Personnalités fusionnelles
Histoires de couples
« Quand je tâen parle, tu bĂ©gayes, câest que tâas pas envieâŠ. » ; « On sâest embrouillĂ©, je tâaime pas ! » ; « Tu es incapableâŠ.. Je te jure, si tu refais ça, je te quitte ! ».
Depuis quelques semaines, peut-ĂȘtre depuis ma lecture de RĂ©inventer lâAmour de Mona Chollet et de Les Couilles sur la table de Victoire Tuaillon, je regarde les couples opĂ©rer. ( J’ai lu RĂ©inventer l’Amour de Mona Chollet, Les couilles sur la table, un livre de Victoire Tuaillon. PremiĂšres parties, Les Couilles sur la table, un livre de Victoire Tuaillon. 2Ăšme partie. Ego Trip. )
La premiĂšre phrase de cet article a Ă©tĂ© prononcĂ©e dans une rue prĂšs de chez moi. La seconde, dans le train qui venait de quitter Argenteuil pour Paris. Et la troisiĂšme, dans le mĂ©tro parisien. La chronologie nâa pas Ă©tĂ© respectĂ©e. Il a pu sâĂȘtre passĂ© plusieurs jours ou plusieurs semaines entre les trois « pĂ©riodes ». Par contre, chaque phrase a Ă©tĂ© prononcĂ©e Ă chaque fois par une femme dont lâĂąge se situait, Ă premiĂšre vue, entre 20 et 30 ans. Je ne leur ai pas demandĂ© leur Ăąge.
La premiĂšre femme assez Ă©nervĂ©e Ă©tait en train de remonter une rue prĂšs de chez moi tout en sâadressant Ă quelquâun dans son tĂ©lĂ©phone portable. La seconde, assise dans le train direct pour Paris, parlait Ă un jeune homme qui, embarrassĂ©, a envoyĂ© des textos sur son tĂ©lĂ©phone portable. Ce jeune homme comptait beaucoup sur les rĂ©ponses ou les conseils quâil pouvait obtenir.
La troisiĂšme femme, tout en lançant son ultimatum Ă la tĂȘte de son copain, agitait son Ă©ventail devant elle. Son copain, assis Ă cĂŽtĂ© dâelle, prĂšs des portes du mĂ©tro, sâest appliquĂ© Ă rester calme. Mais, aussi, Ă consulterâŠson tĂ©lĂ©phone portable. La jeune femme, tout en continuant de sâĂ©venter a jetĂ© un coup dâĆil sur le tĂ©lĂ©phone portable de celui quâelle allait peut-ĂȘtre quitter sâil refaisait « ça ! ».
JâĂ©tais trop loin pour savoir ce qui correspondait à « ça ». Il y âavait trop de bruit dans le mĂ©tro.
Un autre jour, dans un supermarchĂ©, jâai aperçu un couple en train de passer Ă la caisse. Tandis que Monsieur, un homme proche de la trentaine, dĂ©posait les articles sur le tapis roulant, mon regard a croisĂ© celui de Madame ou de Mademoiselle. Celle-ci portait des lunettes de soleil noires. Le contact visuel a peu durĂ©. Je suis parti faire mes courses.
Quelques minutes plus tard, jâai revu le couple alors quâil quittait le parking du supermarchĂ©. Monsieur conduisait une superbe Mercedes neuve. Madame ou mademoiselle Ă©tait confortablement installĂ©e, cĂŽtĂ© passager. La route semblait avoir Ă©tĂ© faite pour eux. Je me suis dit que pour elle, et pour dâautres, rĂ©ussir son couple, câĂ©tait ça. Avoir un compagnon qui fait les courses et qui la conduit au volant dâune grosse Mercedes.
Mais le sujet de cet article est dans son titre : PersonnalitĂ©s fusionnelles. Ces quelques scĂšnes dĂ©crites plus haut ne dĂ©montrent en rien que nous sommes devant des personnalitĂ©s fusionnelles. Jâai dĂ©crit ces scĂšnes pour indiquer que cet article est la suite ou le complĂ©ment de ceux que jâai dĂ©jĂ Ă©crits Ă propos des livres de Mona Chollet et de Victoire Tuaillon citĂ©s au dĂ©but.
Jâai aussi dĂ©crit ces scĂšnes pour sourire et faire sourire.
Bien-sûr que des hommes peuvent, autant que des femmes, avoir des personnalités fusionnelles!
AprĂšs avoir choisi ce titre pour cet article, je me suis demandĂ© sâil convenait bien pour ce dont je voudrais parler. Car « relations fusionnelles », « personnes fusionnelles », « personnalitĂ©s dĂ©pendantes » me paraĂźt tellement proche aussi de ce dont je voudrais parler.
