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Voyage

Feuilles séparées

Feuilles séparées

 

 

Nous sommes faits de feuilles séparées. Nos assemblées ont sur les lÚvres bien des histoires commencées qui resteront secrÚtes.

 

Ce vendredi 18 janvier 2019, nous l’avons pourtant dĂ©cidĂ©.

 

Dans ce salon d’appartement du 18Ăšme arrondissement de Paris, nous sommes venus nous enrouler dans le souffle de MickaĂ«l Attias et de Jean-Brice Godet. Ce souffle frein, ce souffle train, est un emprunt. Et nous avons ce soir-lĂ  la chance de le regarder et de l’écouter nous ferrer de face plutĂŽt que de l’avoir sur les talons. Car on ne sait jamais vĂ©ritablement de quoi est fait un souffle, d’oĂč il provient, oĂč il se branche, oĂč il va et ce qu’il nous veut. Comme nous ignorons souvent exactement de quoi nous sommes faits.

Notre vie est pleine de souffles, certains Ă©teints, d’autres incertains. Et tous se cherchent un domicile, une gare, un rĂ©chaud, une frontiĂšre, un silence, une demie heure ou une gestuelle Ă  entraĂźner. Nous sommes souvent de bons clients pour eux mĂȘme si nous avons parfois du mal Ă  savoir comment nous en sortir avec eux.

Dehors, il fait assez froid, entre sept et huit degrés. Mickaël et Jean-Brice ont des poussées de souffle et des variations sans domicile fixe.

 

 

Ce soir, en les Ă©coutant, nous essayons peut-ĂȘtre de nous rappeler oĂč se trouve notre vĂ©ritable maison. Si nous en sommes encore loin et si nos itinĂ©raires – et nos rĂȘves- sont les bons. Bien-sĂ»r, cela ne se dit pas aussi grossiĂšrement. Nous sommes aussi lĂ  pour passer un bon moment, seul ou avec d’autres, tout simplement. Pour casser la route des chemins obligĂ©s comme de nos ordures quotidiennes et mĂ©nagĂšres. Nous oublions pratiquement tout de ces mauvaises habitudes. Car cela est maintenant autorisĂ©. Tant que l’espace oĂč nous sommes acceptera le souffle de ces deux hommes. L’un, petit, vif, presque teigneux par moments tout en demeurant contemplatif. L’autre, taille de gĂ©ant, peut-ĂȘtre plus ample, peut-ĂȘtre plus conciliant en apparence mais nĂ©anmoins avide des coins. Le but de ce duo est d’éviter de se laisser sĂ©duire et composer par le confort. Alors, on prend les devant. On prend aussi son temps pour s’écouter et s’inspirer de l’autre. Pour laisser passer la note depuis le silence Ă  travers le tamis de la tĂȘte de l’auditoire, sorte de couture sonore. On trace des reflets que l’on ne dresse pas, qui tournent et tiennent par leur propre volontĂ©. On amorce puis on renonce. On met son solfĂšge dans les ronces tout en le poursuivant jusque dans la doublure des sons. On produit ses propres embruns mĂȘme si le vent autour de nous est fixe et que la planĂšte est restĂ©e la mĂȘme.

Et lorsque s’arrĂȘtent les Ă©popĂ©es au plus prĂšs des pourtours de la note, on peut quelques fois entendre ce refrain :

Nous sommes faits de feuilles sĂ©parĂ©es mais nous rejoignons les mĂȘmes notes.

 

Franck Unimon, ce jeudi 31 janvier 2019.

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Cinéma

Yao

                                                Yao un film de Philippe Godeau sorti le 23 janvier 2019.

 

 

 

D’autres Ă©crits et d’autres prioritĂ©s m’ont un peu Ă©loignĂ© de Balistique du quotidien. Des articles de rattrapage devraient bientĂŽt suivre aprĂšs celui-ci. Au moins un sur la nuit de la lecture Ă  la mĂ©diathĂšque d’Argenteuil centre-ville. Un second sur un entretien. Un troisiĂšme sur un concert de jazz donnĂ© par MickaĂ«l Attias et Jean-Brice Godet. Un quatriĂšme parlera du livre L’instinct de vie de Patrick Pelloux. Les autres ?

 

Cette « pause » blog m’a permis de me dĂ©tendre. Et de me dĂ©faire un peu de cette injonction de prĂ©sence en surrĂ©gime qui nous commande en particulier sur les rĂ©seaux sociaux, cette addiction en plein essor. StratĂ©giquement, je crois bien-sĂ»r que ce blog bĂ©nĂ©ficierait de bien plus de vues si j’y postais davantage de vidĂ©os via Youtube ainsi que des enregistrements audio type blog radio. Mais rien ne presse.

 

J’écris cet article en rĂ©Ă©coutant l’album Lost & Found de Jorja Smith. Un album empruntĂ© Ă  la mĂ©diathĂšque. J’ai d’abord Ă©tĂ© perplexe lorsque j’ai entendu parler de Jorja Smith- encore une artiste anglo-saxonne !- comparĂ©e Ă  feu Amy Winehouse. Comme si Jorja Smith se devait absolument de remplacer quelqu’un. Amy Winehouse
je souhaite Ă  Jorja Smith d’avoir un destin plus serein. Mais il est vrai que bien des artistes et des cĂ©lĂ©britĂ©s ont ce « pouvoir » de supprimer certaines de nos peines tues comme d’ĂȘtre parfois les rĂ©incarnations de certains de nos proches ou de nos moments perdus. Je ne ferai pas ici la critique de l’album de Jorja Smith. Avant le sien, je devrais au moins parler de celui d’Ann O’Aro.

 

 

Mais je peux quand mĂȘme Ă©crire que Jorja Smith, aussi, chante son Ăąme Ă  pleine bouche. Et, pour avoir aperçu un bout d’une de ses performances en Live, je crois qu’aller l’écouter et la voir en concert est sĂ»rement une expĂ©rience aussi singuliĂšre que d’aller Ă©couter et voir Ann O’Aro.

 

 

 

 

Avec tout ça, je n’ai toujours par parlĂ© du film Yao de Philippe Godeau. Yao est sorti la semaine derniĂšre, le mercredi 23 janvier 2019. Avant hier, au lieu de Yao, j’aurais pu choisir d’aller voir Another Day of Life de RaĂŒl De La Fuente et Damian Nenow :

Le journaliste polonais Ryszard Kapuscinski- dont il est question dans le documentaire- a par exemple Ă©crit EbĂšne ( aventures africaines) qui m’avait beaucoup marquĂ©. Il avait aussi Ă©crit sur le NĂ©gus HaĂŻlĂ© SĂ©lassiĂ©, personnage qui a marquĂ© l’inconscient de toute personne un peu concernĂ©e par le Reggae et le Rastafarisme.

J’aurais pu aller voir le documentaire Eric Clapton : Life In 12 Bars de Lili Fini Zanuck. Cela fait des annĂ©es que j’entends dire que Clapton est « God » et aussi qu’il a pris peur ce jour oĂč, la premiĂšre fois, il avait croisĂ© Jimi Hendrix Ă  un concert. Jimi Hendrix Ă©tait donc le diable? Je n’ai jamais Ă©tĂ© converti Ă  « God » Clapton mais d’aprĂšs certains avis, ce documentaire est trĂšs bien.

Avant hier, j’aurais aussi pu aller voir Green Book : sur les routes du sud de Peter Farrelly avec Viggo Mortensen et Mahershala Ali. J’aime ces deux acteurs. Et, Ă©videmment, j’avais dĂ©couvert Mahershala Ali dans le film Moonlight (2016) de Barry Jenkins.

J’aurais aussi pu aller voir Continuer de Joachim Lafosse. L’actrice Virgine Efira m’épate pour son apparente « banalitĂ© » : il est des actrices qui captent bien plus le regard qu’elle. Et, pourtant, on la voit dans des rĂŽles qui nĂ©cessitent une grande agilitĂ© dramatique ainsi qu’une intelligence de jeu largement supĂ©rieure Ă  la moyenne. Et puis, aller au Kirghizistan avec le film m’aurait plu.

La Mule de Clint Eastwood, L’ordre des mĂ©decins de David Roux, The Hate U Give : La Haine qu’on donne de Georges Tillman jr. sont des films sortis Ă©galement ce 23 janvier 2019.

Autant dire qu’avant hier, il y’avait plein de raisons d’aller voir un autre film que Yao de Philippe Godeau. Omar Sy a beau ĂȘtre la personnalitĂ© « prĂ©fĂ©rĂ©e » des Français ou l’une des premiĂšres personnalitĂ©s « prĂ©fĂ©rĂ©es » des Français ainsi que l’acteur dont le statut a changĂ© depuis ses 20 millions d’entrĂ©es ( 19,5 plus exactement) avec Intouchables de Toledano et Nakache aux cĂŽtĂ©s de François Cluzet ( acteur dĂ©jĂ  plus que confirmĂ©). Ses 20 millions d’entrĂ©es pĂšsent assez peu face aux poids lourds du cinĂ©ma que sont Clint Eastwood, Viggo Mortensen et ses Le Seigneur des Anneaux ( j’ai aussi beaucoup aimĂ© ses films avec Cronenberg)
ou l’Aura de la musique d’un Eric « God » Clapton.

Dans une autre vie, j’aurais vu tous ces films et documentaires et bien davantage. Mais je n’ai plus cette vie. Il m’a fallu faire un choix. L’anecdote que je relate dans l’article Don’t Forget Me m’a poussĂ© vers Yao.

Dans ce film, Omar Sy est Seydou Tall, un « cĂ©lĂšbre acteur français » qui « se rend un jour au SĂ©nĂ©gal pour dĂ©dicacer son livre ». Le SĂ©nĂ©gal est son pays d’origine. Mais il s’y rend alors pour la premiĂšre fois de sa vie, autant dire comme un Ă©tranger Ă  son propre passĂ©. On comprend que son livre est plutĂŽt autobiographique.

Yao est sans doute moins bien maitrisĂ© qu’un film comme La Mule de Clint Eastwood, vieux roublard de l’histoire qui empoigne. Mais Yao Ă©tale trĂšs vite un attachement sincĂšre au SĂ©nĂ©gal ainsi qu’une connaissance solide de ce pays (le SĂ©nĂ©gal, est-ce l’Afrique ?).

Omar Sy met sa cĂ©lĂ©britĂ© d’acteur au service de sa double culture et de ce film. A travers son personnage « de cĂ©lĂšbre acteur français », on pense bien-sĂ»r Ă  lui. MĂȘme si, dans les faits, Omar Sy connaĂźt mieux son pays d’origine. En filigrane, Yao est un film plus critique qu’il n’y paraĂźt :

il reste rare dans le cinĂ©ma français qu’un Noir (cela ne dĂ©range personne lorsque l’on parle d’un « Noir amĂ©ricain ») incarne la rĂ©ussite sociale en ayant le premier rĂŽle d’un film. J’ai par exemple lu beaucoup de bien sur la sĂ©rie Hippocrate et les autres films de Thomas Lilti que j’aurai sĂ»rement beaucoup de plaisir Ă  dĂ©couvrir. Comme j’ai pu lire une de ses rĂ©centes interviews avec beaucoup de plaisir. Mais je m’étonne que ce milieu mĂ©dical et paramĂ©dical -oĂč il existe une certaine diversitĂ© dans les faits- reste aussi peu reprĂ©sentĂ© au cinĂ©ma. En France. Avec Yao, l’histoire se dĂ©roulant en Afrique, il est visiblement plus facile Ă  faire accepter au cinĂ©ma que le hĂ©ros soit Noir. Bon.

L’autre regard critique du film porte sur le grand galop entamĂ© par l’Islam. Un Islam prĂ©sent depuis plusieurs siĂšcles au SĂ©nĂ©gal et dans d’autres pays d’Afrique noire mais devenu envahissant. Le film Ă©tant peu portĂ© sur la polĂ©mique, il s’attarde peu sur le sujet. Mais lors d’une scĂšne qui doit sĂ»rement avoir Ă©tĂ© en partie improvisĂ©e ou Ă©crite en tenant compte du contexte religieux existant, le visage d’Omar Sy dit beaucoup Ă  propos de son effarement voire de son inquiĂ©tude.

La critique du colonialisme mais aussi de l’exploitation des forces vives de l’Afrique par l’Occident (ici, la France) est douce-amùre. Yao n’est pas un film rageur.

Une autre critique indirecte vise peut-ĂȘtre ce manque de tolĂ©rance du Français moyen, blanc, envers ses autres concitoyens Français d’autres « origines ». Dans Yao, le personnage de Seydou Tall jouĂ© par Omar Sy reste vraiment trĂšs trĂšs sympa lorsque son ex-femme, mĂšre de leur enfant, lui fait ce qu’il faut bien appeler un coup de crasse :

Les sĂ©parations conjugales sont Ă  la fois trĂšs douloureuses et trĂšs difficiles. On ignore ce qui a provoquĂ© la sĂ©paration entre Seydou Tall et son ex-femme blanche. On peut supposer qu’il Ă©tait peu disponible voire qu’il a pu se montrer infidĂšle au mĂȘme titre que certaines personnalitĂ©s publiques. Mais je trouve qu’il prend vraiment avec beaucoup de diplomatie le «coup » qu’elle lui fait avant son dĂ©part pour son pays d’origine. J’ai parlĂ© de « manque de tolĂ©rance ». Mais c’est plus que ça, ici. Il y’a une forme de mĂ©pris qui la rend assez peu pardonnable Ă  mes yeux quels que soient les sentiments amoureux qu’elle ait pu avoir ou qu’elle a toujours pour Seydou Tall.

Evidemment, d’un point de vue scĂ©naristique, cela permet la rencontre avec le jeune Yao. Et si le procĂ©dĂ© est sĂ»rement modĂ©rĂ©ment original, cette rencontre permet Ă  deux enfants (Yao et Seydou Tall) de se reconnaĂźtre l’un en l’autre. Je ne suis jamais allĂ© en Afrique mais le film semble montrer assez fidĂšlement ce que peut ĂȘtre le SĂ©nĂ©gal. Dans son livre EbĂšne, je crois, Kapuscinski parle de cette lumiĂšre-assez aveuglante- spĂ©cifique Ă  l’Afrique. Yao est fait de cette lumiĂšre ainsi que de cette temporalitĂ© auxquelles nos existences d’occidentaux nĂ©vrosĂ©s nous ont rendu Ă©trangers. Je me demande ce que cela aurait donnĂ© si un rĂ©alisateur comme Woody Allen avait pu s’en inspirer.

