu’homme qui a pu ĂȘtre regardĂ© par d’autres hommes. En tant qu’homme hĂ©tĂ©ro se retrouvant une fois ou deux en minoritĂ© dans un lieu clos (un thĂ©Ăątre, l’appartement d’un copain homo) et regardĂ©, par plusieurs homos. Ce qui m’avait permis, un tout petit peu, de maniĂšre trĂšs superficielle, d’avoir un aperçu de ce que peuvent vivre- ou ressentir- des jeunes femmes et des femmes tous les jours lorsqu’elles croisent des hommes. Dans les transports en commun. Au travail. En faisant les courses. Au volant de leur voiture. En rentrant chez elles. En faisant du sport.

 

 

Certaines femmes s’accommodent plutĂŽt bien de ces regards et de la diversitĂ© de ces regards. D’autres femmes vivent et ressentent beaucoup plus mal ces regards et ces expĂ©riences de regards.

 

Quel est le rapport de cette histoire de « regard Â» avec ce procĂšs des attentats de novembre 2015 ?

Paris, vers le tribunal de la citĂ©, ce mercredi 29 juin 2022, aux alentours de 21h. Photo ©Franck.Unimon

 

Lors de ce procĂšs qui a durĂ© neuf mois, des femmes et des hommes, de diffĂ©rents « bords Â», de diffĂ©rents Ăąges, de diffĂ©rents horizons, de diffĂ©rentes croyances et confessions, de diffĂ©rentes sexualitĂ©s, professionnels de justice, victimes, proches de victimes, associations de victimes, accusĂ©s, complices de ces accusĂ©s, journalistes, « spectateurs Â» ont passĂ© une grande partie de leur temps Ă  se juger, Ă  se jauger et à
se regarder.

 

Que l’on n’essaie pas de me faire croire, malgrĂ© les faits incontestĂ©s et incontestables (les attentats, l’horreur des attentats) que tout le monde, pour ce procĂšs, dans ce procĂšs et par ce procĂšs, est venu – et parti- avec les mĂȘmes armes pour ces expĂ©riences qui consistent Ă  juger, ĂȘtre jugĂ© (que l’on soit accusĂ© ou victime ou tĂ©moin) et Ă  ĂȘtre regardĂ©.

 

 

Et que l’on n’essaie pas de me faire croire que tout le monde, au cours de ce procĂšs, mais aussi lors de toute autre procĂšs, a bĂ©nĂ©ficiĂ© et bĂ©nĂ©ficie des mĂȘmes armes pour exprimer et vivre ces expĂ©riences qui consistent Ă  ĂȘtre victime, accusĂ©,  tĂ©moin, ĂȘtre jugĂ© et regardĂ©, mais aussi Ă©coutĂ© et interrogĂ© par une audience, par un public
..

 

 

Une aventure titanesque

 

Dans son livre Cette Nuit, La Mer est noire  qu’elle avait co-Ă©crit peu de temps avant sa mort accidentelle en hĂ©licoptĂšre, et paru en 2015 aprĂšs sa mort, la navigatrice Florence Arthaud, qui n’avait pourtant pas beaucoup froid aux yeux, raconte qu’elle n’a jamais pu oser regarder Eric Tabarly qu’elle admirait. A propos d’une des traversĂ©es de celui-ci en solitaire, elle ajoute qu’il avait, tout seul, pilotĂ© un bateau qui, « normalement Â», nĂ©cessite la prĂ©sence de 13 ou 14 hommes ! On parle bien-sĂ»r, ici, de 13 ou 14 marins (femmes ou hommes) aguerris. On ne parle pas, ici, d’une promenade d’une demie heure en bateau mouche sur la Seine.

 

Pour moi, qui reste un regard extĂ©rieur parmi d’autres, ce procĂšs des attentats de novembre 2015 Ă  Paris a nĂ©cessitĂ© des efforts encore bien plus invraisemblables et violents que ceux, pourtant hors normes mais aussi hors forme humaine,  alors accomplis par Eric Tabarly. Ou par d’autres navigateurs, femmes ou hommes, qu’il s’agisse de Florence Arthaud elle-mĂȘme ou de Ellen Macarthur lors de leurs courses en solitaire.

 

 

L’une des plus brutales diffĂ©rences est que les victimes et les proches des victimes, comparativement aux navigatrices et navigateurs, n’ont pas choisi d’ĂȘtre les proies de cette  violence. Comme elles et ils n’ont pas choisi les rĂŽles de victimes et de proches de victimes qui ont dĂ©coulĂ© de cette violence terroriste.

Les traversĂ©es qu’ont Ă  connaĂźtre les victimes, leurs proches, et celles et ceux qui les cĂŽtoient ne s’arrĂȘtent pas une fois que le retour au port a Ă©tĂ© effectuĂ©. Car ce port s’est dĂ©placĂ©. L’aiguillage interne qui permettait, auparavant, plus ou moins, de faire en sorte que l’expĂ©rience extĂ©rieure et immĂ©diate, s’accordait plutĂŽt bien avec l’expĂ©rience intĂ©rieure, n’existe plus ou a Ă©tĂ© bousillĂ©. Le temps et les distances ne sont plus les mĂȘmes qu’auparavant. La sensibilitĂ©, aussi. Pour ces victimes, et leurs proches, il est devenu beaucoup plus difficile de s’accommoder du quotidien comme « auparavant Â».

 

Les terroristes, eux, ainsi que leurs complices, ont choisi et prĂ©mĂ©ditĂ© leur action jusqu’à un certain point. Ils Ă©taient volontaires. Pendant plusieurs mois, des annĂ©es, les terroristes se sont entraĂźnĂ©s, « transformĂ©s Â» et ont prĂ©parĂ© leur “Ă©popĂ©e”. Pendant des mois ou des annĂ©es, dans cette partie d’échecs et mat, il avaient plusieurs « coups Â» d’avance. Sur les victimes. Sur les AutoritĂ©s. Sur le plus grand nombre. Sur nous tous.

 

Mais si ces accusĂ©s se sont finalement retrouvĂ©s dans ce procĂšs et jugĂ©s, cela signifie, aussi, qu’ils ont fini par se faire rattraper. GĂ©nĂ©ralement, on dit des accusĂ©s- et de leurs complices- qu’ils se sont faits « rattraper Â» par la Justice. Mais ce n’est pas uniquement par la justice. Ils se sont aussi faits ici rattraper (hormis ceux qui se sont faits tuer ou se sont suicidĂ©s) par leur appartenance au genre humain « commun Â» ou dit-universel. Par leur finitude.

Sortes de navigateurs meurtriers  de leurs idĂ©es, qui se sont crus totalement libres, les terroristes et leurs complices, sont redevenus des terriens qui doivent se rendre compte qu’ils n’étaient pas aussi libres qu’ils ont voulu le croire.  Qu’ils vivent dans le mĂȘme monde que leurs victimes et les proches de leurs victimes. Mais aussi dans le mĂȘme monde que les services de police qui les recherchaient.

 

Dans leur imaginaire, ces terroristes et ces complices, n’avaient sans doute par prĂ©vu de devoir se retrouver face tous ces gens dans ce genre de circonstances et pour cette durĂ©e :

 

Des victimes, des proches de victimes, des associations de victimes, des juges, des avocats, des journalistes et des spectateurs qui les ont regardés, qui les ont jugés et qui les ont interrogés.

Ce mercredi 29 juin 2022, Ă  Paris, aux alentours de 21h. Dans l’arriĂšre champ, au delĂ  du vĂ©hicule de police, on peut peut-ĂȘtre apercevoir un joueur de violon. Je me rappelle qu’aprĂšs l’attentat du Bataclan, un homme Ă©tait venu Ă  vĂ©lo avec son piano portatif afin de jouer sur les lieux de afin d’essayer d’adoucir les Ă©vĂ©nements en expliquant “Je n’ai pas les mots”. Hier soir, je me suis demandĂ© si ce joueur de violon Ă©tait prĂ©sent pour les mĂȘmes raisons. Photo©Franck.Unimon

 

On a beaucoup parlĂ© du silence de Salah Abdeslam et du silence d’autres accusĂ©s. Mais ce silence, ou plutĂŽt, cette barriĂšre du silence, si elle a empĂȘchĂ© la « rencontre Â» ou la « communication Â» n’a pas empĂȘchĂ© ces accusĂ©s d’entendre, d’écouter ou leur conscience d’ĂȘtre active. AprĂšs ce procĂšs, il est possible que certains de ces accusĂ©s changent un peu de point de vue concernant la lĂ©gitimitĂ© de leurs actes.

 

Et, au pire, si le psychopathe peut se rĂ©jouir de la souffrance de ses victimes mais aussi de celle des proches des victimes, et de la couverture mĂ©diatique dont il a « bĂ©nĂ©ficiĂ© Â», il a aussi ses souffrances personnelles. Et ses « triomphes Â» (ici, les attentats et leurs victimes) contiennent aussi ses dĂ©faites. MĂȘme si, du point de vue des victimes, de leurs proches et de celles et ceux qui les dĂ©fendent, les souffrances du psychopathe terroriste sont bien-sĂ»r secondaires :

 

Les souffrances des victimes des attentats et de leur entourage sont bien-sûr prioritaires.

 

Deux extrĂȘmes opposĂ©s :

 

Les victimes des attentats terroristes et leurs auteurs sont deux extrĂȘmes opposĂ©s. La rencontre s’est faite et se fait dans la douleur pour les victimes et leurs proches.

 

Pour les terroristes et leurs complices, leurs « cibles Â» n’existaient pas. C’étaient des inconnus sans aucune valeur. Ou, au contraire, des « valeurs Â» qu’ils ont eu plaisir Ă  saccager car ces « valeurs Â» Ă©taient des vies qu’ils ne pourraient jamais obtenir ou comprendre. Donc, autant les dĂ©truire.

 

Lorsqu’ils se sentent investis par un droit « souverain Â» ou « divin Â», les ĂȘtres humains peuvent accomplir le meilleur ou le pire au dĂ©triment d’autrui. LĂ , avec ces attentats terroristes, nous sommes dans le « pire Â». Comme lors de l’esclavage, des camps de concentration, comme lors de n’importe quelle guerre ou gĂ©nocide ou de n’importe quelle forme d’exploitation ou de torture d’un ĂȘtre humain.

 

Il « suffit Â» que des ĂȘtres humains se sentent largement supĂ©rieurs ou largement infĂ©rieurs Ă  d’autres et « en droit Â» de se faire justice pour que le pire puisse arriver.

« Normalement Â», une dĂ©mocratie permet d’éviter ça : que trop de personnes se sentent largement supĂ©rieures Ă  d’autres mais aussi que trop de personnes se sentent trop  infĂ©rieures par rapport Ă  d’autres.

 

Ce procĂšs a Ă©tĂ© une justice diffĂ©rente de celle des terroristes. Une Justice institutionnalisĂ©e, avec d’autres rĂšgles, d’autres lois, d’autres protocoles.

 

Mais il y a deux sortes de « vaincus Â» devant cette Justice. Les victimes, leurs proches et les associations de victimes. Ainsi que, peut-ĂȘtre aussi la Justice et l’idĂ©e que l’on s’en fait dans une DĂ©mocratie.

 

Car les accusĂ©s font aussi partie des vaincus : Si les accusĂ©s Ă©taient restĂ©s libres ou avaient rĂ©ussi Ă  imposer leur Justice, ils n’auraient pas Ă©tĂ© jugĂ©s. Ils auraient Ă©tĂ© cĂ©lĂ©brĂ©s comme des hĂ©ros malgrĂ© leurs meurtres. L’horreur est aussi dans ce constat.

 

Ce constat, on va vite passer dessus car imaginer ça est insupportable. Comme de devoir imaginer que ces terroristes, et leurs complices, sont des ĂȘtres humains comme nous :

 

« Les juges ont cherchĂ© une vĂ©ritĂ© dans ces Ă©vĂ©nements et mĂȘme la part d’humanitĂ© des accusĂ©s Â» (l’éditorial de la journaliste Marie-Christine Tabet dans le journal Le Parisien, de ce mercredi 29 juin 2022, page 2).

 

Lorsque je traduis cette phrase, je comprends que les accusĂ©s ne font pas partie de l’espĂšce humaine. Car lorsque l’on est un ĂȘtre humain, on ne fait pas ce qu’ils ont fait. On ne dit pas ce qu’ils ont dit. On ne pense pas comme ils pensent.

Donc, avec un tel raisonnement, si la peine de mort existait encore en France en juin 2022 (alors que la France se vante de faire partie des pays qui ont aboli la peine de mort), ces accusĂ©s, aujourd’hui, en 2022, seraient exĂ©cutĂ©s. Comme ils ont exĂ©cutĂ© et contribuĂ© Ă  faire exĂ©cuter les victimes des attentats. L’expression « Ć’il pour Ɠil, dent pour dent Â» est donc toujours en cours et au coeur de nos mƓurs. Sauf que contrairement aux accusĂ©s qui ont tuĂ©, nous, nous «prenons Â» sur nous officiellement en quelque sorte. Je me demande alors :

Pour combien de temps ?

