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Terminal sud

 

 

 

 

photo issue du site allociné.

 

 

 

 

Deux jours avant la tournĂ©e du Black Friday ( + deux milliards d’euros pour Jeff Bezos « d’Amazon», première fortune du monde, lors du Black Friday 2017 selon Le Canard EnchaĂ®nĂ© de ce mercredi 27 novembre 2019) , regarder le sixième film de Rabah Ameur-Zaimèche depuis son Wesh Wesh de 2002 Ă  Montfermeil ( oĂą il a grandi) nous donne des allures d’homme de conscience. Scions  cette illusion : mĂŞme si nous faisons maintenant partie de la petite « confrĂ©rie Â» qui aura vu ce film qui sera beaucoup moins validĂ© que Les MisĂ©rables de Ladj Ly ( Les misĂ©rables 2ème partie,) nous ferons partie du  gibier dont le galop, dans deux jours, se rĂ©pandra dans la caverne des clicks et des boutiques.

 

photo issue du site allociné.

 

 

 

Le mal semble incurable. Parce qu’il est Ă©tendu et difficile Ă  apprĂ©hender. On ne sait pas par quel dĂ©but commencer.  Comme dans Terminal sud oĂą Ramzy BĂ©dia, dans le rĂ´le d’un chirurgien, a beau soigner Ă  tour de bras, pourtant, partout autour de lui, la gangrène continue de prendre.

 

photo issue du site allociné.

 

 

Dans son Terminal sud tout en résistance, comme dans la plupart des films de Rabah Ameur-Zaimèche, il est difficile de savoir si nous sommes exactement en France ou en Algérie, maintenant. Par contre, nous savons que l’époque est trouble. Que des groupes armés supposés protéger peuvent tuer de manière aveugle. Et que des journalistes, les clairvoyants et parmi les derniers maquisards, sont assassinés ou enlevés.

 

« Du haut de ma potence, je regarderai la France ! Â» Ă©tait une partie du chant qui clĂ´turait son quatrième film, Le Chant de Mandrin sorti en 2012. Ramzy BĂ©dia pourrait changer les paroles et remplacer les mots « ma potence Â» par les mot « ma conscience Â». Fils d’un rĂ©sistant lors de la guerre d’AlgĂ©rie, sa conscience mĂ©dicale lui ordonne de continuer de soigner sans faire de tri entre ses patients. Pendant que d’autres, armĂ©s, cagoulĂ©s ou Ă  visage dĂ©couvert, tranchent dans le vif. A l’hĂ´pital ou devant un blessĂ©, le « chirurgien Â» Ramzy BĂ©dia semble toujours savoir quelle dĂ©cision prendre. Dans la vie, il est dans un Ă©tat second, davantage le conjoint du whisky que celui de sa femme Hazia (la chanteuse lyrique Amel Brahim-Djelloul, pour la première fois comĂ©dienne dans un film). Il peut ĂŞtre plus facile d’affronter les plaies des autres que celles de sa propre vie.  

 

photo issue du site allociné.

 

« Tu es dans notre collimateur Â». Lorsqu’il lit en pleine nuit cette menace anonyme, ou cette ordonnance, Ă  son domicile, le chirurgien Ramzy BĂ©dia est seul. Sa femme est ailleurs. On est sans doute toujours seul lorsque l’on se fait menacer. Son ami Moh (l’acteur Slimane Dazi), le lendemain, ressemble Ă  un rĂ©pit, dans la rue, un jour de fin de marchĂ© alors que les Ă©boueurs nettoient la place. Rabah Ameur-Zaimèche prend le temps de filmer le travail des Ă©boueurs. On se demande si c’est pour nous rappeler leur  importance. Son film semble chercher le temps rĂ©el entre anachronismes, comĂ©diens plus ou moins amateurs,  Â« fidèles Â» de ses films et choix particuliers de mise en scène comme lorsque le chirurgien et sa femme Hazia sont plus tard filmĂ©s Ă  contre-jour chez eux.

 

Dans Le Chant de Mandrin, Rabah Ameur-Zaimèche portait secours Ă  un « mourant Â» qui avait besoin de soins et l’acteur Jacques Nolot faisait partie des rĂ©sistants. Dans Terminal sud, soigner (tous) les autres ne suffit pas pour sauver sa peau. On peut ĂŞtre un chirurgien engagĂ© et charismatique et ĂŞtre mal entourĂ©. C’est peut-ĂŞtre pour cela que Rabah Ameur-Zaimèche entoure, lui, son film de mystère, un mystère protecteur fait d’une certaine pudeur (la scène Ă  contre-jour entre Ramzy BĂ©dia et Amel Brahim-Djelloul) mĂŞme si la violence peut aussi transparaĂ®tre dans toute sa laideur. Un film qu’il fait bien sien en y mettant quelques insignes de ses films prĂ©cĂ©dents (acteur, cheval…)

 

photo issue du site allociné.

 

A la fin, ce film est peut-être l’histoire d’une délivrance. Mais celle-ci s’obtient dans la souffrance et aussi dans la fuite.

 

Franck Unimon, ce mercredi 27 novembre 2019. 

 

 

                    

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Les misérables 2ème partie

 

                                 Les MisĂ©rables 2ème partie

 ( suite et fin de Les MisĂ©rables )  

 

La salle de cinĂ©ma Ă©tait assez remplie pour cette première sĂ©ance de 9h10. Je me demandais s’il y aurait du Rap dans Les MisĂ©rables, ce genre musical dĂ©sormais le plus Ă©coutĂ© en France chez les moins de 30-40 ans. Le film durait 1h43 (103 minutes). Il n’avait pas encore commencĂ© que je me demandais comment Ladj Ly Ă©tait parvenu Ă  dire autant en si peu de temps. La durĂ©e moyenne des films semble dĂ©sormais lorgner vers les deux heures. Si l’on pense Ă  première vue au film La Haine de Kassovitz rĂ©alisĂ© en 1995 (98 minutes) ou Ă  Wesh Wesh de Rabah Ameur-ZaĂŻmèche rĂ©alisĂ© en 2001 ( 83 minutes), son Les MisĂ©rables peut sembler « long Â». Mais il est plus court que L’Esquive (117 minutes) rĂ©alisĂ© par Kechiche en 2004 et dont l’histoire, inspirĂ©e Ă©galement d’un classique de la littĂ©rature française, est Ă©galement transposĂ© dans une citĂ© d’’aujourd’hui. Lequel Kechiche,  par la suite, a contractĂ© une sorte de « tumeur Â» de la longĂ©vitĂ© crĂ©atrice : son La Graine et le Mulet (2007) percutant ensuite les 151 minutes puis son La Vie d’Adèle (2013), les 179 minutes.

 

On comparera sĂ»rement beaucoup Les MisĂ©rables Ă  La Haine mais ce sera une limite grossière d’assigner le film de Ladj Ly au rĂ´le de la « simple Â» poursuite du film La Haine vingt quatre ans plus tard. MĂŞme si les deux films ont des Ă©vidents…ronds-points communs. Car on pourrait aussi parler de Un Prophète  (2009, 155 minutes) et de Dheepan (2015, 115 minutes), deux films rĂ©alisĂ©s par Jacques Audiard que Ladj Ly a sĂ»rement Ă©galement vu et dĂ©cortiquĂ© parmi tant d’autres. 

 

Mais reparlons de son film qui a « obtenu Â» ou « reçu Â» «  le label des spectateurs UGC Â». La première image de son film en couleurs est celle du jeune Issa sortant de son immeuble, recouvert du drapeau bleu, blanc, rouge de la France. Issa est content. Avec des copains de son âge, entre 13 et 15 ans, Issa part sur Paris fĂŞter l’éventuelle victoire de l’équipe de France de Football lors de la finale de la coupe du Monde. La liesse engagĂ©e peut d’abord faire penser Ă  celle de la France victorieuse en 1998 et c’est peut-ĂŞtre une astuce maline de Ladj Ly de nous le laisser croire. Mais dans cette image de joie, Ladj Ly dĂ©limite très vite le territoire de son cinĂ©ma :

 

Au centre, Issa, interprĂ©tĂ© par l’acteur Issa Perica.

 

Même si Issa et ses potes se rendent sur Paris et qu’on y voit des images joyeuses de la foule sur les Champs Elysées puis au Trocadéro, un plan de quelques secondes sur la gare Raincy-Montfermeil nous informe que l’histoire se déroulera là. Et non dans cette vie parisienne, plutôt bourgeoise et plutôt blanche, surreprésentée dans le cinéma français.

