Au cinĂ©ma MK2 BibliothĂšque, ce jeudi 15 septembre 2022. Eileen Myles s’exprime au micro. Photo©ïžFranck.Unimon
Eileen Myles au Cinéma MK2 BibliothÚque ce jeudi 15 septembre 2022
Premier jour dâautomne, ce vendredi 23 septembre. Je terminais mon petit-dĂ©jeuner ce matin lorsque jâai commencĂ© Ă penser Ă un article sur la confĂ©rence dâEileen Myles la semaine derniĂšre. Voici comment un certain nombre dâarticles part dans ma tĂȘte. Ensuite, je dĂ©cide de les suivre. Si jâestime avoir suffisamment de temps et de mots. Si jâai suffisamment dâenvie pour eux. Les mots sont ce qui contient lâincendie de mon esprit et pour les trouver, il faut que jâaie envie dâeux. Que je sois volontaire pour leur courir aprĂšs afin de les rassembler.
Jâai envie dâĂ©crire cet article sur Eileen Myles, lâauteur de Chelsea Girls , « figure majeure de la culture underground et LGBT aux Etats-Unis ». Un livre paru en 1994 dans sa version originale et rĂ©cemment traduit et publiĂ©, pour la premiĂšre fois, en Français.
Je ne connais rien Ă l’univers d’Eileen Myles. MalgrĂ© ma bonne volontĂ©, Je vais donc Ă©crire et raconter dans cet article beaucoup de conneries rĂ©actionnaires et dĂ©verser au grand jour un certain nombre de ces jugements de valeurs dont je suis le rĂ©servoir.
Cet article, ce « coming out », nâĂ©tait pas prĂ©vu. Bien des articles sont des « coming out ». Le mien sera sĂ»rement celui de ma « beauferie ».
Initialement, ce matin, je pensais plutĂŽt Ă faire le nĂ©cessaire afin dâaller voir le dernier film de Rebecca Zlototwski sorti avant hier :
Les enfants des autres .
Il y a plein dâautres films que jâaimerais aller voir bien avant celui-ci. Mais je fais de celui-ci une prioritĂ©. MĂȘme si lâinterview par la journaliste Guillemette Odicino de la rĂ©alisatrice Zlotowski dans lâhebdomadaire TĂ©lĂ©rama -auquel je suis abonnĂ© depuis des annĂ©es- mâa plusieurs fois fait souffler dâagacement. En lisant, une nouvelle fois, telle une condamnation Ă perpĂ©tuitĂ©, les termes-poncifs :
«(âŠ.) elle ( Rebecca Zlotowski) est lâune des cinĂ©astes les plus brillantes de sa gĂ©nĂ©ration ».
Ou, plus loin, pour parler de lâactrice LĂ©a Seydoux ( une actrice qui mâinspire des sentiments trĂšs contrariĂ©s au moins depuis sa polĂ©mique avec le rĂ©alisateur Abdelatif Kechiche aprĂšs tournĂ© sous sa direction La vie dâAdĂšle , oĂč, pour moi, elle nâest pas la meilleure actrice du film mais aussi dans dâautres films par la suite) « irradiante de sensualitĂ© ». LĂ©a Seydoux, « irradiante de sensualitĂ© » ? Sa premiĂšre apparition- comme James Bond girl- dans le dernier James Bond avec lâacteur Daniel Craig cloue le film dans un cercueil.
Pour parler du troisiÚme film de Zlotowski, Planétarium , la journaliste Guillemette Odicino écrit : « son film maudit, incompris, elle osait une fresque à la fois charnelle et spirituelle ».
