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Addictions

Les cinquante Temps de Marmottan

A la Cigale, décembre 2021.

 

Les Cinquante Temps de Marmottan

 

 

 

C’est venu avec le temps.

 

 

De temps Ă  autre, dans une Ɠuvre ou parce-que nous sommes les porte-frontiĂšres d’une certaine « curiositĂ© Â», nous parviennent quelques informations sur des systĂšmes et des planĂštes Ă©loignĂ©es. Des endroits et des histoires survenues avant nous, qui nous survivront, et oĂč nous n’avons pas le souvenir ou l’expĂ©rience d’avoir jamais mis les pieds.

 

Nous entendons alors parler de cycles, de satellites en orbite, de révolutions autour du soleil, de conditions particuliÚres et hors normes qui seraient pour nous, les communs des mortels, impossibles à vivre ou à approcher.

 

A moins de l’imaginer.

 

Marmottan m’a peut-ĂȘtre fait cet effet-lĂ . Parce-que je ne savais pas ce que je savais. Parce-que, pour savoir, il faut partir  un peu de soi.

 

Partir un peu de soi : Qui est Marmottan ?

 

 

Marmottan a fĂȘtĂ© ses cinquante ans l’annĂ©e derniĂšre, en dĂ©cembre 2021.

 

 

Qui est Marmottan ?

 

Pendant des annĂ©es, pour moi, Marmottan Ă©tait un personnage Ă  part entiĂšre de l’Histoire de la Psychiatrie.

 

C’était aussi un nom : Olivenstein.

 

Un texte écrit par un patient de Marmottan, visible à Marmottan lors des journées portes ouvertes qui ont suivi le cinquantenaire à la Cigale.

 

Lorsque j’ai commencĂ© Ă  travailler de maniĂšre Ă©tablie en psychiatrie Ă  Pontoise, en 1992-1993, Olivenstein Ă©tait encore vivant.

 

Infirmier DiplĂŽmĂ© d’Etat en 1989, en 1992, j’avais dĂ©cidĂ© de rompre avec les services de soins gĂ©nĂ©raux (mĂ©decine, chirurgie
) ainsi qu’avec une certaine culpabilitĂ© de les quitter.

 

Parce qu’ĂȘtre un vĂ©ritable infirmier, cela consistait Ă  se rendre utile dans les services de soins gĂ©nĂ©raux. A  ĂȘtre capable de performer, de faire et de rĂ©pĂ©ter quelque chose de concret et d’immĂ©diatement vĂ©rifiable :

 

Poser des perfusions, poser des sondes urinaires, faire des pansements et des prises de sang.  Transfuser. Faire, poser, reproduire.  Surveiller. RĂ©aliser les prescriptions.

Mais aussi : se taire. Suivre. Subir. ExĂ©cuter. ObĂ©ir.

 

AprĂšs trois annĂ©es de tentatives variĂ©es dans les services de soins gĂ©nĂ©raux ou soins somatiques, par intĂ©rim, ou par vacations, jusqu’à Margate, en Angleterre, durant pendant un mois,  la psychiatrie adulte avait fini par rĂ©apparaĂźtre, de façon idĂ©alisĂ©e, comme Ă©tant plutĂŽt l’opposĂ©.

 

Comme une expĂ©rience qui m’avait plu.

 

En psychiatrie, j’avais le sentiment d’ĂȘtre moi-mĂȘme. De me rĂ©unifier. De me retrouver. De me reconstituer. De me dĂ©couvrir. Et cela m’étonnait que ce mĂ©tier d’infirmier qui, depuis ma formation, avait sans scrupules piĂ©tinĂ© mes thĂ©ories de lycĂ©en pour me dĂ©charger  dans la benne du monde du travail et de celui des adultes devienne
.agrĂ©able. Tant dans mes relations avec les patients qu’avec plusieurs de mes collĂšgues plus ĂągĂ©s et majoritairement diplĂŽmĂ©s en soins psychiatriques.

 

Ma rencontre avec ce service de psychiatrie adulte en tant qu’infirmier, alors que j’avais 24 ans, a selon moi dĂ©cidĂ© de la continuitĂ© de ma carriĂšre. Je crois encore que sans cette expĂ©rience en tant qu’infirmier, dans ce service de psychiatrie adulte oĂč j’avais effectuĂ© un stage lors de ma troisiĂšme annĂ©e d’étude d’infirmier, que j’aurais trouvĂ© en moi la ressource de changer de mĂ©tier.

 

 

Aujourd’hui, en 2022, certaines personnes ont « besoin Â» d’un livre comme Les Fossoyeurs de Victor Castanet pour apprendre que les conditions de travail dans les Ă©tablissements de santĂ© peuvent ĂȘtre de plus en plus Ă©pouvantables. Alors que pour moi, dĂšs mes Ă©tudes d’infirmier entre 1986 et 1989, le travail d’un infirmier dans les services d’hospitalisation de soins gĂ©nĂ©raux s’apparentait dĂ©jĂ  beaucoup Ă  du travail Ă  la chaine, comme sur les chaines de montage dans une usine.

 

On peut aimer « Ă§a Â»  par tempĂ©rament ou Ă  un moment de sa vie personnelle et professionnelle. Lorsque l’on aime ou que l’on veut que « Ă§a bouge Â». Lorsque l’on ne supporte pas d’ĂȘtre lĂ  Ă  « rien faire Â».

 

Sachant que pour certains, le fait d’écouter et de penser ; ou d’apprendre Ă  penser par soi-mĂȘme ou de prendre du temps face Ă  quelqu’un d’autre qui se comporte ou se prĂ©sente de maniĂšre « Ă©trange», « bizarre Â», « anormale Â», « incomprĂ©hensible Â» voire « dangereuse Â» pour lui mĂȘme ou pour autrui, c’est ne « rien faire Â».

 

 

Un DJ dĂ©cĂ©dĂ© l’annĂ©e derniĂšre ou l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente, a Ă©crit dans un livre quelque chose comme : «  En fait, j’ai commencĂ© Ă  dĂ©tester tout ce qui pouvait m’empĂȘcher ou empĂȘcher de danser Â».

 

HĂ© bien, pour ma part, j’ai commencĂ© Ă  travailler en psychiatrie et eu besoin d’y travailler car, Ă  24 ans, j’avais commencĂ© Ă  dĂ©tester tout ce qui pouvait m’empĂȘcher de penser. Sauf qu’alors, je ne pouvais pas l’exprimer de cette maniĂšre. Il n’y a qu’aujourd’hui que je peux l’écrire comme ça. Presque trente ans plus tard. C’est venu avec le temps.

 

 

Un certain apprentissage de la psychiatrie et de la Santé Mentale

 

 

Au lycĂ©e, j’aimais apprendre. J’aimais aussi comprendre ce que j’apprenais. Le par cƓur sans comprĂ©hension de ce que j’apprenais m’était insupportable y compris lorsque je le voyais chez les autres.

 

Mes Ă©tudes d’infirmier en soins gĂ©nĂ©raux ont Ă©tĂ© trĂšs Ă©prouvantes. Intellectuellement, je trouvais assez peu mon compte. Ni en stage, ni lors des cours thĂ©oriques. Et je devais apprendre des notions mĂ©dicales vers lesquelles, spontanĂ©ment, je ne serais jamais allĂ©. Mais impossible de faire autrement car, pour pouvoir protĂ©ger et sauver des vies, il faut bien apprendre certaines notions de l’anatomie et de la physiologie. Et, pour me sauver de la dĂ©chĂ©ance du chĂŽmage et gagner ma vie, il me fallait trouver un emploi.

 

J’ai donc dĂ» ingurgiter des connaissances par cƓur durant ces Ă©tudes d’infirmier. Des  connaissances dont nos propres monitrices nous ont dit un jour que nous n’en retiendrions qu’à peu prĂšs « dix pour cent Â». Fort heureusement, j’ai rencontrĂ© dans mon Ă©cole d’infirmiĂšres des personnes qui, humainement, m’ont fait du bien. Dont une amie avec laquelle je suis toujours en contact.

 

J’ai appris Ă  travailler en psychiatrie en partant de moi. En vivant des situations. En regardant et en Ă©coutant faire. En me trouvant des modĂšles parmi mes collĂšgues. En discutant avec des collĂšgues en lesquels j’avais confiance. En les interrogeant. En gambergeant. En faisant des erreurs et en m’en rappelant. En lisant certaines fois Ă  droite ou Ă  gauche. Mais pas toujours des ouvrages ou des articles rĂ©servĂ©s Ă  la psychiatrie. 

 

Je n’ai pas appris la psychiatrie par cƓur.  Et j’ai beaucoup de mal avec ces professionnels capables de vous rĂ©citer par cƓur certaines thĂ©ories psychanalytiques et autres, si, par ailleurs, je les trouve ou les pressens « mauvais Â» en situation clinique.

 

Mais il y a bien évidemment certaines connaissances théoriques et autres à mémoriser. Que ce soit concernant certains effets possibles des traitements ou à propos de certaines attitudes à savoir éviter ou à développer en soi.

 

Entendre parler de Marmottan

 

J’ai appris des autres. Et je continue d’apprendre des autres chaque fois que c’est possible.

C’est comme cela que j’ai entendu parler de Marmottan, je pense, dans les annĂ©es 90. J’avais entendu parler de Francis Curtet au collĂšge, en 3Ăšme, par ma prof de Français. Mais je n’avais pas retenu qu’il avait un rapport avec Marmottan.

 

Marmottan, pour moi, faisait partie de ces services emblématiques de la psychiatrie en France. Avec le CPOA, la clinique de La Borde, les UMD


 

Et lorsque j’écris « emblĂ©matiques Â», cela signifie que ces endroits se distinguaient des services de psychiatrie traditionnels. Il s’y dĂ©roulait quelque chose de particulier. D’assez hors norme. Je croyais mĂȘme que Marmottan Ă©tait en quelque sorte un hĂŽpital Ă  lui tout seul. Et le savoir me suffisait et m’a suffi pendant longtemps.

 

Jamais, dans les annĂ©es 90, je n’ai fait la moindre dĂ©marche afin d’en savoir plus sur Marmottan, situĂ© rue ArmaillĂ©, pas trĂšs loin des Champs ElysĂ©es oĂč je pouvais me rendre assez facilement. Ne serait-ce que pour aller au cinĂ©ma ou pour me rendre au Virgin Megastore qui existait encore.

 

Aujourd’hui, je crois avoir choisi d’aller travailler en psychiatrie pour ne pas devenir fou. Mais, aussi, pour mieux comprendre ma propre folie. Et mieux comprendre d’oĂč elle venait. Certains ont peur d’aller travailler en psychiatrie pensant que cela va les perturber irrĂ©mĂ©diablement. Et cela peut en effet perturber, ou plutĂŽt dĂ©stabiliser, la conscience comme les connaissances que l’on a de soi que d’aller travailler dans un service de psychiatrie :

A Marmottan, lors de la journée Portes Ouvertes.

Nos certitudes, nos croyances, nos apparences, aussi, peuvent se retrouver contestĂ©es ou abattues face aux divers miroirs de la psychiatrie. Surtout lorsque l’on ne « fait rien Â» et qu’il devient plus difficile de se fuir, et de fuir nos propres pensĂ©es, Ă©motions et sentiments, dans une certaine activitĂ© frĂ©nĂ©tique. Il  peut ĂȘtre  plus facile de couler dans du mouvement certaines Ă©motions et certaines pensĂ©es plutĂŽt que de les laisser remonter jusqu’Ă  affluer Ă  la surface de soi. Surtout si l’on a une image et une de soi monstrueuse ou dĂ©sastreuse.

 

Et, aujourd’hui, je crois avoir dĂ©cidĂ©, Ă  un moment donnĂ©, d’avoir tentĂ© de travailler Ă  Marmottan parce-qu’il y a des annĂ©es que je crois que, de mĂȘme que j’aurais pu ĂȘtre un psychotique hospitalisĂ© en psychiatrie, j’aurais aussi pu devenir une personne dĂ©pendante Ă  des substances. Mon histoire personnelle, selon mes croyances, aurait pu me faire converger vers ce genre d’état. Or, Ă  ce jour, mĂȘme si j’ai pu redouter de devenir addict Ă  des substances, plus que de devenir psychotique, cela n’est pas arrivĂ©.