 

La France gagne son match de Foot et l’on entend la Marseillaise. Et, toujours pas de Rap dans le film. On en entendra très peu. A la place, un titre me monte Ă  la tĂŞte mĂŞme si je ne l’entends pas au cours du film : il s’agit du titre Angel du groupe Massive Attack sorti en 1999. Il est vrai qu’Issa est mignon et a une tĂŞte d’ange. Depuis, j’ai lu que le prĂ©nom « Issa Â» a une origine hĂ©braĂŻque et arabe, qu’il signifie «  Dieu est gĂ©nĂ©reux Â» et que c’est aussi le prĂ©nom de JĂ©sus dans le Coran. Mais je ne le sais pas en regardant Les MisĂ©rables. Par contre, je « connais Â» l’aspect vĂ©nĂ©neux et rampant du titre Angel, qui ne paie pas de mine au dĂ©part du groupe Massive Attack puis qui vous accroche Ă  l’angoisse.

 

Je « connais Â» aussi cette image d’un jeune qui a beaucoup aimĂ© la France puis qui s’en est ensuite  violemment dĂ©tournĂ© : c’est celle du terroriste Mohamed MĂ©rah dont j’ai appris que lors de la coupe de Monde de Football (de 1998 ?) il Ă©tait fier de prĂ©fĂ©rer la France Ă  l’AlgĂ©rie. Alors, d’une certaine façon, peut-ĂŞtre, je comprends que Les MisĂ©rables va nous raconter en partie comment une jeunesse peut passer de l’amour pour la France Ă  son rejet pour tout ce qui peut Ă  peu près la reprĂ©senter.

 

Bien-sĂ»r, au dĂ©but du film, devant tous ces gens contents sur les Champs-ElysĂ©es, on pense aux gilets jaunes. Car c’est « l’actualitĂ© Â» mĂ©diatique, chaque samedi, sur les Champs ElysĂ©es depuis un peu plus d’un an maintenant. Mais j’ai aussi pensĂ© aux tirailleurs vidĂ©s en 1945 du dĂ©filĂ© victorieux par le preux GĂ©nĂ©ral de Gaulle, l’inamovible rĂ©fĂ©rence historique de la fiertĂ© militaire et politique française, et dont la dĂ©cision d’alors a implantĂ© tellement de mal dans la sociĂ©tĂ© française. On dira peut-ĂŞtre que la sociĂ©tĂ© française – blanche- n’était alors pas prĂŞte Ă  recevoir des soldats arabes et noirs et  Ă  les voir marcher avec d’autres sur les Champs ElysĂ©es pour fĂŞter la fin de la Seconde guerre mondiale et la dĂ©faite de l’Allemagne nazie (antisĂ©mite mais aussi raciste, homophobe et anti-communiste). La « mixitĂ© Â» Ă©tait peut-ĂŞtre un projet de sociĂ©tĂ© plus difficile Ă  mener qu’un combat militaire. 70 ans plus tard, on se retrouve Ă  regarder un film comme Les MisĂ©rables sur grand Ă©cran.  Devant nous, des acteurs jouent les rĂ´les possibles de ces hommes et de ces jeunes  qui ont Ă©tĂ© vidĂ©s du dĂ©filĂ© victorieux de la patrie. Or, ils sont encore plein d’énergie et ont des projets. C’est lĂ  oĂą intervient la BAC qui, dans LesMisĂ©rables, est le seul contact qui reste entre cette banlieue ignorĂ©e et la RĂ©publique.

 

Il n’y a ni pit-bull ni éducateur de rue dans le film. C’est étonnant. On dirait que l’ère des pit-bull est passée de mode et que les derniers éducateurs sont partis sans avoir été remplacés.

 

Dans cet Ă©cosystème que l’on retrouve aussi dans Do The Right Thing de Spike Lee (1989, 120 minutes) et dans La CitĂ© de Dieu de Fernando Meirelles (2002, 130 minutes)  les trois flics de la BAC qui circulent  (deux blancs pour un noir), malgrĂ© leur « pouvoir Â»,  font aussi partie des misĂ©rables. On s’apercevra qu’ils sont aussi prisonniers d’une certaine misère et solitude personnelle, dans des registres diffĂ©rents, comme celles et ceux qu’ils « administrent Â» et qu’ils sont un « peu Â» les derniers Ă  le savoir.

 

MĂŞme si cela sert d’appui Ă  l’histoire, on peut ĂŞtre surpris par l’évolution rapide du « rookie Â» interprĂ©tĂ© par l’acteur Damien Bonnard : mĂŞme si l’expĂ©rience de terrain entraĂ®ne aussi le risque d’un excès d’assurance, elle apporte aussi un instinct et un savoir faire dont on s’étonne qu’ils s’expriment aussi rapidement chez le « nouveau venu Â». C’est peut-ĂŞtre lĂ  oĂą l’on peut voir du cinĂ©ma plutĂ´t qu’une vĂ©ritĂ© documentaire de tous les instants dans Les MisĂ©rables ainsi que la persistance d’un espoir dans le regard de Ladj Ly. Ou son souhait que change rapidement la façon dont la BAC peut intervenir par exemple.

 

Alternant humour, clins d’œil (le Ali BoumayĂ© rappelle aussi bien le combat de boxe Ali/ Foreman que le documentaire When we were kings de Leon Gast, 1996, 89 minutes), points de vue, subtilitĂ©s de langage, Ă©loge d’une certaine folie protectrice (comme dans A Tombeau ouvert de Scorsese, 1999, 121 minutes), Les MisĂ©rables est un menu complet :

L’acteur Almamy Kanoute dans le rĂ´le de Salah.

 

 

Islamisme, mafias locales, parents abstraits ou usés, enfance livrée tel un kebab, prostitution, fascination pour le Free-fight (Venum), obsession du buzz et des réseaux sociaux, responsabilité de celle ou celui qui filme avec du matériel de professionnel dans un monde d(a)mateur.

 

Si on appréhende d’avoir du mal à digérer le film, on peut préférer aller voir La Reine des Neiges 2. C’est aussi sur grand écran.

 

 

Franck Unimon, ce dimanche 24 novembre 2019.    

 

 

 

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Les Misérables

Photo issue du site allociné.

 

 

 

Je devrais être en train de dormir. J’ai assez peu dormi cette nuit comme la nuit précédente. Mais je traîne avant d’aller me coucher. J’ai l’impression que je ne dois pas laisser passer cette journée avant d’avoir écrit.

 

 J’ai vu ce matin, Ă  la première sĂ©ance, comme je me l’étais promis, le long mĂ©trage de Ladj Ly : Les MisĂ©rables. Je l’ai enfin vu. Je sais que l’ami Zez en a parlĂ© avant moi sur UrbanTrackz et que ses articles sont bien plus attractifs que les miens. Oui, je le vois très bien au nombre de vues. On parie ? Sourire.

 

Après la sĂ©ance, je me suis arrĂŞtĂ© pour prendre en photo l’affiche du long mĂ©trage de Ladj Ly. Elle Ă©tait entourĂ©e des affiches des films J’accuse, Joker, Hors Normes, Le Traitre, Le Mans 66.  Je n’y avais jamais pensĂ© mais d’autres affiches de films  peuvent aussi parler d’un film dont elles entourent l’affiche. MĂŞme si j’ai seulement vu Joker  dans cette liste, les films J’accuse, Hors Normes et Joker par leurs titres et leurs sujets qualifient aussi très bien Les MisĂ©rables.

Au dessus du titre, l’insigne honorable Festival de Cannes Prix du Jury Ă©tait lĂ  pour attester de la valeur officielle du film de Lady Ly. 

 

Par ailleurs sur l’affiche de Les MisĂ©rables, on pouvait lire les constats Ă©logieux de diffĂ©rents mĂ©dia supposĂ©s reprĂ©senter Ă  la fois la diversitĂ© et l’unanimitĂ© :

 

«  Un film coup de poing Â» ; «  Un film magistral Â» ;  «  Un Ă©lectrochoc Â» ;   « Sensationnel Â» ; «  Un film universel Â».

 

Ailleurs,  en première couverture d’un hebdomadaire qui avait titrĂ© «  Eddy de Pretto, un rappeur d’un nouveau genre Â», j’ai aussi pu lire «  Ladj Ly dynamite le cinĂ©ma Â».

 

 

Ces compliments sincères sont bien-sĂ»r très justifiĂ©s. Maintenant que j’ai vu Les MisĂ©rables,  je ferai Ă©galement partie de la ronde de celles et ceux qui en diront beaucoup de bien. De toute façon, mĂŞme avant de le voir, je  faisais dĂ©jĂ  partie de cette ronde. J’avais eu de très bons Ă©chos par des cinĂ©philes et des journalistes qui l’avaient vu avant sa sortie de ce mercredi en salles.

