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Marseille-Toulon-La Ciotat, octobre 2019

 

 

Marseille.

 

 

Nous Ă©tions Ă  Marseille la semaine dernière. Nous sommes passĂ©s quelques heures Ă  Toulon et avons aussi pris un peu la lumière Ă  La Ciotat. Au moment d’Ă©crire cet article, je me dis que rien ne m’oblige Ă  parler de cette expĂ©rience lunaire qu’est un voyage de manière scrupuleusement chronologique. Lorsque j’ouvre mon robinet en ce moment j’entends ça :

 

 

 

Cette sculpture, nous l’avons dĂ©ja vue. Je suis retournĂ© la voir, cette fois, pour connaĂ®tre le nom de son auteur. Car, sans le nom de son auteur, cette oeuvre est un peu une sĂ©pulture. Pour l’artiste et pour ce qu’il a voulu dire :

 

 

Maintenant, nous “savons”. 

 

 

 

Dans mon prĂ©cĂ©dent article sur Marseille(  Marseille, octobre 2019)  , j’Ă©crivais qu’il m’avait fallu du temps pour aimer cette ville. Cette fois-ci, Marseille s’est très vite dĂ©fendue Ă  sa manière. De sa bouche, les premiers jours, sont d’abord sortis du froid, de la pluie ( des averses jusqu’Ă  faire dĂ©border provisoirement le Vieux-Port) et des jours gris. C’Ă©tait la première fois que je voyais Marseille comme ça. 

 

Je n’ai pas pas de photo d’inondation. Nous rentrions Ă  Marseille par le train  en provenance de Toulon lorsque l’averse est tombĂ©e. Elle nous a douchĂ© avec passion Ă  notre sortie de la gare. 

 

Dans Toulon.

 

Nous sommes allĂ©s Ă  Toulon parce-que s’y trouve un magasin de vĂŞtements techniques supposĂ©s rĂ©sistants et pratiques ( aussi bien faits pour le voyage que pour la ville) qui y a ouvert en 2014. Et il n y a qu’Ă  Toulon, pour l’instant, que la marque dispose d’un magasin physique. Autrement, il faut commander sur internet. Or, j’ai prĂ©fĂ©rĂ© me rendre sur place afin d’essayer les vĂŞtements et de me faire mon idĂ©e concernant les articles et les tailles. Lors des quelques heures passĂ©es Ă  Toulon, je me suis dit que cette ville a des atouts pour ĂŞtre plus attractive qu’elle ne l’est. Mais des -très- mauvais choix au moins architecturaux ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s pour cette ville situĂ©e en bord de mer. On rĂ©sume souvent Toulon Ă  une ville raciste et d’extrĂŞme droite mais j’ai l’impression qu’elle est un peu plus nuancĂ©e que ça. 

 

Dans la rue D’Alger, Ă  Toulon.

 

 

Et,  Ă©videmment, ce “bateau” ( photo prĂ©cĂ©dente) est selon moi, au contraire, lui, une très belle rĂ©alisation. MĂŞme si je ne sais pas comment on vit dans ces immeubles. Concernant les vĂŞtements, pour l’instant, je suis plutĂ´t content.Ils sèchent vite en cas de lavage et sont agrĂ©ables Ă  porter mĂŞme par temps plutĂ´t chaud.

Il est une autre marque ( crééé en 2008) de vĂŞtements très techniques et tout autant prĂ©sentables en ville que j’ai dĂ©couverte rĂ©cemment. Non seulement, elle est plus onĂ©reuse. Mais en plus, cette fois-ci, le seul magasin physique se trouve Ă  Brooklyn. On peut commander par internet mais ça m’ennuie pour des raisons pratiques Ă©videntes ( essayage, coĂ»t…). Je regrette, en 2011, alors que nous Ă©tions Ă  New-York, de ne pas avoir alors connu cette marque. Je connais bien “quelqu’un” pour qui la ville de Brooklyn a un sens et une importance très particuliers. Mais demander ce genre de service m’embarrasse un peu. 

 

 

 

 

Sur l’Ă®le de Frioul.

 

Je portais les vĂŞtements achetĂ©s Ă  Toulon sur moi ( un tee-shirt et un pantalon) pour la première fois, Ă  Frioul. Et, le soleil Ă©tait revenu sur Marseille et les environs. En partant de chez nos amis en fin de matinĂ©e, nous sommes arrivĂ©s sur le Vieux-Port pour embarquer environ cinq Ă  dix minutes avant le dĂ©part du bateau. Parmi les personnes qui faisaient la queue pour embarquer, j’ai reconnu La VirĂ©e Ă  Paname avec leurs deux enfants. La dernière fois que j’avais rencontrĂ© C et H, rĂ©alisatrice et rĂ©alisateur de La VirĂ©e Ă  Paname, c’Ă©tait, je crois, au festival du court-mĂ©trage de Clermont Ferrand il y a peut-ĂŞtre quatre ou cinq ans. Comme nous, ils habitent dans l’Ă®le de France, et, comme nous, ils Ă©taient venus passer quelques jours Ă  Marseille. Comme nous aussi, ils Ă©taient dans le TGV que nous avions pris depuis Gare de Lyon le lundi. L’après-midi passĂ©e avec eux fut très agrĂ©able. C’est la seconde fois qu’Ă  Marseille, je rencontre quelqu’un que je connais personnellement de la rĂ©gion parisienne. La première fois, c’Ă©tait G que j’avais croisĂ© Ă  la terrasse d’un restaurant sur le Vieux-Port. Il Ă©tait lĂ  pour un tournage de Plus belle la vie. Et, d’ailleurs, je l’avais prĂ©sentĂ© aux amis marseillais qui nous ont hĂ©bergĂ© la semaine dernière. 

 

Sur l’Ă®le de Frioul.

 

Entre Marseille et les îles Frioul.

 

De retour Ă  Marseille. Sur notre gauche, le Mucem.

 

 

Marseille, vers les docks.

 

 

 

En revenant Ă  Marseille, j’ai aussi revu d’autres amis installĂ©s depuis plusieurs annĂ©es Ă  Auriol. La dernière fois que j’Ă©tais allĂ© chez eux, je me souviens que leurs deux fils Ă©taient au plus loin Ă  l’Ă©cole primaire. Aujourd’hui, l’un des deux effectue ses Ă©tudes Ă  Luminy.

J’ai aussi revu une ancienne collègue rencontrĂ©e Ă  Montesson il y a plus de 15 ans maintenant. Elle habite dĂ©sormais Ă  Ensues la Redonne.

 

Gare d’Ensues La Redonne.

Il y avait un petit côté gare de western désolée en arrivant. Mais nous sommes en provence.

 

Le trajet depuis Marseille St Charles pour Ensues La Redonne m’a fait passer par l’Estaque. Je n’Ă©tais jamais passĂ© par l’Estaque. La vue depuis le train a Ă©tĂ© très agrĂ©able. Nous Ă©tions plusieurs passagers, Ă  activer pathĂ©tiquement nos appareils photos pour prendre des clichĂ©s de la vue Ă  travers la vitre. Mais il me reste un petit fond de dignitĂ© et je garderai ces photos pour moi. 

Après avoir discutĂ© de Marseille, de Lyon et d’autres sujets avec elle et son mari, C m’a emmenĂ© Ă  Carry le Rouet qu’elle m’a fait dĂ©couvrir ( merci encore!). 

 

A Carry Le Rouet avec C.

 

 

 

 

 

 

 

Carry Le Rouet.

 

Il nous restait encore quelques jours et PĂ©pita, mon amie qui a quittĂ© Paris il y a une vingtaine d’annĂ©es pour revenir vivre Ă  Marseille, Ă©tait dĂ©sormais de repos Ă  la fin de la semaine. Alors que j’Ă©tais parti pour Ensues la Redonne, PĂ©pita a emmenĂ© ma compagne et notre fille en vadrouille. Je les ai retrouvĂ©es en fin d’après-midi. Ce qui m’a permis de prendre le bus et de revoir la corniche que j’avais dĂ©couverte pour la première fois avec S. il y a plus de vingt ans.

Le long de la corniche. Au bout Ă  gauche, le cercle des nageurs de Marseille par oĂą est passĂ©e et oĂą se trouve une partie de l’Ă©lite de la natation française ( Alain Bernard, Camille Lacourt….). Il est possible d’y avoir accès en tant que pratiquant “lambda”, moyennant si j’ai bien retenu, deux cooptations, 1700 euros d’adhĂ©sion la première annĂ©e + 1700 euros.

 

PĂ©pita m’a donnĂ© rendez-vous près de la statue de David. Cela me parlait. Il y a plusieurs annĂ©es, j’avais passĂ© quelques nuits dans l’auberge de jeunesse qui se trouve un peu plus loin vers les calanques. A cette Ă©poque, PĂ©pita vivait encore Ă  Paris.

