Catégories
Voyage

Marseille-Toulon-La Ciotat, octobre 2019

 

 

Marseille.

 

 

Nous Ă©tions Ă  Marseille la semaine derniĂšre. Nous sommes passĂ©s quelques heures Ă  Toulon et avons aussi pris un peu la lumiĂšre Ă  La Ciotat. Au moment d’Ă©crire cet article, je me dis que rien ne m’oblige Ă  parler de cette expĂ©rience lunaire qu’est un voyage de maniĂšre scrupuleusement chronologique. Lorsque j’ouvre mon robinet en ce moment j’entends ça :

 

 

 

Cette sculpture, nous l’avons dĂ©ja vue. Je suis retournĂ© la voir, cette fois, pour connaĂźtre le nom de son auteur. Car, sans le nom de son auteur, cette oeuvre est un peu une sĂ©pulture. Pour l’artiste et pour ce qu’il a voulu dire :

 

 

Maintenant, nous “savons”. 

 

 

 

Dans mon prĂ©cĂ©dent article sur Marseille(  Marseille, octobre 2019)  , j’Ă©crivais qu’il m’avait fallu du temps pour aimer cette ville. Cette fois-ci, Marseille s’est trĂšs vite dĂ©fendue Ă  sa maniĂšre. De sa bouche, les premiers jours, sont d’abord sortis du froid, de la pluie ( des averses jusqu’Ă  faire dĂ©border provisoirement le Vieux-Port) et des jours gris. C’Ă©tait la premiĂšre fois que je voyais Marseille comme ça. 

 

Je n’ai pas pas de photo d’inondation. Nous rentrions Ă  Marseille par le train  en provenance de Toulon lorsque l’averse est tombĂ©e. Elle nous a douchĂ© avec passion Ă  notre sortie de la gare. 

 

Dans Toulon.

 

Nous sommes allĂ©s Ă  Toulon parce-que s’y trouve un magasin de vĂȘtements techniques supposĂ©s rĂ©sistants et pratiques ( aussi bien faits pour le voyage que pour la ville) qui y a ouvert en 2014. Et il n y a qu’Ă  Toulon, pour l’instant, que la marque dispose d’un magasin physique. Autrement, il faut commander sur internet. Or, j’ai prĂ©fĂ©rĂ© me rendre sur place afin d’essayer les vĂȘtements et de me faire mon idĂ©e concernant les articles et les tailles. Lors des quelques heures passĂ©es Ă  Toulon, je me suis dit que cette ville a des atouts pour ĂȘtre plus attractive qu’elle ne l’est. Mais des -trĂšs- mauvais choix au moins architecturaux ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s pour cette ville situĂ©e en bord de mer. On rĂ©sume souvent Toulon Ă  une ville raciste et d’extrĂȘme droite mais j’ai l’impression qu’elle est un peu plus nuancĂ©e que ça. 

 

Dans la rue D’Alger, Ă  Toulon.

 

 

Et,  Ă©videmment, ce “bateau” ( photo prĂ©cĂ©dente) est selon moi, au contraire, lui, une trĂšs belle rĂ©alisation. MĂȘme si je ne sais pas comment on vit dans ces immeubles. Concernant les vĂȘtements, pour l’instant, je suis plutĂŽt content.Ils sĂšchent vite en cas de lavage et sont agrĂ©ables Ă  porter mĂȘme par temps plutĂŽt chaud.

Il est une autre marque ( crĂ©Ă©Ă© en 2008) de vĂȘtements trĂšs techniques et tout autant prĂ©sentables en ville que j’ai dĂ©couverte rĂ©cemment. Non seulement, elle est plus onĂ©reuse. Mais en plus, cette fois-ci, le seul magasin physique se trouve Ă  Brooklyn. On peut commander par internet mais ça m’ennuie pour des raisons pratiques Ă©videntes ( essayage, coĂ»t…). Je regrette, en 2011, alors que nous Ă©tions Ă  New-York, de ne pas avoir alors connu cette marque. Je connais bien “quelqu’un” pour qui la ville de Brooklyn a un sens et une importance trĂšs particuliers. Mais demander ce genre de service m’embarrasse un peu. 

 

 

 

 

Sur l’Ăźle de Frioul.

 

Je portais les vĂȘtements achetĂ©s Ă  Toulon sur moi ( un tee-shirt et un pantalon) pour la premiĂšre fois, Ă  Frioul. Et, le soleil Ă©tait revenu sur Marseille et les environs. En partant de chez nos amis en fin de matinĂ©e, nous sommes arrivĂ©s sur le Vieux-Port pour embarquer environ cinq Ă  dix minutes avant le dĂ©part du bateau. Parmi les personnes qui faisaient la queue pour embarquer, j’ai reconnu La VirĂ©e Ă  Paname avec leurs deux enfants. La derniĂšre fois que j’avais rencontrĂ© C et H, rĂ©alisatrice et rĂ©alisateur de La VirĂ©e Ă  Paname, c’Ă©tait, je crois, au festival du court-mĂ©trage de Clermont Ferrand il y a peut-ĂȘtre quatre ou cinq ans. Comme nous, ils habitent dans l’Ăźle de France, et, comme nous, ils Ă©taient venus passer quelques jours Ă  Marseille. Comme nous aussi, ils Ă©taient dans le TGV que nous avions pris depuis Gare de Lyon le lundi. L’aprĂšs-midi passĂ©e avec eux fut trĂšs agrĂ©able. C’est la seconde fois qu’Ă  Marseille, je rencontre quelqu’un que je connais personnellement de la rĂ©gion parisienne. La premiĂšre fois, c’Ă©tait G que j’avais croisĂ© Ă  la terrasse d’un restaurant sur le Vieux-Port. Il Ă©tait lĂ  pour un tournage de Plus belle la vie. Et, d’ailleurs, je l’avais prĂ©sentĂ© aux amis marseillais qui nous ont hĂ©bergĂ© la semaine derniĂšre. 

 

Sur l’Ăźle de Frioul.

 

Entre Marseille et les Ăźles Frioul.

 

De retour Ă  Marseille. Sur notre gauche, le Mucem.

 

 

Marseille, vers les docks.

 

 

 

En revenant Ă  Marseille, j’ai aussi revu d’autres amis installĂ©s depuis plusieurs annĂ©es Ă  Auriol. La derniĂšre fois que j’Ă©tais allĂ© chez eux, je me souviens que leurs deux fils Ă©taient au plus loin Ă  l’Ă©cole primaire. Aujourd’hui, l’un des deux effectue ses Ă©tudes Ă  Luminy.

J’ai aussi revu une ancienne collĂšgue rencontrĂ©e Ă  Montesson il y a plus de 15 ans maintenant. Elle habite dĂ©sormais Ă  Ensues la Redonne.

 

Gare d’Ensues La Redonne.

Il y avait un petit cÎté gare de western désolée en arrivant. Mais nous sommes en provence.

 

Le trajet depuis Marseille St Charles pour Ensues La Redonne m’a fait passer par l’Estaque. Je n’Ă©tais jamais passĂ© par l’Estaque. La vue depuis le train a Ă©tĂ© trĂšs agrĂ©able. Nous Ă©tions plusieurs passagers, Ă  activer pathĂ©tiquement nos appareils photos pour prendre des clichĂ©s de la vue Ă  travers la vitre. Mais il me reste un petit fond de dignitĂ© et je garderai ces photos pour moi. 

AprĂšs avoir discutĂ© de Marseille, de Lyon et d’autres sujets avec elle et son mari, C m’a emmenĂ© Ă  Carry le Rouet qu’elle m’a fait dĂ©couvrir ( merci encore!). 

 

A Carry Le Rouet avec C.

 

 

 

 

 

 

 

Carry Le Rouet.

 

Il nous restait encore quelques jours et PĂ©pita, mon amie qui a quittĂ© Paris il y a une vingtaine d’annĂ©es pour revenir vivre Ă  Marseille, Ă©tait dĂ©sormais de repos Ă  la fin de la semaine. Alors que j’Ă©tais parti pour Ensues la Redonne, PĂ©pita a emmenĂ© ma compagne et notre fille en vadrouille. Je les ai retrouvĂ©es en fin d’aprĂšs-midi. Ce qui m’a permis de prendre le bus et de revoir la corniche que j’avais dĂ©couverte pour la premiĂšre fois avec S. il y a plus de vingt ans.

Le long de la corniche. Au bout Ă  gauche, le cercle des nageurs de Marseille par oĂč est passĂ©e et oĂč se trouve une partie de l’Ă©lite de la natation française ( Alain Bernard, Camille Lacourt….). Il est possible d’y avoir accĂšs en tant que pratiquant “lambda”, moyennant si j’ai bien retenu, deux cooptations, 1700 euros d’adhĂ©sion la premiĂšre annĂ©e + 1700 euros.

 

PĂ©pita m’a donnĂ© rendez-vous prĂšs de la statue de David. Cela me parlait. Il y a plusieurs annĂ©es, j’avais passĂ© quelques nuits dans l’auberge de jeunesse qui se trouve un peu plus loin vers les calanques. A cette Ă©poque, PĂ©pita vivait encore Ă  Paris.

 

En attendant de retrouver PĂ©pita, ma compagne et notre fille, j’ai regardĂ© “David”. Il m’a fait penser Ă  quelqu’un qui s’Ă©tait statufiĂ© Ă  force d’ĂȘtre laissĂ© en plan et d’attendre que quelqu’un accepte de l’emmener quelque part. Ne te laisse pas faire, David ! La premiĂšre station de bus n’est pas loin. 

AprĂšs nous ĂȘtre retrouvĂ©s, nous sommes allĂ©s nous asseoir au bord de la mer.

 

 

David Ă©tait encore au mĂȘme endroit la derniĂšre fois que je l’ai regardĂ©. Mais il a peut-ĂȘtre le pouvoir de revĂȘtir plusieurs formes.

 

Marseille.