Dans ce film, on parlera bien-sĂ»r de voyage initiatique pour Seydou Tall mais aussi pour Yao. L’un vers son enfance et son passĂ©. L’autre vers son visage d’adulte et son avenir. Un passage en particulier- Ă  la mer- m’a fait penser au film Moonlight. C’est peut-ĂȘtre une coĂŻncidence.

On pourra penser aussi au chemin de Compostelle. Et cela m’a rappelĂ© le rĂ©cit qu’en a fait la journaliste Laurence Lacour dans son ouvrage Jendia, JendĂ© ( Tout homme est homme) . Bien que cĂ©lĂšbre et riche matĂ©riellement et socialement, Seydou Tall accepte de se dĂ©pouiller au fur et Ă  mesure du film. Car ce qui lui importe le plus, finalement, Ă  lui l’autodidacte qui a tout fait pour « rĂ©ussir », n’est pas dans le matĂ©riel. C’est aussi ce que rappelle d’une autre façon- plus douloureuse- le mĂ©decin urgentiste et journaliste Patrick Pelloux dans son livre-tĂ©moignage L’instinct de vie :

« (
.) Contrairement Ă  ceux qui pensent que les indemnitĂ©s ou de l’argent pourraient aider Ă  reconstruire
non, ça, c’est du matĂ©riel, ce n’est pas ça qui va reconstruire. Ce qui aide Ă  se reconstruire, c’est la bienveillance et l’amour ».

 

 

Je crois que les films rĂ©alisĂ©s par Clint Eastwood font mouche parce qu’ils rappellent aussi peu ou prou les mĂȘmes thĂšmes mais dans un style cow-boy, macho. A savoir que ce qui compte le plus, c’est la capacitĂ© de sacrifice et d’hĂ©roĂŻsme dont on est capable pour soi ainsi que pour celles et ceux que l’on dĂ©cide d’aimer et de protĂ©ger.

 

Yao fera sĂ»rement assez peu d’entrĂ©es comparativement Ă  d’autres films sortis ce 23 janvier 2019 et aprĂšs cette date. Car d’autres affiches sont plus attractives. Et Yao est un film «gentil». Il fait et fera peu de bruit. Mais c’est un film tout public qui devrait trĂšs bien vieillir. J’ai plusieurs fois Ă©tĂ© Ă©mu devant ce film avec des larmes en formation. Je comprends qu’Omar Sy ait eu envie d’en faire partie. On parlera sĂ»rement pour lui de film de « la maturitĂ© ». J’ai envie de croire qu’il Ă©tait en France pour assurer la promotion de ce film plutĂŽt que pour Le Chant du Loup d’Antonin Baudry qui sortira le 20 fĂ©vrier. MĂȘme si voir Ă  ses cĂŽtĂ©s François Civil (que j’ai beaucoup aimĂ© dans la premiĂšre ou la deuxiĂšme saison de Dix Pour Cent) et Reda Kateb me donne envie d’aller voir Le Chant du Loup.

 

Sorti le 23 janvier 2019, Yao aurait dĂ» sortir un mois plus tĂŽt car c’est un vrai film de NoĂ«l.

 

Franck Unimon, ce mercredi 30 janvier 2019.

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Echos Statiques

C’est Comportemental !

 

«(….) Mais pas d’inquiĂ©tude : si vous n’ĂȘtes pas physiquement apte Ă  danser Ă  corps perdu, le simple fait de synchroniser de petits gestes de la main avec votre voisin suffira pour que votre cerveau baigne dans le bonheur musical » conclut Aurore Braconnier dans son article Born To Dance (P4-P11) publiĂ© dans le hors-sĂ©rie numĂ©ro 49 (dĂ©cembre 2018) consacrĂ© Ă  la danse de la trĂšs bonne revue Sport & Vie.

 

Il y’a encore quelques annĂ©es, je dansais assez rĂ©guliĂšrement dans des soirĂ©es ou dans certains de ces lieux consacrĂ©s : les boites de nuit. La danse avait dĂ©butĂ© dans l’enfance oĂč, initiĂ© par l’AutoritĂ© paternelle, plus que par ma volontĂ©, j’avais dĂ» me montrer Ă  la hauteur de ma valeur sociale, culturelle et raciale :

« DĂ©pi Ki Ou SĂ© NĂšg Ou Dwet Sav DansĂš ! » (« Tout NĂšgre se doit de savoir danser ! ») dirait un jour mon pĂšre en voyant Ă  la tĂ©lĂ© l’artiste noir amĂ©ricain James Ingram se dĂ©hancher tout en interprĂ©tant le tube Yah-Mo Be There. J’étais alors ado et MichaĂ«l Jackson, avec ses clips, ses pas de danse, sa voix et sa musique de granit, rĂ©gnait sur la musique.

Si je m’étais Ă©coutĂ©, et sans l’intervention de mon pĂšre, aux nombreuses festivitĂ©s antillaises oĂč il nous emmenait (baptĂȘmes, mariages et autres ), je serais plus souvent restĂ© assis, prenant plaisir Ă  regarder le spectacle vivant qui se dĂ©ployait devant moi , Ă  ausculter ces musiques qui prolongeaient l’existence de ce monde et , bien-sĂ»r, Ă  ingĂ©rer toutes ces spĂ©cialitĂ©s culinaires qui dĂ©filaient sur un plateau Ă  portĂ©e de bouche. Lesquelles spĂ©cialitĂ©s culinaires autant que la langue crĂ©ole, la sexualitĂ©, la musique et la famille font partie de l’identitĂ© culturelle antillaise : chaudeau, boudin, accras, colombo, salade de concombres au citron et au piment
.

A la maison, aussi, mon pĂšre maintenait une occupation musicale assez constante. A l’ñge de dix ans, il m’était impossible d’ignorer qui Ă©tait Bob Marley. Jimmy Cliff, OphĂ©lia, CoupĂ© ClouĂ©, James Brown et d’autres tubes de cĂ©lĂ©britĂ©s antillaises ignorĂ©es (sous-estimĂ©es ?) par le Français lambda m’étaient tout autant familiers mĂȘme si je n’en retenais ni les noms ni les titres.

 

J’ignore si je serais entrĂ© un jour de moi-mĂȘme dans la danse. Si j’admire une personnalitĂ© comme la navigatrice Ellen Mac Arthur qui, dans son livre Du Vent dans les RĂȘves, raconte aussi son Ă©tonnement – et sa luciditĂ© !- Ă  apercevoir Ă  17 ans des filles de son Ăąge perchĂ©es sur des talons aiguilles afin de se rendre d’un pas mal assurĂ© vers la boite de nuit du coin –un peu comme on se rend dans un abattoir social- j’ai depuis compris, aussi, la grande force en mĂȘme temps que le Savoir, que la musique et la danse peuvent transmettre Ă  un corps et Ă  une Ăąme. . Et, je regrette, enfant, de n’avoir pas pu ou pas su prendre des notes de ce que je voyais et dĂ©couvrais Ă  ces soirĂ©es antillaises comme Ă  propos de plusieurs de ces titres que j’ai pu entendre. Il est assez vraisemblable qu’avec une camĂ©ra dans les mains, enfant, j’aurais filmĂ© lors de ces soirĂ©es. Un stylo, un crayon ou un pinceau, Ă©crire, dessiner, peindre, ce sont peut-ĂȘtre les moyens du bord pour celle et celui qui ne dispose pas de camĂ©ra ou d’appareil photo et qui s’attache durablement Ă  ce qu’il voit comme Ă  ce qu’il vit mal ou bien.

 

Sans qu’un mot ne se soit jamais Ă©changĂ© sur le sujet entre mon pĂšre et moi, alors qu’ado, j’entamais ma croissance en tant qu’amateur de musique, lui, cessait d’en Ă©couter comme de se procurer des magazines tels que Rock&Folk ou Rolling Stones. Peut-ĂȘtre avait-il renoncĂ© Ă  rĂȘver ? Et, peut-ĂȘtre, est-ce, sensiblement au mĂȘme Ăąge, que j’ai, Ă  mon tour, arrĂȘtĂ© de danser dans quelques lieux ou soirĂ©es, il y’a quelques annĂ©es. Bien que mon attrait pour la musique et la dĂ©couverte de nouveaux genres musicaux et de nouveaux titres soient conservĂ©s. Lorsque j’y rĂ©flĂ©chis, j’ai l’impression que je n’ai plus faim. Et qu’il faut avoir faim d’espaces et de gestes pour avoir envie et besoin de danser. Comme il faut avoir faim pour apprendre Ă  penser autrement ou autre chose. Si l’on est repu, dĂ©sabusĂ© ou dĂ©primĂ©, on se lasse devant le moindre apprentissage et l’on s’en tient Ă  un minimum d’actions et de pensĂ©es.

 

« (
.) Le danseur intĂšgre en effet perpĂ©tuellement des gestes inhabituels et abstraits, ce que les autres espĂšces ne font pas ou exceptionnellement » nous confirme Aurore Braconnier, toujours dans le mĂȘme article ( Page 9) du hors-sĂ©rie numĂ©ro 49 de la revue Sport& Vie mentionnĂ©e au dĂ©but de cet article.

 

Ce dimanche du mois d’octobre dernier, il serait plus qu’exagĂ©rĂ© de dire que j’intĂ©grais des gestes inhabituels et abstraits. J’effectuais certes « les mĂȘmes petits gestes avec la main » que certains de mes voisins directs, prĂ©cĂ©dents ou ultĂ©rieurs, avaient produit ou rĂ©aliseraient, mais je ne me reconnaitrais pas dans l’expression : « (
.) Votre cerveau baigne dans le bonheur musical ». Si j’y avais mis un peu du mien en Ă©coutant de la musique, comme cela se fait dĂ©sormais couramment, au moyen d’un casque ou d’oreillettes, peut-ĂȘtre me serais-je un peu introduit dans le bonheur musical dĂ©crit dans cet article d’Aurore Braconnier. Mais je n’étais pas dans ces dispositions ce jour-lĂ  mĂȘme si tout allait plutĂŽt bien. Comme j’empruntais mon trajet habituel de travail afin de venir- volontairement- effectuer des heures supplĂ©mentaires (rĂ©munĂ©rĂ©es) dans mon service. Et, « les mĂȘmes petits gestes avec la main » que, comme mes voisins, j’effectuais ce jour-lĂ , consistaient au moins Ă  sortir mon Pass Navigo afin de franchir les portes de validation.

 

ArrivĂ© Ă  la gare St-Lazare, je me dirigeais vers l’endroit oĂč j’allais rejoindre la correspondance pour prendre le mĂ©tro. Un trajet que j’avais Ă©tudiĂ© et fini par sĂ©lectionner parmi plusieurs. Le plus direct. Le moins de pas gaspillĂ©s. Je le prenais dĂ©sormais sans rĂ©flĂ©chir. Lorsque les portes de validation ont refusĂ© de me laisser passer, je ne me suis pas formalisĂ©. Assez rĂ©guliĂšrement, Ă  cet endroit, il arrive que ces portes de validation soient capricieuses. Mais je finis toujours par passer. AprĂšs plusieurs passages de mon Pass Navigo sur la borne, Ă  un moment donnĂ©, la porte de validation me laisse entrer. Lorsque l’on se rend au travail ou Ă  un rendez-vous, l’enjeu d’un parcours le plus fluide possible est simple : Moins on perd de temps pour passer d’un endroit d’une gare Ă  un autre, et moins on prend le risque de rater notre correspondance et de devoir attendre sur le quai des minutes supplĂ©mentaires dont on aurait pu se passer. Et, j’avais finalement choisi ce trajet pour cette raison.

Mais ce dimanche, ça ne passe pas pour moi malgrĂ© plusieurs tentatives avec mon Pass Navigo tout Ă  fait valide. Finalement, un autre usager qui passe aprĂšs moi rĂ©ussit, lui, Ă  passer. TrĂšs poliment, il me retient la porte afin que je puisse passer Ă  mon tour. Je le remercie. Je passe et commence Ă  descendre les marches. Et, lĂ , un homme en civil peu aimable avec un brassard autour du bras se dirige vers moi. Avec autoritĂ©, il me demande une piĂšce d’identitĂ©. Je m’exĂ©cute tout en lui expliquant tout de suite : « Les machines ne marchent pas ». L’homme ne me rĂ©pond pas. Ma carte d’identitĂ© dans la main, je comprends qu’il me sĂ©questre alors qu’il m’intime de le suivre un peu plus loin oĂč, prĂšs d’un mur, dans un angle oĂč il est impossible de les apercevoir lorsque l’on se trouve prĂšs des portes de validation, se trouvent des contrĂŽleurs en tenue. Le flic, car, pour moi, il ne peut s’agir que d’un agent de police, remet ma piĂšce d’identitĂ© Ă  un des contrĂŽleurs sans prendre la peine de restituer un seul des mots que je viens de lui Ă©noncer et qui sont, pourtant, des faits :

Ces portes de validation marchent quand elles « veulent » et quand elles peuvent. Je peux en tĂ©moigner puisqu’il s’agit de mon trajet habituel de travail.

Une fois sa mission effectuĂ©e avec « efficacitĂ© » (interpeller toute personne qui franchit les portes “sans” valider son titre de transport), le flic repart se mettre Ă  son poste. Comme si je n’avais jamais existĂ©. Je n’aurai du reste plus le moindre contact avec lui.

Pour moi, c’est dĂ©cidĂ© dĂšs le dĂ©but de mon « interpellation » : Je refuse de payer une quelconque amende pour des machines qui dysfonctionnent !