 

Pourtant, mĂȘme si on hait ces accusĂ©s, leur humanitĂ© est indiscutable. Et c’est ça qui est insupportable :

Devoir regarder quelqu’un en face, le dĂ©tester ( je dĂ©testerais sans doute celle ou celui qui a tuĂ© un de mes proches comme cela est arrivĂ© pour les victimes des attentats de novembre 2015 : tuer par surprise, comme des lapins de fĂȘte foraine,  des civils dĂ©sarmĂ©s et non entraĂźnĂ©s….), lui souhaiter le pire. Et devoir admettre, que cela nous plaise ou non, malgrĂ© tout, que cette personne-lĂ , est aussi humaine que nous. Et que l’on ne peut rien changer Ă  cette humanitĂ©. A part, si l’on y arrive, ce que l’on ressent vis Ă  vis de cette personne mais aussi de nous-mĂȘmes.

 

 

Les verdicts :

 

Je n’ai pas encore appris les verdicts des accusĂ©s. Hier soir, lorsque je suis rentrĂ© du travail, je suis Ă  nouveau passĂ© prĂšs du tribunal de la citĂ© entre 20h30 et 21h et j’ai vu que le procĂšs n’était pas encore terminĂ©.

 

Paris. Au loin, on peut apercevoir La DĂ©fense, ce mercredi 29 juin 2022, aux alentours de 21h. Photo©Franck.Unimon

 

J’ai Ă©tĂ© marquĂ©, hier, par la belle journĂ©e que c’était. Il faisait chaud. Dehors, dans Paris, les gens Ă©taient souriants, vĂȘtus lĂ©gĂšrement, s’amusant. En short, jambes nues, les caractĂšres sexuels secondaires bien en vue. C’était l’étĂ©.

 

Il y avait ce contraste entre ce qui se passait Ă  l’intĂ©rieur du tribunal et ce qui se passait dehors devant et autour de moi. Rien Ă  voir. A nouveau deux extrĂȘmes opposĂ©s comme tous les jours. D’un cĂŽtĂ© l’insouciance et l’ignorance. De l’autre, la souffrance et la sentence.

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 30 juin 2022.

 

 

 

 

 

 

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Au Palais de Justice

Extorsion en bande organisée : un témoin reconnaissant

Dans le palais de justice de l’Ăźle de la citĂ©, Paris, 8 novembre 2021.

                         Extorsion en bande organisĂ©e : Un tĂ©moin reconnaissant

Reprise de l’audience ( voir Extorsion en bande organisĂ©e : suspension de sĂ©ance)

 

Les dix minutes de suspension de l’audience sont terminĂ©es. Il est environ 15h. Je suis arrivĂ© ce matin Ă  10h et l’audience avait dĂ©jĂ  commencĂ©.

 

Le tĂ©moin, qui a attendu plusieurs heures dans le box des tĂ©moins – hors des regards de la cour-, a acceptĂ© dix minutes plus tĂŽt de patienter encore un peu avant de venir s’exprimer. Il arrive, se place face Ă  la cour et au juge. Comme cela lui est demandĂ©, il dĂ©cline son identitĂ©.

 

Le juge : « On va vous entendre. Vous pouvez nous dire tout ce que vous voulez
 Â».

Le tĂ©moin tient Ă  le faire savoir : « Je n’ai jamais demandĂ© d’ĂȘtre tĂ©moin Â».

Le juge : « On ne demande jamais
 Â».

 

 

Le tĂ©moin dit ne pas savoir pourquoi il est convoquĂ© comme tĂ©moin. Oui, il rĂ©pond connaĂźtre le plaignant. Il explique :

 

« C’est mon ancien associĂ©. Ça a mal tournĂ©. On a fait faillite. Chacun a fait sa route ensuite Â».

 

Le juge : «  Il Ă©tait aussi question de votre frĂšre
 Â»

Le tĂ©moin : « Il Ă©tait quoi ?! Â».

 

Le tĂ©moin ne se rappelle pas quand il s’est associĂ© avec le plaignant. Selon lui, c’est le plaignant qui avait Ă©tĂ© Ă  l’origine de leur association, qui avait lancĂ© l’idĂ©e :

 

« C’était lui (le plaignant) qui gĂ©rait tout Â». Le tĂ©moin rĂ©pond que la femme du plaignant Ă©tait gestionnaire.

 

Il raconte que lui et le plaignant avaient achetĂ© un fonds de commerce «  pas trĂšs cher Â». Puis, pour les travaux, ils avaient chacun investi moitiĂ©-moitiĂ©.

 

Le juge mentionne K qui aurait aussi fait partie des associĂ©s. Le tĂ©moin rĂ©pond :

 

« Il faut pas avoir trois associĂ©s dans un garage Â». Oui, il connaissait K
comme client qui passait des voitures au contrĂŽle technique. Il poursuit :

 

« Je ne connais pas K. C’était un ami de 
(du plaignant) Â». A propos de K, tout ce que le tĂ©moin peut dire Ă  son sujet c’est :

 

« Il ramĂšne des voitures de l’étranger, ça s’arrĂȘte lĂ  Â». La cour s’étonne. Comment le tĂ©moin peut-il ignorer le vĂ©ritable nom de K alors qu’il passait des voitures au contrĂŽle technique dans son entreprise ?

Le tĂ©moin explique que les contrĂŽles techniques s’effectuaient au nom de la carte grise.

 

« Moi, j’ai jamais Ă©tĂ© rackettĂ© Â» rĂ©pond le tĂ©moin. « Je sais pas, monsieur Â» rĂ©pond-t’il aussi au juge concernant certains des faits rapportĂ©s auparavant par le plaignant.

DerriĂšre son dos, le tĂ©moin serre ses doigts. Cet homme a peur. Concernant certains actes de violence dont il aurait Ă©tĂ© le tĂ©moin selon le plaignant, il assure :

 

 Â«  J’étais pas lĂ  Â» ; « J’étais pas au courant de ça Â».

 

Il lui est demandĂ© de bien vouloir regarder les prĂ©venus afin de dire s’il reconnaĂźt quelqu’un. Il pivote avec une certaine raideur sur sa gauche. Il se dĂ©pĂȘche de regarder. Ses yeux prennent Ă  peine le temps d’attraper les personnes qui se trouvent dans le box.  Il semble trĂšs soulagĂ© de pouvoir dire qu’il ne les a jamais vus ! Il rĂ©pond :

 

« Y a pas eu de pression Â» ; « C’était une rĂ©union normale Â» ; «  Y’a pas eu de menace Â» ; « Je comprenais pas c’était quoi, le problĂšme ? Â». « Ils m’ont demandĂ© si j’avais une dette envers
(le plaignant) Â».

 

DerriĂšre moi, assis Ă©galement sur un banc, un jeune homme dans le public est nerveux. Ses genoux cognent de façon rĂ©pĂ©tĂ©e contre le banc. Je finis par me retourner tant le bruit est dĂ©rangeant. C’est un des proches des prĂ©venus. Je devine que ce tĂ©moignage est capital. Le plaignant avait affirmĂ© que ce tĂ©moin avait tout vu et qu’il pourrait confirmer la violence qu’il avait subie.

 

La DĂ©fense

 

Quelques avocats de la DĂ©fense prennent la parole. Autant, je les ai trouvĂ©s charognards avec le plaignant, autant, avec ce tĂ©moin, ils se montrent dĂ©licats. Il ne faut pas le brusquer. D’une part, ce qu’il dit peut grandement contribuer Ă  attĂ©nuer la charge de l’accusation sur leurs clients. D’autre part, il est pour moi Ă©vident que cet homme a peur. On pourrait penser que c’est la peur de s’exprimer dans un tribunal devant du monde. Mais on peut aussi penser qu’il a trĂšs peur de certaines reprĂ©sailles.

 

La premiĂšre avocate qui intervient :

 

« J’ai quelques petites questions
. Â».

 

Le tĂ©moin rĂ©pond « Il n’y a jamais eu de bĂ©nĂ©fices Â». Il parle d’une entreprise qui s’est soldĂ©e par « 15 000 euros de dĂ©couvert Â». Il rĂ©pond que le plaignant Ă©tait « un mauvais gestionnaire Â».

L’avocate Ă©voque un systĂšme d’achat/revente « occulte au moyen de votre sociĂ©tĂ© Â»â€Š.

 

La deuxiùme avocate l’interroge à propos du rùglement de l’ardoise par le plaignant.

 

Le tĂ©moin : «  Quelle ardoise ? Il a rien remboursĂ© Â».

 

K lui est prĂ©sentĂ© comme l’associĂ© « occulte Â» de leur entreprise. Le tĂ©moin rĂ©pond que dans le contrat de leur entreprise, K est « nulle part Â». Concernant les hommes qui se sont prĂ©sentĂ©s, il explique que ceux-ci portaient une casquette, un cache cou :

 

« On ne peut pas les reconnaĂźtre Â».

 

A propos du plaignant, le tĂ©moin ajoute :

 

« Il a laissĂ© 100 000 euros de TVA Ă  la sociĂ©tĂ© qu’il devait rembourser Â».

 

Le troisiÚme avocat de la défense interroge le témoin à son tour.

 

Il rĂ©pond que le plaignant « faisait tout Â» dans leur entreprise. Et que la femme du plaignant «  ne faisait rien Â».

Selon le témoin, K était un ami du plaignant.

 

Le tĂ©moin raconte que le plaignant achetait des voitures au nom de leur sociĂ©tĂ© sans le dire. Sans payer la TVA.

 

Le quatriÚme avocat de la défense.

 

 

L’avocat : « Monsieur, je viens de comprendre quelque chose Â». «  Qui achetait la voiture ? Â».

Le tĂ©moin : « Je ne sais pas Â». Le tĂ©moin rĂ©pond qu’il ne sait pas comment ça se passe avec la TVA.  Il affirme : «  J’ai vendu aucun vĂ©hicule Â».

 

L’avocat Ă  propos du plaignant : « Qu’est-ce qu’il a fait avec l’argent de la TVA ? Â»

Le tĂ©moin : « Demandez-lui Â».

 

 

Peu aprÚs, le témoin est libéré et peut quitter la cour.

 

Mes premiĂšres impressions :

 

Autant, en Ă©coutant d’abord le plaignant, j’avais eu de l’empathie pour lui, autant, aprĂšs ce tĂ©moignage d’à peine vingt minutes, je le perçois comme bien moins exemplaire qu’il ne s’est prĂ©sentĂ©. NĂ©anmoins, pour moi, les prĂ©venus sont loin des gentils garçons qui se trouvent lĂ  par erreur. La peur perceptible de ce tĂ©moin et son insistance pour dire qu’il n’y a eu « aucun problĂšme Â» me pousse Ă  croire qu’il y a bien eu violence et intimidation. Et qu’il veut surtout tourner la page et ne pas avoir d’emmerdes supplĂ©mentaires. Il serait comprĂ©hensible qu’il soit en colĂšre contre le plaignant or il semble avoir pris le parti d’accepter le dĂ©couvert laissĂ© par celui-ci aprĂšs l’échec de leur entreprise. Cela pourrait ĂȘtre la dĂ©cision d’un homme sage ou fataliste. Mais la peur peut rendre  sage.

 

Ou fataliste.

 

Cependant, on comprend aussi grĂące Ă  son tĂ©moignage que le plaignant Ă©tait le vĂ©ritable patron de leur association et qu’il avait su le mettre en confiance et l’embobiner. De victime, le plaignant m’apparaĂźt maintenant comme un homme plein d’idĂ©es de grandeur. S’il a un esprit d’entreprise certain et sans aucun doute des compĂ©tences rĂ©elles dans le domaine de la mĂ©canique, c’est plus un ratĂ© bling-bling que le gĂ©nie des affaires qu’il voudrait ou prĂ©tend ĂȘtre. Il se trouve magnifique et  plein aux as lorsqu’il se regarde alors qu’il est rĂ©guliĂšrement dans des combines ou des affaires qui tournent mal. Parce-que c’est un mauvais commerçant qui confond ses rĂȘves de rĂ©ussite avec les faits.

 

Comme il s’exprime bien, a la baraka et est sans doute trĂšs sympathique, il sĂ©duit. Puis, lorsque l’on creuse, on s’aperçoit qu’il est rempli de vent car ses compĂ©tences commerciales sont trĂšs infĂ©rieures Ă  ses ambitions, et, surtout, aux lois du marchĂ© . La scĂšne ainsi dĂ©crite par le plaignant oĂč il se serait fait frapper dans un bar Ă  chicha Ă  coups de  Â« Ne sers pas la main Ă  cet enculĂ©, y ‘a pas fric ! Â» est donc crĂ©dible pour moi. ( Voir  Extorsion en bande organisĂ©e : Des hommes dans un garage et les avocats de la DĂ©fense)  

 

 La premiĂšre avocate de la dĂ©fense, qui semble Ă©voluer Ă  cĂŽtĂ© de ses pensĂ©es, l’avait raillĂ© quant au fait qu’ordinairement les racketteurs s’en prennent Ă  des gens vraiment friquĂ©s, contrairement Ă  lui. Et, donc, qu’il n’y avait pas de raison de penser qu’ils lui avaient autant fait de mal que ça, finalement. Mais si cet homme a su faire illusion, ce qu’il est assez apte Ă  faire, et laisser croire qu’il Ă©tait plus riche qu’il ne l’était, cela a pu suffire pour qu’il devienne la cible de racketteurs. Surtout, si, en plus, il devait vraiment de l’argent Ă  quelqu’un. K ou un autre.