 

En attendant de retrouver PĂ©pita, ma compagne et notre fille, j’ai regardĂ© “David”. Il m’a fait penser Ă  quelqu’un qui s’Ă©tait statufiĂ© Ă  force d’ĂŞtre laissĂ© en plan et d’attendre que quelqu’un accepte de l’emmener quelque part. Ne te laisse pas faire, David ! La première station de bus n’est pas loin. 

Après nous être retrouvés, nous sommes allés nous asseoir au bord de la mer.

 

 

David Ă©tait encore au mĂŞme endroit la dernière fois que je l’ai regardĂ©. Mais il a peut-ĂŞtre le pouvoir de revĂŞtir plusieurs formes.

 

Marseille.

 

David, le bĂ©nĂ©vole, ramassait maintenant les dĂ©tritus laissĂ©s sur la plage. Une femme est venue l’aider. Notre fille aussi. Je l’ai laissĂ©e faire un petit peu puis je l’ai appelĂ©e et lui ai expliquĂ© que c’Ă©tait bien. Mais qu’il fallait qu’elle arrĂŞte car elle ramassait tout avec ses mains alors que David, lui, portait des gants et avait une pince. Je me suis abstenu de dire Ă  notre fille que j’estimais, aussi, que c’Ă©tait aux adultes qu’il revenait d’abord de prendre ce genre d’initiative et de responsabilitĂ© avant de s’en dĂ©charger sur des enfants. Ensuite, j’ai expliquĂ© Ă  David la raison pour laquelle j’avais appelĂ© notre fille. Ce qu’il a très bien compris. 

Marseille, hĂ´pital de la Timone.

 

En rentrant peut-ĂŞtre, ou en repartant le lendemain, nous sommes passĂ©s devant l’hĂ´pital de la Timone. L’hĂ´pital n’est pas un lieu de vacances et nous sommes simplement passĂ©s devant. Mais ça faisait des annĂ©es que j’entendais parler de cet hĂ´pital et, lĂ , il Ă©tait près de nous.

 

Au “dessus” de Cassis.

 

 

Nous aurions pu nous rendre Ă  Cassis. Mais je n’avais pas envie de m’y rendre mĂŞme si PĂ©pita nous a dit que c’Ă©tait très joli. Et, aussi très touristique. Or, nous Ă©tions un samedi.

Au “dessus” du vide. A notre arrivĂ©e, deux alpinistes venaient de terminer leur ascension. Ils m’ont rĂ©pondu que cela s’Ă©tait très bien passĂ© et qu’il faisait “limite” trop chaud.

 

 

Couple assis au dessus de Cassis.

 

 

Je préférais aller à La Ciotat.

La Ciotat.

 

 

Chaque fois que j’Ă©tais venu Ă  Marseille, je n’avais jamais eu l’envie d’y aller. Mais cette fois, j’avais particulièrement envie. Peut-ĂŞtre parce-que je l’avais aperçue lors de notre trajet en train pour Toulon. Egalement pour le son du nom de cette ville. L’idĂ©e que la ville ait perdu de son faste Ă©conomique m’attirait d’autant plus. Ainsi que le fait que le compagnon de PĂ©pita, Marseillais, et PĂ©pita nous disent soit mĂ©connaĂ®tre cette ville ou y ĂŞtre allĂ©e il y a plusieurs annĂ©es. 

 

 

En arrivant Ă  la Ciotat, PĂ©pita m’a rappelĂ© qu’elle Ă©tait aussi la ville des Frères Lumière, ceux qui avaient inventĂ© le cinĂ©ma. ça m’a d’autant plus donnĂ© envie d’ĂŞtre lĂ  et d’aller voir ce qui restait de cette Histoire.

 

 

 

 

Le cinĂ©ma Lumière, la photo des frères Lumières, le dĂ©corum, pour nous, c’Ă©tait bon ! C’Ă©tait lĂ  que ça s’Ă©tait passĂ©. Voir le dernier Terminator Ă  l’affiche du cinĂ©ma des Frères Lumière Ă©tait un dĂ©tail très amusant.

 

Heureusement, PĂ©pita a eu le rĂ©flexe d’entrer dans le cinĂ©ma et de demander aux employĂ©s prĂ©sents s’il Ă©tait possible de le visiter. Ils ( une femme et un homme) nous ont rapidement dĂ©trompĂ© : auparavant, cent ans plus tĂ´t, cet endroit Ă©tait une halle. Le vĂ©ritable cinĂ©ma oĂą les frères Lumière avaient marquĂ© l’Histoire du cinĂ©ma se trouvait ailleurs dans la ville.

 

La Ciotat.

 

PĂ©pita s’est rendue Ă  l’office du tourisme pour s’informer. Puis, en passant, nous avons achetĂ© du vrai savon de Marseille de la marque SĂ©rail. Ensuite, nous sommes repartis chercher le “vrai” cinĂ©ma des frères Lumière.

 

La Ciotat.

 

 

Ma compagne venait de me dire : ” ça fait drĂ´le de voir encore les traces de vie dans ces appartements” et de s’Ă©loigner. Je commençais Ă  prendre des photos de cet endroit lorsqu’une femme s’est arrĂŞtĂ©e sur un petit vĂ©lo, type vĂ©lo pliable. Elle m’a demandĂ© avec sympathie si j’Ă©tais de la Ciotat. Je lui ai rĂ©pondu non mais qu’est-ce que j’en savais, finalement, au vu de mon intĂ©rĂŞt soudain pour La Ciotat. En sortant un petit appareil photo, la dame, d’une soixantaine d’annĂ©es, m’a expliquĂ© que c’Ă©tait une partie de l’Histoire de la ville qui partait. Et tout ça, pour construire ” un hĂ´tel 36 Ă©toiles !”. Elle m’a racontĂ© qu’enfant, il y a 40 ans ( ou plus), elle s’Ă©tait rendue dans ce théâtre. Et, aussi qu’il y a encore peu, cette caserne de pompiers Ă©tait active. Elle envisageait d’envoyer ensuite ses photos Ă  des amis et de leur dire :

“VoilĂ , ce que c’est devenu !”. 

La dame Ă©tait engageante et j’aurais pu rester discuter un peu plus avec elle. J’ai nĂ©anmoins pris congĂ©. Notre fille est venue me chercher en courant. Ma propension Ă  prendre des photos faisait que j’Ă©tais rĂ©gulièrement distancĂ© et elle s’inquiĂ©tait que je me perde. 

 

C’est lĂ  oĂą ça s’est passĂ© avec les frères Lumière.

 

Voici le vĂ©ritable endroit oĂą les frères Lumière ont fait parler d’eux. L’endroit est assez dĂ©cevant extĂ©rieurement et nous nous sommes demandĂ©s si l’on nous cachait quelque chose. Mais un des employĂ©s nous a confirmĂ© que c’Ă©tait bien-lĂ . Chaque mercredi et chaque samedi, Ă  15h, ( il Ă©tait alors plutĂ´t 17h), a lieu une visite guidĂ©e et les piliers d’origine ont Ă©tĂ© conservĂ©s. L’employĂ© a ajoutĂ© que l’on “sent” , Ă  l’intĂ©rieur du cinĂ©ma, que le lieu a une histoire. Nous aurions pu entrer en allant Ă  la sĂ©ance de 20h mais il nous fallait rentrer.

A dĂ©faut de sĂ©ance cinĂ©ma et de visite, nous avons un peu profitĂ© de la terrasse extĂ©rieure qui donne vue sur la mer, de l’autre cĂ´tĂ© de la rue. J’ai aussi regardĂ© la programmation que l’employĂ© m’a confirmĂ© ĂŞtre du cinĂ©ma d’auteur en version originale.

 

La Ciotat.

Oui, ça donnait envie de revenir à La Ciotat. Pépita, elle-même, a été agréablement surprise par cette visite de la ville.

 

Avant de rentrer, nous sommes allĂ©s nous tremper les pieds dans l’eau. A l’entrĂ©e d’un club de plongĂ©e, dans le centre-ville, j’avais lu que la tempĂ©rature Ă©tait Ă  vingt degrĂ©s. Nous avons fait l’erreur Ă©tonnante en venant Ă  Marseille de laisser nos maillots de bain chez nous. Mais en dĂ©finitive, ce sĂ©jour nous a bien plu alors nous reviendrons. D’autant que ma compagne a prĂ©fĂ©rĂ© Marseille Ă  Lille ( Lille J + 4). Notre fille, elle, a aimĂ© les deux villes. 

 

 

Franck Unimon.

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Voyage

Marseille, octobre 2019

 

Marseille, octobre 2019

 

J’avais une vingtaine d’années lorsque j’ai découvert Marseille. C’était après un séjour à Edimbourg.

 

Je me persuadais d’ĂŞtre plus original et plus libre que la moyenne en suivant pourtant, Ă  quelques dĂ©tails près, le mĂŞme parcours que tout le monde. J’avais peur de l’engagement, du sida et du chĂ´mage.

