Gagner plus dâargent
Quantités et cent façons
La façon dont je gagne de lâargent a plus dâimportance que sa quantitĂ©. Jâai failli Ă©crire :
« La façon dont je gagne de lâargent commence Ă avoir plus dâimportance⊠».
Puis, jâai un petit peu rĂ©flĂ©chi et je me suis corrigĂ©. Depuis le dĂ©but, la façon dont je le gagne, cet argent, ce miroir, cette excroissance particuliĂšre de soi, a eu plus dâimportance que sa quantitĂ©. Câest un automatisme et un conditionnement si bien assimilĂ©s depuis des annĂ©es que je lâavais oubliĂ©. Ăa mâa inspirĂ© spontanĂ©ment beaucoup de mes choix lorsque, vers ma majoritĂ©, accĂ©dant au monde des adultes mais aussi Ă celui de mes « libres » choix, je me suis dirigĂ© vers un mĂ©tier plutĂŽt que vers un autre. Vers une relation plutĂŽt que vers une autre. Vers certaines destinations plutĂŽt que vers dâautres. Vers certaines discriminations plutĂŽt que vers dâautres. Vers certaines expĂ©riences plutĂŽt que vers dâautres.
Il nây a aucune noblesse dans mon attitude de dĂ©part.
La peur du chĂŽmage au moins, la peur du monde ainsi que le peu de valeur que je mâaccordais, plus que lâadĂ©quation avec mes aspirations profondes, mâont fixĂ©. Puis, prĂ©sentĂ© certaines dĂ©cisions et objectifs comme « rĂ©alistes » pour une personne comme moi.
RĂ©alisme que dâautres refusent et ont refusĂ©.
Avec plusieurs annĂ©es de retard, une trentaine, jâai Ă©coutĂ© et rĂ©Ă©coutĂ© hier lâalbum Live At Reading du groupe Nirvana « de » feu Kurt Cobain. Le concert date de 1992. Un cd de plus empruntĂ© Ă la mĂ©diathĂšque de ma ville il y a environ quinze jours avant qu’elle ne ferme pour quinze jours, pour la premiĂšre fois, pendant l’Ă©tĂ©. Je verrai bien si, lors de sa rĂ©ouverture, la nouvelle obligation de prĂ©senter un pass sanitaire sur un lieu public- pour causes de pandĂ©mie due au Covid- me privera dĂ©sormais de l’accĂšs Ă la mĂ©diathĂšque oĂč j’ai mes habitudes. Et oĂč j’emmĂšne ma fille rĂ©guliĂšrement depuis qu’elle a moins de un an. ( Dans la peau d’un non-vaccinĂ©)
Sans a priori, pourtant, on peut dire que mes rapports avec le rĂ©alisme diffĂšrent de ceux quâont entretenus Kurt Cobain et les autres musiciens du groupe avec lui.
A priori :
En 1992, je « connaissais » le groupe Nirvana par son titre Smells like Teen Spirit. Un titre que jâaimais bien alors que Nirvana, la musique grunge, ne faisait pas partie, a priori, de mes entitĂ©s musicales.
A priori.
Car, pour paraphraser lâhumoriste DĂ©do qui avait pu demander, avec son allure de hard-rocker ou de gothique « Est-ce que jâai une gueule Ă Ă©couter du Zouk ?! », en 1992, jâĂ©tais « dans » dâautres genres musicaux que le grunge. Et, pour en avoir fait et refait lâexpĂ©rience, je ne crois pas que la majoritĂ© des adeptes de Nirvana de cette Ă©poque ou dâaujourdâhui, soient prĂȘts Ă Ă©couter du Zouk, du Dub, de la Salsa, du Maloya ou du LĂ©woz. Et, encore moins Ă en danser.
Les adeptes de Nirvana prĂ©fĂšrent entrer â et rester- dans dâautres atmosphĂšres afin de chasser leurs fantĂŽmes ou de communier avec eux. Pourtant, dans beaucoup de ces univers de « gratteux », lorsque lâon regarde de plus prĂšs Ă la source des religions musicales de ces prĂȘtresses et de ces prĂȘtres du Rock â pour Ă©lectrifier ou simplifier â on retrouve des croisements et des inspirations « Ă©tonnantes ».