Bien-sĂ»r, jâai dĂ» comprendre que la journaliste, elle, avait compris ce film que beaucoup nâavaient pas compris. Quant Ă lâidĂ©e dâune « fresque Ă la fois charnelle et spirituelle », jâai trouvĂ© cette description bien cĂ©rĂ©brale, et, Ă nouveau, trĂšs fuyante par rapport au corps. Dans ces relations que lâon peut avoir, quotidiennement et Ă©troitement, avec notre propre corps. Comme cela se pratique, je trouve, dans ces milieux trĂšs intello oĂč lâon brille beaucoup plus par les concepts, la pensĂ©e, que par lâusage que lâon peut faire et vivre de son propre corps :
Je reproche Ă beaucoup dâintellectuels et Ă beaucoup « dâacteurs » culturels dont jâespĂšre faire le moins partie possible dâĂȘtre des trĂšs grands handicapĂ©s de leur propre corps. Et, je lisais tellement ça, une fois de plus, je crois, dans cette introduction Ă lâinterview de Rebecca Zlotowski dans TĂ©lĂ©rama .
« La chair, toujours, filmĂ©e comme une arme politique, et le questionnement sur la fĂ©minitĂ© moderne sont au cĆur dâUne fille facile , son plus grand succĂšs : en 2019, cette chronique ensoleillĂ©e enflammait la Croisette, imposant Zahia Dehar comme un corps fascinant de cinĂ©ma » poursuit la journaliste de TĂ©lĂ©rama (celui du 24 au 30 septembre 2022, le numĂ©ro 3793, page 4) toujours dans lâintroduction de son interview de Zlotowski.
« enflammait la croisette » ; « comme un corps fascinant de cinéma », encore des stéréotypes de langage.
Une fille facile est le seul film que jâai vu de Rebecca Zlotowski. Et, malgrĂ© mes rĂ©ticences au dĂ©part, jâai beaucoup aimĂ© ce film. Jâen parle dâailleurs dans mon blog. ( Une fille facile ).
« Corps fascinant de cinéma ? ». De quoi parle la journaliste de Télérama ?!
Lorsque lâon regarde Zahia Dehar et que lâon sait « un peu », car cela avait Ă©tĂ© beaucoup mĂ©diatisĂ© quand mĂȘme !, quâelle avait Ă©tĂ© « escort girl », on hĂ©site trĂšs peu Ă trouver son corps « fascinant ». Que ce soit au cinĂ©ma ou dans la vraie vie.
Je nâai pas oubliĂ© ce mĂ©lange dâadmiration et de sentiment de privilĂšge quâavait pu ressentir la journaliste « star » LĂ©a SalamĂ© lors de sa rencontre-interview avec la belle Zahia Dehar qui avait dĂ©frayĂ© la chronique. Cela mâavait rappelĂ© le rĂŽle de gigolo de Daniel Auteuil dans le film Mauvaise passe rĂ©alisĂ© par Michel Blanc en 1999. ( Tiens, Michel Blanc est homo. Et il avait Ă©crit le scĂ©nario avec Hanif Kureishi plutĂŽt portĂ© sur des sujets un peu tabousâŠ).
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Nous avons beau ĂȘtre des personnes responsables, prĂ©sentables, trĂšs bien Ă©duquĂ©es, bien maquillĂ©es, nous exprimer de façon hautement civilisĂ©e… nous avons aussi besoin de notre giclĂ©e de sensations « premium » en tutoyant ce qui sort du stĂ©rile et du cadre. Ăa flatte le cĂŽtĂ© rebelle ou « border line » en soi. On est ainsi rassurĂ© quant au fait que lâon est beaucoup plus grunge et beaucoup plus ouvert, plus libre et dĂ©mocrate quâon peut le laisser croire.
Zahia Dehar nâest ni le premier ni le dernier corps â ou coup- vivant de femme que le cinĂ©ma servira comme plat pour attirer un public dans une salle. Et sans doute pas le dernier non plus qui inspirera bien des fantasmes et des branlettes empathiques Ă certains officiels de la Croisette. Rappelons-nous quâassez rĂ©cemment, des « influenceuses », Ă DubaĂŻ, ont Ă©tĂ© payĂ©es par certaines grandes fortunes afin de se faire dĂ©fĂ©quer dans la bouche.