 

Lorsque le tĂ©moin a eu terminĂ© de s’exprimer, un des prĂ©venus dans le box avait tenu Ă  dire que, lui non plus, ne le reconnaissait pas. Au point qu’il s’était mĂȘme demandĂ© qui Ă©tait cet homme qui venait tĂ©moigner. Comme si leur rencontre avait Ă©tĂ© trĂšs courte et aussi  cordiale que venait de le dire le tĂ©moin. Une drĂŽle de rencontre quand mĂȘme puisque le tĂ©moin avait expliquĂ© que des hommes (des inconnus) Ă©taient venus le voir pour lui demander si le plaignant lui devait de l’argent. Comme s’il Ă©tait tout Ă  fait insignifiant que quelqu’un dĂ©barque Ă  notre commerce pour nous demander si untel, que l’on connaĂźt, nous doit de l’argent, avant, ensuite, de partir le voir.

 

Je n’ai pas assistĂ© Ă  la suite de ce procĂšs et ne puis dire quelles autres informations ont Ă©tĂ© ensuite apportĂ©es. Je ne connaĂźtrai peut-ĂȘtre pas le dĂ©nouement de ce jugement. Mais j’ai eu devant moi le fait que mĂȘme s’il existe des lois, des reprĂ©sentants et des garants de ces lois, que l’on peut ĂȘtre trĂšs exposĂ©, et isolĂ©, face Ă  certaines violences. Cela peut dissuader de dĂ©noncer certaines de ces violences. Le plaignant, ici, n’a peut-ĂȘtre « peur de rien Â» comme l’avait affirmĂ© l’un des avocats de la dĂ©fense. Mais d’autres personnes rackettĂ©es ont eu peur et ont peur de leurs agresseurs qui seront peut-ĂȘtre aussi bien dĂ©fendus que ceux de cette « affaire Â». Voire peut-ĂȘtre mieux dĂ©fendus que leurs victimes. Car j’ai Ă©tĂ© marquĂ© par la diffĂ©rence de niveau entre les avocats de la dĂ©fense et les deux avocats du plaignant : j’ai prĂ©fĂ©rĂ© la « classe Â» des avocats de la dĂ©fense mĂȘme si leurs insinuations et certaines de leurs mĂ©thodes m’ont dĂ©plu. Car, eux, ont vĂ©ritablement dĂ©fendu leurs clients.

 

 AprĂšs ces quelques heures passĂ©es au tribunal, cela m’a fait du bien de pouvoir retrouver l’extĂ©rieur et de circuler librement. Cette impossibilitĂ© de pouvoir circuler librement Ă  l’air libre, quand on le souhaite, lorsque l’on est prĂ©venu, victime ou tĂ©moin, doit sans doute beaucoup peser sur les dĂ©clarations que l’on fait ensuite devant la cour.

En sortant du palais de justice de l’Ăźle de la citĂ©, ce 8 novembre 2021.

 

 

Paris, 8 novembre 2021, en sortant du palais de justice de l’Ăźle de la CitĂ©.

 

 

Palais de justice de l’Ăźle de la CitĂ©, Paris, 8 novembre 2021.

 

 

Franck Unimon, mardi 30 novembre 2021.

 

 

 

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Extorsion en bande organisée : suspension de séance

Paris, photo prise le 16 novembre 2021.

                 Extorsion en bande organisĂ©e : Suspension de sĂ©ance

 

Dix minutes. C’est la durĂ©e de la suspension de sĂ©ance dĂ©cidĂ©e par le prĂ©sident.

 

Une musique d’ambiance pourrait ĂȘtre mise pour « relĂącher Â» l’atmosphĂšre. Mais nous sommes dans la cour d’assises d’un tribunal en plein Paris. Et non dans une discothĂšque. Un plaignant s’est exprimĂ© et a aussi Ă©tĂ© interrogĂ©. 87 500 euros ont Ă©tĂ© exigĂ©s de lui. Il a racontĂ© un « calvaire Â» qui a durĂ© six mois. Jusqu’à ce qu’il dĂ©cide de porter plainte. ( Lire Extorsion en bande organisĂ©e : Des hommes dans un garage et les avocats de la DĂ©fense ) 

 

Six accusés ont assisté à ces échanges. Trois dans le box, gardés par des gendarmes qui se sont relayés. Trois assis de profil devant la ligne des avocats de la défense.

 

SitÎt la durée de la suspension de séance prononcée, la salle Georges Vedel se vide.

Les personnes assises devant et derriĂšre moi, mais aussi sur le cĂŽtĂ©, sortent. Il est un peu plus de 13h45. Lorsque je suis arrivĂ© vers 10h, l’audience avait dĂ©ja commencĂ©.  

 

J’ai faim. Mais dix minutes, c’est court. Je dĂ©cide de rester. Je me sens trĂšs bien, assis. Si personne ne me demande de sortir, je reste assis. En sortant, l’avocat de la DĂ©fense aux cheveux gominĂ©s, le premier des avocats de la DĂ©fense Ă  s’ĂȘtre adressĂ© au plaignant, celui que j’avais ensuite vu passer son bras autour du cou de la femme Ă  qui il avait parlĂ© dans le creux de l’oreille, me sourit. Je dissĂšque ce sourire comme l’adresse du sĂ©ducteur d’expĂ©rience plus que comme une marque de sympathique. C’est mon parti pris. Je sors une des compotes de mon sac et la bois.

 

Je n’attends rien de particulier. Cependant, dans la salle, pendant ces dix minutes oĂč tout le monde est sorti, Ă  quelques mĂštres devant moi, il se passe quelque chose.

Je me dis que j’ai bien fait de rester. Manger, aller aux toilettes, passer ou recevoir un coup de tĂ©lĂ©phone, fumer une cigarette, discuter, cela peut ĂȘtre nĂ©cessaire en dix minutes et important pour la suite. Mais, ici, aussi, ce que je vois maintenant est important.

Un des accusĂ©s dans le box, assez grand, peut-ĂȘtre le plus grand des trois, s’est retournĂ©. Debout, il parle Ă  un des gendarmes. On dirait une discussion. Du moins dirait-on que cet homme, parmi les accusĂ©s, parle Ă  ce gendarme comme s’il Ă©tait ailleurs que dans un tribunal. L’homme est assez volubile, dĂ©tendu. Le gendarme qui l’écoute, aussi, bien qu’une certaine distance physique subsiste. Non loin de lĂ , ses deux autres collĂšgues gendarmes sont bien prĂ©sents.

 

Je ne sais si le gendarme Ă©coute le prĂ©venu par intĂ©rĂȘt. Ou s’il l’écoute par curiositĂ© et par politesse. Le prĂ©venu, lui, semble chercher Ă  convaincre de sa bonne foi ce gendarme qui ne le juge pas.

 

La jeune avocate de la dĂ©fense, celle que dans la vie courante j’aurais plutĂŽt eu envie de protĂ©ger, revient avec Ă  manger et deux petites bouteilles d’eau. Le genre de nourriture (sandwich avec du pain de mie ou autre) que l’on achĂšte dans des distributeurs. Elle le tend aux prĂ©venus dans le box.

Le prĂ©venu « parlant Â», remet aussitĂŽt au gendarme ce qu’il vient de recevoir afin que celui-ci l’inspecte. Un seul coup d’Ɠil suffit au gendarme pour donner son accord.

 

Peu aprĂšs, le mĂȘme prĂ©venu, parle Ă  l’avocate de la DĂ©fense qui a donnĂ© « chaud Â» au plaignant en l’acculant avec ses questions. DĂšs que la suspension de la sĂ©ance avait Ă©tĂ© prononcĂ©e par le juge, je l’avais vue sortir en souriant alors qu’elle discutait, en toute dĂ©contraction, avec un des avocats de la DĂ©fense. Peut-ĂȘtre celui des « colorations Â» ou celui qui avait Ă©voquĂ© un vice de procĂ©dure parce-que le plaignant lui avait donnĂ© l’impression de lire des notes.

 

Cette avocate «  qui donne chaud Â» est revenue avant plusieurs de ses collĂšgues de la DĂ©fense mais aussi avant la fin des dix minutes.

 

Toujours le mĂȘme prĂ©venu, qui semble le meneur des trois, parle maintenant Ă  cette avocate. Il pose sa main sur sa manche de l’avocate. La vitre du box des accusĂ©s mais aussi trente bons centimĂštres de hauteur les sĂ©parent tant il est plutĂŽt grand. Et, elle, plutĂŽt petite. Cependant, Ă  nouveau, elle est souriante et trĂšs dĂ©tendue. MĂȘme sans cette vitre entre eux, on comprend que seule, avec lui, elle n’aurait pas peur. Une relation de grande confiance, voire de complicitĂ©, est visible entre les deux.

 

Je n’ai pas du tout perçu ça entre le plaignant et son avocat. Il est vrai que je n’ai pas entendu l’avocat du plaignant beaucoup s’exprimer. Mais un autre avocat, apparemment du plaignant, prĂ©sent, lui, dans la salle, ne m’a pas fait une impression aussi mĂ©morable lorsqu’il a pris la parole.

 

En constatant ce contraste, le prĂ©venu apparaĂźt ĂȘtre un gentil garçon ; ou l’avocate, une personne trĂšs rouĂ©e pour pouvoir ĂȘtre aussi Ă  l’aise avec un homme ( l’accusĂ©) qui, lorsqu’il est libre, est sĂ»rement beaucoup moins affable lors de certaines circonstances.

Je me fais des idĂ©es. Car je m’imagine que rĂ©clamer de l’argent, faire pression sur quelqu’un, lorsque l’on est ni banquier, ni percepteur des impĂŽts, cela se fait autrement qu’au moyen d’un courrier que l’on envoie. Le destinataire de cette rĂ©clamation ou le dĂ©biteur dĂ©signĂ© est, je crois, susceptible d’accuser corporellement rĂ©ception de quelques coups. Ou d’apprendre concrĂštement Ă  les envisager dans un avenir toujours trop immĂ©diat.

 

Toute cette trame est absente de ce que je vois. Sans cette cour d’assises et ces gendarmes, je pourrais penser qu’il y a juste quelques personnes qui restent lĂ  Ă  discuter comme partout ailleurs. On pourrait remplacer cet endroit par la terrasse d’un cafĂ© ou d’un restaurant. Et ces gens que je regarde seraient alors des gens comme il y en a tant. Ordinairement. Quotidiennement.

Paris, gare St Lazare, mercredi 16 novembre 2021.

 

Franck Unimon, mercredi 17 novembre 2021.

 

 

 

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Extorsion en bande organisée : Des hommes dans un garage et les avocats de la Défense

Photo prise le lundi 8 novembre 2021, au Palais de justice de la CitĂ©. Paris. C’est dans une autre salle que s’est dĂ©roulĂ©e l’audience Ă  laquelle je fais rĂ©fĂ©rence.

Extorsion en bande organisĂ©e : Des hommes dans un garage et les avocats la DĂ©fense

( On peut lire avant cet article Extorsion : Trouver la salle d’audience )

Une dette Ă  payer

 

 

Ce lundi matin, l’audience a dĂ©jĂ  commencĂ©. Six accusĂ©s sont prĂ©sents. Trois sont dans le box. DerriĂšre eux, autant de gendarmes. Devant eux, la ligne des avocats de la dĂ©fense. Cinq ou six avocats de la dĂ©fense sont assis Ă  une table. Deux ou trois ordinateurs portables sont en marche devant eux. A cĂŽtĂ© de chaque avocat, sa pile de dossiers et de documents. Trois femmes. Autant d’hommes ou presque. Devant les avocats de la dĂ©fense : trois autres accusĂ©s assis de profil, les uns derriĂšre les autres. Ces prĂ©venus ont entre 30 et 40 ans de moyenne d’ñge. Le plaignant est Ă©galement dans cette moyenne d’ñge.

 

On le regarde et l’entend – le plaignant- en hauteur sur deux Ă©crans. Celui-ci est assis devant une table. A ses cĂŽtĂ©s, son avocat en robe noire.

 

Le plaignant rĂ©pond aux questions du juge. Et raconte. Un jour, des hommes sont venus dans le garage auto qu’il dirige alors. Ils lui ont appris qu’il devait 87 500 euros Ă  une de ses connaissances, K ( la lettre du prĂ©nom a Ă©tĂ© changĂ©e pour des raisons d’anonymat).

 

L’un des avocats de la dĂ©fense intervient et Ă©voque un vice de procĂ©dure : il fait remarquer que le plaignant semble lire des notes sur la feuille posĂ©e devant lui ! Le plaignant dĂ©ment. Son avocat prend la feuille et vient la rapprocher de la camĂ©ra. A part la date du jour, il n’ y a rien d’écrit sur la feuille. Le juge fait savoir que rien n’interdit au plaignant d’avoir des notes.

 

A la suite de ce « racket Â», le plaignant est amenĂ© Ă  se rendre dans diverses villes de la rĂ©gion parisienne ( oĂč le plaignant rĂ©side) Ă  la demande de ceux qui le pressent de payer. Celui-ci explique qu’il a aussi dĂ» effectuer des rĂ©parations Ă  « l’Ɠil Â».

