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Connaître son corps

                                       Connaître son corps

 

On vit vieux, dans ma famille. « Vieux », c’est une moyenne d’âge comprise entre environ 80 et 90 ans.

 

C’est peut-être une croyance. Cela ne repose sur aucune connaissance spécifique que j’aurais en particulier. Je n’ai pas d’explication scientifique à ce sujet. Je ne l’ai pas vu sur internet. Mais ce sont des exemples, ou des modèles, que j’ai devant les yeux depuis mon enfance. Et ces exemples sont devenus partie intégrante de mes croyances. Ils m’ont convaincu que je vivrais, aussi, vieux. Cela fait partie de ces certitudes intimes, ou de ces secrets, que l’on a tous et dont on parle peu ou prou. Si j’en parle maintenant, c’est évidemment au vu du contexte. Du contexte et des circonstances que nous connaissons.

 

On accepte encore plus facilement une croyance lorsqu’elle nous convient.  Que cette croyance soit vraie ou fausse. Qu’elle soit religieuse ou non. Qu’elle soit vérifiable ou non.

 

Toutefois, pour l’âge réel de ma mort, que je l’accepte ou non, j’aurais la possibilité, et même l’exclusivité, dans le carré VIP ou j’entrerai sans payer, de vérifier si ma croyance familiale était fondée.

 

 

Dans ma famille, on ne se pend pas. Et on ne meurt pas non plus d’un cancer, ou alors, très vieux. C’est rare.

 

D’autres sont moins chanceux. Comme cet ancien collègue, un de mes modèles dans les premières années de ma carrière d’infirmier en psychiatrie, retrouvé dans sa maison, pendu, par son fils adolescent. Ou comme mon ami Scapin, décédé d’un cancer moins de cinq ans avant son départ à la retraite.

 

Je suis un (très) lent. C’est peut-être pour ça que je vivrai un peu vieux. Dans le quotidien, je parle « Toujours sur le même ton » avec une voix en sourdine, intestine, du genre fouine. Ou monocorde. Les gens n’aiment pas ça. Ce qu’ils veulent, c’est faire la fête sans arrières pensées et sans barrières. Avec moi, il y a souvent une impression menaçante et bizarre qui plane. D’ennui. Une mauvaise conscience qui accouche comme dans l’album Mezzanine de Massive Attack. Je n’en n’ai rien à faire de faire le « vieux » en parlant de cette œuvre aujourd’hui où le Rap et les musiques de consoles et de jeux vidéos sont devenus la norme et la forme. Car ma durée de vie sera peut-être bientôt équivalente à celle d’un hamster en cage. Deux ou trois ans.

Ps : Ci-dessous, je mets le lien vers cette vidéo du titre Angel (chanté par Horace Andy) du groupe Massive Attack en concert il y a 13 ans. Vidéo que je découvre et qui me plait beaucoup. Cependant, je recommande de voir la vidéo officielle du titre que je n’ai pas pu importer. Je la trouve encore “mieux”. Elle montre très bien, je crois, la chorégraphie de cette peur dont nous nous sommes de plus en plus munis dans notre quotidien depuis un an et demi. Je recommande aussi, mais pour l’extase cette fois, de voir en concert- également en 2008- le titre Teardrop ( toujours de Massive Attack ) chanté par Elizabeth Fraser. Le fait qu’Elizabeth Fraser soit écossaise a peut-être aussi joué pour moi un rôle dans mon attachement à son interprétation. L’Ecosse étant un pays où j’ai vécu, dans le passé, des moments importants.

 

Je ne suis pas celui dont on recherche la compagnie. Je ne suis pas encore mort et, pourtant, c’est comme si. C’est sans doute pour cette raison que j’étais allé aux enterrements de ces deux ex collègues et amis ( D… et Scapin). Par attachement, tristesse et aussi surprise. Car il est impossible, en rencontrant quelqu’un de pronostiquer d’emblée :

 

« Celle-ci ou celui-ci, elle ou il n’en n’a plus que pour tant d’années de vie courante ».

 

 

Après toutes ces années, je ne connais toujours pas mon corps. Il m’est donc difficile de connaître les ressorts de celui des autres. Par contre, il est possible de les aimanter. Car tous les corps ont des besoins, des désirs et des déclics. Au point que cela peut en devenir un capharnaüm à moins qu’il n’existe, quelque part, un ou plusieurs rouages, ou un chef d’orchestre, pour aiguiller ça. Ou des personnes dont c’est le métier.

 

Cette personne a souvent le visage ou l’attrait de ce qui nous inspire confiance. Celui d’un acteur. De la Maitre-Nageuse qui nous apprend à nager. Cela peut aussi être une œuvre ou un travail que l’on aimera et que l’on choisira de suivre ou de poursuivre.