Mais il faut bien choisir un titre. Et, il faut bien se lancer aussi. Cela doit bien faire une dizaine de jours que je pense Ă Ă©crire cet article puis que je me rĂ©tracte. En me disant que cet article a assez peu dâintĂ©rĂȘt. Quâil fait trop « cĂ©rĂ©bral » ; quâil va ennuyer toutes celles et tous ceux, qui, cet Ă©tĂ© mais aussi plus tard, ont surtout besoin de lĂ©gĂšretĂ©. Et non pas de quelquâun qui va venir les encombrer avec des pseudo raisonnements tirebouchonnĂ©s Ă rallonge. OĂč est passĂ©e ma fantaisie ? Je ferais peut-ĂȘtre mieux de partir Ă sa recherche au lieu de circuler dans mon corbillard.
Je nâai fait aucune Ă©tude sĂ©rieuse pour cet article. Je vais seulement allonger deux ou trois de mes pensĂ©es sur le sujet. En me fiant, aussi, au peu de mon expĂ©rience.
Equilibre et stabilité
Il y a quelques annĂ©es, jâai eu une copine qui, assez vite au dĂ©but de notre relation, mâavait dit ĂȘtre « fusionnelle ». Je ne me suis pas senti importunĂ©. JâĂ©tais dĂ©cidĂ© Ă , enfin, avoir une relation sentimentale durable avec quelquâun.
Elle me plaisait. Je mâentendais bien avec elle.
Notre relation avait durĂ© cinq mois. Quelques jours avant notre rupture, elle sâĂ©tait mise Ă pleurer dans le lit, chez elle, Ă mes cĂŽtĂ©s.
Elle ne sây retrouvait pas dans notre relation. Ce nâĂ©tait pas possible !
« Fin » stratĂšge, et trĂšs grand psychologue, jâavais optĂ© pour partir chez moi. Et pour la revoir un ou deux jours plus tard lorsquâelle aurait retrouvĂ© ses esprits.
A mon retour chez elle, jâavais retrouvĂ© toutes mes affaires prĂ©parĂ©es prĂšs de la porte dâentrĂ©e.
Cinq mois plus tĂŽt, au dĂ©but de notre histoire, ma copine dâalors mâavait affirmĂ©, chez elle :
« Tu es chez toi ».
Cinq mois plus tard, jâĂ©tais Ă©jectĂ© comme un dĂ©chet.
MĂȘme si elle avait pris le temps de « mâexpliquer » la raison pour laquelle elle se sĂ©parait de moi, je garde vis Ă vis de cette rupture un certain sentiment de colĂšre. Non pour la rupture. Une rupture est rarement agrĂ©able Ă vivre. Et jâen avais connu dâautres. Mais pour cette façon dâĂȘtre Ă©vincĂ©. Tout Ă©tait dĂ©jĂ tranchĂ© avant mĂȘme que je ne revienne chez elle. Câest ça que je nâai pas aimĂ©.
Dans ses explications, ma future ex sâĂ©tait appliquĂ©e Ă ĂȘtre aussi transparente et humaine que possible. Elle me trouvait monotone. DĂ©plorait que notre humour soit diffĂ©rent. Qu’elle ne riait pas Ă mes blagues. Et moi, aux siennes. Le flop.
Je me rappelle aussi de ce constat quâelle avait fait devant moi :
« Tu es le plus gentil des garçons que jâai connus. Tu mâapportes un Ă©quilibre et une stabilitĂ© ».
Je mâĂ©tais abstenu de lui dire que jâen dĂ©duisais donc quâelle recherchait le dĂ©sĂ©quilibre et lâinstabilitĂ© dans ses histoires dâAmour. Quâon lui fasse mal. Puisquâelle me jetait, moi, le garçon «le plus gentil » quâelle ait connue et qui lui apportait « Ă©quilibre » et « stabilitĂ© » :
Ma future ex avait ( et a toujours sans aucun doute) un bien meilleur niveau socio-Ă©conomique que le mien ainsi qu’un niveau d’Ă©tudes supĂ©rieur au mien. “L’Ă©quilibre” et la “stabilitĂ©” qu’elle avait mentionnĂ© Ă©tait affectif et psychologique et aucunement Ă©conomique.
Dans ses griefs, Ă aucun moment, ma future ex ne mâavait reprochĂ© de se farcir tout le mĂ©nage. Mais sans doute cela serait-il advenu avec le temps puisque depuis la lecture de RĂ©inventer lâAmour et de Les Couilles sur la table, jâai appris que la majoritĂ© des femmes, dans les couples, se retrouve surchargĂ©e par cette partie de la vie quotidienne. Avec lâĂ©ducation et les devoirs des enfants. Mais aussi lâorganisation de la vie du couple.
Respirer
AprÚs une rupture, comme aprÚs tout événement difficile, il nous est souvent nécessaire de reprendre ou de retrouver notre souffle.