 

J’avais aussi un très bon a priori sur Ladj Ly au vu du très peu de ce que je savais de lui. Je me rappelais qu’il avait corĂ©alisĂ© avec StĂ©phane Freitas le documentaire A Voix haute : la force de la parole que j’avais vu et beaucoup aimĂ©. J’avais ensuite appris qu’il avait rĂ©alisĂ© Les MisĂ©rables qui allait partir au festival de Cannes.

 

L’acteur Steve Tientcheu. Photo issue du site allocinĂ©.

 

Dans Les MisĂ©rables, l’acteur  Steve Tientcheu tient le rĂ´le du «  Maire Â».  J’avais dĂ©couvert l’acteur Steve Tientcheu Ă  l’écran pour la première fois  dans le très bon documentaire La Mort de Danton (2011) d’Alice Diop. Je l’avais croisĂ© lors du tournage de nuit du court-mĂ©trage Molii (2014) rĂ©alisĂ© par Carine May, Mourad Boudaoud, Yassine Qnia et Hakim Zouhani. Puis, je l’avais revu dans le film Qui Vive ( 2014) de Marianne Tardieu.

 

 

A gauche, l’acteur Damien Bonnard. Au centre et derrière, l’acteur Alexis Manenti. A droite, l’acteur Djebril Zonga. Photo issue du site allocinĂ©.

 

Dans Les MisĂ©rables, l’acteur Damien Bonnard interprète le flic idĂ©aliste qui arrive de Cherbourg mais sans le parapluie magique de Mary Poppins. J’avais vĂ©ritablement remarquĂ© cet acteur dans la comĂ©die En LibertĂ© (2017) de Pierre Salvadori  oĂą il jouait aussi le rĂ´le d’un flic mais beaucoup plus sentimental. C’est tout. J’ai dĂ©couvert tous les autres. Ces rĂ©miniscences prĂ©tentieuses sont insuffisantes Ă  faire de moi un grand connaisseur de ce que raconte Ladj Ly dans Les MisĂ©rables.

 

Si je mettais un sous-titre Ă  son film, cela serait  Training Day version BAC …et Le Monde est drĂ´ne. Pour Training Day, on regardera bien-sĂ»r du cĂ´tĂ© du film d’Antoine Fuqua avec la paire Denzel Washington/ Ethan Hawk. En regardant Les MisĂ©rables, j’ai aussi repensĂ© au livre de FrĂ©dĂ©ric Ploquin La Peur a changĂ© de camp

 

Ma rĂ©serve concernant tous ces Ă©loges officiels Ă  propos de Les MisĂ©rables viennent du fait que je me mĂ©fie de l’effet  « selfie Â» et  « sapin de NoĂ«l Â»  qu’amène le « succès Â» :

 

A peu près tout le monde veut en ĂŞtre et salue le chef-d’œuvre. « Notre Â» PrĂ©sident de la RĂ©publique aurait Ă©tĂ© « touchĂ© Â» par le film. C’est sĂ»rement sincère. On peut ĂŞtre libĂ©ral et humaniste. On peut Ă©trangler quelqu’un et lui faire du bouche Ă  bouche.

On peut aussi vouloir rassembler et exterminer ou discriminer. 

 

Certaines Ă©lites (pas uniquement politiques) ont besoin de voir un film- quand elles le voient- pour dĂ©couvrir et s’émouvoir devant une partie de leur pays. Pour d’abord schĂ©matiser, Les MisĂ©rables, cinĂ©ma de proximitĂ©,  parle de manière documentaire au grand public de certaines banlieues et d’une certaine sociĂ©tĂ© française. Il sera peut-ĂŞtre nĂ©cessaire que l’équivalent d’un Ladj Ly, fĂ©minin ou masculin, rĂ©alise un film- en 3D- avec le mĂŞme succès critique et public sur les conditions de vie et de travail Ă  l’hĂ´pital et Ă  l’école publiques pour que, lĂ , aussi,  des Ă©lites politiques, et les autres Ă©lites, se dĂ©clarent « touchĂ©es Â» et « Ă©mues Â».

 

 Je me mĂ©fie donc du fait qu’une fois le nouvel An arrivĂ©, on range le sapin, les guirlandes et que, Ă  nouveau, chacun referme sa fenĂŞtre ou l’œilleton de sa porte d’entrĂ©e ou de son tĂ©lĂ©viseur et reste finalement solidaire de ses foyers et de sa nĂ©e cĂ©citĂ©.

 

Je me mĂ©fie du fait qu’ensuite, il soit attendu de Ladj Ly – et Ă©galement reprochĂ©- qu’il rĂ©alise un Les MisĂ©rables 2 puis 3, puis 4, puis 5  comme certains de ces films Ă  « succès Â» : les Taxi et les Fast and Furious par exemple. Parce-que ça fait vendre du pop-corn et des limonades. Parce-que ça donne des frissons.  Nous voilĂ  maintenant pas si loin du sujet du film Le Mans 66.  MĂŞme si je me doute que Le Mans 66 , ne serait-ce que du fait de la prĂ©sence d’acteurs comme Christian Bale et Matt Damon qui savent creuser leurs sujets.  

 

Mais la très bonne nouvelle est qu’au vu du cinĂ©ma que reflète Les MisĂ©rables et le CV de Ladj Ly, je suis confiant dans sa capacitĂ© Ă  nous surprendre. Ladj Ly continuera de tracer son sillon. C’est un saphir qui restera libre. Il ne sera pas un phĂ©nomène de cirque qui retournera dans sa cage tel le lionceau dans le film. Il retournera plutĂ´t la cage vers nous comme il le fait très bien- en moins d’une heure cinquante !- dans Les MisĂ©rables.

 

Ceci était l’introduction de mon article. Ou peut-être déjà un peu sa conclusion.

Par compromis, je dirais donc qu’il s’agit de la première partie de ma critique du film Les Misérables de Ladj Ly.

Fin de la première partie de cet article. 

Franck Unimon, ce vendredi 22 novembre 2019.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Leave no Trace

L’actrice Thomasin McKenzie et l’acteur Ben Foster. Photo issue du site allocinĂ©

                                                 Leave no Trace

 

Instinctivement,  et avec un petit peu de chance, pour survivre Ă  une guerre,  il est peut-ĂŞtre nĂ©cessaire de prĂ©fĂ©rer sa vie Ă  son âme. Plus tard, oĂą que l’on soit, notre âme saura nous rappeler ce choix : il n y a pas de meilleure proie pour elle que celle ou celui que l’on croĂ®t ĂŞtre. Le trauma ou la culpabilitĂ© feront alors partie des tomahawks de notre âme. Et nos parcours de reconnaissance, les plus prudents comme les plus sophistiquĂ©s, seront plus d’une fois pris de court par la trajectoire de ses tomahawks.  

 

Leave no trace raconte l’histoire d’un père et de sa fille Tom, adolescente. Tous deux ont dĂ©cidĂ© de vivre en autarcie en pleine nature, dans les Etats-Unis d’aujourd’hui, Ă  l’abri des hostilitĂ©s du monde urbain contemporain. Ils ont rompu le fil avec la toile d’internet, des rĂ©seaux sociaux et des multiples mutations technologique comme avec la toile de Spiderman. Bien que blancs, leur mode de vie est bien plus proche de celui des AmĂ©rindiens d’avant l’arrivĂ©e des colons europĂ©ens et du dĂ©part du gĂ©nocide que du mode de vie rĂ©siduel des geeks. A les voir aussi bien rĂ´dĂ©s  dès le dĂ©but du film, on comprend que cela fait dĂ©ja un bail  que ça dure. Pour nous, citadins remorquĂ©s par toute une gestuelle industrielle et administrative, leur quotidien sera l’équivalent de vingt fois le sommet de l’Annapurna et de plusieurs gĂ©nĂ©rations d’existences Ă  la dure. Pour eux, vivre de cette façon est tout ce qu’il y a- Ă  peu près- de plus normal. Ils ne lisent donc pas les diverses chroniques du site UrbanTrackz et n’en n’entendront sans doute jamais parler. En plus, ils n’ont mĂŞme pas la radio. Mais quelques livres dont un dictionnaire.