Ce que peut inspirer un corps dĂ©sirĂ©, dĂ©sirable -et aussi mĂ©diatique- dĂ©coule de ce qui se passe dans la tĂȘte ( et de son Pouvoir) de celle ou de celui qui peut disposer- et comment- de ce corps dĂ©sirĂ© et dĂ©sirable.
Eileen Myles, elle, câest le contraire de tout ça. Eileen Myles fait partie de ces personnes qui ont dĂ©cidĂ© dâassurer leur corps. Mais lorsque jâĂ©cris ça, je mâaperçois que, finalement, Eileen Myles est plus proche dâune Zahia Dehar ou de certaines influenceuses qui ont dĂ©cidĂ© de se servir de leur corps pour rĂ©ussir que de celles et ceux qui se rĂ©signent Ă ĂȘtre les caissiĂšres, les domestiques et les secrĂ©taires des autres.
Pourtant, lorsque lâon met cĂŽte Ă cĂŽte, une Eileen Myles et une Zahia Dehar, la proximitĂ© est loin dâĂȘtre marquante. Mais je crois que lâune comme lâautre a pu adopter des modes de vie rĂ©prouvĂ©s Ă un moment donnĂ© par lâordre et la vertu publiques.
Jâavais prĂ©venu, dĂšs le dĂ©but de cet article, que jâallais Ă©crire beaucoup de conneries. Et, câest le moment, pour moi, de fournir mon mot dâexcuse . Pour commencer, et c’est selon moi le principal et ce qui me pousse Ă Ă©crire cet article :
Ce jeudi 15 septembre, j’aurais pu ( ou peut-ĂȘtre dĂ» ) rester dans ma ville, Ă Argenteuil, afin d’aller rencontrer dans la librairie Presse Papier du centre ville, l’auteure Touhfat Mouhtare nĂ©e en 1986 Ă Moroni aux Comores, pour son livre Le Feu du Milieu paru aux Ă©ditions Le bruit du monde. Aujourd’hui, Touhfat Mouhtare vit dans le Val d’Oise.
A la place, je me suis Ă©loignĂ© de ma ville et du Val d’Oise. Je me suis vĂ©ritablement dĂ©placĂ© pour assister Ă Paris Ă cette confĂ©rence-interview de l’AmĂ©ricaine Eileen Myles. J’ai vraiment pris ces photos et filmĂ© ces quelques moments.
Jâai entendu parler dâEileen Myles rĂ©cemment. En commençant Ă lire Les Argonautes ( paru en 2015) de Maggie Nelson. Une auteure de rĂ©fĂ©rence, au mĂȘme titre quâEileen Myles, son aĂźnĂ©e de plus de vingt ans, pour les personnes prĂ©occupĂ©es par les questions du genre , de dominations, comme par les violences engendrĂ©es par le patriarcat .
Jâai du mal Ă avoir une lecture suivie de lâouvrage de Maggie Nelson. Jâai bien plus de « facilitĂ©s» pour lire le premier volet de La Guerre dâAlgĂ©rie dâYves CourriĂšre.
Les Argonautes de Maggie Nelson ( nĂ©e en 1973) est un rĂ©cit de sa vie personnelle avec son (ex ?) compagnon, Harry, originellement nĂ©e femme, pĂšre dâun jeune fils dont Maggie Nelson, en tant que belle-mĂšre, essaie de sâoccuper au mieux (on voit mieux le rapprochement avec le dernier film de Rebbeca Zlotowski ? Je ne lâai pas fait exprĂšs) de rĂ©flexions critiques et thĂ©oriques poussĂ©es citant Butler, Winnicott, Foucault et dâautres, mais aussi de certains moments de sa vie avant Harry comme de certaines de ses dĂ©cisions en rapport avec ses engagements (ou son activisme).