 

Pour moi, Marseille Ă©tait une ville idĂ©ale car elle Ă©tait Ă  première vue compatible avec mes clichĂ©s : Le sud, l’accent, la sensualitĂ©, le soleil, la mer. Avant elle, des annĂ©es auparavant, j’avais rĂŞvĂ© de New-York et ça m’était passĂ©. Il y avait aussi eu Grenoble. Ça m’était aussi passĂ©. Comme pays, mon sĂ©jour un peu plus tard au Japon allait ĂŞtre un acmĂ© et aussi une rupture avec une partie de mon passĂ©. 

 

A l’arrivĂ©e, mon histoire avec Marseille ne se fit pas. Aujourd’hui, si je suivais mon envie de vivre dans une ville de province en France, ce serait plutĂ´t en Bretagne ou dans les Hauts de France.  

Néanmoins, et cela m’avait pris du temps, mais j’avais fini par aimer Marseille malgré tout. Marseille exige certainement du temps pour être aimée.

 

C’est une amie revenue vivre à Marseille il y a bientôt une vingtaine d’années qui m’a rappelé il y a quelques mois que je pouvais revenir, cette fois avec femme et enfant. Son invitation tenait toujours et je l’avais oubliée.

 

 

 

J’ai donc retrouvé la gare de Marseille St-Charles. Je n’avais pas d’attentes particulières hormis le fait de revoir le Vieux-port, Notre Dame de la Garde ainsi que cette amie, son compagnon, et une ancienne collègue venue s’installer dans la région avec son mari et leurs enfants.

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Franck Unimon, mercredi 23 octobre 2019.

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Cinéma

L’âcre parfum des immortelles

 

 

 

 

 

 

 

L’âcre parfum des immortelles un film de Jean-Pierre Thorn avec la voix de MĂ©lissa Laveaux. 

Au cinĂ©ma le 23 octobre 2019. 

 

Article de Franck Unimon

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Micro Actif

Descartes

 

 

Descartes : Voix et texte, Franck Unimon ce samedi 19 octobre 2019. 

 

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Ecologie Puissants Fonds/ Livres

Une autre fin du monde est possible

 

 

 

 

 

 

 

  • Les revoilĂ  ! 

 

Il y a maintenant deux ou trois ans, la lecture de leur livre Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie Ă  l’usage des gĂ©nĂ©rations prĂ©sentes m’avait assommĂ©. Et puis, sous l’effet du dĂ©ni sans doute, la vie avait continuĂ©.

 

Mais les revoilĂ  avec un nouveau livre :

Une autre fin du monde est possible ( vivre l’effondrement et pas seulement y survivre) et, cette fois, Pablo Servigne et Raphaël Stevens sont rejoints par Gauthier Chapelle pour la rédaction de ce livre. Et j’ai remis ça. J’ai également lu cet ouvrage. Cela m’a pris plus d’un mois. Bien que ce livre puisse se lire en moins d’une semaine.

Tout autant fourni en bibliographies et références diverses, Une autre fin du monde est possible ( vivre l’effondrement et pas seulement y survivre) est typiquement le genre de livre dont vous ne parlez pas autour de vous à moins de vouloir prendre le risque de passer pour fou, parano, extrémiste, séropositif, négatif, pessimiste ou pour celle ou celui qui a subitement pété plusieurs plombs ou plusieurs câbles en même temps. Le sujet a très mauvaise haleine et transmet des très très mauvaises vibrations. Et cela ne se perçoit peut-être pas dans mes articles mais, dans la vie, j’aime plutôt rire et faire rire.

 

  • obĂ©ir

 

 

C’est vraisemblablement pour ces quelques raisons que depuis la fin de sa lecture il y a plusieurs jours maintenant, je me suis abstenu d’en parler. Et que je me suis lancé dans la lecture de Leçons de danse, leçons de vie de Wayne Byars, un ouvrage plus rassurant et pourtant complémentaire avec le récent ouvrage de Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle.

Une autre fin du monde est possible est typiquement le genre de livre dont vous ne parlez pas autour de vous, lorsque vous vivez parmi des gens «normaux », mais qui vous réveille en pleine nuit pour écrire à son sujet. C’est ce qui est en train de m’arriver. Cela m’est bien sûr arrivé pour d’autres articles différents et plus joyeux, mais c’est ce qui m’arrive pour ce livre. Il est 4h35 et tout à l’heure, ce livre m’a en quelque sorte dit ( oui, certains livres et certains mots me parlent) :

« Franck, le moment est arrivĂ© pour toi de parler de moi. C’est mon tour ! J’ai suffisamment attendu ». Et j’ai dĂ©cidĂ© d’obĂ©ir. 

 

  • Le SymptĂ´me Take Shelter

 

 

Le réalisateur Jeff Nichols, au festival de Cannes en 2011.

 

 

 

J’aimerais encore que ma façon de réagir à la lecture de ce livre soit dû au symptôme Take Shelter, titre du film du réalisateur Jeff Nichols où l’acteur Michael Shannon, père de famille et fils d’une schizophrène, commence à avoir des visions d’une catastrophe à venir. Et, malgré la désapprobation générale de la communauté et l’incompréhension de sa femme (l’actrice Jessica Chastain), celui-ci décide, en s’endettant, de construire un abri pour sa fille et sa femme.

Dans Take Shelter, il s’agit d’une catastrophe naturelle qui touche leur région ( au Texas, je crois) et non d’un effondrement mondial. Mais à Cannes, alors que mon collègue journaliste, Johan, et moi l’interviewions- je faisais l’interprète- pour le magazine cinéma Brazil, Jeff Nichols nous avait expliqué qu’en devenant père lui-même, il avait commencé à percevoir le monde comme pouvant être particulièrement menaçant.

Lorsque j’avais lu le précédent ouvrage de Pablo Servigne et Raphaël Stevens Comment tout peut s’effondrer, j’étais moi-même devenu père. Et les trois auteurs de Une autre fin du monde est possible précisent aussi être malgré tout devenus pères. L’âge des enfants n’est pas précisé mais je suppose que nous parlons à chaque fois d’enfants de moins de dix ans, soit un âge où, dans l’espèce humaine, les enfants sont particulièrement vulnérables. Et leurs parents aussi sans doute. Cette précision « psychologique » permettra peut-être de mieux faire comprendre mon état d’esprit alors que j’écris sur cet ouvrage.

 

  • Nous sommes peut-ĂŞtre des oies

 

Pour le reste, selon Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle, ainsi que pour d’autres (scientifiques, auteurs et militants….), l’espèce humaine, en 2019, devant l’effondrement serait à peu près équivalente à celle de ces oies qui, la veille du repas de Noël, estimeraient que tout va pour le mieux car elles sont particulièrement choyées. Ou à ces proies et ces victimes qui, alors qu’elles se rendent à un événement heureux ou anodin, vivent peu après une très mauvaise expérience qui se révèlera définitive ou traumatisante.

 

  • Plusieurs types de rĂ©actions d’oies

 

Devant de telles suggestions d’avenir que nos trois auteurs ( et d’autres) justifient largement, on a le choix entre plusieurs types de réactions :

Déni, colère, dépression, renoncement, acceptation….. et Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chappelle le savent pour l’avoir vécu eux-mêmes. Dans Comment tout peut s’effondrer, ils expliquaient par exemple que leurs relations avaient pu se tendre avec plusieurs de leurs proches.

Dans Une autre fin du monde est possible, ils évoquent un moment cette conséquence relationnelle et affective, page 264 :

« Qui n’a pas déjà éprouvé des difficultés à trouver oreille attentive lorsqu’il s’agit de parler d’un possible effondrement ? Lorsqu’on découvre tout cela, surtout si c’est dans la solitude, le premier réflexe est de vouloir le partager rapidement avec des proches pour se sentir moins seul, ou parce qu’on les aime et qu’on estime que cette information est capitale pour leur sécurité. Mais attention, lorsque les autres ne sont pas prêts à entendre (et c’est souvent le cas) les réactions sont souvent désagréables tout comme le sentiment de solitude et d’incompréhension qui peut en découler. La première chose à faire est peut-être de prendre le temps d’intégrer tout cela pour soi. Ceux qui n’ont pas la chance d’avoir des proches sensibles à cette thématique peuvent échanger facilement à travers les réseaux sociaux. Lire un article, un commentaire, un livre ou un documentaire sur un sujet que l’on croyait tabou, et en parler librement, redonne du baume au cœur ».

 

  • Une oie tâte du doigt deux groupes d’entraide

 

J’ai lu et voulu que ce livre soit moins « bon » que le précédent. A un moment, en allant voir deux des sites de groupes d’entraide qu’ils citent, je me suis dit qu’il y avait un côté sectaire tout de même dans leur façon de réagir. Mais cela fait aussi partie du déni de vouloir voir le mal et des sectes dès qu’il s’agit de changer de comportement et de vision sur notre vie et sur le monde.

 

  • En coloc au colloque

 

Récemment, un spécialiste des addictions qui intervenait lors d’un colloque organisé sur le thème de « Spiritualité et addictions » m’a donné cette réponse simple afin de faire la différence entre un groupe ou un lieu bienveillant et une secte ou un groupe jihadiste (ou extrémiste) qui proposeraient leur « aide » :

 

Liberté, Gratuité et Charité.