Le Bluesman Leadbelly pour Kurt Cobain ? BB King pour Bono du groupe U2 qui, dix ans avant Nirvana, dans les annĂ©es 80, avait sans doute eu le mĂȘme Ă©clat ?
Et, avant U2, AC/DC, dans les annĂ©es 70, dont lâĂ©coute de quelques titres en concert suffisent pour retrouver le goulot du Blues ?
En nommant AC/DC, U2 et Nirvana, je cite seulement trois groupes musicaux qui, avant lâavĂšnement du Rap, et mĂȘme aprĂšs son avĂšnement (nous sommes le mardi 27 juillet 2021) aujourdâhui encore, je le crois, vont parler Ă beaucoup de personnes.
Jeunes et moins jeunes. Adeptes de Rap ou dâautres genres musicaux.
Au dĂ©part, je nâavais pas du tout aimĂ© le groupe U2 et son titre Sunday, Bloody Sunday par exemple. Mais jâavais aimĂ© With or Without you avant dâautres titres. Comme avec la musique classique, lorsquâun musicien ou un compositeur « compte », il y a toujours une Ćuvre ou un titre que lâon va aimer ou que lâon a aimĂ© sans le savoir.
Si des jeunes dâaujourdâhui, comme je lâai « Ă©tĂ© », font dâabord la grimace en entendant parler de AC/DC, de U2 ou de Nirvana ou de leurs titres, câest peut-ĂȘtre parce quâils ne sont pas encore suffisamment « mĂ»rs » ou suffisamment « sĂ»rs » de ce quâils ressentent pour sâapercevoir que ces groupes, comme bien dâautres groupes de diffĂ©rents genres musicaux, parlent dâeux.
Je nâĂ©tais pas suffisamment « mĂ»r » pour mâapercevoir de lâimportance du groupe NTM lorsque le groupe existait dans les annĂ©es 90. Pourtant, je le « connaissais ». Jâavais mĂȘme achetĂ© le Cd dâun de leurs albums :
Jâappuie sur la gĂąchette.
Mais, si jâĂ©tais allĂ©, seul, au ZĂ©nith au concert de Mc Solaar (concert qui mâavait déçu) comme Ă celui, Ă lâOlympia, du groupe I AM (un des meilleurs concerts auxquels je sois allĂ©) jâavais manquĂ© de courage pour aller Ă celui de NTM.
Ce nâĂ©tait pas la musique de NTM qui mâavait effrayĂ©. Car certaines musiques font « peur ».
Câest le public de NTM qui mâavait fait peur.
Je nâavais pas de bande, de potes ou dâamis Ă mĂȘme de me protĂ©ger ou de me dĂ©fendre si, en me rendant Ă un de leurs concerts, dans les annĂ©es 90, on avait commencĂ© Ă me chercher noise. Je voulais aller Ă un concert. Pas Ă un combat UFC contre plusieurs assaillants potentiels pour une histoire de casquette, de blouson ou dâapparence.
Je ne me posais pas ce genre de question pour ma sĂ©curitĂ© ou ma survie en me rendant, souvent seul, aux autres concerts. Je me lâĂ©tais et me la suis posĂ© seulement pour un concert de NTM dans les annĂ©es 90.
Et, câest seulement aprĂšs la dissolution du groupe, vers 2005, que je mâĂ©tais aperçu de lâimportance du groupe dans ma vie. En rĂ©entendant certains titres. En voyant certains passages de leur concert.
Avant 2005, mĂȘme si jâavais aimĂ© plusieurs des tubes de NTM, je rejetais moralement lâimage et certains des comportements du groupe (de Joey Starr en premier lieu) au travers de divers faits divers commentĂ©s et trĂšs mĂ©diatisĂ©s.
Le temps me semblait sĂ»rement cimentĂ© alors que des groupes comme NTM ou Nirvana savent le fracturer et promouvoir leur Ă©closion au travers des fissures lĂ oĂč je mâarrĂȘtais devant le mur.
La Base de LâOncle Tom ?
Pour lâĂ©laboration dâune bonne pizza, il faut commencer par la base, câest Ă dire la qualitĂ© de la pĂąte alimentaire que lâon utilise, les ingrĂ©dients, le tour de main, la tempĂ©rature de la cuisson et ensuite le type de four que lâon emploie.