Mon ex avait raison : jâavais Ă©tĂ© beaucoup trop gentil avec elle. Jâavais Ă©tĂ© si volontaire et si dĂ©sireux que notre relation tienne que jâavais acceptĂ© quâelle empiĂšte sur mon espace et mon intimitĂ©. Je ne lâavais pas remise Ă sa place certaines fois oĂč il aurait Ă©tĂ© justifiĂ© de le faire.
A plusieurs reprises, lors de notre relation, jâavais eu le sentiment dâĂ©touffer lorsque, plein dâentrain, elle venait se coller Ă moi. Mais je nâavais rien dit. Je mâĂ©tais plutĂŽt tenu Ă distance progressivement : froidement. Je ne savais pas comment mây prendre avec ce genre de relationâŠfusionnelle. Jâavais dâailleurs oubliĂ© le mot. Pour moi, câĂ©tait une relation de couple. Et, jâĂ©tais volontaire.
AprĂšs ma rupture, jâavais retrouvĂ© mon souffle en passant par la dĂ©prime, ma vie quotidienne, et une thĂ©rapie.
Ma premiÚre thérapie.
Car jâen Ă©tais arrivĂ© Ă la conclusion quâaprĂšs cette Ă©niĂšme rupture, je ne pouvais plus parler de malchance. Jâavais nĂ©anmoins commencĂ© Ă me dire que certaines personnes Ă©taient « douĂ©es pour le bonheur » et que, moi, je nâen faisais pas partie.
Ma thĂ©rapeute, en Ă©coutant notre histoire et celle de notre rupture, en avait conclu que mon ex et moi nous Ă©tions comportĂ©s comme ” deux enfants apeurĂ©s”. Je n’en n’ai jamais voulu Ă ma thĂ©rapeute pour cette conclusion. Et je garde de ma thĂ©rapie de plusieurs mois avec elle et d’autres ( une thĂ©rapie de groupe qu’elle m’avait proposĂ© et que j’avais acceptĂ©) un bon souvenir.
Ma vie quotidienne continuait malgrĂ© ma dĂ©prime. Câest Ă cette Ă©poque que je fis la rencontre, prĂšs de chez moi, Ă lâexposition Les CinglĂ©s du cinĂ©ma, du rĂ©dacteur en chef du mensuel de cinĂ©ma papier Brazil : Christophe Goffette.
GrĂące Ă cette rencontre, pendant deux ans et demi, jusquâĂ lâarrĂȘt de parution de Brazil, je fis lâexpĂ©rience, avec dâautres, de journaliste cinĂ©ma. Une expĂ©rience qui mâenvoya deux fois au festival de Cannes et qui me permit, aussi, de rĂ©aliser les interviews de rĂ©alisateur et dâacteurs que, bien-sĂ»r, je nâavais jamais imaginĂ© pouvoir rencontrer un jour.
Cette expĂ©rience, et dâautres, me permirent de mieux respirer. A nouveau.
Respirer est notre premier besoin. A la naissance, le bébé qui respire mal est placé sous assistance respiratoire. Car mal respirer affecte aussi notre cerveau. Le développement mais aussi les capacités de notre cerveau.
Apnée et autonomie
Je pratique un peu lâapnĂ©e dans un club. Un ĂȘtre humain, sâil sâentraĂźne Ă lâapnĂ©e rĂ©guliĂšrement ou sâil a des facilitĂ©s pour cela, peut se passer de respirer pendant deux Ă trois minutes pour la moyenne des ĂȘtres humains et jusquâĂ huit ou neuf minutes pour les plus performants dâentre eux.
Le record du monde dâapnĂ©e statique sans Ă©quipement pour un ĂȘtre humain est de onze minutes et trente cinq secondes depuis lâannĂ©e 2009. Record rĂ©alisĂ© par le Français StĂ©phane Mifsud.
Je tiens Ă parler de lâapnĂ©e dans cet article car, en Anglais, « ApnĂ©e », se dit « Free Dive ». « Immersion » ou « PlongĂ©e » libre.
Par « Libre », il faut comprendre « autonome ». Sans équipement : sans bouteille comme les plongeurs bouteille.
Un ĂȘtre humain, lorsquâil pratique lâapnĂ©e, selon son niveau de pratique mais aussi selon sa forme morale, physique et la tempĂ©rature de lâeau, peut donc « tenir » entre deux et neuf minutes dans lâeau sans respirer. Et sans que sa santĂ© morale ou physique soit affectĂ©e par cette apnĂ©e. Sâil a tenu compte de ses limites, il peut mĂȘme avoir du plaisir Ă pratiquer ces apnĂ©es.
Affectivement, je me demande dans quelle mesure les capacitĂ©s dâautonomie de lâĂȘtre humain peuvent se rapprocher de celles dâune personne qui pratique lâapnĂ©e :
Je me demande au bout de combien de minutes, en moyenne, un ĂȘtre humain a t’il besoin de reprendre contact avec un de ses semblables pour se sentir « bien ».
