La Cour des Miracles un film de Carine May et Hakim Zouhani
Au travers de certains films, on peut quelques fois voir dans le cinéma comme dans le ciel ou la terre, ce qui pousse tous les jours autour de nous.
J’ai vu trois films au cinéma hier et aujourd’hui. Cela ne m’est pas beaucoup arrivé depuis que je suis devenu père de voir trois films en un jour et demi. Le premier film a été La Cour des Miracles de Carine May et Hakim Zouhani. Je me devais d’aller le voir.
Le premier miracle de Carine May et de Hakim Zouhani, derrière celui de leur premier passage au long métrage après plusieurs courts et moyens métrages, tels que La Rue des Cités, La Virée A Paname et Molii , est d’avoir pu faire une réserve de leur comédie.
L’acteur Gilbert Melki.
La banlieue parisienne, en Seine Saint Denis, l’inégalité des expériences et des chances malgré les atouts dont on dispose et la vitrine de la réussite parisienne géographiquement proche mais historiquement et économiquement éloignée sont quelques uns des thèmes abordés dans les films de Carine May et de Hakim Zouhani. Devant leur film, on peut -aussi- penser au documentaire La Cour de Babel réalisé en 2013 par Julie Bertuccelli.
Quand Kielowski, dans les années 90, avait réalisé sa trilogie Trois couleurs Bleu, Blanc et Rouge, il ne nous parlait ni de banlieue ni d’école publique mais de certaines épreuves morales. Après avoir vécu ces épreuves morales, et en avoir fait le deuil, on pouvait encore rêver. Devant La Cour des Miracles, c’est beaucoup plus difficile. Je me dis que la Man Tine du début du 20ème siècle de Rue Cases Nègres (l’œuvre de Joseph Zobel adaptée en 1983 par Euzhan Palcy) avait plus d’espoir pour son petit José que nous ne pouvons en avoir pour l’avenir des enfants de l’école Prévert de La Cour des Miracles.
Les actrices Anaïde Rozam ( Marion, l’idéaliste) et Rachida Brakni ( Zahia, la directrice de l’école Jacques Prévert).
A ces sujets, proches de la chanson It noh funny de LKJ dans les années 80, on pourrait préférer regarder un nouveau combat de MMA, une nouvelle dystopie ou écouter un titre de Dua Lipa. Cependant, Carine May et Hakim Zouhani parviennent à nous tirer vers leur optimisme.
« Ce n’est pas contre vous. Vous, vous défendez votre école et, moi, je défends mon enfant ! » dira Mme Nedjar, un des principaux personnages antagonistes du film ( interprété avec délice par l’écrivaine Faïza Guène ) la mère d’un des enfants scolarisés à l’école Prévert à sa directrice, Zahia, interprétée par Rachida Brakni.
Carine May et Hakim Zouhani, eux, défendent leur vision- féministe et égalitaire- du monde comme leur usage du cinéma. Ils nous montrent des visages et un univers que nous voyons encore assez peu sur grand écran. La banlieue qu’ils filment (Paris, pour changer, n’y est jamais montrée) n’est ni une expo de racailles ni une fontaine de crackeux. Leur casting est aussi à l’image de la mixité sociale à laquelle ils aspirent. Puisqu’il est composé de Rachida Brakni et de Gilbert Melki, des acteurs rapidement identifiables, pour leur carrière ou pour certains de leurs rôles « sociétaux » (Brakni dans Neuilly, sa mère) et d’acteurs et de personnalités vus et entendus ailleurs tels que Faïza Guène, donc, mais aussi Disiz, Steve Tientcheu ou Mourad Boudaoud. La photo de l’affiche de leur film ressemble à ces photos de classe d’il y a « longtemps » dans les écoles publiques, d’il y a trente ou quarante ans.
Les acteurs Anaïs Rozam, Disiz et Mourad Boudaoud.
Marmottan, le service d’accueil et d’hospitalisation spécialisé dans le traitement des addictions, situé dans le 17 ème arrondissement de Paris, rue Armaillé, près des Champs Elysées, a longtemps fait partie, pour moi, de ces services connus pour eux-mêmes. Porteurs d’un nom et d’une identité qui se suffisent à eux-mêmes pour parler d’eux. Un peu comme cela a pu être le cas pour Miles, qui reste mon musicien préféré, même plus de trente années après sa mort. Même après avoir, depuis, aimé découvrir et écouter d’autres artistes. Tout est fonction de la période de notre vie au cours de laquelle on a effectué certaines rencontres et du tournant que, pour nous, ces rencontres ont permis.
Je sais que Miles avait été un temps héroïnomane et alcoolique. « Comme » d’autres artistes de son époque, avant ou après lui. Et, pour moi, Miles et Marmottan étaient néanmoins deux bras et deux endroits bien distincts, l’un de l’autre. Puisque Miles, lui, officiellement, s’en était sorti.
Le service Marmottan, placé près du musée Marmottan (qui, a priori, ne lui est pas apparenté), faisait de toute façon partie, pour moi, de ces éclats de la Santé mentale. J’en avais entendu parler, moi le jeune infirmier diplômé d’Etat qui, malgré ma culpabilité dans le fait d’abandonner la souveraineté technique des services de médecine et de chirurgie, avait choisi, finalement, de venir travailler en psychiatrie adulte.
J’avais sûrement entendu parler de Marmottan par des collègues, infirmiers diplômés en soins psychiatriques, plus âgés et plus expérimentés que moi.
Comme j’avais aussi entendu parler, par eux, du CPOA, des quatre UMD (Unités pour malades difficiles) qui existaient alors : Cadillac, Sarreguemines, Mont Favet, Carhaix. Mais aussi, sans doute ou peut-être, de la clinique La Borde….
Plus tard, j’entendrais parler d’éthno-psychiatrie de Tobie Nathan et de Devereux, de pédopsychiatrie, d’unités mères-bébé, d’Anzieu et d’autres. Avant de découvrir des lieux et des personnes, ce sont souvent, d’abord, des noms.
Et puis, j’avais d’abord à apprendre à me débourrer de certaines pensées, de certaines croyances et certitudes mais aussi de certaines ignorances. Et, pour cela, le premier service d’hospitalisation en psychiatrie adulte où je commençais à apprendre un peu plus à devenir adulte à Pontoise fut un grand bienfait.
Et un mal.
Car la psychiatrie institutionnelle, selon les époques, les tournants, les orientations et les équipes peut à la fois construire mais aussi enfermer. Et, on peut aussi aimer s’enfermer si cela nous protège et nous rassure. Même si on s’en plaint peu à peu.
D’autant que, plus jeune, même si l’on est supposé avoir la vie devant soi et que l’on aime la littérature de Romain Gary, on est aussi très myope, très étroit d’esprit et on peut manquer de curiosité. Ou on peut être très ou trop inquiet à l’idée de devoir changer de vie, de s’éloigner de ce que l’on connaît. On se laisse donc envelopper et étreindre par les contours des cercles qui nous ressemblent et qui nous permettent d’entrer, ou de stagner, entre amis ou connaissances, dans un monde d’adultes qui nous rassure. Sans prendre trop de risques. Ou seulement ceux qui nous apparaissent connus et mesurés. On peut avoir déjà tellement peur du monde et de la vie adulte que l’on ne va pas en rajouter avec certaines de ces substances dont on avait entendu parler ou commencé à côtoyer, un peu, à partir de l’adolescence :
Le cannabis, principalement, un peu l’héroïne. Le tabac et l’alcool ayant des statuts soit plus acceptables soit plus familiers. Et puis, si l’overdose puis la transmission du VIH pouvaient faire peur pour leur possible immédiateté, entre 12 et 20 ans et encore après, on ne pensait pas nécessairement au cancer ou à la cirrhose du foie tandis que d’autres fumaient devant nous ou se prenaient des cuites, terminant leurs soirées à quatre pattes tels des lévriers en fin de course près d’un évier ou les deux pattes surélevées au dessus d’une cuvette des toilettes pour ne pas sombrer dans ce que l’on y rejetait.
Lorsque l’on entre dans l’âge adulte, on est, alors, dans la force de l’âge. Sexuellement, physiquement, socialement, intellectuellement. Aussi, peut-on, doit-on même, se permettre quelques petits excès. Car ensuite, il sera trop tard. Et puis, si on ne peut pas un peu s’amuser…
A Marmottan, lors du week-end portes ouvertes le 3 et 4 décembre 2021.
Le service Marmottan est sans doute resté longtemps « loin » de moi, physiquement et psychologiquement, parce-que, de cette manière, sans doute, je restais à une distance prudente – et mesurée- de l’aiguille de certaines de mes peurs et inquiétudes. Car géographiquement, toutes les fois où je me suis rendu sur les Champs Elysées, pour aller au cinéma ou au Virgin Mégastore, où même lorsque j’étais allé à la Fnac lorsqu’elle se trouvait avenue de Wagram, je n’étais pas très loin de Marmottan.
Mais, aussi, à aucun moment, je ne fis le rapprochement entre ce Francis Curtet que ma prof principale de 3ème nous avait un jour proposé de rencontrer dans notre collège Evariste Galois de Nanterre, en 1982 ou 1983…et Marmottan.
En décembre dernier, en 2021, j’ai pu faire le rapprochement entre Francis Curtet et Marmottan.
En décembre dernier, Marmottan a fêté ses cinquante ans à la salle de concerts de la Cigale. Entre-temps, des années avaient passé. Et j’avais appris, depuis, où se trouvait Marmottan dans Paris. J’y avais effectué quelques remplacements et j’y avais même postulé afin d’y travailler.
C’était la première fois que je me rendais au cinquantenaire d’un service. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que le choix d’une salle de concert avait été fait aussi pour bien fêter cet événement historique. Car j’appris lors du cinquantenaire que lors de la création et de l’ouverture de Marmottan, en 1971, que Claude Olievenstein, son premier médecin chef -qui fut novateur dans le traitement des addictions – pensait que le service aurait une existence brève.
Lorsque j’écris maintenant qu’en ouvrant Marmottan, Claude Olievenstein et ceux qui furent alors à ses côtés, furent novateurs dans le traitement des addictions, cela peut être abstrait pour beaucoup de personnes. Car, d’abord, qu’est-ce qu’une addiction ?
Il faudrait déjà commencer par le savoir.
Pour ma part, je préfère sourire lorsque je repense au fait que, très sûr de moi, il y a environ trois ou quatre ans maintenant, j’avais répondu à Mario Blaise (déja médecin chef de Marmottan) qui venait de me demander si j’avais des addictions :
« Non ! Je n’ai pas d’addiction ! ».
J’aurais pu répondre « Pas de ça entre nous ! » que cela aurait été pareil.
Mais j’ai un autre exemple de cet esprit novateur de Marmottan. J’aime lire de temps à autre la très bonne revue bimestrielle, assez peu connue finalement, Sport & Vie. Dans le dernier numéro de Sport & Vie, le numéro 194 de Septembre/Octobre 2022 l’article intitulé L’amour chimique nous parle de « Chemsex ». Dans cet article, selon moi très bien rédigé, le rédacteur, Olivier Soichot, précise dans un passage :
« (….) Dans le livre de Jean-Luc Romero-Michel, plusieurs phénomènes se télescopent douloureusement. Notamment la méconnaissance presque totale qui caractérise encore le chemsex en France. Avant le décès de son mari, l’auteur lui-même confesse qu’il en avait vaguement entendu parler mais sans se douter une seconde que son compagnon y avait recours ».
L’article de la revue Sport & Vie consacré au chemsex.