La partie thĂ©orique et intellectuelle de lâouvrage de Maggie Nelson, par moments, me coupe les neurones Ă dĂ©faut de me couper les jambes : je subis, par moments, des absences de comprĂ©hension. Et puis, le courant se rĂ©tablit. Dans ses Argonautes , Maggie Nelson (qui cite aussi Eileen Myles parmi ses rĂ©fĂ©rences) Ă©tablit que le mariage et lâarmĂ©e comptent parmi les institutions historiques les plus rĂ©pressives .
Je suis mariĂ©. Jâai pu ou peux, par moments, me sentir proche de certaines valeurs militaires. Mon attachement aux valeurs des Arts martiaux, par exemple, se rapproche quand mĂȘme de lâattachement Ă certaines valeurs militaires. Si on les applique aveuglement ou de façon fanatique. Je fais donc ou ferais donc partie de « lâennemi » pour des personnes comme Maggie Nelson ou Eileen Myles. Dâautant quâil est deux autres institutions, pour lesquelles je travaille, qui sont, aussi, « historiquement rĂ©pressives » :
La psychiatrie et la pédopsychiatrie.
Donc, que faisais-je jeudi dernier Ă cette confĂ©rence-interview dâEileen Myles comme devant ce livre de Maggie Nelson â dont je ne connaissais pas lâexistence avant cet Ă©tĂ©- au lieu de lire un des articles de mon TĂ©lĂ©rama hebdomadaire ?
Nous voyons du Monde ce qui nous intĂ©resse, ce qui nous attire lâĆil ou lâattention, ce Ă quoi nous sommes habituĂ©s ou ce qui nous gĂȘne ou nous dĂ©range.
Ensuite, nous faisons plus ou moins nos choix. Nous dĂ©cidons de retourner Ă nos occupations bien connues de nous-mĂȘmes. Ou nous choisissons de prendre lâoption qui consiste Ă aller nous Ă©duquer un peu. Car le Monde est souvent plus multiple que ce que nous en savons ou en percevons Ă premiĂšre vue.
Jâavais une vingtaine dâannĂ©es lorsque, pour la premiĂšre fois, en stage au cours de mes Ă©tudes dâinfirmier, dans un service de chirurgie orthopĂ©dique dans la banlieue ouest parisienne, dans une ville de banlieue plus favorisĂ©e que celle dans laquelle jâavais grandi, jâavais rencontrĂ© un patient transexuel. Un homme dâorigine espagnol qui sâĂ©tait fait renverser par une voiture alors quâil marchait sur la route, alcoolisĂ©. Le conducteur avait pris la fuite.
Je me rappelle que cet homme tenait une sorte de boutique de vĂȘtements. Et quâau tĂ©lĂ©phone, sa sĆur lui tĂ©moignait une certaine affection.
J’avais 19 ou 20 ans, lorsqu’aprĂšs avoir assistĂ© Ă une soirĂ©e cinĂ©ma Ă Paris, consacrĂ©e au rĂ©alisateur Jean-Pierre Mocky, je m’Ă©tais retrouvĂ© comme un idiot, dans la rue. AprĂšs avoir vu les films Solo , Un Linceul n’a pas de poches et, en avant PremiĂšre, le dernier film, alors, de Jean-Pierre Mocky :
Agent Double .
Puis, dehors, j’avais regardĂ© la plus grande partie des spectateurs rentrer chez eux en voiture. Devant l’impossibilitĂ© de rentrer chez mes parents, Ă Cergy-St-Christophe. Car il n’y avait plus de RER A Ă deux heures du matin passĂ©es.
J’avais finalement Ă©tĂ© hĂ©bergĂ© par un inconnu, un homme un peu plus ĂągĂ© que moi, croisĂ© non loin du centre Pompidou vers 4 ou 5 heures du matin. Celui-ci, Ă©tudiant en Droit selon ses dires, avait pris ma dĂ©fense. Il m’avait proposĂ© de m’acheter un Kebab puis, en taxi, m’avait emmenĂ© dans son studio, dans une ville de banlieue que je ne connaissais pas. Cet homme m’avait fait des avances que j’avais dĂ©clinĂ©es.
Mon cul contre un Kebab ?