 

J’ai cĂŽtoyĂ© et rencontrĂ© des personnes qui ont connu des dĂ©pendances dĂšs l’enfance (l’alcoolisme d’un oncle plutĂŽt bien tolĂ©rĂ© dans la famille ) puis ensuite Ă  l’adolescence et adulte. Des personnes dont j’ai pu ĂȘtre proche (une ex qui avait besoin de fumer cinq Ă  dix joints par jour) ou moins. Cependant, j’étais le « SuĂ©dois Â» de service comme m’avait affectueusement surnommĂ© un ami infirmier psy, ancien hĂ©roĂŻnomane, et assez portĂ© sur la boisson festive. Sobre, dans la maitrise ou le contrĂŽle permanent selon l’analyse que l’on en fait.

 

Sobre, oui, en ce qui concerne les substances. Mais pas pour d’autres addictions.

 

 

Addictions sans substance

 

 

Lorsque j’ai postulĂ© pour travailler Ă  Marmottan, j’étais sĂ»r de moi. J’allais ĂȘtre pris. J’avais des annĂ©es d’expĂ©rience en psychiatrie adulte et en pĂ©dopsychiatrie. J’étais un homme. Et je savais, pour ĂȘtre passĂ© auparavant Ă  Marmottan et y avoir discutĂ© avec certains professionnels qui y travaillaient alors,  qu’il n’était pas nĂ©cessaire d’avoir une expĂ©rience en tant que consommateur de substances ou en addictologie pour y ĂȘtre embauchĂ© comme infirmier. Marmottan recrutait des profils divers. Cependant, il y avait des rĂšgles trĂšs strictes Ă  Marmottan sur certains sujets.

 

Tout comportement violent ou considĂ©rĂ© inacceptable ( relations sexuelles…) , toute consommation de substance dans le service ou tout propos homophobe vaudrait exclusion de ce service ouvert. Cela me convenait.

 

Pourtant, je n’ai pas Ă©tĂ© retenu pour le poste. De mon entretien, dans la bibliothĂšque, face Ă  deux mĂ©decins et Ă  la cadre de pole d’alors, je me rappelle entre-autres de cette question posĂ©e par Mario Blaise, dĂ©jĂ  mĂ©decin chef de Marmottan :

 

« Avez-vous des addictions ? Â».

Paris, le magasin Printemps, ce mardi 2 mars 2022 vers 21h.

 

Pour toute personne un peu formĂ©e ou sensibilisĂ©e aux addictions, c’est une question banale. Comme demander l’heure Ă  quelqu’un. La rĂ©ponse est facile.

 

Pourtant, j’ai rĂ©pondu “superbement” :

 

« Non, je n’ai pas d’addictions ! Â». J’étais sĂ»r de moi. Bien qu’un peu dĂ©contenancĂ©, et aussi un peu mal Ă  l’aise, j’étais sĂ»r de moi. Je n’avais pas d’addictions. Pas de ça avec moi ! J’étais le “SuĂ©dois”. Celui qui, au milieu de personnes dans un Ă©tat d’ébriĂ©tĂ© avancĂ©, ou qui, face Ă  quelqu’un qui fumait son joint, ne se sentait pas incommodĂ©. Celui qui ne faisait pas de cauchemars aprĂšs avoir « frayĂ© Â» avec des patients psychotiques
.

 

Paris, fin février 2022.

 

Pour moi, addictions rimait encore exclusivement, consciemment, avec les substances. J’avais pourtant bien compris que, dans ma propre vie, certaines situations contraignantes ou douloureuses avaient pu se rĂ©pĂ©ter ou pouvaient encore se rĂ©pĂ©ter sans que je parvienne vĂ©ritablement Ă  m’en dĂ©barrasser. Mais je n’avais pas encore fait le rapprochement. Pour moi, Ă  ce moment-lĂ , les addictions avaient plus Ă  voir avec leur forme la plus visible physiquement mais aussi la plus renommĂ©e et la plus condamnĂ©e moralement et pĂ©nalement :

 

Les addictions avec substances.

On a peut-ĂȘtre du mal Ă  lire, mais dans cet article, Olivenstein dĂ©monte le film ” Moi, Christiane F…”. Il en veut en particulier au fait d’avoir choisi David Bowie pour jouer dans le film. Car celui-ci, en tant que Rock star, valorise/hĂ©roĂŻse la consommation de substances. ( A Marmottan, Ă©galement lors des journĂ©es portes ouvertes).

 

 

Cette nuit encore, alors que  je finissais d’Ă©couter un podcast dans lequel tĂ©moigne une jeune Française qui, sous l’effet d’une radicalisation islamiste, est partie vivre dans l’Etat Islamique en Syrie en 2013, ma bĂ©vue m’est Ă  nouveau apparue Ă©vidente. Lorsque celle-ci a parlĂ© de “cage”. Cette jeune femme, dans ce podcast qui comporte quatre Ă©pisodes, raconte comment, pour elle, partir en Syrie, avait d’abord Ă©tĂ© un moyen de quitter la cage dans laquelle elle se trouvait dans sa famille. En espĂ©rant trouver mieux ailleurs. En rencontrant quelqu’un, Ă  un moment donnĂ© de sa vie, qui lui a promis le meilleur en Syrie en venant vivre dans l’Etat Islamique. Cette rencontre aurait pu ĂȘtre un proxĂ©nĂšte, une mĂšre maquerelle, un dealer. Pour elle, cette rencontre a Ă©tĂ© une personne qui l’a sĂ©duite. Cela a Ă©tĂ© rapide et facile.

 

Car elle Ă©tait “disponible” pour ce genre de rencontre Ă  cette pĂ©riode de sa vie.  Parce-que cette croyance idĂ©ologique collait bien, Ă  cette pĂ©riode de sa vie,  avec son patrimoine personnel et culturel. Et que cette croyance idĂ©ologique, mais aussi cette fuite en Syrie, lui apparaissaient ĂȘtre la bonne dĂ©cision.

Cette jeune femme, devenue mĂšre en Syrie est revenue en France six ans plus tard ( en 2019). Et  s’est officiellement dĂ©tournĂ©e de cette croyance islamiste. Elle a pu dire qu’en quittant la France et sa famille, elle avait finalement quittĂ© une cage pour une autre cage. Mais aussi que partir de chez ses parents Ă©tait la “bonne dĂ©cision” mais que la destination choisie Ă©tait “mauvaise”. Elle s’en est rendue compte une fois sur place, en Syrie. 

 Je me suis dit que c’est exactement ce qui peut se passer pour une personne dĂ©pendante avec une substance. MĂȘme si on peut chercher une substance avant tout pour le plaisir. Le mot plaisir a Ă©tĂ© prononcĂ© lors du cinquentenaire de Marmottan.  

Au dĂ©but, c’est trĂšs bien, c’est merveilleux, c’est exceptionnel, on vibre. La suite est moins agrĂ©able. Rencontre. PersonnalitĂ©. Cage. On peut remplacer le produit par une croyance ou par une pratique lorsque l’on parle d’addiction. 

 

Il y a sĂ»rement d’autres raisons que mon “incapacitĂ©” Ă  rĂ©pondre favorablement Ă  cette question sur “mes” Ă©ventuelles addictions pour expliquer mon Ă©chec Ă  cet entretien lorsque j’ai postulĂ© pour Marmottan. Comme le simple fait d’avoir envie ou non de travailler avec moi ou de se sentir Ă  l’aise en ma prĂ©sence. Mais mon ignorance hardie, bien qu’assumĂ©e car j’ai ouvertement dit que je ne connaissais pas grand chose dans le domaine des addictions, m’a peu aidĂ© Ă  convaincre de m’embaucher. Puis, par la suite, devant ces Ă©checs ( j’ai postulĂ© trois fois), j’ai dĂ©veloppĂ© une ambivalence Ă  l’idĂ©e de travailler Ă  Marmottan. Peut-ĂȘtre une ambivalence qui peut se retrouver chez toute personne envers son addiction.

 Chaque fois que je suis retournĂ© travailler en remplacement Ă  Marmottan, je m’apercevais que je me sentais suffisamment appropriĂ© : je ne regardais pas ma montre en Ă©tant pressĂ© que ça se termine. Tout en sachant que j’avais beaucoup Ă  apprendre. Je m’y sentais suffisamment bien. Pourtant, il m’est aussi arrivĂ© de me dire que ce n’Ă©tait pas pour moi. Que je n’Ă©tais peut-ĂȘtre pas fait pour y travailler. Que j’allais me faire rouler dans la farine. Ou que je ne saurais pas conseiller ou accompagner comme il se devait certains patients. Que je ne saurais pas leur rĂ©pondre.

 

 

Marmottan, le service spécialisé dans le traitement des addictions

 

 

J’ai nĂ©anmoins eu la chance de venir faire des remplacements, avant et aprĂšs ma postulation Ă  Marmottan, Ă  peu prĂšs une quinzaine de fois en tant qu’infirmier. Et, lorsque j’écris Marmottan, car il faut le prĂ©ciser, je parle bien-sĂ»r du service spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions.

 

Parce-que si le service spĂ©cialisĂ© (hospitalisation et accueil) dans les addictions est connu sous le nom de Marmottan, Marmottan est aussi un endroit oĂč se trouvent un CMP pour patients adultes oĂč se trouve une consultation pour adultes pĂ©dophiles. Ainsi qu’un hĂŽpital de jour de psychiatrie adulte. Deux services (le CMP et l’hĂŽpital de jour) qui sont indĂ©pendants du service consacrĂ© au traitement des addictions. MĂȘme si ces deux services (le CMP adulte et l’hĂŽpital de jour) sont aussi situĂ©s dans le mĂȘme bĂątiment, rue ArmaillĂ© dans le 17 Ăšme arrondissement de Paris.

 

Il  y a aussi le musĂ©e Marmottan qui se trouve Ă  cĂŽtĂ©. Un musĂ©e bien rĂ©fĂ©rencĂ© que l’on peut visiter et qui n’a rien Ă  voir avec le service.

 

Le Marmottan dont je parle, initialement, faisait partie de l’hĂŽpital psychiatrique Perray-Vaucluse. HĂŽpital par lequel j’ai Ă©tĂ© recrutĂ© en juillet 2009. C’est Ă  cette occasion que j’ai compris que « le Â» Marmottan dont j’avais entendu parler depuis des annĂ©es Ă©tait un service. Et que ce service faisait partie du mĂȘme hĂŽpital que celui qui m’employait.

 

Lorsque l’on parlait de grands Ă©tablissements psychiatriques en rĂ©gion parisienne, les Ă©tablissements hospitaliers auxquels je pensais principalement  Ă©taient :

 

Maison Blanche ; Ville-Evrard ;  Ste-Anne ; Voire Villejuif ou Paul Guiraud. 

 

J’ai dĂ©couvert l’existence du groupe hospitalier psychiatrique Perray-Vaucluse tardivement. Et par hasard. Vers la fin des annĂ©es 2000. Il y a une explication gĂ©ographique Ă  cette ignorance. L’Etablissement Perray-Vaucluse est situĂ© dans l’Essonne. Soit dans un dĂ©partement oĂč je n’ai jamais eu d’attache ou de domiciliation. Puis mon ignorance culturelle, comme celle de mes collĂšgues, de la Psychiatrie a fait le reste.  J’ai connu la psychiatrie de Pontoise parce-que j’habitais Ă  Cergy Pontoise durant mes Ă©tudes d’infirmier et que j’y rĂ©sidais encore lorsque j’avais commencĂ© Ă  y travailler en psychiatrie adulte.

 

L’hĂŽpital psychiatrique Perray-Vaucluse, comme les autres, est au moins centenaire. AbsorbĂ© par Maison Blanche il y a quelques annĂ©es, il fait dĂ©sormais partie du GHU Paris Ste Anne qui comporte la fusion des Ă©tablissements Perray-Vaucluse, Maison Blanche et Ste Anne. Soit un ensemble de services intra-hospitaliers mais aussi extra-hospitaliers de santĂ© mentale ( psychiatrie adulte, addictions, soins gĂ©nĂ©raux ou somatiques, pĂ©dopsychiatrie
).