 

David, le bĂ©nĂ©vole, ramassait maintenant les dĂ©tritus laissĂ©s sur la plage. Une femme est venue l’aider. Notre fille aussi. Je l’ai laissĂ©e faire un petit peu puis je l’ai appelĂ©e et lui ai expliquĂ© que c’Ă©tait bien. Mais qu’il fallait qu’elle arrĂȘte car elle ramassait tout avec ses mains alors que David, lui, portait des gants et avait une pince. Je me suis abstenu de dire Ă  notre fille que j’estimais, aussi, que c’Ă©tait aux adultes qu’il revenait d’abord de prendre ce genre d’initiative et de responsabilitĂ© avant de s’en dĂ©charger sur des enfants. Ensuite, j’ai expliquĂ© Ă  David la raison pour laquelle j’avais appelĂ© notre fille. Ce qu’il a trĂšs bien compris. 

Marseille, hĂŽpital de la Timone.

 

En rentrant peut-ĂȘtre, ou en repartant le lendemain, nous sommes passĂ©s devant l’hĂŽpital de la Timone. L’hĂŽpital n’est pas un lieu de vacances et nous sommes simplement passĂ©s devant. Mais ça faisait des annĂ©es que j’entendais parler de cet hĂŽpital et, lĂ , il Ă©tait prĂšs de nous.

 

Au “dessus” de Cassis.

 

 

Nous aurions pu nous rendre Ă  Cassis. Mais je n’avais pas envie de m’y rendre mĂȘme si PĂ©pita nous a dit que c’Ă©tait trĂšs joli. Et, aussi trĂšs touristique. Or, nous Ă©tions un samedi.

Au “dessus” du vide. A notre arrivĂ©e, deux alpinistes venaient de terminer leur ascension. Ils m’ont rĂ©pondu que cela s’Ă©tait trĂšs bien passĂ© et qu’il faisait “limite” trop chaud.

 

 

Couple assis au dessus de Cassis.

 

 

Je préférais aller à La Ciotat.

La Ciotat.

 

 

Chaque fois que j’Ă©tais venu Ă  Marseille, je n’avais jamais eu l’envie d’y aller. Mais cette fois, j’avais particuliĂšrement envie. Peut-ĂȘtre parce-que je l’avais aperçue lors de notre trajet en train pour Toulon. Egalement pour le son du nom de cette ville. L’idĂ©e que la ville ait perdu de son faste Ă©conomique m’attirait d’autant plus. Ainsi que le fait que le compagnon de PĂ©pita, Marseillais, et PĂ©pita nous disent soit mĂ©connaĂźtre cette ville ou y ĂȘtre allĂ©e il y a plusieurs annĂ©es. 

 

 

En arrivant Ă  la Ciotat, PĂ©pita m’a rappelĂ© qu’elle Ă©tait aussi la ville des FrĂšres LumiĂšre, ceux qui avaient inventĂ© le cinĂ©ma. ça m’a d’autant plus donnĂ© envie d’ĂȘtre lĂ  et d’aller voir ce qui restait de cette Histoire.

 

 

 

 

Le cinĂ©ma LumiĂšre, la photo des frĂšres LumiĂšres, le dĂ©corum, pour nous, c’Ă©tait bon ! C’Ă©tait lĂ  que ça s’Ă©tait passĂ©. Voir le dernier Terminator Ă  l’affiche du cinĂ©ma des FrĂšres LumiĂšre Ă©tait un dĂ©tail trĂšs amusant.

 

Heureusement, PĂ©pita a eu le rĂ©flexe d’entrer dans le cinĂ©ma et de demander aux employĂ©s prĂ©sents s’il Ă©tait possible de le visiter. Ils ( une femme et un homme) nous ont rapidement dĂ©trompĂ© : auparavant, cent ans plus tĂŽt, cet endroit Ă©tait une halle. Le vĂ©ritable cinĂ©ma oĂč les frĂšres LumiĂšre avaient marquĂ© l’Histoire du cinĂ©ma se trouvait ailleurs dans la ville.

 

La Ciotat.

 

PĂ©pita s’est rendue Ă  l’office du tourisme pour s’informer. Puis, en passant, nous avons achetĂ© du vrai savon de Marseille de la marque SĂ©rail. Ensuite, nous sommes repartis chercher le “vrai” cinĂ©ma des frĂšres LumiĂšre.

 

La Ciotat.

 

 

Ma compagne venait de me dire : ” ça fait drĂŽle de voir encore les traces de vie dans ces appartements” et de s’Ă©loigner. Je commençais Ă  prendre des photos de cet endroit lorsqu’une femme s’est arrĂȘtĂ©e sur un petit vĂ©lo, type vĂ©lo pliable. Elle m’a demandĂ© avec sympathie si j’Ă©tais de la Ciotat. Je lui ai rĂ©pondu non mais qu’est-ce que j’en savais, finalement, au vu de mon intĂ©rĂȘt soudain pour La Ciotat. En sortant un petit appareil photo, la dame, d’une soixantaine d’annĂ©es, m’a expliquĂ© que c’Ă©tait une partie de l’Histoire de la ville qui partait. Et tout ça, pour construire ” un hĂŽtel 36 Ă©toiles !”. Elle m’a racontĂ© qu’enfant, il y a 40 ans ( ou plus), elle s’Ă©tait rendue dans ce thĂ©Ăątre. Et, aussi qu’il y a encore peu, cette caserne de pompiers Ă©tait active. Elle envisageait d’envoyer ensuite ses photos Ă  des amis et de leur dire :

“VoilĂ , ce que c’est devenu !”. 

La dame Ă©tait engageante et j’aurais pu rester discuter un peu plus avec elle. J’ai nĂ©anmoins pris congĂ©. Notre fille est venue me chercher en courant. Ma propension Ă  prendre des photos faisait que j’Ă©tais rĂ©guliĂšrement distancĂ© et elle s’inquiĂ©tait que je me perde. 

 

C’est lĂ  oĂč ça s’est passĂ© avec les frĂšres LumiĂšre.

 

Voici le vĂ©ritable endroit oĂč les frĂšres LumiĂšre ont fait parler d’eux. L’endroit est assez dĂ©cevant extĂ©rieurement et nous nous sommes demandĂ©s si l’on nous cachait quelque chose. Mais un des employĂ©s nous a confirmĂ© que c’Ă©tait bien-lĂ . Chaque mercredi et chaque samedi, Ă  15h, ( il Ă©tait alors plutĂŽt 17h), a lieu une visite guidĂ©e et les piliers d’origine ont Ă©tĂ© conservĂ©s. L’employĂ© a ajoutĂ© que l’on “sent” , Ă  l’intĂ©rieur du cinĂ©ma, que le lieu a une histoire. Nous aurions pu entrer en allant Ă  la sĂ©ance de 20h mais il nous fallait rentrer.

A dĂ©faut de sĂ©ance cinĂ©ma et de visite, nous avons un peu profitĂ© de la terrasse extĂ©rieure qui donne vue sur la mer, de l’autre cĂŽtĂ© de la rue. J’ai aussi regardĂ© la programmation que l’employĂ© m’a confirmĂ© ĂȘtre du cinĂ©ma d’auteur en version originale.

 

La Ciotat.

Oui, ça donnait envie de revenir Ă  La Ciotat. PĂ©pita, elle-mĂȘme, a Ă©tĂ© agrĂ©ablement surprise par cette visite de la ville.

 

Avant de rentrer, nous sommes allĂ©s nous tremper les pieds dans l’eau. A l’entrĂ©e d’un club de plongĂ©e, dans le centre-ville, j’avais lu que la tempĂ©rature Ă©tait Ă  vingt degrĂ©s. Nous avons fait l’erreur Ă©tonnante en venant Ă  Marseille de laisser nos maillots de bain chez nous. Mais en dĂ©finitive, ce sĂ©jour nous a bien plu alors nous reviendrons. D’autant que ma compagne a prĂ©fĂ©rĂ© Marseille Ă  Lille ( Lille J + 4). Notre fille, elle, a aimĂ© les deux villes. 

 

 

Franck Unimon.

Catégories
Voyage

Marseille, octobre 2019

 

Marseille, octobre 2019

 

J’avais une vingtaine d’annĂ©es lorsque j’ai dĂ©couvert Marseille. C’était aprĂšs un sĂ©jour Ă  Edimbourg.

 

Je me persuadais d’ĂȘtre plus original et plus libre que la moyenne en suivant pourtant, Ă  quelques dĂ©tails prĂšs, le mĂȘme parcours que tout le monde. J’avais peur de l’engagement, du sida et du chĂŽmage.

 

Pour moi, Marseille Ă©tait une ville idĂ©ale car elle Ă©tait Ă  premiĂšre vue compatible avec mes clichĂ©s : Le sud, l’accent, la sensualitĂ©, le soleil, la mer. Avant elle, des annĂ©es auparavant, j’avais rĂȘvĂ© de New-York et ça m’était passĂ©. Il y avait aussi eu Grenoble. Ça m’était aussi passĂ©. Comme pays, mon sĂ©jour un peu plus tard au Japon allait ĂȘtre un acmĂ© et aussi une rupture avec une partie de mon passĂ©. 

 

A l’arrivĂ©e, mon histoire avec Marseille ne se fit pas. Aujourd’hui, si je suivais mon envie de vivre dans une ville de province en France, ce serait plutĂŽt en Bretagne ou dans les Hauts de France.  

NĂ©anmoins, et cela m’avait pris du temps, mais j’avais fini par aimer Marseille malgrĂ© tout. Marseille exige certainement du temps pour ĂȘtre aimĂ©e.

 

C’est une amie revenue vivre Ă  Marseille il y a bientĂŽt une vingtaine d’annĂ©es qui m’a rappelĂ© il y a quelques mois que je pouvais revenir, cette fois avec femme et enfant. Son invitation tenait toujours et je l’avais oubliĂ©e.

 

 

 

J’ai donc retrouvĂ© la gare de Marseille St-Charles. Je n’avais pas d’attentes particuliĂšres hormis le fait de revoir le Vieux-port, Notre Dame de la Garde ainsi que cette amie, son compagnon, et une ancienne collĂšgue venue s’installer dans la rĂ©gion avec son mari et leurs enfants.

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Franck Unimon, mercredi 23 octobre 2019.