J’explique au contrĂŽleur que j’ai bien prĂ©cisĂ© Ă  l’agent de police que les portes de validation ne marchent pas. Celui-ci m’écoute un petit peu. ContrĂŽle mon Pass Navigo. Puis, constatant qu’il est en rĂšgle, me dit trĂšs vite :

« C’est un Pass Navigo. Je ne vous le fais pas ! ». Traduction : « Je ne vous mets pas d’amende». Mais je suis encore sous le coup de l’agression de cette interpellation absurde et bornĂ©e : Plusieurs agents de la police et de la RATP (environ une dizaine) sont lĂ , en embuscade, en contrebas de ces marches d’escaliers afin de harponner des usagers fraudeurs. Mais aucun d’entre eux ne se prĂ©occupe du bon Ă©tat de fonctionnement des portes de validation comme du confort des usagers qui, comme moi, sont en rĂšgle, et doivent pourtant rĂ©guliĂšrement se farcir les dĂ©sagrĂ©ments occasionnĂ©s par des dĂ©rĂšglements techniques qui sont de la responsabilitĂ© au moins de la SNCF et de la RATP. Entreprises que les usagers- comme moi- paient. Cela, j’essaie de l’expliquer au contrĂŽleur.

Mais il n’est pas de mon avis.

Il me rĂ©pond qu’il y’a d’autres portes de validation en cas de problĂšme. Il ajoute :

« C’est comportemental. Si des usagers vous voient faire ça, ça les poussera Ă  faire pareil ». Son argument se tient. Mais oĂč se trouvent ces autres portes de validation dont il me parle ?! J’aimerais bien qu’il me les montre vu qu’il s’agit quand mĂȘme de mon trajet de travail et que je n’ai jamais remarquĂ© ces autres portes dont il me parle ! Et, menant le geste Ă  la parole, je lui indique de me montrer ! Et, il me montre.

En effet, Ă  deux ou trois mĂštres sur la gauche des portes de validation que j’emprunte habituellement, je dĂ©couvre d’autres portes de validation.   Sur le panneau indicatif qui les surplombe, sont signalĂ©es d’autres lignes de mĂ©tro que la mienne. Ce qui est sans doute la raison pour laquelle, si un jour – lors de mes premiers passages- j’avais portĂ© un vague regard sur ce panneau indicatif, mon cerveau avait rapidement Ă©liminĂ© cet itinĂ©raire et cette information. Sans prendre la peine de venir regarder, contrĂŽler, de prĂšs. Sauf que lĂ , “guidĂ©” en quelque sorte par le contrĂŽleur qui vient de contredire mes affirmations et mon expĂ©rience d’usager, je prends le temps d’aller regarder oĂč mĂšnent ces portes de validation dont il vient de me parler.

Le suspense est trĂšs court :  Je me rapproche. Et, en prenant le temps de les regarder, je dĂ©couvre qu’en passant par ces portes de validation, je peux ensuite facilement rejoindre mon itinĂ©raire de travail.  Jusqu’alors, je ne l’avais jamais remarquĂ© et je n’y avais jamais pensĂ©. Je m’Ă©tais persuadĂ© que si je prenais cet itinĂ©raire, donc ces autres portes de validation situĂ©es Ă  deux ou trois mĂštres Ă  gauche de celles que je prends habituellement, que cela serait impossible. J’Ă©tais convaincu que ce trajet Ă©tait sĂ©parĂ© de mon trajet par un mur. Sauf que le mur Ă©tait, dans les faits, dans ma tĂȘte. C’Ă©tait une construction de mon esprit. Et, j’Ă©tais restĂ© focalisĂ© sur mon seul trajet.  Sur “mes” portes de validation habituelles . Celles que j’avais sĂ©lectionnĂ©es de maniĂšre dĂ©finitive.  Et,  une fois celles-ci  sĂ©lectionnĂ©s, face Ă  un problĂšme de dysfonctionnement de leur part, au lieu d’essayer d’élargir mon champ d’horizon, de pensĂ©e et d’action, je m’Ă©tais obstinĂ© Ă  rester dans la mĂȘme logique : passer uniquement par ces portes de validation habituelles. Un peu comme si j’Ă©tais mariĂ© avec elles pour la vie. Pour le meilleur et pour le pire. Et qu’il m’avait Ă©tĂ© impossible de concevoir de leur faire une petite “infidĂ©litĂ©” en quelque sorte. De prendre un peu de libertĂ© par rapport Ă  leur fermeture rigide et obstinĂ©e. En cela, avant d’ĂȘtre confrontĂ© Ă  ce contrĂŽleur, je m’Ă©tais montrĂ© aussi rigide et aussi obstinĂ©, aussi butĂ©, que ces portes de validation. 

J’ai failli ĂȘtre sanctionnĂ© d’une amende, voire de plus si je m’Ă©tais agitĂ© ou rebellĂ©, parce-que je suis un usager des transports “fidĂšle”…Ă  des portes de validation qui ne me calculaient pas.  

 

On peut dire beaucoup Ă  propos de cette expĂ©rience. D’abord, ce flic, pour moi, reste un individu et un professionnel qui suscite la colĂšre. Une attitude comme la sienne, transposĂ©e dans un autre mĂ©tier, aussi terre Ă  terre, aussi butĂ©e, suscitera de la colĂšre chez d’autres personnes. Mais comme c’est un flic, toute personne qui, Ă  ma place, se serait rĂ©voltĂ©e physiquement ou verbalement au delĂ  de ce qui est « tolĂ©rable » sur un espace public en prĂ©sence d’un reprĂ©sentant de la loi ou de l’ordre, se serait retrouvĂ©e malmenĂ©e au moins physiquement. Fort heureusement pour moi, lors de cette situation d’interpellation, en dĂ©pit du stress de la situation, j’ai pu rester calme, confiant et capable de me maitriser et de m’exprimer « convenablement » : de façon policĂ©e et assez facilement comprĂ©hensible et supportable. Mon comportement a donc demandĂ© assez peu d’efforts d’adaptation intellectuelle, morale, culturelle, psychologique et physique Ă  mes interlocuteurs policier, et contrĂŽleur.

Ce contrĂŽleur « comportementaliste », on peut avoir envie de le critiquer. D’autant que celui-ci n’a pas compris mon insistance lorsque j’ai essayĂ© de lui faire comprendre ce qu’il pouvait y avoir de violent dans le fait de se faire interpeller par le flic comme je l’ai Ă©tĂ© alors que je suis en rĂšgle. Et que je n’ai fait que m’adapter quant Ă  moi au dysfonctionnement d’une machine dont je ne suis pas responsable. Ce contrĂŽleur ne semble pas non plus avoir compris que je me sois aussi exprimĂ© pour de futurs usagers Ă©ventuels qui, comme moi, alors qu’ils auront un Pass Navigo ou un titre de transport en rĂšgle, ne penseront pas Ă  se rendre vers les autres portes de validation, et se comporteront comme moi si celles-ci bloquent. Ce qu’il m’a traduit de la façon suivante : « Je suis gentil, je ne vous mets pas d’amende et vous essayez encore de nĂ©gocier ! Sinon, ça ferait 60 euros Ă  payer sur place ! ». Je lui ai rĂ©pondu que je voyais bien le geste de gentillesse. Mais que j’essayais de lui faire comprendre que j’étais de bonne foi ! La bonne foi, il la percevait bien m’a-t’il rĂ©pondu. Mais sa perception demeurait comportementaliste. Nous nous sommes sĂ©parĂ©s sur un « Bon week-end » sans amende.

 

Quel est le rapport avec ces articles sur la danse ?

Le plus facile pour moi qui Ă©tais en colĂšre serait de spontanĂ©ment dĂ©clarer que cet agent de police qui m’a contrariĂ© a Ă©tĂ© incapable « d’intĂ©grer perpĂ©tuellement » des gestes mais aussi des pensĂ©es inhabituels. Il m’a vu passer Ă  la suite d’un autre usager et en a dĂ©duit que j’étais en fraude. Par contre, il n’a pas vu ou il lui a Ă©tĂ© impossible de concevoir que j’aie pu essayer au moins cinq fois – en changeant de porte de validation- de passer au moyen de mon Pass Navigo parfaitement valide. Cela pour la version la plus optimiste.

Car la version la plus pessimiste donnerait ceci : Cet agent de police savait que les portes de validation Ă©taient dĂ©fectueuses. Mais, sciemment, afin de faire du chiffre en termes de contrĂŽle et se donner et donner l’illusion d’une efficacitĂ©, il a interceptĂ© toutes les personnes qui, comme moi, ce jour-lĂ , ont eu le mĂȘme comportement.

Personnellement, je crois à la version optimiste qui est déjà suffisamment irritante.

Je pourrais aussi avancer que le contrÎleur « comportementaliste », aussi, a eu du mal à

« intĂ©grer» une pensĂ©e et des gestes inhabituels. Sauf que, dans cette histoire, il est aussi celui qui a pris la dĂ©cision de ne pas me donner d’amende. Et de dĂ©sarmer tout de suite la crise ou l’injustice Ă©ventuelle. Ce en quoi, j’ai eu de la chance. Et, je l’en remercie encore. Car si je m’étais trouvĂ© face Ă  un contrĂŽleur aussi bornĂ© que l’agent de police, il m’aurait Ă©tĂ© plus difficile d’éviter une amende.

En outre, le contrĂŽleur que j’ai croisĂ© m’a dĂ©montrĂ©/rappelĂ©, qu’au lieu de foncer tĂȘte baissĂ©e vers les mĂȘmes portes de validation et vers les mĂȘmes dĂ©cisions qu’il importe, aussi, de savoir prendre le temps de regarder un peu autour de soi. Aussi, je dois conclure que, dans cette expĂ©rience, j’ai aussi eu beaucoup de mal, au moins par habitude, Ă  « intĂ©grer perpĂ©tuellement des gestes inhabituels et abstraits ». Cette habitude vient aussi de notre façon d’apprendre.

 

Toujours dans ce numĂ©ro de la revue Science & Vie que j’ai citĂ©, il est aussi dit : « (
..) Les chercheurs Timothy Lee, Stephan Swinnen et Sabine Verschueren ont montrĂ© en 1995 que, mĂȘme aprĂšs soixante essais pratiques, le cerveau ira toujours dans le sens des mouvements qu’il connaĂźt. Ce n’est qu’aprĂšs 180 essais qu’il reproduira systĂ©matiquement le nouveau schĂ©ma de mouvements » (interview de Deborah Bull, ancienne ballerine du Royal Ballet de Londres, par Aurore Braconnier, P24-31 dans Sport & Vie Hors sĂ©rie numĂ©ro 49).

 

 

 

Et, Ă©galement dans cette interview de Deborah Bull, nous apprenons que, selon Paul Fitts et Michael Posner, nous savons depuis 1967 que l’apprentissage d’une habiletĂ© motrice se dĂ©roule en « trois Ă©tapes » : D’abord, « la phase cognitive ». « A ce stade, les erreurs sont frĂ©quentes et, bien que l’on sache gĂ©nĂ©ralement que l’on fait quelque chose de mal, on ignore comment le corriger ». Puis, vient « la phase associative oĂč on commence Ă  associer certains indices au mouvement. Les normes de performance deviennent un peu plus cohĂ©rentes et on commence Ă  dĂ©tecter certaines de nos erreurs ». Enfin, « AprĂšs une pratique sĂ©rieuse et soutenue – qui peut prendre de nombreuses annĂ©es- certaines personnes (pas toutes) entrent dans la troisiĂšme phase, la phase autonome. Maintenant, la compĂ©tence est devenue presque automatique. On n’a plus besoin de penser Ă  ce que l’on fait et on peut souvent effectuer une autre tĂąche en mĂȘme temps – comme parler Ă  une camĂ©ra pendant que l’on danse ou tenir une conversation pendant que l’on conduit. C’est le mode pilotage automatique. On possĂšde tous un vaste rĂ©pertoire de compĂ©tences quotidiennes que l’on exĂ©cute automatiquement ».

 

J’ai Ă©tĂ© suffisamment autonome pour me rendre jusqu’à ces portes de validation en « mode pilotage automatique ». L’incident causĂ© par ce double contrĂŽle (policier et contrĂŽleur ) m’a donnĂ© la possibilitĂ© de me rappeler comment, finalement, cette forme de confort peut aussi faire perdre
une certaine autonomie de pensĂ©e et d’action et me rendre hors-service.

Lorsque je suis repassé aprÚs ma journée de travail, une affiche spécifiait que les portes de validation en question étaient hors-service.

 

 

Je prends toujours le mĂȘme trajet. Il ne m’est plus arrivĂ© la mĂȘme mĂ©saventure depuis.

 

Franck, ce lundi 21 janvier 2019. ,

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Cinéma

Don’t Forget Me un film de Ram Nehari

 

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Don’t Forget Me un film de Ram Nehari (Sortie en salles ce 30 janvier 2019)

 

 

 

 

 

 

Nation prĂ©maturĂ©e – au sens oĂč un bĂ©bĂ© nait prĂ©maturĂ©ment- entraĂźnĂ©e par son instinct de survie, IsraĂ«l est devenue une grande Puissance Ă©conomique, politique, culturelle et militaire. Refuge, prodige et espoir pour certains, elle est aussi cet Etat exterminateur qui en confine d’autres dans la colĂšre et le dĂ©sespoir. Pour cela au moins, IsraĂ«l a le visage de l’HumanitĂ©. On peut classer les films qui nous montrent certaines facettes du visage d’IsraĂ«l comme des Ɠuvres de propagande et les condamner. On peut aussi les regarder. Car qu’on les aime ou qu’on les rejette, ils nous parlerons de nous.

 

Dans Don’t Forget Me, ce visage situĂ© entre les consciences du passĂ©, du prĂ©sent et de l’avenir, entre celles de l’Orient et l’Occident, entre celles de la vie et la mort, est principalement celui de Tom et Neil ( ou Niel). Tom ( l’actrice Moon Shavit), prĂ©nom ou surnom d’homme sur un corps de femme, et Neil ( l’acteur Nitai Gvirtz), prĂ©nom du premier astronaute- et du premier homme- Ă  prendre pied sur la lune sont les guirlandes qui vont nous guider Ă  travers certains orifices de l’Etat d’IsraĂ«l. Ce sont deux ĂȘtres Ă  la lisiĂšre de plusieurs mondes. Tom le dit Ă  un moment du film : « Je suis un millier de choses ».

 

 

 

 

IsraĂ«l, de par son statut gĂ©opolitique, est un monde Ă  part. Tom et Neil essaient d’incruster leurs univers Ă  l’intĂ©rieur de ce monde. Une fois passĂ©s les check-points et les faux-semblants de la rĂ©ussite de la sociĂ©tĂ© israĂ©lienne. Ce film dĂ©plaira donc Ă  toutes celles et Ă  tous ceux qui prĂ©fĂšrent donner ou exporter d’IsraĂ«l l’image exclusive d’un pays glamour ou exotique. Mais ce film heurtera aussi toute personne qui recherche une comĂ©die facile.