Peut-être qu’un certain nombre des lectrices et lecteurs de Sport & Vie, pour celles et ceux qui connaissent ce bimestriel, ou que plusieurs lectrices et lecteurs de mon article, découvriront en cet automne 2022 ce qu’est le chemsex.
De mon côté, cela fait désormais deux ou trois ans que j’ai découvert l’existence du chemsex. Lors de mes remplacements à Marmottan. A Marmottan, plus que dans un service de psychiatrie ou de pédopsychiatrie, je trouve, les patients informent les soignants de certaines de leurs pratiques. C’est aussi de cette façon que l’on peut apprendre son métier en tant que soignant et en tant qu’accompagnateur. Et, ensuite, mieux aider celles et ceux dont on « s’occupe ». Cet échange de Savoirs contribue à instaurer plus facilement une relationde confiance mais aussi une certaine égalité entre le patient et le soignant.
Dans un service de psychiatrie ou de pédopsychiatrie, une relation de confiance avec le patient ( ou le client ) est aussi nécessaire et recherchée. Mais elle diffère de celle qui peut se développer à Marmottan. Sans pour autant idéaliser la relation patient/soignant, usager/soignant ou client/soignant à Marmottan ( j’ai oublié le vocabulaire exact employé à Marmottan ). Car il existe des ratés à Marmottan. Et, aider à la cure d’une addiction peut être très long.
Mais j’ai l’impression que l’échange des Savoirs entre patients et soignants, en psychiatrie et en pédopsychiatrie, à moins de faire partie d’une association permettant ces échanges, est davantage asymétrique qu’à Marmottan.
A Marmottan, lors du week-end portes ouvertes, le samedi 4 décembre 2021.
Cela peut aussi peut-être s’expliquer par le fait que les personnes addict sont actives lorsqu’elles ont des conduites à risques. Tant pour prendre des substances que pour certains comportements. De ce fait, les personnes addict acquièrent certaines compétences pharmaceutiques ou médicales. Une ancienne collègue infirmière qui avait travaillé plusieurs années à Marmottan m’avait ainsi appris :
« Ce sont les patients qui m’ont appris à faire des prises de sang… ».
Ici, on se doute que les patients en question, à force de se chercher régulièrement une veine pour se piquer en intraveineuse avaient développé une dextérité hors du commun dépassant de loin celle de bien des infirmier ( es).
En comparaison, en psychiatrie adulte ou en pédopsychiatrie, lorsqu’il m’est arrivé de faire des prises de sang, je n’ai aucun souvenir de patient m’indiquant où le piquer ou comment m’y prendre si j’avais du mal à lui faire son prélèvement sanguin.
Mais pour revenir au contexte de l’ouverture de Marmottan, 1971, Le début des années 70, c’est la présidence de Georges Pompidou. Jimi Hendrix, Janis Joplin et Jim Morrisson sont morts d’overdose récemment. Et, Georges Pompidou, qui va bientôt mourir aussi, n’y est pour rien.
Aujourd’hui, seulement, je fais un peu le rapprochement entre l’année d’ouverture de Marmottan et les décès rapprochés de célébrités comme Hendrix, Joplin et Morrisson.
Auparavant, lorsque je pensais à Marmottan les premiers temps, je ne le faisais pas. Puisque, d’ailleurs, j’ignorais la date exacte de création et d’ouverture de Marmottan. Marmottan était déjà « là » lorsque j’ai commencé à travailler en psychiatrie au début des années 90. Et Hendrix, Joplin et Morrisson étaient pour moi des noms et des expériences musicales imprécises.
Cependant, en décembre 2021, je fais un autre rapprochement. C’est une intuition. A Marmottan, tout acte et tout propos raciste et homophobe de la part d’un patient vaut exclusion du service. Mais aussi tout acte de violence.
C’est la première fois, dans un service, que j’ai pu voir afficher aussi explicitement de tels interdits ou de telles limites. Dans tous les autres services où j’ai pu travailler, en psychiatrie adulte, en pédopsychiatrie ou même en soins généraux, ces agissements et ces propos (racistes, homophobes, actes de violence) font plutôt partie du métier. Au point que certaines de ces caractéristiques (risques de violence contre autrui, risques de troubles musculo-squelettiques….) peuvent même être stipulées dans les profils de poste de certaines offres d’emploi.
A Marmottan, le refus de ces comportements et de ces propos renseigne quant au fait que ses services d’hospitalisation et d’accueil s’adressent ou peuvent s’adresser à toutes sortes de publics. Dès lors qu’ils ont des problèmes d’addiction et qu’ils sont estimés suffisamment volontaires, coopérants, et encore assez valides physiquement, pour ne pas nécessiter des soins d’urgence ou de réanimation médicale, sauf exception.
Car il existe des services d’addictologie où des patients sont perfusés par exemple.
Pas à Marmottan.
L’un des principes du service d’hospitalisation de Marmottan (là où j’ai fait mes quelques remplacements) est l’hospitalisation libre, mais avec le principe et le contrat moral, que, durant son hospitalisation, de trois semaines en moyenne, le patient ne sortira pas du service et n’aura aucun contact direct avec l’extérieur. Il n’aura donc pas accès à son téléphone portable ou à son ordinateur ou à sa tablette. A la place, il bénéficiera de la disponibilité du personnel, mais aussi de celles d’autres patients, par le biais d’entretiens, de médiations et de moments passés ensemble. Que ce soit lors de la prise des médicaments ou lors des repas, du petit déjeuner au dîner. Ou, en regardant la télé. Ou, en discutant dans la salle « de thé ». Et l’on parle vraiment de thé ou de café et de quelques gâteaux , de goûters ou d’eau.
Et puis, en décembre 2021, « connaissant » un petit peu la culture engagée et militante de Marmottan, je me suis dit que la salle de concert de la Cigale, pour fêter ce cinquantenaire, était sans doute un hommage aux victimes des attentats terroristes de Novembre 2015, Bataclan, inclus.
Je n’ai pas (encore) demandé confirmation. C’est une intuition. Par contre, j’ai observé, à nouveau, ce jour-là, l’engagement des personnels de Marmottan. Passés et présents. Je le répète :
Je n’ai pas, à ce jour, connu d’équivalent en matière de commémoration de l’existence d’un service de santé mentale. Ou, alors, je ne peux comparer cette commémoration qu’avec celle des cinquante ans d’un groupe de musique, donc, dans le domaine artistique :
Pour moi, ce sera le groupe Kassav’. Puisque j’étais présent au concert de leur cinquantenaire à la Défense Arena. Avant le décès de Jacob Desvarieux.
Mais je ne serais pas surpris qu’à Marmottan, musicalement, l’esprit soit plus Rock ou Punk que Zouk. Du reste, le lendemain, et le surlendemain de cette journée à la Cigale, lors d’une des deux journées portes ouvertes de Marmottan, il y aura une exposition de pochettes de disques du médecin chef depuis quelques années de Marmottan, Mario Blaise. Une exposition très bien intitulée « A vos disques et périls » où il sera possible de voir établie une certaine valorisation des addictions avec substances.
A Marmottan, lors du week-end portes ouvertes du 4 et 5 décembre 2021.
Et, si mes souvenirs sont exacts, aucune pochette de disque de Zouk ne figurait sur les murs de la pièce. Au contraire de pochettes de disque ayant plutôt trait au Rock. Même si je me souviens d’une pochette d’un disque de U-Roy, chanteur de Reggae qui venait de décéder récemment.
Il y avait donc, plutôt, à mon sens, une certaine vitalité Rock, ou punk, dans la tenue de ce cinquantenaire. Voire, free Jazz. Car il m’a semblé qu’à Marmottan, que, même si une certaine ligne de conduite était nécessaire, qu’il importait, aussi, de savoir et de pouvoir improviser entre les lignes. Et de tenir sa partition. Avec les autres.
Cinquante ans plus tard, on peut dire que Marmottan a fait bien plus que tenir. J’ai vu dans cette salle de la Cigale des personnels de Marmottan qui y avaient travaillé et qui sont revenus pour l’occasion. Certains à la retraite. Je pense à l’un d’entre eux, en particulier, un infirmier à la retraite depuis les années 2010 qui m’a répondu avoir travaillé à Marmottan pendant une bonne vingtaine d’années. Il était aux côtés d’une ancienne de Marmottan. Celle que j’avais rencontrée dans mon service précédent et qui m’avait dit que les patients lui avaient appris à faire des prises de sang.
J’ai revu des personnels de Marmottan que j’avais croisés lors de mes quelques remplacements: Aurélie Wellenstein, la documentaliste qui m’avait permis d’assister à l’événement, en charge de l’organisation de celui-ci comme des diverses formations proposées à Marmottan. Des infirmiers, médecins, accueillants, psychologues, assistantes sociales. Mais aussi des médecins ou autres intervenants qui avaient connu Olievenstein et travaillé avec lui avant de quitter Marmottan ou lui ayant succédé. Je pense, ici, à Marc Valleur qui avait succédé à Olivenstein avant que Mario Blaise, ensuite, ne lui succède en tant que médecin-chef de Marmottan.
Cela, devant une salle pleine de professionnels venant de la région parisienne ou d’ailleurs ( une psychologue assise à côté de moi venait de la région de Rennes).
Dans ces témoignages d’anciens de Marmottan, on entendait et on sentait certains de ces engagements maintenus année après année, en dépit d’une certaine adversité. Mais aussi malgré ou à cause de certains conflits internes. On percevait une observation affutée du monde et de la société qui nous entoure et qui, surtout, nous opprime. On recevait une partie de cette mémoire commune de ce qui avait pu être réussi envers et contre tout ainsi que, pour moi, une certaine forme de regret de n’avoir pas vécu cette histoire.
Il y a eu au moins quatre mots en particulier qui m’ont marqué lors de ce cinquantenaire à la Cigale. Des mots qui, pour moi, expliquent Marmottan mais aussi la raison pour laquelle Marmottan a survécu et continue d’inspirer.
Plusieurs des professionnelles et professionnels venus témoigner de leur expérience de Marmottan, sur la scène, ont raconté que lors de leur entretien d’embauche avec Olievenstein, celui-ci, avait pu plus ou moins leur/lui dire :
« Je crois que vous êtes folle. Donc, je vous embauche ».
Par « folie », bien-sûr, il fallait, ici, comprendre que ces professionnelles et professionnels qui postulaient ne se contenteraient pas d’être des petits soldats ou des exécutants de la morale bien-pensante. Et qu’ils seraient impliqués dans leur travail bien plus qu’une personne venant juste pour faire ses heures de travail et pour toucher sa paie à la fin du mois. C’est en tout cas comme ça que je l’ai décrypté.
Car, oui, la folie peut aussi aider à vivre. Et à travailler.
Le mot Plaisir a été employé par Mario Blaise, le médecin chef actuel de Marmottan. Par ce mot, le principe est d’éviter de juger le mode de vie des uns et des autres. Ou ce qu’ils sont. Dès lors qu’ils n’agressent pas leur entourage.
Un autre mot m’a, d’un seul coup, fait comprendre la raison pour laquelle, Marmottan est un service à part. Et que c’est pour cela que j’avais senti, quelques fois, que lorsque je m’exprimais avec mes instruments de mesure psychiatriques, que cela avait fait flop et que quelques uns de mes collègues de Marmottan m’avaient alors regardé comme si j’appartenais à une espèce insolite :
Antipsychiatrie
L’antipsychiatrie a été un courant dont j’ai pu entendre parler. Mais un peu. Comme d’une époque passée depuis longtemps. Bien avant que je ne commence à venir travailler en psychiatrie au début des années 90. Encore, qu’à cette époque, la psychiatrie n’avait rien à voir avec la psychiatrie actuelle en matière de moyens et de culture de pensée mais, aussi, de transmission.