 

Jennifer Lawrence, dans ” Winter’s Bone”. En voyant ce film au cinĂ©ma Ă  sa sortie, mĂŞme si j’avais beaucoup aimĂ© le film, je ne m’attendais pas Ă  ce que moins de cinq ans plus tard, cette actrice connaisse une telle accĂ©lĂ©ration de sa carrière. Photo issue du site allo cinĂ©

 

 

Dans son film Winter’s Bone (rĂ©alisĂ© en 2010), dĂ©jĂ , qui avait fait connaĂ®tre l’actrice Jennifer Lawrence et lui avait ensuite permis en Ă  peu près cinq ans, top chrono, de devenir une actrice oscarisĂ©e et remarquable, la rĂ©alisatrice Debra Granik, mettait en scène la « relation Â» de Ree, jeune femme de 17 ans, avec son père. La jeune Ree (l’actrice Jennifer Lawrence, donc), aĂ®nĂ©e de plusieurs enfants,  vivait dans cette AmĂ©rique- blanche- oubliĂ©e ou profonde, rurale et rĂ©gulatrice de ses propres lois. Cette AmĂ©rique, dans la forĂŞt des Ozarks, Ă©tant l’une des rĂ©vĂ©latrices et des cicatrices d’un certain inconscient amĂ©ricain.

Au dĂ©but de Winter’s Bone,  Ree apprenait que leur père, «  ancien dealer Â», avait mis leur maison en caution et qu’ils  risquaient donc l’expulsion (ça vous rappelle un chouĂŻa  The Hunger Games ?). Cela la dĂ©cidait Ă  sortir de la maison et Ă  partir Ă  la recherche de leur père parti plus longtemps que d’habitude. Dehors, dans ce patelin de l’Etat du Missouri, la frĂ©quentation de la famille paternelle s’avĂ©rait ĂŞtre un danger potentiel parmi d’autres :

 

L’acteur John Hawkes dans ” Winter’s bone” que j’ai plutĂ´t Ă©tĂ© habituĂ© Ă  voir jouer des gentils garçons. Jusqu’Ă  ce que je le voie dans ” Winter’s bone”. Photo issue du site allocinĂ©.

 

Le frère aĂ®nĂ© du père ( l’acteur John Hawkes, très bon dans ce rĂ´le et si diffĂ©rent de celui qu’il tient dans Moi, toi et les tous autres de et avec Miranda July, 2005)  Ă©tant la version humaine d’un loup très superficiellement socialisĂ© et  pouvant se montrer aussi menaçant que violent.  

 

 

MYAB_05-17_02449.CR2. L’actrice Thomasin McKenzie et l’acteur Ben Foster dans ” Leave no Trace”. Photo issue du site allocinĂ©

 

 

 

Dans Leave no trace, la jeune Tom (l’actrice Thomasin Mc Kenzie) et l’acteur Ben Foster vont un peu plus loin dans la relation entre un père et sa fille. Dans une forĂŞt, ils dorment cĂ´te Ă  cĂ´te dans une mĂŞme tente en pleine nature Ă  l’écart de tous et entretiennent entre eux la mĂŞme relation fusionnelle et symbiotique que celles qu’ils fondent avec cet environnement naturel situĂ© aux abords de la ville de Portland, Oregon.  Ils y ont Ă©tabli leur campement provisoire. On pourrait les voir comme des espèces de babas cool ; comme un père et une fille ayant une relation incestueuse ou comme ces nombreux « Ă©vaporĂ©s Â» de la sociĂ©tĂ© japonaise qui font partie des dĂ©classĂ©s de la sociĂ©tĂ©.

 

 

Rambo I
Rambo: first blood
1982
RÂŽal. : Ted Kotcheff
Sylvester Stallone
Collection Christophel Photo issue du site allociné

 

On pourrait aussi voir ce film comme une dĂ©clinaison du personnage de Rambo vivant dans la forĂŞt avec sa fille puisque le type d’entraĂ®nement que le père (l’acteur Ben Foster), ancien vĂ©tĂ©ran de guerre (en Irak ou en Afghanistan ? Ce n’est pas prĂ©cisĂ©) enseigne Ă  sa fille marche sur ses traces :

 

Leave no Trace.

 

L’actrice Saoirse Ronan et l’acteur Eric Bana dans le film “Hanna” de Joe Wright. Photo issue du site allocinĂ©

 

 

L’âge un peu plus juvénile du personnage de Tom par rapport au personnage de Ree rappelle aussi celui de Hanna réalisé par Joe Wright en 2011 avec l’actrice Saoirse Ronan dans le rôle principal face à Eric Bana et Cate Blanchett.

 

L’actrice Thomasin McKenzie dans ” Leave no Trace”. Photo issue du site allocinĂ©.

 

Mais dans Leave no Trace, Debra Granik dĂ©limite très bien son sujet : on n’est ni dans une relation incestueuse et ni dans un film de Rambo. Et c’est une des nombreuses habilitĂ©s de son film qui, pourtant, par certains cĂ´tĂ©s, en tant que rĂ©alisatrice, rappelle aussi le cinĂ©ma d’une Kathryn Bigelow pour sa capacitĂ© Ă  savoir filmer, quand l’histoire le nĂ©cessite, un certain mode de contact classifiĂ© comme « viril Â» et « masculin Â». Mais  Debra Granik donne plus d’importance aux femmes et Ă  la relation. Kathryn Bigelow est plus portĂ©e sur la « castagne Â».

 

Une photo tirĂ©e du film ” DĂ©mineurs” de Kathryn Bigelow. Photo issue du site allocinĂ©.

 

 

DĂ©mineurs qui donnera l’Oscar en 2010  Ă  Kathryn Bigelow est plutĂ´t un film de « mec Â» rĂ©alisĂ© par une femme. Pendant que dans le cinĂ©ma d’un Jeff Nichols (Take Shelter, Mud, Midnight Special), ce sont plutĂ´t des hommes qui, malgrĂ© leur sensibilitĂ© maternelle et leur vulnĂ©rabilitĂ©, restent maitres de leur destin en faisant des sacrifices.   

 

 

Dans Leave no Trace, L’intervention des Rangers et leur façon d’entrer en contact, de façon « virile Â» et « masculine Â», avec le père de Tom et celle-ci dans la forĂŞt, succède ici Ă  l’intervention  de l’armĂ©e amĂ©ricaine ou des des cow-boys du temps de la colonisation des Etats-Unis au dĂ©triment des AmĂ©rindiens. Sauf qu’ici, le père de Tom, ancien vĂ©tĂ©ran de l’armĂ©e qui a donc sans doute pratiquĂ© ce mĂŞme genre d’intervention Ă  l’étranger, est ici l’égal de l’AmĂ©rindien dĂ©logĂ© de son rĂŞve terrestre. TraquĂ©, capturĂ© puis persĂ©cutĂ© par un Etat amĂ©ricain qu’il a contribuĂ©- comme des milliers d’autres- Ă  maintenir puissant et omniprĂ©sent  au delĂ  de ses frontières, le père de Tom se retrouve rĂ©introduit de force avec elle dans ce rĂŞve amĂ©ricain qu’il avait dĂ©cidĂ© de fuir et dont il a voulu, coĂ»te que coĂ»te, la prĂ©server.

Dans Leave no trace, l’ennemi n’est pas le Noir, le Latinos, l’Homosexuel, le transexuel, le musulman, le Mormon, le tueur en sĂ©rie, le dealer, le proxĂ©nète, la bande rivale, le mafieux ni mĂŞme le marginal ou la femme. Mais bien l’Etat AmĂ©ricain, son consumĂ©risme, et sa norme dominante qui sont ce rĂŞve qu’il entend continuer de perpĂ©tuer et d’imposer Ă  marche forcĂ©e avec une bienveillance aussi sincère qu’inquiĂ©tante Ă  ses citoyens.  

 

Cette bienveillance bien rĂ´dĂ©e, bien Ă©duquĂ©e, aussi puissante Ă©conomiquement que psychiquement, est bien entendu un poison invasif aussi destructeur que le glyphosate dans les cultures ou le plastique dans les ocĂ©ans :

 

Tom et son père, comme les AmĂ©rindiens, font l’expĂ©rience- obligĂ©e- de la vie dans une rĂ©serve. A partir de lĂ , on « sait Â» que cette expĂ©rience aura des effets contraires et secondaires sur Tom et son père. Et que celui-ci, comme n’importe quel parent devant son enfant devenu adolescent puis adulte, va  bientĂ´t ĂŞtre touchĂ© par l’obsolescence malgrĂ© tous ses combats et tous ses souhaits pour son enfant. Car ses projets de vie sociale comme ceux proposĂ©s par l’Etat amĂ©ricain finissent par tourner dans le vide. Ce vide est fait de mort et de dĂ©pression. Face Ă  cette mort et Ă  cette dĂ©pression, le père de Tom propose et impose une  marche et une fuite perpĂ©tuelle, concrète et nomade dans la nature.  Sur le territoire amĂ©ricain, il est restĂ© ce soldat engagĂ© dans une guerre par l’Etat amĂ©ricain hors du territoire amĂ©ricain quelques annĂ©es plus tĂ´t et qui continue de chercher Ă  prĂ©server  sa survie.  Cette guerre est un Tomahawk  dont l’impact quelque peu mystique lui a pris sa vie,  lui laissant l’éclat apparemment intact de son corps et de certaines convenances sociales telles que la politesse. Mais les Ă©lans chaloupĂ©s du titre Natural Mystic de Bob Marley ont malheureusement Ă©tĂ© largement arrachĂ©s par l’implantation d’un lancinant syndrome post-traumatique ou PTSD en Anglais.