Catégories
Cinéma

L’Ăącre parfum des immortelles

 

 

 

 

 

 

 

L’Ăącre parfum des immortelles un film de Jean-Pierre Thorn avec la voix de MĂ©lissa Laveaux. 

Au cinĂ©ma le 23 octobre 2019. 

 

Article de Franck Unimon

Catégories
Micro Actif

Descartes

 

 

Descartes : Voix et texte, Franck Unimon ce samedi 19 octobre 2019. 

 

Catégories
Ecologie Puissants Fonds/ Livres

Une autre fin du monde est possible

 

 

 

 

 

 

 

  • Les revoilĂ  ! 

 

Il y a maintenant deux ou trois ans, la lecture de leur livre Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie Ă  l’usage des gĂ©nĂ©rations prĂ©sentes m’avait assommĂ©. Et puis, sous l’effet du dĂ©ni sans doute, la vie avait continuĂ©.

 

Mais les revoilĂ  avec un nouveau livre :

Une autre fin du monde est possible ( vivre l’effondrement et pas seulement y survivre) et, cette fois, Pablo Servigne et RaphaĂ«l Stevens sont rejoints par Gauthier Chapelle pour la rĂ©daction de ce livre. Et j’ai remis ça. J’ai Ă©galement lu cet ouvrage. Cela m’a pris plus d’un mois. Bien que ce livre puisse se lire en moins d’une semaine.

Tout autant fourni en bibliographies et rĂ©fĂ©rences diverses, Une autre fin du monde est possible ( vivre l’effondrement et pas seulement y survivre) est typiquement le genre de livre dont vous ne parlez pas autour de vous Ă  moins de vouloir prendre le risque de passer pour fou, parano, extrĂ©miste, sĂ©ropositif, nĂ©gatif, pessimiste ou pour celle ou celui qui a subitement pĂ©tĂ© plusieurs plombs ou plusieurs cĂąbles en mĂȘme temps. Le sujet a trĂšs mauvaise haleine et transmet des trĂšs trĂšs mauvaises vibrations. Et cela ne se perçoit peut-ĂȘtre pas dans mes articles mais, dans la vie, j’aime plutĂŽt rire et faire rire.

 

  • obĂ©ir

 

 

C’est vraisemblablement pour ces quelques raisons que depuis la fin de sa lecture il y a plusieurs jours maintenant, je me suis abstenu d’en parler. Et que je me suis lancĂ© dans la lecture de Leçons de danse, leçons de vie de Wayne Byars, un ouvrage plus rassurant et pourtant complĂ©mentaire avec le rĂ©cent ouvrage de Pablo Servigne, RaphaĂ«l Stevens et Gauthier Chapelle.

Une autre fin du monde est possible est typiquement le genre de livre dont vous ne parlez pas autour de vous, lorsque vous vivez parmi des gens «normaux », mais qui vous rĂ©veille en pleine nuit pour Ă©crire Ă  son sujet. C’est ce qui est en train de m’arriver. Cela m’est bien sĂ»r arrivĂ© pour d’autres articles diffĂ©rents et plus joyeux, mais c’est ce qui m’arrive pour ce livre. Il est 4h35 et tout Ă  l’heure, ce livre m’a en quelque sorte dit ( oui, certains livres et certains mots me parlent) :

« Franck, le moment est arrivĂ© pour toi de parler de moi. C’est mon tour ! J’ai suffisamment attendu ». Et j’ai dĂ©cidĂ© d’obĂ©ir. 

 

  • Le SymptĂŽme Take Shelter

 

 

Le réalisateur Jeff Nichols, au festival de Cannes en 2011.

 

 

 

J’aimerais encore que ma façon de rĂ©agir Ă  la lecture de ce livre soit dĂ» au symptĂŽme Take Shelter, titre du film du rĂ©alisateur Jeff Nichols oĂč l’acteur Michael Shannon, pĂšre de famille et fils d’une schizophrĂšne, commence Ă  avoir des visions d’une catastrophe Ă  venir. Et, malgrĂ© la dĂ©sapprobation gĂ©nĂ©rale de la communautĂ© et l’incomprĂ©hension de sa femme (l’actrice Jessica Chastain), celui-ci dĂ©cide, en s’endettant, de construire un abri pour sa fille et sa femme.

Dans Take Shelter, il s’agit d’une catastrophe naturelle qui touche leur rĂ©gion ( au Texas, je crois) et non d’un effondrement mondial. Mais Ă  Cannes, alors que mon collĂšgue journaliste, Johan, et moi l’interviewions- je faisais l’interprĂšte- pour le magazine cinĂ©ma Brazil, Jeff Nichols nous avait expliquĂ© qu’en devenant pĂšre lui-mĂȘme, il avait commencĂ© Ă  percevoir le monde comme pouvant ĂȘtre particuliĂšrement menaçant.

Lorsque j’avais lu le prĂ©cĂ©dent ouvrage de Pablo Servigne et RaphaĂ«l Stevens Comment tout peut s’effondrer, j’étais moi-mĂȘme devenu pĂšre. Et les trois auteurs de Une autre fin du monde est possible prĂ©cisent aussi ĂȘtre malgrĂ© tout devenus pĂšres. L’ñge des enfants n’est pas prĂ©cisĂ© mais je suppose que nous parlons Ă  chaque fois d’enfants de moins de dix ans, soit un Ăąge oĂč, dans l’espĂšce humaine, les enfants sont particuliĂšrement vulnĂ©rables. Et leurs parents aussi sans doute. Cette prĂ©cision « psychologique » permettra peut-ĂȘtre de mieux faire comprendre mon Ă©tat d’esprit alors que j’écris sur cet ouvrage.

 

  • Nous sommes peut-ĂȘtre des oies

 

Pour le reste, selon Pablo Servigne, RaphaĂ«l Stevens et Gauthier Chapelle, ainsi que pour d’autres (scientifiques, auteurs et militants
.), l’espĂšce humaine, en 2019, devant l’effondrement serait Ă  peu prĂšs Ă©quivalente Ă  celle de ces oies qui, la veille du repas de NoĂ«l, estimeraient que tout va pour le mieux car elles sont particuliĂšrement choyĂ©es. Ou Ă  ces proies et ces victimes qui, alors qu’elles se rendent Ă  un Ă©vĂ©nement heureux ou anodin, vivent peu aprĂšs une trĂšs mauvaise expĂ©rience qui se rĂ©vĂšlera dĂ©finitive ou traumatisante.

 

  • Plusieurs types de rĂ©actions d’oies

 

Devant de telles suggestions d’avenir que nos trois auteurs ( et d’autres) justifient largement, on a le choix entre plusieurs types de rĂ©actions :

DĂ©ni, colĂšre, dĂ©pression, renoncement, acceptation
.. et Pablo Servigne, RaphaĂ«l Stevens et Gauthier Chappelle le savent pour l’avoir vĂ©cu eux-mĂȘmes. Dans Comment tout peut s’effondrer, ils expliquaient par exemple que leurs relations avaient pu se tendre avec plusieurs de leurs proches.

Dans Une autre fin du monde est possible, ils évoquent un moment cette conséquence relationnelle et affective, page 264 :

« Qui n’a pas dĂ©jĂ  Ă©prouvĂ© des difficultĂ©s Ă  trouver oreille attentive lorsqu’il s’agit de parler d’un possible effondrement ? Lorsqu’on dĂ©couvre tout cela, surtout si c’est dans la solitude, le premier rĂ©flexe est de vouloir le partager rapidement avec des proches pour se sentir moins seul, ou parce qu’on les aime et qu’on estime que cette information est capitale pour leur sĂ©curitĂ©. Mais attention, lorsque les autres ne sont pas prĂȘts Ă  entendre (et c’est souvent le cas) les rĂ©actions sont souvent dĂ©sagrĂ©ables tout comme le sentiment de solitude et d’incomprĂ©hension qui peut en dĂ©couler. La premiĂšre chose Ă  faire est peut-ĂȘtre de prendre le temps d’intĂ©grer tout cela pour soi. Ceux qui n’ont pas la chance d’avoir des proches sensibles Ă  cette thĂ©matique peuvent Ă©changer facilement Ă  travers les rĂ©seaux sociaux. Lire un article, un commentaire, un livre ou un documentaire sur un sujet que l’on croyait tabou, et en parler librement, redonne du baume au cƓur ».

 

  • Une oie tĂąte du doigt deux groupes d’entraide

 

J’ai lu et voulu que ce livre soit moins « bon » que le prĂ©cĂ©dent. A un moment, en allant voir deux des sites de groupes d’entraide qu’ils citent, je me suis dit qu’il y avait un cĂŽtĂ© sectaire tout de mĂȘme dans leur façon de rĂ©agir. Mais cela fait aussi partie du dĂ©ni de vouloir voir le mal et des sectes dĂšs qu’il s’agit de changer de comportement et de vision sur notre vie et sur le monde.

 

  • En coloc au colloque

 

RĂ©cemment, un spĂ©cialiste des addictions qui intervenait lors d’un colloque organisĂ© sur le thĂšme de « SpiritualitĂ© et addictions » m’a donnĂ© cette rĂ©ponse simple afin de faire la diffĂ©rence entre un groupe ou un lieu bienveillant et une secte ou un groupe jihadiste (ou extrĂ©miste) qui proposeraient leur « aide » :

 

Liberté, Gratuité et Charité.

 

  • Dans l’arrondissement de la brĂšche

 

Il peut en effet ĂȘtre difficile Ă  la fois de continuer de vivre sa vie en s’abstenant de raser les murs tout en se disant- en mĂȘme temps- que ce monde que nous voyons et que nous avons toujours connu- et construit mentalement- malgrĂ© ses apparences de perpĂ©tuitĂ© toute puissante, a en son foyer une brĂšche d’éphĂ©mĂšre et d’illusoire et que celle-ci grandit de jour en jour que l’on s’en aperçoive ou non. Pour moi, le suicide de Christine Renon, la directrice d’Ă©cole maternelle publique de Pantin dans le 93 rĂ©cemment, la dĂ©gradation des conditions de travail dans l’Ă©cole publique,  la dĂ©gradation continue des conditions de travail dans l’hĂŽpital public depuis plus d’une vingtaine d’annĂ©es, la dĂ©gradation des conditions de travail dans la police font partie de l’effondrement. 