 

  • Dans l’arrondissement de la brèche

 

Il peut en effet ĂŞtre difficile Ă  la fois de continuer de vivre sa vie en s’abstenant de raser les murs tout en se disant- en mĂŞme temps- que ce monde que nous voyons et que nous avons toujours connu- et construit mentalement- malgrĂ© ses apparences de perpĂ©tuitĂ© toute puissante, a en son foyer une brèche d’éphĂ©mère et d’illusoire et que celle-ci grandit de jour en jour que l’on s’en aperçoive ou non. Pour moi, le suicide de Christine Renon, la directrice d’Ă©cole maternelle publique de Pantin dans le 93 rĂ©cemment, la dĂ©gradation des conditions de travail dans l’Ă©cole publique,  la dĂ©gradation continue des conditions de travail dans l’hĂ´pital public depuis plus d’une vingtaine d’annĂ©es, la dĂ©gradation des conditions de travail dans la police font partie de l’effondrement. 

Servigne et Stevens l’avaient déjà bien expliqué dans Comment tout peut s’effondrer :

L’effondrement a déjà commencé. Que l’on parle du réchauffement climatique ou de la détérioration de notre monde dans les domaines sociologiques, culturels, politiques, économiques et militaires. Avant la grande catastrophe que tout le monde pourra « voir » à l’œil nu ou subir éventuellement, l’effondrement est avant tout une succession de disparitions, de dégradations et de tragédies dont on s’est accommodé ou dont on s’accommode jour après jour.

 

  • Les vers puissants

 

Les hommes politiques ( et j’écris « hommes » parce qu’à ce jour, hormis quelques exceptions, les principaux dirigeants politiques de notre monde sont et ont été des hommes) et les « Puissants » resteront sur la lancée de leur vision archaïque du monde comme ils le font depuis des siècles. Au mieux, ils réagiront dans l’urgence.

Servigne, Stevens et Chapelle nous expliquent ( après d’autres sans doute) que «Les trente glorieuses » qui ont suivi la Seconde Guerre Mondiale et qui nous ont toujours été décrites comme une période de grande croissance économique seront peut-être surnommées plus tard « Les trente affreuses » d’un point de vue écologique. Or, nous sommes toujours calés sur ce modèle de développement économique et industriel qui consiste à asservir et exploiter la terre, les êtres (humains et non humains), leur vitalité et leur richesse comme si celles-ci étaient illimitées et négligeables et qu’elles pourraient être remplacées par des innovations technologiques ou éventuellement être retrouvées en abondance sur une autre planète.

 

  • Compost de pommes et solutions

 

Dans Une autre fin du monde, vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre) Servigne, Stevens et Chapelle s’attachent à proposer des solutions.

 

Parmi elles, l’entraide, la solidaritĂ©, ĂŞtre dans l’art et dans la culture, le retour Ă  une certaine spiritualitĂ© mais aussi rĂ©apprendre Ă  vivre avec la nature et selon la nature.

Les trois auteurs nous rappellent comme nous sommes devenus des citadins forcenés de plus en plus connectés et, pourtant, nous sommes de plus en plus coupés de nous-mêmes et des autres humains et non-humains.

On peut les trouver paradoxaux- peut-être afin de nous rassurer- comme ils peuvent à la fois envisager le pire et dire qu’il y aura beaucoup de morts et de souffrance, évoquer la possible émergence de bandes armées, et, en même temps, donner l’impression , à les lire, qu’en cas de catastrophe, il nous « suffira » de rester des personnes civilisées et de faire un travail sur nous-mêmes pour nous en sortir. Alors que ce sera vraisemblablement, un « peu » la panique et la barbarie à certains endroits :

 

  • Nomade’s land 

« L’avenir risque d’être en grande partie nomade » écrivent-ils par exemple (page 264, encore apparemment).

 

  • Superbe parano orientĂ©e sud-ouest avec vue dĂ©gagĂ©e sur la mer, proche de toutes commoditĂ©s

 

RĂ©sumĂ© comme je viens de le faire, ce livre continuera peut-ĂŞtre de passer pour l’ouvrage rĂ©sultant d’un « complot » de survivalistes bobos permettant, il est vrai, l’essor lucratif d’une Ă©conomie de la survie au mĂŞme titre que le Bio, dĂ©sormais, est devenu une très bonne niche Ă©conomique- et un très bon investissement comme la fonte de la banquise- pour certains entrepreneurs, certains politiques, certains financiers et certains meneurs religieux ou sectaires. 

 

  • Les premières impressions…

 

On peut aussi rester sur l’impression première qui consiste à voir dans ces «histoires » d’effondrement l’expression d’une certaine parano affirmée qui ferait son coming out. La parano, on le sait, étant cette logique, qui, à partir de certains faits réels, se confectionne et affectionne une seule vérité, la sienne, et repousse voire assujettit ou détruit sans pitié les autres vérités.

Franck Unimon, ce vendredi 18 octobre 2019.

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Cinéma

Joker

                     

 

                                                     Joker

 

J’aurais aimĂ© dire uniquement beaucoup de bien de ce film rĂ©alisĂ© par Todd Philipps et sorti en salle ce 9 octobre. Mais je m’y suis ennuyĂ©. 

Je l’ai trouvĂ©- sĂ»rement comme mon article- trop dĂ©monstratif. 
La prestation de Joaquin Phénix lui donnera peut-être l’Oscar et d’autres superlatifs.

Mes rĂ©serves concernent principalement la façon dont le film a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© et non son jeu d’acteur. MĂŞme si Joaquin PhĂ©nix ne me fait pas oublier Jack Nicholson et Heath Ledger – j’ai lu qu’il les faisait oublier- dans les prĂ©cĂ©dents rĂ´les du Joker, son interprĂ©tation fait par moments penser au personnage paranoĂŻde de Jack Gyllenhaal dans le très bon Night Call (Nightcrawler) rĂ©alisĂ© en 2014 par Dan Gilroy ce qui me plait bien et, beaucoup trop, je trouve….au personnage incarnĂ© par Robert De Niro dans Taxi Driver qui a un rĂ´le dans le film. Pour ce cĂ´tĂ© : je me fais mon film dans ma tĂŞte. 

On peut sĂ»rement voir une continuitĂ© entre le Taxi Driver de Scorsese et Le Joker. On a aussi le droit d’avoir une grande admiration pour Robert De Niro. Le personnage de De Niro dans Taxi Driver et celui du Joker ici permettent de parler de la schizophrĂ©nie et de la duplicitĂ© des Etats-Unis mais aussi de celles de notre monde occidental libĂ©ral ( viscĂ©ral ?). 

On peut aussi penser au personnage de Rorschach dans The Watchmen. D’ailleurs, le message du film sur ces sujets (schizophrĂ©nie et duplicitĂ© des instances dirigeantes libĂ©rales et de nos sociĂ©tĂ©s occidentales « Ă©voluĂ©es ») ainsi que ses parallèles avec le personnage de V pour Vendetta (rĂ©alisations cinĂ©matographiques d’après les Ĺ“uvres d’Alan Moore), le mouvement Occupy Wall Street (ou actuellement, pour nous en France, le mouvement des gilets jaunes) lui donnent une grande lĂ©gitimitĂ©. 

Mais, autant on comprend l’Ă©vaporation de l’identitĂ© du Joker et ce que cette “Ă©vaporation” permet Ă  sa personnalitĂ©, autant le film, lui, finalement, manque d’une certaine personnalitĂ© :

On a donc droit à une musique « appropriée » – et insistante- comme si le réalisateur avait eu peur du vide, du froid, des cicatrices et des silences que le personnage du Joker a dans le bide.

On a droit Ă  des “rituels” rĂ©pĂ©tĂ©s ou Arthur Fleck/ Le Joker se fait humilier et bien bousculer y compris gratuitement. Sauf que ces rituels finissent par faire penser Ă  ces passages obligĂ©s que l’on trouve dans les circuits touristiques de masse. Un peu comme si le guide faisant une pause devant un coucher de soleil Ă©tudiĂ© se tournait vers vous et vous disait :

” C’est maintenant le moment de vous embrasser”.

Malheureusement, dans la salle, personne n’a voulu m’embrasser. Alors, j’ai recommencĂ© Ă  regarder l’Ă©cran. Il fallait bien que je m’occupe.

Lorsque Charlize Theron, dans le Monster  de Patty Jenkins se fait humilier, les coups durs et la dĂ©gringolade morale qui s’ensuit (et qui prĂ©cède les meurtres) sont les nĂ´tres. Et il n’est pas nĂ©cessaire de mettre autant de tours d’Ă©crous au supplice comme c’est le cas dans Joker pour bien nous faire comprendre qu’il a souffert. Afin de nous pousser Ă  souhaiter qu’il devienne le contraire de la victime. Car Le Joker, c’est l’anti-Elephant ManElephant Man)

Et puis, l’image est peut-ĂŞtre trop propre ou trop parfaite pour un personnage aux noirceurs possessives. Le film est peut-ĂŞtre trop correct. C’est peut-ĂŞtre ça qui m’a dĂ©rangĂ© avec Joker. MĂŞme s’il y a un Ă©vident travail de fait et une bonne correspondance entre le Joker et la figure du Batman dont on comprend bien les futures nĂ©vroses et sa relation particulière avec ce « fou » qui prend ici la place du roi. 