 

La premiĂšre visite de ses agresseurs remonterait Ă  dĂ©cembre 20
. Le juge parle de « l’épisode relativement violent oĂč vous ĂȘtes frappĂ© Â». Le plaignant acquiesce. AprĂšs avoir donnĂ© une certaine somme d’argent, il s’est mis d’accord avec ceux qui lui forcent la main de rembourser 5000 euros par mois. « Des ponctions Â». Ainsi que pour accepter de faire des rĂ©parations gratuites pour eux, leurs amis. Il raconte qu’il a aussi Ă©tĂ© sollicitĂ© pour ouvrir une ligne de crĂ©dit. Afin que ceux qui le molestaient puissent avoir accĂšs Ă  ses fournisseurs gratuitement et, ce, aux frais de son garage.

 

Le plaignant raconte qu’il est allĂ© chercher ses Ă©conomies en espĂšces chez ses parents pour un montant de 9000 euros. Qu’il a obtenu qu’un de ses amis lui prĂȘte 3000 euros alors que celui-ci avait besoin de cette somme pour partir Ă  l’étranger. Des collĂšgues ont pu lui prĂȘter 35 000 euros. Et il a rĂ©ussi par ailleurs Ă  rĂ©cupĂ©rer 20 000 euros.

Il lui a Ă©tĂ© dit «  Si on vient, c’est pour K
. Â». Le juge constate :

 

« Vous avez lĂąchĂ© K trĂšs tard. Avec beaucoup de difficultĂ©s
 Â».

Porter plainte

 

Le juge : « On s’interroge tous. Pourquoi vous avez attendu pour dĂ©poser plainte ? Â»

Le plaignant : « J’ai tenu jusqu’au moins de juin. Ça a sĂ»rement Ă©tĂ© une grosse erreur Â».

 

« Comment expliquez-vous que cette menace ne se soit jamais matĂ©rialisĂ©e ? Â».

Nous apprenons que le plaignant est surnommĂ© Madoff. Celui-ci raconte avoir Ă©tĂ© obligĂ© de se rendre dans un bar Ă  chicha. D’avoir reçu un coup de tuyau Ă  Chicha derriĂšre la tĂȘte. De s’ĂȘtre fait frapper par plusieurs personnes. De s’ĂȘtre retrouvĂ© au sol, repliĂ© en boule. «  Ne serre pas la main Ă  ce fils de pute, il n’y a pas d’argent ! Â». Un homme l’a sommĂ© de trouver une solution dans les dix minutes, autrement, une pince Ă  chicha dans la main :

 

« Je te crĂšve les yeux avec ! Â».

 

Le plaignant raconte que lorsque l’un de ses agresseurs l’appelait chez ses parents, il Ă©tait obligĂ© de rĂ©pondre dĂšs la premiĂšre sonnerie. «  Comment va ton pĂšre ? Â». Ensuite, son interlocuteur lui demandait de l’argent. «  J’comprends pas Â» commente le plaignant.

Il y a eu un incendie dans son garage. Il aurait Ă©tĂ© suspectĂ©. Il rĂ©pond :

« Suspect ? Non. Je suis tĂ©moin assistĂ© Â». Le plaignant explique qu’il y a eu un non-lieu. Un appel. « Je suis toujours tĂ©moin assistĂ© Â».

 

« Comment ces individus ont pu vous convaincre de les payer ? Â».

 

« C’est pas des enfants de chƓur. Ça se voit directement. N’importe qui aurait rĂ©agi comme moi Â».

 

« Est-ce que vous avez vu un psychiatre ensuite ? Â».

 

Oui, il a vu une psychologue.

 

L’Avocat gĂ©nĂ©ral

L’avocat gĂ©nĂ©ral prend la parole :

 

« D’abord, je voudrais dire que je vous trouve plutĂŽt courageux. Je le dis comme je le pense. Vous avez maintenu ce que vous avez dit. C’est important pour moi Â».

 

L’avocat gĂ©nĂ©ral prĂ©cise que lorsque l’on entend parler de la premiĂšre fois oĂč ces hommes sont venus dans son garage, que l’on a l’impression que cela a durĂ© peu de temps :

 

« Est-ce que vous pouvez nous dire combien de temps ça a durĂ© ? Â».

 

« Ă§a a durĂ© longtemps. Deux Ă  trois heures Â». Le plaignant dit que le bornage des tĂ©lĂ©phones permet de le savoir.

 

L’avocat gĂ©nĂ©ral : « Qu’est-ce qui se passe pendant ces deux heures trente de temps ? Â».

 

Le plaignant : « DĂ©jĂ , on voit sa vie dĂ©filer. AprĂšs, j’ai appelĂ© tout mon rĂ©pertoire pour ramasser de l’argent
ça prend du temps. Il fallait que je laisse le haut parleur quand j’appelais
.des gens que je n’avais pas eus au tĂ©lĂ©phone depuis un p’tit moment. Donc, il fallait d’abord prendre des nouvelles
. Â».

 

L’avocat gĂ©nĂ©ral : « Comment on arrive Ă  se souvenir ? Qu’est-ce qui est marquant ? Est-ce que vous pouvez le dire Ă  la cour d’assises ? Â».

 

Le plaignant : «  Monsieur, tout est marquant. Pendant six mois, c’est un calvaire. C’est un traumatisme. Plus j’en reparle et plus il y a des choses qui reviennent Â».

 

L’avocat gĂ©nĂ©ral : « Ma question est un peu provocatrice. Quel serait votre intĂ©rĂȘt d’avoir inventĂ© tous ces dĂ©tails ? De donner de tels dĂ©tails ? Sauf si vous avez une dĂ©ficience ou une maladie nosographiquement rĂ©pertoriĂ©e par la psychiatrie Â».

 

Le plaignant : «  Oui, je suis encore traumatisĂ©. Sinon, je serais avec vous en salle. J’ai mĂȘme peur de sortir. J’ai peur d’ĂȘtre suivi. Je suis redevenu salariĂ©. Je veux plus les voir. MĂȘme voir leur visage, j’ai pas envie. Ils m’ont bousillĂ© ma vie. Je veux ĂȘtre tranquille Â».

 

Un des jurĂ©s (vraisemblablement) se lĂšve et l’interroge.

 

Le plaignant : « Je n’ai pas fait Sciences Po mais on voit que c’est des professionnels. Ce n’est pas leur premier coup (
.).

 

L’avocat gĂ©nĂ©ral ? : « Je suis dĂ©solĂ©, j’ai fait Sciences Po
mais j’ai eu du mal Ă  calculer le prĂ©judice
. Â». « S’il n’y a pas de dettes, pourquoi ils viennent vers vous ? Vous avez expliquĂ© qu’ils Ă©taient bien renseignĂ©s sur vous. En juin 20
 ( six mois aprĂšs le dĂ©but des faits), vous avez dĂ©posĂ© plainte. Comment se fait-il qu’ils arrivent avec cette somme de 87 500 euros ? Â».

 

Le plaignant : « Mr B
savait mĂȘme que le garage n’était pas encore Ă  mon nom. Donc, ce sont des gens trĂšs professionnels. TrĂšs bien renseignĂ©s Â».

 

Du flouze et des flous

 

S’ensuivent des interrogations sur l’identitĂ© de Mr K qui se serait plaint que le plaignant ait une dette envers lui. Ce que le plaignant dĂ©ment. Selon lui, il aurait remboursĂ© Mr K de la somme qu’il lui devait (20 000 euros). Et il ne voit pas la raison pour laquelle Mr K serait mĂȘlĂ© Ă  cette histoire. Le plaignant affirme aussi ne pas connaĂźtre le nom et l’identitĂ© de ce Mr K qu’il a pourtant rencontrĂ© Ă  plusieurs reprises. Le plaignant peut dire de Mr K, qu’il l’a toujours vu « sale Â». Pour le prĂ©senter comme quelqu’un de trĂšs travailleur.

 

L’avocat gĂ©nĂ©ral prend la parole pour affirmer :

« S’il y a quelqu’un qui doit donner l’identitĂ© de Mr K, c’est les accusĂ©s et pas vous ! Â».

 

Le plaignant souligne qu’il y avait un litige entre les deux recouvreurs de dettes qui faisaient pression sur lui. Comme s’il y avait une compĂ©tition entre eux. A qui obtiendrait le premier les remboursements qu’ils lui rĂ©clamaient. « Ils parlaient de dossiers Â». Le plaignant en dĂ©duit que ces deux hommes exerçaient du racket sur d’autres personnes.

 

Mes impressions :

Je suis en totale empathie avec le plaignant. Je suis aussi agrĂ©ablement surpris : pour une fois que le procureur est sympa. Je n’ai pas aimĂ© l’intervention de l’avocat de la dĂ©fense au dĂ©but avec cette histoire de feuilles et de notes. J’ai vu ça comme une tentative de dĂ©stabilisation du plaignant.

 

Mais je retrouve dĂ©ja ce fossĂ© entre, d’une part, les principaux acteurs de la cour qui s’expriment bien, qui ont fait de hautes Ă©tudes et qui appartiennent Ă  une classe sociale Ă©levĂ©e. Et le plaignant qui, malgrĂ© ses efforts et son entreprise ( il a l’air d’ĂȘtre bon en mĂ©canique) est un homme d’un milieu social « limitĂ© Â».

 

C’est ensuite au tour des avocats de la dĂ©fense.

Les avocats de la DĂ©fense

AprĂšs quelques regards et quelques Ă©changes, les avocats de la dĂ©fense se dĂ©cident rapidement entre eux afin de savoir lequel d’entre eux va prendre la parole le premier.

C’est finalement un avocat aux cheveux noirs gominĂ©s, qui porte des lunettes, d’une quarantaine d’annĂ©es qui, pour commencer, s’adresse au plaignant, en s’avançant jusqu’à l’un des micros.

 

Le premier avocat de la dĂ©fense rĂ©capitule :

 

« Le 1er dĂ©cembre 20
, une incursion a lieu dans votre garage. Des gens vous disent qu’ils sont bien renseignĂ©s sur vous. Que vous disent-ils exactement ? Â».

 

Le plaignant :

 

« Ils me disent que mon frĂšre va ouvrir un restaurant Ă  A
ce que j’ignorais. Ils connaissent l’adresse de mes parents. Ils savent aussi que je suis propriĂ©taire ( Ă  l’étranger) Â».

 

L’avocat de la dĂ©fense :

 

« C’est quoi, aujourd’hui, les raisons de vos craintes ? Il y a 15 gendarmes ! Â».

 

Le plaignant : « Ce sont des gens trĂšs professionnels. J’ai dĂ» changer d’adresse Â».

 

L’avocat de la dĂ©fense :

« Depuis votre plainte, il n’y a jamais eu de problĂšmes ? Â».

Le plaignant : «  Non Â».

 

L’avocat de la DĂ©fense : « C’est finalement vous qui pensez
.c’est votre ressenti Â».

 

Mes impressions

Avec ses cheveux gominĂ©s, et sa façon de gommer les aspects de la violence de la situation, je vois cet avocat de la dĂ©fense comme un roublard. En le voyant ensuite assis devant moi, son bras passĂ© autour du cou de la femme Ă  qui il parlera dans l’oreille avec aisance, il me fera d’autant plus l’effet de celui qui parade. Plus tard, lors de la suspension de sĂ©ance, en quittant la salle, il m’adressera en passant un sourire que je prendrai davantage comme une attache de sĂ©duction que pour un rĂ©el geste de bienveillance et de sympathie.

 

La seconde avocate de la dĂ©fense :

La cinquantaine, les cheveux quelque peu Ă©bouriffĂ©s, elle se lĂšve et s’approche du micro. AprĂšs le « Bonjour Monsieur Â» d’usage comme son confrĂšre prĂ©cĂ©dent, elle commence.

 

« Vous nous avez dit que vous ĂȘtes un honnĂȘte travailleur
.depuis 2013, pouvez-vous nous dire votre CV ? Â»

«  A combien estimez-vous votre revenu dĂ©clarĂ© en 2016 ? Â».

« Est-ce que vous avez un joli vĂ©hicule ? Une belle montre ? Â».

 

Le plaignant répond que sur les réseaux sociaux, il a pu se montrer en photo prÚs de sa belle voiture.

 

L’avocate de la dĂ©fense pointe que sa sociĂ©tĂ© n’était pas Ă  son nom. « C’est un ami Â» explique le plaignant.

 

L’avocate de la dĂ©fense demande s’il a un compte bancaire. Oui.

« Ce n’est pas ce que vous avez dĂ©clarĂ©, mais ce n’est pas grave Â». Le plaignant conteste. Pendant trois Ă  quatre bonnes minutes, l’avocate de la dĂ©fense cherche dans son dossier la dĂ©claration Ă  laquelle elle fait rĂ©fĂ©rence. Puis, elle annonce la cote du document Ă  la cour.

 

« Le diable se cache dans les dĂ©tails Â» poursuit l’avocate de la dĂ©fense. Celle-ci dit devant la cour que cet ami dont le nom se retrouve sur sa sociĂ©tĂ© «  est connu pour avoir renversĂ© une personne ĂągĂ©e Â».