Grossièrement, aujourd’hui, je dirais que la psychiatrie telle qu’elle a pu être argumentée par Frantz Fanon, lors de la guerre d’Algérie, avait à voir avec l’antipsychiatrie. Il s’agissait alors de libérer les individus, ou de contribuer à les aider à se sortir de leur asservissement. A Marmottan, pour commencer, il s’agit d’essayer d’aider des personnes à se sortir de leur asservissement à certaines pratiques lorsque celles-ci sont devenues dangereuses pour leur santé. Cet asservissement a une histoire. La rencontre avec cette pratique s’est faite à un moment particulier de leur histoire.
Le mode relationnel que j’ai pu « voir » à Marmottan entre patients et soignants était différent de celui que j’avais pu connaître ailleurs. On n’était pas, on n’est ni potes, ni amis. Cependant, la distance entre le soignant et le patient est différente comparativement à ce que j’ai pu connaître dans d’autres services de psychiatrie et de pédopsychiatrie. Et, je ne parle pas, ici, de l’absence de la blouse pour le soignant. Car j’avais déjà connu l’expérience de l’absence de blouse en tant qu’infirmier.
Mais la façon de parler du traitement à Marmottan avec le patient, de l’accompagner comme on dit, est différente. Peut-être que cela se faisait aussi un peu de cette façon dans la psychiatrie des années 60 et 70. Lorsque la société était différente ? Et que certains nouveaux neuroleptiques permettaient à certains patients d’aller mieux ?
Mais on ne parle pas des mêmes publics de patients. J’ai croisé assez peu de patients psychotiques lors de mes quelques remplacements dans le service d’hospitalisation de Marmottan. Et, on ne s’adresse pas de la même façon à une personne non-psychotique même si celle-ci répète des comportements extrêmes du fait de ses addictions.
Un autre mot, depuis décembre, revient par intermittences, lorsque je repense à ce cinquantenaire de Marmottan. Et, cela, d’autant plus que je n’ai pas vu le visage ni le corps de son locuteur, apparu soudainement hors-champ, à aucun moment présent sur la scène puis disparu aussi rapidement.
Et pourtant, cet homme était bien conscient de l’histoire de Marmottan comme porteur d’une partie de sa mémoire. Le fait que cet homme, qui devait avoir dans les 70 ans, ait un accent antillais, a certainement eu sur moi un effet particulier. Celui d’un certain réveil de mes origines antillaises. Peut-être, mais je n’en suis pas sûr, que ce mot sur lequel il a insisté m’a autant parlé parce-que, dedans, j’ai entendu du Gro-Ka, cette musique traditionnelle, très lointaine, rattachée à la mémoire de soi, à la permanence d’une certaine vitalité malgré les trajectoires et qui a besoin de ça pour exister :
La Ferveur( en cliquant sur le lien à gauche, une vidéo apparaît).
Eileen Myles au Cinéma MK2 Bibliothèque ce jeudi 15 septembre 2022
Premier jour d’automne, ce vendredi 23 septembre. Je terminais mon petit-déjeuner ce matin lorsque j’ai commencé à penser à un article sur la conférence d’Eileen Myles la semaine dernière. Voici comment un certain nombre d’articles part dans ma tête. Ensuite, je décide de les suivre. Si j’estime avoir suffisamment de temps et de mots. Si j’ai suffisamment d’envie pour eux. Les mots sont ce qui contient l’incendie de mon esprit et pour les trouver, il faut que j’aie envie d’eux. Que je sois volontaire pour leur courir après afin de les rassembler.
J’ai envie d’écrire cet article sur Eileen Myles, l’auteur de Chelsea Girls, « figure majeure de la culture underground et LGBT aux Etats-Unis ». Un livre paru en 1994 dans sa version originale et récemment traduit et publié, pour la première fois, en Français.
Je ne connais rien à l’univers d’Eileen Myles. Malgré ma bonne volonté, Je vais donc écrire et raconter dans cet article beaucoup de conneries réactionnaires et déverser au grand jour un certain nombre de ces jugements de valeurs dont je suis le réservoir.
Cet article, ce « coming out », n’était pas prévu. Bien des articles sont des « coming out ». Le mien sera sûrement celui de ma « beauferie ».
Initialement, ce matin, je pensais plutôt à faire le nécessaire afin d’aller voir le dernier film de Rebecca Zlototwski sorti avant hier :
Les enfants des autres.
Il y a plein d’autres films que j’aimerais aller voir bien avant celui-ci. Mais je fais de celui-ci une priorité. Même si l’interview par la journaliste Guillemette Odicino de la réalisatrice Zlotowski dans l’hebdomadaire Télérama -auquel je suis abonné depuis des années- m’a plusieurs fois fait souffler d’agacement. En lisant, une nouvelle fois, telle une condamnation à perpétuité, les termes-poncifs :
«(….) elle ( Rebecca Zlotowski) est l’une des cinéastes les plus brillantes de sa génération ».
Ou, plus loin, pour parler de l’actrice Léa Seydoux ( une actrice qui m’inspire des sentiments très contrariés au moins depuis sa polémique avec le réalisateur Abdelatif Kechiche après tourné sous sa direction La vie d’Adèle, où, pour moi, elle n’est pas la meilleure actrice du film mais aussi dans d’autres films par la suite) « irradiante de sensualité ». Léa Seydoux, « irradiante de sensualité » ? Sa première apparition- comme James Bond girl- dans le dernier James Bond avec l’acteur Daniel Craig cloue le film dans un cercueil.
Pour parler du troisième film de Zlotowski, Planétarium, la journaliste Guillemette Odicino écrit : « son film maudit, incompris, elle osait une fresque à la fois charnelle et spirituelle ».
Bien-sûr, j’ai dû comprendre que la journaliste, elle, avait compris ce film que beaucoup n’avaient pas compris. Quant à l’idée d’une « fresque à la fois charnelle et spirituelle », j’ai trouvé cette description bien cérébrale, et, à nouveau, très fuyante par rapport au corps. Dans ces relations que l’on peut avoir, quotidiennement et étroitement, avec notre propre corps. Comme cela se pratique, je trouve, dans ces milieux très intello où l’on brille beaucoup plus par les concepts, la pensée, que par l’usage que l’on peut faire et vivre de son propre corps :
Je reproche à beaucoup d’intellectuels et à beaucoup « d’acteurs » culturels dont j’espère faire le moins partie possible d’être des très grands handicapés de leur propre corps. Et, je lisais tellement ça, une fois de plus, je crois, dans cette introduction à l’interview de Rebecca Zlotowski dans Télérama.
« La chair, toujours, filmée comme une arme politique, et le questionnement sur la féminité moderne sont au cœur d’Une fille facile, son plus grand succès : en 2019, cette chronique ensoleillée enflammait la Croisette, imposant Zahia Dehar comme un corps fascinant de cinéma » poursuit la journaliste de Télérama (celui du 24 au 30 septembre 2022, le numéro 3793, page 4) toujours dans l’introduction de son interview de Zlotowski.
« enflammait la croisette » ; « comme un corps fascinant de cinéma », encore des stéréotypes de langage.
Une fille facile est le seul film que j’ai vu de Rebecca Zlotowski. Et, malgré mes réticences au départ, j’ai beaucoup aimé ce film. J’en parle d’ailleurs dans mon blog. ( Une fille facile ).
« Corps fascinant de cinéma ? ». De quoi parle la journaliste de Télérama ?!
Lorsque l’on regarde Zahia Dehar et que l’on sait « un peu », car cela avait été beaucoup médiatisé quand même !, qu’elle avait été « escort girl », on hésite très peu à trouver son corps « fascinant ». Que ce soit au cinéma ou dans la vraie vie.
Je n’ai pas oublié ce mélange d’admiration et de sentiment de privilège qu’avait pu ressentir la journaliste « star » Léa Salamé lors de sa rencontre-interview avec la belle Zahia Dehar qui avait défrayé la chronique. Cela m’avait rappelé le rôle de gigolo de Daniel Auteuil dans le film Mauvaise passe réalisé par Michel Blanc en 1999. ( Tiens, Michel Blanc est homo. Et il avait écrit le scénario avec Hanif Kureishi plutôt porté sur des sujets un peu tabous…).
Nous avons beau être des personnes responsables, présentables, très bien éduquées, bien maquillées, nous exprimer de façon hautement civilisée… nous avons aussi besoin de notre giclée de sensations « premium » en tutoyant ce qui sort du stérile et du cadre. Ça flatte le côté rebelle ou « border line » en soi. On est ainsi rassuré quant au fait que l’on est beaucoup plus grunge et beaucoup plus ouvert, plus libre et démocrate qu’on peut le laisser croire.
Zahia Dehar n’est ni le premier ni le dernier corps – ou coup- vivant de femme que le cinéma servira comme plat pour attirer un public dans une salle. Et sans doute pas le dernier non plus qui inspirera bien des fantasmes et des branlettes empathiques à certains officiels de la Croisette. Rappelons-nous qu’assez récemment, des « influenceuses », à Dubaï, ont été payées par certaines grandes fortunes afin de se faire déféquer dans la bouche.
Ce que peut inspirer un corps désiré, désirable -et aussi médiatique- découle de ce qui se passe dans la tête ( et de son Pouvoir) de celle ou de celui qui peut disposer- et comment- de ce corps désiré et désirable.
Eileen Myles, elle, c’est le contraire de tout ça. Eileen Myles fait partie de ces personnes qui ont décidé d’assurer leur corps. Mais lorsque j’écris ça, je m’aperçois que, finalement, Eileen Myles est plus proche d’une Zahia Dehar ou de certaines influenceuses qui ont décidé de se servir de leur corps pour réussir que de celles et ceux qui se résignent à être les caissières, les domestiques et les secrétaires des autres.
Pourtant, lorsque l’on met côte à côte, une Eileen Myles et une Zahia Dehar, la proximité est loin d’être marquante. Mais je crois que l’une comme l’autre a pu adopter des modes de vie réprouvés à un moment donné par l’ordre et la vertu publiques.
J’avais prévenu, dès le début de cet article, que j’allais écrire beaucoup de conneries. Et, c’est le moment, pour moi, de fournir mon mot d’excuse. Pour commencer, et c’est selon moi le principal et ce qui me pousse à écrire cet article :
Ce jeudi 15 septembre, j’aurais pu ( ou peut-être dû ) rester dans ma ville, à Argenteuil, afin d’aller rencontrer dans la librairie Presse Papier du centre ville, l’auteure Touhfat Mouhtare née en 1986 à Moroni aux Comores, pour son livre Le Feu du Milieu paru aux éditions Le bruit du monde. Aujourd’hui, Touhfat Mouhtare vit dans le Val d’Oise.
A la place, je me suis éloigné de ma ville et du Val d’Oise. Je me suis véritablement déplacé pour assister à Paris à cette conférence-interview de l’Américaine Eileen Myles. J’ai vraiment pris ces photos et filmé ces quelques moments.
J’ai entendu parler d’Eileen Myles récemment. En commençant à lire Les Argonautes ( paru en 2015) de Maggie Nelson. Une auteure de référence, au même titre qu’Eileen Myles, son aînée de plus de vingt ans, pour les personnes préoccupées par les questions du genre, de dominations, comme par les violences engendrées par le patriarcat.
J’ai du mal à avoir une lecture suivie de l’ouvrage de Maggie Nelson. J’ai bien plus de « facilités» pour lire le premier volet de La Guerre d’Algérie d’Yves Courrière.