 

J’avais faim en entrant dans la salle. Je venais pourtant de prendre mon petit-dĂ©jeuner. La faim m’est passĂ©e pendant le film. L’affiche sentimentale du film est trompeuse. Il y’a bien une histoire d’amour. Mais c’est Ă©videmment la reprĂ©sentation de l’ange dominant un dĂ©mon Ă  l’arriĂšre-plan qui illustre le mieux la routine de Tom et Neil. L’une est aux arrĂȘts dans un centre pour troubles alimentaires aprĂšs avoir Ă©tĂ© identifiĂ©e/diagnostiquĂ©e comme anorexique. Le second est en rĂ©mission. AprĂšs un passĂ©- que l’on devine plus ou moins long- dans un Ă©tablissement psychiatrique, Neil essaie de rattraper les notes du Temps. Sur la lune, ce serait peut-ĂȘtre possible. Mais nous sommes en IsraĂ«l.

 

 

 

 

Disque rayĂ©, le sourire de Tom et celui d’autres protagonistes du film font d’elles (ce sont majoritairement les femmes, dans ce film, qui s’ankylosent dans le sourire) des cousines de Lara-Victor dans le film Girl de Lukas Dhont. Sauf que plusieurs de leurs simulacres sont dĂ©masquĂ©s par une camĂ©ra qui se fait parfois la traĂźne des soignants qui, ici, font plutĂŽt penser Ă  des matons emmurĂ©s dans le protocole. Devant certaines scĂšnes et certaines rĂ©pliques, on criera peut-ĂȘtre au film « glauque ». J’ai prĂ©fĂ©rĂ© y trouver un certain humour noir- jubilatoire et cathartique- comme Nehari renverse plusieurs fois le schĂ©ma des normes et de la biensĂ©ance.

 

Il est connu que les personnes ( ce sont majoritairement des adolescentes ou des femmes) anorexiques ont des corps de rescapĂ©s d’espaces concentrationnaires alors qu’elles vivent gĂ©nĂ©ralement dans des conditions matĂ©rielles leur permettant de « bien » s’alimenter. Don’t Forget Me, plutĂŽt rĂ©aliste pour restituer le climat d’un centre de troubles alimentaires, nous en donnera un aperçu dans une scĂšne qui est le contre-pied total de bien des scĂšnes Ă©rotiques et romantiques de la vie et du cinĂ©ma.

 

Plus d’une heure trente dans cet environnement aurait Ă©tĂ© quelque peu Ă©touffant. Aussi, Ram Nehari nous fait-il sortir de tout ça en permettant Ă  Tom et Neil de se retrouver Ă  l’extĂ©rieur. Cela nous apporte, comme Ă  eux, une bouffĂ©e d’air. Mais Ram Nehari, contrairement Ă  Tom et Neil, est en rĂšgle avec le rĂ©el. Le repas de famille chez les parents de Tom est un des “sommes-mets” les plus dĂ©lectables  ( TrĂšs bonne prestation de l’actrice Rona Lipaz-Michael dans le rĂŽle de la mĂšre de Tom) de ce film qui, s’il indisposera, est pourtant plus qu’à consommer. On doit bien pouvoir trouver dans celui-ci quelques correspondances avec le cinĂ©ma d’un Yorgos Lanthimos, d’un Robert Altman ou d’un Todd Solondz.

 

Jeunes adultes IsraĂ©liens, Tom et Neil sont en exil dans leur vie et dans leur pays qui leur sont des mondes interdits. Ram Nehari nous dit que malgrĂ© toute sa puissance et ses succĂšs, plusieurs gĂ©nĂ©rations aprĂšs la Shoah, IsraĂ«l a des enfants et des parents qui ne savent pas vivre. Ensemble comme sĂ©parĂ©ment. L’intelligence sur-effective, mais aussi affective, d’une Tom et l’optimisme naĂŻf d’un Neil n’y suffisent pas. Et ceux qui, Ă  l’instar d’Alon ( l’acteur Eilam Wolman), incarnent ces jeunes IsraĂ©liens aisĂ©s, insouciants et cosmopolites sont guettĂ©s par les addictions, le vide et la violence.

MĂȘme le langage est une terre de dĂ©ception. Il est tantĂŽt une bande qui tourne Ă  vide et qu’il faut faire semblant d’écouter- pour ne pas blesser l’autre- ou un organe plutĂŽt propice au dĂ©veloppement de sentiments d’abandon et de dĂ©solation en donnant de mauvaises nouvelles. Ram Nehari ne parle pas de la Palestine. Ou pas directement.

 

Mais le sourire de Tom est bien fait de ce mĂ©tal hurlant jusqu’au soleil couchant. Celui d’un certain inconscient qui refuse d’ĂȘtre oubliĂ© et de disparaĂźtre.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 18 janvier 2019.

Ps : le film est bien meilleur que la bande annonce et les photos.

 

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Voyage

Mise en bouche

J’espĂšre bientĂŽt vous faire dĂ©couvrir la chanteuse Mama Toumani Kone. En attendant, voici  un petit tour d’horizon de quelques assiettes rencontrĂ©es entre l’Ă©tĂ© et l’hiver. Prix de la dĂ©couverte :

20 euros au maximum Ă  chaque fois.

 

Il y’a d’abord eu le restaurant vĂ©gĂ©tarien et vegan Too.Ti Bon à Lannion. C’est un peu loin de Paris.

Mais on a aussi le droit de s’y rendre. Nous y sommes allĂ©s dĂ©jeuner avant de nous rendre Ă  la mer.   Je voulais un autre repas qu’une galette. ExtĂ©rieurement, l’endroit m’a fait bonne impression. Ce restaurant a Ă©tĂ© une trĂšs bonne surprise. C’Ă©tait effectivement trĂšs bon. L’absence de viande a Ă©tĂ© trĂšs vite engloutie.

 

La clientĂšle Ă©tait variĂ©e. J’ai discutĂ© avec un couple. Si je me rappelle-bien, Monsieur Ă©tait Australien et Mme venait d’un  pays comme la Hollande. Ils m’ont appris que le restaurant oĂč nous nous trouvions Ă©tait rĂ©putĂ© et recommandĂ© dans les guides.

 

 

Quelques semaines plus tard, aprĂšs ĂȘtre allĂ© voir le film The Spy Gone North,  j’avais faim. L’effet de la guerre froide entre la CorĂ©e du Nord et la CorĂ©e du Sud ou l’heure tout simplement. Pour remĂ©dier Ă  cela, je suis allĂ© dĂ©couvrir des spĂ©cialitĂ©s chinoises.

Sympathique et connectĂ©, le patron m’a accueilli avec le sourire. Mais il Ă©tait un petit peu inquiet lorsque je lui ai dit que je comptais crĂ©er un blog. Il craignait que je critique sa boutique. J’ai Ă©crit le nom du blog sur un bout de papier. Il l’a gardĂ© avec prĂ©caution. C’Ă©tait en septembre-octobre…

A cĂŽtĂ© de moi, une habituĂ©e m’a appris venir de province. J’ai bien perçu que ce restaurant avait ses initiĂ©s. La clientĂšle semble plutĂŽt ĂȘtre constituĂ©e de cadres dĂ©contractĂ©s. En tout cas lorsque j’y Ă©tais sur l’heure du dĂ©jeuner.

Ces petites boules cuites Ă  la vapeur peuvent contenir du salĂ© comme du sucrĂ©. Du fromage comme de la viande. En en prenant cinq, je me demandais si j’aurais encore faim ensuite. On m’a assurĂ© que cela parlerait Ă  ma faim. On a eu raison de me dire ça. La nourriture est bien-sĂ»r une histoire de palais et d’Ă©ducation. J’ai mangĂ© mes “boules” sans rechigner. Elles portent Ă©videmment un autre nom que j’ai la fainĂ©antise, ce soir, de retrouver. Seraient-ce des Bao ?

HĂ© oui, c’est bien ça. L’endroit peut ĂȘtre un peu petit lorsqu’il y’a du monde. Mais, par temps calme, il doit ĂȘtre bien agrĂ©able de s’y poser. Ici, nous sommes prĂšs des Halles dans le premier arrondissement de Paris.

Puis, petit dĂ©tour par le 18Ăšme arrondissement avec ce repas dĂ©crit dans l’article Etat Satisfaisant . 

La prĂ©sentation est diffĂ©rente mais le repas avait ses atouts. De tous les plats prĂ©sentĂ©s dans cet article, celui-ci Ă©tait le plus copieux ( voici lĂ  le repas servi pour une personne) et le moins onĂ©reux. Se mĂ©fier, sur la feuille d’aluminium de droite, des petits copeaux verts : plutĂŽt que des signes d’espoir, il s’agit de piment Ă  l’Ă©tat sauvage qui prend souche dans la bouche et vous la rend seulement aprĂšs qu’elle se soit livrĂ©e Ă  la confession. Depuis, j’ai cherchĂ© ce restaurant sur le net. Il y est introuvable.

Bon ! Il est temps de conclure. Ce matin, je suis allĂ© Ă  la projection de presse de Don’t Forget Me de Ram Nehari. Je l’avais ratĂ© la derniĂšre fois. J’en parle dans l’article Don’t Forget Me . Je parlerai bientĂŽt du film.

AprĂšs l’avoir vu, je suis passĂ© par l’Italie . Depuis la rue, en apercevant le restaurant J Ghiotti, dans le 17Ăšme,  on devine que l’on est ici dans de la cuisine authentique. Et non dans une quelconque chaine Ă  pizzas. D’ailleurs, pas de pizza sur la carte, c’est un signe, non ?

L’accueil est d’abord serrĂ©, le sourire, avalĂ©. Mais le service est prĂ©cis.

J’avais oubliĂ© ce que c’Ă©tait que de se rendre seul au restaurant. C’est aussi agrĂ©able. On regarde les gens. On Ă©coute ce qui se raconte Ă  cĂŽtĂ© de soi. On contemple ce qui nous environne. Les menus sont en Italien. Je crois avoir commandĂ© un Rigatoni Alla Personna . Pas de viande.

Et c’est trĂšs bien. En cinq minutes, mon assiette est vide. Quelques minutes plus tard, Attenzione ! Le Tiramisu du chef. Son goĂ»t surprend un peu au dĂ©but. Car je suis trĂšs traditionnel avec le Tiramisu.  Mais ça se dĂ©guste. Comme le sourire de la serveuse qui est apparu.

 

Franck, ce jeudi 17 janvier 2019.

 

 

 

 

 

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Echos Statiques

Combats de boxe

« Les combats de boxe, la grande diversitĂ© des sports de combats, ainsi que tous les films, les    « idoles », les Ă©missions ou les documentaires qui les ont prĂ©cĂ©dĂ©s ou en dĂ©coulent sont une activitĂ© de bourrins pour des gogos qui ont de l’argent Ă  dĂ©penser et des corps Ă  estropier ».

C’est Ă  peu prĂšs ce que pensent, ont pensĂ© ou penseront des gens « biens », rĂ©flĂ©chis
et « non-violents ». Les combats de boxe, la grande diversitĂ© des sports de combats, c’est, d’un commun accord, de la sueur, des corps des deux sexes qui se confrontent et se choquent, de la souffrance, quelques fois des hĂ©matomes et un peu de sang, parfois des blessures et aussi des destructions irrĂ©versibles pour certaines et certains pratiquants. Mon mĂ©decin du sport m’a parlĂ© d’un boxeur qui avait pris tellement de coups qu’à partir de la trentaine, celui-ci Ă©tait obligĂ© de prendre des notes chaque fois qu’on lui parlait afin de se remĂ©morer ce qu’on venait de lui dire : « ChĂ©ri, je te quitte avec ton meilleur ami. RĂ©ponse type : Attends ma puce, je vais chercher mon cahier et un stylo pour noter tout ce que tu viens de me dire ». On pourrait penser au film Memento de Christopher Nolan mais dans le film de Nolan, le hĂ©ros n’est pas un boxeur. Ou alors j’ai dĂ©jĂ  reçu tellement de coups que je l’ai oubliĂ©.

 

La boxe et les sports de combat ont une mauvaise image auprĂšs d’un certain public. Voire le sport tout court. Chaque sport, de combat ou non, comporte des risques et il est nĂ©cessaire d’en respecter et de savoir en faire respecter les rĂšgles. Pour cela, il existe des MaĂźtres, des professeurs, des Ă©ducateurs, des formateurs, des mĂ©decins, des fĂ©dĂ©rations, des arbitres, des rĂšgles. Et, avant cela, il existe des parents, des tuteurs. Et des pratiquants conscients d’eux-mĂȘmes, de leurs possibilitĂ©s comme de leurs limites et de leurs erreurs, car ils auront appris Ă  se connaĂźtre au travers des Ă©preuves, des apprentissages et des instructions diverses – y compris thĂ©oriques- qu’elles et ils auront reçus ou seront allĂ©s chercher. Personnellement, j’ai fini par comprendre qu’une grande partie des blessures physiques liĂ©es au sport survient souvent alors que l’on a une vulnĂ©rabilitĂ© affective particuliĂšre. PrĂ©sentĂ©s comme cela la boxe et les sports de combats ressemblent dĂ©jĂ  un peu moins Ă  des pratiques de bourrins et de fanatiques pour gogos. MĂȘme s’il s’y trouve des bourrins, des fanatiques et des gogos comme ailleurs. Mais, au moins, ces bourrins et ces fanatiques-lĂ  se dĂ©ploient-ils Ă  visage dĂ©couvert et acceptent de se retrouver seuls face Ă  des adversaires plus ou moins prĂ©venus et plus ou moins prĂ©parĂ©s : un jour, la dĂ©faite de ces bourrins et fanatiques peut ĂȘtre aussi violente- dans les rĂšgles- que n’a pu l’ĂȘtre leur carriĂšre victorieuse si celle-ci l’avait Ă©tĂ©.