 

« Pour quelqu’un qui menait grande vie, vous n’aviez pas de compte bancaire. Donc, vous aviez menti au juge d’instruction Â» avance l’avocate de la dĂ©fense.

 

Le plaignant rĂ©pond avoir achetĂ© une Bentley 32 800 euros. Mais elle Ă©tait «  en trĂšs mauvais Ă©tat Â». Il ajoute : « Je suis toujours en procĂ©dure Â». Le vĂ©hicule , qui a Ă©tĂ© revendu, a Ă©tĂ© immobilisĂ©.

 

Le policier qui Ă©tait son conseil, Mr M, « a Ă©tĂ© condamnĂ© Â» informe l’avocate de la dĂ©fense. Celle-ci continue. D’aprĂšs ses recherches, il est dĂ©crit comme

« Un trĂšs mauvais gestionnaire Â» ; «  Un puits sans fond Â» ; « avec une montre de merde Â». Elle demande au plaignant :

 

« Comment vous vous dĂ©finiriez ? Â».

 

Le plaignant : « Comme un trĂšs bon gestionnaire Â».

L’avocate de la dĂ©fense : « Ce n’est pas ce qui ressort de votre dossier, je vous le dis ! Â». «  Vous ne le savez peut-ĂȘtre pas ! Â».

 

L’avocate de la dĂ©fense : « Ces gens s’en prennent rarement Ă  des personnes qui n’ont pas d’argent. En gĂ©nĂ©ral, ils s’en prennent Ă  des patrons de boites de nuit. Alors que vous, vous n’avez rien ! Â».

 

Le plaignant : «  Vous avez l’air trĂšs bien renseignĂ©e, peu importe Â».

 

Mes impressions :

Je suis partagĂ©. Avec son style Ă©bouriffĂ© et apparemment bordĂ©lique, cette avocate de la dĂ©fense a d’abord l’air Ă  cĂŽtĂ© de ses pensĂ©es. Alors qu’elle s’entortille autour de son dossier tel du lierre, se resserre, puis  se montre particuliĂšrement opiniĂątre. D’un cĂŽtĂ©, son style « fripĂ© Â» un peu Ă  la Columbo  me plait. D’un autre cĂŽtĂ©, comme je suis encore en empathie avec le plaignant, je vois dans son attitude un certain manque de respect mais aussi beaucoup d’agressivitĂ© dĂ©placĂ©e envers celui que je continue de voir comme innocent. Et plus Ă  protĂ©ger qu’à attaquer.

 

C’est ensuite au tour d’un troisiĂšme avocat de la dĂ©fense.

 

Le troisiĂšme avocat de la dĂ©fense :

Cheveux trÚs courts. Il a à peine la quarantaine mais, néanmoins, un aplomb certain.

 

A nouveau, cela commence par un bonjour d’usage poli puis :

 

«  J’ai peu de questions. Avant, je faisais un peu de Droit des affaires
.ces 20 000 euros ( que le plaignant affirme avoir rendu devant tĂ©moins Ă  Mr K), vous les avez dĂ©clarĂ©s au fisc ? Â».

 

Le plaignant reconnaĂźt que non.

L’avocat de la DĂ©fense : « A partir de 750 euros, vous ĂȘtes obligĂ© de les dĂ©clarer Â».

Le plaignant :

«  Je ne savais pas Â».

 

L’avocat de la DĂ©fense : « Pourquoi vous ne les avez pas empruntĂ©s Ă  la banque ? Â».

Le plaignant explique qu’il avait dĂ©passĂ© les 33% de son taux d’endettement en crĂ©ant et en ouvrant son garage.

L’avocat de la dĂ©fense :

« Celui qui prĂ©tend qu’il a payĂ© doit prouver qu’il a payĂ©. Il y a un Ă©crit ? On trouve des formulaires sur internet. C’est trĂšs bien fait sur google. Vous savez ce que c’est, une facture ? Â».

 

Le plaignant répond et affirme avoir remboursé sa dette.

 

L’avocat de la dĂ©fense : « Non. Ce n’est pas vrai. On n’a pas lu le mĂȘme dossier Â». « Tout va bien depuis que tout le monde est en prison ? Â». « Je n’ai pas envie de vous embĂȘter avec ça
.(
.) vous sortez un peu dans Paris ? (
.) vous longez les murs
.(
.) Si je vous donne le Libertalia, vous connaissez ? Â».

 

Le plaignant connaĂźt cet endroit. Il y est dĂ©jĂ  allĂ©. L’avocat de la dĂ©fense lui demande quand il y est allĂ© pour la derniĂšre fois. Le plaignant peine Ă  se souvenir. 3 ans ? 5 ans ?

 

L’avocat de la DĂ©fense annonce qu’il a une preuve attestant qu’il s’y est rendu
.

 

Le juge intervient alors Ă  l’encontre de l’avocat de la dĂ©fense :

 

« Vous n’ĂȘtes pas aux Etats-Unis ! Si vous abordez le sujet, vous devez verser la piĂšce au dossier ! C’est tout Ă  fait dĂ©loyal ! Â»

 

 

Mes impressions :

Je suis heurtĂ© par le manque d’empathie de l’avocat de la dĂ©fense pour le plaignant. Tout est bon pour le bousculer. Y compris le fait de faire passer le plaignant pour un abruti.

 

4Ăšme avocate de la Defense, 2Ăšme conseil d’un des accusĂ©s :

 

Si mes souvenirs sont bons, il s’agit d’une jeune femme, d’à peine trente ans, dont l’allure, dans la vie rĂ©elle, la ferait passer pour une personne douce faisant partie des espĂšces que l’on aurait plutĂŽt envie de protĂ©ger ou d’escorter.

 

AprĂšs un bonjour poli d’usage, elle prĂ©vient :

Elle est en total dĂ©saccord avec ses dĂ©clarations
.” comme vous allez trĂšs vite  vous en rendre compte “.

« Vous avez une propension Ă  aller au commissariat
 Â». (
.) « Dommage que vous ne l’ayez pas dit au juge d’instruction Â» (
.) « Est-ce que c’est normal, pour une victime traumatisĂ©e, d’ĂȘtre entendue 11 fois par la SDPJ  ( Sous-direction de la Police Judiciaire )? Â».

Le plaignant : «  Je n’en sais rien Â».

L’avocate de la dĂ©fense : «  Alors, je vais vous l’apprendre, Monsieur
. Â».

 

L’avocate s’appuie un moment sur le bornage de la tĂ©lĂ©phonie mobile pour affirmer que, contrairement Ă  ses dires, un des accusĂ©s Ă©tait absent lors d’une des transactions de racket.

 

Le juge intervient de nouveau :

« Non, Maitre ! Vous ne pouvez pas dire ça ! La tĂ©lĂ©phonie n’est pas une preuve incontestable de l’absence de quelqu’un Â».

L’avocate de la DĂ©fense reprend :

« C’est assez impressionnant, le nombre de vos versions, Monsieur. Mais vous allez nous l’expliquer Â». (
.) « Vous venez vous adapter, si vous me le permettez, aux questions que l’on vous posait
moi, je ne comprends plus
. Â» (
.) « Il n’y a pas de bonne rĂ©ponse,monsieur ! Â». (
.)

Mes impressions :

Cette impression que les avocats de la dĂ©fense, par tous les moyens qu’a leur inspiration, tentent d’imposer au plaignant la reconstitution du puzzle qu’ils se sont faites mais, aussi, qui les arrange. Je prise peu, cette mauvaise foi et aussi ces coups de griffe qu’ils adressent  au passage, l’air de rien, au plaignant, et qui imposent un certain mĂ©pris Ă  celui ou celle qui n’est pas de leur « race Â». Leur « race Â» Ă©tant leur bord et celles et ceux qui dĂ©fendent. On peut bien-sĂ»r voir leurs remarques et leurs astuces comme une mise en scĂšne. Mais ce n’est pas eux qui jouent leur vie ou leur moral ou leur rĂ©putation. J’ai l’impression qu’ils disposent d’un certain droit de tuer peut-ĂȘtre aussi meurtrier ou plus meurtrier que celles et ceux qui commettent des meurtres de chair et de sang. Sauf que leur droit de tuer est rĂ©compensĂ© et saluĂ© par la sociĂ©tĂ©.

Je n’aime pas non plus le fait qu’ils jouent sur le temps et l’usure dont ils semblent disposer Ă  leur grĂ© pour faire plier ou supplicier celle ou celui qu’ils ciblent. Plusieurs fois, un avocat ou une avocate de la dĂ©fense a lancĂ© «  j’ai encore une avant derniĂšre question. Non, finalement, trois
 Â». Il y a une sorte de sadisme de leur part, je trouve, dans leur façon d’interroger. Une certaine maniĂšre de sĂ©questrer psychologiquement celle ou celui qu’ils confrontent en vue de le possĂ©der. On dit que le but d’un jugement est de se rapprocher de la vĂ©ritĂ©. Mais je me demande si tout cela est un prĂ©texte. L’autre but est peut-ĂȘtre aussi de tenter de disposer de la destinĂ©e d’autrui et de la faire se dĂ©placer  vers un trajet autre que celui de sa propre volontĂ©.

 

L’avocate-lierre ( pour la dĂ©fense) aux cheveux Ă©bouriffĂ©s reprend la main :

 

« J’ai cru ne pas comprendre
.vous m’avez dit quoi ? pour votre activitĂ© plus ou moins occulte
. Â».

 

Le juge intervient de nouveau :

« Vous avez mal entendu, Maitre Â».

L’avocate-lierre (pour la dĂ©fense) :

« Je ne peux pas prendre de notes quand je suis Ă  la barre, Monsieur le PrĂ©sident Â».

 

La cinquiĂšme avocate de la DĂ©fense :

 

C’est une femme brune d’une trentaine d’annĂ©es, plutĂŽt ronde. Jusque lĂ , elle s’est peu fait remarquer. Elle doit Ă  peine mesurer 1m65. SpontanĂ©ment, si je l’avais croisĂ©e dehors, je lui trouverais une certaine douceur. Peut-ĂȘtre le clichĂ© dĂ» aux rondeurs. Car de tous, ce sera celle qui cognera, le plus fort et le plus longtemps, le plaignant dans les angles.

 

Elle commence par un « Bonjour Â» comme d’habitude. Puis :

 

« Est-ce que vous suivez l’actualitĂ© ? Â». L’avocate de la DĂ©fense enchaĂźne ensuite sur un article rĂ©cent du journal Le Parisien sur le logiciel Orion que la gendarmerie envisage d’utiliser pour dĂ©tecter les mensonges en recoupant les propos employĂ©s dans les dĂ©clarations.

«  Si on avait passĂ© vos auditions au logiciel Orion, on ne s’en sortirait pas Â». (
..) . Avec un grand sourire, l’avocate parle de «  suivre le menteur jusqu’à sa porte Â».

« Comment vous expliquez la somme de 87 500 euros ? Â».

Le plaignant : «  Je vais rĂ©pondre pour la troisiĂšme fois Â».

L’avocate de la DĂ©fense : « MĂȘme une quatriĂšme fois, s’il le faut ! Â». (
.) « C’est quand vous avez Ă©tĂ© acculĂ© que vous avez daigné  Â» ( 
.) « Vous avez rĂ©pondu plus ou moins jusque là
. Â» (
.) « Comme vous dites, tout et son contraire, on ne sait plus ! Â». (
.) «  Je sais, vous avez chaud ! Â».

 

Le plaignant : «  Je n’ai pas du tout chaud, Madame. Vous me donnez chaud ! Â».

Grand sourire- presque sympathique- de l’avocate de la DĂ©fense :

« Je vous ai un petit peu bousculĂ© Â» ( 
.) « On a prouvĂ© que vous avez menti
. Â» (
) « Je suis dĂ©solĂ©e Â» (
..) « Chaque fois que l’on vous demande de prouver quelque chose, il n’y a pas de traces
 Â» (
.) « Je ne suis pas dans votre vie ! Â».

 

Il est expliquĂ© (par le plaignant ?) qu’il avait eu le projet de vendre un vĂ©hicule 83 000 euros. Ce vĂ©hicule a Ă©tĂ© rĂ©quisitionnĂ© par le policier qui aurait Ă©tĂ© en cheville avec les personnes qui l’ont rackettĂ©.

 

AgacĂ© d’ĂȘtre «  un petit peu bousculĂ© Â», le plaignant lĂąche Ă  l’avocate de la DĂ©fense :

« Lisez le Parisien, vous avez raison, Madame ! Â».