Etais-je de la bonne pa-pĂąte Ă Oncle Tom ?
Vingt ans plus tĂŽt, au lycĂ©e Joliot-Curie de Nanterre, Pascal, un « grand », Rasta, lâantithĂšse de lâOncle Tom, musicien, ami dâun ami qui faisait alors figure, pour moi, de grand frĂšre de substitution, mâavait subitement interpellĂ© :
« Quâest-ce que tu fais ?! ».
CâĂ©tait jour de classe et je venais dâentrer dans la cour du lycĂ©e. Pascal, ancien basketteur, plus ĂągĂ© que moi dâun ou deux ans, plus grand que moi de vingt bons centimĂštres, Ă©tait debout, appuyĂ© contre un arbre chĂ©tif situĂ© sur un petit promontoire. Tel un surveillant observant la façon dont les uns et les autres pĂ©nĂ©traient en dĂ©filant dans le lycĂ©e. Une fonction complĂštement officieuse. Pascal devait ĂȘtre en terminale. JâĂ©tais en premiĂšre. A cĂŽtĂ© de lui, se trouvait un autre garçon Ă peu prĂšs de son Ăąge.
Devant ce tribunal improvisĂ©, jâavais Ă©tĂ© dĂ©sarçonnĂ©. Cette interpellation ne faisait pas partie des matiĂšres prĂ©vues dans mon emploi du temps.
Je mâĂ©tais senti obligĂ© de rĂ©pondre. Je « connaissais » Pascal. Je lâadmirais et le craignais aussi. Son autoritĂ©. Son allure. Son assurance. Tout cela, Ă©videmment, jâen Ă©tais dĂ©pourvu. Je me sentais son infĂ©rieur.
Jâavais rĂ©ussi Ă rĂ©pondre : « Je vais Ă lâĂ©cole⊠».
Pascal avait alors rĂ©pĂ©tĂ©, avec un air un peu sardonique : « Tu vas Ă lâĂ©cole ?! ». A ses cĂŽtĂ©s, lâautre « grand » sâĂ©tait marrĂ© tout doucement en se tournant vers Pascal. Pour ajouter : « Il va Ă lâĂ©cole⊠».
Jâaurais pu rĂ©pondre que câĂ©tait dĂ©jĂ plus que bien que je sois au lycĂ©e, et assez bon Ă©lĂšve. Mes parents, dâorigine modeste, avaient accĂ©dĂ© Ă la classe moyenne, en quittant jeunes leur Ăźle natale et tropicale â plus tard, jâallais apprendre que leur Ăźle natale faisait rĂȘver beaucoup de monde par ailleurs- pour la France.
Mon pĂšre, afin de mâassurer un avenir, avait eu le projet pendant des annĂ©es de faire de moi un futur mĂ©canicien de voitures. Moi qui ne savais mĂȘme pas changer une roue de vĂ©lo et qui Ă©tais beaucoup plus un petit intello Ă lunettes quâun manuel. Hier encore, mĂȘme si je me suis un peu civilisĂ© pour certaines Ćuvres manuelles, juste pour essayer devant ma fille une nouvelle petite pompe Ă vĂ©lo trĂšs esthĂ©tique -prĂ©sentĂ©e comme trĂšs pratique par la vendeuse- je nâai pas Ă©tĂ© trĂšs convaincu par mes compĂ©tences. Ainsi que par la pertinence de mon achat.
Mais pour mieux rĂ©pondre Ă Pascal, il aurait dĂ©jĂ fallu que je comprenne Ă quâavoir obtenu lâaccord de mon pĂšre pour aller au lycĂ©e revenait presque au fait dâaccĂ©der Ă une grande Ă©cole du genre lâENA, Polytechnique ou Sciences Po. Cela, grĂące Ă lâintervention de ma prof de Français de 3Ăšme, Mme Askolovitch /Epstein.