Cette durée sera évidemment variable selon les ùges, selon les moments, selon les situations et selon les personnes.
Un bĂ©bĂ© a, a priori, plus besoin dâĂȘtre rĂ©guliĂšrement en contact avec ses parents ou des personnes attentives et bienveillantes quâun enfant de cinq ans ou quâun adulte de trente deux ans. Sauf que le dĂ©veloppement de certains modes de vie vient contredire ça.
SĂ©paration/ Silence/ Lenteur :
Il y a plusieurs annĂ©es, le Dr Bruno Rist, un des meilleurs- si ce n’est le meilleur- cliniciens avec lesquels jâai travaillĂ©, mĂ©decin chef (pĂ©dopsychiatre) du service oĂč je travaillais alors, sâĂ©tait amusĂ© Ă nous voir avec nos tĂ©lĂ©phones portables. Sans doute Ă©tions-nous en train de manipuler notre portable ou dâenvoyer des sms. Il nous avait alors dit en souriant :
« Cela veut dire que vous nâĂȘtes jamais sĂ©parĂ©s ».
La sĂ©paration mais aussi le silence et la lenteur sont des situations et des pĂ©riodes de notre vie que nous pouvons avoir du mal Ă soutenir. Beaucoup, dans nos vies, doit aller vite et doit sâentendre, ĂȘtre entendu ou vu. Sâil y a sĂ©paration, sâouvre le silence et peut-ĂȘtre lâoubli, la disparition, lâinconnu. Ce qui peut rapidement devenir difficile Ă vivre pour certaines personnes.
Jâai parlĂ© de la « lenteur ». Mais « lâinaction » ou ce qui ressemble Ă de « lâinaction » ou Ă de « lâindiffĂ©rence » peut ĂȘtre aussi difficile Ă vivre que « la lenteur ». Se retrouver face Ă quelquâun qui nous donne lâimpression que nous nâexistons pas car elle ou il ne rĂ©agit pas « normalement » ou selon un langage que lâon peut « voir » et comprendre a aussi quelque chose de dĂ©rangeant.
La fusion avec lâautre, câest la certitude quâil ou quâelle pense- rapidement- comme nous. Mais, aussi, quâil ou quâelle est- rapidement- avec nous.
La fusion est donc le contraire de la lenteur, de lâinaction, de lâindiffĂ©rence, de la sĂ©paration et du silence. Câest le contraire de lâexpĂ©rience de lâapnĂ©e oĂč, lenteur, sĂ©paration (dâavec le temps, dâavec la surface, dâavec lâangoisse, dâavec lâagitation) et silence sont assez recherchĂ©s.
Nous sommes poussĂ©s rĂ©guliĂšrement Ă ĂȘtre des personnalitĂ©s fusionnelles. Nous avons nos smartphones. Nos milliers de sms et de mms quotidiens. Nos rĂ©seaux sociaux. Nos appels illimitĂ©s. Nos Ă©crans. Les multiples incitations publicitaires. Ce que nous percevons du bonheur supposĂ© des autres.
Le Pouvoir de notre intolérance
Lâun des travers de la fusion, en plus de la dĂ©pendance quâelle entretient en nous, câest quâelle augmente le pouvoir de notre intolĂ©rance (Ă la frustration) :
Celle ou celui qui ne nous ressemble pas. Celle ou celui qui ne fait pas partie de notre clan ou de notre groupe. Celle ou celui qui ne colle pas- trĂšs vite- avec ce que lâon exige dâelle ou de lui. Celle ou celui qui ne pense pas- trĂšs vite- comme nous ou qui sâĂ©carte un peu est jugĂ© et condamnĂ© rapidement.
Un des exemples les plus courants de cela depuis quelques années se retrouve dans les « clashes » entre les rappeurs. Untel a « trahi ». Untel ne fait pas partie de telle tendance. Untel a dit ceci.
Cette sĂ©lection/exclusion par la fusion « marche » aussi pour les couples, les groupes dâamis. Mais elle peut Ă©galement « marcher » dans le monde du travail entre collĂšgues.
Notre tendance Ă la fusion sâĂ©tend de jour en jour. Elle permet des plus ou moins grandes rencontres. Elle en empĂȘche aussi.
Câest ainsi que bien que volontaires pour certaines expĂ©riences, et malgrĂ© nos efforts, on peut ĂȘtre amenĂ©, un jour, en revenant, Ă retrouver nos affaires qui nous attendent contre un mur prĂšs dâune porte dâentrĂ©e. Il nous revient alors de savoir plier bagage afin dâaller retrouver de lâair ailleurs.
Franck Unimon, ce lundi 8 aout 2022.