 

Cette guerre qui sĂ©questre le père de Tom est une fenĂŞtre aussi impossible Ă  refermer qu’à expulser. Soit tout le contraire de son corps dont la prĂ©sence sur le sol amĂ©ricain dĂ©range les Lois de l’Etat amĂ©ricain. Son corps sans dĂ©rogation peut donc ĂŞtre expulsĂ© ou manipulĂ© par les rangers ou sollicitĂ© par les forces sociales qui essaient de le rĂ©insĂ©rer dans un bercail (la rĂ©serve, un mĂ©tier imposĂ©) qui est en contradiction avec ses entrailles…mais qui sĂ©duit et rassure en partie sa fille, Tom, la moitiĂ© saine de ses entrailles, qui est la seule personne avec laquelle son esprit accepte et souhaite encore ĂŞtre reliĂ©. Si le professeur Xavier des X-Men Ă©tait lĂ , il dirait Ă  propos du père de Tom que celui-ci refuse de le laisser entrer dans ses pensĂ©es et ses Ă©motions.  

 

 

De son cĂ´tĂ©, face Ă  la mort Ă  la dĂ©pression, l’Etat amĂ©ricain, lui,  propose et impose Ă  ses citoyens, sĂ©duits ou forcĂ©s, de rester reliĂ©s Ă  une fuite perpĂ©tuelle, concrète et sĂ©dentaire dans le consumĂ©risme et une certaine vie urbaine et connectĂ©e. Il faut se rappeler que des citoyens tels que Edward Snowden ou Bradley Manning( dĂ©sormais Chelsea Manning), considĂ©rĂ©s comme des traitres Ă  la Nation amĂ©ricaine ou comme des  « lanceurs d’alerte Â», sont au dĂ©part des citoyens amĂ©ricains. Mais aussi des militaires particulièrement compĂ©tents dans le domaine informatique.

 

Ce n’est peut-ĂŞtre pas un hasard si un Edward Snowden, par exemple,  hyper-connectĂ©, apparemment plus Geek et plus urbain que nomade, et semblant plus proche de la figure fictive lambda du civil Mr Anderson ( NĂ©o sous son pseudo) dans Matrix (1999) des ex-frères Wachowski (dĂ©sormais Lana et Lilly) que du père de Tom dans Leave no Trace, est au dĂ©part un citoyen amĂ©ricain :

 

Pour parodier un peu les ex-frères Wachowski, Edward Snowden, en Ă©tant dans la “vraie vie” un des agents actifs au sein de «  la matrice Â» des services secrets amĂ©ricains, Ă©tait particulièrement informĂ© de cette manière dont nous sommes constamment privĂ©s de nos libertĂ©s individuelles et de nos possibilitĂ©s rĂ©elles de nous Ă©panouir en tant qu’individus malgrĂ© les vitrines, les Ă©crans, les selfies, mais aussi les crĂ©dits, et les miroirs sĂ©duisants et rassurants oĂą nous prenons plaisir Ă  rester captifs pendant des heures, de nuit comme de jour, seuls ou avec nos proches et nos aussi nombreux que «virtuels Â», rĂ©els ou Ă©phĂ©mères amis et connaissances.

 

Et, afin de prĂ©venir tout malentendu, il faut aussi voir les religions, les partis politiques, la façon dont on les pratique, certaines associations, sectes, groupes et organismes auxquels on s’identifie comme faisant aussi, potentiellement, partie de ces « vitrines, Ă©crans, selfies et miroirs sĂ©duisants oĂą nous prenons plaisir Ă  rester captifs… Â» car ils nous servent d’antidĂ©presseurs et d’anxiolytiques. Notre mode de vie connectĂ© nous laisse en effet souvent la libertĂ© de  choisir entre une certaine dĂ©pression et une certaine parano ambiante avec plein d’ilots de consommation au milieu afin de nous ressourcer.  

 

 

 Dans Leave no Trace, Tom, grâce  aussi aux apprentissages qu’elle a faits aux cĂ´tĂ©s de son père, a cernĂ© ces miroirs aux alouettes. Ceux de la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine ainsi que ceux de son père, qui se rĂ©vèle, malgrĂ© ses extraordinaires compĂ©tences pour la survie, ĂŞtre une sorte de petit poucet, incapable de se retrouver un foyer. Parce-que ses plaies sont devenues son vĂ©ritable foyer. Et Tom a compris qu’elle ne pourra pas l’aider davantage Ă  se sĂ©parer de ce foyer.  

 

On pourrait reprocher au film d’être une apologie idĂ©alisĂ©e du mode de vie survivaliste car il est vrai que Debra Granik nous montre une vision plutĂ´t apaisĂ©e et « peace and love Â» de cette tendance.  L’argent est ici dĂ©laissĂ© ou seulement utilisĂ© ponctuellement lorsque l’on doit en repasser, furtivement, par le « continent Â» de la sociĂ©tĂ© de consommation qui ressemble alors Ă  une gigantesque Ă©tendue dĂ©lĂ©tère.  La prioritĂ© est donnĂ©e Ă  l’entraide,  la spiritualitĂ©, la tranquillitĂ©, l’acceptation des autres et Ă  la cohabitation avec la nature.

 

 

Tom est aussi une de ces ados « modèles Â» que le cinĂ©ma nous pond rĂ©gulièrement. MĂŞme si Leave no Traceappartient plus au cinĂ©ma d’auteur ou dit indĂ©pendant qu’au cinĂ©ma grand spectacle. On peut concevoir que sa relation privilĂ©giĂ©e avec son père, faite d’affection rĂ©ciproque, alors que tant d’enfants souffrent de l’absence et du manque de complicitĂ© avec leurs parents, puisse expliquer une telle harmonie. Mais, en gĂ©nĂ©ral, dans la « vraie vie Â», lorsque l’on vit vingt quatre heures sur vingt quatre, en exclusivitĂ© avec celles et ceux qu’on aime, mĂŞme Ă  l’air libre, on finit par se crĂ©er quelques embrouilles Ă  deux balles. Alors, on en dĂ©duira que Debra Granik a voulu adoucir un peu  l’histoire suffisamment chargĂ©e comme ça.

 

Car Leave no Trace est peut-ĂŞtre un titre trompeur.

 

Après la guerre contre les Anglais pour obtenir son indĂ©pendance, après la traite NĂ©grière et les Etats esclavagistes, après le gĂ©nocide des AmĂ©rindiens, l’Etat AmĂ©ricain, Première puissance mondiale, semble incapable d’enrayer sa marche guerrière hors de ses frontières comme Ă  l’intĂ©rieur de ses terres. Ses citoyens mutilĂ©s, lynchĂ©s, dĂ©portĂ©s,  massacrĂ©s et oubliĂ©s en sont les multiples traces.  

 

 

Cet article a été rédigé avec une pensée particulière pour Aude et Pierre.

 

 

Franck Unimon, lundi 18 novembre 2019.

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Cinéma

Ad Astra

Photo issue du site Allociné.

 

 Ad Astra, un film de James Gray.

 

A travers ce nouveau film de James Gray, il y a au moins deux histoires : celle du cinĂ©ma qui rĂ©plique Ă  l’infini des histoires qui ont enchantĂ© nos aĂ®nĂ©s cinĂ©philes- avec d’autres acteurs- et que l’on nous a plus ou moins racontĂ©s ou que l’on a aperçus. Et celle de l’HumanitĂ© qui, pour diffĂ©rentes raisons, souvent du fait de ses carnages et de ses naufrages intĂ©rieurs et extĂ©rieurs, s’oblige Ă  chercher une meilleure vie dans un au-delĂ . Pour accĂ©der Ă  cet au-delĂ , l’HumanitĂ© est prĂŞte Ă  commettre d’autres crimes et d’autres horreurs tout en prĂ©textant que c’est pour avancer et pour faire Ă©voluer l’HumanitĂ©.

Pour accéder à un autre cinéma, James Gray est prêt à s’engager derrière d’autres films réalisés par d’autres dont il connaît sûrement chaque plan par cœur.