Franck Unimon

 

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Echos Statiques

Zombie public

                                           

 

                                              Zombie public

 

J’avais d’abord passé une nuit périssable. Vers deux heures trente, la petite était venue me trouver. Comme établi par sa mère – enfin- fatiguée de se lever en pleine nuit. Puis, j’avais dû changer de pièce à cause du bruit. Tout ça pour me rendre compte trois quarts d’heure plus tard que la petite chantonnait ou se racontait des histoires. Il était alors 3h30 du matin et j’allais l’emmener à l’école quelques heures plus tard. Cette petite « timide » était peut-être à l’école primaire et avait sûrement un très mauvais père mais elle savait déjà plus que lui parler :

« Tu vas me briser le cœur ! » m’avait-elle dit les yeux grand ouverts deux jours plus tôt alors que je la disputais.

En outre, c’était son anniversaire et la veille au soir, il avait fallu renoncer aux devoirs de l’école. Après avoir pourtant très bien commencé la lecture des sons comme demandé par sa maitresse, au bout d’à peine cinq minutes, elle s’y était ensuite refusée et avait fini par s’insurger. Criant qu’elle ne voulait pas faire les devoirs ! C’était nul, l’école et les devoirs ! Quelques jets de coussins par terre avaient suivi.

J’avais alors décrété la fin des devoirs et étais allé expliquer à sa mère qu’il valait mieux passer par la case dîner et dodo. Puisque la petite clamait qu’elle était fatiguée !

Au coucher, je lui avais fait la morale : « Etre grand, c’est faire ses devoirs quand on en a ». Auparavant, à cette petite qui m’avait redit son ambition d’être « une princesse », j’avais déja répondu avec un peu de fiel :

« Tu sais, les princesses, aussi, ont des devoirs ».

 

Au réveil, tout s’était finalement très bien passé avec la petite. Même s’il avait quand même fallu lui rappeler que le temps du dodo était désormais terminé. Et qu’il ne s’agissait plus d’essayer de trouver une position confortable dans son lit afin de mieux dormir. Toilette, rangement des jouets, petit-déjeuner, séparation d’avec maman lors de son départ au travail, fin des devoirs de la veille avant de partir à l’école, tout s’était très bien passé. Et, c’est une petite détendue et chantante que j’avais déposée à l’école sous la pluie fine.

Avant que je ne reparte, la maitresse à l’entrée de la cour s’était subitement rappelée : Pour savoir où nous en étions concernant le nombre de perles à assembler par dix, à raison d’une perle par jour, pour arriver au chiffre cent, il suffisait de regarder dans le cahier jaune. En effet, trois jours plus tôt, je m’étais à nouveau excusé auprès d’elle car nous nous étions perdus dans le nombre de perles, sa maman et moi. Et, la veille encore, ma compagne (ou ma femme pour s’harnacher scrupuleusement au protocole social) m’avait répondu :

« ça fait trop de choses, on verra ça pendant les vacances scolaires ! ».

 

Après l’école ce matin, j’avais un peu d’avance pour me rendre Ă  la Banque Postale. Au 20ème siècle, le très grand physicien du rire Pierre Desproges avait dĂ©couvert le principe selon lequel « lorsque l’on plonge un corps dans un liquide, le tĂ©lĂ©phone sonne ». C’était avant internet et la tĂ©lĂ©phonie mobile. Lorsque ça avait sonnĂ© plusieurs fois Ă  l’interphone deux jours plus tĂ´t, j’avais refusĂ© de me lever. J’étais plongĂ© dans l’Ă©criture et j’en avais assez ! Ce devait encore ĂŞtre un voisin qui avait oubliĂ© ses clĂ©s et sonnait un peu partout pour entrer dans l’immeuble !

Puis, dans notre boite à lettres- trop petite- j’avais trouvé cet avis de passage du facteur m’informant de mon absence alors qu’il avait l’intention de me délivrer un colis. Je devrais donc me rendre à la Banque Postale à partir du lendemain à 14h. Ce matin, deux jours plus tard, j’étais à mi-chemin lorsque je me suis rappelé que la Banque Postale, désormais, ouvrait à 9h30 et non plus à 9h voire à 8h30 comme avant. Quand ses agences étaient ouvertes dans d’autres endroits de la ville. Depuis deux ou trois mois, maintenant, son agence commerciale avait été rapatriée dans ce centre commercial que j’avais toujours très vite et très mal supporté et évité le plus possible. Ce centre commercial me faisait un peu le même effet que le tabac fumé.

Pendant des années, je pouvais être en présence de l’un comme de l’autre sans m’en sentir gêné. Aujourd’hui, dès que je suis dans un lieu clos en leur compagnie, je me sens agressé.

J’ai dû être le premier client à entrer dans ce centre commercial dont un vigile aimable et accueillant m’a ouvert la porte. C’était la première fois que je venais aussi tôt. En prenant l’escalator en marche, j’ai regardé ses allées et ses cendres encore vides de tout mouvement. Posté devant la grille fermée de la Banque Postale avec une bonne demi-heure d’avance, il s’agissait d’adopter une stratégie permettant d’enlever le temps d’attente de mes pensées. Pour cela, je me suis rabattu sur le journal gratuit de la ville. Parcouru en cinq minutes. J’ai flirté un peu avec mon téléphone portable (sms, réseau social…) avant de l’éteindre à nouveau. Entretemps, assez rapidement, d’autres personnes sont venues me rejoindre devant La banque postale. Des mamans, certaines voilées, et quelques hommes d’une bonne quarantaine d’années. Si au début, j’étais calme, j’ai commencé à me sentir un peu stressé. Ce centre commercial était un cercueil. Et j’avais l’impression que mon soulagement viendrait plus de ma sortie de celui-ci que de l’obtention de mon colis. Il y avait de plus en plus de monde derrière moi et sur mes côtés. Une bonne trentaine de personnes. Quelques fois, des employés de la Banque Postale se faufilaient entre nous. Un ou une de leur collègue leur ouvrait alors le rideau de fer et la nouvelle ou le nouvel employé ( e ) se courbait pour entrer dans ce lieu que nous convoitions et qui redevenait à nouveau physiquement inaccessible.

J’ai entendu la musique d’ambiance du centre commercial. Une musique de chiotte comme souvent. A quelques mètres devant nous, à travers le rideau refermé, j’ai aperçu l’écran du téléviseur sur lequel passait une pub puis une autre. Tout près de nous, devant la grille fermée, entre deux distributeurs, il y avait cette pancarte publicitaire montrant une jeune femme svelte en pantalon, élégante, maquillée, souriante, pouvant avoir la vingtaine comme la trentaine. Et, un peu plus haut, cette « maxime » :

« Les tarifs de la banque postale ne changent pas en 2019. Nous protégeons votre pouvoir d’achat ». J’ai pensé à un de mes rendez-vous avec notre «conseillère », dans une autre banque, quelques mois plus tôt. Celle-ci, comme bon nombre de ses semblables, expliquerait sans doute qu’elle aime beaucoup le « relationnel » avec les clients. Mais je m’étais trouvé dans un bureau en contre-plaqué alors qu’elle accédait à son ordinateur professionnel. Et, hormis une bouteille d’eau, son sac, une ou deux photos, ses stylos et une bricole, je m’étais dit que cet endroit qui faisait office de banque pourrait tout aussi bien être transformé en tout autre chose.

Notre conseillère s’était ensuite préoccupée de moi en s’en tenant à des protocoles édictés soit par son ordinateur, soit par sa hiérarchie et les axes décidés lors de réunions, soit par sa formation, et, bien-sûr, par son tempérament en dernier ressort.

A travers le rideau baissé, ce matin, nous avons vu les employés de la banque postale se faire la bise pour se dire bonjour. Dans « notre » banque, à l’ouverture, j’avais vu les employés se faire une poignée de main ou une accolade qui signait leur appartenance à l’agence comme à l’équipe.

Ce matin, à la Banque postale, la responsable d’équipe, une femme d’environ trente ans, s’est mise derrière un guichet. Et la dizaine d’employés, face à elle pour la plupart, l’ont écouté. Je « connaissais » de vue certains des employés. En fait, nous ne connaissons pas ces gens que nous voyons voire revoyons dans ces lieux et ces administrations dont nous attendons souvent des services qui ont pourtant tant d’importance pour nous. Alors que, de leur côté, ces professionnels et ces personnels s’impliquent comme ils le peuvent dans l’exercice de leurs fonctions et selon des objectifs qui leur ont été fixés. Et, ce matin, comme tant d’autres jours, à nouveau, nous étions là, nous, la clientèle, de l’autre côté du rideau fermé tels des zombies ou des animaux de zoo. Nous étions patients et disciplinés. Pourtant, je me suis demandé ce que donnerait une pareille situation si, pour une quelconque raison nous poussant à la panique ou à la colère, nous nous étions impatientés et que, de l’autre côté du rideau, ces mêmes employés avaient dû nous recevoir.