 

Il y a plusieurs années, alors que j’interviewais une danseuse, chorégraphe et réalisatrice célèbre, j’avais osé lui dire :

 

« C’est vrai que le corps est une prison…. ». 

 

Avec un petit rire gêné, elle avait très vite repoussé ma proposition, pourtant asexuée :

 

« Non, non, le corps n’est pas une prison ! ». Elle m’avait donné l’exemple d’une personne handicapée motrice qui, grâce à la danse,  était « libre dans son corps ».

 

Je voyais ce qu’elle voulait me dire. Bien-sûr, elle avait raison. Incapable de la contredire,  je m’étais senti déplacé devant son autorité et son assurance de danseuse et de chorégraphe, très grande connaisseuse de la gravité et du corps. Comme si je n’avais jamais arrêté de n’être qu’un petit soldat. J’avais essayé de penser. Je venais d’être ramené aux ordres et à la raison par une plus qu’illustre Générale.

 

Néanmoins, il m’est resté un grain de cette impression. C’est en partie avec ce grain que je fabrique la poudre de ce texte.

 

Un de mes anciens collègues, psychanalyste lacanien, très peu sportif, m’avait lui, dit un jour :

 

« Le corps, c’est l’inconscient ! ».

 

Quand j’étais allé à l’enterrement de ce modèle et collègue retrouvé pendu chez lui par son fils, Scapin faisait partie des présents. Avec lui et un autre collègue, Spock, nous nous étions racontés des histoires drôles poudrées à l’humour noir. Un humour que j’ai appris à développer au contact de personnes comme eux, mes aînés de dix ans, et que je produisais très certainement en moi auparavant.

 

Mais je me rappelle aussi que Scapin m’avait surpris en disant subitement à propos de notre collègue  disparu ( et dont personne n’avait prévu le geste) :

 

« Je n’aurais pas aimé être dans sa tête (ou à sa place) dans les quinze minutes qui ont précédé le moment où il s’est pendu ! ».

 

Nous n’avons jamais su pourquoi. Et le Savoir n’aurait rien changé.  Je ne sais pas comment, par la suite, le fils de ce collègue a vécu dans son propre corps. Et s’il a réussi à s’y sentir libre.

 

Lorsqu’il a été atteint de son cancer, Scapin n’en n’a pas parlé tout de suite. Je me rappelle qu’avant qu’il ne me l’apprenne, il avait pris soin de venir voir ma fille, encore bébé, chez une amie commune dans la ville de US.

 

Comme à mon habitude, j’avais pris plaisir à l’embêter en le photographiant et en le filmant. « Arrête avec ça ! ». Après cette rencontre, m’avait ensuite appris Milotchka, sa  femme, Scapin avait arrêté de voir des gens. Lui, si curieux des gens,  barjos inclus, plusieurs mois avant sa mort, avait décidé de rentrer « dans sa tente ». Il me l’avait écrit par sms.  Il refusait toute sollicitation extérieure comme me le confirma plus tard Milotchka.

 

Lorsqu’il m’envoyait un sms, il le concluait toujours par un péremptoire « Surtout, ne réponds pas à ce message ! ». C’était à la fois touchant et très drôle. Je croyais pouvoir en rire un jour avec lui car, pour sur, je souhaitais qu’il vive davantage. Je n’ai pas pu en rire avec lui.

 

Scapin n’était pas très sportif. C’était encore moins un artiste martial. Sa plus grande performance sportive devait consister à revêtir son jogging et à mettre une paire de baskets. Après ça, il était épuisé.  Cependant, à un moment, il avait compris qu’il n’en n’avait plus pour très longtemps. Et, il a choisi sa façon. Sa femme m’a raconté un peu le jour où, à l’hôpital, en sa présence, il avait décidé de mourir.

 

Dans son livre UCHIDESHI ( Dans Les Pas Du Maître) , Sensei Jacques Payet, 8ème dan, Shihan, au sein de l’organisation Aikido Yoshinkan, nous parle plusieurs fois du Shugyo

 

Page 173 :

 

« Pendant tout ce temps, j’ai toujours gardé les mots de Kancho sensei à l’esprit.

« Acceptez et même provoquez une situation dans laquelle toutes les chances sont contre vous, où vous n’avez aucun contrôle, aucun échappatoire et aucun autre choix que de faire face à votre peur. Notre shugyo est de trouver un moyen de renverser une telle situation, en transformant la pire situation en notre meilleur allié (…) dans le cas du budo, on attend de chacun de nous que l’on fasse de notre mieux chaque jour, dans les pires ou les meilleures conditions, lorsqu’on est malade ou ivre, dans les bons ou les mauvais moments. Le processus est aussi important que les résultats, et il n’y a pas de but précis, si ce n’est une lutte de toute une vie avec soi-même ».