 

Il y a au moins du Apocalypse Now (Francis Ford Coppola en 1979) dans Ad Astra. Mais Brad Pitt a remplacé Martin Sheen et Tommy Lee Jones (cela aurait pu être Nick Nolte) est ici le Marlon Brando du nouveau film de James Gray. On parlera sûrement aussi de Stanley Kubrick, Terrence Malick….

James Gray est un réalisateur cultivé et multi-médaillé. Dans l’alcôve des cinéphiles, les films de James Gray sont fait de ce cuivre que bien des regards seront toujours prêts à polir alors on le suit dans ce film qui est bien le sien quelles que soient les œuvres qui l’on précédé et qui ont pu l’inspirer.

 

 

Brad Pitt est ici un super-hĂ©ros amĂ©ricain de plus qui traverse  son Vietnam, son Afghanistan, son AlgĂ©rie, son Rwanda, son Irak ou sa Syrie intĂ©rieure et antĂ©rieure ( sa furie mystĂ©rieuse) tout le long du film pour trouver et rejoindre- peut-ĂŞtre-  ce père (Tommy Lee Jones), astronaute pionnier et autre « hĂ©ros Â», parti s’établir dans l’espace en abandonnant femme et enfant (le personnage de Brad Pitt alors qu’il avait 16 ans) et que beaucoup dĂ©crivent comme Ă©tant une Ă©toile morte.

 

Entre la mémoire de celle ou de celui qui nous a abandonné et l’espoir de le retrouver intact dans le corail intergalactique, mais aussi qu’il nous guérisse de notre naufrage moral, il existe bien des récifs et des rencontres qui nous dévient ou cherchent plutôt à nous forcer à changer de sujet. Brad Pitt, homme mûr quitté par sa femme (Liv Tyler), épuisée de son absence, connaît tout ça dans Ad Astra.

 

Le film est-il rĂ©ussi ? S’agit-il d’une singerie facticement mĂ©taphysique ? Tommy Lee Jones est une Ă©toile moindre que Marlon Brando, ça c’est sĂ»r. NĂ©anmoins, ce film est un fruit mur que James Gray nous tend et que l’on aurait tort d’ignorer mĂŞme si on peut lui reprocher, un petit peu, de ne pas assumer assez la fin de son film comme s’il avait hĂ©sitĂ© entre une conclusion Ă  la Gravity et la fin fracassante (de l’HumanitĂ© ?) que sa conscience lui a pourtant, sĂ»rement, maintes fois commandĂ©e au vu de sa filmographie mais Ă  l’imminence de laquelle il continue de se dĂ©rober. James Gray n’est pas un rĂ©alisateur de commande, c’est certain. Et, nous, on en redemande.

 

Plus bas, il y a un article Ă  propos d’un autre film. Oui, le titre initial Ad Astra de cet article ne le laisse pas supposer. Et alors ? Il y a mĂŞme ensuite un autre article sur un troisième film. Vous verrez, c’est court et rapide Ă  lire. 

 

                                                           

 

Photo issue du site allociné.

 

 

 

Papicha , un film de Mounia Meddour

 

 

 

Dans l’AlgĂ©rie des annĂ©es 90 du terrorisme religieux et du couvre-feu,  une gĂ©nĂ©ration après la guerre de la libĂ©ration, Nedjma ( l’actrice Lyna Khoudri)  est une brillante Ă©tudiante et une couturière douĂ©e. La nuit, avec une de ses amies, Nedjma prend la mesure de sa jeunesse :

 Elle fait le mur, se maquille, fume et se rend en boite de nuit -en taxi- oĂą elle vend ses robes Ă  des algĂ©roises aisĂ©es. Cela, aussi, grâce aux backchichs qu’elle donne au gardien de la citĂ© universitaire qui pourrait ĂŞtre son père et qui fait l’aveugle lorsqu’elle sort et rentre au petit matin.

 

Les étoiles de Nedjma sont son pays et cette vie qu’elle veut faire défiler par ses doigts dans ses robes. Mais l’avenir de Nedjma et de ses amies se coud de plus en plus dans la toile d’araignée grandissante de l’intégrisme religieux.

 

Nedjma doit apprendre en grandissant que ce pays dans lequel elle a grandi est devenu, pour elle, un pays rĂŞvĂ© dont le seul succès vĂ©ritable, c’est la tombe et le sang. Mais incapable de se laisser convertir par cette pĂ©nombre, elle s’oppose au renoncement. Contrairement Ă  un Brad Pitt dans Ad Astra, Nedjma n’a pas d’autre planète oĂą espĂ©rer se panser en compagnie d’un père Ă©ventuel. MĂŞme si, pour elle aussi, l’amour est une dĂ©route. Patriote jusque-boutiste, Nedjma et ses amies sont menacĂ©es par celles et ceux qui s’estiment les plus purs et les plus justes tandis que d’autres, « justes Â» opportunistes, en profitent pour faire des affaires ou pour obtenir par la force ou le chantage ce que les lois de la paix rĂ©prouvent.

 

Le film  Papicha nous met devant les yeux ce « passĂ© Â» de plus en plus prĂ©sent pour lequel certains hĂ©ros et martyrs sont prĂŞts Ă  mourir afin d’en faire notre futur et notre rĂ©sidence principale. Ce n’est plus le rĂŞve amĂ©ricain et mĂ©galo dont le personnage de Tommy Lee Jones, dans Ad Astra, incarne l’impuissance devant la vie mais le rĂŞve du suicide pour tous.

 

 

Photo issue du site allociné.

 

Terminator : Dark Fate un film de Tim Miller.

 

 

 

Après avoir vu Papicha, il fallait bien sortir de la tombe et remonter la pente. Terminator : Dark Fate est fait pour ça. MĂŞme si dans les Terminator, l’avenir est très sombre, on sait que cela va bien se finir Ă  un moment donnĂ© pour les hĂ©ros. Pour les autres, celles et ceux qui font partie du dĂ©cor, hĂ© bien, ils font partie du dĂ©cor. Donc, il faut bien qu’ils servent Ă  quelque chose, Ă  mourir par exemple, afin de rendre la menace crĂ©dible et pour que nos hĂ©ros gagnent du relief et nous Ă©tonnent. Et puis, on ne va quand mĂŞme pas plaindre tous ces gens qui se font Ă©clipser dans le film :

Ils sont payés pour ça car c’est du cinéma.

 

Donc, en allant voir Terminator : Dark Fate, on ne va pas (trop) plaindre les victimes. De toute façon, les hĂ©ros font très vite leur deuil de leurs proches. Le stress post-traumatique est vite Ă©liminĂ© chez eux. LĂ  oĂą beaucoup de personnes resteraient prostrĂ©es, se feraient sur elles et seraient incapables de s’alimenter ou d’avoir une conversation sĂ©rieuse ( sur le rĂ©sultat du prochain match de Foot par exemple), lĂ , on a affaire Ă  des vrais soldats qui ne se plaignent jamais et encaissent très bien les coups durs. MĂŞme sans entraĂ®nement comme c’est le cas de Dani Ramos (l’actrice Natalia Reyes) qui, cette fois-ci, doit ĂŞtre protĂ©gĂ©e.

 

Car dans Terminator : Dark Fate l’intrigue est devenue encore plus fĂ©ministe qu’à l’origine. Trois hĂ©roĂŻnes pour un hĂ©ros. Ça donne bien-sĂ»r de la nouveautĂ©. Trois femmes et, pourrait-on dire, trois types de femmes :

 

Sarah Connor (l’actrice Linda Hamilton) une vieille blonde très masculine.  Grace (l’actrice Mackenzie Davis) une (grande) femme blonde augmentĂ©e Ă  la Ghost in the shell ou empruntĂ©e Ă  Blade Runner (il y a bien des prĂŞts de joueurs entre clubs de Football)  mais en plus humaine et en plus friable. Et Dani Ramos, une Latinos qui va se dĂ©couvrir l’hĂ©roĂŻne d’une histoire dans un pays ou le PrĂ©sident amĂ©ricain actuel (Trump) qu’elle ne connaĂ®t pas et qui n’est jamais citĂ© en veut Ă  son peuple de l’autre cĂ´tĂ© de la frontière.

 

Même le méchant (l’acteur Gabriel Luna) a un physique de Latinos. Schwarzie, lui, vieillit bien (72 ans) comme souvent. Et en voyant le film, je me suis dit que cela allait nous faire tout drôle lorsqu’il allait disparaître pour de bon. Parce qu’à force de l’avoir vu dans Terminator et revenir, surtout, plusieurs fois dans Terminator, je suis sûr que nous sommes des millions à désormais croire que cet homme est indestructible car il a toujours été là sur nos écrans. Avant Trump. Avant Daech. Avant Bachar El Assad. Avant Poutine. Avant les gilets jaunes. Avant Macron. Ça va nous faire tout drôle lorsqu’il sera parti pour de bon. Alors on profite bien de son humour dans Dark Fate car c’est lui qui en transporte le plus tout en nous parlant des Etats-Unis et de leurs rapports aux armes à feu. Terminator/Schwarzie a aussi une certaine vision- drôle- de la vie de couple.