Peut-ĂȘtre que certaines et certains de mes camarades connaissaient ces grandes Ă©coles. Je pense Ă ceux qui mâĂ©tonnaient dĂšs le dĂ©but de lâannĂ©e scolaire lorsquâils lĂąchaient un :
« Jâai regardĂ© le programme de cette annĂ©e ». Ou qui se montraient plus que critiques sur tel collĂšge ou tel lycĂ©e dont le niveau avait « baissĂ© ».
Evidemment, mes parents et les membres de ma famille, eux, nâavaient jamais Ă©tĂ© concernĂ©s par ces histoires de « programme de lâannĂ©e », de « niveau qui avait baissĂ© » ou par lâexistence de ces grandes Ă©coles.
Par contre, la mécanique automobile, niveau BEP, ma famille connaissait.
Nous Ă©tions au milieu des annĂ©es 80. LâĂ©poque de François Mitterrand, PrĂ©sident socialiste. De U2. Ou de Kassavâpour celles et ceux qui savent. Quelques annĂ©es aprĂšs AC/DC. Avant Nirvana. NTM nâexistait alors pas en tant que groupe de Rap.
Alors, Kool Shen, Joey Starr, ou MC Solaar et AkhĂ©naton, qui ont Ă peu prĂšs le mĂȘme Ăąge que moi, auraient pu ĂȘtre des « connaissances » si nous avions habitĂ© dans la mĂȘme citĂ© ou dans les mĂȘmes environs. Des personnes que jâaurais pu saluer ou dont jâaurais pu connaĂźtre le nom et certains « faits ». Comme cela a Ă©tĂ© le cas pour plusieurs jeunes de ma citĂ© et des environs que je croisais ou dont les noms parfois circulaient. Je me rappelle encore des noms de famille et des prĂ©noms de certains.
Que ces jeunes aient « mal » tournĂ© ou se soient « bien » intĂ©grĂ©s dans la sociĂ©tĂ© et le monde des adultes. Des jeunes qui, comme les fondateurs de Nirvana ou de NTM, Ă un moment ou Ă un autre, ont Ă©tĂ© en colĂšre et tristes comme beaucoup de jeunes mais qui ont voulu prendre du bon temps et ont suivi certaines rĂšgles autrement, dâabord les leurs, lorsque le monde des adultes sâest rapprochĂ© dâeux et que leur tour dây entrer est arrivĂ©.
Hormis pour Hypokhagne, je ne peux pas affirmer que connaĂźtre alors lâexistence de lâENA, Polytechnique, Sciences Po ou dâautres grandes Ă©coles, aurait beaucoup changĂ© mes « choix » dâorientation Ă la fin du lycĂ©e. Mais nos dĂ©cisions peuvent changer ou Ă©voluer selon les perspectives et les exemples que lâon connaĂźt prĂšs de soi ou autour de soi. Avec les expĂ©riences que lâon sâautorise.
Peut-ĂȘtre Ă©tais-je un Oncle Tom dĂšs le lycĂ©e ? Moi qui avais dĂ©jĂ lu plusieurs livres de Richard Wright, sans doute de Chester Himes, qui Ă©coutais du Bob Marley Ă la maison depuis mon enfance ; qui mâintĂ©ressais Ă la philosophie, et qui, avant mes dix ans, avais eu droit Ă des leçons rĂ©pĂ©tĂ©es de mon pĂšre Ă propos de lâesclavage ?
Je mâintĂ©ressais aussi aux Black Panthers, Ă Malcolm X et Ă Martin Luther King, Ă LâANC et Ă Nelson Mandela, alors encore en prison. Mais rien de cela ne transparaissait dans mon comportement de lycĂ©en scolaire et soumis. On peut ĂȘtre un Oncle Tom lettrĂ©.
Ce jour-lĂ , jâavais rĂ©ussi Ă rĂ©pondre plutĂŽt timidement Ă Pascal et Ă son partenaire :
« JâĂ©cris des poĂšmes⊠».
Si son comparse, sans doute un annexe secondaire, sâĂ©tait tu, Pascal, lui, de maniĂšre surprenante, avait donnĂ© du crĂ©dit Ă cette nouvelle donnĂ©e.