 

A la Cigale, lors du centenaire de Marmottan. Assis, Ă  gauche, le Dr Mario Blaise, chef du PĂŽle Marmottan-La Terrasse, GHU Paris. Sur sa droite, un des praticiens de Marmottan, le Dr Bertrand. Tout au bout Ă  droite, un des anciens praticiens de Marmottan, Aram Kavciyan, dĂ©sormais psychiatre chef du service d’addictologie au CH de Montfavet depuis des annĂ©es. Je crois que la personne debout en train de parler est une accueillante de Marmottan. J’ai oubliĂ© la fonction de la dame assise.

 

Marmottan/ Olivenstein/ Personnalité/ Antipsychiatrie

 

 

Marmottan a Ă©tĂ© crĂ©Ă© en 1971, par Claude Olivenstein. Lors du cinquentenaire, j’ai appris qu’il y avait deux ou trois autres mĂ©decins avec lui pour fonder Ă  Marmottan le service spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions. Mais lorsque l’on dit Marmottan, encore aujourd’hui, pour beaucoup d’un certain Ăąge, on pense aussitĂŽt : Olivenstein.  

 

Son nom et une partie de sa mĂ©moire -comme de sa prĂ©sence- habitent encore l’endroit pour le peu que j’ai entrevu. MĂȘme si, aprĂšs lui, Marc Valleur a pris sa suite et a, depuis, transmis le relais Ă  Mario Blaise.  

 

A la Cigale, Ă  gauche, Mario Blaise, chef du PĂŽle Marmottan-La Terrasse, GHU Paris. A sa droite, le Dr Marc Valleur, le prĂ©cĂ©dent mĂ©decin chef de Marmottan-La Terrasse qui continue de consulter Ă  Marmottan. Jan Kounen, rĂ©alisateur, venu, entre-autres, parler de son expĂ©rience de l’Ayahuesca. Tout Ă  droite, l’alpiniste Marc Batard venu parler de son addiction aux sommets.

 

 

Le service Marmottan, spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions, a une personnalitĂ© que j’ai rarement trouvĂ©e ailleurs. Par personnalitĂ©, je pense Ă  une volontĂ© assez farouche de maintenir son autonomie et/ ou son indĂ©pendance de pensĂ©e, de façon de travailler, qui tranche avec cette façon assez unanime qu’ont eu les services de psychiatrie- que je connais- de s’aligner sur les diffĂ©rents diktats imposĂ©s ces vingt derniĂšres annĂ©es en matiĂšre de soin et de façon de soigner. Ou de transmettre. Par exemple, alors que depuis une bonne dizaine d’annĂ©es maintenant, la majoritĂ© des services de santĂ© mentale – et autres- Ă©crivent leurs transmissions et leurs prescriptions sur ordinateur, Ă  Marmottan, on Ă©crivait- et on Ă©crit sans doute encore- les transmissions comme les prescriptions mĂ©dicales sur papier.

 

 

Bien-sûr, mes principaux repÚres de comparaison sont ici sont ceux de la psychiatrie que je connais.

La psychiatrie que je connais en rĂ©gion parisienne telle qu’elle se pratique aujourd’hui dans la plupart des services est trĂšs diffĂ©rente de celle qui est Ă©tait pratiquĂ©e il y a encore vingt ou trente ans. Par bien des aspects, la psychiatrie d’aujourd’hui a dĂ©figurĂ© ce qui se faisait de « bien Â» il y a vingt ou trente ans. Moins de moyens, moins de personnels, plus d’heures de travail
plus d’informatique


 

L’ouvrage de Victor Castanet, Les Fossoyeurs qui a fait l’actualitĂ© il y a quelques semaines, avant d’ĂȘtre dĂ©passĂ© par l’actualitĂ© de l’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie « de Â» Vladimir Poutine, scrute, si j’ai bien retenu, les conditions de travail dans les EHPAD. Malheureusement, sous d’autres formes, les conditions de travail en psychiatrie publique se sont aussi dĂ©tĂ©riorĂ©es puisqu’elles doivent dĂ©sormais se calquer sur le modĂšle du privĂ©. Et le peu que j’ai vu dans deux cliniques de psychiatrie adulte il y a une dizaine d’annĂ©es, lorsque j’y avais effectuĂ© des vacations, ne m’a pas donnĂ© envie d’y postuler.

 

 

Aussi, lorsque durant le cinquantenaire de Marmottan, en dĂ©cembre, le mot « Antipsychiatrie Â» a Ă©tĂ© prononcĂ© par un ou une des intervenants, il m’est tout de suite apparu Ă©vident que cela expliquait en partie l’une des raisons pour lesquelles Marmottan, le service des addictions, dĂ©tonait et dĂ©tone encore dans le milieu de la SantĂ© Mentale.

 

D’une part parce que le travail qui s’effectue dans un service spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions se distingue du travail effectuĂ© dans un service de psychiatrie. Mais aussi parce qu’il s’y pratique un certain esprit, une certaine façon de travailler, pour le peu que j’ai vu sur place, auxquels un professionnel familier avec la psychiatrie n’est pas habituĂ©.

 

 

Cet article devait ĂȘtre unique. Mais je m’aperçois que le poursuivre maintenant le rendrait trop long. Et qu’il vaut mieux que je m’arrĂȘte sur cette introduction avant, dans un prochain article, de raconter et de montrer davantage comment c’était lors du cinquentenaire de Marmottan Ă  la salle de concert de la Cigale en dĂ©cembre dernier. Mais aussi dans le service ( d’accueil et d’hospitalisation) lors d’une des deux journĂ©es portes ouvertes qui a suivi la journĂ©e Ă  la Cigale.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 28 février 2022.

 

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La profession infirmiĂšre : La LĂ©gion Ă©trangĂšre

La profession infirmiĂšre : La LĂ©gion Ă©trangĂšre

 

« Qui prendra soin des infirmiĂšres ? Â»

 

Cette question presque philosophique fait la couverture du numĂ©ro 3763 de l’hebdomadaire TĂ©lĂ©rama de cette semaine. La semaine du 26 fĂ©vrier au 4 mars 2022.

 

Depuis que j’ai aperçu cette question une premiĂšre fois sur la couverture de TĂ©lĂ©rama, celle-ci m’a perfusĂ© au goutte Ă  goutte. Les premiers effets de ce « traitement Â» me poussent Ă  Ă©crire mes rĂ©ponses.

 

La couverture de TĂ©lĂ©rama, d’abord, donne aussi des rĂ©ponses et des indications.

 

Sur la couverture du TĂ©lĂ©rama de cette semaine, on aperçoit une femme aux cheveux chĂątains clairs, la tĂȘte dans les bras. EpuisĂ©e ou accablĂ©e. Elle doit avoir la trentaine tout au plus. En tout cas, elle incarne la jeunesse. Une jeunesse Ă©puisĂ©e ou accablĂ©e. Soit l’exact contraire de ce qu’est supposĂ©e incarner la jeunesse : l’optimisme, la vitalitĂ©, l’insouciance, le rire.

 

Une de ses mains porte un gant bleu. De ces gants utilisĂ©s aussi pour se protĂ©ger d’éventuelles expositions au sang. Celui des patients dont les infirmiĂšres prennent soin.

 

Le bras droit de celle qui nous est prĂ©sentĂ©e comme infirmiĂšre semble avoir un peu la chair de poule. Cela peut ĂȘtre dĂ» au froid, Ă  la fatigue. Ou Ă  la peur. Eventuellement protĂ©gĂ©e du sang ou d’autres secrĂ©tions par ses gants bleus, « l’infirmiĂšre Â» qui nous est montrĂ©e n’en reste pas moins exposĂ©e Ă  ces autres extrĂȘmes que sont le froid, la fatigue ou la peur. Ou la dĂ©pression. 

 

A ces extrĂȘmes, il faut en rajouter un autre qui combine puissance et impuissance :

 

La solitude.

 

Car l’infirmiĂšre est montrĂ©e seule. La mĂȘme photo montrant plusieurs infirmiĂšres dans la mĂȘme position parleraient moins de cette solitude. On peut Ă©videmment ĂȘtre seuls en Ă©tant Ă  plusieurs. Mais c’est une sorte de nomenclature : si l’on veut parler de la solitude, il faut isoler quelqu’un.

 

 

Je remercie l’hebdomadaire TĂ©lĂ©rama pour cette couverture. Pour aborder, sur quatre pages, le sujet de la condition des infirmiĂšres en France. Dans cet article, on apprend qu’il y a 700 000 infirmiĂšres en France. Et on « lit Â» que de plus en plus quittent l’hĂŽpital public ou la profession car dĂ©goutĂ©es par la dĂ©gradation des conditions de travail. Que cette dĂ©gradation s’est prononcĂ©e « depuis 2004 surtout, avec l’instauration de la tarification Ă  l’activitĂ© (T2A), qui, en rĂ©munĂ©rant les Ă©tablissements en fonction des actes mĂ©dicaux, a condamnĂ© les hĂŽpitaux publics aux affres financiers. Et transformĂ© les soignants en marathoniens du soin, fragilisant tout un systĂšme de santĂ© qui a dĂ», depuis, endiguer les vagues successives de Covid Â». (TĂ©lĂ©rama numĂ©ro 3763, page 18. Article Mathilde BlottiĂšre. Photos d’Anthony Micallef).

 

 

Remerciements et rĂ©serves :

 

Je remercie TĂ©lĂ©rama pour cet article. Mais j’aurais aimĂ© que, pour changer, que ce soit un homme qui ait Ă©crit cet article. Comme j’aimerais bien, aussi, que le Ministre de la SantĂ© et des affaires familiales et sociales soit plus souvent un homme qu’une femme.

 

Pour le dire autrement : La profession infirmiĂšre, la perception que l’on en a mais aussi la perception que l’on peut avoir de certains sujets de sociĂ©tĂ© en France restent subordonnĂ©s Ă  des visions et Ă  des conceptions tombĂ©es et restĂ©es dans les trappes du passĂ©.

 

On retrouve aussi ça parmi les femmes et les hommes politiques de France. Un demi siĂšcle aprĂšs sa mort, une bonne partie des femmes et des hommes politiques qui aspirent Ă  diriger la France sont lĂ  Ă  aspirer ce qui reste de la momie du GĂ©nĂ©ral De Gaulle. Et font de la rĂ©clame pour leur parti et leur programme en se servant des actes hĂ©roĂŻques et passĂ©s des autres (De Gaulle, Jeanne d’Arc,  Louis XIV, NapolĂ©on, ainsi que des Ă©crivains, des philosophes, des scientifiques qui ont marquĂ© l’Histoire française). 

 

Les personnalitĂ©s du passĂ© qui, aujourd’hui, malgrĂ© leurs travers ou leurs crimes, servent souvent de modĂšles avaient une vision. Ils croyaient en l’avenir, l’anticipaient, le prĂ©paraient, s’appliquaient Ă  «l’embellir Â». Aujourd’hui, si l’on regarde les femmes et les hommes politiques qui « rĂ©ussissent Â», ils semblent surtout se dĂ©marquer dans l’art d’élaborer des stratĂ©gies pour constituer des alliances, pour obtenir le Pouvoir, mais aussi dans l’art de faire de la rĂ©cupĂ©ration.

 

Des femmes et des hommes politiques qui ont une vĂ©ritable vision auraient anticipĂ© et fait le nĂ©cessaire pour Ă©viter que la profession infirmiĂšre, et d’autres professions, soit aussi vulnĂ©rable.

Dans le journal ” Le Canard EnchaĂźnĂ©” de ce mercredi 23 fĂ©vrier 2022.

 

Malheureusement, je vais aussi devoir ajouter qu’une sociĂ©tĂ© vĂ©ritablement Ă©clairĂ©e saurait aussi parler de la profession infirmiĂšre, mais aussi la raconter et la faire parler, Ă  d’autres moments que lorsque ça va mal. Parce-que si l’on peut reprocher aux Ă©lites politiques de France de s’ĂȘtre prĂ©occupĂ©es de surtout prendre soin d’elles, de leurs proches ou de leurs alliĂ©s, on peut aussi reprocher Ă  celles et ceux qui diffusent l’information (donc, parmi eux, des journalistes) de parler principalement de la profession infirmiĂšre pour relater ses difficultĂ©s comme ses souffrances rĂ©elles. 