J’ai l’impression que l’agence a été ouverte avec un peu de retard. Je me suis avancé le premier avec ma carte d’identité et mon avis de passage du facteur puisque j’étais le premier arrivé. Une jeune femme, la « responsable » d’équipe que j’avais aperçu, m’a indiqué une table ronde devant laquelle il fallait attendre. Je me suis arrêté devant cette table ronde qui m’arrivait presque à la poitrine et où aucun agent de la Banque postale ne m’attendait. J’ai entendu une employée de la banque postale dire à un ou plusieurs de ses collègues :

« On accueille d’abord les gens ». Pendant ce temps, d’autres agents rĂ©gulaient la circulation, montrant Ă  telle cliente ou tel client oĂą se diriger selon ses «besoins ». Un agent de la sĂ©curitĂ© du centre accueil est entrĂ©, dĂ©tendu. Mais je me suis demandĂ© ce qu’il aurait bien pu faire, tout seul, en cas de tumulte.

Après quelques minutes, une femme d’une cinquantaine d’années s’est mise devant nous un peu comme la responsable « d’équipe » l’avait fait avec eux. Montrant un avis de passage à hauteur de visage, elle a dit d’une voix moyennement forte :

« Je m’occupe des instances. VĂ©rifiez bien la date sur votre avis de passage. Car si le facteur est passĂ© hier, le colis sera disponible le lendemain Ă  partir de 14h». Puis, elle s’est occupĂ©e de moi. J’étais bien dans les clous. Elle m’a ramenĂ© mon colis et m’a souhaitĂ© une bonne journĂ©e. Je l’ai remerciĂ©e et je suis reparti de cet endroit sans regret. Je n’ai pas encore regardĂ© ce qu’il y a dans ce colis.

Franck Unimon, ce jeudi 17 octobre 2019.

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Jeu

Elephant Man

 

Elephant Man Mis en scène par David Bobée

 

Il y a si longtemps que l’on croit les connaître, désormais, ces deux rochers accrochés à la notoriété en même temps qu’arrachés à la sobriété :

 

En 1985-1986, Béatrice Dalle était l’étincelle que Jean-Jacques Beineix, le réalisateur de 37°2, avait attendu, persuadé qu’elle était quelque part alors qu’il la cherchait toujours pour son film après avoir « vu » auparavant bien des actrices.

Dalle n’avait pas pris de cours de théâtre et n’avait pas fait escale dans une école de cinéma. Elle avait quitté sa province, en bisbilles avec sa famille, avant ses 16 ans. Et c’est elle que Beineix avait choisie. D’accord, elle n’avait pas une ride et était très belle. Mais elle était surtout sans bride.

Ensuite, après le très grand succès de 37°2 (qui rendra également célèbre son auteur, l’écrivain Philip Djian ) elle s’était insérée dans la partition de divers films d’auteur. Parmi lesquels, le Trouble Everyday ( en 2001) de Claire Denis avec Alex Descas mais aussi A l’intérieur ( en 2007) de Julien Maury et Alexandre Bustillo qui annonçaient peut-être l’adaptation ( très bien approuvée par la critique) de Lucrèce Borgia par David Bobée à nouveau à la manœuvre avec ce Elephant Man.

Aujourd’hui, on connaĂ®t bien plus BĂ©atrice Dalle et Jean-Hugues Anglade (l’autre acteur principal de 37°2 ) que Jean-Jacques Beineix, pourtant un des rĂ©alisateurs prometteurs des annĂ©es 80-90. Celui-ci a fait un certain retour sur sa carrière cinĂ©matographique dans son livre Sur les chantiers de la gloire.

Mais on connaît « bien » Dominique Besnehard qui avait aussi été l’agent de Béatrice Dalle à l’époque de 37°2 et les années qui ont suivi. Agent d’acteurs pendant des années, également acteur par exemple pour Pialat, producteur, inspirateur de la série Dix pour cent et Président , depuis ce mois de septembre, de la commission d’Aide sélective à la distribution de films au CNC, Dominique Besnehard a aussi raconté dans son livre Casino d’hiver son amour pour sa Béatrice Dalle. Et comment il était parti la chercher alors qu’elle s’écumait dans la drogue avec son Joey Starr, alors son compagnon, bad boy, et un des piliers Rap du groupe NTM.

Pourquoi le pseudo « Starr » ? En mémoire de ces esclaves qui, un jour, trouveraient ou atteindraient leur bonne étoile. Une étoile de mer, c’est souvent joli fut-elle celle d’un shérif, mais on oublie souvent dans le sable qu’elle fait aussi partie des espèces carnivores. Joey Starr-Didier Morville-ex/ Jaguarr Gorgone, de son côté, a aussi connu une carrière dissonante.

Dans sa première autobiographie, Mauvaises fréquentations, il raconte aussi devoir une partie de ses succès à des rencontres qu’il n’aurait jamais dû faire dans un schéma dit normal. Je l’ai déjà écrit dans un de mes articles antérieurs:

Il aurait été très difficile dans les années 90 d’imaginer que Joey Starr, aujourd’hui, serait le comédien recherché qu’il est que ce soit au cinéma ou pour des séries télévisées. Pour ma part, il y a plus d’une dizaine d’années, je le donnais mort avant ses quarante ans au vu de certains de ses excès très médiatisés. Ma pudibonderie et mon ignorance incrustées jusque dans le fond de mes dents m’ont largement donné tort. J’aurais peut-être mieux fait, comme Joey Starr à une époque, de me faire poser des dents en or. Ça m’aurait peut-être aussi réussi. J’ignore ce que vous en pensez mais en attendant, Joey Starr, aussi, tout comme Béatrice Dalle, a eu une enfance rudoyée. Lui, comme Béatrice Dalle, aurait pu encore plus mal tourner que ce que l’on « sait » :

Si l’on considère leur image publique, plutôt que des créatures de rêve, Béatrice Dalle et Joey Starr sont des créatures de carnage. Personne ne s’étonnera si l’on parle d’eux comme de « bêtes de scène ». Et c’est comme cela qu’en 2019 on arrive très facilement à Elephant Man.

 

 

Mais Béatrice Dalle et Joey Starr ont aussi des armatures people. Cela crée vis-à-vis de Elephant Man un rapport ambivalent en allant le voir….aux Folies Bergères. Il est difficile de savoir si l’on y va en tant que ( pour) voyeur de notre propre folie- et de notre racisme- ordinaire parce que ce sont deux «vedettes » plus ou moins monstrueuses, sachant qu’aujourd’hui, dire d’un artiste qu’il est « monstrueux » est très flatteur.

Si l’on y va parce-que l’on aime leur jeu d’acteur et que l’on est curieux de voir l’alchimie de leurs deux présences scéniques « sachant » ce que l’on croit savoir de leur histoire commune et séparée.

Ou si l’on veut « voir » ce que peut donner sur scène le Elephant Man que l’on a vu au cinéma en noir & blanc réalisé par un autre David ( David Lynch dans les années 80). Même si, au départ, l’œuvre originale The Elephant Man avait été crééé par l’auteur américain Bernard Pomerance pour le théâtre.

 

Ces questions restent solitaires après la représentation car Béatrice Dalle et Joey Starr jouent du trouble véhiculé par leur image publique. Ce qui est le propre, généralement, de l’artiste ou de la personne qui a du coffre.

Béatrice Dalle, sur scène, dit par exemple sûrement avec une réelle jubilation :

« Je suis juste une femme qui compose dans un monde d’hommes » et « Ce que j’expose, c’est une illusion ».

Joey Starr/Elephant Man, quant à lui, ânonne, comme le lui enseigne son nouveau maitre, Frédérik Treves (l’acteur Christophe Grégoire ?), le jeune chirurgien londonien ambitieux et réputé :

« Si je vis selon les règles, je serai heureux » et « Les règles nous rendent heureux car elles sont faites pour notre bien ». L’entendre dire ça peut revêtir un aspect comique tant la « réussite » artistique et professionnelle de Joey Starr incarne, aussi, plutôt le contraire de cette croyance. Mais il répète seulement à voix haute, sur scène, ce que la majorité des citoyens du monde et de France consent à penser : La pièce qui dure apparemment près de deux heures trente est loin d’être vide.

Elephant Man est le contraire d’une pièce « people » dont le socle repose uniquement sur l’affiche Dalle/ Starr. C’est bien sûr très bien écrit.