Il ne mâa pas dit : « Câest trĂšs bien. Continue ! ». Ni : « Ce serait bien que tu me montres ». Mais jâai perçu que ces quelques lignes que jâavais pris lâhabitude de tracer sur des feuilles de papier mâavaient donnĂ© un petit peu plus de consistance Ă ses yeux. MĂȘme si je ne voyais pas en quoi ce que jâĂ©crivais me distinguait tant que ça de toutes celles et tous ceux qui allaient « seulement » Ă lâĂ©cole, jâavais compris que je faisais quand mĂȘme quelque « chose » qui trouvait grĂące Ă ses yeux. Je nâĂ©tais pas un Oncle Tom ou un benĂȘt en voie de finalisation.
Je veux bien croire que Pascal ait rapidement oubliĂ© cette anecdote. Comme il a pu oublier qui je suis, alors que je mâen rappelle encore plus de trente annĂ©es plus tard. Ce genre de situation mâarrive rĂ©guliĂšrement. Plusieurs annĂ©es plus tard, je reconnais et me rappelle de personnes qui mâont totalement oubliĂ©. Ceci pour dire comme jâĂ©tais peu marquant comme individu.
Il y a Ă peine deux semaines, jâai refait le mĂȘme coup Ă quelquâun. La derniĂšre fois que je lâavais vu, câĂ©taitâŠen 1989. Il ne se souvenait absolument pas de moi. Jâai pu lui restituer le contexte avec tellement de dĂ©tails quâil a Ă©tĂ© obligĂ© dâaccepter que notre rencontre avait bien eu lieu. Comme lui dire, quâĂ cette Ă©poque, le tube de Laurent Voulzy qui passait Ă©tait Le Soleil donne. Et quâau cinĂ©ma, on parlait pas mal du film Faux-semblants de David Cronenberg. Finalement, avant de se rendre dĂ©finitivement, il a fini par me demander :
« Mais comment ça se fait que tu te souviens de moi ?! ».
Je lui ai alors répondu, trÚs sûr de moi :
« Pourquoi je ne me souviendrais pas de toi ?! ».
En cherchant sur internet il y a quelques annĂ©es, jâai appris que Pascal Ă©tait devenu Ă©ducateur spĂ©cialisĂ©. Je nâai pas lâimpression quâil ait continuĂ© de faire de la musique pour des raisons que je ne mâexplique pas. Et, la derniĂšre fois que je lâavais croisĂ©, cela devait ĂȘtre Ă lâuniversitĂ©. Il avait alors rasĂ© ses locks et Ă©tait devenu facteur Ă vĂ©lo.
Le hasard veut que lâhomme que jâavais rencontrĂ© en 1989- et Ă qui jâai fait la surprise de le reconnaĂźtre rĂ©cemment- porte aujourdâhui des locks et est musicien. En 1989, je ne le savais pas musicien ( ou je lâai oubliĂ©) et il avait une coupe de cheveux plutĂŽt similaire Ă celle de Pascal, la derniĂšre fois que jâavais croisĂ© celui-ci et quâil Ă©tait devenu facteur.
Nirvana :
En Ă©coutant et en rĂ©Ă©coutant hier cet album live du groupe Nirvana, jâai eu lâimpression dâĂ©couter et dâentendre ce qui me manquait dans ma jeunesse. Et ce qui fait, en principe, le panache de la jeunesse avec lâinsouciance :
Le fait de vivre sans sâarrĂȘter et sans contrĂŽle.
Le groupe Nirvana, et Kurt Cobain, me font penser Ă des personnes qui, dans un restaurant, casseraient tout. Que lâon applaudirait ensuite. Et Ă qui lâon glisserait discrĂštement Ă lâoreille :
« Vous avez fait ce que jâavais envie de faire depuis longtemps ». « Ou trĂšs souvent ».
Et, au moment de payer lâaddition et les rĂ©parations, les spectateurs ou tout un tas de mĂ©dias et de personnalitĂ©s les plus diverses se dĂ©pĂȘcheraient soit de rĂ©pĂ©ter :
« Câest de lâart ! Ce nâest pas Ă eux de payer ! Ils ont raison ! ». Rapidement, quelquâun justifierait leur comportement et expliquerait en quoi, lĂ , prĂ©cisĂ©ment, le fait dâavoir tout cassĂ© dans ce restaurant, Ă©tait un acte salvateur et nĂ©cessaire pour la sociĂ©tĂ© et le monde entier.