Les Argonautes de Maggie Nelson ( née en 1973) est un récit de sa vie personnelle avec son (ex ?) compagnon, Harry, originellement née femme, père d’un jeune fils dont Maggie Nelson, en tant que belle-mère, essaie de s’occuper au mieux (on voit mieux le rapprochement avec le dernier film de Rebbeca Zlotowski ? Je ne l’ai pas fait exprès) de réflexions critiques et théoriques poussées citant Butler, Winnicott, Foucault et d’autres, mais aussi de certains moments de sa vie avant Harry comme de certaines de ses décisions en rapport avec ses engagements (ou son activisme).
La partie théorique et intellectuelle de l’ouvrage de Maggie Nelson, par moments, me coupe les neurones à défaut de me couper les jambes : je subis, par moments, des absences de compréhension. Et puis, le courant se rétablit. Dans ses Argonautes, Maggie Nelson (qui cite aussi Eileen Myles parmi ses références) établit que le mariage et l’armée comptent parmi les institutions historiques les plus répressives.
Je suis marié. J’ai pu ou peux, par moments, me sentir proche de certaines valeurs militaires. Mon attachement aux valeurs des Arts martiaux, par exemple, se rapproche quand même de l’attachement à certaines valeurs militaires. Si on les applique aveuglement ou de façon fanatique. Je fais donc ou ferais donc partie de « l’ennemi » pour des personnes comme Maggie Nelson ou Eileen Myles. D’autant qu’il est deux autres institutions, pour lesquelles je travaille, qui sont, aussi, « historiquement répressives » :
La psychiatrie et la pédopsychiatrie.
Donc, que faisais-je jeudi dernier à cette conférence-interview d’Eileen Myles comme devant ce livre de Maggie Nelson – dont je ne connaissais pas l’existence avant cet été- au lieu de lire un des articles de mon Télérama hebdomadaire ?
Nous voyons du Monde ce qui nous intéresse, ce qui nous attire l’œil ou l’attention, ce à quoi nous sommes habitués ou ce qui nous gêne ou nous dérange.
Ensuite, nous faisons plus ou moins nos choix. Nous décidons de retourner à nos occupations bien connues de nous-mêmes. Ou nous choisissons de prendre l’option qui consiste à aller nous éduquer un peu. Car le Monde est souvent plus multiple que ce que nous en savons ou en percevons à première vue.
J’avais une vingtaine d’années lorsque, pour la première fois, en stage au cours de mes études d’infirmier, dans un service de chirurgie orthopédique dans la banlieue ouest parisienne, dans une ville de banlieue plus favorisée que celle dans laquelle j’avais grandi, j’avais rencontré un patient transexuel. Un homme d’origine espagnol qui s’était fait renverser par une voiture alors qu’il marchait sur la route, alcoolisé. Le conducteur avait pris la fuite.
Je me rappelle que cet homme tenait une sorte de boutique de vêtements. Et qu’au téléphone, sa sœur lui témoignait une certaine affection.
J’avais 19 ou 20 ans, lorsqu’après avoir assisté à une soirée cinéma à Paris, consacrée au réalisateur Jean-Pierre Mocky, je m’étais retrouvé comme un idiot, dans la rue. Après avoir vu les films Solo, Un Linceul n’a pas de poches et, en avant Première, le dernier film, alors, de Jean-Pierre Mocky :
Agent Double.
Puis, dehors, j’avais regardé la plus grande partie des spectateurs rentrer chez eux en voiture. Devant l’impossibilité de rentrer chez mes parents, à Cergy-St-Christophe. Car il n’y avait plus de RER A à deux heures du matin passées.
J’avais finalement été hébergé par un inconnu, un homme un peu plus âgé que moi, croisé non loin du centre Pompidou vers 4 ou 5 heures du matin. Celui-ci, étudiant en Droit selon ses dires, avait pris ma défense. Il m’avait proposé de m’acheter un Kebab puis, en taxi, m’avait emmené dans son studio, dans une ville de banlieue que je ne connaissais pas. Cet homme m’avait fait des avances que j’avais déclinées.
Mon cul contre un Kebab ?
Il faut tout essayer dans la vie” m’avait conseillé cet homme “mûr”. Je lui avais suggéré de faire l’amour avec des plantes et des animaux. J’avais lu plein d’articles sur le sujet dans Télérama. Lui, avait trouvé tout cela contre nature. Et il m’avait laissé partir lorsqu’était arrivée l’heure des premiers RER.
J’ai dû entendre le terme « Queer » pour la première fois il y a un peu plus de dix ans. Aujourd’hui encore, j’aurais du mal à expliquer ce terme. « Queer » par ci, « Queer » par là. Les activistes, les personnes engagées et/ou de média mais aussi les poètes, les artistes et les intellectuels savent que le langage, autant que le corps, est une arme.
Une arme de destruction, d’asservissement de dénigrement. Une arme d’ensemencement et de revitalisation de nos vies et de nos imaginaires. Pour cette dernière idée, je convoque évidemment des personnalités comme Aimé Césaire, Frantz Fanon ou d’autres, dont je maitrise aussi mal les œuvres et les pensées que je ne comprends véritablement le terme « Queer ». Et qui n’ont rien à voir, au départ, avec quoique ce soit de « Queer » au sens où l’entendent les activistes et penseurs LGBTQ+. Et, pourtant, d’un côté comme d’un autre, il s’agit toujours de s’affranchir comme de s’extraire du colonialisme, d’un certain conditionnement mais aussi des effets de toute forme d’esclavage et d’asservissement personnel, historique, culturel, social, économique, politique et corporel.
Au cours d’un débat auquel j’assistais, lors d’un festival de cinéma LGBTQ+, j’avais entendu un spectateur dire du réalisateur François Ozon ( qui a sans doute aussi été interviewé par Télérama ou qui le sera un jour en tant que « l’un des cinéastes les plus brillants de sa génération » ) :
« Il fait un cinéma Queer ». Ou « Il est Queer ».
Au cinéma, j’ai vu un certain nombre des films de François Ozon, ses premiers films en particulier. Et, cela a été un peu pareil avec l’acteur et réalisateur Xavier Dolan jusqu’à Laurence Anyways (réalisé en 2012). Deux réalisateurs ouvertement homosexuels. Pourtant, en allant voir leurs films, que j’ai aimés voir, je ne me suis jamais dit que je regardais un film, un monde ou un mode de vie « Queer ».
De la même façon que je ne me suis pas dit, je crois, qu’ils essayaient, au travers de leurs films, de déconstruire(un verbe que j’ai découvert sans doute à peu près au même moment que lorsque j’avais fait la connaissance du terme « Queer ») certaines conceptions de « genre », certaines « identités » imposées par le monde hétéro-normé, patriarcal, occidental, capitaliste et blanc encore dominant dans le Monde.
Peut-être que tout ce programme de déconstruction mentale et « civilisationnelle » n’est pas le leur, tout simplement. Que tout ce qu’ils veulent, eux, Ozon et Dolan, c’est d’abord exister en tant que personnes et artistes et faire des films.
Eileen Myles a sûrement dû voir plusieurs des films de François Ozon et de Xavier Dolan. Jeudi dernier, le premier extrait de film choisi pour sa conférence a été un passage du film… Les 400 coups de François Truffaut.
Lorsque Les 400 coups de François Truffaut sort en 1959, Eileen Myles, née en 1949, a dix ans. Nous regardons l’extrait. Nous voyons Jean-Pierre Léaud, alors enfant, courir à petits pas, vers la plage. J’ai souvent entendu parler de ce film comme étant un grand classique à voir. Je connais bien-sûr de nom François Truffaut et ai vu un ou deux de ses films dont La femme d’à côté (1981) et Domicile conjugal (1970), deux films vus plusieurs années plus tard à la télé, que j’avais beaucoup aimés. Mais je n’ai jamais vu et n’ai jamais eu envie de voir Les 400 coups.
En citant Truffaut, Eileen Myles, pour moi, fait partie de toutes ces personnes étrangères, souvent engagées, qui, régulièrement, dans les œuvres françaises, citent des classiques comme Truffaut. Un peu plus tard, je crois aussi qu’elle citera Proust. Mais je n’en suis plus très sûr.
Ce dont je me souviens par contre, c’est qu’en voyant Les 400 coups de Truffaut, Eileen Myles s’était demandée s’il existait un équivalent féminin. Puisque Truffaut, après Les 400 coups suivra l’évolution du personnage d’Antoine Doinel, depuis son enfance jusqu’à l’âge adulte. Et, de là est venu le projet d’Eileen Myles de concevoir un équivalent féminin à Antoine Doinel. Puis, elle s’est demandée comment s’y prendre pour raconter ça par écrit. Et, elle s’est aperçue qu’elle pourrait écrire comme on raconte un film.
L’enfance d’Eileen Myles semble avoir été une enfance où l’éducation artistique et culturelle a été présente et consistante. Je suis étonné par la facilité avec laquelle, Eileen Myles, comme Maggie Nelson ensuite, peut se déclarer poétesse. Moi, plus jeune, j’ai bien essayé. Mais comme cela ne m’a jamais permis de gagner ma vie convenablement, j’ai rapidement arrêté. Ces derniers temps, je me suis même fait la remarque qu’à force de coller aussi près au quotidien depuis des années, tant dans mon métier que dans mes articles ou dans ma vie de père et de conjoint peut-être, que je m’étais beaucoup éloigné voire étais peut-être devenu incapable ou infirme. Infirme d’exprimer mon imaginaire comme auparavant.
Eileen Myles, à plusieurs reprises, nous a parlé de l’importance de son père, décédé lorsqu’elle était encore jeune, qu’elle perçoit a posteriori comme ayant été une personne « Queer ». Elle a répété plusieurs fois que son père était « Queer ». Il se travestissait en femme.
C’était aussi un père alcoolique mais qui avait le chic, chaque fois qu’elle manifestait un intérêt pour un sujet donné, d’apparaître avec un ouvrage ou deux en rapport avec ce sujet, de le(s) lui remettre. Puis, de disparaître.
D’autres extraits de films ont été montrés lors de la conférence. Un, montrant un milieu lesbien underground aujourd’hui disparu, dans les années 70. Un autre au cours duquel, dans un film, s’inspirant des écrits d’Eileen Myles, une femme souhaite que se présente aux élections Présidentielles une personne ayant tous les handicaps possibles :
HIV +, transgenre, chômeure /chômeuse, atteint( e) d’une maladie incurable, homosexuel( le), noir ( e), grosse….
Le public, dans la salle, était constitué d’une bonne centaine de personnes, sans doute assez familières avec l’œuvre, les engagements et/ou la personnalité d’Eileen Myles. J’ai compté deux ou trois personnes noires dans la salle en m’incluant dans le recensement. Pour la répartition hommes/femmes au sein du public, je ne saurais pas dire. Peut-être une légère prévalence féminine. Mais ce n’est pas sûr.
Par contre, la journaliste qui interviewait Eileen Myles était une femme. La traductrice était une femme.
La plupart des spectateurs ou spectatrices qui ont posé des questions à Eileen Myles étaient soit anglophones soit très à l’aise avec la langue anglaise ou américaine.
J’ai noté en tout cas qu’une bonne partie du public était particulièrement au fait avec la langue natale d’Eileen Myles. Puisqu’il a été capable à plusieurs reprises – contrairement à moi- de rire de ses blagues immédiatement sans avoir à en passer par leur traduction différée.
S’il y avait bien quelques personnes dépassant la quarantaine d’années dans la salle, j’ai trouvé le public plutôt jeune dans sa majorité. Autour des 30 ans. Ce qui atteste, pour moi, d’une certaine conscience plus visible ou plus affirmée, mais aussi plus « facile », à propos des questions de genre comparativement à il y a, disons, une vingtaine d’années.