 

Un peu plus loin, page 177, Jacques Payet écrit :

 

« Apprends avec ton corps » nous disait-on- c’est vraiment la seule et unique façon d’apprendre le budo ».

 

En occident, on peut avoir une vision très idéalisée du Japon ou des Arts martiaux. Je l’ai eue, cette vision idéalisée. 

 

Le dogme est un puissant hypnotique. La conviction paranoïaque et délirante, aussi. On les secrète abondamment lorsque certains de nos récepteurs intimes se retrouvent au contact d’un territoire et d’une logique qui coïncide avec notre histoire sensible. On se sent comme chez soi dans cette seconde peau et cette nouvelle vie. Chez soi, pour éviter  les intrusions, on met des verrous. Et on ouvre uniquement aux personnes de confiance, qui pensent comme nous. Cette seconde peau et cette nouvelle vie se méritent. On a franchi certaines étapes pour y arriver. Pour « évoluer ».  Souvent, les autres, veulent nous retirer ça ou nous inciter à nous en séparer. Ce sont des antagonistes. Au mieux, des personnes avec lesquelles on reste poli et à distance. Que l’on affronte ou que l’on doit supporter si elles nous emprisonnent.

 

Bien-sûr, aujourd’hui, au vu du contexte de la pandémie du covid, en parlant de dogme, je pense au moins aux personnes les plus radicales parmi les anti-vaccins Covid et  les pro-vaccins Covid.

 

 

Hier, pourtant, j’ai pris rendez-vous pour me faire vacciner. Après avoir lu dans les journaux papier Charlie Hebdo, Le Canard Enchaîné et Le Parisien, le joli comité d’exclusion qui se concocte pour celles et ceux qui refusent de se faire vacciner. Ils seront privés du sésame du passe sanitaire. Charlie Hebdo ( ainsi que le Le Canard Enchainé) s’inquiète du fait  que ce passe sanitaire soit contraire à un certain nombre de libertés et aussi créateur de violentes inégalités entre les citoyens. Dès l’année dernière, avec le premier confinement, nous avions commencé à perdre des libertés.

 

Le “Charlie Hebdo” paru ce mercredi 28 juillet 2021.

 

L’hebdo s’inquiète aussi de la mainmise renforcée de l’informatique sur nos corps et sur nos vies. C’est malheureusement « logique » : Le Président Macron fait partie de cette file active de décideurs très technophiles et aussi adorateurs du chiffre et du logiciel devant l’humain. Pour ces spécialistes, la nuance de l’être humain est une tare préhistorique. Le présent et le futur, c’est des codes à la virgule près, des oups en cas d’erreur ou d’oubli de code. Et de s’adresser à des chiffres et à des logiciels.  Qu’ils soient virtuels ou matraqués par des humains.  

 

Si nous sommes des asservis volontaires d’internet et des GAFAM, et que ceux-ci permettent aussi des plaisirs et des libertés, je suis aussi marqué par le fait que la plus grande partie des informations qui cisaillent les avis entre les anti-vaccins et les pro-vaccins provient aussi d’internet. Et, il n y a pas de garde-fous.

 

Cependant, Charlie Hebdo, comme Le Canard Enchaîné, comme Le Parisien et d’autres journaux papier restent des adeptes des vaccins  contre le Covid qu’ils ne nomment pas. Parmi eux, les « vaccins » des laboratoires Pfizer et Moderna  à ARN messager  qui nécessitent chacun deux injections à plusieurs semaines d’intervalle (3 semaines d’intervalle entre la première et la seconde injection pour moi en aout avec le Pfizer). Le vaccin Pfizer semble le plus utilisé autour de moi désormais.

 

Il y a aussi le vaccin Johnson & Johnson (1 seule injection) moins prisé car plus d’effets secondaires graves ont été constatés avec lui. Et le vaccin Astrazeneca (2 injections).

Le journal “Le Parisien” de ce mercredi 28 juillet 2021.

 

Savoir que la plupart des journaux papier encouragent à la vaccination et discuter avec plusieurs personnes vaccinées- que je connais et crois suffisamment critiques et sensées-  m’a aussi décidé malgré mes réserves sur ces vaccins que ma santé et moi allons apprendre à découvrir au fur et à mesure.

 

 

Connaître son corps, connaître son sort, on dirait que ça se ressemble. Mais c’est peut-être une croyance et une idée fausse. Dans ma famille, on vit vieux. J’essaierai de faire de mon mieux.

 

Franck Unimon, ce jeudi 29 juillet 2021.

 

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