Servigne et Stevens l’avaient dĂ©jĂ  bien expliquĂ© dans Comment tout peut s’effondrer :

L’effondrement a dĂ©jĂ  commencĂ©. Que l’on parle du rĂ©chauffement climatique ou de la dĂ©tĂ©rioration de notre monde dans les domaines sociologiques, culturels, politiques, Ă©conomiques et militaires. Avant la grande catastrophe que tout le monde pourra « voir » Ă  l’Ɠil nu ou subir Ă©ventuellement, l’effondrement est avant tout une succession de disparitions, de dĂ©gradations et de tragĂ©dies dont on s’est accommodĂ© ou dont on s’accommode jour aprĂšs jour.

 

  • Les vers puissants

 

Les hommes politiques ( et j’écris « hommes » parce qu’à ce jour, hormis quelques exceptions, les principaux dirigeants politiques de notre monde sont et ont Ă©tĂ© des hommes) et les « Puissants » resteront sur la lancĂ©e de leur vision archaĂŻque du monde comme ils le font depuis des siĂšcles. Au mieux, ils rĂ©agiront dans l’urgence.

Servigne, Stevens et Chapelle nous expliquent ( aprĂšs d’autres sans doute) que «Les trente glorieuses » qui ont suivi la Seconde Guerre Mondiale et qui nous ont toujours Ă©tĂ© dĂ©crites comme une pĂ©riode de grande croissance Ă©conomique seront peut-ĂȘtre surnommĂ©es plus tard « Les trente affreuses » d’un point de vue Ă©cologique. Or, nous sommes toujours calĂ©s sur ce modĂšle de dĂ©veloppement Ă©conomique et industriel qui consiste Ă  asservir et exploiter la terre, les ĂȘtres (humains et non humains), leur vitalitĂ© et leur richesse comme si celles-ci Ă©taient illimitĂ©es et nĂ©gligeables et qu’elles pourraient ĂȘtre remplacĂ©es par des innovations technologiques ou Ă©ventuellement ĂȘtre retrouvĂ©es en abondance sur une autre planĂšte.

 

  • Compost de pommes et solutions

 

Dans Une autre fin du monde, vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre) Servigne, Stevens et Chapelle s’attachent à proposer des solutions.

 

Parmi elles, l’entraide, la solidaritĂ©, ĂȘtre dans l’art et dans la culture, le retour Ă  une certaine spiritualitĂ© mais aussi rĂ©apprendre Ă  vivre avec la nature et selon la nature.

Les trois auteurs nous rappellent comme nous sommes devenus des citadins forcenĂ©s de plus en plus connectĂ©s et, pourtant, nous sommes de plus en plus coupĂ©s de nous-mĂȘmes et des autres humains et non-humains.

On peut les trouver paradoxaux- peut-ĂȘtre afin de nous rassurer- comme ils peuvent Ă  la fois envisager le pire et dire qu’il y aura beaucoup de morts et de souffrance, Ă©voquer la possible Ă©mergence de bandes armĂ©es, et, en mĂȘme temps, donner l’impression , Ă  les lire, qu’en cas de catastrophe, il nous « suffira » de rester des personnes civilisĂ©es et de faire un travail sur nous-mĂȘmes pour nous en sortir. Alors que ce sera vraisemblablement, un « peu » la panique et la barbarie Ă  certains endroits :

 

  • Nomade’s land 

« L’avenir risque d’ĂȘtre en grande partie nomade » Ă©crivent-ils par exemple (page 264, encore apparemment).

 

  • Superbe parano orientĂ©e sud-ouest avec vue dĂ©gagĂ©e sur la mer, proche de toutes commoditĂ©s

 

RĂ©sumĂ© comme je viens de le faire, ce livre continuera peut-ĂȘtre de passer pour l’ouvrage rĂ©sultant d’un « complot » de survivalistes bobos permettant, il est vrai, l’essor lucratif d’une Ă©conomie de la survie au mĂȘme titre que le Bio, dĂ©sormais, est devenu une trĂšs bonne niche Ă©conomique- et un trĂšs bon investissement comme la fonte de la banquise- pour certains entrepreneurs, certains politiques, certains financiers et certains meneurs religieux ou sectaires. 

 

  • Les premiĂšres impressions…

 

On peut aussi rester sur l’impression premiĂšre qui consiste Ă  voir dans ces «histoires » d’effondrement l’expression d’une certaine parano affirmĂ©e qui ferait son coming out. La parano, on le sait, Ă©tant cette logique, qui, Ă  partir de certains faits rĂ©els, se confectionne et affectionne une seule vĂ©ritĂ©, la sienne, et repousse voire assujettit ou dĂ©truit sans pitiĂ© les autres vĂ©ritĂ©s.

Franck Unimon, ce vendredi 18 octobre 2019.

Catégories
Cinéma

Joker

                     

 

                                                     Joker

 

J’aurais aimĂ© dire uniquement beaucoup de bien de ce film rĂ©alisĂ© par Todd Philipps et sorti en salle ce 9 octobre. Mais je m’y suis ennuyĂ©. 

Je l’ai trouvĂ©- sĂ»rement comme mon article- trop dĂ©monstratif. 
La prestation de Joaquin PhĂ©nix lui donnera peut-ĂȘtre l’Oscar et d’autres superlatifs.

Mes rĂ©serves concernent principalement la façon dont le film a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© et non son jeu d’acteur. MĂȘme si Joaquin PhĂ©nix ne me fait pas oublier Jack Nicholson et Heath Ledger – j’ai lu qu’il les faisait oublier- dans les prĂ©cĂ©dents rĂŽles du Joker, son interprĂ©tation fait par moments penser au personnage paranoĂŻde de Jack Gyllenhaal dans le trĂšs bon Night Call (Nightcrawler) rĂ©alisĂ© en 2014 par Dan Gilroy ce qui me plait bien et, beaucoup trop, je trouve
.au personnage incarnĂ© par Robert De Niro dans Taxi Driver qui a un rĂŽle dans le film. Pour ce cĂŽtĂ© : je me fais mon film dans ma tĂȘte. 

On peut sĂ»rement voir une continuitĂ© entre le Taxi Driver de Scorsese et Le Joker. On a aussi le droit d’avoir une grande admiration pour Robert De Niro. Le personnage de De Niro dans Taxi Driver et celui du Joker ici permettent de parler de la schizophrĂ©nie et de la duplicitĂ© des Etats-Unis mais aussi de celles de notre monde occidental libĂ©ral ( viscĂ©ral ?). 

On peut aussi penser au personnage de Rorschach dans The Watchmen. D’ailleurs, le message du film sur ces sujets (schizophrĂ©nie et duplicitĂ© des instances dirigeantes libĂ©rales et de nos sociĂ©tĂ©s occidentales « Ă©voluĂ©es ») ainsi que ses parallĂšles avec le personnage de V pour Vendetta (rĂ©alisations cinĂ©matographiques d’aprĂšs les Ɠuvres d’Alan Moore), le mouvement Occupy Wall Street (ou actuellement, pour nous en France, le mouvement des gilets jaunes) lui donnent une grande lĂ©gitimitĂ©. 

Mais, autant on comprend l’Ă©vaporation de l’identitĂ© du Joker et ce que cette “Ă©vaporation” permet Ă  sa personnalitĂ©, autant le film, lui, finalement, manque d’une certaine personnalitĂ© :

On a donc droit Ă  une musique « appropriĂ©e » – et insistante- comme si le rĂ©alisateur avait eu peur du vide, du froid, des cicatrices et des silences que le personnage du Joker a dans le bide.

On a droit Ă  des “rituels” rĂ©pĂ©tĂ©s ou Arthur Fleck/ Le Joker se fait humilier et bien bousculer y compris gratuitement. Sauf que ces rituels finissent par faire penser Ă  ces passages obligĂ©s que l’on trouve dans les circuits touristiques de masse. Un peu comme si le guide faisant une pause devant un coucher de soleil Ă©tudiĂ© se tournait vers vous et vous disait :

” C’est maintenant le moment de vous embrasser”.

Malheureusement, dans la salle, personne n’a voulu m’embrasser. Alors, j’ai recommencĂ© Ă  regarder l’Ă©cran. Il fallait bien que je m’occupe.

Lorsque Charlize Theron, dans le Monster  de Patty Jenkins se fait humilier, les coups durs et la dĂ©gringolade morale qui s’ensuit (et qui prĂ©cĂšde les meurtres) sont les nĂŽtres. Et il n’est pas nĂ©cessaire de mettre autant de tours d’Ă©crous au supplice comme c’est le cas dans Joker pour bien nous faire comprendre qu’il a souffert. Afin de nous pousser Ă  souhaiter qu’il devienne le contraire de la victime. Car Le Joker, c’est l’anti-Elephant ManElephant Man)

Et puis, l’image est peut-ĂȘtre trop propre ou trop parfaite pour un personnage aux noirceurs possessives. Le film est peut-ĂȘtre trop correct. C’est peut-ĂȘtre ça qui m’a dĂ©rangĂ© avec Joker. MĂȘme s’il y a un Ă©vident travail de fait et une bonne correspondance entre le Joker et la figure du Batman dont on comprend bien les futures nĂ©vroses et sa relation particuliĂšre avec ce « fou » qui prend ici la place du roi. 

Franck Unimon

 

Catégories
Echos Statiques

Zombie public

                                           

 

                                              Zombie public

 

J’avais d’abord passĂ© une nuit pĂ©rissable. Vers deux heures trente, la petite Ă©tait venue me trouver. Comme Ă©tabli par sa mĂšre – enfin- fatiguĂ©e de se lever en pleine nuit. Puis, j’avais dĂ» changer de piĂšce Ă  cause du bruit. Tout ça pour me rendre compte trois quarts d’heure plus tard que la petite chantonnait ou se racontait des histoires. Il Ă©tait alors 3h30 du matin et j’allais l’emmener Ă  l’école quelques heures plus tard. Cette petite « timide » Ă©tait peut-ĂȘtre Ă  l’école primaire et avait sĂ»rement un trĂšs mauvais pĂšre mais elle savait dĂ©jĂ  plus que lui parler :

« Tu vas me briser le cƓur ! » m’avait-elle dit les yeux grand ouverts deux jours plus tĂŽt alors que je la disputais.