 

Si l’on a besoin d’un peu plus de « preuves » intellectuelles et littĂ©raires de ce que la boxe ou les sports de combat peuvent permettre comme rĂ©flexion sur la condition humaine, des ouvrages comme De La Boxe de Joyce Carol-Oates, Un GoĂ»t de rouille et d’os de Craig Davidson (dont le rĂ©alisateur Jacques Audiard s’est inspirĂ© pour son film), ceux de F.X Toole dont on se souvient du Million Dollar Baby adaptĂ© au cinĂ©ma par Clint Eatswood donneront un certain aperçu.

 

Pour la suite de cet article, ma conviction est que, de toute façon, qu’on le veuille ou non, notre quotidien est fait de ces combats de boxe que nous perdons ou que nous gagnons. Mais aussi de ceux que nous Ă©vitons sciemment- Ă©galement avec raison- et de beaucoup d’autres dont nous subissons les coups et les consĂ©quences parce-que nous les ignorons : nous n’avons pas ou plus connaissance de leur existence depuis si longtemps.

Aujourd’hui, c’est le premier jour (l’article a commencĂ© Ă  ĂȘtre rĂ©digĂ© ce 9 janvier 2019) des soldes dans notre pays. Nous serons des milliers ou des millions Ă  nous demander s’il y’a une petite affaire Ă  en tirer. Hier, je me suis ainsi rendu dans un magasin de chaussures afin de bĂ©nĂ©ficier de trente pour cent de rĂ©duction grĂące Ă  un code promotionnel utilisable en vente privĂ©e. Au lieu de me repĂ©rer et de m’insulter – encore toi ?!- comme on le ferait avec un poivrot qui, toujours, croit voir pousser son avantage dans le prochain verre, le vendeur m’a reçu et        « conseillĂ© ». Ensuite, sa collĂšgue, Ă  peu prĂšs la moitiĂ© de mon Ăąge, a fait de mĂȘme. Souriante et disponible, elle avait sĂ»rement le sentiment de me rendre service. Toutes les dĂ©marches ont Ă©tĂ© enregistrĂ©es sur un Ipad 3 (j’ai demandĂ©, sĂ©duit par l’ergonomie du clavier. Mais je n’ai pas cherchĂ© Ă  l’acheter) afin que le modĂšle de chaussures que j’ai choisi – et payĂ©- me soit livrĂ© dans quelques jours Ă  mon domicile. AprĂšs avoir Ă©tĂ© joint par tĂ©lĂ©phone par l’entreprise de livraison. Cette façon de consommer Ă©tait inconcevable lorsque j’étais enfant et que mes parents m’emmenaient essayer des chaussures dans le magasin Bata ou AndrĂ© du coin.

Hier, cette nouvelle façon de procĂ©der avait bien-sĂ»r quelque chose de pratique : Je suis reparti satisfait, avec l’assurance de bientĂŽt recevoir l’objet de mes dĂ©sirs. Si celui-ci ne me convient pas, je pourrai toujours le retourner et me faire rembourser. C’est donc moi qui ai tout pouvoir de dĂ©cision. En plus, j’ai bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un tarif promotionnel avant le dĂ©but des soldes : mĂȘme si je sais que tant d’autres en ont Ă©galement bĂ©nĂ©ficiĂ© dans ce magasin ou un autre, cela me donne de prĂšs ou de loin le sentiment d’ĂȘtre privilĂ©giĂ©. Car, bien-sĂ»r, je suis persuadĂ© d’avoir besoin de cette nouvelle paire de chaussures. MĂȘme si notre sociĂ©tĂ© cultive le manque, en extrait et en exploite la quintessence et me l’implante rĂ©guliĂšrement dans l’aorte. Si bien que, mĂȘme si je suis prĂ©occupĂ© par l’avenir Ă©cologique, j’ai assez rĂ©guliĂšrement la sensation – presque dĂ©lirante et hallucinatoire- d’ĂȘtre privĂ© ou d’avoir Ă©tĂ© privĂ© de quelque chose. Soit en regardant les autres, soit en voyant tout ce que la sociĂ©tĂ© nous « offre ». Du fait de cette sensation de manque, certains de mes achats sont sans doute et ont sans doute Ă©tĂ© des achats « de revanche », une revanche illusoire Ă©videmment, plutĂŽt que des achats de rĂ©elle nĂ©cessitĂ©. Et comme n’importe quelle personne dĂ©pendante, j’ai souvent cru avoir le contrĂŽle sur ma consommation.

Il y’a quelques mois encore, alors que j’étais en plein entretien professionnel en vue d’obtenir un poste dans un service spĂ©cialisĂ© dans les addictions, cette question, sans doute rituelle, est tombĂ©e :

« Avez-vous des addictions ? ».

Je me suis empressĂ© de rĂ©pondre : « Non, non, je n’ai pas d’addiction
. ». J’étais alors dans l’ignorance et dans le dĂ©ni, persuadĂ© que le mot « addiction » Ă©tait une part de moi honteuse Ă  mĂȘme de me faire Ă©chouer Ă  l’entretien. J’étais aussi mal prĂ©parĂ© Ă  cet entretien car un tout petit peu de rĂ©flexion m’aurait facilement permis de rĂ©pondre diffĂ©remment.

Car, au sujet de nos addictions ou dépendances, les faits sont plus durs et aussi imparables que certains uppercuts:

L’image pĂ©jorative du boxeur, c’est celle du bourrin attardĂ© dont les traits du visage et les pensĂ©es sont des dessins abĂźmĂ©s. Celle, pĂ©jorative, de la personne dĂ©pendante ou addict, c’est, Ă  l’extrĂȘme, celle du toxicomane peut- ĂȘtre celle du junkie qui se prostitue et est prĂȘt Ă  prostituer son perroquet, sa grand-mĂšre ou son enfant pour une dose. Alors que sans en arriver Ă  cette situation extrĂȘme, je le rĂ©pĂšte, la personne dĂ©pendante, ce peut aussi ĂȘtre celle ou celui qui fixe en permanence l’écran de son ordinateur, de sa tablette ou de son smartphone mĂȘme lorsqu’il est en prĂ©sence de son collĂšgue, conjoint, ami, enfant ou semblable.

Bien-sĂ»r, il n’y’a pas de dĂ©lit Ă  cette dĂ©pendance – ou addiction- sociale, Ă  celle-ci et Ă  d’autres telles que le recours au crĂ©dit et au dĂ©couvert bancaire. Car ces addictions- sociales et Ă©conomiques- sont lĂ©gales, encouragĂ©es, et nous sommes consentants ou supposĂ©s ĂȘtre en mesure de disposer de tout notre discernement lorsque nous nous y adonnons. Car, officiellement, nous sommes des individualitĂ©s et des ĂȘtres libres. Tel est l’intitulĂ© de notre naissance. Nous sommes libres et Ă©gaux en droits. Aussi, notre usage d’une certaine consommation est-il le rĂ©sultat de notre vocation : Nous sommes faits pour ce produit, cette paire de chaussures, ce smartphone, cet ordinateur, ce crĂ©dit, cet Ă©cran de tĂ©lĂ©viseur, et, pourquoi pas, pour cette femme-ci plutĂŽt qu’une autre, pour cette Ă©cole-lĂ  pour notre enfant. Nous sommes faits pour cela car c’est ce que nous « choisissons » et peu importe si nos choix sont trĂšs influencĂ©s par nos moyens – supposĂ©s- du moment.

Le terme de « vocation » est ici trĂšs trouble, peut-ĂȘtre fourbe, car il suggĂšre une prĂ©destination vertueuse alors que pour beaucoup, une vocation se prĂ©sente ou se dĂ©cide parce-que l’on a Ă©tĂ© privĂ© dĂšs l’enfance, parfois ou souvent avant mĂȘme notre naissance, de la capacitĂ© consciente et Ă©conomique de comparer afin d’arrĂȘter notre vĂ©ritable choix.

Pour ce qui est des soldes, je peux sans doute me rassurer en me disant que je consomme moins qu’avant d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale et, aussi, que, quitte Ă  le faire, autant que ce soit durant les soldes dĂšs lors que c’est mesurĂ©, rĂ©flĂ©chi, et , si possible, Ă  la baisse. C’est peut-ĂȘtre, ce que dans un service d’addictologie, on appelle une rĂ©duction des risques. AprĂšs tout, celles et ceux qui suivent un rĂ©gime amincissant continuent bien de manger. Mais c’est leur façon de manger, leurs habitudes de vie et alimentaires, qui changent.

 

La vraie richesse et la vĂ©ritable libertĂ© consistent sans doute Ă  disposer de maniĂšre Ă©quilibrĂ©e de ses capacitĂ©s conscientes- donc morales, intellectuelles, psychologiques, physiques- et Ă©conomiques avant de faire des choix. Il y’a donc trĂšs peu de personnes libres contrairement Ă  ce qui se dit.

 

Nous sommes des millions voire des milliards ultra-connectĂ©s et nous sommes presque tout autant Ă  ĂȘtre ultra-isolĂ©s. Cela nous fait perdre bien des combats. Ce 7 janvier, cela faisait quatre ans que l’attentat de Charlie Hebdo avait eu lieu. Le 8 Janvier, cela faisait quatre ans que la policiĂšre Clarissa Jean-Philippe- « alors qu’elle Ă©tait appelĂ©e pour un banal accident de la route »- Ă©tait abattue Ă  Montrouge par le terroriste qui, le lendemain, le 9 janvier 2015, allait attaquer l’Hyper-Casher de Vincennes. En janvier 2015, des gens se battaient en faisant la queue pour se procurer le numĂ©ro de Charlie Hebdo de l’aprĂšs-attentat. Des millions de gens dĂ©filaient le 11 janvier 2015 « pour » Charlie et aussi, sans doute, pour l’Hyper-Casher. Y compris des chefs d’Etat et des personnalitĂ©s politiques cherchant Ă  se placer au bon endroit afin d’ĂȘtre bien vus des photographes et des mĂ©dia.

Assez vite, des dissonances sont apparues : un compatriote m’expliquait qu’en Guadeloupe, la marche du 11 janvier « pour » Charlie avait plutĂŽt Ă©tĂ© perçue comme une marche « raciste » car rien n’avait Ă©tĂ© dit ou fait ce jour-lĂ  en mĂ©moire de la policiĂšre Clarissa Jean-Philippe, noire et antillaise.

Des « Je suis Charlie » cessaient de l’ĂȘtre car en dĂ©saccord avec l’humour et des articles de l’hebdomadaire. Certains de ces ex « Je suis Charlie » regrettant que les terroristes aient mal accompli leur travail le 7 janvier 2015.

Certains intellectuels et journalistes, aussi, ont critiqué et critiquent Charlie Hebdo pour sa persistance à aborder certains sujets : Les intégrismes religieux islamistes et catholiques par exemple.

Des membres de Charlie Hebdo ont quittĂ© le journal depuis. J’ai d’abord cru que c’était dĂ» aux effets- trĂšs comprĂ©hensifs- du traumatisme post-attentat. J’ai compris rĂ©cemment que des dissensions parmi les membres du journal aprĂšs l’attentat Ă©taient peut-ĂȘtre la cause principale de certains de ces dĂ©parts. Et que certains de ces ex-confrĂšres, lorsqu’ils se croisent dĂ©sormais, ne « se disent plus bonjour ».

Et puis, il y’a eu cette intervention rĂ©cente de Zineb El Rhazoui, « la journaliste la plus menacĂ©e de France » (ou du monde ?) dans l’émission tĂ©lĂ©visĂ©e de Thierry Ardisson. J’en ai eu connaissance hier soir, par hasard, en tombant sur un post d’un « ami Facebook » et ex-collĂšgue du mensuel Brazil.

Zineb El Rhazoui, une des rescapĂ©es de l’attentat du 7 janvier 2015, ex-journaliste de Charlie Hebdo Ă©galement, a aussi Ă©crit sur l’attentat du Bataclan le 13 novembre 2015 (13 Zineb raconte l’enfer du 13 novembre avec 13 tĂ©moins au cƓur des attaques, Ă©ditions Ring). Livre que j’ai achetĂ© et sur lequel j’écrirai sĂ»rement comme j’ai parlĂ© du film Utoya dans la rubrique CinĂ©ma. Cela m’a un peu dĂ©rangĂ© que Zineb El Rhazoui passe dans l’émission de Thierry Ardisson car je le perçois, lui, un peu comme un animateur tĂ©lĂ© opportuniste ( autant que les autres ?). Mais le principal Ă©tait sans doute que Zineb El Rhazoui puisse venir s’exprimer sur un plateau tĂ©lĂ©. Et sans doute qu’il valait mieux venir s’exprimer dans l’émission de Thierry Ardisson plutĂŽt que dans celle d’un autre animateur tĂ©lĂ©…ou dans le vide.

Dans cet extrait d’intervention d’environ deux minutes, j’ai regardĂ© et Ă©coutĂ© cette jeune et belle femme dire comment, en tant que rescapĂ©e de l’attentat du 7 janvier 2015, elle avait personnellement ressenti ce 7 janvier 2019, ce « mĂ©pris » du PrĂ©sident Macron. Ce mĂ©pris que les gilets jaunes (8 Ăšme ou 9 Ăšme samedi de mobilisation de suite) ont Ă©voquĂ© pour expliquer leur colĂšre et leur mouvement. Zineb El Rhazoui Ă©tait visiblement Ă©mue. Elle en a expliquĂ© les raisons. Sur le plateau tĂ©lĂ©, la sympathie et l’empathie Ă©taient prĂ©sentes. Je me suis pourtant demandĂ© dans quelle solitude elle allait se retrouver ensuite, une fois qu’elle aurait quittĂ© ce plateau tĂ©lĂ©. Comme plusieurs des survivants de Charlie Hebdo, Zineb El Rhazoui vit dĂ©sormais sous escorte. Ce qui comprime beaucoup sa vie personnelle et sociale Ă  l’image sans doute d’un Roberto Saviano. Ou, dans un autre registre, d’un Edward Snowden ou d’un Julian Assange.