Je n’ai pas reconnu ou pas vu de « jeune » que je suis susceptible de croiser ou d’avoir croisé dans un des services de pédopsychiatrie où j’ai pu travailler et qui sont préoccupés (comme beaucoup d’adolescentes et d’adolescents) par leur identité et/ou par leur genre ou qui l’affirment d’une certaine façon :
En se réclamant d’un sexe ou d’un genre opposé à celui qui leur a été assigné à leur naissance. En ayant une relation sentimentale homosexuelle.
Pour ma part, je peine encore à assimiler le fait qu’aujourd’hui, je devrais davantage, selon les milieux, afin d’éviter d’être perçu comme homophobe ou transphobe, me présenter comme une personne « cisgenre ». Afin de ne pas heurter une personne faisant partie d’un genre minoritaire. Mais j’ai du mal avec cette obsession qui consiste à se définir par un vocabulaire obligé. Comme si c’était une obligation de tendre notre genre ou nos éventuelles préférences lorsque l’on se présente à quelqu’un :
« Je m’appelle Franck, je suis diabétique insulino-dépendant, hypertendu, farceur, cancéreux en phase terminale, je chausse du 34, je suis abonné à Télérama, je fais du Cross fit. J’adore les films de Emmanuel Mouret, le nouveau Rohmer. J’ai plein de posters XXL de l’actrice Léa Seydoux dans ma chambre. Et je travaille à la bourse. Et toi ? ».
Mais il est vrai que nous portons souvent des masques dans notre vie sociale. Et que certains de ces masques permettent à la fois des crimes (à l’image du Ku Klux Klan) mais aussi bien des mensonges.
Lorsque je regarde la photo d’Eileen Myles sur l’écran géant, j’ai l’impression de voir un équivalent féminin d’Iggy Pop. Pour moi, Eileen Myles est une sorte de Punk. Un Punk à visage et à allure masculine qui est une femme. Même si je me demande un peu si elle s’est faite opérer, je ne me le demande pas plus que ça.
Enfant, Eileen Myles avait rencontré un couple de femmes butch auquel ses parents avaient loué une partie leur maison. Lors de la conférence, Eileen Myles raconte que ce couple lesbien s’était vite avéré être un couple de locataires problématiques, alcoolique, je crois, se disputant souvent, et, qui plus est, très mauvaises artistes peintres. Soit une erreur de casting que la mère d’Eileen Myles avait très vite regretté. De son côté, Eileen Myles, elle, ne s’était pas sentie inspirée par ce modèle de femmes….
Plusieurs jours après cette conférence, sur internet, j’ai cherché et trouvé quelques photos d’Eileen Myles, plus jeune. Si je l’ai trouvée belle, je lui ai aussi trouvé un certain côté garçon manqué. Ce qui, pour moi, veut dire « Butch ». J’ai bien écrit « Butch ». Et non « Bitch ».
Eileen Myles nous a lu un extrait de son livre, Chelsea Girls. Sans doute parce-que je n’ai pas suffisamment compris ce qu’elle disait, cela ne m’a pas donné envie d’acheter son livre. Mais dans la salle, le public l’a écoutée de façon recueillie.
A la fin de la conférence, Eileen Myles nous a dit sa certitude que le patriarcat était en train de mourir. Qu’il s’agissait de savoir si « nous » allions mourir avant lui ou s’il allait mourir d’abord. Mais qu’elle était confiante quant au fait qu’il n’en n’avait plus pour longtemps. Aujourd’hui, je me peux m’empêcher de penser que c’est aussi ce que dit une personnalité comme Pablo Servigne, un des collapsologues les plus connus en France, et aussi sans doute critiqué pour cela car il la ramène trop avec ses propos de fin du monde. Lorsqu’il explique et répète que nous sommes des « drogués du pétrole », que notre système de vie économique et de société, tel qu’il est, est en train de s’effondrer et que nous ne sommes plus dans l’ère dans « de la sobriété » mais déjà dans celle qui nous rapproche du « sevrage ».
Touhfat Mouhtare, Maggie Nelson, Rebecca Zlotowski, Zahia Dehar, Pablo Servigne, Peaux noires, masques blancs ( ou d’autres de ses oeuvrs) de Frantz Fanon, Aimé Césaire, il est étonnant qu’Eileen Myles, aussi portée sur certains excès d’alcool en particulier, ait quelques rapports, directs ou indirects, avec ces quelques « personnes », décédées ou vivantes, et que certaines de ses réflexions et de ses expériences rejoignent les réflexions, les expériences mais aussi les œuvres de certaines de ces premières personnes citées.
Mais c’est pourtant de cette façon-là que, souvent, notre vie se déroule. Car celle-ci est multipistes. Je me devais donc de me rendre à cette conférence d’Eileen Myles puis d’essayer d’en rendre compte. Même si, sans aucun doute, cet article comporte déja beaucoup d’erreurs, beaucoup de conneries et beaucoup de hors sujets.
Cette nuit, j’ai lu quelques articles dans la rubrique littéraire d’un journal. On y parlait de plusieurs livres. Plusieurs de ces livres parlaient de la violence des hommes. Une phrase, dans l’un des articles, disait quelque chose comme :
« Comprendre ne suffit pas pour pardonner ».
Je n’ai pas aimé cette phrase.
Pour appliquer l’éducation bienveillante, la « psychologie positive » il faut aussi, dans une certaine mesure, pouvoir bénéficier, quand même, d’une certaine bienveillance dans la société, dans le monde, dans la vie. Mon métier principal, malgré sa noblesse, ou peut-être grâce ou à cause d’elle, m’expose à diverses formes de violences.
Hier matin, mon thérapeute a d’abord tiqué lorsque je lui ai dit délibérément :
« Je ne suis qu’un infirmier. »
Face à son thérapeute, tout le monde le sait, il ne suffit pas de claquer des consonnes et des voyelles pour dire quelque chose. Il doit comprendre. Et, si nous pensons droit, nous nous devons de lui en faire la démonstration. Autrement, son travail, si c’est un thérapeute valable et consciencieux, est de nous remettre dans l’axe.
Hier matin, j’ai expliqué à mon thérapeute que d’un point de vue social, ce métier d’infirmier n’est pas considéré comme un métier très valorisé ou très prestigieux.
De ce fait, maintenant que, en plus, ma compagne est suspendue de ses fonctions d’infirmière depuis dix mois, cela va être un handicap pour faire admettre notre fille à l’école privée de notre ville. Si, comme me l’a dit la libraire récemment, l’école privée prend principalement les enfants dont les parents ont une bonne situation professionnelle.
J’ai cru et crois encore à la sincère et spontanée désapprobation, hier, de mon thérapeute lorsque je lui ai dépeint mon métier d’infirmier comme un métier de bas étage. Cependant, j’ai malheureusement su et pu, je pense, lui démontrer que j’avais raison.
La plupart des parents d’enfants que notre fille a côtoyée dans son école publique – et qui sont désormais dans l’école privée de notre ville- ont des professions socialement et économiquement plus « évoluées » ou « supérieures » à celle que ma compagne et moi pratiquons.
Je le sais pour avoir côtoyé un temps ces parents. Comme cela se fait lors de toute rencontre sociale « cordiale » à la sortie de l’école. Ou chez l’assistante maternelle. Où, si l’on se sourit entre parents et que l’on s’adresse quelques propos convenables, on se jauge aussi beaucoup socialement, personnellement et économiquement. En toute bienveillance.
D’ailleurs, quel est l’un des meilleurs moyens pour s’assurer que certains parents mais aussi certains enfants sont véritablement fréquentables ?
Prenons un verre avec eux, soit chez eux, soit chez nous. Recevons tel enfant pour un goûter ou un anniversaire. Ensuite, on se fait notre propre idée.
C’est ce qui s’est passé avec plusieurs parents d’enfants que notre fille a pu connaître dans son école maternelle. Aujourd’hui, nous n’avons plus de contacts avec ces parents alors que leurs enfants sont à l’école privée de notre ville. Une école qui se trouve à cinq minutes à pied de l’école publique de notre fille.
Les parents de ces enfants ne sont ni infirmiers, ni aide soignants. Un ou deux ingénieurs. Ou équivalents. Cadres sup. Je connais personnellement un couple dont les deux enfants sont également à l’école privée de notre ville. La femme du couple était une ancienne très bonne amie de ma sœur. Donc, je connais vraiment plutôt personnellement ce couple. Profil de cadre sup.
Donc, même si j’ai pu entendre dire que pour faire admettre son enfant dans cette école privée, qu’il convient de persévérer et de s’y reprendre à plusieurs fois, où est, déjà, la bienveillance dont nous bénéficions, ma compagne, notre fille et moi, à devoir constater que la plupart des parents, dont les enfants sont aujourd’hui dans cette école privée depuis plusieurs années, occupent des fonctions professionnelles « supérieures » socialement et économiquement aux nôtres ?!
Hier matin, j’en ai rajouté dans les arguments devant mon thérapeute pour démontrer à quel point le métier d’infirmier est déclassé. Mais peut-être, aussi, pour bien lui faire comprendre à quel point j’avais encore besoin de ses services.
Pendant le premier confinement dû à la pandémie du Covid, en 2020, on applaudissait les soignants à 20h. Pour les encourager et les remercier pour leur « courage » et leur « héroïsme ». Un an plus tard, on suspendait certains de ces héros car ceux-ci refusaient de se faire vacciner contre le Covid. Ainsi depuis la fin de l’année dernière, ma compagne est-elle sans salaire. Où est la bienveillance dont ma compagne, comme d’autres dans sa situation, suspendus pour les mêmes raisons, bénéficie ? Dont notre fille et moi bénéficions ?
Néanmoins, il arrivera un jour où je devrais aussi rappeler à ma compagne deux points auxquels elle devra se conformer que cela lui plaise ou non :
Si être fonctionnaire assure en principe la sécurité de l’emploi, cela impose aussi des Devoirs. Un fonctionnaire se doit à certains actes si son employeur le lui demande ou l’exige de lui. En contrepartie, son employeur lui verse un salaire et lui assure la sécurité de l’emploi. Et, cela, je crois, a été oublié par ma compagne et d’autres.
En refusant la vaccination obligatoire contre le Covid.
Après tout, même des Ministres ou des députés qui sont des très hauts fonctionnaires de l’Etat sont amenés à démissionner lorsqu’ils ne correspondent plus à certains critères exigés, à certaines obligations décidées, par l’Etat. Alors, des « petits » infirmiers et aides soignants, qui sont des tout petits fonctionnaires en comparaison n’ont aucune possibilité de s’opposer à l’Etat si celui-ci décide de les suspendre ou de les révoquer en cas de désaccord majeur ou autre.
Il a été question quelques temps, devant la pénurie soignante, de réintégrer le personnel soignant non vacciné. Hier matin, mon thérapeute m’a confirmé que la Haute Autorité de Santé (la HAS) l’avait finalement refusé. Et, c’est facile à comprendre :
Des personnes sont mortes du Covid car celui-ci a été transmis ou aurait été transmis par du personnel soignant non vacciné contre le Covid. Avant que la vaccination contre le Covid ne devienne obligatoire. Je connais au moins une personne, dans notre ville, que ma compagne a croisée une fois, dont le père est mort du Covid dans l’EPHAD où il se trouvait. Selon cette connaissance, que je crois fiable, son père était en bonne santé. Et c’est une infirmière ou une soignante, porteuse du Covid, qui aurait transmis le Covid à plusieurs pensionnaires de l’EPHAD.
Comment voulez-vous après ce genre d’événement réintégrer dans des lieux de soins des soignants non vaccinés contre le Covid ?
Et comment vont le prendre celles et ceux qui se sont obligés (ou soumis) à la vaccination obligatoire contre le Covid ?