La diffĂ©rence entre Nirvana, ou tout groupe, artiste ou personnalitĂ© qui casse ainsi la baraque, symboliquement ou concrĂštement, et le citoyen lambda ou scolaire, câest dâabord dâĂȘtre les premiers à « dĂ©frayer la chronique » lĂ oĂč la majoritĂ© le pense et le souhaite mais nâose pas le faire.
Ensuite, lâautre diffĂ©rence avec la majoritĂ©, câest que ces artistes et ces personnalitĂ©s sont prĂȘtes Ă assumer les risques de leurs comportements. Sur leur vie et sur leur santĂ©. Ou acceptent dâĂȘtre regardĂ©s de travers par la majoritĂ© voire provoquent cette majoritĂ©, ou cet ordre social ou autre, qui les contraint ou cherche Ă les contraindre.
Leur attitude nâest pas gratuite. On parle alors de SincĂ©ritĂ© de leur engagement. Lequel engagement servira ensuite dâexemple ou sera reconnu par une bonne partie de la majoritĂ©. Câest ce que lâon appelle la « commercialisation » ou la « rĂ©cupĂ©ration ». Ou la reconnaissance. Si ces artistes ou ces personnalitĂ©s ont la chance, ou la malchance â Kurt Cobain comme dâautres artistes a trĂšs mal vĂ©cu lâĂ©norme succĂšs de Nirvana- dâarriver Ă la bonne Ă©poque. En prĂ©sence des tĂ©moins qui rendront compte ; qui sauront bien expliquer lâĆuvre ; et qui sauront aussi trouver les moyens quâil faut pour dĂ©fendre lâĆuvre, les artistes ainsi que leur souvenir.
Le citoyen lambda ou scolaire, lui, sâil se met Ă tout casser dans un restaurant, terminera en garde Ă vue. Cela sera peut-ĂȘtre marquĂ© dans son casier judiciaire. Sauf sâil est reconnu irresponsable au moment des faits car sous le coup de troubles psychiatriques.
Cet incident, si le citoyen lamba ou scolaire, a un emploi « normal » comme la majoritĂ© des citoyens, peut lui faire perdre son emploi. Et, il devra, seul, rembourser les rĂ©parations de ses dĂ©gĂąts dans le restaurant. Sâil a de la chance, et sâil avait contractĂ© une bonne assurance, celle-ci pourra peut-ĂȘtre lâaider financiĂšrement. Sâil a moins de chance, sa femme le quittera peut-ĂȘtre. Ou, elle le trompera avec le restaurateur qui aura besoin de consolation.
Les artistes ou les personnalitĂ©s, elles, pourront voir, jusquâĂ un certain degrĂ©, leur CV se bonifier avec ce genre de dĂ©gĂąts. Elles se feront peut-ĂȘtre inviter par le restaurateur oĂč tout cela sâĂ©tait passĂ©. Afin de les remercier pour toute la bonne publicitĂ© que lâincident a apportĂ© Ă lâĂ©tablissement. Le citoyen lambda ou scolaire, lui, devant le mĂȘme Ă©tablissement, sera dĂ©clarĂ© tricard. Au mieux, sâil sây prend bien, il aura peut-ĂȘtre le droit de faire la manche ou dâobtenir lâautorisation de venir vendre des fleurs aux clients du restaurant.
Je crois que lâon sâattache, non Ă un marchand de fleurs, mais Ă un groupe de musique, ou Ă un auteur en particulier, parce quâil exprime nos manques. Nos peines. Parce quâil « display »- il dĂ©voile ou exprime- ce courage qui nous a manquĂ© ou que lâon aurait voulu avoir en certaines circonstances et Ă©tapes de nos vies. Car qui, nâa pas eu envie, un jour ou lâautre, dans certaines situations, de tout casser et sâest retenu ?
Ce genre dâexpĂ©riences et de miroir avec un groupe ou une personnalitĂ©, nâa pas dâĂ©poque, dâĂąge ou de genre musical ou mĂȘme de domaine de discipline spĂ©cifique.
Câest pour cela que le nom dâun groupe, ses origines, sa couleur de peau, son style de musique ou sa langue importent peu. Tout ce qui compte, câest le moment, oĂč, dans notre existence, la rencontre avec notre « double » ou notre « alter-ego » public est possible et se fait.