Je n’ai pas le courage – et sans doute ni l’extra-luciditĂ©- d’une Zineb El Rhazoui. Lequel courage (libertĂ©, tĂ©mĂ©ritĂ©, tĂ©nacitĂ© ou inconscience) s’était manifestĂ© bien avant qu’elle rejoigne la rĂ©daction de Charlie Hebdo. Je ne la connais pas. Je ne la rencontrerai sans doute jamais. Et si je la rencontrais, je ne vois pas ce que je pourrais lui dire Ă  elle comme Ă  d’autres -qui risquent leur vie avec leur culture et leur intelligence pour leurs idĂ©es- de consistant. Mais je peux la nommer elle et d’autres. Ce que je viens de faire. Et, ce faisant, je contribue un peu moins Ă  sa mort directe ou indirecte, car ne pas ou ne plus nommer les ĂȘtres, ne pas ou ne plus penser Ă  eux, c’est, d’une façon ou d’une autre, les faire disparaĂźtre ou les laisser disparaitre.

 

Avant le 7 janvier 2015, je ne lisais pas Charlie Hebdo. J’avais essayĂ©, une fois, plusieurs annĂ©es auparavant, alors que Philippe Val dirigeait encore le journal. Je n’avais pas aimĂ© le style ainsi que le contenu. Si j’ai un peu de chance, vu que je garde beaucoup de choses, je retrouverai ce numĂ©ro un jour. Depuis le 7 janvier 2015, je lis Charlie Hebdo. Je trouve un certain nombre de leurs articles trĂšs bien Ă©crits et instructifs. Il s’y parle bien-sĂ»r de l’intĂ©grisme islamiste puisque c’est celui-ci qui constitue leur Hiroshima mĂ©moriel. En cela, pour moi, Charlie Hebdo est le journal d’un deuil impossible. Mais dans Charlie Hebdo, on y parle aussi beaucoup d’autres actualitĂ©s telles que les gilets jaunes, l’écologie, les migrants, la souffrance infirmiĂšre dans les hĂŽpitaux ( il y’a quelques mois, le journal avait sollicitĂ© les tĂ©moignages de personnels exerçant dans les milieux de la santĂ©), la politique en France et ailleurs
.

En commençant Ă  Ă©crire cet article, je n’avais pas prĂ©vu de parler autant de Charlie Hebdo. De L’hyper-casher, de Clarissa Jean-Philippe (qui « a » depuis ce 11 janvier 2019 une allĂ©e qui porte son nom dans le 14Ăšme arrondissement de Paris). Il ne s’y trouvait d’ailleurs aucune ligne mentionnant Charlie Hebdo, Zineb El Rhazoui, Edward Snowden, Roberto Saviano, Julian Assange. Tout au plus avais-je prĂ©vu de mentionner, tout de mĂȘme, l’attentat de Charlie Hebdo le 7 janvier. Il est tellement de situations immĂ©diates, quotidiennes, qui nous Ă©prouvent et nous prennent. Mais nous sommes aujourd’hui le lundi 14 janvier 2019. Presqu’une semaine est passĂ©e depuis que j’ai commencĂ© la rĂ©daction de cet article. Nous sommes nombreux Ă  ĂȘtre assignĂ©s trĂšs tĂŽt Ă  une fonction, un statut, une façon de penser ou une particularitĂ© et Ă  croire que cela est dĂ©finitif. PlutĂŽt que de m’en tenir dĂ©finitivement Ă  la premiĂšre version de cet article, j’ai prĂ©fĂ©rĂ© l’ouvrir Ă  ce qui m’avait ouvert, moi, entre-temps.

 

Sur un ring, le boxeur a une acuitĂ© maximale. Car il sait et sent intuitivement que sa vie en dĂ©pend. La vie de Zineb El Rhazoui et d’autres personnalitĂ©s – y compris parmi leurs adversaires idĂ©ologiques- ressemble Ă  cela. Sauf que certains coups que l’on reçoit dans la vie sont tellement vicieux. Tellement imprĂ©visibles. Tellement protĂ©gĂ©s derriĂšre des armĂ©es de diffĂ©rentes espĂšces. DerriĂšre de vastes immunitĂ©s. Il nous faut apprendre Ă  les encaisser et Ă  les esquiver dĂšs qu’on le peut. Mais dans la vie de tous les jours, on ne peut pas tout le temps vivre aux aguets, les poings fermĂ©s et les yeux ouverts. MĂȘme un boxeur professionnel et expĂ©rimentĂ© ne peut pas le faire indĂ©finiment sur un ring. Alors, dans la vie de tous les jours, certaines et certains en profitent. D’autres donnent des coups sans le savoir et aussi parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement avant d’apprendre Ă  avoir une conscience et Ă  changer de comportement. Et aussi, parce-que, mĂȘme s’ils feront du mal Ă  quelques uns, ils feront du bien Ă  beaucoup d’autres.

D’oĂč l’importance de (savoir) bien s’entourer, de disposer de lieux de rĂ©sidences- et de retraits- sĂ»rs et de savoir entretenir des relations de bon voisinage et en bonne intelligence y compris avec des personnes que notre instinct premier nous donnerait plutĂŽt envie de rejeter ou de dĂ©fier. Cette façon de raisonner contredit ce que j’ai pu Ă©crire plus haut ou est une maniĂšre lĂąche et hypocrite de se dĂ©filer ?

Je repense Ă  Christophe, mon ex-rĂ©dacteur en chef de Brazil alors qu’au festival de Cannes, j’avais Ă©tĂ© content de lui montrer des photos que je venais d’acheter. Parmi elles, une photo de Jet Li. Christophe avait eu une mine dĂ©pitĂ©e. Lui, dĂ©fenseur d’un cinĂ©ma d’auteur indĂ©pendant, face Ă  un de « ses » journalistes lui montrant une photo d’un acteur de cinĂ©ma grand spectacle a priori sans fondement. Mais Jet Li est un artiste martial. Et, aussi bon soit-il, et il l’est, toute personne qui s’y connaĂźt un tout petit peu en films d’art martiaux sait qui est Bruce Lee. Dans son dernier film, Operation Dragon, alors qu’il se rend, mandatĂ© par le gouvernement britannique, Ă  un tournoi d’art martial, Bruce Lee croise un combattant teigneux prĂȘt Ă  se bagarrer Ă  tout bout de champ. ProvoquĂ© par celui-ci, Bruce Lee lui rĂ©pond : « Disons que mon art consiste Ă  combattre sans combattre ».

 

Mais on peut prĂ©fĂ©rer cette conclusion qui reprend mot pour mot les propos d’un manager, Thibaut Griboval, sur son site sixty-two.be, bien qu’au dĂ©part, son orientation libĂ©rale me crispe. Car celle-ci a souvent tendance Ă  mettre dans la lumiĂšre celles et ceux qui « rĂ©ussissent » et Ă  gommer tous les autres qui se sont fracassĂ©s en cours de route en essayant de rĂ©ussir :

« Nous entrons plutĂŽt dans une Ă©conomie de la crĂ©ativitĂ©, oĂč le leader est celui qui sait ouvrir des portes, voire des avenues, dans un espace surchargĂ© d’informations, difficilement lisible ».

On peut aussi s’en tenir Ă  Ă©prouver une certaine culpabilitĂ©. Comme celle que j’ai ressentie ce samedi, en croisant deux gilets jaunes, alors que je me rendais Ă  nouveau dans un magasin pour profiter des soldes. Ou hier soir en Ă©coutant et en voyant Zineb El Rhazoui parler du « mĂ©pris » du PrĂ©sident Macron lors de l’émission tĂ©lĂ©visĂ©e de Thierry Ardisson.

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui ou demain, un ou plusieurs combats de boxe avec soi-mĂȘme auront lieu.

Franck Unimon, ce lundi 14 janvier 2019.

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Cinéma

Don’t Forget Me

Don’t Forget Me

 

 

 

Avant hier, aprĂšs avoir assez bien avancĂ© sur mon article Combats de boxe que je prĂ©senterai bientĂŽt, j’avais prĂ©vu d’aller voir Don’t Forget Me de Ram Nehari Ă  une projection de presse. Ce film sortira en salles ce 30 janvier 2019.

Toute personne accaparĂ©e par la rĂ©daction d’un article, par toute « crĂ©ation », une activitĂ© ou une mĂ©ditation pour laquelle elle se sent inspirĂ©e sait comme il peut ĂȘtre difficile de s’en dĂ©crocher. Tout cela afin de se rĂ©concilier avec le corset d’une certaine rĂ©alitĂ©, passage obligĂ© , ou droit de douane, qu’il nous faut accepter car il a ceci de particulier que s’il nous plie, il nous relie- aussi- aux autres ainsi qu’à d’éventuelles nouvelles dimensions.

 

Parti de chez moi Ă  la limite de mon jugement, j’allais ĂȘtre Ă  l’heure pour la projection de 10h30 de ce mercredi. Entretemps, j’avais rĂ©pondu Ă  cette autre question capitale :

 

Comment concilier cette projection de presse et aller faire les courses Ă  la boucherie selon la liste que m’avait adressĂ©e ma compagne par sms un ou deux jours plus tĂŽt ? Les deux Ă©vĂšnements se dĂ©roulant Ă  Paris alors que nous habitons en banlieue.

Je suis capable de me rendre Ă  une projection de presse avec mon sac de courses. Mais je suis aussi capable de me raisonner. J’ai estimĂ© plus pratique de me rendre Ă  la boucherie aprĂšs la projection.

 

En arrivant au club de projection, vu qu’il Ă©tait presque l’heure du dĂ©but, j’étais un petit peu aux abois. Sur une table Ă  l’entrĂ©e, j’ai d’abord vu une bouteille de jus et quelques apĂ©ritifs. J’ai continuĂ© de me diriger vers la salle de projection. Avant d’arriver aux escaliers et de descendre, sur ma droite, j’ai aperçu l’intĂ©rieur d’une petite salle de projection. Je la dĂ©couvrais. La porte de cette intimiste salle de projection Ă©tait habituellement fermĂ©e toutes les autres fois oĂč je m’étais rendu Ă  ce club comme, par exemple, lorsque je suis allĂ© voir le film Kabullywood de Louis Meunier. Film qui sortira ce 6 fĂ©vrier 2019 et dont j’ai parlĂ© dans ma rubrique CinĂ©ma.

 

La petite salle de projection disposait d’une vingtaine de siĂšges environ. Dedans, deux hommes. Je me suis adressĂ© au premier, lequel Ă©tait debout et me faisait presque face alors que je me trouvais sur le seuil :

« C’est ici que se dĂ©roule la projection ? » me suis-je Ă©tonnĂ©. AussitĂŽt, comme s’il Ă©tait prĂȘt Ă  faire rempart de son propre corps, l’homme, en s’avançant un tout petit peu vers moi, s’est empressĂ© de me dire :

« Non, non ! Il n’y’a pas de projection, ici ! ». Il Ă©tait plus inquiet que dĂ©sagrĂ©able ou antipathique. Son attitude, sans doute, m’a alors incitĂ© Ă  regarder l’autre homme, assis tranquillement. Celui-ci assistait Ă  la scĂšne :

 

Omar Sy. Son allure longiligne et dĂ©tendue de lama vapotant paisiblement me l’a aussitĂŽt rendu sympathique. Le regardant et comprenant alors l’anxiĂ©tĂ© de son attachĂ© de presse sans doute, lequel est Ă©galement attachĂ© au confort de son acteur vedette, je l’ai saluĂ© tout en rĂ©flĂ©chissant une seconde Ă  ce que je pourrais Ă©ventuellement lui dire.

Comme tout un chacun, il m’est arrivĂ© de croiser des acteurs de maniĂšre fortuite, dans la vie de tous les jours, et de dĂ©cider de leur adresser un mot de sympathie ou de choisir de m’éclipser afin de ne pas les dĂ©ranger.

C’est ainsi que j’étais allĂ© dire un mot aimable Ă  Simon Abkarian alors qu’il attendait, seul, le bus non loin de la rue Cadet. Ce jour-lĂ , je crois que j’allais rencontrer StĂ©phane Bourgoin, spĂ©cialiste des tueurs en sĂ©rie, dans sa librairie alors encore ouverte Au TroisiĂšme Oeil.

 

A l’arrĂȘt de bus, Simon Abkarian avait un air d’incrĂ©dulitĂ© assez amusant sur son visage. Comme s’il trouvait hautement improbable qu’un bus, un jour, vienne le dĂ©livrer de cet endroit. Cela m’avait fait regretter un appareil photo avec un zoom performant. Mais c’était avec un esprit de photographe et non avec un instinct de voyeur que j’avais regardĂ© la situation. Une autre fois, je l’avais laissĂ© tranquille alors que je l’avais aperçu en terrasse Ă  un cafĂ© prĂšs du cinĂ©ma MK2 Quai de Loire. C’était avant de le voir dans le remake de Casino Royale, mon James Bond prĂ©fĂ©rĂ© avec Daniel Craig. J’étais alors un des journalistes cinĂ©ma du mensuel Brazil.

 

Dans la ligne 12 du mĂ©tro, je me suis un jour retrouvĂ© assis face Ă  Dominique Blanc. Il m’avait Ă©tĂ© impossible de savoir si elle Ă©tait dans sa rĂȘverie ou si elle m’avait vu la regarder. J’avais choisi de rester silencieux et de me faire discret. J’avais ainsi partagĂ© le trajet avec elle le temps de quelques stations. Je me rendais dans le service oĂč je travaille encore Ă  ce jour.

 

PrĂšs du cinĂ©ma MK2 Beaubourg, j’avais croisĂ© Alex Descas en compagnie de deux compatriotes fĂ©minines de son Ăąge. Je l’avais abordĂ©. Cela fait environ vingt ans ou plus, depuis bien-sĂ»r ses rĂŽles dans les films de Claire Denis, que je « connais » une partie de son parcours d’acteur. Je ne l’ai jamais interviewĂ©. Alex Descas et moi, nous Ă©tions dit quelques mots. C’était avant la sortie du film Volontaire d’HĂ©lĂšne FilliĂšres, dans lequel il a un rĂŽle. Film que je recommande bien-sĂ»r pour lui et aussi pour les autres : j’aimais dĂ©jĂ  le jeu d’actrice d’HĂ©lĂšne FilliĂšres avant ce film (AĂŻe, Mafiosa
.). Je l’ai dĂ©couverte rĂ©alisatrice mĂȘme si j’aime beaucoup son rĂŽle (secondaire) dans son propre film.