Enfin, beaucoup plus cynique mais le livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet, qui a fait « scandale » concernant le mode de gestion des EPHAD, va dans ce sens :
Cet été, malgré la pénurie de soignants, on n’a pas entendu parler de scandale sanitaire, de surmortalité dans les hôpitaux malgré la canicule. Donc, on a pu ou su se passer des soignants suspendus. Pire :
Ce qui est très pratique avec ces soignants suspendus, c’est qu’ils permettent de faire des économies. Puisque l’on n’est plus tenu de leur verser de salaires depuis bientôt un an. Ce qui reste raccord à la fois avec la politique de l’autruche et des économies budgétaires imposées aux établissements de soins depuis plusieurs décennies. Donc bien avant que l’ouvrage de Victor Castanet ne paraisse début 2022 et ne fasse « scandale ». L’oubli est l’une des plus grandes compétences espérées chez celles et ceux qui décident de la gestion de l’avenir des lieux de soins depuis des années.
Je crois donc de plus en plus que les soignants suspendus comme ma compagne, s’ils persistent à refuser le vaccin anti-Covid, vont être ni plus ni moins oubliés et sacrifiés par le gouvernement. Mais aussi par les établissements qui les « emploient ». Là encore, de quelle bienveillance, ma compagne, notre fille et moi bénéficions-nous ?
D’un point de vue familial, comme beaucoup de personnes, ma compagne et moi avons vécu des événements plutôt « névrotisants » en tant qu’enfants. La violence, l’alcoolisme et/ou la dépression ont auréolé notre enfance. Ces héritages laissent des traces. Des habitudes. Des automatismes. De défense, de repli, de fuite, de combat, de recherche ou de….réplication.
Un soignant, d’autant plus en pédopsychiatrie et en psychiatrie, ou dans tout service de santé mentale, est un individu qui vient se poster qu’il s’en aperçoive ou non, près des frontières de son histoire originelle. Cela peut l’aider pour aider d’autres personnes. Mais cela peut aussi le troubler et le désemparer. Sauf s’il décide de rester sourd, barricadé et aveugle devant son histoire. C’est bien ce que les dirigeants au moins politiques- qui se répliquent- font en matière de politique de santé publique depuis des années :
Rester sourds, barricadés et aveugles. Et budgéter. Il est plus facile de compter des chiffres et de regarder des statistiques.
L’une des conséquences est que bien des soignants ont l’impression de faire l’expérience du servage.
Reculons encore en arrière dans le temps et on tombe sur la toile d’araignée de….l’esclavage. Soit sur l’expérience de l’esclavage. Soit sur la mémoire plutôt traumatisante de l’esclavage. Une mémoire -enfouie ou non- qui résiste sur l’arbre du temps que l’on porte en soi. Et où l’on peut s’apercevoir que, blancs ou noirs, on peut être nombreux à avoir une certaine expérience, plus ou moins lointaine, de l’esclavage.
Mais sans aller jusqu’à l’esclavage car cela ennuie d’en entendre encore parler, rappelons tout simplement le racisme. En tant qu’homme noir, je suis content de dire que je préfère vivre dans la France en 2022 plutôt que dans la France de 1822. Néanmoins, je reste un homme noir dans un pays de blancs. Et notre fille est une métisse dans un pays de blancs.
Mais aussi dans un pays où les prénoms ont aussi leur importance. Lorsque j’ai eu trouvé le prénom de notre fille ( ce prénom est le résultat à la fois des exigences de sa mère mais aussi de ma petite créativité), j’étais content. Cependant, à aucun moment je n’ai pensé au fait que certains prénoms passent « mieux » que d’autres les filtres des sélections lorsque l’on présente un dossier pour une candidature. Il n’en demeure pas moins que, noir en France, portant un prénom plutôt qu’un autre, cela expose ou peut exposer à certaines violences. Des violences directes et indirectes, immédiates ou différées, visibles ou invisibles. A moins de rester à la place qui nous a été allouée. Si notre place consiste à faire dame pipi ou silhouette d homme de ménage sur un plateau de tournage aucun problème. On peut porter le nom que l’on veut. Et être noir ou arabe peut alors se révéler un avantage.
Est-ce-que notre fille aurait déjà été admise à l’école privée si elle s’était prénommée Marie, Elizabeth, Théresa, Geneviève ou Victorine ?
Aucune idée. D’autant que je sais qu’il y a des petites Arabes et musulmanes admises à l’école privée.
Donc, on peut et on sait applaudir des soignants par temps de pandémie tandis que l’on reste bien à l’abri chez soi. Par contre, lorsqu’il s’agit d’admettre leur enfant dans une école privée ou dans une bonne école, on fait les difficiles.
L’école publique de ma fille a perdu un tiers de son budget par rapport à l’année dernière. Comme d’autres parents, je l’ai appris la semaine dernière par son nouveau Maitre d’école lors de la réunion de rentrée. Un maitre d’école en qui je crois et qui a pu dire à la fin de la réunion, durant laquelle il aura gardé son sourire :
« J’aime la difficulté ».
Ce maitre d’école nous a appris faire trois heures de trajet pour venir à l’école puis trois autres heures pour rentrer chez lui à chaque fois.
Hier après-midi, le papa d’une ancienne copine de ma fille m’a appris que dans son école (une autre école publique de notre ville), il y ‘avait une pénurie de rames de papier.
Où est la bienveillance dans tout ça ?
Lorsque ces quelques expériences de violences de rejet, d’indifférence ou de maltraitances finissent par croiser, ce qui est inévitable, l’anxiété mais aussi l’épuisement ou le découragement d’un parent concernant l’avenir de son enfant, mais aussi son propre avenir en tant qu’individu, il ne faut pas s’étonner si celui-ci en arrive, par moments, par secréter de la violence et l’infliger à sa descendance ou à son entourage. Ou à lui-même.
Mais on parle très peu de ça dans notre société « bienveillante ». Dans notre société « bienveillante », il y a d’un côté les travailleurs qui en veulent, qui s’en sortent, parce-qu’ils le voulaient vraiment. Et puis, d’un autre côté, il y a tous les suspendus, les contaminés, les pauvres types, celles et ceux qui passent leur temps à se plaindre au lieu de se sortir les doigts du cul et que l’on condamne.
Car, dans notre société « bienveillante », tout le monde sait que celles et ceux qui restent sur le côté, qui échouent et qui n’arrivent à rien, sont toujours celles et ceux qui l’ont bien cherché et qui l’ont mérité. Et qu’il faut éviter. Sauf si l’on est soignant ou travailleur social. Dans ce cas, on nous parle de vocation. Alors même qu’il faudrait plutôt, un certain nombre de fois, parler plutôt de sacrifice compte tenu des conditions qui sont faites à ces soignants et à ces travailleurs sociaux non seulement pour travailler mais, aussi, pour vivre.
Une école privée est-elle véritablement l’assurance d’une vie réussie ? Disons que dans un monde et un pays où il est devenu résiduel et même normal d’avoir peur de tout que l’on s’en convainc plus facilement. Sauf que je suis incapable d’affirmer si ce dernier point de vue est le résultat de mon esprit résigné ou de la vitalité encore conservée de ma lucidité.
Hino Akira Sensei au Cercle Tissier, ce samedi 3 septembre 2022.
Cette après-midi, je suis allé participer au stage animé par Hino Akira Sensei au Cercle Tissier. Au 108, rue de Fontenay, à Vincennes, à côté d’un restaurant. J’avais entendu parler de ce stage « par » Léo Tamaki sur les réseaux sociaux ou en lisant son interview ( par Léo Tamaki lui-même) dans le magazine Yashima de ce mois de juillet.
Le stage avait débuté ce matin. Pour se terminer demain soir.
Comme je n’étais pas certain de pouvoir me faire aux enseignements du Sensei, je me suis inscrit à une seule séance avec lui :
C’était de l’Aïkido mais ce n’était pas de l’Aïkido. Normal, puisqu’il s’agit de sa méthode, le Hino Budo. Une méthode très simple et, pourtant, souvent, on pouvait se tromper en tentant de la réaliser.
Récemment, une collègue m’a demandé ce que je ferais lorsque je serais à la retraite. Parmi mes projets, il y avait l’écriture, la pratique de l’apnée, ma fille, les voyages et les Arts Martiaux.
Les Arts Martiaux sont un voyage en eux-mêmes. Je ne comprends pas qu’autant de personnes autour de moi puissent l’ignorer.
Dernièrement, aussi, une connaissance m’a informé qu’elle n’était pas du tout intéressée par les Arts Martiaux. J’ai d’abord reçu cette information avec résignation comme un uppercut. Puis, j’ai réfléchi et je me suis dit qu’il faudrait, lorsque j’en aurais la possibilité désormais de demander à ces personnes peu ou pas intéressées par les Arts Martiaux ce qui les rebute autant dedans.
Même si j’ai déja une partie de ma réponse. Les Arts Martiaux sont aujourd’hui délaissés au profit de sports tels que le Crossfit ou le fitness car l’expérience de la guerre appartient au passé. La guerre en Ukraine, c’est encore trop loin même si l’on en subit les conséquences. Et puis, nous avons déjà « vu » des guerres avoir lieu ailleurs. Un peu comme les éruptions de ces volcans dont les effets les plus directs se maintiennent dans l’enclos de ces pays que l’on regarde.
Par ailleurs, nous sommes pratiquement tous des citadins. Bien plus qu’il y a un demi siècle. Lorsque l’on habite depuis des années dans une ville, dans un pays riche et officiellement démocratique, on se fait à l’idée que l’ordre et la paix y sont abrités et garantis pour toujours. Et qu’en cas de danger, on bénéficiera d’alertes, d’aides, d’une justice et de protections efficaces.
Le MMA, le Krav Maga et la Self-Défense sont bien des disciplines qui prennent de l’essor mais elles comptent quand même plus de spectateurs que de pratiquants. Et, sans aucun doute qu’une partie de leurs pratiquants est passée au préalable par le tamis d’un ou de plusieurs Arts martiaux ou sports de combats.
D’ailleurs, Hino Akira Sensei, avant de devenir Maitre, comme tous les Maitres, j’ai fini par le savoir, est passé par l’apprentissage de plusieurs Arts Martiaux : Karaté, Aikido, Iaido…..
(re)venir au Cercle Tissier ce samedi après-midi, c’est déjà en soi se rapprocher d’une Histoire et d’un avenir. Et, aujourd’hui, cela l’a été davantage avec la présence de Hino Akira Sensei, 74 ans.
Pour nous qui sommes habitués à des vies souvent stéréotypées, prendre connaissance et développer notre présence est toute une démarche. Pour cela, il faut aller à la rencontre de certaines personnes et de certaines expériences possibles en certains lieux. Cette après-midi, nous étions environ une soixantaine de personnes, peut-être un peu plus, sur le tatamis. A venir de Moselle, de Perpignan, de Lorraine, de Lyon, de Reims ou d’ailleurs. Je suis venu d’Argenteuil. ( Argenteuil, une ville de banlieue parisienne qui reste à affranchir).
J’ai croisé des élèves de Maitre Léo Tamaki qui participent à ses cours au dojo 5 à Paris ( Dojo 5). J’ai aussi croisé des pratiquants de combat russe, de karaté shotokan, de Tai Jitsu, d’Aïkido….
Il y avait plus d’hommes que de femmes. En moyenne d’âge, j’opterais pour 40-45 ans.
Une fois sur place, il s’agit d’essayer d’assimiler ce que le Maitre nous enseigne. Le Maitre s’exprime en Japonais et, régulièrement, Léo Tamaki, traduit.