En outre, c’était son anniversaire et la veille au soir, il avait fallu renoncer aux devoirs de l’école. AprĂšs avoir pourtant trĂšs bien commencĂ© la lecture des sons comme demandĂ© par sa maitresse, au bout d’à peine cinq minutes, elle s’y Ă©tait ensuite refusĂ©e et avait fini par s’insurger. Criant qu’elle ne voulait pas faire les devoirs ! C’était nul, l’école et les devoirs ! Quelques jets de coussins par terre avaient suivi.

J’avais alors dĂ©crĂ©tĂ© la fin des devoirs et Ă©tais allĂ© expliquer Ă  sa mĂšre qu’il valait mieux passer par la case dĂźner et dodo. Puisque la petite clamait qu’elle Ă©tait fatiguĂ©e !

Au coucher, je lui avais fait la morale : « Etre grand, c’est faire ses devoirs quand on en a ». Auparavant, Ă  cette petite qui m’avait redit son ambition d’ĂȘtre « une princesse », j’avais dĂ©ja rĂ©pondu avec un peu de fiel :

« Tu sais, les princesses, aussi, ont des devoirs ».

 

Au rĂ©veil, tout s’était finalement trĂšs bien passĂ© avec la petite. MĂȘme s’il avait quand mĂȘme fallu lui rappeler que le temps du dodo Ă©tait dĂ©sormais terminĂ©. Et qu’il ne s’agissait plus d’essayer de trouver une position confortable dans son lit afin de mieux dormir. Toilette, rangement des jouets, petit-dĂ©jeuner, sĂ©paration d’avec maman lors de son dĂ©part au travail, fin des devoirs de la veille avant de partir Ă  l’école, tout s’était trĂšs bien passĂ©. Et, c’est une petite dĂ©tendue et chantante que j’avais dĂ©posĂ©e Ă  l’école sous la pluie fine.

Avant que je ne reparte, la maitresse Ă  l’entrĂ©e de la cour s’était subitement rappelĂ©e : Pour savoir oĂč nous en Ă©tions concernant le nombre de perles Ă  assembler par dix, Ă  raison d’une perle par jour, pour arriver au chiffre cent, il suffisait de regarder dans le cahier jaune. En effet, trois jours plus tĂŽt, je m’étais Ă  nouveau excusĂ© auprĂšs d’elle car nous nous Ă©tions perdus dans le nombre de perles, sa maman et moi. Et, la veille encore, ma compagne (ou ma femme pour s’harnacher scrupuleusement au protocole social) m’avait rĂ©pondu :

« ça fait trop de choses, on verra ça pendant les vacances scolaires ! ».

 

AprĂšs l’école ce matin, j’avais un peu d’avance pour me rendre Ă  la Banque Postale. Au 20Ăšme siĂšcle, le trĂšs grand physicien du rire Pierre Desproges avait dĂ©couvert le principe selon lequel « lorsque l’on plonge un corps dans un liquide, le tĂ©lĂ©phone sonne ». C’était avant internet et la tĂ©lĂ©phonie mobile. Lorsque ça avait sonnĂ© plusieurs fois Ă  l’interphone deux jours plus tĂŽt, j’avais refusĂ© de me lever. J’étais plongĂ© dans l’Ă©criture et j’en avais assez ! Ce devait encore ĂȘtre un voisin qui avait oubliĂ© ses clĂ©s et sonnait un peu partout pour entrer dans l’immeuble !

Puis, dans notre boite Ă  lettres- trop petite- j’avais trouvĂ© cet avis de passage du facteur m’informant de mon absence alors qu’il avait l’intention de me dĂ©livrer un colis. Je devrais donc me rendre Ă  la Banque Postale Ă  partir du lendemain Ă  14h. Ce matin, deux jours plus tard, j’étais Ă  mi-chemin lorsque je me suis rappelĂ© que la Banque Postale, dĂ©sormais, ouvrait Ă  9h30 et non plus Ă  9h voire Ă  8h30 comme avant. Quand ses agences Ă©taient ouvertes dans d’autres endroits de la ville. Depuis deux ou trois mois, maintenant, son agence commerciale avait Ă©tĂ© rapatriĂ©e dans ce centre commercial que j’avais toujours trĂšs vite et trĂšs mal supportĂ© et Ă©vitĂ© le plus possible. Ce centre commercial me faisait un peu le mĂȘme effet que le tabac fumĂ©.

Pendant des annĂ©es, je pouvais ĂȘtre en prĂ©sence de l’un comme de l’autre sans m’en sentir gĂȘnĂ©. Aujourd’hui, dĂšs que je suis dans un lieu clos en leur compagnie, je me sens agressĂ©.

J’ai dĂ» ĂȘtre le premier client Ă  entrer dans ce centre commercial dont un vigile aimable et accueillant m’a ouvert la porte. C’était la premiĂšre fois que je venais aussi tĂŽt. En prenant l’escalator en marche, j’ai regardĂ© ses allĂ©es et ses cendres encore vides de tout mouvement. PostĂ© devant la grille fermĂ©e de la Banque Postale avec une bonne demi-heure d’avance, il s’agissait d’adopter une stratĂ©gie permettant d’enlever le temps d’attente de mes pensĂ©es. Pour cela, je me suis rabattu sur le journal gratuit de la ville. Parcouru en cinq minutes. J’ai flirtĂ© un peu avec mon tĂ©lĂ©phone portable (sms, rĂ©seau social
) avant de l’éteindre Ă  nouveau. Entretemps, assez rapidement, d’autres personnes sont venues me rejoindre devant La banque postale. Des mamans, certaines voilĂ©es, et quelques hommes d’une bonne quarantaine d’annĂ©es. Si au dĂ©but, j’étais calme, j’ai commencĂ© Ă  me sentir un peu stressĂ©. Ce centre commercial Ă©tait un cercueil. Et j’avais l’impression que mon soulagement viendrait plus de ma sortie de celui-ci que de l’obtention de mon colis. Il y avait de plus en plus de monde derriĂšre moi et sur mes cĂŽtĂ©s. Une bonne trentaine de personnes. Quelques fois, des employĂ©s de la Banque Postale se faufilaient entre nous. Un ou une de leur collĂšgue leur ouvrait alors le rideau de fer et la nouvelle ou le nouvel employĂ© ( e ) se courbait pour entrer dans ce lieu que nous convoitions et qui redevenait Ă  nouveau physiquement inaccessible.

J’ai entendu la musique d’ambiance du centre commercial. Une musique de chiotte comme souvent. A quelques mĂštres devant nous, Ă  travers le rideau refermĂ©, j’ai aperçu l’écran du tĂ©lĂ©viseur sur lequel passait une pub puis une autre. Tout prĂšs de nous, devant la grille fermĂ©e, entre deux distributeurs, il y avait cette pancarte publicitaire montrant une jeune femme svelte en pantalon, Ă©lĂ©gante, maquillĂ©e, souriante, pouvant avoir la vingtaine comme la trentaine. Et, un peu plus haut, cette « maxime » :

« Les tarifs de la banque postale ne changent pas en 2019. Nous protĂ©geons votre pouvoir d’achat ». J’ai pensĂ© Ă  un de mes rendez-vous avec notre «conseillĂšre », dans une autre banque, quelques mois plus tĂŽt. Celle-ci, comme bon nombre de ses semblables, expliquerait sans doute qu’elle aime beaucoup le « relationnel » avec les clients. Mais je m’étais trouvĂ© dans un bureau en contre-plaquĂ© alors qu’elle accĂ©dait Ă  son ordinateur professionnel. Et, hormis une bouteille d’eau, son sac, une ou deux photos, ses stylos et une bricole, je m’étais dit que cet endroit qui faisait office de banque pourrait tout aussi bien ĂȘtre transformĂ© en tout autre chose.

Notre conseillĂšre s’était ensuite prĂ©occupĂ©e de moi en s’en tenant Ă  des protocoles Ă©dictĂ©s soit par son ordinateur, soit par sa hiĂ©rarchie et les axes dĂ©cidĂ©s lors de rĂ©unions, soit par sa formation, et, bien-sĂ»r, par son tempĂ©rament en dernier ressort.

A travers le rideau baissĂ©, ce matin, nous avons vu les employĂ©s de la banque postale se faire la bise pour se dire bonjour. Dans « notre » banque, Ă  l’ouverture, j’avais vu les employĂ©s se faire une poignĂ©e de main ou une accolade qui signait leur appartenance Ă  l’agence comme Ă  l’équipe.

Ce matin, Ă  la Banque postale, la responsable d’équipe, une femme d’environ trente ans, s’est mise derriĂšre un guichet. Et la dizaine d’employĂ©s, face Ă  elle pour la plupart, l’ont Ă©coutĂ©. Je « connaissais » de vue certains des employĂ©s. En fait, nous ne connaissons pas ces gens que nous voyons voire revoyons dans ces lieux et ces administrations dont nous attendons souvent des services qui ont pourtant tant d’importance pour nous. Alors que, de leur cĂŽtĂ©, ces professionnels et ces personnels s’impliquent comme ils le peuvent dans l’exercice de leurs fonctions et selon des objectifs qui leur ont Ă©tĂ© fixĂ©s. Et, ce matin, comme tant d’autres jours, Ă  nouveau, nous Ă©tions lĂ , nous, la clientĂšle, de l’autre cĂŽtĂ© du rideau fermĂ© tels des zombies ou des animaux de zoo. Nous Ă©tions patients et disciplinĂ©s. Pourtant, je me suis demandĂ© ce que donnerait une pareille situation si, pour une quelconque raison nous poussant Ă  la panique ou Ă  la colĂšre, nous nous Ă©tions impatientĂ©s et que, de l’autre cĂŽtĂ© du rideau, ces mĂȘmes employĂ©s avaient dĂ» nous recevoir.