Il faut tout essayer dans la vie » m’avait conseillĂ© cet homme « mĂ»r ». Je lui avais suggĂ©rĂ© de faire l’amour avec des plantes et des animaux. J’avais lu plein d’articles sur le sujet dans TĂ©lĂ©rama . Lui, avait trouvĂ© tout cela contre nature. Et il m’avait laissĂ© partir lorsqu’Ă©tait arrivĂ©e l’heure des premiers RER.
Jâai dĂ» entendre le terme « Queer » pour la premiĂšre fois il y a un peu plus de dix ans. Aujourdâhui encore, jâaurais du mal Ă expliquer ce terme. « Queer » par ci, « Queer » par lĂ . Les activistes, les personnes engagĂ©es et/ou de mĂ©dia mais aussi les poĂštes, les artistes et les intellectuels savent que le langage, autant que le corps, est une arme.
Une arme de destruction, dâasservissement de dĂ©nigrement. Une arme dâensemencement et de revitalisation de nos vies et de nos imaginaires. Pour cette derniĂšre idĂ©e, je convoque Ă©videmment des personnalitĂ©s comme AimĂ© CĂ©saire, Frantz Fanon ou dâautres, dont je maitrise aussi mal les Ćuvres et les pensĂ©es que je ne comprends vĂ©ritablement le terme « Queer ». Et qui nâont rien Ă voir, au dĂ©part, avec quoique ce soit de « Queer » au sens oĂč lâentendent les activistes et penseurs LGBTQ+. Et, pourtant, dâun cĂŽtĂ© comme dâun autre, il sâagit toujours de sâaffranchir comme de sâextraire du colonialisme, dâun certain conditionnement mais aussi des effets de toute forme dâesclavage et dâasservissement personnel, historique, culturel, social, Ă©conomique, politique et corporel.
Au cours dâun dĂ©bat auquel jâassistais, lors dâun festival de cinĂ©ma LGBTQ+, jâavais entendu un spectateur dire du rĂ©alisateur François Ozon ( qui a sans doute aussi Ă©tĂ© interviewĂ© par TĂ©lĂ©rama ou qui le sera un jour en tant que « lâun des cinĂ©astes les plus brillants de sa gĂ©nĂ©ration » ) :
« Il fait un cinéma Queer ». Ou « Il est Queer ».
Au cinĂ©ma, jâai vu un certain nombre des films de François Ozon, ses premiers films en particulier. Et, cela a Ă©tĂ© un peu pareil avec lâacteur et rĂ©alisateur Xavier Dolan jusquâĂ Laurence Anyways (rĂ©alisĂ© en 2012). Deux rĂ©alisateurs ouvertement homosexuels. Pourtant, en allant voir leurs films, que jâai aimĂ©s voir, je ne me suis jamais dit que je regardais un film, un monde ou un mode de vie « Queer ».
De la mĂȘme façon que je ne me suis pas dit, je crois, quâils essayaient, au travers de leurs films, de dĂ©construire (un verbe que jâai dĂ©couvert sans doute Ă peu prĂšs au mĂȘme moment que lorsque jâavais fait la connaissance du terme « Queer ») certaines conceptions de « genre », certaines « identitĂ©s » imposĂ©es par le monde hĂ©tĂ©ro-normĂ©, patriarcal, occidental, capitaliste et blanc encore dominant dans le Monde.
Peut-ĂȘtre que tout ce programme de dĂ©construction mentale et « civilisationnelle » nâest pas le leur, tout simplement. Que tout ce quâils veulent, eux, Ozon et Dolan, câest dâabord exister en tant que personnes et artistes et faire des films.
Eileen Myles a sûrement dû voir plusieurs des films de François Ozon et de Xavier Dolan. Jeudi dernier, le premier extrait de film choisi pour sa conférence a été un passage du film⊠Les 400 coups de François Truffaut.