 

Mais ayons un mot tout particulièrement pour l’actrice Linda Hamilton qui rempile dans le film Ă  près de 70 ans ou peut-ĂŞtre plus (63 ans dans les faits : pourvu qu’elle ne lise pas mon article). Oui, elle a vieilli. Mais quelle vieille ! On ne la trouvera pas Ă  l’EHPAD, elle. Ou alors, c’est elle qui dirigera le personnel et lui fera faire des pompes (Ă  insuline ou Ă  hĂ©parine).

 

Les actrices Linda Hamilton et Dani Ramos. Photo issue du sité allociné.

 

Cependant, un dĂ©tail en particulier me retient lorsque je repense Ă  Linda Hamilton dans le film :

J’ai plutĂ´t entendu dire qu’avec la mĂ©nopause, les femmes devenaient de grandes candidates Ă  l’ostĂ©oporose et aux fractures. Dans Dark Fate, l’actrice Linda Hamilton (Sarah Connor) se fait brutaliser plus d’une fois par le Terminator lĂ©tal ( l’acteur Gabriel Luna). Et elle n’a pas une fracture. A peine un petit bleu. MĂŞme pas un Ĺ“dème ou une varice qui explose. C’est un indice : Linda Hamilton, aussi, nous survivra. Et, c’est tant mieux.

 

Lorsque nous serons morts, nous la laisserons, elle et Schwarzenneger/Terminator s’expliquer avec les intégristes qui ont fait tant de mal à Nedjma et ses amies dans Papicha. En espérant qu’outre-tombe, il y ait des écrans plats partout avec beaucoup de bons programmes télés, avec des bons films, des bons documentaires, des bons débats et une bonne télécommande. Mais sans la pub. La pub, ça attire les vers et après ça, on ne peut plus rien voir jusqu’à ce que le programme reprenne.

 

Franck Unimon.

 

 

 

 

 

 

 

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                                                                     CrĂ©dibilitĂ©                                                   

 

 

Nous étions une cinquantaine ce matin à attendre l’arrivée des membres de la direction. Il faisait un peu frais et l’atmosphère était humide. Certaines et certains portaient le brassard de leur délégation syndicale voire un drapeau. Un bon nombre, comme moi, portait uniquement ses vêtements ordinaires.

 

La veille, une de mes collègues avait insisté pour être présent afin d’exprimer de nouveau à notre direction certaines de nos doléances. Elle m’avait convaincu de venir. Et, ce matin, je ne la voyais pas. Mais j’avais reconnu deux autres collègues que je n’attendais pas. Et, j’avais fait la toute dernière partie du trajet avec une militante qui était venue un matin faire un remplacement dans notre service et que j’avais reconnue.

 

Un des dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux, animant la manifestation, a fait du bruit avec d’autres manifestants. Assez vite, une personne est venue « nous Â» prier de nous faire plus discrets car des personnes Ă©taient en train de passer un examen. Je suis restĂ© lĂ  Ă  regarder et Ă  Ă©couter ce qui se passait :

Ce matin, comme lors des quelques fois où j’ai manifesté depuis mes études, j’étais venu pour être présent, écouter, éventuellement faire des rencontres et comprendre un peu mieux ce qui se passait. Pas pour faire du bruit et encore moins pour casser que ce soit une ambiance ou des objets.

 

Devant la persistance du « bruit Â», d’autres personnes, prĂ©sentes comme nous dehors devant le bâtiment de la direction, ont alors entrepris de nous « raisonner Â» afin de faire moins de bruit. Jusqu’alors, je les prenais pour des manifestantes comme nous (c’étaient exclusivement des femmes). Un de mes collègues, dont j’ai dĂ©couvert ce matin le militantisme Ă©prouvĂ©, a rĂ©torquĂ© Ă  l’une d’entre elles que ce n’était pas son problème ! Puis, il lui a tournĂ© le dos.

 

J’ai essayé d’en savoir un peu plus. Je me suis approché de ce groupe de femmes qui nous avait adressé quelques sourires et dont plusieurs fumaient une cigarette en attendant une échéance qui se révélait être différente de la nôtre.

L’une d’elle m’a alors expliquĂ© que le bruit que nous faisions alors que d’autres personnes, des collègues, passaient leur examen, nuisait Ă  notre dĂ©marche. Et que notre attitude avait plutĂ´t pour effet de nous retirer de la « crĂ©dibilitĂ© Â». Il fallait donc comprendre que nous Ă©tions une cinquantaine de demeurĂ©s et que nous ferions mieux de la fermer tel un troupeau en quarantaine afin d’être Ă©coutĂ©s et pris en considĂ©ration.

 

J’ai rĂ©pondu plutĂ´t diplomatiquement Ă  cette personne :

« Il n’y a pas de façon idĂ©ale pour s’y prendre Â». «  Avant ce matin, il y a eu toutes ces fois oĂą nous n’avons pas fait de bruit et oĂą nous nous sommes bien tenus. Et, finalement, nous sommes obligĂ©s de revenir pour redire des choses qui ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dites Â».

J’ai ajoutĂ© :

« Ce matin, je ne suis pas venu pour faire du bruit ou pour dĂ©ranger celles et ceux qui passent un examen Â».

 

Je ne me souviens pas de ce que m’a alors rĂ©pondu cette « collègue Â». Mais j’ai nĂ©anmoins retenu que celles et ceux que nous Ă©tions susceptibles de perturber lors de leurs examens avaient pour but de devenir de futurs cadres. Et que celle Ă  laquelle je venais de m’adresser faisait vraisemblablement partie de ces futurs cadres ou en tout cas aspirait Ă  le devenir.

Je n’ai pas développé ce sujet avec elle. Je n’étais pas venu pour ça et le dialogue, ce matin, était déjà devenu impossible entre elle, ses semblables, et nous. Mais je me suis ensuite demandé quel genre d’employé(e) avait été cette éphémère interlocutrice et ses semblables et ce qu’elle avait bien pu percevoir de son milieu professionnel.

 

L’ironie veut qu’en me rendant ce matin Ă  cette manifestation, je suis passĂ© Ă  cĂ´tĂ© du bâtiment de l’ANFH. L’ironie rĂ©side dans le sujet marquĂ© au tableau dans une des salles de l’ANFH devant un groupe de professionnels :

 

« Connaissez-vous vraiment l’environnement professionnel dans lequel vous Ă©voluez?».

 

En m’éloignant de cette salle de cours, aperçue depuis la rue, afin de me rendre à cette manifestation, j’avais jugé cette question très sensée d’une manière générale. J’ignorais que dix minutes plus tard, j’allais faire l’expérience concrète que nous pouvons, en exerçant le même métier, avoir une connaissance opposée de notre environnement professionnel. A moins que mon interlocutrice éphémère et moi ayons, dès le début, toujours évolué dans des environnements professionnels totalement différents en exerçant, pourtant, le même métier.

 

Il y a presque dix ans maintenant, je m’étais rendu Ă  l’hĂ´pital Ville-Evrard pour assister Ă  un colloque dont le sujet Ă©tait : « Patients difficiles et dangereux ».

 

Lors d’une intervention, une cadre infirmière, accompagnĂ©e d’une infirmière, avait dĂ©crit une situation dans un service oĂą, « administrĂ©e Â» au moins par une pĂ©nurie de personnel et de tabac, en l’absence d’un mĂ©decin un jour de week-end, le personnel soignant prĂ©sent pouvait se retrouver durement exposĂ© Ă  la violence- et aux manques- des patients. J’avais voulu faire le beau et, au micro, j’avais alors dit qu’en entendant cette description, cela donnait l’impression d’une « profession Ă  bout de souffle Â». Très vite, des soignantes s’étaient empressĂ©es de me voir comme le traĂ®tre qui les mĂ©prisait et les jugeait. Et plusieurs d’entre elles avaient tenu Ă  affirmer qu’elles n’étaient pas Ă  bout de souffle !

 

J’avais optĂ© pour ne pas rĂ©pondre. J’aurais sans doute dĂ». J’aurais sans doute dĂ» reprendre la parole- et le micro qui s’était « envolĂ© Â»- et mieux expliquer que je ne comprenais pas que des professionnels continuent- encore- d’accepter des conditions de travail contraignantes et dĂ©valorisantes en restant dans le mĂŞme service. Tout en se plaignant. Pendant des annĂ©es.