J’ai l’impression que l’agence a Ă©tĂ© ouverte avec un peu de retard. Je me suis avancĂ© le premier avec ma carte d’identitĂ© et mon avis de passage du facteur puisque j’étais le premier arrivĂ©. Une jeune femme, la « responsable » d’équipe que j’avais aperçu, m’a indiquĂ© une table ronde devant laquelle il fallait attendre. Je me suis arrĂȘtĂ© devant cette table ronde qui m’arrivait presque Ă  la poitrine et oĂč aucun agent de la Banque postale ne m’attendait. J’ai entendu une employĂ©e de la banque postale dire Ă  un ou plusieurs de ses collĂšgues :

« On accueille d’abord les gens ». Pendant ce temps, d’autres agents rĂ©gulaient la circulation, montrant Ă  telle cliente ou tel client oĂč se diriger selon ses «besoins ». Un agent de la sĂ©curitĂ© du centre accueil est entrĂ©, dĂ©tendu. Mais je me suis demandĂ© ce qu’il aurait bien pu faire, tout seul, en cas de tumulte.

AprĂšs quelques minutes, une femme d’une cinquantaine d’annĂ©es s’est mise devant nous un peu comme la responsable « d’équipe » l’avait fait avec eux. Montrant un avis de passage Ă  hauteur de visage, elle a dit d’une voix moyennement forte :

« Je m’occupe des instances. VĂ©rifiez bien la date sur votre avis de passage. Car si le facteur est passĂ© hier, le colis sera disponible le lendemain Ă  partir de 14h». Puis, elle s’est occupĂ©e de moi. J’étais bien dans les clous. Elle m’a ramenĂ© mon colis et m’a souhaitĂ© une bonne journĂ©e. Je l’ai remerciĂ©e et je suis reparti de cet endroit sans regret. Je n’ai pas encore regardĂ© ce qu’il y a dans ce colis.

Franck Unimon, ce jeudi 17 octobre 2019.

Catégories
Jeu

Elephant Man

 

Elephant Man Mis en scÚne par David Bobée

 

Il y a si longtemps que l’on croit les connaĂźtre, dĂ©sormais, ces deux rochers accrochĂ©s Ă  la notoriĂ©tĂ© en mĂȘme temps qu’arrachĂ©s Ă  la sobriĂ©tĂ© :

 

En 1985-1986, BĂ©atrice Dalle Ă©tait l’étincelle que Jean-Jacques Beineix, le rĂ©alisateur de 37°2, avait attendu, persuadĂ© qu’elle Ă©tait quelque part alors qu’il la cherchait toujours pour son film aprĂšs avoir « vu » auparavant bien des actrices.

Dalle n’avait pas pris de cours de thĂ©Ăątre et n’avait pas fait escale dans une Ă©cole de cinĂ©ma. Elle avait quittĂ© sa province, en bisbilles avec sa famille, avant ses 16 ans. Et c’est elle que Beineix avait choisie. D’accord, elle n’avait pas une ride et Ă©tait trĂšs belle. Mais elle Ă©tait surtout sans bride.

Ensuite, aprĂšs le trĂšs grand succĂšs de 37°2 (qui rendra Ă©galement cĂ©lĂšbre son auteur, l’écrivain Philip Djian ) elle s’était insĂ©rĂ©e dans la partition de divers films d’auteur. Parmi lesquels, le Trouble Everyday ( en 2001) de Claire Denis avec Alex Descas mais aussi A l’intĂ©rieur ( en 2007) de Julien Maury et Alexandre Bustillo qui annonçaient peut-ĂȘtre l’adaptation ( trĂšs bien approuvĂ©e par la critique) de LucrĂšce Borgia par David BobĂ©e Ă  nouveau Ă  la manƓuvre avec ce Elephant Man.

Aujourd’hui, on connaĂźt bien plus BĂ©atrice Dalle et Jean-Hugues Anglade (l’autre acteur principal de 37°2 ) que Jean-Jacques Beineix, pourtant un des rĂ©alisateurs prometteurs des annĂ©es 80-90. Celui-ci a fait un certain retour sur sa carriĂšre cinĂ©matographique dans son livre Sur les chantiers de la gloire.

Mais on connaĂźt « bien » Dominique Besnehard qui avait aussi Ă©tĂ© l’agent de BĂ©atrice Dalle Ă  l’époque de 37°2 et les annĂ©es qui ont suivi. Agent d’acteurs pendant des annĂ©es, Ă©galement acteur par exemple pour Pialat, producteur, inspirateur de la sĂ©rie Dix pour cent et PrĂ©sident , depuis ce mois de septembre, de la commission d’Aide sĂ©lective Ă  la distribution de films au CNC, Dominique Besnehard a aussi racontĂ© dans son livre Casino d’hiver son amour pour sa BĂ©atrice Dalle. Et comment il Ă©tait parti la chercher alors qu’elle s’écumait dans la drogue avec son Joey Starr, alors son compagnon, bad boy, et un des piliers Rap du groupe NTM.

Pourquoi le pseudo « Starr » ? En mĂ©moire de ces esclaves qui, un jour, trouveraient ou atteindraient leur bonne Ă©toile. Une Ă©toile de mer, c’est souvent joli fut-elle celle d’un shĂ©rif, mais on oublie souvent dans le sable qu’elle fait aussi partie des espĂšces carnivores. Joey Starr-Didier Morville-ex/ Jaguarr Gorgone, de son cĂŽtĂ©, a aussi connu une carriĂšre dissonante.

Dans sa premiĂšre autobiographie, Mauvaises frĂ©quentations, il raconte aussi devoir une partie de ses succĂšs Ă  des rencontres qu’il n’aurait jamais dĂ» faire dans un schĂ©ma dit normal. Je l’ai dĂ©jĂ  Ă©crit dans un de mes articles antĂ©rieurs:

Il aurait Ă©tĂ© trĂšs difficile dans les annĂ©es 90 d’imaginer que Joey Starr, aujourd’hui, serait le comĂ©dien recherchĂ© qu’il est que ce soit au cinĂ©ma ou pour des sĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es. Pour ma part, il y a plus d’une dizaine d’annĂ©es, je le donnais mort avant ses quarante ans au vu de certains de ses excĂšs trĂšs mĂ©diatisĂ©s. Ma pudibonderie et mon ignorance incrustĂ©es jusque dans le fond de mes dents m’ont largement donnĂ© tort. J’aurais peut-ĂȘtre mieux fait, comme Joey Starr Ă  une Ă©poque, de me faire poser des dents en or. Ça m’aurait peut-ĂȘtre aussi rĂ©ussi. J’ignore ce que vous en pensez mais en attendant, Joey Starr, aussi, tout comme BĂ©atrice Dalle, a eu une enfance rudoyĂ©e. Lui, comme BĂ©atrice Dalle, aurait pu encore plus mal tourner que ce que l’on « sait » :

Si l’on considĂšre leur image publique, plutĂŽt que des crĂ©atures de rĂȘve, BĂ©atrice Dalle et Joey Starr sont des crĂ©atures de carnage. Personne ne s’étonnera si l’on parle d’eux comme de « bĂȘtes de scĂšne ». Et c’est comme cela qu’en 2019 on arrive trĂšs facilement Ă  Elephant Man.

 

 

Mais BĂ©atrice Dalle et Joey Starr ont aussi des armatures people. Cela crĂ©e vis-Ă -vis de Elephant Man un rapport ambivalent en allant le voir
.aux Folies BergĂšres. Il est difficile de savoir si l’on y va en tant que ( pour) voyeur de notre propre folie- et de notre racisme- ordinaire parce que ce sont deux «vedettes » plus ou moins monstrueuses, sachant qu’aujourd’hui, dire d’un artiste qu’il est « monstrueux » est trĂšs flatteur.

Si l’on y va parce-que l’on aime leur jeu d’acteur et que l’on est curieux de voir l’alchimie de leurs deux prĂ©sences scĂ©niques « sachant » ce que l’on croit savoir de leur histoire commune et sĂ©parĂ©e.

Ou si l’on veut « voir » ce que peut donner sur scĂšne le Elephant Man que l’on a vu au cinĂ©ma en noir & blanc rĂ©alisĂ© par un autre David ( David Lynch dans les annĂ©es 80). MĂȘme si, au dĂ©part, l’Ɠuvre originale The Elephant Man avait Ă©tĂ© crĂ©Ă©Ă© par l’auteur amĂ©ricain Bernard Pomerance pour le thĂ©Ăątre.

 

Ces questions restent solitaires aprĂšs la reprĂ©sentation car BĂ©atrice Dalle et Joey Starr jouent du trouble vĂ©hiculĂ© par leur image publique. Ce qui est le propre, gĂ©nĂ©ralement, de l’artiste ou de la personne qui a du coffre.

Béatrice Dalle, sur scÚne, dit par exemple sûrement avec une réelle jubilation :

« Je suis juste une femme qui compose dans un monde d’hommes » et « Ce que j’expose, c’est une illusion ».

Joey Starr/Elephant Man, quant Ă  lui, Ăąnonne, comme le lui enseigne son nouveau maitre, FrĂ©dĂ©rik Treves (l’acteur Christophe GrĂ©goire ?), le jeune chirurgien londonien ambitieux et rĂ©putĂ© :

« Si je vis selon les rĂšgles, je serai heureux » et « Les rĂšgles nous rendent heureux car elles sont faites pour notre bien ». L’entendre dire ça peut revĂȘtir un aspect comique tant la « rĂ©ussite » artistique et professionnelle de Joey Starr incarne, aussi, plutĂŽt le contraire de cette croyance. Mais il rĂ©pĂšte seulement Ă  voix haute, sur scĂšne, ce que la majoritĂ© des citoyens du monde et de France consent Ă  penser : La piĂšce qui dure apparemment prĂšs de deux heures trente est loin d’ĂȘtre vide.

Elephant Man est le contraire d’une piĂšce « people » dont le socle repose uniquement sur l’affiche Dalle/ Starr. C’est bien sĂ»r trĂšs bien Ă©crit.