 

L’avocate de la DĂ©fense :

« J’ai une question sur X
vous dites quoi sur X ? Il a quoi Ă  faire dans notre affaire ?! Â» (
.) « Ă§a s’apparente Ă  des menaces. Vous faites la diffĂ©rence entre violences et menaces ? Â». (
.) « Je veux juste comprendre votre psychologie, c’est ça qui m’intĂ©resse ! Â» (
..) « Vous ĂȘtes quelqu’un d’intelligent, c’est pas possible de me dire ça ! Â»

 

Lorsque cette avocate de la DĂ©fense a dĂ©butĂ©, il Ă©tait 12h55. Son intervention devait ĂȘtre assez courte. D’autant que le plaignant avait rĂ©pondu au juge qu’il devrait partir Ă  13h. Etant donnĂ© qu’on lui avait dit de prendre «  sa demi-journĂ©e Â». Il travaille Ă  14h et, pour ĂȘtre l’heure, il lui fallait impĂ©rativement partir Ă   13h. Or, il est 13h30 lorsque cette confrontation se termine. A plusieurs reprises, cernĂ©, dĂ©pitĂ©, dĂ©boutĂ©, le plaignant a soit tardĂ© Ă  rĂ©pondre, soit lĂąchĂ© : «  Si vous le dites ! Â». Un moment, se tournant vers son avocat, il a voulu refuser de rĂ©pondre tant il se sentait agressĂ© par l’avocate de la DĂ©fense. Son avocat l’a alors enjoint Ă  rĂ©pondre. Le plaignant s’est alors pliĂ© Ă  l’exercice devant une avocate de la DĂ©fense le pressant crescendo. «  C’est trop facile de ne pas rĂ©pondre ! Â».

 

Plus tĂŽt, concernant les coups ( avant ceux « portĂ©s Â» par l’avocate de la DĂ©fense) que le plaignant dit avoir reçus dans le bar Ă  chicha, l’ami chez qui il s’est refugiĂ© quelques jours ensuite en Belgique a affirmĂ© aux enquĂȘteurs ne pas avoir remarquĂ© de traces de coups sur lui. Le plaignant maintient sa version. Les coups ont Ă©tĂ© portĂ©s sur son thorax (« Je ne me dĂ©shabille pas devant mon ami Â») et derriĂšre la tĂȘte. Ce qui, selon lui, ne se voit pas forcĂ©ment. Et, il n’est pas allĂ© voir un mĂ©decin car, autrement, avec le certificat mĂ©dical, il serait parti « porter plainte Â». « Bonne rĂ©ponse Â» avait alors dit l’avocate de la DĂ©fense. Mais cela, c’était dans les dĂ©buts de leur « Ă©change Â». A la fin de celui-ci, le plaignant  finit par lĂącher :

«  HĂ© bien, le jour oĂč vous aurez vĂ©cu ce que j’ai vĂ©cu, vous comprendrez
. Â».

 

Mes impressions :

 

Encore une fois, l’agressivitĂ© frontale et les insinuations- en termes de jugement mais aussi de domination- de l’avocate de la DĂ©fense m’ont dĂ©rangĂ©. Cependant, dans les propos, cette avocate de la DĂ©fense, peut-ĂȘtre plus que les autres, fait corps Ă  corps avec le plaignant. Des expressions comme  « Je ne suis pas dans votre vie ! Â» ou «  je veux juste comprendre votre psychologie, c’est ça qui m’intĂ©resse ! » laissent penser que nous sommes plus dans une relation intime et passionnelle que dans une salle d’audience. Une relation intimepassionnelle et publique qu’elle impose au plaignant et qui ne peut que, en tant qu’homme hĂ©tĂ©rosexuel et mariĂ©,  l’embarrasser et lui faire perdre une partie de ses moyens comme de ses dĂ©fenses. Par moments, que ce soit avec cette avocate de la DĂ©fense et/ou une autre, je perçois dans certains propos des allusions Ă  la supposĂ©e impuissance virile du plaignant. Ce n’est jamais dit comme tel. Mais glissĂ© dans les expressions par petites touches. Et on appuie.

 

La dĂ©monstration de cette avocate de la dĂ©fense, Ă  la suite des interventions des autres avocats de la dĂ©fense, est si imposante qu’elle me marque plus que les Ă©ventuels mensonges du plaignant. A ce stade-lĂ , je ne me dis pas encore que le plaignant a tout faux. Je remarque surtout la prestation de cette avocate de la DĂ©fense. Et, mĂȘme si j’ai du mal avec toute cette agressivitĂ© et ces insinuations qu’elle dĂ©verse aprĂšs ses consoeurs et confrĂšres  je me dis qu’en cas de nĂ©cessitĂ©, j’aimerais bien avoir cette personne comme avocate. Mais surtout pas comme compagne : Maitre Keren Saffar.

Quant Ă  L’avocat de la DĂ©fense aux cheveux gominĂ©s, il s’agit de Maitre RaphaĂ«l Chiche.

 

 

Il est donc 13h30. Le plaignant aurait dĂ» partir Ă  13h pour arriver Ă  l’heure Ă  son travail oĂč il est dĂ©sormais salariĂ©. Et, c’est lĂ  que s’avance un dernier avocat de la DĂ©fense. Il s’était dĂ©jĂ  un petit peu exprimĂ©. Cet avocat de la DĂ©fense a une bonne cinquantaine d’annĂ©es. Il a l’aura-et le verbe Ă©lĂ©gant- de l’avocat qui Ă©tincelle. Ses phrases sont des mouchoirs Ă  la ponctuation fine et dĂ©licate repassĂ©e de prĂšs. Mais  elles s’emparent de tout ce qu’elles approchent. Le plaignant proteste. Il est dĂ©jĂ  en retard pour son travail. Il est aussi trop tard pour Ă©chapper Ă  l’avocat de la DĂ©fense qui, dans la facilitĂ© et le sourire, l’entourloupe et lui fait comprendre qu’il va rester pour rĂ©pondre Ă  quelques questions. Il en a juste « pour cinq minutes Â» assure-t’il.

Les « cinq minutes Â» du SixiĂšme avocat de la DĂ©fense :

 

Je croyais avoir bien entendu son nom lorsqu’il l’a prononcĂ©. J’avais entendu Maitre Viguier. Mais je n’en suis pas sĂ»r. Celui-ci commence par :

 

« Que faisait votre femme  dans le garage ? Â» (
.) « Avez-vous fait des photos ? Â» (
) « J’ai une derniĂšre question ou peut-ĂȘtre une avant derniĂšre ? Â».

 

SoulagĂ© par le « tact Â» de cet avocat de la DĂ©fense, le plaignant dit «  Ă  vous, je vais vous rĂ©pondre Â».

Le plaignant rĂ©pond que sa femme s’occupait de la gestion (ou de le comptabilitĂ©) du garage.

L’avocat de la DĂ©fense qualifie les rĂ©ponses ou les affirmations du plaignant comme Ă©tant «  les plus alourdissantes en termes de coloration Â». L’avocat de la DĂ©fense ajoute :

 

« Je ne suis pas d’emblĂ©e convaincu par ce que vous venez de dire Â». Rappelant au plaignant que son courage avait Ă©tĂ© saluĂ© par l’avocat gĂ©nĂ©ral, l’avocat de la DĂ©fense conclut :

« Moi, j’ai surtout l’impression que vous n’avez peur de rien Â».

 

Mes impressions :

L’avocate prĂ©cĂ©dente de la dĂ©fense a opĂ©rĂ© un trĂšs beau travail au corps du plaignant. Pour la premiĂšre fois, celui-ci a eu du mal Ă  rĂ©pondre comme il le faisait jusqu’alors en Ă©tant concentrĂ©, sĂ»r de lui , et fournissant force dĂ©tails. Il ne reste plus beaucoup de temps avant que celui-ci s’en aille. D’autant qu’il a rĂ©pondu qu’il n’avait pas de disponibilitĂ© dans l’immĂ©diat pour ĂȘtre Ă  nouveau interrogĂ©. Donc, autant s’engouffrer pendant qu’il reste quelques minutes, dans le travail de brĂšche rĂ©alisĂ© dans la dĂ©fense du plaignant.

 

 

Ensuite, c’est au tour de l’avocat qui avait fait « un peu de Droit des affaires Â» de reprendre la parole. Celui qui s’est cru aux Etats-Unis d’aprĂšs la remarque du juge.

 

Le plaignant proteste Ă  nouveau. Il est alors plus de 13h30. Il devait partir Ă  13h.

 

L’avocat de la DĂ©fense qui avait fait « un peu de Droit des affaires Â» justifie le fait de retenir et de retarder encore un peu plus le plaignant par un Â« Il me reste 30 secondes sur les 5 minutes Â» dit avec un discret sourire.

Cet avocat de la DĂ©fense reste sur son parcours au Libertalia. ( Un lieu dont je n’avais jamais entendu parler. Je m’attendais Ă  un endroit quelconque ou plutĂŽt Ă  Ă©viter. Mais en regardant sur le net, j’ai vu que c’était plutĂŽt assez select). Il poursuit :

« Mr Z (un des accusĂ©s)
a Ă©tĂ© physionomiste au Libertalia. Il vous a laissĂ© entrer gratuitement. Vous avez pu Ă©changer tranquillement. Vous avez Ă©tĂ© filmĂ©. Vous avez un beau verre Ă  la main Â».

Le plaignant ne semble pas plus dĂ©rangĂ© que cela par cette “rĂ©vĂ©lation” lorsqu’il prend congĂ© et quitte l’Ă©cran.

Ensuite, cet avocat de la DĂ©fense s’adresse Ă  la greffiĂšre. Le juge intervient :

« Faisons les choses simplement. Pourquoi vous vous adressez Ă  ma greffiĂšre ? Passez par moi Â».

 

L’avocat de la DĂ©fense s’exĂ©cute. Puis, le juge traduit Ă  la greffiĂšre la demande de l’avocat de la DĂ©fense de joindre au dossier telle preuve relative Ă  la vidĂ©o montrant le plaignant devant le Libertalia.

 

Le plaignant s’en va à 13h35.

 

Le juge rĂ©pond Ă  l’avocate de la DĂ©fense-Lierre  aux cheveux Ă©bouriffĂ©s et qui semble Ă  cĂŽtĂ© de ses pensĂ©es:

« Non ! Ce n’est pas possible d’avoir une suspension d’audience par correction pour le tĂ©moin qui attend Â»

 

L’entrĂ©e du tĂ©moin :

Mr V a Ă©tĂ© associĂ© du plaignant. Le plaignant a plusieurs fois citĂ© cet homme comme Ă©tant prĂ©sent lorsqu’il a remboursĂ© Mr K.  Mais aussi comme pouvant tĂ©moigner de certains faits de violence qui se sont dĂ©roulĂ©s dans son garage (celui que dirigeait alors le plaignant).

 

Il est pratiquement 13h45 lorsque le tĂ©moin, Mr V, entre dans la salle d’audience.

 

Il est demandĂ© au tĂ©moin de dĂ©cliner/confirmer son identitĂ©. Ce qu’il fait. Le juge s’adresse Ă  lui :

« Cela fait deux heures et demie que vous attendez. Vous est-il possible d’attendre encore un petit peu avant de tĂ©moigner ? Â». Le tĂ©moin rĂ©pond que c’est possible. Le juge le remercie et prononce une suspension de sĂ©ance de dix minutes. Le tĂ©moin retourne dans la piĂšce oĂč il attendait.

 

Mes impressions :

Coupable ou innocent, je me dis que passer dans le tamis des questions et des remarques des avocats de la DĂ©fense, du procureur, des juges, et, avant eux, des officiers de police ou de nos propres avocats est une Ă©preuve Ă©reintante qui peut dĂ©truire. J’ai bien-sĂ»r au moins pensĂ© aux victimes des attentats du 13 novembre 2015 dont le procĂšs a dĂ©butĂ© dĂ©but septembre jusqu’en avril ou mai 2022. Je comprends que certaines des victimes de ces attentats du 13 novembre 2015 aient prĂ©fĂ©rĂ© Ă©viter de venir tĂ©moigner au tribunal. Dans mon prochain article, qui sera plus court, je parlerai du tĂ©moignage de Mr V aprĂšs la reprise de l’audience.

 

Franck Unimon, ce vendredi 12 novembre 2021.

 

 

 

 

 

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Extorsion : Trouver la salle d’audience

Paris, au Palais de Justice de l’Ăźle de la CitĂ©, ce lundi 8 novembre 2021. PrĂȘter Serment.

 Extorsion : Trouver la salle d’audience

( cet article suit l’article Au Palais de Justice).

Ce lundi 8 novembre 2021, il n y a pas de barriĂšres pour bloquer la route qui mĂšne au Palais de justice de l’Ăźle de la CitĂ©. Je suis Ă©tonnĂ©. Je me demande s’il y a des jugements. Alors que je viens pour assister au procĂšs des attentats du 13 novembre 2015.

 

Dans la cour, un jeune gendarme m’indique aimablement oĂč aller pour me rendre au procĂšs.

 

On s’y perd un peu dans le Palais de justice. Il n’y a pas beaucoup de monde. Peut-ĂȘtre parce-que les audiences ont dĂ©jĂ  commencĂ©.

 

Dans les toilettes, je croise un jeune homme noir, Ă©lĂ©gant dans son costume bleu ou violet, qui me dit bonjour. Je me dis qu’il est nouveau dans le milieu. A la sortie, il ne peut pas m’indiquer oĂč aller. Puis, j’aperçois le panneau qui indique le procĂšs des attentats du 13 novembre 2015.

 

Je monte des marches. Prends un escalier vers la salle Victor Hugo. Je tombe sur deux gendarmes qui renseignent.  A travers la vitre d’une porte, j’aperçois des gens de la Cour, debout en train de parler.

L’un des deux gendarmes m’apprend que ce n’est pas ici. Il m’explique comment m’y rendre.