 

Dans notre pays  de grands philosophes et de grands intellectuels, on dirait qu’il est impossible, aussi, de parler de ce que la profession infirmiĂšre a rĂ©ussi et rĂ©ussit. On dirait que les trĂšs hauts penseurs de ce pays sont incapables de valoriser ou d’expliquer le travail qui peut ĂȘtre rĂ©alisĂ© par la profession infirmiĂšre. Une profession qui, pour ĂȘtre exercĂ©e, nĂ©cessite moins d’annĂ©es d’étude que ces Ă©lites n’en n’ont faites, Ă©lites,  qui imposent leur mainmise sur une grande partie des moyens d’expression.

 

 

Je remercie donc TĂ©lĂ©rama et tous les autres journaux ou hebdomadaires qui ont Ă©crit ou Ă©criront Ă  propos de la profession infirmiĂšre. C’est nĂ©cessaire et utile. Cela apporte sans aucun doute un rĂ©confort salutaire aux soignants qui se sentent ainsi moins invisibles et moins ignorĂ©s.

 

Mais ces articles, celui de TĂ©lĂ©rama et d’autres mĂ©dia, ne suffiront pas pour que la situation infirmiĂšre s’amĂ©liore.

Le Télérama numéro 3763, du 26 février 2022 au 4 mars 2022, page 18.

 

« C’était la guerre Â»

 

« Nous sommes en guerre
 Â» avait dit le PrĂ©sident Emmanuel Macron ” De Gaulle” ( lequel, d’aprĂšs les sondages, devrait ĂȘtre rĂ©Ă©lu cette annĂ©e) pendant son  allocution tĂ©lĂ©visĂ©e pour annoncer le premier confinement dĂ» Ă  la pandĂ©mie du Covid ( Panorama 18 mars-19 avril 2020).

 

C’était en mars 2020. Et, je crois que je travaillais de nuit, dans le service de pĂ©dopsychiatrie oĂč j’étais encore Ă  cette Ă©poque. J’avais regardĂ© une partie de cette allocution sur la tĂ©lĂ© du service alors que les jeunes hospitalisĂ©s Ă©taient couchĂ©s.

 

Cela me paraĂźt dĂ©jĂ  trĂšs loin. C’était pourtant il y a juste Ă  peine deux ans.

 

Il y a quelques jours, j’ai discutĂ© avec une jeune collĂšgue infirmiĂšre intĂ©rimaire. Elle doit avoir 35 ans tout au plus. A peu prĂšs l’ñge de l’infirmiĂšre que l’on voit sur la couverture de TĂ©lĂ©rama. Cette jeune collĂšgue infirmiĂšre m’a appris avoir travaillĂ© pendant dix ans dans un service de rĂ©animation dans un hĂŽpital de banlieue prĂšs de chez moi que je « connais Â». Quand je lui ai demandĂ© pourquoi elle avait quittĂ© son poste alors que, visiblement, elle aimait « Ă§a Â», elle m’a parlĂ© de la pandĂ©mie du Covid en ces termes :

 

 

«  C’était la guerre
. Â». Le mĂȘme mot utilisĂ© par le PrĂ©sident Emmanuel Macron avant le premier confinement. Pourtant, je n’ai pas fait le rapprochement. Tout simplement parce-que le PrĂ©sident Macron et quelques autres n’ont pas fait la mĂȘme guerre que beaucoup d’autres. Un mĂȘme mot pour deux expĂ©riences opposĂ©es et trĂšs diffĂ©rentes.

 

 

Comme principale expĂ©rience d’un service de rĂ©animation, j’ai uniquement les deux stages effectuĂ©s durant ma formation d’infirmier. Ma mĂšre, ancienne aide-soignante dans un service de rĂ©animation, a connu cet univers bien plus que moi.

NĂ©anmoins, lorsque cette jeune collĂšgue, dĂ©jĂ  « ancienne Â» infirmiĂšre de rĂ©a m’a dit que « C’était la guerre pendant la pandĂ©mie du Covid », je n’ai pas eu besoin de dĂ©tails supplĂ©mentaires. A aucun moment je n’ai eu le besoin de vĂ©rifier ses propos en lui demandant des exemples. C’était immĂ©diatement concret pour moi. Et, il Ă©tait aussi indiscutable pour moi que cette jeune collĂšgue infirmiĂšre, et ses collĂšgues, durant la pandĂ©mie du Covid, avaient traversĂ© des conditions de travail trĂšs difficiles. Des conditions de travail insupportables qu’elles avaient dĂ», pourtant, une fois de plus
.supporter. Parce-que l’histoire des conditions de travail des infirmiĂšres, au moins depuis trente ans, est que, Ă©trangement, la souffrance soignĂ©e par les infirmiĂšres semble se « transvaser Â» indĂ©finiment dans leurs propres conditions de travail. Les infirmiĂšres soignent des personnes qui souffrent. Mais il semble dĂ©sormais inĂ©luctable que pour soulager les autres, les infirmiĂšres doivent accepter de souffrir en plus en plus elles-mĂȘmes. Et porter sur leurs Ă©paules ces peurs, ces souffrances et cette mort que le monde des dĂ©cideurs et des “winner” fuit et dont il se dĂ©barrasse au plus vite.

La souffrance et les Ă©tats de faiblesse, de handicap et de mort, sont en quelque sorte des “dĂ©chets” que l’infirmiĂšre est chargĂ©e de prendre dans ses bras. “On” est bien content qu’elle soit lĂ  pour s’en occuper. Mais sans faire de bruit. “On” lui jette quantitĂ© de “dĂ©chets” sur la tĂȘte par le biais d’une colonne verticale depuis plusieurs immeubles de dix huit Ă©tages. Et, c’est Ă  elle de se dĂ©merder avec ça. Elle est “payĂ©e” pour ça. Et, elle devrait mĂȘme remercier pour cette gĂ©nĂ©rositĂ© qui lui est faite d’ĂȘtre salariĂ©e. Alors que ce qu’on lui permet de vivre est bon pour son karma. Du reste, elle a choisi cette vie-lĂ . Alors, qu’elle ne se plaigne pas…

 

La profession infirmiĂšre continue d’avoir l’image d’une profession de foi religieuse,  oĂč la crucifixion serait le nirvana de l’infirmiĂšre ou de l’infirmier, alors que la sociĂ©tĂ© a Ă©voluĂ©. Et que les ĂȘtres qui dĂ©cident de devenir infirmiĂšres et infirmiers ont une autre conception de la vie, une autre façon de concevoir leur vie personnelle et professionnelle, qu’il y a un demi siĂšcle.

 

Et, je peux en parler un peu. A « l’époque Â» de ma mĂšre et d’une de mes tantes (sƓur de ma mĂšre), en rĂ©gion parisienne, il Ă©tait courant qu’une soignante fasse toute sa carriĂšre dans le mĂȘme hĂŽpital, dans un voire dans deux services.

 

 C’était il y a plus de trente ans. OĂč l’aspiration commune, une fois le diplĂŽme d’Etat d’infirmier obtenu, Ă©tait d’obtenir un poste de titulaire. Rares Ă©taient les infirmiĂšres et infirmiers qui ne faisaient que « de» l’intĂ©rim ou des vacations. Lorsqu’entre 1989 et 1992, je faisais un peu d’intĂ©rim, Ă  droite Ă  gauche, peu aprĂšs mon diplĂŽme, parmi les autres intĂ©rimaires, je croisais surtout des infirmiers et des infirmiĂšres sensiblement plus ĂągĂ©es que moi et qui avaient un poste de titulaire ailleurs.

 

Autre anecdote : je me rappelle maintenant, par amour pour ma copine d’alors, ĂȘtre allĂ© rencontrer Ă  son domicile, Ă  Paris, le poĂšte Guillevic, autrement plus ĂągĂ© que moi. Ce devait ĂȘtre entre 1990 et 1992. Lorsque je lui avais expliquĂ© que je travaillais par intĂ©rim ( je vivais encore chez mes parents et avais repris des Ă©tudes en parallĂšle), celui-ci, mi-interloquĂ©, mi-contrariĂ©, m’avait en quelque sorte demandĂ© si je “jouais” en quelque sorte avec le travail. J’avais alors senti chez lui une espĂšce de respect moral du travail salariĂ©. On se devait Ă  son poste de salariĂ©. Le travail Ă©tait un engagement sĂ©rieux. Et pas une sorte de “papillonnage”. A cette Ă©poque, mes missions par intĂ©rim consistaient Ă  faire une mission d’une journĂ©e dans un service. Et, un autre jour, ou une nuit,  dans un tout autre service et dans un autre Ă©tablissement hospitalier Ă  Paris ou en rĂ©gion parisienne. Si l’intĂ©rim existait dĂ©ja dans le monde du travail dans les annĂ©es 90 d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, il Ă©tait moins rĂ©pandu parmi les jeunes infirmiĂšres et infirmiers diplĂŽmĂ©s de ma connaissance. La norme, c’Ă©tait d’avoir un poste fixe puisque le diplĂŽme d’Etat d’infirmier, en rĂ©gion parisienne, assurait la sĂ©curitĂ© de l’emploi. Et que c’Ă©tait alors la prioritĂ© : la sĂ©curitĂ© de l’emploi, fonder un couple, faire des enfants, acheter une maison ou un appartement si on pouvait…..

 

 

A l’inverse, depuis Ă  peu prĂšs dix ans, environ, en rĂ©gion parisienne, il est devenu assez courant de rencontrer des infirmiĂšres et des infirmiers, qui, une fois diplĂŽmĂ©s, prĂ©fĂšrent ĂȘtre intĂ©rimaires et/ou vacataires. Et, concernant celles et ceux qui sont titulaires de leur poste, ceux ci sont aussi plus mobiles qu’il y a trente ans. Lorsque j’ai commencĂ© Ă  m’établir comme infirmier en psychiatrie il y a bientĂŽt trente ans, j’avais travaillĂ© avec des collĂšgues qui pouvaient rester Ă  leur poste cinq ans ou davantage. Aujourd’hui, selon les services, les plus jeunes infirmiĂšres et infirmiers peuvent ne rester que deux ou trois ans puis partir pour un autre service. Ou, Ă©ventuellement, demander une disponibilitĂ©.

 

 

C’est à ce genre d’information que l’on comprend, aussi, qu’une profession change, qu’une façon de l’exercer, mais aussi, de s’affirmer, diffùre par rapport à avant.

 

 

RĂ©pondre Ă  la question : « Qui prendra soin des infirmiĂšres ? Â»

 

Cette question en couverture de TĂ©lĂ©rama, hebdomadaire qui bĂ©nĂ©ficie d’un lectorat Ă©largi, a l’avantage, comme on dit, de « jeter un pavĂ© dans la mare Â». C’est sans aucun doute le but aprĂšs la pandĂ©mie du Covid, mal gĂ©rĂ©e, mal anticipĂ©e et mal communiquĂ©e par les Ă©lites au moins politiques, mais aussi scientifiques, de France. Mais aussi aprĂšs le « scandale Â» provoquĂ© par la publication rĂ©cente du livre Les Fossoyeurs  de Victor Castanet. Livre que je n’ai pas encore lu. Mais dont le peu que je « sais Â» du contenu ne m’étonne pas :

 

J’ai fait quelques vacations, il y a plus de dix ans, dans une clinique psychiatrique gĂ©rĂ©e par le groupe OrpĂ©a. Groupe privĂ© mentionnĂ© dans le livre de Victor Castanet.  Et, en 1988-1989, encore Ă©lĂšve infirmier, j’avais fait des vacations de nuit dans une clinique de rĂ©Ă©ducation fonctionnelle qui, depuis, est devenue la propriĂ©tĂ© du groupe OrpĂ©a. J’ai donc une « petite Â» idĂ©e des prioritĂ©s du groupe OrpĂ©a concernant les conditions de travail des infirmiĂšres.