Et il y a la scĂ©nographie : Bien qu’il y ait quelques anachronismes, nous sommes Ă  la fin du 19Ăšme siĂšcle. Et ce dĂ©cor clinique et froid qui imite la cĂ©ramique impeccable rĂ©plique avec prĂ©cision le craquement des camps de concentration qui « arriveront » un demi siĂšcle plus tard ; le nuclĂ©aire ; la mĂ©diatisation du tueur en sĂ©rie avec la figure de Jack l’Eventreur ; et leur consanguinitĂ© cachĂ©e avec le monde mĂ©dical, Ă©conomique et occidental blanc tout puissant de cette fin du 19Ăšme siĂšcle qui nous asservit encore.

Pouvoir rampant, omniprĂ©sent et viscĂ©ral, cette pensĂ©e de fin du 19Ăšme siĂšcle secrĂšte l’esclavage, la nĂ©vrose traumatique des vĂ©tĂ©rans de guerre du 20Ăšme et du 21Ăšme siĂšcle, du professeur David Banner hantĂ© par son inconscient colossal, Hulk. Joey Starr, de par son personnage d’Elephant Man, endosse tout ça. Ainsi que le harcĂšlement, la condition des migrants d’aujourd’hui. Cela lui donne une allure christique. Une image qui m’a marquĂ© de Joey Starr, sur scĂšne, est ce moment oĂč recouvert tout entier par une couverture, Ă©merge uniquement sa tĂȘte. Il paraĂźt alors avoir le corps d’un enfant chĂ©tif, avec une tĂȘte d’adulte, qui fait penser aux enfants dĂ©nutris, battus ou Ă …E.T. Mais avec sa cathĂ©drale, il peut aussi rappeler le personnage de Quasimodo. Et pour “appartenir” Ă  la science, il Ă©voquera aussi la crĂ©ature du Dr Frankestein. 

 

Dans au moins une autre scĂšne, sitĂŽt que ses bourreaux apparaissent la nuit, pĂ©riode oĂč les cauchemars que nous retenons le jour nous Ă©chappent, hypnotisĂ©, en transes ou fanatisĂ©, Joey Starr/ Elephant Man entame une danse comme sur un manĂšge durant laquelle il dĂ©clame tel qu’il a Ă©tĂ© dressĂ©. Le dĂ©cor, pour l’époque, est peut-ĂȘtre high tech et parfait tout comme peut l’ĂȘtre le dĂ©cor stĂ©rile de l’informatique et des nouvelles technologies. Mais celles et ceux qui l’occupent, les hommes qui dirigent ce bloc et ce dĂ©cor, sont dĂ©viants et le crament comme nous continuons de cramer le bloc et le dĂ©cor de notre monde que notre regard – interceptĂ© par des Ă©crans- ne voit pas. Elephant Man doit guĂ©rir d’une tare qui lui a Ă©tĂ© imputĂ©e. Il doit expier. MĂȘme si ce sont ceux qui l’exploitent selon une Ă©thique commerciale, scientifique ou morale – victorienne- qui sont tarĂ©s. Mais ils le sont trop et sont par ailleurs trop nombreux, organisĂ©s, et trop violents pour ĂȘtre arrĂȘtĂ©s.

Bytes ( l’acteur MichaĂ«l Cohen), le premier « Maitre » d’Elephant Man, Ă  l’allure plutĂŽt virile, trĂšs assurĂ©e, et sans doute homme charmeur, est ainsi le croquis du proxĂ©nĂšte, du compagnon et du pĂšre conjugal, du dealer mais aussi de l’homme dĂ©pendant soumis Ă  la petite cuillĂšre de ses rĂȘves de gloire. Homme criminel, il est libre de ses mouvements et de ses jugements tandis qu’Elephant Man, innocent, servile, respectueux des rĂšgles et vulnĂ©rable, aura une vie de repenti enfermĂ© : D’abord au cirque puis Ă  l’hĂŽpital.

 

Joey Starr est le comĂ©dien principal d’Elephant Man. Je crois que cela aurait Ă©tĂ© mieux qu’il conserve sa voix et son intonation habituelle mĂȘme si, en les retrouvant Ă  la toute fin, son personnage semble nous dire que, depuis le dĂ©but, il nous a jouĂ© ce que l’on attendait de lui sur scĂšne
comme dans la vie.

L’arrivĂ©e de BĂ©atrice Dalle sur scĂšne est une agrĂ©able surprise : on sait qu’elle figure dans la piĂšce, on l’attend et on se demande quand elle va se montrer. Et puis, elle arrive. Elle a un plaisir Ă©vident sur scĂšne et dans le fait de jouer avec Joey Starr. Je suis plus partagĂ© sur son jeu vers la fin lors de la mort d’Elephant Man/ Joey Starr.

 

 

L’arriĂšre du dĂ©cor est assurĂ© par une large vitre panoramique qui permet de voir arriver et partir les personnages : Quelle belle perspective ! On dira que cela reflĂšte aussi trĂšs bien notre monde de voyeurs, certaines back rooms, ou nous remĂ©more que nous sommes des ĂȘtres de passage. Mais en terme de jeu, ce dispositif rappelle trĂšs bien comme jouer, c’est d’abord avoir une prĂ©sence physique. D’ailleurs, lorsque Joey Starr/ Elephant Man sort dĂ©finitivement de la scĂšne aprĂšs sa mort, juste avant d’entrer en coulisses, il est sorti de son rĂŽle et ça s’est vu Ă  sa façon de se tenir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Avec un duo Starr/ Dalle aussi « connu » et qui sait remplir l’espace, il est peut-ĂȘtre difficile de se faire remarquer Ă  son avantage en tant que partenaire de jeu
. Si les comĂ©diens qui interprĂštent  l’infirmiĂšre ( ClĂ©mence Ardoin?), le chirurgien Treves ( Christophe GrĂ©goire?) “Jack l’Ă©ventreur” ou encore l’employĂ© de l’hĂŽpital ( Radouan Leflahi ? ) se dĂ©marquent , La danseuse XiaoYi Liu est celle qui y parvient le mieux :

Le temps d’un solo, elle Ă©volue dans une dimension oĂč personne ne peut la rejoindre ; animale, araignĂ©e Ă©ventrĂ©e, zombie, danseuse de ButĂŽ, elle fait ressusciter plus d’une fois nos cristallins. Que sa gestuelle soit minimaliste ou remorque tout l’espace. Heureusement que son solo le plus long dure seulement quelques minutes car il aurait pu nous faire oublier le reste. Je me demande ce qui a donnĂ© l’idĂ©e Ă  David BobĂ©e de l’inclure dans ce projet mais il a bien fait.

 

 

Franck Unimon, ce mardi 15 octobre 2019.

Catégories
Cinéma

Port Authority

 

 

 

 

 

 Port Authority, un film de Danielle Lessovitz

( En salles depuis le 25 septembre 2019)

 

 

« J’ai vu ce film il y a quatre ou cinq jours. Ce film m’est passĂ© dessus. Il m’a plu. Mais j’ai cru que je ne pourrais pas Ă©crire Ă  son sujet. J’avais pourtant pris quelques notes pendant la sĂ©ance ».

 

J’avais Ă©crit ça il y a neuf jours. Il y avait une suite que je viens d’effacer.  Je reprends aujourd’hui cet article et j’en clĂŽture la fuite. Et ce sera mon centiĂšme article pour mon blog crĂ©Ă© l’annĂ©e derniĂšre. Mon premier article avait Ă©tĂ© publiĂ© le 23 novembre dernier ( Au LycĂ©e ).

 

Une vingtaine de spectateurs se trouvaient dans la salle pour cette premiÚre séance matinale de Port Authority à 9h20.

Il y avait différents styles ou différents genres de spectateurs : Du jogger arrivé en short, baskets et débardeur juste avant le début du film, au couple sexagénaire, à la jeune femme gothique aux cheveux en partie verts, piercée et isolée, en passant par le duo de copines. Je crois avoir été le seul homme noir présent.

Il aurait fallu parler de la pub qui a prĂ©cĂ©dĂ© le film puisque la pub nous parle aussi de notre Ă©poque et des rĂŽles que nous sommes supposĂ©s endosser. Mais j’ai prĂ©fĂ©rĂ© en parler dans un autre article afin de moins me disperser.

 

 

Paul, jeune blanc de Pittsburgh, débarque à New-York. Pittsburgh-New-York, cela représente un trajet de cinq cents kilomÚtres. Selon wikipédia, la ville de Pittsburgh, en Pennsylvanie, est depuis des années « la premiÚre ville américaine pour la qualité de la vie, grùce à sa sécurité, ses universités, sa culture, son économie et sa taille modeste ».

Cela, on ne le perçoit pas forcĂ©ment en voyant Paul (l’acteur Fionn Whitehead) attendre Ă  la gare routiĂšre ( Port Authority) que quelqu’un- sa demie sƓur- vienne le chercher. Ce que l’on voit, c’est un jeune homme seul qui compose plusieurs fois un numĂ©ro sur son tĂ©lĂ©phone portable qui sonne dans le vide. Ce que l’on voit aussi, c’est l’indiffĂ©rence des personnes qu’il sollicite. Aucune ne prend le temps de s’arrĂȘter pour lui rĂ©pondre. Et lui, un peu naĂŻf, semble croire qu’un de ces passants pourrait connaĂźtre sa demie sƓur. On peut donc ĂȘtre un jeune amĂ©ricain et ignorer que la vie Ă  New-York, dans son propre pays, se dĂ©roule sur une bien plus grande Ă©chelle qu’à Pittsburgh.

Ces premiĂšres informations sur Paul sont importantes car elles nous rappellent qu’on peut ĂȘtre blanc aux Etats-Unis et ĂȘtre un Ă©tranger dans son propre pays.

Ensuite, l’originalitĂ© du personnage de Paul est que la ville de New-York est souvent dressĂ©e comme celle des opportunitĂ©s professionnelles oĂč l’on peut venir tailler son rĂȘve amĂ©ricain lorsque cela se passe bien. Si l’on est travailleur et que l’on est un as de la dĂ©brouille.

 

Paul est travailleur et sait assez bien se dĂ©fendre dans la rue. NĂ©anmoins, son rĂȘve (amĂ©ricain) est plutĂŽt de trouver une famille. Pas de faire carriĂšre.