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Lorsque Les 400 coups de François Truffaut sort en 1959, Eileen Myles, nĂ©e en 1949, a dix ans. Nous regardons lâextrait. Nous voyons Jean-Pierre LĂ©aud, alors enfant, courir Ă petits pas, vers la plage. Jâai souvent entendu parler de ce film comme Ă©tant un grand classique Ă voir. Je connais bien-sĂ»r de nom François Truffaut et ai vu un ou deux de ses films dont La femme dâĂ cĂŽtĂ© (1981) et Domicile conjugal (1970), deux films vus plusieurs annĂ©es plus tard Ă la tĂ©lĂ©, que jâavais beaucoup aimĂ©s. Mais je nâai jamais vu et nâai jamais eu envie de voir Les 400 coups.
En citant Truffaut, Eileen Myles, pour moi, fait partie de toutes ces personnes Ă©trangĂšres, souvent engagĂ©es, qui, rĂ©guliĂšrement, dans les Ćuvres françaises, citent des classiques comme Truffaut. Un peu plus tard, je crois aussi quâelle citera Proust. Mais je nâen suis plus trĂšs sĂ»r.
Ce dont je me souviens par contre, câest quâen voyant Les 400 coups de Truffaut, Eileen Myles sâĂ©tait demandĂ©e sâil existait un Ă©quivalent fĂ©minin. Puisque Truffaut, aprĂšs Les 400 coups suivra lâĂ©volution du personnage dâAntoine Doinel, depuis son enfance jusquâĂ lâĂąge adulte. Et, de lĂ est venu le projet dâEileen Myles de concevoir un Ă©quivalent fĂ©minin Ă Antoine Doinel. Puis, elle sâest demandĂ©e comment sây prendre pour raconter ça par Ă©crit. Et, elle sâest aperçue quâelle pourrait Ă©crire comme on raconte un film.
Lâenfance dâEileen Myles semble avoir Ă©tĂ© une enfance oĂč lâĂ©ducation artistique et culturelle a Ă©tĂ© prĂ©sente et consistante. Je suis Ă©tonnĂ© par la facilitĂ© avec laquelle, Eileen Myles, comme Maggie Nelson ensuite, peut se dĂ©clarer poĂ©tesse. Moi, plus jeune, j’ai bien essayĂ©. Mais comme cela ne m’a jamais permis de gagner ma vie convenablement, j’ai rapidement arrĂȘtĂ©. Ces derniers temps, je me suis mĂȘme fait la remarque qu’Ă force de coller aussi prĂšs au quotidien depuis des annĂ©es, tant dans mon mĂ©tier que dans mes articles ou dans ma vie de pĂšre et de conjoint peut-ĂȘtre, que je m’Ă©tais beaucoup Ă©loignĂ© voire Ă©tais peut-ĂȘtre devenu incapable ou infirme. Infirme d’exprimer mon imaginaire comme auparavant.
Eileen Myles, Ă plusieurs reprises, nous a parlĂ© de lâimportance de son pĂšre, dĂ©cĂ©dĂ© lorsquâelle Ă©tait encore jeune, quâelle perçoit a posteriori comme ayant Ă©tĂ© une personne « Queer ». Elle a rĂ©pĂ©tĂ© plusieurs fois que son pĂšre Ă©tait « Queer ». Il se travestissait en femme.
CâĂ©tait aussi un pĂšre alcoolique mais qui avait le chic, chaque fois quâelle manifestait un intĂ©rĂȘt pour un sujet donnĂ©, dâapparaĂźtre avec un ouvrage ou deux en rapport avec ce sujet, de le(s) lui remettre. Puis, de disparaĂźtre.
Dâautres extraits de films ont Ă©tĂ© montrĂ©s lors de la confĂ©rence. Un, montrant un milieu lesbien underground aujourdâhui disparu, dans les annĂ©es 70. Un autre au cours duquel, dans un film, sâinspirant des Ă©crits dâEileen Myles, une femme souhaite que se prĂ©sente aux Ă©lections PrĂ©sidentielles une personne ayant tous les handicaps possibles :
HIV +, transgenre, chĂŽmeure /chĂŽmeuse, atteint( e) dâune maladie incurable, homosexuel( le), noir ( e), grosseâŠ.