 

 

Et si certaines Ă©lites dĂ©couvrent en 2022 avec le livre de Victor Castanet qu’il se dĂ©roule des Ă©vĂ©nements indĂ©sirables et indĂ©cents dans certains Ă©tablissements de santĂ© de France, pour cause de recherche dĂ©bridĂ©e de bĂ©nĂ©fices, j’hĂ©site entre le cynisme, l’hypocrisie ou la cĂ©citĂ© pour qualifier leur Ă©tat d’esprit.

 

 

Je crois aussi Ă  la cĂ©citĂ© et Ă  l’ignorance de certaines Ă©lites concernant les trĂšs mauvaises conditions de travail dans un certain nombre d’établissements de santĂ© publics et privĂ©s, parce-que devant cette couverture de TĂ©lĂ©rama et cette question « Qui prendra soin des infirmiĂšres ? Â» j’en suis arrivĂ© Ă  comprendre que, pour beaucoup de personnes, les infirmiĂšres font partie d’une lĂ©gion Ă©trangĂšre.

 

La France, comme d’autres pays, est constituĂ©e de diverses « lĂ©gions Ă©trangĂšres civiles Â» prĂȘtes Ă  donner le meilleur d’elles-mĂȘmes. On pourrait penser que la grandeur d’un pays ou de son dirigeant se mesure- aussi- Ă  sa capacitĂ© Ă  honorer et Ă  prĂ©server « les lĂ©gions Ă©trangĂšres Â» qui se dĂ©mĂšnent. Mais, visiblement, ce n’est pas avec ce genre d’objectifs en tĂȘte qu’est gĂ©rĂ© le pays dans lequel nous sommes.

 

 

Les infirmiĂšres travaillent et vivent dans le mĂȘme pays que des millions d’autres personnes qu’elles croisent, soignent, accompagnent, soutiennent, sauvent. Les infirmiĂšres  protĂšgent plus de personnes, de tous horizons, qu’elles ne peuvent s’en rappeler. Et elles sont admirĂ©es pour cela.  Pourtant, malgrĂ© ça, elles n’en demeurent pas moins Ă©trangĂšres Ă  cette Nation. Les infirmiĂšres peuvent faire penser Ă  des sauveteurs en mer qui, souvent, risqueraient leur vie personnelle et familiale, mais aussi leur santĂ©, pour d’autres qui sont en train de se noyer. Et qui, une fois en bonne santĂ©, oublieraient par qui ils ont Ă©tĂ© sauvĂ©s, trouvant tout Ă  fait normal d’avoir Ă©tĂ© sauvĂ©s, alors qu’eux-mĂȘmes n’ont jamais sauvĂ© et ne sauveront jamais personne.

Le journal ” Le Canard EnchainĂ©” de ce mercredi 23 fĂ©vrier 2022. Au fond, Ă  gauche, Eric Zemmour tentant de noyer Marine Le Pen, PrĂ©sidente du Rassemblement National. A droite de ce tandem, Christiane Taubira, pour le Parti socialiste, et sa bouĂ©e, que, sur sa droite, Anne Hidalgo, Maire de Paris, Ă©galement pro Parti socialiste, vient de percer avec une aiguille. Au dessus, sur le le plongeoir, Le PrĂ©sident Macron attendant le bon moment pour plonger dans la campagne pour les Ă©lections prĂ©sidentielles qui vont dĂ©buter en avril. Devant Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Ă©lu Ă©cologiste. Devant Jadot, Fabien Roussel, reprĂ©sentant du Parti Communiste Français. Au premier plan, agitant les bras, Jean-Luc MĂ©lenchon de la France Insoumise. DerriĂšre lui, Eric Ciotti avec son cou de Boa, n’espĂ©rant qu’une chose, que son “alliĂ©e”, ValĂ©rie PĂ©cresse, qui lui a Ă©tĂ© choisie, se noie.

 

 

Jetables, Ă©jectables….

 

 

« IndigĂšnes, ouvriĂšres, colonisĂ©es, secondaires, subalternes, domestiques, nĂ©gligeables, accessoires, jetables, Ă©jectables, banlieues Ă©loignĂ©es Â», on dirait que ces termes sont faciles Ă  juxtaposer avec la profession infirmiĂšre.

 

Pour ces quelques raisons, je ne crois pas à un assaut de lucidité spontané des élites en faveur des infirmiÚres.

Je crois que les infirmiĂšres sont les personnes les plus compĂ©tentes pour rĂ©pondre Ă  cette question posĂ©e par TĂ©lĂ©rama. Certaines ont commencĂ© Ă  y rĂ©pondre en prĂ©fĂ©rant l’intĂ©rim et les vacations Ă  un poste de titulaire. D’autres en « faisant Â» des enfants. Ou en changeant de mĂ©tier.

 

Si l’on regarde les Ă©lites, qui, souvent, servent de modĂšles, il existe d’autres rĂ©ponses possibles.

Coronavirus Circus 2Ăšme Panorama 15 avril-18 Mai 2020 par Franck Unimon

 

Franck Unimon, vendredi 25 fĂ©vrier 2022.  

 

 

 

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Pour les Poissons Rouges

Le couple de la Saint-Valentin/ La femme dans l’homme

Paris, Bd Raspail, prĂšs de l’hĂŽtel Le LutĂ©tia, dimanche 13 fĂ©vrier 2022.

  Le Couple de la Saint-Valentin/ La femme dans l’homme

 

Dans la cour du lycĂ©e, chaque fois que Khadija, d’origine kabyle, apercevait son frĂšre aĂźnĂ© dans les environs, elle arrĂȘtait de me parler et son regard se calcinait. Nous ne faisions que discuter. Son frĂšre aĂźnĂ© ne s’est jamais approchĂ©. Et, elle ne m’a jamais appris ensuite qu’il lui avait fait des reproches. Mon geste le plus dĂ©placĂ©  Ă  son encontre avait Ă©tĂ© de lui dire un jour :

 

«  Il te va bien, ton Jean moulant Â». Je crois que cela l’avait flattĂ©e.

 

Avant les Ă©preuves du Bac qui annonçaient la fin de la rĂ©crĂ©ation de toutes nos thĂ©ories et notre entrĂ©e en matiĂšre dans le monde des adultes, catastrophĂ©, alors qu’il avait toujours Ă©tĂ© trĂšs sĂ»r de lui, Abdelkader, trĂšs bon Ă©lĂšve, s’était immĂ©diatement inquiĂ©tĂ© de son futur lorsqu’il serait en couple avec sa femme qu’il ne connaissait pas encore :

 

« Mais qu’est-ce que je vais pouvoir lui raconter ?! Â». Pris de « cours Â», je n’avais pas su quoi lui rĂ©pondre. Je n’avais pas encore Ă©tudiĂ© ce programme.

 

 

Sept ans plus tard, aprĂšs mon service militaire, et alors que j’avais dĂ©jĂ  « reçu Â» la vie en pleine face et assez brutalement en devenant infirmier Ă  vingt et un ans, j’avais Ă©tĂ© horrifiĂ© lorsque TsĂ©, une de mes collĂšgues, m’avait appris que deux de nos collĂšgues mariĂ©s et plus ĂągĂ©s avaient eu une liaison ensemble. J’avais alors totalement oubliĂ© que, enfant, rĂ©guliĂšrement, les week-end, j’avais vu mon pĂšre dĂ©coucher deux ou trois jours de suite, aprĂšs s’ĂȘtre pomponnĂ© auparavant, une bonne heure durant, dans la salle de bain. Salle de bain dont il avait auparavant pris soin de fermer la porte Ă  clĂ©. C’était l’époque oĂč ma mĂšre m’avait appris, qu’un jour, elle quitterait mon pĂšre. Qu’elle Ă©tait « jeune et fraĂźche Â».

 

C’était aussi l’époque oĂč mon pĂšre savait me prĂ©venir de ne jamais me « laisser commander par une femme Â». Mais, aussi, que « la femme blanche Â» Ă©tait l’ennemie. Ce qui, ensuite, m’a beaucoup aidĂ© dans mes relations amoureuses en France oĂč il y a si peu de femmes blanches.

Cela, tout en Ă©tant trĂšs content de m’exhiber, comme son fils, Ă  quelques blancs, dont une femme que nous Ă©tions, un jour, allĂ©s saluer. Cette femme, en me voyant sur le seuil de la porte de son appartement, s’était Ă©merveillĂ©e Ă  me voir. Et, ce, Ă  la grande fiertĂ© de mon pĂšre. Je ne me rappelle pas de la voix ou de la prĂ©sence d’un homme alors que mon pĂšre Ă©tait parti me montrer Ă  cette dame souriante et plutĂŽt jolie pour ce que mes souvenirs d’enfant ont pu me laisser d’elle. Je devais avoir moins de huit ans. J’étais alors un mignon petit garçon. Je ne faisais alors pas encore trop chier le monde avec mes Ă©lucubrations. C’est plus tard que j’ai commencĂ© Ă  mettre une mauvaise ambiance en adoptant certains comportements et en ayant certains propos.

Gare de Paris St Lazare, dimanche 13 février 2022.

 

C’était il y a quarante ans ou plus. Depuis, ma mĂšre et mon pĂšre se sont mariĂ©s. Et, ils vivent au « pays Â» oĂč ils sont retournĂ©s vivre il y a quelques annĂ©es.

 

« C’est vrai que, seuls, des fois, on s’ennuie Â» m’avait dit la mĂšre d’une copine. « Il faut se rĂ©gĂ©nĂ©rer, perpĂ©tuer son nom
 Â» m’avait informĂ© mon parrain, un jour oĂč je l’avais croisĂ© et oĂč il avait Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© que je n’aie « toujours pas d’enfants Â». J’avais une trentaine d’annĂ©es. Et, entendre qu’il fallait « se rĂ©gĂ©nĂ©rer Â» m’avait fait ricaner plutĂŽt qu’encouragĂ©.

 

« Il ne faut pas attendre cinquante ans pour faire des enfants ! Â» m’avait indiquĂ© un peu plus tard, Ă  Montebello, en Guadeloupe, un de mes cousins, mon aĂźnĂ© de deux ou trois ans. J’avais plus de trente ans. J’étais cĂ©libataire, sans enfant. Bien que venu rendre visite, j’Ă©tais pour lui- qui avait apparemment rĂ©ussi sa vie puisqu’il avait donnĂ© la vie deux fois- ni plus, ni moins, l’Ă©quivalent d’un homme sans testicules. Ou qui ne savait pas comment s’en servir.  

Nous Ă©tions chez ses parents chez lesquels il Ă©tait retournĂ© vivre, Ă  prĂšs de quarante ans. AprĂšs s’ĂȘtre sĂ©parĂ© des mĂšres de ses deux filles. PlutĂŽt que de rester seul dans sa maison qui Ă©tait juste Ă  cĂŽtĂ©, il me l’avait montrĂ©e du doigt. Maison qui Ă©tait «fermĂ©e Â» m’avait-il appris. Ce cousin « expert Â» en vie conjugale m’avait expliquĂ© ses sĂ©parations par le fait que:

 

« L’homme a une certaine conception de la vie
 la femme en a une autre Â».

 

 

Demain, c’est la Saint Valentin et l’on va Ă  nouveau nous rappeler que l’Amour peut tout et est plus fort que tout. Lorsque j’étais cĂ©libataire, je l’ai beaucoup pensĂ©. Que ce soit lorsque j’accumulais les histoires Ă  la « mords moi le nƓud Â».  Ou lorsque j’ai concentrĂ© tant de solitude que j’étais dans une quĂȘte affective rĂ©guliĂšre. A une Ă©poque, le livre Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq m’a beaucoup parlĂ©. Comme son adaptation cinĂ©matographique ensuite par Philippe Harel avec lui-mĂȘme et JosĂ© Garcia dans son premier grand rĂŽle dramatique.

 

Si j’ai rarement enviĂ© la place de ces amis et connaissances qui se sont mariĂ©s et ont ensuite fait des enfants selon un protocole bien Ă©tabli avec, pour certains, l’achat de la maison, j’ai pu davantage leur envier cette impression de « complĂ©tude Â» affective que je voyais chez eux. Alors que moi, je devais assez rĂ©guliĂšrement partir Ă  la chasse afin de m’assurer un minimum de subsistance affective. MĂȘme si j’ai aussi connu des moments trĂšs agrĂ©ables, tout seul, tranquillement dans mon coin. Sauf que cette solitude demeurait aussi lorsque j’avais Ă  nouveau des besoins affectifs. 