Nous apprendrons trĂšs peu de son passĂ© Ă  Pittsburgh avec lequel il cherche Ă  couper les ponts. Mais Pittsburgh est une « ville de ponts » (environ 400 selon WikipĂ©dia Ă  nouveau) et c’est aussi par eux que l’on sort de chez soi et que l’on va vers les autres. Et, ça, c’est beaucoup le personnage de Paul parce qu’il n’a plus rien au dĂ©but de Port Authority :

Pas d’emploi, pas de qualification particuliĂšre, pratiquement pas de famille, pas de talent singulier, pas de projet immĂ©diat donc pas d’avenir Ă©vident et pas de toit. Pour survivre, Paul le « homeless » est donc dans la nĂ©cessitĂ© d’aller vers les autres. Du fait de son dĂ©nuement et de sa personnalitĂ©, il a la libertĂ© de choisir entre deux options :

Aller vers celles et ceux qui lui ressemblent et ce qu’il « connaĂźt » le mieux. Ou aller vers celles et ceux qu’il ne connaĂźt pas au grĂ© de ses rencontres. Il va d’abord choisir les deux.

 

C’est de cette façon que se fait la rencontre avec Wye (l’actrice Leyna Bloom), transgenre noire et danseuse, qu’il voit d’abord comme une femme, et qu’il se serait peut-ĂȘtre interdit de regarder, de dĂ©sirer et de rencontrer s’il Ă©tait restĂ© vivre Ă  Pittsburgh et qu’il y avait « rĂ©ussi » socialement et Ă©conomiquement.

Port Authority est un film-pont entre des AmĂ©riques qui,  au sein du mĂȘme pays, habituellement, se cĂŽtoient peu :

L’AmĂ©rique blanche au ras de la pauvretĂ©, mais nĂ©anmoins encore valide et combattive, et l’AmĂ©rique des races et des genres. Mais ici, on ne parle pas de l’AmĂ©rindien qui, une fois de plus, est inexistant dans le cinĂ©ma amĂ©ricain lorsque l’on parle de l’AmĂ©rique multi-raciale.

 

 

Il est possible que devant cette histoire, certaines personnes voient Paul comme un simple plouc arriviste qui veut juste se « faire » un homme ou une femme noir (e) et qui reprĂ©sente cette ambivalence prĂ©datrice sexuelle de l’AmĂ©rique blanche pour la « crĂ©ature » noire. « CrĂ©ature » que l’AmĂ©rique, comme au moins la sociĂ©tĂ© occidentale blanche a contribuĂ© Ă  crĂ©er :

Celle qui danse, chante et se reproduit bien et que l’on peut Ă©ventuellement tolĂ©rer Ă  condition qu’elle ne dĂ©passe pas la place et la limite- y compris odorante- qui lui est allouĂ©e telle que l’explique ce riche CorĂ©en Ă  son chauffeur dans le film Parasite rĂ©alisĂ© par Bong Joon-Ho (Palme d’or Ă  Cannes cette annĂ©e).

Le personnage de Paul franchit nĂ©anmoins, lui, plusieurs fois les limites et les frontiĂšres, sexuelles, mentales et raciales. En ( se) mentant. Et son esprit « bi», comme bicĂ©phale ou bi-conceptuel plutĂŽt que bisexuel, agacera celles et ceux qui rĂ©clament que chacun choisisse rapidement son camp ou sa paroisse (sexuelle, raciale, mentale, sociale ou culturelle) et s’y tienne rĂ©solument jusqu’à la mort ou jusqu’à sa prochaine rĂ©incarnation.

 

 

On peut trouver que la rĂ©alisatrice de Port Authority insiste trop sur l’homosexualitĂ© puĂ©rile, bourrine, aussi stĂ©rile que refoulĂ©e, de certains des pairs blancs de Paul pour mieux affirmer que, lui, est vĂ©ritablement hĂ©tĂ©rosexuel. Mais dans cette AmĂ©rique oĂč des blancs presque pauvres sont les soldats indiffĂ©rents- comme les usagers de la gare routiĂšre avec Paul au dĂ©but du film- d’une AmĂ©rique riche et mĂ©prisante qui dĂ©pouille d’autres presque pauvres, il existe des familles protectrices. Dont celle de Wye qui, en plus d’avoir crĂ©Ă© son propre corps dans cette sociĂ©tĂ© qui rejette son ĂȘtre et son espĂšce, a aussi crĂ©Ă© sa famille et son espace de toute piĂšces sans doute avec la mĂȘme volontĂ© qu’elle s’est transformĂ©e en femme.

 

En cela, le personnage de Wye peut sembler avoir plus de maturitĂ©, de force et de courage que celui de Paul. La principale diffĂ©rence avec Paul est peut-ĂȘtre pourtant que Wye a achevĂ© sa transition en tant que personne alors que Paul se cherche encore en tant qu’adulte et en tant que personne dans la sociĂ©tĂ© au moment de leur rencontre.

D’une façon beaucoup plus douloureuse, en tant que personne transgenre, il en est de mĂȘme pour le personnage principal de Girl dans le film de Lukas Dhont ( Girl).

On peut aussi voir des films comme Transamerica de Duncan Tucker, Boys don’t cry de Kimberley Pierce ou la sĂ©rie Hit and Miss de Paul Abbot, ou, contrairement au personnage de Wye, des personnes transgenres se cherchent encore. Mais aussi penser Ă  l’intrigue qu’inspire le Major Kusanagi ( incarnĂ©e par l’actrice Scarlett Johansson) Ă  une crĂ©ature dans le remake rĂ©alisĂ© par Rupert Sanders en 2017 du manga Ghost in shell qui lui demande :

“What are you ?” ( ” Qu’est-ce que tu es ?”). 

 

Concernant Paul, lui reprocher sa lĂąchetĂ© reviendrait Ă  minimiser la difficultĂ© de certaines dĂ©cisions dans la vie rĂ©elle comme le fait qu’il faut parfois des annĂ©es voire presqu’une vie pour arriver Ă  se sĂ©parer de son passĂ© et de certains modĂšles de vie et de pensĂ©e :

En arrivant Ă  New-York, Paul est encore reliĂ© Ă  un certain modĂšle de rĂ©ussite par sa demie sƓur qui, apparemment, a « rĂ©ussi » et Ă  qui il convient de ressembler. Soit le modĂšle standard de la rĂ©ussite dont la majoritĂ© tente gĂ©nĂ©ralement de se rapprocher avec voiture, mariage, biens de consommation incarnant une « bonne » intĂ©gration sociale, appartement ou maison, bon emploi, amis plutĂŽt blancs, plus ou moins aisĂ©s et cultivĂ©s, enfants etc
.

Avec le personnage de Wye, on est Ă  la fois dans la marge parce-que l’on est dans un milieu noir, transgenre et homo, socialement modeste, mais aussi parce-que l’on est dans un milieu artistique donc crĂ©atif et, souvent, prĂ©caire et intermittent. Soit le contraire du quotidien balisĂ© et sĂ©curisĂ© de la population “normale” et majoritaire des Etats-Unis  (ou de toute autre nation).

D’oĂč un certain choc social et culturel que les Etats-Unis ainsi que bien d’autres nations « Ă©voluĂ©es » et dĂ©mocratiques ont encore du mal Ă  absorber et Ă  apprĂ©hender.

Photos : Alexander Laurent. 

Franck Unimon, ce jeudi 10 octobre 2019.

Catégories
Moon France Musique

Ann O’Aro

 

J’ai pris en photo la pochette de cet album il y a un an. Le 27 septembre 2018 exactement. J’ai beaucoup aimĂ© cet album. Mais je n’avais pas osĂ© en parler ou Ă©crire Ă  son sujet. J’avais commencĂ© et puis je me suis arrĂȘtĂ©.

 

MĂȘme aujourd’hui, en le faisant, je me demande avec une certaine inquiĂ©tude ce qui va m’arriver.

Peut-ĂȘtre parce-que Ann O’aro est une trĂšs belle femme et que sa voix est Le prĂ©cipice qui me jette Ă  la tĂȘte cette mauvaise conscience que je tĂšte.

Peut-ĂȘtre que sa douleur me coupe et que, par une soudaine infusion, je bats ma coulpe.

 

Lorsque je l’écoute, je me tiens Ă  distance. Sa voix authentifie certaines de mes peurs. Ainsi que l’innocence dont le poids me rappelle comme je suis lĂ©ger devant le danger. Et qu’il me mange, moi, mes rĂȘves, ma langue, mon squelette et tout ce qui va avec avant mĂȘme que je puisse lancer un seul des gestes auxquels j’avais promis de plaire.

Le soupçon est l’hameçon que le danger me laisse pour tout horizon.

 

Il me semble que si l’on Ă©coute Ann O’aro et que l’on est un garçon, si l’on est un enfant, on peut s’en sortir et savoir comment l’approcher avec suffisamment de douceur. Par contre, si l’on est un homme adulte et que l’on «sait », alors, on s’épuise, on se dĂ©courage puis l’on se repousse car on se sent l’auteur impuissant d’un carnage. Etre prĂšs d’elle est risquĂ© :

Comment savoir ce que l’on est et ce que l’on fait vĂ©ritablement alors que l’on marche, transformĂ©, sur le feu et que le feu est la peau de quelqu’un d’autre ?

 

Lorsque j’écoute Ann O’aro, plus je trouve ça beau, plus je me sens mal Ă  l’aise. Et cela arrive souvent. J’ai tellement de mal Ă  retenir ne serait-ce que l’orthographe pourtant simple de son nom. Cela fait pourtant tellement de fois que j’ai lu  et relu son nom d’artiste. La bassesse et le mal qu’elle transforme en Haut, j’ai l’impression que c’est moi qui les ai faits.

Bien-sĂ»r, c’est une illusion. C’est en tout cas ce que je crois. Elle et moi ne nous connaissons pas. Nous ne nous sommes jamais rencontrĂ©s. Pourtant, j’en ai l’impression, encerclĂ©, ensorcelĂ©, dĂ©fiĂ© ?, par ce chant de paon qui me fait voir de toutes les couleurs et me prive de toute certitude.

 

Franck Unimon, jeudi 3 octobre 2019.