Il me rĂ©pond que ce procĂšs, tout prĂšs d’eux, est « complet Â». Impossible d’y entrer. Je demande quand mĂȘme de quel procĂšs il s’agit :

Celui du meurtre de Mireille Knoll.

C’est Ă  l’ « accueil directionnel Â» oĂč se trouvent deux hommes, que j’apprends vraiment, qu’aujourd’hui, le procĂšs des attentats du 13 novembre 2015 n’a pas lieu. Sous le regard d’apprenti d’un jeune d’une vingtaine d’annĂ©es, c’est le plus ancien, la cinquantaine, qui me rĂ©pond et m’explique ça.  Il me dit que « demain Â» (ce mardi 9 novembre), mercredi et vendredi, le procĂšs des attentats du 13 novembre 2015 aura lieu. Puis que la semaine prochaine, si j’ai bien retenu, le procĂšs aura lieu du mardi, je crois, jusqu’au vendredi. Mais que je ne pourrai pas entrer dans la salle. Ce que je savais dĂ©jĂ . Je lui demande :

« Y’a t’il quand mĂȘme un procĂšs oĂč je peux aller ? Â». Il me rĂ©pond « oui, oui Â» et m’indique oĂč aller derriĂšre moi dans la salle Georges quelque chose dont j’ai du mal Ă  comprendre le nom. Mais j’ai bon espoir de trouver. Car j’ignore alors comme le Palais est grand.

Non loin de lĂ , je vois un attroupement de personnes joyeuses. On applaudit. On sort son tĂ©lĂ©phone portable pour prendre des photos. Quelques oiseaux blancs filent sous le plafond. Depuis que je suis entrĂ©, je ne sais pas ce que j’ai le droit de photographier. LĂ , je me sens autorisĂ© Ă  le faire alors que je me rapproche de cette foule qui acclame celles et ceux qui viennent de prĂȘter serment.

Lundi 8 novembre 2021, Paris, au Palais de la Justice de l’Ăźle de la CitĂ©. PrĂȘter Serment.

 

PrĂȘter serment :

 

PrĂȘter serment est un trĂšs grand engagement. Je suis surpris du dĂ©calage entre cette joyeuse humeur et la lourde tĂąche du travail futur de ces personnes qui sortent de la salle avec leur robe noire, le sourire aux lĂšvres.

 

Puis, je reprends mon chemin. Un long couloir. Un sol clair. Immaculé. Je ne crois pas faire affront en prenant quelques photos.

Paris, Palais de la Justice de l’Ăźle de la CitĂ©, lundi 8 novembre 2021.

 

 

 

Je ne brise aucune instruction, aucun secret. Je ne prends en photo aucune personne reconnaissable ou a priori recherchĂ©e. Le fait d’avancer dans des longs couloirs plutĂŽt vides me donne l’impression de me faufiler. Ces grands espaces, cette hauteur sous plafond, le lustre et l’Histoire de l’endroit imposent le respect.

Paris, Palais de la Justice de l’Ăźle de la CitĂ©, Lundi 8 novembre 2021.

 

 

Je tombe sur un homme Ă©garĂ©. Comme moi. Il vient Ă  ma rencontre et me sollicite afin que je le guide. Sa convocation Ă  la main, il ne sait oĂč aller. Il me montre le plan qu’on lui a remis Ă  l’entrĂ©e et me dit «  On est lĂ  Â». Mais je ne sais pas lire les plans. J’ai du mal avec l’espace reproduit sur des plans. Un employĂ© passe. Je le questionne. Il rĂ©flĂ©chit. La salle d’audience oĂč je veux aller ne lui dit rien. L’endroit oĂč doit se rendre cet homme, Ă  peine plus. Pourquoi, comment ? Nous descendons de larges escaliers prĂšs de nous. En bas de ces escaliers, en passant devant des toilettes, nous trouvons son lieu d’audience. Mais il ne sait pas ce qu’il doit faire. Il ne sait pas oĂč est son avocat. J’ouvre la porte. Une femme d’autoritĂ© m’intime aussitĂŽt de la refermer :

 

« On viendra vous chercher ! Â».

 

Sur la porte, parmi d’autres, j’ai lu le mot Mineurs et aussi Affaires sociales. Mais mon « homme Â» n’a pas une tĂȘte de mineur. Celui-ci m’apprend avoir rendez-vous Ă  10h. Il est 9h45. Je lui dis :

 

« Ă§a va ! Vous ĂȘtes mĂȘme en avance Â». Il ne sourit pas. Ne semble pas plus rassurĂ© que cela. Il me remercie nĂ©anmoins. Avant de le quitter, je lui souhaite bonne chance et lui demande de quel pays vient-il : Le Mali.

 

 

Peu aprĂšs, je trouve la salle d’audience que je cherche : La salle d’audience Georges Vedel. Je ne sais pas ce qu’a fait cet homme. Je ne crois avoir jamais entendu parler de lui. Un gendarme sort. Je lui demande si je peux assister Ă  l’audience. Bien-sĂ»r ! Lui et son collĂšgue, la vingtaine prolongĂ©e, m’accueillent avec dĂ©contraction et sympathie. Ils me demandent de vider mes poches de tout objet mĂ©tallique type clĂ© etc
avant de passer au dĂ©tecteur. Puis, je rĂ©cupĂšre mes affaires une fois passĂ©es aux rayons X.

On m’informe que je n’aurai pas le droit de filmer ou de prendre des photos dans la salle.

 

Avant d’entrer, je demande de quoi parle le procùs en question, dans cette cour d’assises.

Une histoire d’extorsion m’apprend-t’on. Pour 87 500 euros. Les gendarmes m’informent que je peux sortir de la salle d’audience quand je le souhaite.

 

Lorsque j’entre, un gendarme me montre l’endroit oĂč m’asseoir : sur les bancs, en bois, de gauche. Les bancs de droite sont rĂ©servĂ©s Ă  des tĂ©moins ou Ă  des proches si j’ai bien compris. Devant moi, sur le cĂŽtĂ©, une jeune femme tape sur son ordinateur portable. Elle semble retranscrire ce qu’elle observe. Ce qu’elle entend.

 

Je vois trois prĂ©venus derriĂšre un box. DerriĂšre eux, deux ou trois gendarmes. Deux ou trois autres gendarmes sont dans la salle et se dĂ©placent. Je verrai les gendarmes dans le box permuter avec d’autres gendarmes venus les relayer. Plus tard, derriĂšre le juge, je verrai deux portes s’entrouvrir et deux ou trois autres gendarmes entrer. En moyenne, ces gendarmes ont la trentaine, des physiques de sportifs, et sont habillĂ©s et parĂ©s pour l’action. Rien Ă  voir avec le gendarme de St Tropez avec Louis de FunĂšs ou Benoit Poelvoorde qui pourrait se promener en bermuda, marcel, jambes maigres, ventre Ă  raclettes et claquettes.

 

Pourquoi des gendarmes assurent-ils la sĂ©curitĂ© dans un palais de Justice ? Parce-que, m’a depuis appris un collĂšgue, les gendarmes sont formĂ©s au maintien de l’ordre. Ils sont les Ă©quivalents des CRS voire sont des CRS. Le policier ou le gardien de la paix n’est pas formĂ© au maintien de l’ordre comme ils le sont. Le maintien de l’ordre ne se rĂ©sume pas Ă  sortir son arme et Ă  tirer. C’est aussi appliquer des stratĂ©gies de retrait, de dĂ©sencerclement ou d’encerclement.

 

Cependant, Ă  la cour d’assises, l’atmosphĂšre est plutĂŽt sereine. Sereine et concentrĂ©e. Les avocats de la DĂ©fense, cinq ou six ou plus (dont trois ou quatre femmes), sont assis derriĂšre leur table sur laquelle, pour certains, se trouve un ordinateur portable en Ă©tant de marche. A cĂŽtĂ©, un dossier constituĂ© d’une pile de documents.

 

Sur un Ă©cran, je vois et entends le plaignant qui rĂ©pond aux questions du juge. Le plaignant est assis devant une table. A ses cĂŽtĂ©s, en robe noire, son avocat ou l’un de ses avocats. Un stylo ou un crayon ainsi qu’une feuille sont devant le plaignant.

Un autre Ă©cran est situĂ© face Ă  la dĂ©fense. L’image est nette. Le son est bon. 

Dans la rangĂ©e oĂč je suis assis, dans le public, nous sommes alors Ă  peine cinq personnes. Dans la rangĂ©e de bancs de droite, pareil.

 

Je comprendrai plus tard que les trois hommes assis l’un derriĂšre l’autre de profil devant les avocats de la DĂ©fense, face Ă  la cour, font aussi partie des accusĂ©s. DerriĂšre la cour, manifestement, rĂ©partis sur la largeur de la cour, les jurĂ©s. A droite de la cour, l’avocat gĂ©nĂ©ral. Et une autre personne dont je ne connais pas la fonction.

 

Il est alors Ă  peu prĂšs dix heures du matin. Je pense alors rester jusqu’à 13h. Jusqu’au moment de la pause dĂ©jeuner. Je sortirai finalement de lĂ  Ă  14h30 Ă  peu prĂšs.

Paris, au Palais de Justice de la Cité, Lundi 8 Novembre 2021.

 

(Ă  suivre)

 

Franck Unimon, ce mardi 9 novembre 2021.

 

 

 

 

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Au Palais de Justice

Au Palais de Justice

Paris, ce lundi 8 novembre 2021, vers 10h.

                                              Au palais de Justice

 

Mardi 9 novembre 2021, 7h15

Cette nouvelle catĂ©gorie de mon blog balistiqueduquotidien est particuliĂšre. Je viens de me lever pour l’écrire. Ce n’est pas tĂŽt. Je peux me lever encore bien plus tĂŽt ou me coucher bien plus tard dans la nuit pour Ă©crire. Lorsque c’est comme ça, l’action de boire et de manger attend ou attendra.

 

Enfant, naĂŻvement, j’ai voulu ĂȘtre avocat. J’avais moins de dix ans. Je me rappelle avoir dĂ©fendu la « cause Â» de quelqu’un. J’étais tellement touchĂ© par l’injustice Ă  laquelle j’assistais que je m’étais mis Ă  pleurer.

 

 Ma plaidoirie n’avait pas Ă©tĂ© prise en compte. Le copain ou le camarade que j’avais essayĂ© de sauver avait Ă©tĂ© condamnĂ©. Cependant, il avait eu la vie sauve.

 

Enfant, j’ai voulu faire plusieurs mĂ©tiers. Policier, pompier et footballeur le plus souvent et, une fois, avocat.

 

Une seule fois, chez des amis de mes parents, je me souviens avoir ouvert une sorte de guide de droit qui se trouvait lĂ . Je m’ennuyais sans doute parmi ces adultes et j’aimais lire. Je suis tombĂ© sur un article qui concernait le droit familial. Et, vu que je me rappelais avoir portĂ© le nom de jeune fille de ma mĂšre jusqu’à mes six ans, j’avais appris que mes parents avaient ensuite dĂ» aller faire une dĂ©claration devant le juge afin de pouvoir m’attribuer le nom de mon pĂšre. J’avais alors interrogĂ© mes parents chez ces amis. Je me souviens de ma mĂšre qui avait alors confirmĂ© que, oui, c’était vrai.

 

Enfant, on sait se satisfaire de rĂ©ponses et d’actions simples pour des sujets complexes. DĂšs l’instant oĂč l’on se sent aimĂ©- et en confiance- par celles et ceux qui nous entourent et nous rĂ©pondent. Plus tard, cela peut devenir plus difficile Ă  faire. Soit nous devenons plus critiques et plus exigeants. Soit, aussi, celles et ceux qui nous ont entourĂ© et aimĂ© plus jeunes disparaissent. Et celles et ceux qui les remplacent ou que nous choisissons ensuite, Ă  nos yeux, ne font pas l’affaire. Ou, sans  celles et ceux qui nous Ă©levĂ©s ou que nous avons connus plus jeunes, prĂšs de nous, nous avons du mal Ă  nous tenir « droits Â». D’autres fois, aussi, nos modĂšles de dĂ©part, nos parents, notre famille mais aussi notre entourage, bien qu’aimants et disponibles, nous ont donnĂ© des exemples de vie qui, au regard de certaines lois, ne sont pas durables.

 

PremiĂšre expĂ©rience d’audience dans un tribunal

 

J’étais soit au collĂšge ou au lycĂ©e la premiĂšre fois qu’avec un de nos professeurs, avec ma classe, Ă  Nanterre, nous sommes allĂ©s au tribunal. Dans ce trĂšs haut bĂątiment de la PrĂ©fecture de Nanterre. Un bĂątiment trĂšs familier situĂ© Ă  une vingtaine de minutes Ă  pied Ă  peu prĂšs de lĂ  oĂč nous habitions, alors. Au delĂ  du grand parc de Nanterre qu’ado, j’ai beaucoup plus connu pour mes sĂ©ances d’entraĂźnement d’athlĂ©tisme que pour aller m’y promener. J’étais dĂ©jĂ , aussi, passĂ© quantitĂ© de fois devant ce bĂątiment de la prĂ©fecture dans le bus 304 pour aller aux PĂąquerettes chez une de mes tantes maternelles. OĂč j’aimais aller jouer avec un de mes cousins.