 

J’ai aussi pu ĂȘtre trĂšs docte en prĂ©sence des parents de certaines de mes copines. Je m’entendais bien en gĂ©nĂ©ral avec les parents de mes copines. Et j’aimais discuter. Je me rappelle avoir placĂ© en plein repas chez les parents d’une de mes copines, avoir lu que beaucoup de couples se sĂ©paraient parce-que la femme refusait de faire des fellations. Est-ce mon insouciance ou l’ouverture d’esprit de celle qui aurait pu devenir ma belle-mĂšre ? Mais celle-ci s’était alors mise Ă  rire tandis que le pĂšre, lui, n’avait fait aucun commentaire. Et ma copine, d’alors, quant Ă  elle, ne m’en avait pas voulu. Cela n’a pas Ă©tĂ© ensuite la raison de notre sĂ©paration.

 

Aujourd’hui, je trouve que les relations entre les femmes et les hommes sont devenues encore plus difficiles. L’Amour, le dĂ©sir, il n’y a rien de plus facile. C’est la partie, ou les parties, sans jeux de mots, les plus faciles d’une relation pourvu, bien-sĂ»r, que celles-ci soient partagĂ©es.

 

Ensuite, ça se crispe lorsque la relation commence Ă  s’établir ou cherche Ă  s’établir. Selon les mƓurs. Selon l’époque. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’un homme a le choix entre ĂȘtre parfait ou ĂȘtre un goret. Qu’est-ce qu’ĂȘtre parfait ? Personne ne le sait vraiment, c’est ça qui est drĂŽle.

 

Gare de Paris St Lazare, dimanche 13 février 2022.

 

Est-ce qu’une personne parfaite, femme ou homme, a plus de chances qu’une autre de plaire ? Bien-sĂ»r que non. Ce serait mĂȘme plutĂŽt le contraire. Ça, aussi, c’est drĂŽle.

 

RĂ©cemment, j’ai prĂȘtĂ© Ă  une collĂšgue la trilogie Pusher de Nicholas Winding Refn. J’attends qu’elle me donne son avis. J’ai nĂ©anmoins d’abord fait la grimace lorsqu’elle m’a dit, qu’en « Ă©change Â», elle me prĂȘterait le dernier livre de Mona Chollet, RĂ©inventer l’amour dont j’avais entendu parler et Ă  propos duquel j’ai lu des trĂšs bonnes critiques.

Je lui ai exprimĂ© mes rĂ©serves. Et cette collĂšgue s’est empressĂ©e de me rassurer.

 

Je lis trĂšs facilement, je crois, des Ɠuvres de femmes ou ayant trait aux relations humaines comme aux sentiments. Mais il s’exprime dĂ©sormais, en France, une telle exigence Ă  propos de la façon dont doit ou devrait se comporter Ă  peu prĂšs tout homme pour ĂȘtre considĂ©rĂ© comme Ă  peu frĂ©quentable pour certaines femmes que je deviens mĂ©fiant devant ce type d’ouvrage qui traite de “l’Amour” tel qu’il pourrait ou devrait ĂȘtre entre les hommes et les femmes.

 

Par exemple, je suis dĂ©sormais trĂšs suspicieux lorsqu’un homme, fut-il sincĂšre, se dĂ©clare « fĂ©ministe».  Car, pour moi, ce terme peut ĂȘtre une formule plus qu’une pratique. Comme les termes « communication Â», « gay friendly Â», « tolĂ©rance Â» « ouverture d’esprit Â» qui font trĂšs jolis dans une conversation et sont faciles Ă  prononcer. Et sont Ă  la portĂ©e de n’importe qui.  En thĂ©orie. Comme les termes « chaleureux Â», « familial Â», « dĂ©mocratie Â», « Ă©lĂ©gance Â» peuvent aussi faire trĂšs joli dans une prĂ©sentation ou dans un discours.

 

Certaines expĂ©riences et rencontres sont nĂ©cessaires pour Ă©voluer et pour apprendre.  Mais pour cela, il faut au moins que deux personnes d’horizons assez diffĂ©rents acceptent de se rencontrer un minimum.  Alors que j’ai l’impression que pour certaines personnes, tous les Savoirs sont innĂ©s ou devraient l’ĂȘtre. Non. MĂȘme si l’on est volontaire, certains Savoirs doivent s’acquĂ©rir et il nous est impossible de les deviner mĂȘme si ces Savoirs sont Ă©vidents pour d’autres.

 

Paris, Place de la Madeleine, Dimanche 13 février 2022.

 

 

Par exemple, certaines personnes croient encore que les enfants sont « le ciment du couple Â». Et que les attentions portĂ©es en tant que parents aux enfants sont interchangeables avec les attentions portĂ©es au dĂ©part au couple. Pour ces personnes, ĂȘtre parents, s’occuper des enfants, justifie d’oublier tout ce qui a trait au couple et a pu donner envie Ă  l’autre d’ĂȘtre en couple avec nous.  Ainsi certaines personnes ignorent ou tiennent Ă  ignorer que l’absence ou le manque de fantaisie, la routine, le manque d’optimisme permanent ou rĂ©pĂ©titif, les tĂąches quotidiennes et mĂ©nagĂšres toujours prioritaires peuvent tuer un couple ou une relation d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale. 

 

Et si l’Amour et le dĂ©sir sont les stimulants du dĂ©part de feu d’une rencontre, et sont plus glamours, les peurs communes- et souvent invisibles- que l’on partage avec l’autre sont souvent plus «responsables Â» de ce qui nous pousse Ă  aller vers une personne plutĂŽt que vers une autre. Mais aussi Ă  rester avec elle ou Ă  la quitter.

 

La violence sexuelle meurtriĂšre et condamnable de certains hommes vient peut-ĂȘtre aussi du fait que la sexualitĂ©, imposĂ©e mais aussi consentie de part et d’autre, reste un critĂšre de jugement moral, d’estime de soi et de la valeur qui nous est attribuĂ©e. La sexualitĂ© que l’on a nous donne un certain sentiment  d’importance. Mais aussi un certain sentiment de puissance. Y compris en termes de puissance de sĂ©duction. L’expression ” ĂȘtre un bon coup” ou “ĂȘtre un bon parti” peut autant s’appliquer Ă  un homme qu’une femme. Que l’on parle de sa valeur et de son prestige social ou de sa valeur sexuelle.

 

Si un homme violeur abuse de sa force et impose sa puissance, il est des femmes qui se sentent aussi puissantes Ă  sĂ©duire, y compris sexuellement, des femmes ou des hommes, qu’elles dĂ©sirent ou convoitent. Un film sorti rĂ©cemment relate la derniĂšre histoire de l’Ă©crivaine Marguerite Duras avec un homme nettement plus jeune qu’elle et, d’aprĂšs ce que j’ai compris, si tous deux ont pu aimer parler littĂ©rature, Duras a aussi beaucoup apprĂ©ciĂ© en profondeur le “style” du corps de son dernier amant. On doit pouvoir parler pour elle d’une sexualitĂ© rĂ©solument carnivore. Et, j’ai cru comprendre qu’Edith Piaf, aussi, avait pu aussi avoir une sexualitĂ© particuliĂšrement vorace. Ou Amy Winehouse

Donc, la sexualitĂ© peut aussi ĂȘtre une arme de puissance pour une femme. Y compris pour tenir ou retenir une partenaire ou un partenaire. L’expression « tenir quelqu’un par les couilles Â» me semble trĂšs explicite de ce point de vue. MĂȘme si, depuis, nous avons connu un ancien PrĂ©sident amĂ©ricain qui a pu se vanter d’ĂȘtre incapable de s’empĂȘcher d’attraper les femmes « par la chatte Â».

 

La sexualitĂ©, que l’on soit peu ou beaucoup portĂ© dessus, garde, je crois, tant pour les femmes que pour les hommes, une importance particuliĂšre dans les relations.

 

Rares sont les personnes, hommes ou femmes, qui se vantent ou se valorisent d’avoir peu de relations sexuelles. Au mieux, certaines personnes affirmeront que la sexualitĂ© a pour elles assez peu d’importance ou en a moins qu’à une Ă©poque de leur vie. Sauf bien-sĂ»r si ces personnes Ă©voluent dans un univers oĂč la sexualitĂ© est limitĂ©e Ă  certaines fonctionnalitĂ©s telles que, au hasard, sĂ©duire une partenaire ou un partenaire afin de crĂ©er un couple, procrĂ©er. Ou si, « bien-sĂ»r Â», la sexualitĂ© est perçue comme une activitĂ© amorale ou proscrite.

 

Au dĂ©part, je voulais appeler cet article La femme dans l’homme. En m’inspirant un peu de la rĂ©ponse de l’artiste Catherine Lara Ă  cette question qui lui avait Ă©tĂ© posĂ©e il y a plusieurs annĂ©es :

 

« Que regardez-vous en premier chez un homme ? Â».

RĂ©ponse de Catherine Lara : «  Sa femme Â».

Paris, dimanche 13 février 2022, Bd Raspail.

 

 Puis, je me suis dit qu’un titre pareil- La femme dans l’homme- Ă©tait un petit peu trop vieux jeu. Ou que cela ferait “trop” typĂ© hĂ©tĂ©ro. Puisqu’aujourd’hui, on parle plus facilement de relations amoureuses entre deux personnes du mĂȘme sexe, mais aussi d’un autre « genre Â». J’ai appris rĂ©cemment que le terme « cisgenre Â» est un terme qui serait moins discriminant Ă  employer afin d’éviter d’exclure toutes les personnes qui sont extĂ©rieures ou Ă©trangĂšres aux normes hĂ©tĂ©rosexuelles standards.

 

Pourtant, malgrĂ© mes « efforts Â», cet article apparaĂźtra encore trop normĂ© et trop guindĂ© pour certaines Valentine et certains Valentin. Mais, au moins, aurais-je essayĂ© d’aborder ce sujet de l’Amour avec mes propres pensĂ©es et sincĂ©ritĂ©. Sans me contenter de rĂ©citer.

 

Bonne Saint Valentin !

 

Franck Unimon, ce dimanche 13 février 2022.

 

 

 

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Cinéma self-défense/ Arts Martiaux

Les MaĂźtres de l’AĂŻkido

Photo de couverture : Morihei Ueshiba au Kobukan Dojo en 1931 Ă  48 ans. Photo en mĂ©daillon : Morihei Ueshiba Ă  l’AĂŻkikai Hombu Dojo en 1967 Ă  l’Ăąge de 84 ans.

 

Les MaĂźtres de l’AĂŻkido (Ă©lĂšves de MaĂźtre Ueshiba PĂ©riode d’Avant Guerre) : Interviews recueillies par Stanley A.Pranin

 

Il existe un contraste saisissant entre l’admiration trĂšs haute encore portĂ©e Ă  MaĂźtre Morihei Ueshiba ( dĂ©cĂ©dĂ© en 1969), fondateur de l’AĂŻkido, art martial crĂ©Ă© au vingtiĂšme siĂšcle, par les pratiquants ou les adeptes de l’AĂŻkido. Et l’image publique de l’AĂŻkido au moins dans le monde du « combat Â» sous ses diverses dĂ©clinaisons :

 

« Ce n’est pas efficace Â». « C’est de la danse Â».

 

Ces propos pour dĂ©finir l’AĂŻkido sont devenus tellement banals qu’ils sont pratiquement devenus l’équivalent d’un sixiĂšme sens. C’est une Ă©vidence. Sans mĂȘme avoir particuliĂšrement pratiquĂ© l’AĂŻkido, si l’on doit s’orienter vers un art martial ou un sport de combat efficace en matiĂšre de self-dĂ©fense, on choisira plutĂŽt une discipline aux rapports et contacts explosifs, directs, frontaux, brutaux et incapacitants qui nous convaincra, Ă  condition bien-sĂ»r de survivre Ă  l’entraĂźnement comme Ă  son intensitĂ© cardiaque, qu’avec quelques coups bien placĂ©s, on pourra (se) sauver la mise en cas de rencontre avec un ou plusieurs agresseurs.