Et il y a la scénographie : Bien qu’il y ait quelques anachronismes, nous sommes à la fin du 19ème siècle. Et ce décor clinique et froid qui imite la céramique impeccable réplique avec précision le craquement des camps de concentration qui « arriveront » un demi siècle plus tard ; le nucléaire ; la médiatisation du tueur en série avec la figure de Jack l’Eventreur ; et leur consanguinité cachée avec le monde médical, économique et occidental blanc tout puissant de cette fin du 19ème siècle qui nous asservit encore.

Pouvoir rampant, omniprĂ©sent et viscĂ©ral, cette pensĂ©e de fin du 19ème siècle secrète l’esclavage, la nĂ©vrose traumatique des vĂ©tĂ©rans de guerre du 20ème et du 21ème siècle, du professeur David Banner hantĂ© par son inconscient colossal, Hulk. Joey Starr, de par son personnage d’Elephant Man, endosse tout ça. Ainsi que le harcèlement, la condition des migrants d’aujourd’hui. Cela lui donne une allure christique. Une image qui m’a marquĂ© de Joey Starr, sur scène, est ce moment oĂą recouvert tout entier par une couverture, Ă©merge uniquement sa tĂŞte. Il paraĂ®t alors avoir le corps d’un enfant chĂ©tif, avec une tĂŞte d’adulte, qui fait penser aux enfants dĂ©nutris, battus ou Ă …E.T. Mais avec sa cathĂ©drale, il peut aussi rappeler le personnage de Quasimodo. Et pour “appartenir” Ă  la science, il Ă©voquera aussi la crĂ©ature du Dr Frankestein. 

 

Dans au moins une autre scène, sitĂ´t que ses bourreaux apparaissent la nuit, pĂ©riode oĂą les cauchemars que nous retenons le jour nous Ă©chappent, hypnotisĂ©, en transes ou fanatisĂ©, Joey Starr/ Elephant Man entame une danse comme sur un manège durant laquelle il dĂ©clame tel qu’il a Ă©tĂ© dressĂ©. Le dĂ©cor, pour l’époque, est peut-ĂŞtre high tech et parfait tout comme peut l’être le dĂ©cor stĂ©rile de l’informatique et des nouvelles technologies. Mais celles et ceux qui l’occupent, les hommes qui dirigent ce bloc et ce dĂ©cor, sont dĂ©viants et le crament comme nous continuons de cramer le bloc et le dĂ©cor de notre monde que notre regard – interceptĂ© par des Ă©crans- ne voit pas. Elephant Man doit guĂ©rir d’une tare qui lui a Ă©tĂ© imputĂ©e. Il doit expier. MĂŞme si ce sont ceux qui l’exploitent selon une Ă©thique commerciale, scientifique ou morale – victorienne- qui sont tarĂ©s. Mais ils le sont trop et sont par ailleurs trop nombreux, organisĂ©s, et trop violents pour ĂŞtre arrĂŞtĂ©s.

Bytes ( l’acteur Michaël Cohen), le premier « Maitre » d’Elephant Man, à l’allure plutôt virile, très assurée, et sans doute homme charmeur, est ainsi le croquis du proxénète, du compagnon et du père conjugal, du dealer mais aussi de l’homme dépendant soumis à la petite cuillère de ses rêves de gloire. Homme criminel, il est libre de ses mouvements et de ses jugements tandis qu’Elephant Man, innocent, servile, respectueux des règles et vulnérable, aura une vie de repenti enfermé : D’abord au cirque puis à l’hôpital.

 

Joey Starr est le comédien principal d’Elephant Man. Je crois que cela aurait été mieux qu’il conserve sa voix et son intonation habituelle même si, en les retrouvant à la toute fin, son personnage semble nous dire que, depuis le début, il nous a joué ce que l’on attendait de lui sur scène…comme dans la vie.

L’arrivée de Béatrice Dalle sur scène est une agréable surprise : on sait qu’elle figure dans la pièce, on l’attend et on se demande quand elle va se montrer. Et puis, elle arrive. Elle a un plaisir évident sur scène et dans le fait de jouer avec Joey Starr. Je suis plus partagé sur son jeu vers la fin lors de la mort d’Elephant Man/ Joey Starr.

 

 

L’arrière du décor est assuré par une large vitre panoramique qui permet de voir arriver et partir les personnages : Quelle belle perspective ! On dira que cela reflète aussi très bien notre monde de voyeurs, certaines back rooms, ou nous remémore que nous sommes des êtres de passage. Mais en terme de jeu, ce dispositif rappelle très bien comme jouer, c’est d’abord avoir une présence physique. D’ailleurs, lorsque Joey Starr/ Elephant Man sort définitivement de la scène après sa mort, juste avant d’entrer en coulisses, il est sorti de son rôle et ça s’est vu à sa façon de se tenir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Avec un duo Starr/ Dalle aussi « connu » et qui sait remplir l’espace, il est peut-ĂŞtre difficile de se faire remarquer Ă  son avantage en tant que partenaire de jeu…. Si les comĂ©diens qui interprètent  l’infirmière ( ClĂ©mence Ardoin?), le chirurgien Treves ( Christophe GrĂ©goire?) “Jack l’Ă©ventreur” ou encore l’employĂ© de l’hĂ´pital ( Radouan Leflahi ? ) se dĂ©marquent , La danseuse XiaoYi Liu est celle qui y parvient le mieux :

Le temps d’un solo, elle évolue dans une dimension où personne ne peut la rejoindre ; animale, araignée éventrée, zombie, danseuse de Butô, elle fait ressusciter plus d’une fois nos cristallins. Que sa gestuelle soit minimaliste ou remorque tout l’espace. Heureusement que son solo le plus long dure seulement quelques minutes car il aurait pu nous faire oublier le reste. Je me demande ce qui a donné l’idée à David Bobée de l’inclure dans ce projet mais il a bien fait.

 

 

Franck Unimon, ce mardi 15 octobre 2019.

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Cinéma

Port Authority

 

 

 

 

 

 Port Authority, un film de Danielle Lessovitz

( En salles depuis le 25 septembre 2019)

 

 

« J’ai vu ce film il y a quatre ou cinq jours. Ce film m’est passé dessus. Il m’a plu. Mais j’ai cru que je ne pourrais pas écrire à son sujet. J’avais pourtant pris quelques notes pendant la séance ».

 

J’avais Ă©crit ça il y a neuf jours. Il y avait une suite que je viens d’effacer.  Je reprends aujourd’hui cet article et j’en clĂ´ture la fuite. Et ce sera mon centième article pour mon blog créé l’annĂ©e dernière. Mon premier article avait Ă©tĂ© publiĂ© le 23 novembre dernier ( Au LycĂ©e ).

 

Une vingtaine de spectateurs se trouvaient dans la salle pour cette première séance matinale de Port Authority à 9h20.

Il y avait différents styles ou différents genres de spectateurs : Du jogger arrivé en short, baskets et débardeur juste avant le début du film, au couple sexagénaire, à la jeune femme gothique aux cheveux en partie verts, piercée et isolée, en passant par le duo de copines. Je crois avoir été le seul homme noir présent.

Il aurait fallu parler de la pub qui a précédé le film puisque la pub nous parle aussi de notre époque et des rôles que nous sommes supposés endosser. Mais j’ai préféré en parler dans un autre article afin de moins me disperser.

 

 

Paul, jeune blanc de Pittsburgh, débarque à New-York. Pittsburgh-New-York, cela représente un trajet de cinq cents kilomètres. Selon wikipédia, la ville de Pittsburgh, en Pennsylvanie, est depuis des années « la première ville américaine pour la qualité de la vie, grâce à sa sécurité, ses universités, sa culture, son économie et sa taille modeste ».

Cela, on ne le perçoit pas forcĂ©ment en voyant Paul (l’acteur Fionn Whitehead) attendre Ă  la gare routière ( Port Authority) que quelqu’un- sa demie sĹ“ur- vienne le chercher. Ce que l’on voit, c’est un jeune homme seul qui compose plusieurs fois un numĂ©ro sur son tĂ©lĂ©phone portable qui sonne dans le vide. Ce que l’on voit aussi, c’est l’indiffĂ©rence des personnes qu’il sollicite. Aucune ne prend le temps de s’arrĂŞter pour lui rĂ©pondre. Et lui, un peu naĂŻf, semble croire qu’un de ces passants pourrait connaĂ®tre sa demie sĹ“ur. On peut donc ĂŞtre un jeune amĂ©ricain et ignorer que la vie Ă  New-York, dans son propre pays, se dĂ©roule sur une bien plus grande Ă©chelle qu’à Pittsburgh.

Ces premières informations sur Paul sont importantes car elles nous rappellent qu’on peut être blanc aux Etats-Unis et être un étranger dans son propre pays.

Ensuite, l’originalitĂ© du personnage de Paul est que la ville de New-York est souvent dressĂ©e comme celle des opportunitĂ©s professionnelles oĂą l’on peut venir tailler son rĂŞve amĂ©ricain lorsque cela se passe bien. Si l’on est travailleur et que l’on est un as de la dĂ©brouille.