Il y a tant de rencontres et dâopportunitĂ©s ratĂ©es, avec soi-mĂȘme et avec les autres, que lorsque certaines de nos rencontres rĂ©ussissent, nous faisons le plein- et Ă ras bord- de ces rencontres. Par la musique ou dans dâautres domaines.
Sauf que pour quâun Nirvana, un AC/DC, un U2, un Bob Marley, un NTM, Un MC Solaar ou un I AM « rĂ©ussisse », beaucoup dâautres Ă©chouent. Et, davantage encore, en deviennent spectateurs. Faute de pouvoir tout casser, prendre des drogues ou des positions ultimes, autant laisser dâautres le faire Ă notre place. Et, pour quelques unes et quelques uns dâentre eux, Nirvana ou dâautres, une certaine rĂ©ussite arrive.
Car la rĂ©ussite, pour ces artistes et ces personnalitĂ©s, nâest pas totale.
Finir comme Kurt Cobain ? Il y en a quelques unes et quelques uns que cela fait et fera rĂȘver. Selon moi, une minoritĂ©, et Ă une certaine pĂ©riode de la vie comprise, allez, entre 13-14 ans et…. 30 ans. Car c’est la pĂ©riode des ( plus) grands engagements. Corps et Ăąme.
Mais, dâune part, mĂȘme si l’on a aujourd’hui entre 13 et 30 ans, câest trop tard pour prendre la place de Kurt Cobain. A moins de dĂ©cider de devenir son sosie.
Ensuite lui, comme bien dâautres cĂ©lĂ©britĂ©s, nâavait pas prĂ©vu ce qui lui est tombĂ© dessus comme succĂšs. Il y a tant d’artistes inconnus aujourd’hui qui le seront encore demain ou aprĂšs demain, ou dans plusieurs annĂ©es, alors qu’ils sont actuellement en activitĂ©. Plus ou moins douĂ©s. Plus ou moins engagĂ©s. Plus ou moins dĂ©vouĂ©s.
Et puis, rĂȘver et nous souvenir de nos rĂȘves, souvent, nous suffit. Autrement, nous serions trĂšs nombreux Ă avoir des vies qui ressemblent Ă celles des membres de groupes de musique, des auteurs, et des personnalitĂ©s, que nous admirons tant.
Voir et acheter
Je parlais dâargent au dĂ©but de cet article. Au fait de gagner plus dâargent. Plusieurs fois par jour, depuis des annĂ©es, nous voyons gratuitement ce que nous pourrions vivre. Nous le voyons de maniĂšre si familiĂšre, que mĂȘme en nous appliquant Ă ĂȘtre raisonnables, nous finissons par acheter.
Nous baignons dans ce monde. Voir et acheter. Voir et vivre. Voir et participer. Voir et vouloir en ĂȘtre.
En rĂ©Ă©coutant cet album de Nirvana, hier, je me suis demandĂ© comment jâavais pu ĂȘtre aussi sourd Ă lâĂ©poque. Puisquâ Ă part le titre Smells Like Teen Spirit et le fait de me rappeler quâEric B- un collĂšgue psychiatre dont les compĂ©tences et le personnage mâavaient marquĂ©- avait parlĂ© de ce groupe, je nâai rien fait pour Ă©couter davantage Nirvana. Donc, pour mâĂ©couter moi-mĂȘme dâune certaine façon.
Gagner plus dâargent est devenu une obsession avant le fait de vivre. Ce constat donne plutĂŽt envie de tout casser. Ou de voler.
Chaque article que je fais sort peut-ĂȘtre de mon kit de survie contre cette obsession.
Aujourdâhui, cet article est sorti de mon kit parce quâhier, jâai Ă©coutĂ© et rĂ©Ă©coutĂ© la musique en concert du groupe Nirvana. Autrement, j’aurais peut-ĂȘtre parlĂ© du film The Black Widow avec l’actrice Scarlett Johansson que j’ai vu au cinĂ©ma il y a bientĂŽt deux semaines maintenant.
D’autres n’ont pas ce kit.
Franck Unimon, ce mardi 27 juillet 2021.