 

 Aucun des grands champions actuels ou de ces vingt Ă  trente derniĂšres annĂ©es, femme ou homme confondus, ne se rĂ©clame de l’AĂŻkido. Que ces combattants Ă©voluent dans des Ă©preuves « traditionnelles Â» pour un match de boxe, sur un tatamis ou en Free Fight, on entendra souvent formulĂ©es dans leur CV des disciplines telles, dans le dĂ©sordre, que le Ju-Jitsu brĂ©silien, le Pancrace, la Boxe ThaĂŻ, la boxe anglaise ou française, le Judo, la lutte, le Sambo, le Pancrace, le Penchak silat, peut-ĂȘtre le Krav Maga ou le Sistema, peut-ĂȘtre le KaratĂ©, peut-ĂȘtre le Kung-Fu.

 

Mais rarement, voire jamais, l’Aïkido.

 

Regards sur l’AĂŻkido dans la rue et au cinĂ©ma

 

 

Si l’on parle du Judo, on peut tomber sur un stade portant le nom du judoka Teddy Riner, judoka français, plusieurs fois champion olympique, multiple champion du monde, et encore en activitĂ©. J’ai fait cette dĂ©couverte cette semaine, alors que j’ai dĂ» changer d’itinĂ©raire pour me rendre au travail vu qu’il se trouvait un colis suspect dans un train Ă  la gare d’Argenteuil. AprĂšs avoir pris le bus 140 depuis la gare d’Argenteuil, j’ai ensuite dĂ» me rabattre vers la ligne 13 du mĂ©tro Ă  AsniĂšres pour me rendre au travail. LĂ , j’ai dĂ©couvert ce stade Teddy Riner.

 

 

Je ne connais pas, pour l’instant, de stade Multisports ou de gymnase qui porte le nom de Morihei Ueshiba.

 

Si l’on parle Kung-Fu, plusieurs annĂ©es aprĂšs sa mort ( en 1973, soit “seulement” quatre ans aprĂšs celle de Morihei Ueshiba) l’aura de Bruce Lee reste intacte. MĂȘme des journalistes intellectuels Ă©margeant dans les Cahiers du cinĂ©ma pourraient raconter dans un livre l’émotion qu’a constituĂ©e, plus jeune, pour eux, le fait de voir Bruce Lee au cinĂ©ma. En outre, depuis son dĂ©cĂšs, d’autres personnalitĂ©s ont perpĂ©tuĂ© ce prestige du Kung-Fu. Jackie Chan, Jet Li,  Donnie Yen ou des productions cinĂ©matographiques amĂ©ricaines telles que Matrix ou Kill Bill voire “françaises” ( Crying Freeman, 1995, par Christophe Gans avec l’acteur/artiste martial Mark Dacascos). Sans oublier bien-sĂ»r d’innombrables productions asiatiques telles The Grandmaster ( 2013) de Wong-Kar WaiThe Assassin ( 2015) de Hsou Hsia Hsien ou encore The Blade ( 1996) de Tsui Hark. Et bien d’autres.

 

Le KaratĂ© ne semble pas souffrir d’une trop grosse dĂ©cote dans la perception que le grand public en a. En outre, souvent, Kung Fu et KaratĂ© se confondent dans l’esprit de beaucoup de personnes.

 

Le Penchak Silat, art martial indonĂ©sien, effectue une percĂ©e depuis quelques annĂ©es au moins depuis le film The Raid ( 2011) avec l’acteur  Iko Uwais. Acteur/artiste martial que l’on peut revoir dans 22 Miles ( 2018) de Peter Berg aux cĂŽtĂ©s de Mark Whalberg, John Malkovich, Ronda Rousey ( ex championne du monde Free Fight, mais aussi ex-mĂ©daillĂ©e olympique de Judo auparavant
), Iko Uwais sera apparemment dans Expandables 4 en 2022.

 

 

S’il existe des modes qui poussent davantage le grand public vers certains styles de combat, disons que certaines mĂ©thodes de combat dĂ©jĂ  « connues Â» telles que la boxe (thaĂŻ, anglaise, française), le judo voire le karatĂ© restent des expĂ©riences incontournables au moins pour dĂ©buter.

 

Alors que du cĂŽtĂ© de l’AĂŻkido, cela se passe diffĂ©remment. D’abord, d’un point de vue cinĂ©matographique, il faut peut-ĂȘtre remonter jusqu’à Steven Cigale ( Seagal, bien-sĂ»r) dans les annĂ©es 90 pour avoir un hĂ©ros d’un film Ă  grand succĂšs, adepte de l’AĂŻkido. Mais Seagal a laissĂ© bien moins de souvenirs qu’un Bruce Lee, qu’un Jackie Chan, qu’un Jet Lee ou qu’un Jean-Claude Vandamme. Donc, concernant la perception de l’AĂŻkido au cinĂ©ma, il y a un dĂ©ficit grandiose en termes d’images. Aujourd’hui, mĂȘme l’acteur Jason Statham, que ce soit dans Le Transporteur ou dans Expendables, est bien plus connu que Steven Seagal. Idem pour Keanu Reeves/ John Wick ou Tom Cruise/ Jack Reacher. Aucune de ces grandes vedettes anglo-saxonnes ne pratique devant la camĂ©ra un art martial permettant d’identifier ou de penser Ă  l’AĂŻkido.

 

Par ailleurs, Steven Seagal a peu ƓuvrĂ© pour la crĂ©dibilitĂ© de l’AĂŻkido en tant qu’art martial mais aussi comme art
.de vivre. Et en parlant « d’art de vivre Â», on se rapproche de ce qui explique sans doute, aussi, en partie, ce qui peut rebuter dans l’apprentissage mais aussi dans la dĂ©couverte de l’AĂŻkido.

 

On peut se battre mais on ne peut pas se battre

 

L’art de vivre, c’est autant la façon de combattre. Que la façon de percevoir le monde et son entourage. Et, dans ces quelques domaines, on peut dire que l’AĂŻkido tranche beaucoup avec la plupart des arts martiaux, disciplines et formes de combats citĂ©es prĂ©cĂ©demment. Puisqu’à la percussion et au rentre-dedans de ces autres disciplines oĂč le KO ou le Ippon peut ĂȘtre recherchĂ© de façon compulsive, l’AĂŻkido prĂ©fĂšre « l’harmonisation Â» avec l’opposant. Mais, aussi, l’absence de compĂ©tition. Donc, on peut se battre. Mais on ne peut pas se battre. Dans un monde oĂč il s’agit d’ĂȘtre le meilleur ou de dominer, l’AĂŻkido dĂ©tonne. Surtout lorsqu’on le connaĂźt trĂšs mal.

 

La cérémonie du thé

 

Ainsi, Maitre Takako Kunigoshi, nĂ©e en 1911, la seule femme interviewĂ©e parmi les Maitres, a arrĂȘtĂ© de pratiquer et d’enseigner l’AĂŻkido depuis des annĂ©es lorsque Stanley A. Pranin vient la rencontrer Ă  son domicile d’abord en 1981 puis en 1992. Elle vit alors dans une semi-retraite et donne des cours de CĂ©rĂ©monie du ThĂ©. Une activitĂ© qui n’a a priori rien de martiale pour le profane. Jusqu’Ă  ce qu’elle affirme au cours de l’interview :

” Je passe la plus grande partie de mon temps Ă  pratiquer la cĂ©rĂ©monie du thĂ©, mais quand je tiens la louche en bambou, c’est comme si je tenais un sabre. J’ai cette sensation et je me souviens de ce que O-Sensei nous disait. Que ce soit la cĂ©rĂ©monie du thĂ© ou l’arrangement floral, il existe des points communs avec l’AĂŻkido car le ciel et la terre sont faits de mouvement et de calme, de lumiĂšre et d’ombre. Si tout Ă©tait continuellement en mouvement il y aurait un complet chaos”. 

Et, plus tard, Maitre Takako Kunigoshi conclut :

 

” (….) je suis persuadĂ©e que toutes les nations du globe ont accĂšs Ă  la mĂȘme vĂ©ritĂ©. Quand le soleil brille, il y a forcĂ©ment des ombres. Je pense que l’on peut dire la mĂȘme chose des arts martiaux”.

 

Kendo et AĂŻkido 

 

Le Kendo, art martial Ă  la pratique assez confidentielle qui a des points communs avec l’AĂŻkido, a pour lui  les assauts physiques visibles, audibles et puissants. Alors qu’avec l’AĂŻkido, on a l’impression que tout se passe ou se passerait en douceur. Comme si l’AĂŻkido consistait Ă  tomber d’un arbre en se dĂ©tachant d’une branche Ă  la façon d’une feuille. Ce qui est difficile Ă  faire concilier avec la soudainetĂ© et la violence des attaques et des agressions du monde.

 

Un temps d’apprentissage fastidieux

 

Et puis, il y aussi un autre aspect qui rebute dans l’AĂŻkido. Et tout enfant en nous a sans doute connu ça, si, un jour, il a eu Ă  choisir entre le judo, le karatĂ©, la boxe thaĂŻ ou l’AĂŻkido. L’AĂŻkido prend du temps. Il est assez difficile de sortir du premier cours en se disant que l’on a maitrisĂ© une technique. Autant, en judo, en karatĂ© ou en boxe thaĂŻ, on peut avoir l’illusion d’apprendre trĂšs vite et de voir rapidement nos progrĂšs, autant en AĂŻkido, le temps d’apprentissage peut devenir fastidieux. DĂ©courageant. Frustrant. TrĂšs technique, trĂšs exigeant, l’AĂŻkido refuse sans doute durement les erreurs de placement comme d’intention. Alors que dans d’autres disciplines, on peut plus facilement  masquer ou compenser – ou essayer de le faire- nos lacunes techniques par notre engagement physique et notre « combativitĂ© Â».

 

Quelques Maitres actuels qui s’y « connaissent Â» en AĂŻkido

 

Je parle d’AĂŻkido mais je n’en n’ai jamais pratiquĂ©. J’ai lu Ă  son sujet. J’ai croisĂ© deux ou trois personnes, deux ou trois Maitres, encore vivants, qui, eux, le pratiquent et l’enseignent chacun Ă  leur maniĂšre Ă  Paris et ailleurs :

Maitre Jean-Pierre Vignau ( Arts Martiaux : un article inspirĂ© par Maitre Jean-Pierre Vignau), Maitre RĂ©gis Soavi ( Dojo Tenshin-Ecole Itsuo Tsuda/ sĂ©ance dĂ©couverte), Maitre LĂ©o Tamaki (Dojo 5).

C’est du reste en lisant une des interviews rĂ©alisĂ©es par Maitre LĂ©o Tamaki que j’ai fait la connaissance de Maitre Jean-Pierre Vignau avec lequel j’ai commencĂ© Ă  pratiquer depuis deux semaines. Et c’est en lisant ou en regardant, je crois, une interview de Maitre LĂ©o Tamaki que j’ai entendu parler pour la premiĂšre fois de Stanley A. Pranin et de cet ouvrage. C’est aussi en regardant une vidĂ©o d’une rencontre entre Greg MMA et LĂ©o Tamaki et en Ă©coutant celui-ci faire un peu l’historique de l’AĂŻkido que j’ai commencĂ© Ă  avoir une autre perception de l’AĂŻkido et Ă  davantage le voir pour ce qu’il est Ă  l’origine : un Art martial. 

L’association de la pratique d’un haut niveau, d’une bonne culture concernant la discipline enseignĂ©e et d’un goĂ»t pour la pĂ©dagogie me semble bien dĂ©finir Maitre LĂ©o Tamaki.

C’est ce que je recherche chez un Maitre ou un enseignant. Aptitudes que j’ai aussi trouvĂ©es chez Maitre Jean-Pierre Vignau ainsi que chez Maitre RĂ©gis Soavi. Mais aussi chez Yves,  Jean-PierreCarmelo et d’autres moniteurs d’apnĂ©e ( ou de plongĂ©e) rencontrĂ©s dans le club d’apnĂ©e – et ailleurs- oĂč je m’entraĂźne aussi. Ou chez Jean-Luc Ponthieux, mon ancien prof de guitare basse au conservatoire d’Argenteuil. Lorsque je croyais encore pouvoir apprendre Ă  en jouer. Sans pratiquer rĂ©guliĂšrement et avec les autres….