 

Paul est travailleur et sait assez bien se défendre dans la rue. Néanmoins, son rêve (américain) est plutôt de trouver une famille. Pas de faire carrière.

Nous apprendrons très peu de son passé à Pittsburgh avec lequel il cherche à couper les ponts. Mais Pittsburgh est une « ville de ponts » (environ 400 selon Wikipédia à nouveau) et c’est aussi par eux que l’on sort de chez soi et que l’on va vers les autres. Et, ça, c’est beaucoup le personnage de Paul parce qu’il n’a plus rien au début de Port Authority :

Pas d’emploi, pas de qualification particulière, pratiquement pas de famille, pas de talent singulier, pas de projet immédiat donc pas d’avenir évident et pas de toit. Pour survivre, Paul le « homeless » est donc dans la nécessité d’aller vers les autres. Du fait de son dénuement et de sa personnalité, il a la liberté de choisir entre deux options :

Aller vers celles et ceux qui lui ressemblent et ce qu’il « connaĂ®t » le mieux. Ou aller vers celles et ceux qu’il ne connaĂ®t pas au grĂ© de ses rencontres. Il va d’abord choisir les deux.

 

C’est de cette façon que se fait la rencontre avec Wye (l’actrice Leyna Bloom), transgenre noire et danseuse, qu’il voit d’abord comme une femme, et qu’il se serait peut-être interdit de regarder, de désirer et de rencontrer s’il était resté vivre à Pittsburgh et qu’il y avait « réussi » socialement et économiquement.

Port Authority est un film-pont entre des AmĂ©riques qui,  au sein du mĂŞme pays, habituellement, se cĂ´toient peu :

L’Amérique blanche au ras de la pauvreté, mais néanmoins encore valide et combattive, et l’Amérique des races et des genres. Mais ici, on ne parle pas de l’Amérindien qui, une fois de plus, est inexistant dans le cinéma américain lorsque l’on parle de l’Amérique multi-raciale.

 

 

Il est possible que devant cette histoire, certaines personnes voient Paul comme un simple plouc arriviste qui veut juste se « faire » un homme ou une femme noir (e) et qui représente cette ambivalence prédatrice sexuelle de l’Amérique blanche pour la « créature » noire. « Créature » que l’Amérique, comme au moins la société occidentale blanche a contribué à créer :

Celle qui danse, chante et se reproduit bien et que l’on peut éventuellement tolérer à condition qu’elle ne dépasse pas la place et la limite- y compris odorante- qui lui est allouée telle que l’explique ce riche Coréen à son chauffeur dans le film Parasite réalisé par Bong Joon-Ho (Palme d’or à Cannes cette année).

Le personnage de Paul franchit néanmoins, lui, plusieurs fois les limites et les frontières, sexuelles, mentales et raciales. En ( se) mentant. Et son esprit « bi», comme bicéphale ou bi-conceptuel plutôt que bisexuel, agacera celles et ceux qui réclament que chacun choisisse rapidement son camp ou sa paroisse (sexuelle, raciale, mentale, sociale ou culturelle) et s’y tienne résolument jusqu’à la mort ou jusqu’à sa prochaine réincarnation.

 

 

On peut trouver que la rĂ©alisatrice de Port Authority insiste trop sur l’homosexualitĂ© puĂ©rile, bourrine, aussi stĂ©rile que refoulĂ©e, de certains des pairs blancs de Paul pour mieux affirmer que, lui, est vĂ©ritablement hĂ©tĂ©rosexuel. Mais dans cette AmĂ©rique oĂą des blancs presque pauvres sont les soldats indiffĂ©rents- comme les usagers de la gare routière avec Paul au dĂ©but du film- d’une AmĂ©rique riche et mĂ©prisante qui dĂ©pouille d’autres presque pauvres, il existe des familles protectrices. Dont celle de Wye qui, en plus d’avoir créé son propre corps dans cette sociĂ©tĂ© qui rejette son ĂŞtre et son espèce, a aussi créé sa famille et son espace de toute pièces sans doute avec la mĂŞme volontĂ© qu’elle s’est transformĂ©e en femme.

 

En cela, le personnage de Wye peut sembler avoir plus de maturité, de force et de courage que celui de Paul. La principale différence avec Paul est peut-être pourtant que Wye a achevé sa transition en tant que personne alors que Paul se cherche encore en tant qu’adulte et en tant que personne dans la société au moment de leur rencontre.

D’une façon beaucoup plus douloureuse, en tant que personne transgenre, il en est de même pour le personnage principal de Girl dans le film de Lukas Dhont ( Girl).

On peut aussi voir des films comme Transamerica de Duncan Tucker, Boys don’t cry de Kimberley Pierce ou la sĂ©rie Hit and Miss de Paul Abbot, ou, contrairement au personnage de Wye, des personnes transgenres se cherchent encore. Mais aussi penser Ă  l’intrigue qu’inspire le Major Kusanagi ( incarnĂ©e par l’actrice Scarlett Johansson) Ă  une crĂ©ature dans le remake rĂ©alisĂ© par Rupert Sanders en 2017 du manga Ghost in shell qui lui demande :

“What are you ?” ( ” Qu’est-ce que tu es ?”). 

 

Concernant Paul, lui reprocher sa lâcheté reviendrait à minimiser la difficulté de certaines décisions dans la vie réelle comme le fait qu’il faut parfois des années voire presqu’une vie pour arriver à se séparer de son passé et de certains modèles de vie et de pensée :

En arrivant à New-York, Paul est encore relié à un certain modèle de réussite par sa demie sœur qui, apparemment, a « réussi » et à qui il convient de ressembler. Soit le modèle standard de la réussite dont la majorité tente généralement de se rapprocher avec voiture, mariage, biens de consommation incarnant une « bonne » intégration sociale, appartement ou maison, bon emploi, amis plutôt blancs, plus ou moins aisés et cultivés, enfants etc….

Avec le personnage de Wye, on est Ă  la fois dans la marge parce-que l’on est dans un milieu noir, transgenre et homo, socialement modeste, mais aussi parce-que l’on est dans un milieu artistique donc crĂ©atif et, souvent, prĂ©caire et intermittent. Soit le contraire du quotidien balisĂ© et sĂ©curisĂ© de la population “normale” et majoritaire des Etats-Unis  (ou de toute autre nation).

D’où un certain choc social et culturel que les Etats-Unis ainsi que bien d’autres nations « évoluées » et démocratiques ont encore du mal à absorber et à appréhender.

Photos : Alexander Laurent. 

Franck Unimon, ce jeudi 10 octobre 2019.

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Moon France Musique

Ann O’Aro

 

J’ai pris en photo la pochette de cet album il y a un an. Le 27 septembre 2018 exactement. J’ai beaucoup aimé cet album. Mais je n’avais pas osé en parler ou écrire à son sujet. J’avais commencé et puis je me suis arrêté.

 

Même aujourd’hui, en le faisant, je me demande avec une certaine inquiétude ce qui va m’arriver.

Peut-être parce-que Ann O’aro est une très belle femme et que sa voix est Le précipice qui me jette à la tête cette mauvaise conscience que je tète.

Peut-ĂŞtre que sa douleur me coupe et que, par une soudaine infusion, je bats ma coulpe.

 

Lorsque je l’écoute, je me tiens à distance. Sa voix authentifie certaines de mes peurs. Ainsi que l’innocence dont le poids me rappelle comme je suis léger devant le danger. Et qu’il me mange, moi, mes rêves, ma langue, mon squelette et tout ce qui va avec avant même que je puisse lancer un seul des gestes auxquels j’avais promis de plaire.

Le soupçon est l’hameçon que le danger me laisse pour tout horizon.

 

Il me semble que si l’on écoute Ann O’aro et que l’on est un garçon, si l’on est un enfant, on peut s’en sortir et savoir comment l’approcher avec suffisamment de douceur. Par contre, si l’on est un homme adulte et que l’on «sait », alors, on s’épuise, on se décourage puis l’on se repousse car on se sent l’auteur impuissant d’un carnage. Etre près d’elle est risqué :

Comment savoir ce que l’on est et ce que l’on fait véritablement alors que l’on marche, transformé, sur le feu et que le feu est la peau de quelqu’un d’autre ?

 

Lorsque j’écoute Ann O’aro, plus je trouve ça beau, plus je me sens mal Ă  l’aise. Et cela arrive souvent. J’ai tellement de mal Ă  retenir ne serait-ce que l’orthographe pourtant simple de son nom. Cela fait pourtant tellement de fois que j’ai lu  et relu son nom d’artiste. La bassesse et le mal qu’elle transforme en Haut, j’ai l’impression que c’est moi qui les ai faits.

Bien-sûr, c’est une illusion. C’est en tout cas ce que je crois. Elle et moi ne nous connaissons pas. Nous ne nous sommes jamais rencontrés. Pourtant, j’en ai l’impression, encerclé, ensorcelé, défié ?, par ce chant de paon qui me fait voir de toutes les couleurs et me prive de toute certitude.

 

Franck Unimon, jeudi 3 octobre 2019.