Le terme « Maitre » dérange peut-être celles et ceux qui ne pratiquent pas du tout les Arts Martiaux. Et, ils voient peut-être ce terme comme l’équivalent de la soumission à un prêtre, à un rabbin ou à un imam. La “couverture” laïque de la France explique peut-être aussi cette forme de rejet pour les Arts Martiaux. Car je me rappelle maintenant la ferveur religieuse et spirituelle de Maitre Ueshiba. Ou de Maitre Shioda.
Et, il est vrai que les Arts Martiaux ont aussi à voir avec une aspiration et une dimension au moins spirituelle, philosophique voire, parfois, mystique.
Mais être présent, sur le tatamis, c’est être vivant, plus que soumis, lorsque l’on pratique. C’est oublier, abandonner, cette femme ou cet homme stéréotypé que l’on s’est attribué comme identité.
Il faut répéter plusieurs fois pour se libérer de nos propres conduites. Des conduites plus ou moins serviles qui nous ont servi et qui nous servent en société mais qui nous séparent de nous mêmes, aussi. Nous faisons régulièrement trop d’efforts lorsque cela n’est pas nécessaire. Nous respirons aussi assez mal et nous nous épuisons pour des tâches qui n’en valent pas vraiment la peine. Et lorsque nous avons véritablement besoin du meilleur de nos forces tant morales que physiques, nous sommes absents ou parvenons difficilement à surmonter certains obstacles pourtant à notre portée.
C’est sans doute ça qui m’attire dans les Arts Martiaux, la recherche de la justice et de l’économie au travers du geste et du souffle juste. Et, Hino Akira Senseï, ainsi que celles et ceux qui l’entourent ce samedi après-midi, est une des portes possibles vers cela.
Hormis Léo Tamaki, croisé deux ou trois fois, et avec qui j’ai pu correspondre, je ne connaissais personne à ce stage. Les Arts Martiaux me semblent aussi un bon moyen de rencontrer d’autres personnes. Ce samedi après-midi, j’ai eu la chance de pouvoir pratiquer avec des personnes différentes. Laurent Sikirdji a fait partie de ces personnes “différentes”. J’ai aimé travailler avec lui et d’autant plus tenu à le prendre en photo qu’il est en quelque sorte le photographe de l’événement. Et que, souvent, les photographes, sont celles et ceux qui nous assurent de bons souvenirs de notre image alors que leur propre visage reste invisible.
Mais j’ai aussi eu la chance de me faire corriger une fois par Hino Akira Sensei. Ce moment de correction est resté pour moi intimidant. D’un côté, j’ai été content que le Maitre prenne un peu de temps pour moi. D’un autre côté, j’ai craint de lui faire perdre son temps et ne suis pas certain d’avoir « réussi » même après qu’il ait acquiescé.
Apprendre à se relâcher, à s’enlever de la force, à sentir que s’assembler à l’autre sans à coups permet de le renverser ou de le « déstructurer » a été une découverte plaisante, pas toujours évidente.
A la fin du cours, Hino Akira Sensei a demandé si nous avions des questions. Quelqu’un a demandé si faire de la musculation en parallèle pouvait aider. Sensei a répondu qu’il pouvait faire comme il le souhaitait.
Après le salut, Hino Akira Sensei s’est prêté au moment des photos et des dédicaces. J’ai vu fleurir les passeports de pratiquants. Ainsi que quelques exemplaires de livres écrits par Sensei tel que Don’t Think, Listen to the bodydont un stagiaire, pratiquant de karaté shotokan, m’a dit le plus grand bien.
Après m’être douché, et être sorti du Cercle Tissier, lorsque je retrouve la ville de Vincennes, animée, agréable, en cette journée du forum des associations qui se termine, j’ai l’impression de revenir d’un autre monde. D’une autre dimension.
Une fois rentré chez moi, dès que j’ai pu, j’ai pris le petit parapluie de ma fille. Puis, j’ai essayé de lui apprendre le peu que j’avais appris.
Argenteuil, une ville de banlieue parisienne sur laquelle il reste encore beaucoup à écrire
Il est dit qu’il faut d’abord beaucoup lire avant de commencer à devenir écrivain.
Je n’ai sans doute pas encore lu suffisamment de conneries à propos de la ville d’Argenteuil, où j’habite, pour le devenir. Ou à moins, plus simplement, que comme beaucoup de devins je ne sois principalement doué que pour, véritablement, devenir vain.
Cela arrive à beaucoup de monde de se croire capable.
Bien des journalistes, lorsqu’ils parlent d’Argenteuil, le croient très fort : comme des beaux vidés (peu importe que ce soient des femmes ou des hommes) de créativité et de curiosité, dès qu’ils cochent « article ou reportage sur la ville d’Argenteuil » elles et ils se contentent de continuer de suivre le même filon ou de relater le même type de fait divers. En écrivant sur Argenteuil, elles et ils pensent comme on retrouve, chaque année, le même lieu de vacances, la même location. Un endroit où l’on a ses habitudes et ses connaissances. Parce-que c’est “bien”, pas ” trop cher” et qu’il y a un ” très bon rapport qualité/prix”. Comme à Lidl ou dans tout autre supermarché.
Selon ces journalistes, il serait temps que je me rende compte qu’à Argenteuil, les plus de 100 000 habitants qui s’y trouvent sont tous des forcenés menaçant de se suicider et que le Raid vient déloger ; tous, des vendeurs de cigarettes à la sauvette près de la gare d’Argenteuil criant « Marlboro ! Marlboro ! » dès qu’on s’en approche ; tous des dealers de shit ; tous, des jeunes qui font des roues arrières en sens interdit dans la rue ; tous, des islamistes et des terroristes voilés ; tous, des étrangers en situation irrégulière pataugeant dans des trafics ou des activités négociables ; tous, des jeunes déscolarisés et délinquants ; toutes, des jeunes adolescentes qui se font piéger sous le viaduc de l’autoroute A86 par deux de leurs camarades de lycée, puis tabassées et jetées dans la Seine où elles finissent par mourir, noyées, mais d’abord d’hypothermie et de désespoir. Le pire y prospère à ciel et à ventre ouvert en permanence.
Heureusement que la Seine, d’une certaine manière, retient et freine, et filtre, encore- un peu- l’arrivée de toutes ces légions dégénérées vers la capitale.
Et, il serait temps, aussi, que je m’aperçoive que tout le monde à Argenteuil, plus de 100 000 habitants, part faire ses courses uniquement au centre commercial Côté Seine situé à moins de cinq minutes à pied de la gare d’Argenteuil centre ville. Paris ou d’autres villes ne sont jamais qu’à quelques minutes en train, en bus, à vélo ou en voiture, mais pourquoi les Argenteuillais se dispenseraient-ils d’aller faire toutes leurs courses au centre commercial Côté Seine ?
Considérée comme « une belle endormie » par l’un de ses anciens maires, Philippe Doucet, rival atavique du maire actuel, Georges Mothron, Argenteuillais depuis plusieurs générations et maire d’Argenteuil pour la troisième ou quatrième fois, Argenteuil aurait peut-être besoin, pour une meilleure représentativité politique, d’une Rachida Dati.
Non parce-que cette femme – extrêmement politique- m’est sympathique. Mais parce-que je la trouve impitoyable – en politique- et admirable pour cela.
Mais Rachida Dati, ancienne Ministre de la Justice, ne traversera pas la Seine pour devenir maire à Argenteuil. Non seulement parce-que je crois que Dati est méchante. Mais aussi parce qu’elle est déjà très bien placée en tant que maire du très friqué VII arrondissement de Paris depuis 2008 et qu’elle vise plutôt à devenir la prochaine maire de Paris. Anne Hidalgo, l’actuelle maire de Paris depuis 2014, n’a pas fini de l’apprendre.
Lorsque, depuis la gare St Lazare, je circule à vélo jusqu’à mon travail dans le 14 ème arrondissement de Paris, je n’en finis pas d’apprendre que les rues de Paris mais aussi celles du VIIème arrondissement sont souvent propres.
Une ville de paradoxes
Les rues d’Argenteuil peuvent être sales. Argenteuil est à la fois une ville de pauvres et de personnes plus aisées. Certains de ses bâtiments sont mal entretenus tandis que d’autres quartiers d’Argenteuil, pavillonnaires ou non, sont autrement plus présentables. C’est une ville de paradoxes. Elle a de très grands atouts. Elle a aussi ses grands travers.
2007, l’année où j’y suis arrivé, est une année où, dans l’immobilier, il y avait souvent plus d’acheteurs que de vendeurs. Argenteuil a aussi profité de ça tout en restant assez abordable. Proche des autoroutes A15, 115 et A86, mais aussi des villes d’Enghien Les Bains, d’Epinay sur Seine, de Sartrouville, Bezons, Colombes, d’Asnières mais aussi de Sannois et de Cormeilles en Parisis, en voiture, par le bus ou par le train. A mi-chemin, au moins par le train, entre Paris (à 11 minutes par le train direct) et la banlieue plus éloignée.
La ligne J qui dessert Argenteuil depuis la gare de Paris St Lazare ( en 11 ou 17 minutes par un train direct ou omnibus ) peut aussi transporter les voyageurs jusqu’à des villes telles que Gisors, Pontoise, Boissy L’Aillerie, Mantes la Jolie, Eragny, Herblay, Cormeilles en Parisis, Conflans Ste Honorine, Chanteloup les Vignes. Ces villes de banlieue voire de proche province peuvent être inconnues des millions de personnes habitant Paris ou les autres villes de la région d’île de France, Argenteuillaises et Argenteuillais inclus. Le nom de certains de ces villes peut même horrifier.
Chanteloup les Vignes ou Mantes la Jolie, par exemple, des villes de banlieue situées dans les Yvelines, connaissent aussi leurs moments de gloire médiatique sur la table de la loi des faits divers. Toutes deux sont sans doute reléguées et maintenues, comme Argenteuil, dans le “camp” ou dans la division des villes à redouter ou à éviter. Il est néanmoins possible de s’y rendre sans s’y faire trucider. Mais pour cela, encore faut-il déja être capable de sortir de son environnement résiduel et quotidien, et, si l’on prend le train, de percevoir la ligne J aussi comme une ligne de vie et non comme une ligne de déclin et de décès annoncé pour celle ou celui qui la prend ou la suit.
Mais, le plus souvent, on emprunte une ligne de train de banlieue, de métro ou de RER, parce-que l’on y est obligé ou que l’on a un projet vers certaines destinations. Il est encore assez rare, malheureusement et tristement, que l’on emprunte une ligne de train de banlieue, de métro, de RER ou de tramway pour le plaisir de voyager et de découvrir. Les principales raisons qui nous font prendre les transports en commun sont le travail, les amis et les rencontres amoureuses, les rendez-vous médicaux ou autres, les trajets pour nous rendre à un aéroport ou dans une gare d’où nous partons en voyage, les événements culturels et…les magasins. Et Paris est une ville pleine d’événements culturels et de magasins. Beaucoup plus que dans une ville comme Argenteuil. Quoi de plus normal, Paris étant la capitale de la France, une ville bien plus grande et bien plus peuplée qu’Argenteuil ( 10 millions d’habitants versus un peu plus de 100 000). Et Paris est aussi une capitale culturelle mondialement reconnue et recherchée.
En 2007, à Argenteuil, l’arrivée proche du tramway était annoncée comme une raison supplémentaire pour venir s’y installer. On peut sourire à se dire, que pour une ville si “proche” de Paris, un tel argument soit nécessaire afin de la rendre attractive. Mais Argenteuil était une ville dont on pouvait penser, malgré sa réputation, qu’elle était un bon choix stratégique pour l’avenir. C’était ce que je m’étais dit.