 

Quelques enseignements de ce livre de Stanley A. Pranin

 

Ce livre d’interviews paru en 1993 dans sa version anglaise puis en 1995 dans sa version française est dĂ©sormais assez difficile Ă  trouver. On le trouve en seconde main Ă  un prix assez Ă©levĂ©. J’ai achetĂ© le mien environ 60 euros. Je ne le regrette pas.

 

La plupart des personnes, pour ne pas dire pratiquement toutes celles interviewĂ©es et impliquĂ©es dans cet ouvrage, ainsi que l’intervieweur, Stanley A. Pranin, sont dĂ©sormais dĂ©cĂ©dĂ©es ce vendredi 11 fĂ©vrier 2022 alors que dĂ©bute la rĂ©daction de cet article.

 

Et ces personnes sont dĂ©cĂ©dĂ©es depuis plusieurs annĂ©es. ( Stanley A. Pranin, nĂ© en 1945, est lui-mĂȘme dĂ©cĂ©dĂ© en 2017). Elles n’entendront jamais parler de la pandĂ©mie du Covid, de GĂ©rald Darmanin, du pass vaccinal
.

 

Mais grĂące Ă  Stanley A.Pranin, Ă  son abattage et Ă  sa culture considĂ©rables au moins dans le domaine de l’AĂŻkido, abattage et culture dont ce livre rend trĂšs bien compte, on apprend un peu mieux ce qu’est ou peut-ĂȘtre l’AĂŻkido. Car l’AĂŻkido, finalement, reste un art mystĂ©rieux. Voire “fantĂŽme”. 

 

 

Premier enseignement : une certaine polyvalence martiale.

 

Cela m’a pris du temps pour le comprendre et cela se vĂ©rifie Ă  nouveau avec ces Maitres interviewĂ©s (une seule femme parmi ces Maitres, Maitre Takako Kunigoshi, c’est dommage et cela rend aussi son tĂ©moignage d’autant plus important) qui ont Ă©tĂ© Ă©lĂšves de Maitre Ueshiba avant la Seconde Guerre Mondiale :

 

Tous les Maitres d’Arts martiaux, quelle que soit la discipline ou l’Art martial qu’ils dĂ©cident ensuite d’enseigner, ont souvent un gros bagage d’expĂ©riences dans plusieurs arts martiaux ou techniques de combats. « Gros bagage Â», cela signifie qu’ils ont souvent un bon voire un trĂšs bon niveau dans d’autres disciplines martiales. Niveau obtenu au moins grĂące Ă  une certaine quantitĂ© d’entraĂźnements. Dans ce livre, on apprend par exemple que les Uchideshis s’entraĂźnaient
quatre fois par jour. Et on ne parle lĂ  que de leur pratique de l’AĂŻkido avec Maitre Ueshiba. On ne parle pas du vĂ©cu martial qu’avaient dĂ©jĂ  ces uchideschis avant de rencontrer Maitre Ueschiba. La plupart de ces Maitres avaient souvent dĂ©butĂ© enfants leur apprentissage martial. Et on parle d’un peu plus que deux Ă  trois sĂ©ances d’entraĂźnement.

Ainsi, Maitre Ueshiba, avant de faire la rencontre de Maitre Sokaku Takeda qui allait lui enseigner le Daito-Ryu, un art martial six fois centenaire et secret, qui, en grande partie, allait lui inspirer l’AĂŻkido, avait auparavant vĂ©cu diverses expĂ©riences martiales soutenues. Un des Maitres interviewĂ©s dĂ©crivant Maitre Ueshiba comme une personne qui Ă©cumait en quelque sorte les lieux d’enseignement martial. Tant il aimait ça ! Par ailleurs, Maitre Ueshiba avait pu compter sur le soutien moral mais aussi financier de son pĂšre et d’un de ses oncles. Tant pour faire venir et  hĂ©berger un professeur de judo Ă©mĂ©rite et rĂ©putĂ© Ă  la maison pour des cours particuliers. Que pour faire construire un dojo pouvant permettre Ă  Maitre Ueshiba, devenu adulte, de pratiquer et d’enseigner dans de bonnes conditions.

 

A cette ferveur martiale, Maitre Ueshiba allait ajouter une ferveur religieuse au travers de la secte religieuse Omoto suite Ă  sa rencontre avec le prĂ©dicateur Onisaburo Deguchi. A la lecture de cet ouvrage, on comprend que les deux ferments de cette ferveur ont beaucoup contribuĂ© Ă  transformer Maitre Ueshiba en ce futur fondateur de l’AĂŻkido qu’il est ensuite devenu. 

 

Second enseignement : une ferveur martiale et spirituelle.

 

Car tous ces Maitres interviewĂ©s par Stanley A. Pranin se caractĂ©risent par un engagement profond dans l’apprentissage de leur pratique. Non seulement, elles et ils s’entraĂźnaient rĂ©guliĂšrement. Mais, en plus, avec implication. L’esprit « il fait froid et il pleut aujourd’hui, je n’ai pas trop envie de sortir m’entraĂźner Â» ne faisait pas partie d’eux. On parle ainsi, au moins, de Maitre Gozo Shioda ( Ă©galement interviewĂ© dans ce livre) qui venait au cours « religieusement Â». Mais aussi du mĂȘme, qui, comme d’autres Uchideshis, avait « les larmes aux yeux Â» – tant l’entraĂźnement pouvait ĂȘtre douloureux- lorsqu’il servait de UkĂ© Ă  Maitre Noriaki Inoue dont l’interview ouvre le livre.

 

Le jour du « ShinaĂŻ Â»

 

Par ailleurs, les Ă©lĂšves Ă©taient incitĂ©s Ă  donner constamment le meilleur d’eux-mĂȘmes. L’entraĂźnement pouvait ĂȘtre sĂ©vĂšre, sans doute militaire, voire humiliant. Un des Maitres (Maitre Kiyoshi Nakakura )raconte comment il avait Ă©tĂ© brutalement puni pour, nĂ©gligemment, peut-ĂȘtre sous l’effet de la fatigue, avoir marchĂ© sur le shinaĂŻ d’un de ses camarades. On est donc trĂšs loin d’une expĂ©rience du sport loisirs ou du sport Fitness ou Crossfit telle qu’elle s’est dĂ©veloppĂ©e dans les pays occidentaux depuis les annĂ©es 80. Ou il s’agit principalement de perdre des calories, de sculpter sa silhouette pour des raisons esthĂ©tiques et narcissiques. Et non d’apprendre Ă  vivre ou Ă  se connaĂźtre, en quelque sorte.

 

Pour se faire une idĂ©e du quotidien d’un Uchideshi, un Ă©lĂšve qui reste sur place auprĂšs du Maitre qui l’accepte et le forme, on peut se procurer le livre de Maitre Jacques Payet, Uchideshi ( Dans les pas du MaĂźtre), paru en 2021. Maitre Jacques Payet a Ă©tĂ© un des Ă©lĂšves de Maitre Gozo Shioda pendant cinq ans dans les annĂ©es 80 durant cinq ans au Japon. Pour cela, Jacques Payet avait quittĂ© La RĂ©union, son Ăźle natale, alors qu’il ne parlait pas ou trĂšs peu Japonais. J’ai aimĂ© lire son livre il y a plusieurs mois. Un livre que je n’ai malheureusement pas-encore- pris le temps de chroniquer pour l’instant. Car j’avais alors optĂ© pour parler d’un livre consacrĂ© Ă  l’actrice
 BĂ©atrice Dalle ( Que Dalle un livre sur l’actrice et comĂ©dienne BĂ©atrice DalleBĂ©atrice DalleBĂ©atrice Dalle, trois fois..)

 

EspĂ©rons que cette distraction ne me portera pas prĂ©judice. Et que je n’aurai pas Ă  connaĂźtre pour cela le mĂȘme chĂątiment que Maitre Kiyoshi Nakakura «  le jour du ShinaĂŻ Â».

Pour l’instant, Ă  Paris, pour le peu que j’ai vu, c’est au Dojo Tenshin-Ecole Itsuo Tsuda de Maitre RĂ©gis Soavi, que l’on se rapproche le plus, de maniĂšre attĂ©nuĂ©e, du quotidien d’un Uchideshi “traditionnel”. Pour les horaires matinaux des cours ( Ă  6h30, en semaine, Ă  8h les week-end)du lundi au vendredi. Pour l’implication personnelle des pratiquants dans l’entretien et la vie du lieu. ( Dojo Tenshin-Ecole Itsuo Tsuda/ sĂ©ance dĂ©couverte et Trois Maitres + Un).

 

Enfin, dans Les Maitres de l’AĂŻkido, on comprend facilement en lisant les rĂ©ponses et les tĂ©moignages de ces Maitres- et de Maitre Takako Kunigoshi– que l’AĂŻkido qu’ils pratiquaient n’avait strictement rien Ă  voir avec cette « danse Â» Ă  laquelle il peut ĂȘtre aujourd’hui rĂ©guliĂšrement associĂ©. Et que c’est un art martial « efficace Â» pour qui le maitrise et le comprend.

 

Un ami des chiens

 

Dans son interview, Maitre Gozo Shioda raconte par exemple comment, Ă  une Ă©poque, il allait s’entraĂźner au petit matin, en allant en quelque sorte dĂ©fier des chiens sauvages du voisinage. Il Ă©voque le fait d’avoir Ă©tĂ© mordu quelques fois et parle aussi de ce moment oĂč les yeux des chiens deviennent « vitreux Â», expliquant que cela signifie qu’ils vont attaquer. Et, lorsqu’ensuite, Maitre Gozo Shioda regrette la mort de ces chiens, il est difficile de savoir s’il est triste d’avoir perdu des « compagnons Â» d’entraĂźnement. Ou s’il regrette d’avoir dĂ» les tuer lors d’un de ses entraĂźnements. Quoiqu’il en soit, ce genre d’anecdote, racontĂ©e en toute simplicitĂ©, contredit la vision de l’AĂŻkido comme Ă©tant un art martial inoffensif. Car, Ă  ce jour, je n’ai pas encore entendu parler d’un pratiquant de boxe anglaise, de Krav Maga, de Pancrace, de Ju-jitsu brĂ©silien ou autre qui serait rĂ©guliĂšrement parti au petit matin afin de s’entraĂźner Ă  combattre, seul et Ă  mains nues apparemment, des chiens errants.

 

 

AĂŻkido et Zen

 

L’interview de Maitre Kisshomaru Ueshiba, un des fils de Maitre Ueshiba, clĂŽture l’ouvrage. Maitre Kisshomaru Ueshiba est celui qui a prolongĂ© l’Ɠuvre de son pĂšre et a contribuĂ© Ă  la reconnaissance internationale de l’AĂŻkido. Que ce soit par des enseignements, des ouvrages ou en autorisant le dĂ©part d’instructeurs japonais Ă  l’étranger.

Dans son interview, pleine de franchise, franchise Ă©galement prĂ©sente dans les autres interviews, Maitre Kisshomaru Ueshiba souligne l’importance de la spiritualitĂ© dans la pratique de l’AĂŻkido.

 

Ainsi, il dit vers la fin de son interview (synthĂšse d’interviews rĂ©alisĂ©es Ă  son domicile entre 1978 et 1988) :

 

« Mon AĂŻkido insiste sur l’esprit ( Kokoro). En AĂŻkido, le mental est important. Mon pĂšre avait crĂ©e cette discipline comme une voie chevaleresque qui ne comprenait aucune compĂ©tition Â».

 

(
.) « D’une certaine maniĂšre, il existe une correspondance entre l’AĂŻkido et le Zen. Notre discipline implique un complet changement des formes mentales (
.) Â».

 

J’aimerais que cet article puisse contribuer Ă  restaurer l’image de l’AĂŻkido mais aussi Ă  mieux comprendre l’un des buts des Arts Martiaux qui consiste aussi Ă  apprendre que : Toujours chercher Ă  ĂȘtre ou Ă  devenir le plus fort ou la plus forte, c’est aller Ă  sa perte.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 11 février 2022.