Mais j’avais aussi pris le 304 bien des fois pour aller rejoindre ma mĂšre qui travaillait alors Ă  l’hĂŽpital de Nanterre, pas trĂšs loin des PĂąquerettes, des Glycines, des Canibouts… il Ă©tait frĂ©quent de voir des SDF ( on disait “clochards”) alcoolisĂ©s et allongĂ©s en face de l’hĂŽpital. 

L’hĂŽpital de Nanterre ou hĂŽpital Max Fourastier, aujourd’hui, s’appelait La Maison de Nanterre et dĂ©pendait alors de la PrĂ©fecture de Paris. C’était plusieurs annĂ©es avant la construction de la Maison d’arrĂȘt de Nanterre.

 

Ce  jour oĂč nous Ă©tions au tribunal avec ma classe, je me souviens du jugement d’un grand adulte. Il avait une vingtaine d’annĂ©es. Il Ă©tait jugĂ© pour rĂ©cidive. A nouveau, il avait exhibĂ© ses parties intimes devant une petite fille. Il triturait nerveusement quelque chose qu’il avait dans ses mains. Il Ă©tait terrorisĂ©. A l’entendre, on comprenait que cet homme, adulte pourtant, avait un retard mental. Il parlait comme un petit garçon. Sauf qu’il avait un corps, la tĂȘte et la force d’un homme. Si j’avais croisĂ© cet homme dans la rue, moi, qui, comme beaucoup de garçons, a Ă©tĂ© Ă©duquĂ© dans l’admiration de la grandeur et de la force physique, j’aurais Ă©tĂ© intimidĂ© en cas de conflit. Alors, qu’aurait pu faire une petite fille si cet homme avait entrepris de la saisir et de lui faire connaĂźtre pire ? Cette question, je ne me l’étais pas posĂ© ce jour-lĂ . Je l’ajoute aujourd’hui.

 

L’homme avait Ă©tĂ© sermonnĂ© comme un enfant. La Loi lui avait parlĂ©. Et, il avait dĂ» ĂȘtre condamnĂ© Ă  du sursis. A cette Ă©poque, les bracelets Ă©lectroniques n’existaient pas. Je ne crois pas que l’on ait parlĂ© de suivi psychologique pour lui et cela n’aurait d’ailleurs servi Ă  rien.

 

AprĂšs le jugement, nous avions dĂ©battu avec notre professeur. C’était peut-ĂȘtre en troisiĂšme, au collĂšge public Evariste Galois. Avec notre prof principale, notre prof de Français, Mme Epstein, qui nous avait emmenĂ© voir E.T au cinĂ©ma Ă  la DĂ©fense. Ainsi qu’une piĂšce de thĂ©Ăątre au ThĂ©Ăątre des Amandiers : Combat de NĂšgres et de chiens par Bernard Marie KoltĂšs

 

Cela collerait bien avec la personnalité de Mme Epstein de nous avoir fait vivre cette expérience. Elle, qui nous avait proposé, un jour, de faire venir le Dr Francis Curtet, spécialiste des addictions.

 

 Mais je ne suis pas sĂ»r que ce soit elle qui nous ait emmenĂ© au tribunal assister Ă  une audience. A ma premiĂšre audience. Car je ne me souviens pas du visage de celle ou celui qui nous y avait accompagnĂ©.

 

Seconde expĂ©rience d’audience dans un Tribunal

 

J’ai connu ma seconde audience dans le public au Palais de Justice de l’üle de la CitĂ©. PrĂšs de St Michel, Ă  Paris. J’avais vingt ans de plus. En grandissant, j’avais ensuite voulu devenir champion du monde d’athlĂ©tisme en sprint, kinĂ©sithĂ©rapeute dans le sport, journaliste, Ă©crivain, poĂšte, acteur. J’étais devenu infirmier diplĂŽmĂ© d’Etat.

 

A la Fac de Nanterre, oĂč j’avais passĂ© trois ans aprĂšs mon diplĂŽme d’infirmier – ce qui avait Ă©tonnĂ© quelques unes de mes camarades puisque j’avais dĂ©jĂ  un diplĂŽme et un travail !- j’avais trĂšs bien identifiĂ© le bĂątiment oĂč se tenaient les cours de Droit. Je n’y suis jamais entrĂ©. Pour moi, les cours de Droit, cela rimait avec les partis politiques de droite et d’extrĂȘme droite. Mais aussi avec des personnes issues de classes sociales bien plus favorisĂ©es que la mienne. Sans oublier toutes ces plĂątrĂ©es de lois et de textes aux tournures de phrases alambiquĂ©es qu’il fallait s’enfoncer dans la tĂȘte et ingurgiter.

Et, Ă  aucun moment, il ne m’était apparu que pendant mes trois annĂ©es d’études d’infirmier, j’avais aussi dĂ» m’enfoncer «  dans la tĂȘte et ingurgiter Â» des « plĂątrĂ©es Â» de connaissances. Car, ces « connaissances Â» infirmiĂšres acquises avaient pour moi un effet et un pouvoir concret immĂ©diat afin de me permettre rapidement d’avoir un travail et de gagner ma vie. Alors que l’issue concrĂšte d’études de Droit m’apparaissait sĂ»rement Ă  la fois trop Ă©trangĂšre, trop floue et trop lointaine. Soit l’opposition classique et magistrale entre ce qui pousse certaines et certains Ă  « choisir Â» – et aussi Ă  s’y tenir- des Ă©tudes courtes plutĂŽt que des Ă©tudes longues.

 

Sans surprise, aujourd’hui, je ne pouvais pas me satisfaire de mes Ă©tudes d’infirmier en soins gĂ©nĂ©raux. AprĂšs quelques annĂ©es de diplĂŽme, aprĂšs le DEUG d’Anglais, aprĂšs le service militaire, aprĂšs avoir commencĂ© Ă  passer un brevet d’Etat d’éducateur sportif, j’avais d’abord choisi d’aller travailler en psychiatrie gĂ©nĂ©rale avec un public adulte Ă  Pontoise.

 

Lors de cette seconde audience dans un tribunal, j’étais infirmier dans un nouveau service, en pĂ©dopsychiatrie, Ă  Montesson. La pĂ©dopsychiatrie Ă©tait une spĂ©cialitĂ© que je dĂ©couvrais dans ce service depuis un ou deux ans lorsqu’un de nos collĂšgues avait Ă©tĂ© trĂšs content de nous proposer de venir voir son grand frĂšre plaider au tribunal, Ă  Paris.

 

Son grand frĂšre, nĂ© Ă  Nanterre comme ce collĂšgue et moi, avait rĂ©ussi. Il Ă©tait maintenant un avocat reconnu et pas n’importe oĂč.

 

Ce grand frĂšre avocat nous avait accueilli avec amabilitĂ©. Nous Ă©tions plusieurs soignants du service Ă  ĂȘtre prĂ©sents. Il nous avait mĂȘme payĂ© le repas dans le self ou le restaurant du tribunal.

 

J’ai oubliĂ© le motif du jugement. Je me rappelle d’une femme procureur, noire, plus caricature de procureur, et assez brouillonne. Et de l’éloquence du grand frĂšre de ce collĂšgue commençant par raconter, comment, plus jeune, il passait du temps Ă  assister aux audiences au tribunal de Nanterre
 jusqu’à ce que son pĂšre finisse par venir le chercher.

 

Avant de plaider, le grand frĂšre de ce collĂšgue nous avait dit que la procureur avait tellement mal travaillĂ© qu’elle lui avait « ouvert des boulevards Â». En effet, lorsqu’il avait commencĂ© Ă  plaider, par contraste, sa dĂ©monstration avait Ă©tĂ© magistrale. Sauf qu’il avait fini par ĂȘtre un peu trop long Ă  mon sens.

 

J’avais Ă©tĂ© nĂ©anmoins content de cette nouvelle expĂ©rience. Et j’avais bien vu, aussi, la grande fiertĂ© de ce collĂšgue d’ĂȘtre le petit frĂšre de cet homme qui avait rĂ©ussi. Je m’étais aussi dit que je retournerais dans un tribunal pour assister Ă  des audiences.

 

En Guadeloupe, sans doute aprĂšs cet Ă©pisode, une fois, en passant devant un tribunal, alors que nous y Ă©tions en vacances mon jeune frĂšre et moi, j’avais un moment envisagĂ© d’y entrer. AprĂšs avoir aperçu un magistrat ou un avocat dans sa parure sur les marches blanches. Mais mon frĂšre m’avait fait comprendre comme il trouvait mon idĂ©e, une fois de plus, incongrue. Je n’avais pas insistĂ© et avais continuĂ© de conduire vers notre destination, peut-ĂȘtre vers Basse-Terre.

 

Les Attentats du 13 novembre 2015

 

Hier, c’est le procĂšs des attentats du 13 novembre 2015 qui m’a ramenĂ© dans un tribunal. Une volontĂ© que j’ai eue assez vite lorsque j’ai su que ce procĂšs allait commencer
le 8 septembre 2021. Jusqu’à fin Mai 2022.

 

 Cependant, auparavant, je m’étais rendu Ă  une des audiences du procĂšs ( Du 2 septembre au 10 novembre 2020) des attentats « de Â» Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’hypercacher de Vincennes. Dans le nouveau Tribunal de Paris, situĂ© Ă  la Porte de Clichy, ce « plus grand centre judiciaire d’Europe Â» ouvert en 2018.

 

J’avais pris des notes lorsque j’étais allĂ© Ă  cette audience du procĂšs des attentats « de Â» Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’hypercacher. J’avais commencĂ© Ă  Ă©crire un article. Puis, j’ai laissĂ© s’endormir cette volontĂ©. Peut-ĂȘtre que le sujet Ă©tait-il trop consĂ©quent pour moi. Que j’avais trop traĂźnĂ© pour venir assister Ă  ce procĂšs. Et/ou que je me suis dit, en lisant les comptes rendus de Charlie Hebdo de ce procĂšs, que je n’apporterais rien de diffĂ©rent ou de plus.

 

NĂ©anmoins, le fait d’aller dans un tribunal m’avait Ă  nouveau « plu Â». Tant pour le dĂ©roulement de l’audience que, d’abord, pour tout le dĂ©corum et les protocoles d’accĂšs au tribunal. Les personnes lambda comme moi se rappellent de l’existence des tribunaux et des procĂšs lorsqu’il y a des « affaires Â» marquĂ©es mĂ©diatiquement. Ou lorsqu’elles doivent venir s’y justifier, ce qui est plutĂŽt exceptionnel pour la majoritĂ© des personnes lambda. Autrement, nous passons Ă  cĂŽtĂ© de ce qui se dĂ©roule quotidiennement dans des tribunaux qui sont des mondes Ă  la fois clos (on n’y entre pas comme dans un commerce qui nous accueille presque Ă  cartes de crĂ©dit et Ă  caddies ouverts) mais pourtant suffisamment accessibles pour celle ou celui qui souhaite prendre le temps de venir les dĂ©couvrir. Comme de s’y rendre rĂ©guliĂšrement. Afin d’assister Ă  des audiences. Ou d’y circuler lĂ  oĂč c’est autorisĂ©.

 

 

Une institution publique prestigieuse

Un tribunal, pour moi, c’est en principe une institution publique prestigieuse. Que ce soit par les murs ou par les personnes qui y exercent de hautes fonctions (magistrats, procureurs, avocats
.). Pourtant, cette institution publique prestigieuse, comme d’autres institutions publiques prestigieuses, est souvent mĂ©connue de la majoritĂ© des gens lambda comme moi. MĂȘme si « nul n’est censĂ© ignorer la Loi Â».

 

 Combien de fois suis-je passĂ© devant un tribunal ou une autre institution publique prestigieuse  (l’assemblĂ©e nationale ou une Grande BibliothĂšque) sans mĂȘme envisager, de temps en temps, d’y entrer afin d’apprendre ?

 

Je ne compte plus.

 

Nous vivons dans un monde et dans une société inégalitaire. Mais lorsque nous pouvons bénéficier de certains apprentissages et vivre certaines expériences qui sont à notre portée, nous préférons rester dans ce que nous connaissons et savons faire. Par confort, conformisme, et sûrement, aussi, pour rester avec les autres. Les autres que nous choisissons ou que nous avons choisi.

 

Hier, je suis allĂ© assister Ă  une audience parce-que j’ai acceptĂ© d’ y aller seul. Une fois de plus. Certaines dĂ©cisions, bonnes ou mauvaises, se prennent et se vivent seul. Avant de pouvoir retourner ensuite, si c’est possible, avec les autres. Celles et ceux que l’on a choisi, qui nous ont acceptĂ© ou qui semblent le faire.

 

 

Aujourd’hui, je n’écrirai pas plus car ce serait un article trop long. Mais je crois que c’était important de prĂ©parer cette nouvelle rubrique ou catĂ©gorie de mon blog par ce prĂ©ambule. MĂȘme si, ensuite, si cette rubrique ou cette catĂ©gorie dure, celles et ceux qui la dĂ©couvriront en cours de route ignoreront tout de ce prĂ©ambule.

Paris, ce lundi 8 novembre 2021, vers 15h, aprĂšs ĂȘtre sorti du Palais de justice.

Franck Unimon, ce mardi 9 novembre 2021. 9h45