 

Non loin du cinĂ©ma des Ursulines, j’avais croisĂ© Isabelle CarrĂ©. Elle avait le visage souriant de la sĂ©rĂ©nitĂ©. Comme Dominique Blanc, je l’avais laissĂ©e passer. J’ignore si Isabelle CarrĂ© m’avait aperçu ou regardĂ©.

 

Une autre fois, il y’a plus longtemps, c’était Rona Hartner que j’avais reconnue dans le RER menant Ă  Cergy-PrĂ©fecture. Mais aussi Pascal LĂ©gitimus, un autre jour, sur le parvis de la gare de Cergy-PrĂ©fecture. J’étais restĂ© Ă  distance.

 

Lucien Jean-Baptiste avait aussitĂŽt perçu ma rĂ©action de surprise dans la rue alors que je venais de le reconnaĂźtre. Il m’avait sympathiquement saluĂ©. C’était avant qu’il ne rĂ©alise Dieu Merci (On a tous un rĂȘve de gosse) oĂč, grĂące Ă  l’information donnĂ©e Ă  propos de ce tournage par Claire Diao, j’allais faire un petit peu de figuration et rencontrer Djigui Diarra. Sur le tournage de Dieu Merci (On a tous un rĂȘve de gosse) son implication sur un –vrai- chantier dĂšs 8 heures du matin avec nous, par cinq degrĂ©s voire moins, mais aussi ses attentions envers nous, de simples figurants, m’avait ramenĂ© Ă  de meilleurs sentiments envers lui : j’avais trĂšs peu apprĂ©ciĂ© son rĂŽle de noir immature et rigolo dans son film Premier Etoile qui lui avait valu un bon succĂšs commercial (environ 1,5 million d’entrĂ©es) et une certaine reconnaissance. Son attitude, lors de cette journĂ©e de tournage, ainsi que les thĂšmes du film, m’ont fait comprendre comme je l’avais trĂšs mal jugĂ© en allant voir PremiĂšre Etoile Ă  la salle UGC Bercy, oĂč, parmi les spectateurs, dans les premiers rangs, soit dans les rangs du bas de la salle, j’avais reconnu
Zinedine Soualem.

Lors du tournage de Dieu Merci (On a tous un rĂȘve de gosse), je me suis dispensĂ© d’essayer de rappeler Ă  Lucien Jean-Baptiste notre « premiĂšre » rencontre entre la gare du Nord et le mĂ©tro JaurĂšs. Etant donnĂ© que cette rencontre datait, qu’il Ă©tait sur le tournage de son film et que des rencontres de ce type il doit en faire un certain nombre depuis qu’il est « connu ».

J’ai aussi compris que rĂ©aliser des comĂ©dies est un moyen de sĂ©duire- et de rassurer- certains producteurs ; de faire passer des messages et d’attirer plus facilement un certain public qui veut aller au cinĂ©ma avant tout pour se divertir. Mais aussi que rĂ©aliser des films, mĂȘmes imparfaits, est une façon de rester en activitĂ© sur le marchĂ© du cinĂ©ma, d’un point de vue Ă©conomique et en tant que comĂ©dien. De rappeler que l’on existe. Car dans l’univers de l’image qu’est le cinĂ©ma, mais aussi du thĂ©Ăątre ou du journalisme, ĂȘtre oubliĂ© est peut-ĂȘtre plus mortel que de manquer de talent. On peut ĂȘtre plus ou moins talentueux, si l’on est le grand oubliĂ© (comme on peut-ĂȘtre un grand brĂ»lĂ©) du regard et de la mĂ©moire de celles et ceux qui ont et font des projets (rĂ©alisateurs et/ou producteurs ou autres) on disparaĂźt. Et, cela peut-ĂȘtre dĂ©finitif car l’oubli, dĂšs lors qu’il nous adopte dans ce milieu, est un peu comme la banquise. Il nous recouvre complĂštement, crĂ©Ă© davantage d’oubli et on ne nous voit plus mĂȘme si l’on est encore en vie et que l’on dispose de sĂ©rieux atouts.

 

 

La mĂ©moire que j’ai de mon passĂ© de groupie et un peu de maturitĂ© expliquent peut-ĂȘtre aussi mon apparente « sage » attitude envers ces milieux et ces « cĂ©lĂ©britĂ©s » citĂ©es plus haut :

Je me rappelle encore comment, embarrassĂ©e, une actrice que j’admirais avait poliment acceptĂ© une lettre manuscrite que je lui avais remise lors d’une avant-premiĂšre dans un certain complexe de cinĂ©ma. C’était avant l’an 2000 et l’amie qui m’accompagnait ce jour-lĂ  s’était moquĂ©e de moi. Lorsque j’avais vu cette mĂȘme comĂ©dienne, quelques mĂštres plus loin, rejoindre l’équipe du film et se servir de mon courrier comme Ă©ventail, j’avais dĂ» honteusement accepter ma disgrĂące. SĂ»rement pour me rassurer, une autre amie Ă  qui j’avais racontĂ© ensuite cette anecdote, m’avait Ă  peu prĂšs dit :

« Je pense que c’est plutĂŽt une personne timide. Pas le genre Ă  ĂȘtre expansive
. ».

 

Dans mon courrier, pratiquement illisible car Ă©crit manuellement en minuscules, je fourvoyais un tas de salamalecs. Et, dĂ©jĂ , je parlais de la faible reprĂ©sentativitĂ© des noirs dans le cinĂ©ma français. Cette jeune actrice blanche, Ă  peine ĂągĂ©e de 30 ans alors, a trĂšs certainement, j’en suis sĂ»r, beaucoup appris grĂące Ă  moi : dans sa mĂ©moire effacĂ©e depuis, je fais sĂ»rement partie de la cohorte de tous ces apprentis mentors improvisĂ©s aussi dĂ©rangĂ©s qu’inconnus qu’elle a pu croiser du fait de sa carriĂšre d’actrice alors sur- mĂ©diatisĂ©e et plutĂŽt exposĂ©e.

 

Pour ce dernier exemple, les rĂ©seaux sociaux et les selfies n’existaient pas alors ou seulement dans une forme rĂ©duite : mĂȘme s’ils avaient existĂ© dans leur forme actuelle, j’aurais, j’ose le croire, su garder cette mĂ©saventure pour moi. Mais, contrairement Ă  moi, d’autres groupies, déçues ou convaincues, ont envers leurs idoles beaucoup moins de retenues qu’elles en ont pour leur vie et leurs projets.

 

Quoiqu’il en soit, ces actrices et acteurs citĂ©s- ou suggĂ©rĂ©s- ont eu une importance pour moi (voire continuent d’en avoir une) Ă  un moment de ma vie. Et, je les ai croisĂ©s avant la crĂ©ation de mon blog. Contrairement Ă  Omar Sy il y’a deux jours.

 

Omar Sy compte pour moi mais je serais incapable depuis Intouchables et ses 20 millions d’entrĂ©es, que j’avais bien aimĂ© comme les films prĂ©cĂ©dents –Nos jours heureux en particulier- des deux rĂ©alisateurs Nakache et Toledano, d’en donner les raisons exactes.

Le fait d’ĂȘtre noir, de venir de la banlieue et de ne pas faire partie du sĂ©rail du milieu plutĂŽt bourgeois, conservateur- et blanc- du cinĂ©ma français comme moi Ă  l’origine ?

Le fait d’ĂȘtre au dĂ©part un humoriste avec une image de « gentil » nĂ©anmoins conscient ?

Le fait qu’il ait dĂ©sormais rĂ©ussi Ă©conomiquement et socialement et que, sauf une dĂ©sastreuse gestion de carriĂšre ou des dĂ©rapages Ă  la Sami NacĂ©ri, son avenir artistique et personnel soit en tout point assurĂ© mĂȘme s’il venait Ă  expirer Ă  l’ñge canonique de 160 ans ?

 

Je ne peux m’empĂȘcher de penser Ă  l’acteur SaĂŻd Taghmaoui, obligĂ© de s’exiler aprĂšs le film La Haine de Kassovitz pour rĂ©ussir car, en France, il n’avait pas la bonne couleur comme il le rappelle dans une rĂ©plique Ă©tonnante dans le Wonder Woman de Patty Jenkins (Ă©galement rĂ©alisatrice de Monster, film qui avait valu l’Oscar Ă  Charlize Theron pour son rĂŽle).

 

Mais cela suffit-il  pour expliquer les raisons pour lesquelles Omar Sy compte pour moi ? Par ailleurs, je n’ai pas vu le film qui expliquait sa prĂ©sence Ă  cet endroit avant hier.

 

Toutes ces questions, ces expĂ©riences et bien d’autres, se sont sĂ»rement fondues en moi en moins d’une seconde lors de cette trĂšs brĂšve entrevue (dix ou quinze secondes au maximum) avant hier. Car beaucoup de nos rĂ©actions- adĂ©quates ou inadĂ©quates- sont le rĂ©sultat d’une somme d’expĂ©riences dont nous n’avons mĂȘme pas idĂ©e. Et, pour ce moment « historique » et imprĂ©vu, je m’étais bien entendu mis Ă  mon avantage :

 

Chaussures de randonnĂ©e couleur taupe, bas de survĂȘtement blanc cassĂ© lĂąche, haut de survĂȘtement Ă  capuche vert, blouson noir de motard (sans les protections, sans le casque et sans la moto puisque je n’ai pas le permis et me dĂ©place principalement en transports en commun ou Ă  pied), bonnet de marin mis Ă  l’envers pour cacher le nom de la marque et lunettes de correction presque Ă  double foyer. Avec, en prime, sur le dos, un grand sac Ă  dos bleu de marque Ortlieb. Le mĂȘme sac que je portais sur le dos lorsque j’étais allĂ© interviewer Alejandro GonzalĂšs Inarritu pour Brazil Ă  propos de son film Biutiful . Lequel Inarritu, bien plus intimidant qu’intimidable, s’était un moment Ă©tonnĂ© avec une voix presque suave :

« You have a huge bag 
. ». Aujourd’hui, encore, je regrette d’ĂȘtre restĂ© dĂ©sarçonnĂ© par cette remarque d’Inarritu qui aurait peut-ĂȘtre pu permettre une rencontre un peu plus informelle et donc plus personnelle. Peut-ĂȘtre, d’ailleurs, devrais-je davantage commencer Ă  regarder ce sac Ă  dos comme un porte-bonheur
.

Pourtant, de par le passĂ©, j’ai fait le dĂ©sespoir et la colĂšre de ma petite sƓur pour mon dĂ©dain vestimentaire. Je m’étais ensuite rĂ©habilitĂ© et j’aime aussi bien m’habiller comme offrir des beaux vĂȘtements. Mais je suis en Ă©tat de rechute vestimentaire depuis quelques temps et ma compagne aussi, pourtant une grande spĂ©cialiste des tenues camouflages pour elle-mĂȘme, se dĂ©sole, un peu impuissante, devant mes nĂ©gligences vestimentaires rĂ©pĂ©tĂ©es de forcenĂ©.

 

Je ne serais donc pas surpris qu’Omar Sy – ainsi que son attachĂ© de presse- m’ait pris pour un coursier d’ Uber disposant de quelques filons pour s’incruster dans un certain nombre de projections de presse (il en est d’autres rĂ©servĂ©es nĂ©anmoins Ă  une Ă©lite journalistique ou Ă  des journalistes « sympathisants » ou « courtisans »). Car les projections de presse sont en gĂ©nĂ©ral de confortables avant-premiĂšres pour le premier cinĂ©phile venu.

J’écris ici ce que je suppose. Je me mets peut-ĂȘtre le doigt dans l’Ɠil. Je ne saurai probablement jamais ce que l’un et l’autre ont pensĂ© de moi Ă  ce moment-lĂ .

Mais je garde nĂ©anmoins de cette courte rencontre le trĂšs bon souvenir de la simplicitĂ© d’Omar Sy, plus amusĂ© qu’indisposĂ©, rĂ©pondant Ă  mon bonjour avec le sourire de l’évidence. Et, je m’en suis contentĂ©.

NĂ©anmoins, mĂȘme si cela n’apporte rien d’un point de vue journalistique ou cinĂ©matographique, tout de suite ou en partant, je me suis demandĂ© ce qu’il avait pu ressentir, lui, que je perçois comme une personne au contact plutĂŽt facile. A voir son attachĂ© de presse s’enrubanner quasi instantanĂ©ment dans des prĂ©cautions de momie que l’on va embaumer afin d’éviter que, moi, l’inconnu inattendu, j’approche l’ĂȘtre sacrĂ© que, dĂ©sormais, Omar Sy est devenu.

 

J’ai ratĂ© la projection de presse de Don’t Forget Me : je me suis trompĂ© d’endroit Ă  quelques mĂštres prĂšs. Convaincu que la sĂ©ance se dĂ©roulait dans ce club, je suis passĂ© devant le cinĂ©ma qui le voisine. A aucun moment, il m’a Ă©tĂ© possible de concevoir que la projection se donnait lĂ , tout prĂšs, dans ce cinĂ©ma que je connais. Car je n’ai jamais, Ă  ce jour, assistĂ© Ă  une projection de presse dans ce cinĂ©ma. Et, vu que je n’avais pas sur moi (erreur corrigĂ©e depuis) le numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone de l’attachĂ© de presse de Don’t Forget Me , celui-ci n’a pu me renseigner.

 

J’ai un moment errĂ©, un peu remontĂ© contre moi en mĂȘme temps qu’interloquĂ©. Je suis allĂ© dans un autre club de projection oĂč l’on m’a obligeamment donnĂ© les mĂȘmes rĂ©ponses :

« Quel film ? Don’t Forget Me ne passe pas ici. La sĂ©ance a commencĂ© depuis 10h. Il n’est plus possible d’accĂ©der Ă  la salle ».

 

 

Heureusement, il reste une sĂ©ance de projection de Don’t Forget Me la semaine prochaine et l’attachĂ© de presse du film ne m’en a pas voulu. Donc, tout va trĂšs bien. Puisque, mĂȘme s’il m’en avait voulu, je ne vois pas ce qu’il y’a d’extrĂȘmement grave, d’un point de vue vital, dans le fait de rater une sĂ©ance de cinĂ©ma. Et, je tiens Ă  l’écrire car, par moments, voire souvent, dans un milieu comme dans celui du cinĂ©ma par exemple (mais aussi, ailleurs, dans la vie de tous les jours) on est capable de se prendre trĂšs trĂšs au sĂ©rieux au point de considĂ©rer comme de la plus haute importance des faits et des Ă©vĂ©nements qui, fonciĂšrement, ne justifient pas toutes les urgences et tout le cĂ©rĂ©monial qui les accompagnent. Il m’a semblĂ©, que lors de cette courte rencontre imprĂ©vue, lors de cet « accident », qu’Omar Sy, malgrĂ© ses 20 millions d’entrĂ©es avec Intouchables et son statut de « superstar » , Ă©tait encore bien au fait de tout ça. Et c’est selon moi une trĂšs bonne nouvelle.