Le public, dans la salle, Ă©tait constituĂ© dâune bonne centaine de personnes, sans doute assez familiĂšres avec lâĆuvre, les engagements et/ou la personnalitĂ© dâEileen Myles. Jâai comptĂ© deux ou trois personnes noires dans la salle en mâincluant dans le recensement. Pour la rĂ©partition hommes/femmes au sein du public, je ne saurais pas dire. Peut-ĂȘtre une lĂ©gĂšre prĂ©valence fĂ©minine. Mais ce nâest pas sĂ»r.
Par contre, la journaliste qui interviewait Eileen Myles Ă©tait une femme. La traductrice Ă©tait une femme.
La plupart des spectateurs ou spectatrices qui ont posĂ© des questions Ă Eileen Myles Ă©taient soit anglophones soit trĂšs Ă lâaise avec la langue anglaise ou amĂ©ricaine.
Jâai notĂ© en tout cas quâune bonne partie du public Ă©tait particuliĂšrement au fait avec la langue natale dâEileen Myles. Puisquâil a Ă©tĂ© capable Ă plusieurs reprises – contrairement Ă moi- de rire de ses blagues immĂ©diatement sans avoir Ă en passer par leur traduction diffĂ©rĂ©e.
Sâil y avait bien quelques personnes dĂ©passant la quarantaine dâannĂ©es dans la salle, jâai trouvĂ© le public plutĂŽt jeune dans sa majoritĂ©. Autour des 30 ans. Ce qui atteste, pour moi, dâune certaine conscience plus visible ou plus affirmĂ©e, mais aussi plus « facile », Ă propos des questions de genre comparativement Ă il y a, disons, une vingtaine dâannĂ©es.
Je nâai pas reconnu ou pas vu de « jeune » que je suis susceptible de croiser ou dâavoir croisĂ© dans un des services de pĂ©dopsychiatrie oĂč jâai pu travailler et qui sont prĂ©occupĂ©s (comme beaucoup dâadolescentes et dâadolescents) par leur identitĂ© et/ou par leur genre ou qui lâaffirment dâune certaine façon :
En se rĂ©clamant dâun sexe ou dâun genre opposĂ© Ă celui qui leur a Ă©tĂ© assignĂ© Ă leur naissance. En ayant une relation sentimentale homosexuelle.
Pour ma part, je peine encore Ă assimiler le fait quâaujourdâhui, je devrais davantage, selon les milieux, afin dâĂ©viter dâĂȘtre perçu comme homophobe ou transphobe, me prĂ©senter comme une personne « cisgenre ». Afin de ne pas heurter une personne faisant partie dâun genre minoritaire. Mais jâai du mal avec cette obsession qui consiste Ă se dĂ©finir par un vocabulaire obligĂ©. Comme si câĂ©tait une obligation de tendre notre genre ou nos Ă©ventuelles prĂ©fĂ©rences lorsque lâon se prĂ©sente Ă quelquâun :
« Je mâappelle Franck, je suis diabĂ©tique insulino-dĂ©pendant, hypertendu, farceur, cancĂ©reux en phase terminale, je chausse du 34, je suis abonnĂ© Ă TĂ©lĂ©rama, je fais du Cross fit. Jâadore les films de Emmanuel Mouret, le nouveau Rohmer. Jâai plein de posters XXL de lâactrice LĂ©a Seydoux dans ma chambre. Et je travaille Ă la bourse. Et toi ? ».
Mais il est vrai que nous portons souvent des masques dans notre vie sociale. Et que certains de ces masques permettent Ă la fois des crimes (Ă lâimage du Ku Klux Klan) mais aussi bien des mensonges.