Lors de mes premières visites, à pied, en 2007, j’avais vu un jeune couple lesbien se diriger main dans la main jusqu’à la gare d’Argenteuil qui était alors inconnue des permanentes portes ( ou fosses) de validation.
En 2007, devant la gare d’Argenteuil alors encore libre, les mains des deux femmes s’étaient séparées. Elles s’étaient embrassées. Puis, l’une des deux s’était dirigée vers le quai pour Paris. C’était simple. Facile. Il n’y avait pas grand monde. Personne n’avait été choqué. Il n’y avait pas de vendeurs de cigarettes à la sauvette. Pas d’obstacle. Paris m’avait semblé bien plus proche.
Dans une des rues d’Argenteuil, toujours avant de me décider à venir y emménager, j’avais discuté avec un passant que j’avais croisé. Celui-ci m’avait répondu avec un sourire qu’il ne s’était rien passé à Argenteuil durant les émeutes de banlieue. Que c’était même « très calme ».
Après mon emménagement en avril 2007, j’avais ensuite découvert, près de chez moi, un centre ville avec une très bonne poissonnerie. Un très bon marchand de primeurs quoiqu’assez cher. Ainsi que le célèbre grand marché d’Argenteuil qui recrutait sa clientèle y compris parmi des personnes venant d’autres villes. Même s’il était plus petit et moins bien « qu’avant ».
Le personnel de la médiathèque, près de la mairie, était accueillant mais aussi très impliqué socialement.
La gare permettait d’être à Paris bien plus rapidement et plus agréablement que lorsque j’habitais à Cergy le Haut. Je n’avais plus à m’enfourner dans les tunnels du RER A à partir de Nanterre Préfecture comme je l’avais fait pendant plus de vingt ans. Enfin, de l’air !
Travaillant alors à Conflans Ste Honorine, en pleine heure de pointe, j’avais plusieurs fois été satisfait à la fois de pouvoir disposer d’un réseau de trains adéquat mais, aussi, d’être souvent à contre-courant de la foule. Et, lorsque j’avais besoin d’aller à Paris, sa proximité faisait le reste.
A partir de 2009, j’ai commencé à travailler à Paris. Et, depuis mon arrivée en 2007, j’ai peut-être assisté au fait qu’Argenteuil est à la fois une ville qui vieillit et qui meurt et aussi une ville qui se transforme.
Peu après mon arrivée, la très bonne poissonnerie a changé de propriétaire. Les produits ont très vite perdu de leur attrait pour moi. Cette poissonnerie a plus tard été l’objet d’un article tant ses produits étaient mauvais. Je l’ai appris par un des commerçants. Mais j’ai aussi appris par un autre commerçant que les huitres vendues par cette « nouvelle » poissonnerie étaient bonnes.
Le très bon – et cher- marchand de primeurs a pris sa retraite. Je le croise de temps à autre lors des élections. Il fait souvent partie du bureau électoral qui assure le bon déroulement des votes. De l’autre côté de l’avenue Gabriel Péri qui mène aussi à la mairie depuis le pont d’Argenteuil, un autre marchand de primeurs, où j’ai mes habitudes, a ouvert.
Plusieurs des sympathiques et engagés bibliothécaires du Val d’Argenteuil mais aussi d’Argenteuil sont partis ailleurs voire à la retraite.
Le tramway est arrivé à Bezons, à Asnières, à Epinay sur Seine. Il est prévu à Colombes. Mais pas à Argenteuil. Pour les jeux Olympiques de 2024, Colombes, une des villes très proches, a réussi à obtenir d’organiser deux événements. Les épreuves de compétition de hockey sur Gazon. Les entraînements des équipes de natation synchronisée. Lorsque l’on quitte Argenteuil par son pont et que l’on se dirige vers Nanterre par l’autoroute A86, on peut voir les nouveaux programmes immobiliers en cours dans la ville de Colombes. Ça bétonne dur.
Argenteuil aussi a concrétisé des programmes immobiliers. D’autres sont prévus. Mais le prix de l’immobilier, à Argenteuil, reste une énigme. Le marché locatif serait une aubaine. Pour qui a de quoi proposer un appartement à la location, Argenteuil serait une ville avantageuse.
Par contre, pour ce qui est de vendre un appartement à Argenteuil, on trouve un peu différentes sortes de cas de figure. Je connais des personnes qui ont été très contentes de la vente de leur appartement à Argenteuil. Je reste, pour ma part, plus réservé. Un agent immobilier que j’ai contacté début aout m’a peut-être permis de comprendre la raison pour laquelle le marché de l’immobilier, « sur » Argenteuil, est si particulier et peut être si déconcertant.
Argenteuil est une ville qui connaît de très forts contrastes. L’agent immobilier m’a parlé d’Argenteuil comme de la ville ayant le « plus grand écart type du Val d’Oise » concernant le prix du mètre carré. Ce qui donne un prix moyen au mètre carré globalement peu favorable, a priori, au vendeur chaque fois que des potentiels acquéreurs tapent sur internet « prix du mètre carré à Argenteuil ». A partir de là s’ensuit une certaine logique de prix et de négociation dans la tête des potentiels acquéreurs :
« Argenteuil, c’est pas cher ou on peut facilement marchander le prix ».
Et, cela reste possible jusqu’à un certain point dans la mesure où la réputation d’Argenteuil fait que l’on préfère encore habiter à Asnières ou à Colombes, deux villes du 92, proches, mais aussi plus chères, et qu’Argenteuil est sans doute encore un choix de raison plus qu’un choix de rêve ou de « passion » lorsque l’on se décide à acheter dans l’immobilier :
« Sois raisonnable, achète à Argenteuil » est sans doute plus fréquent que penser « Je kiffe cette ville d’Argenteuil. Je tiens absolument à venir m’y installer ».
Pour autant, à ce que je vois, depuis 2007, les agences immobilières d’Argenteuil ne ferment pas. Elles semblent plutôt avoir un peu augmenté en nombre. J’en connais même une qui s’est agrandie. J’avais eu affaire, d’ailleurs, à une de ses représentantes, la sous-dirigeante ou la femme du « patron » de cette agence, en 2013 ou 2014. Elle était venue évaluer mon F2 acheté au prix fort en 2007.
Après avoir tenu les murs de mon appartement pendant une heure, cette « professionnelle » de l’immobilier m’avait donné rendez-vous à son agence quelques jours plus tard. Tout ce cérémonial pour m’annoncer qu’elle me demandait de baisser le prix de vente de mon appartement assez drastiquement. En m’affirmant qu’autrement, je ne trouverais jamais preneur. Je m’étais fâché avec cette biomasse de suffisance qui m’avait pris pour un con. Je l’avais recroisée ensuite quelques fois dans Argenteuil. Elle avait fait attention de m’ignorer.
Pratiquement en face de l’agence de cette connasse, en traversant l’avenue Gabriel Péri, une autre agence immobilière m’avait ensuite trouvé une acheteuse intéressée me faisant une proposition supérieure de 15 000 euros à celle estimée très fiable par la connasse.
Proposition malheureusement encore inférieure de 6000 euros au prix de vente que j’attendais. Un prix de vente « raisonnable » fixé à la fois après plusieurs estimations mais aussi en tenant compte du prix d’achat (supérieur !) de mon appartement six ans plus tôt. Ce qui signifie que six ans après l’avoir acheté dans un immeuble ancien, mon appartement, un F2 pourtant bien situé en plein centre ville d’Argenteuil, avait perdu de sa valeur. Même si les agents immobiliers sollicités, chacun leur tour, avaient tenu à m’expliquer que ce n’était pas que mon appartement avait perdu de sa valeur mais…..
Les écoles à Argenteuil
Les écoles d’Argenteuil sont aussi, pour moi, un tracas. J’ai fini par découvrir qu’on habite différemment une ville selon que l’on s’y établit seul ou que l’on y élève ses enfants. Arrivé célibataire et sans enfant en 2007, mais aussi sans la moindre conscience de tout ça, je n’y avais jamais pensé en venant habiter à Argenteuil. J’étais aussi, sans doute, très confiant dans l’avenir. A la fois très optimiste mais aussi très naïf.
Au contraire, sans doute, de certains de mes proches et connaissances ayant fait le choix d’aller habiter dans d’autres villes mieux réputées ou plus fréquentables.
Il y a une vingtaine d’années encore, pourtant, à ce que j’ai pu entendre dire, les collèges publics d’Argenteuil, étaient bien voire très bien. Désormais, ces collèges sont ou seraient à éviter. Alors de plus en plus de parents, très tôt, dès la maternelle, se rabattent sur l’école privée Ste Geneviève qui s’est un peu agrandie ces cinq dernières années. J’ai connu des voisins qui avaient mis leur fille à l’école Ste Geneviève. Elle est aujourd’hui ingénieure et aurait un CV très recherché. Mais elle était allée à Ste Geneviève sans doute à peu près à l’époque où j’arrivais à Argenteuil. En 2007. Il était alors plus facile d’entrer à l’école Ste Geneviève. Ce que je connais de plus courant pour faire admettre son enfant à l’école Ste Geneviève tourne autour de : Il faut être l’enfant ou la sœur ou le frère de quelqu’un qui y a été scolarisé. Ou renouveler ses demandes plusieurs années de suite. Et relancer régulièrement l’école.
L’école publique, mais aussi le centre de loisirs, où se trouve encore ma fille m’a pourtant permis de rencontrer plusieurs enseignantes et enseignants, ainsi que des animateurs, dès la maternelle, très compétents et très impliqués. Des enseignants pour lesquels je continue de ressentir un mélange d’admiration, de reconnaissance et de sympathie. Mais dès le CE1, ma fille a dû apprendre à composer avec les absences, débutant l’année scolaire avec une enseignante, la terminant avec une autre à compter du mois de janvier. Sans compter que je ne peux m’empêcher de penser que ma fille a capté certains tics de langage et aussi certains comportements- contraires à mes limites comme à mes enseignements- dans son école et dans le centre de loisirs. Si chaque parent a à vivre ce genre d’expérience contraire à ses jugements et à ses préférences éducatives, ma déformation professionnelle (en pédopsychiatrie) me pousse néanmoins à croire que ma fille, dans son école et dans son centre de loisirs, a devant elle certains modèles répétés qui pâtissent de certaines carences éducatives. Ce qui nous oblige ensuite, sa mère et moi, à redoubler d’efforts à la maison pour rappeler à notre fille certaines règles. Pourtant, je suis pour la mixité. J’en suis d’ailleurs une des résultantes. Mais je suis pour la mixité lorsqu’elle ouvre et transcende. Pas lorsqu’elle fait régresser et se détourne de l’avenir. Parce-que l’avenir, c’est aussi aujourd’hui. Rester uniquement entre soi, ce n’est pas pour moi. Ce n’est pas mon projet.
Argenteuil est-elle une ville plus communautaire que d’autres ? Si je m’en tiens au peu que j’entrevois de certains codes sociaux dans certains milieux, y compris à Argenteuil, je dirais qu’Argenteuil est une ville aussi communautaire que d’autres. Mais plus vivante que d’autres. Argenteuil est une mappemonde. Comme Cergy-Pontoise. Ce sont deux villes où il y a beaucoup d’origines, beaucoup d’histoires diverses, mais dont très peu d’élites médiatiques rendent suffisamment compte. Sans doute parce-que, comme d’autres villes, de banlieue mais aussi de province, Argenteuil souffre beaucoup d’un certain parisianisme chevronné mais aussi exacerbé et fanatique. Et, ça, ce n’est pas près de changer. Car il faut, bien-sûr, que Paris reste la ville la plus belle de France.