 

Et, j’ai aussi aimĂ©, pour cet article, autant que possible, me tourner en dĂ©rision quitte Ă  me ridiculiser, afin de me mettre au service du rire et du sourire. Car, si Pina Bausch a pu dire : «  Dansez, dansez ! Sinon, nous sommes perdus ». Je sais depuis longtemps que pouvoir rire de soi est aussi un trĂšs trĂšs bon moyen de faire sourire et de faire rire mais aussi de se retrouver.

 

Pour cela, meilleurs vƓux, Omar ! Et, bien-sĂ»r, meilleurs vƓux, chers lecteurs !

 

Si cet article vous a plu, touchĂ©, et qu’il vous semble qualifiĂ© pour faire du bien Ă  quelqu’un que vous connaissez, partagez-le. MĂȘme si je n’en parle pas, c’est ce que je souhaite Ă  mes articles.

 

Franck Unimon, ce vendredi 11 janvier 2018.

 

 

 

 

 

 

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Puissants Fonds/ Livres

Le Fils du pauvre

                                               Le Fils du pauvre de Mouloud Feraoun.

 

 

Quelle que soit l’heure oĂč on lĂšve l’encre, Ă©crire a Ă  voir avec la nuit. Celle oĂč l’on ferme son sommeil. Et oĂč subsiste notre souffle, notre pensĂ©e, notre volontĂ©.

Il en a fallu des semaines pour lire ce « petit » livre d’à peine 135 pages. Deux heures auraient pu suffire. Ou trois si l’on veut prendre son pouls.

 

Dans son livre Noureev, l’insoumis , Ariane Dollfus ( que je viens de confondre avec la photographe Diane Arbus) raconte la grande pauvretĂ© dans laquelle le futur danseur Ă©toile ( puis chorĂ©graphe) avait grandi. Seul garçon parmi ses sƓurs, pendant plusieurs annĂ©es, il avait Ă©tĂ© le petit Dieu de la maison. Jusqu’au retour du pĂšre, dĂ©crit comme un rival particuliĂšrement brutal.

Feraoun « Fouroulou », dans les montagnes rudes de sa Kabylie, a aussi joui de ce statut. Mais il y’avait bien plus d’amour entre son pĂšre et lui ainsi qu’autour de lui.

LĂ  oĂč la famille de Rudolf Noureev vivait dans un certain isolement dans mon souvenir, celle de Feraoun se tenait au sein d’une communautĂ© qu’il nous raconte. Sa grand-mĂšre paternelle, ses parents, son oncle paternel Lounis, sa femme, la redoutable Helima, ses tantes Nana et Khalti, ses sƓurs, ses cousines, son copain d’enfance protecteur Akli -qui deviendra berger-, les voisins et les cousins, la Djema, l’exil durant un temps, du pĂšre aimĂ© (hĂ©bergĂ© alors au 23, rue de la Goutte d’or Ă  Paris, 18Ăšme) pour aller travailler dans les fonderies d’Aubervilliers


 

« (
.) Nos ancĂȘtres, paraĂźt-il, se groupĂšrent par nĂ©cessitĂ©. Ils ont trop souffert de l’isolement pour apprĂ©cier comme il convient l’avantage de vivre unis. Le bonheur d’avoir des voisins qui rendent service, aident, prĂȘtent, secourent, compatissent ou tout au moins partagent votre sort ! Nous craignons l’isolement comme la mort. Mais il y’a toujours des querelles, des brouilles passagĂšres suivies de raccommodements Ă  propos d’une fĂȘte ou d’un malheur. « Nous sommes voisins pour le paradis et non pour la contrariĂ©té ». VoilĂ  le plus sympathique de nos proverbes ». (Mouloud/Menrad Feraoun dans Le Fils du pauvre).

Noureev (1938-1993) quittera la maison familiale un peu Ă  la façon d’un Basquiat, endossant sa libertĂ© avant sa majoritĂ©. Et, plutĂŽt que la rue, il parviendra Ă  intĂ©grer une trĂšs grande Ă©cole de danse. Puis devenu un danseur de haut niveau, Ă  l’occasion d’une tournĂ©e internationale, il prendra Ă  nouveau la fuite. Cette fois-ci afin d’échapper au rĂ©gime politique- communiste- de son pays. Il s’installera en France oĂč, jusqu’à sa mort et aujourd’hui encore, il bĂ©nĂ©ficiera d’une aura internationale. MĂȘme si, Ă  la façon du Surfer d’Argent, personnage de comics probablement inspirĂ© de la mythologie, Noureev ne pourra jamais retourner dans son pays natal ou mĂȘme y acheter une datcha.

Feraoun (1913-1962, 41 ans lors de la parution de son livre, Le Fils du pauvre), d’abord fils unique parmi ses soeurs puis fils aĂźnĂ©, a plutĂŽt Ă©tĂ© le trĂšs bon Ă©lĂšve cherchant Ă  plaire au moins Ă  son pĂšre, Ă  ses professeurs, et Ă  la rĂšgle.

« (
.) Crois-tu que nous sommes faits pour les Ă©tudes ? Nous sommes pauvres. Les Ă©tudes, c’est rĂ©servĂ© aux riches ».

Cependant, Fouroulou est un Ă©lĂšve brillant. Et sa famille va se montrer aussi combattive que la M’man Tine de Rue Case-NĂšgres pour son petit JosĂ© (livre de Joseph Zobel, paru en 1950, ensuite adaptĂ© au cinĂ©ma par Euzhan Palcy en 1983).

Enfant « gĂąté » selon ses propres termes et observateur attentif de la condition de son entourage, Feraoun, de par sa personnalitĂ©, a dĂ©veloppĂ© un certain sens de l’autodĂ©rision et de l’ironie :

« (
.) A l’ñge oĂč ses camarades s’éprenaient d’Elvire, lui, apprenait « le lac » seulement pour avoir une bonne note. Mais comme il dĂ©bitait son texte d’un ton hargneux, au lieu d’y mettre comme il se doit la douceur mĂ©lancolique d’un cƓur sensible et dĂ©licat, le professeur le gourmandait et Fouroulou allait s’asseoir plein de rancune ».

Mais cet esprit est aussi fait d’un sentiment de dette et donc de devoir envers sa famille et ses origines. Il a besoin d’ĂȘtre en accord avec elles. Il est aussi mariĂ© et pĂšre. Pour cela, peut-ĂȘtre, il lui est impossible de s’enfuir comme de se rĂ©volter Ă  la diffĂ©rence d’un Noureev ou d’un Basquiat alors qu’il nous envoie un peu de sa terre natale :

« çof rival » ; « tamens » ; « kanoun » ; «  akoufi ventru » ; « hechaichi » ; « vieux khaounis » ; « djenoun » ; « zaouias » ; « dokhars » ; « mechmel » ; « kouba » ; « ikoufan vide ».

 

Lire son Le Fils du pauvre aprĂšs son Journal ( voir mon article dans cette mĂȘme rubrique ) nous convainc qu’il Ă©tait ainsi quasiment prĂ©destinĂ© Ă  ĂȘtre assassinĂ© pendant la Guerre d’AlgĂ©rie. En AlgĂ©rie. Il y’a bien-sĂ»r de la tristesse devant le constat de ce dĂ©terminisme. Une tristesse que l’on pourrait entendre dans le titre Mr Pastorius interprĂ©tĂ© par Miles Davis en hommage au bassiste Jaco Pastorius. Mais il s’agit d’une tristesse que l’on pourrait comprendre Ă  voir l’enfance de Feraoun surmonter ces Ă©tapes de la vie qu’il nous raconte pour, finalement, en 1962, en quelques minutes, se faire buter Ă  49 ans par des volontaires de l’OAS qui disposaient d’armes pour principales compĂ©tences.

 

On pourrait me dire que j’idĂ©alise trop Mouloud Feraoun que je n’ai jamais connu ou rencontrĂ©. Que cela en devient inquiĂ©tant. Qu’il vaut mieux le laisser dans son anonymat et dans son assassinat. Qu’il Ă©tait en fait double ou triple.

 

Oui.

 

Comme la plupart d’entre nous.

 

 

« (
.) Oh ! Les pauvres yeux de fous, je ne les verrai nulle part sans Ă©motion. Eux seuls reflĂštent la souffrance de l’ñme et recherchent Ă©perdus ce que le cƓur et le cerveau n’ont plus ». Mouloud Feraoun dans Le Fils du pauvre.

 

 

Franck Unimon, ce mardi 8 janvier 2019.

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Jeu

Visage partiel d’un comĂ©dien. 2Ăšme acte

AprĂšs mes  articles https://balistiqueduquotidien.com/le-fait-eric et   https://balistiqueduquotidien.com/visage-partiel-dun-comedien, il convenait de devenir concret et de rendre tout cela vivant en  apportant quelques images. Voici donc une premiĂšre vidĂ©o que certains d’entre vous connaissent dĂ©ja.

Ma partenaire, Sandrine Cardon, alias Mme Popova, avait dĂ©ja eu une vie avant cette scĂšne que nous jouons ensemble : thĂ©Ăątre d’improvisation, journalisme….

Sandrine est Ă©galement photographe, monteuse, dĂ©sormais prof de thĂ©Ăątre et dispose sĂ»rement d’autres cartes qui ont Ă©chappĂ© Ă  ma mĂ©moire.

Quoiqu’il en soit, j’espĂšre que le spectacle vous plaira ou vous captivera de nouveau si vous l’aviez dĂ©ja vu.

Franck Unimon, ce lundi 7 janvier 2019.

 

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DĂ©troits

L’exposition

L’Exposition

 

 Entre zĂ©ro et cinq degrĂ©s, parfois, dans ce passage du milieu, les ombres et les visages tombent. On les retrouve par centaines dans la poudreuse. DerriĂšre ces pas ralliĂ©s au silex et qui, pourtant, ne feront plus d’étincelles.

Devant nous, une infanterie de dents abĂźmĂ©es ou disparues, identitĂ©s forcĂ©es, dĂ©placĂ©es, dont certaines en quarantaine dans les rues. Elles sifflent et rĂ©pĂštent des noms et des mots qui les faisaient rois. Ces noms et ces mots ne sont plus que goudrons toxiques pour les poumons. Mais elles insistent jusqu’à l’incision car ils relatent ce passĂ© qui s’éloigne et revient aussi rĂ©guliĂšrement qu’un microsillon tient du soleil et le derviche-tourneur de la couleur. En espĂ©rant, qu’un jour, quelqu’un quelque part, les entendent et les comprennent. MĂȘme s’il sera alors sans doute trop tard et elles le savent. Comme il a Ă©tĂ© trop tard pour Pree, la fille de Charlie Parker. Pour lui un an plus tard qui avait pourtant survĂ©cu aux Ă©lectrochocs contrairement Ă  Bud Powell. Pour Basquiat qui ,Ă©coutant Parker et Coltrane dans les annĂ©es 80 tout en peignant et dessinant, peut rappeler un Denzel Washington, hors de son temps, lorsqu’il sort de plusieurs annĂ©es de prison Ă  la fin de American Gangster et bute , incrĂ©dule, sur du Rap.

 

Il est toujours trop tard. Sauf si l’on croit que les clous sont des plantes fertiles dans le bois ; qu’ils permettent aux Ăąmes des dĂ©funts de nous entendre ; Sauf si l’anatomie a pour soi assez peu de secrets. Et que la nuit est le plus sĂ»r contraste de ces hostilitĂ©s qui nous maintiennent Ă©veillĂ©, brĂ»lĂ© par le racisme, la duretĂ©, la vie « acci-dentĂ©e » des adultes, le prĂ©sent prĂ©dateur et menteur, et que l’on dispose d’un peu de son jugement pour l’incorporer sur une toile, un mur, une porte, partout ou c’est possible et n’importe quand. L’Afrique, l’Histoire des Etats-Unis, la culture pop, les comics, les formules scientifiques, la musique, HaĂŻti et la dictature de Papa Doc, la littĂ©rature, l’occident, les drogues, les sexualitĂ©s sans frontiĂšres, la cĂ©lĂ©britĂ©, la richesse matĂ©rielle, l’amour, la famille, Basquiat les a croisĂ©s. Ils sont lĂ  ainsi que d’autres, Ă©tendues oubliĂ©es, insoupçonnĂ©es, dans ses Ɠuvres jusqu’au 21 janvier. Y aller, y retourner plusieurs fois si on le peut deux Ă  trois heures durant, pourquoi pas avec sa propre musique pour les regarder de prĂšs. Ce sera toujours beaucoup mieux qu’en photo ou dans un livre.

 

Si l’on est encore frais, on pourra se rendre Ă  l’exposition Egon Schiele – qui bĂ©nĂ©ficie Ă©galement de trĂšs bons Ă©chos – se promener un peu en terrasse et apercevoir la vue sur la DĂ©fense ou sur le jardin d’acclimatation. Ou s’extasier sur la construction de la Fondation Louis Vuitton, rĂ©alisation architecturale sophistiquĂ©e Ă  l’image d’un vaisseau en vue de promouvoir «  la vocation culturelle de la France » tel que cela nous est dĂ©montrĂ© par des maquettes et une projection.

 

On fermera les yeux sur ce commerce qui nous vend un tee-shirt « collection Jean-Michel Basquiat » 310, 50 euros, un ouvrage d’aprĂšs ses cahiers «  vendu exclusivement Ă  la libraire de la Fondation Louis Vuitton » pour 28 ou 29,90 euros ou la coque pour Iphone vendue 67, 50 euros.

On pourra ensuite rouvrir les yeux dans le jardin d’acclimatation pour prendre son temps ou pour s’en aller. OĂč ? Vers son identitĂ©.

 

Franck, ce jeudi 3 janvier 2019.