Lorsque je regarde la photo dâEileen Myles sur lâĂ©cran gĂ©ant, jâai lâimpression de voir un Ă©quivalent fĂ©minin dâIggy Pop. Pour moi, Eileen Myles est une sorte de Punk. Un Punk Ă visage et Ă allure masculine qui est une femme. MĂȘme si je me demande un peu si elle sâest faite opĂ©rer, je ne me le demande pas plus que ça.
Enfant, Eileen Myles avait rencontrĂ© un couple de femmes butch auquel ses parents avaient louĂ© une partie leur maison. Lors de la confĂ©rence, Eileen Myles raconte que ce couple lesbien sâĂ©tait vite avĂ©rĂ© ĂȘtre un couple de locataires problĂ©matiques, alcoolique, je crois, se disputant souvent, et, qui plus est, trĂšs mauvaises artistes peintres. Soit une erreur de casting que la mĂšre dâEileen Myles avait trĂšs vite regrettĂ©. De son cĂŽtĂ©, Eileen Myles, elle, ne sâĂ©tait pas sentie inspirĂ©e par ce modĂšle de femmesâŠ.
Plusieurs jours aprĂšs cette confĂ©rence, sur internet, jâai cherchĂ© et trouvĂ© quelques photos dâEileen Myles, plus jeune. Si je lâai trouvĂ©e belle, je lui ai aussi trouvĂ© un certain cĂŽtĂ© garçon manquĂ©. Ce qui, pour moi, veut dire « Butch ». Jâai bien Ă©crit « Butch ». Et non « Bitch ».
Eileen Myles nous a lu un extrait de son livre, Chelsea Girls . Sans doute parce-que je nâai pas suffisamment compris ce quâelle disait, cela ne mâa pas donnĂ© envie dâacheter son livre. Mais dans la salle, le public lâa Ă©coutĂ©e de façon recueillie.
A la fin de la confĂ©rence, Eileen Myles nous a dit sa certitude que le patriarcat Ă©tait en train de mourir. Quâil sâagissait de savoir si « nous » allions mourir avant lui ou sâil allait mourir dâabord. Mais quâelle Ă©tait confiante quant au fait quâil nâen nâavait plus pour longtemps. Aujourdâhui, je me peux mâempĂȘcher de penser que câest aussi ce que dit une personnalitĂ© comme Pablo Servigne, un des collapsologues les plus connus en France, et aussi sans doute critiquĂ© pour cela car il la ramĂšne trop avec ses propos de fin du monde. Lorsquâil explique et rĂ©pĂšte que nous sommes des « droguĂ©s du pĂ©trole », que notre systĂšme de vie Ă©conomique et de sociĂ©tĂ©, tel quâil est, est en train de sâeffondrer et que nous ne sommes plus dans lâĂšre dans « de la sobriĂ©tĂ© » mais dĂ©jĂ dans celle qui nous rapproche du « sevrage ».
Touhfat Mouhtare, Maggie Nelson, Rebecca Zlotowski, Zahia Dehar, Pablo Servigne, Peaux noires, masques blancs ( ou dâautres de ses oeuvrs) de Frantz Fanon, AimĂ© CĂ©saire, il est Ă©tonnant quâEileen Myles, aussi portĂ©e sur certains excĂšs dâalcool en particulier, ait quelques rapports, directs ou indirects, avec ces quelques « personnes », dĂ©cĂ©dĂ©es ou vivantes, et que certaines de ses rĂ©flexions et de ses expĂ©riences rejoignent les rĂ©flexions, les expĂ©riences mais aussi les Ćuvres de certaines de ces premiĂšres personnes citĂ©es.
Mais câest pourtant de cette façon-lĂ que, souvent, notre vie se dĂ©roule. Car celle-ci est multipistes. Je me devais donc de me rendre Ă cette confĂ©rence dâEileen Myles puis dâessayer dâen rendre compte. MĂȘme si, sans aucun doute, cet article comporte dĂ©ja beaucoup dâerreurs, beaucoup de conneries et beaucoup de hors sujets.
Franck Unimon, ce vendredi 23 septembre 2022.