Ce jour-lĂ , j’aurais sans doute dĂ» dire aussi que dans ce colloque, comme souvent, la parole Ă©tait (reste ) la propriĂ©tĂ© et la proie de celles et ceux qui ont le pouvoir hiĂ©rarchique et administratif tandis que le « petit Â» personnel attend plutĂ´t sagement ou avec crainte qu’on la lui donne ou que les « puissants Â» dĂ©livrent la solution magique tant espĂ©rĂ©e ou un quelconque sortilège Ă  mĂŞme d’annihiler tous ces cauchemars qui repoussent plus vite que l’hydre.

 

Depuis, environ dix ans plus tard, et plusieurs fois, lors de manifestations (pas uniquement Ă  l’hĂ´pital), j’ai dĂ©jĂ  vu Ă©crit les termes «  Ă  bout de souffle Â». Je ne connais pas ces personnes qui ont Ă©crit ça.

 

 

Ce matin, il y avait trop de bruit pour moi dans les escaliers lorsque nous sommes montés rejoindre les dirigeants de l’hôpital. Nous étions pourtant censés le faire discrètement. Fort heureusement, nous avons seulement eus un ou deux étages à monter.

 

La salle était déja préparée pour un CTE. Et d’une cinquantaine, nous sommes passés à environ soixante dix ou quatre vingt personnes dans cette assez grande salle. Du café chaud, du sucre et du jus d’orange étaient à disposition à l’entrée. Quelques personnes, parmi les manifestants, se sont servies.

 

Le directeur de l’hĂ´pital et ses adjoints Ă©taient debout cĂ´te Ă  cĂ´te. Sur la « pancarte Â» posĂ©e sur la table devant eux, Ă  leur place, se trouvaient leur prĂ©nom et leur nom.  C’était la première fois que je pouvais mettre un visage sur trois de ces noms dont j’avais dĂ©jĂ  entendu parler. Je ne crois pas qu’ils se soient amusĂ©s Ă  intervertir leur place. Je ne crois pas non plus que ce soit eux qui aient Ă©crit leur propre prĂ©nom et leur propre nom sur leur « pancarte Â». Et, je ne crois pas non plus qu’ils se soient chargĂ©s de l’intendance qui avait permis Ă  cette salle d’être prĂ©sentable comme elle l’était.

 

Le dĂ©lĂ©guĂ© syndical « animateur Â» s’est adressĂ© en prioritĂ© Ă  nos trois dirigeants principaux. Trois hommes. Tout le reste du staff des dirigeants Ă©tait constituĂ© de femmes. La secrĂ©taire du CTE Ă©tait aussi une femme. Mais sĂ©parons-nous tout de suite de certains prĂ©jugĂ©s si c’est possible :

 

Dès qu’une personne adopte les codes et la culture d’un certain mode de management et de dĂ©cision, le fait qu’il soit un homme ou une femme importe peu. LĂ , je souligne que les trois dirigeants principaux et officiels sont des « hommes Â» pour rappeler comment s’organise encore le Pouvoir dans « notre Â» hĂ´pital Ă  l’image du monde politique, de notre pays, de notre culture. Et du monde.

 

C’est bien Ă  des hommes politiques que nos trois dirigeants en costume m’ont fait penser ce matin. Chacun son style :

 

L’un avait un visage avec les yeux cernĂ©s du cuir de celui qui a de la poigne, de l’endurance et dont l’énergie est celle d’une locomotive que rien ni personne ne doit arrĂŞter.

L’autre, crâne rasĂ©, lunettes bien pensĂ©es, avait l’attitude zen de celui qui  reste en Ă©quilibre stable quelle que soit l’averse ou le courant.

Le troisième enfin, avait le petit sourire fin, presque invisible, de celui qui vous lacère entre deux rais de lumière avec le savoir-faire et le savoir-taire de la hyène.

Et puis, il y avait celles qui étaient à leurs côtés ou de part et d’autre de la pièce et dont il est difficile de connaître avec précision l’exacte capacité de décision et de réflexion ainsi que leur plan de carrière ou de cimetière.

 

Le trio nous a tranquillement regardĂ© entrer dans la salle comme s’il assistait pour la Ă©nième fois au mĂŞme cirque de manifestation : slogans, quelques coups de sifflet.

 

Après deux ou trois minutes, le calme s’est fait et le dĂ©lĂ©guĂ© syndical « animateur Â» a parlĂ© et dit que la parole allait ĂŞtre donnĂ©e aux employĂ©s prĂ©sents. Le directeur de l’hĂ´pital a rĂ©pondu qu’une CTE Ă©tait prĂ©vue pour dĂ©buter Ă  9h30 (Ă  peu près l’heure oĂą nous sommes entrĂ©s dans la salle). Il a demandĂ© Ă  la secrĂ©taire de la CTE s’il Ă©tait possible d’accorder «  cinq minutes Â» pour Ă©couter. La secrĂ©taire de la CTE, debout et Ă  l’écart des dirigeants, derrière les manifestants, a rapidement rĂ©pondu qu’elle Ă©tait d’accord ! Elle ne paraissait pas plus effrayĂ©e que ça.

 

 Après un petit silence, un employĂ© a pris la parole. Au bout d’une minute environ, le directeur lui a coupĂ© la parole au ton de :

« Nous n’abordons pas les situations personnelles en CTE ! Â». L’employĂ© ne s’est pas laissĂ© faire. Un dĂ©lĂ©guĂ© syndical a fait valoir que cet employĂ© exprimait une situation qui concernait tout un service.

 

D’autres dolĂ©ances ont Ă©tĂ© exprimĂ©es. Des heures sup non payĂ©es. L’impossibilitĂ© de joindre le service de la DRH et l’obligation d’en passer dĂ©sormais par une boite vocale. La pĂ©nurie de personnel. L’absence d’une stratĂ©gie de recrutement. La fermeture des services. La disparition de ce qui faisait l’attractivitĂ© d’un hĂ´pital (crèche, aide au logement…). L’hygiène : une employĂ©e a remarquĂ© qu’il y avait des souris dans certains services mais a constatĂ© qu’il n’y en n’avait pas dans cette salle de rĂ©union !

 

Une militante a interpelĂ© le directeur :

« Certaines personnes ont fait une heure trente de trajet pour venir ce matin, alors regardez-les bien!». Le directeur a alors rĂ©pondu qu’il venait de remercier toutes les personnes prĂ©sentes. Comme il avait aussi dit que certains des sujets qui venaient d’être Ă©voquĂ©s allaient ĂŞtre abordĂ©s lors de cette CTE.

 

Un peu plus tĂ´t, le dirigeant Â« zen Â», lorsqu’il avait rĂ©pondu, avait levĂ© l’index tout en s’exprimant. Le dirigeant « hyène Â», lui, n’a pas lâchĂ© un seul mot.

Une des dirigeantes a eu quelques sourires. Cela a fini par lui ĂŞtre reprochĂ© par une employĂ©e qui a trouvĂ© insupportable qu’elle puisse sourire ainsi alors que l’on parlait de « burn-out Â» du personnel. La dirigeante s’est alors dĂ©fendue de prendre cela Ă  la lĂ©gère.

 

J’aimerais revoir plusieurs de ces personnes, isolĂ©es et sorties de leur rĂ´le de dirigeant lors de circonstances imprĂ©vues, par exemple en vacances, avec femmes ou compagnons ainsi qu’avec leurs enfants voire avec leur animal domestique s’ils en “ont”. Si certaines resteraient bien-sĂ»r emmurĂ©es dans le mĂŞme type de relation, d’autres seraient sans doute plus frĂ©quentables. Mais nous n’Ă©tions pas lĂ  pour parler de ça.

 

Nous sommes partis vers 10h. Nos cinq minutes d’intervention avaient finalement duré vingt bonnes minutes.

Puis, en bas, et dehors, Ă  nouveau devant le bâtiment oĂą nous nous Ă©tions donnĂ©s rendez-vous ce matin, le dĂ©lĂ©guĂ© syndical « animateur Â» a fait la conclusion de ce qui s’était passĂ©. Il a dit que nous nous Ă©tions très bien exprimĂ©s. Que maintenant allait se dĂ©rouler la CTE au cours de laquelle des reprĂ©sentants du personnel allaient nous dĂ©fendre. Et qu’il importait d’être prĂ©sent pour la manifestation le 14 novembre.

 

 

Ce 20 novembre, le film Les misĂ©rables ( prix du jury Ă  Cannes cette annĂ©e)  de Ladj Ly va sortir en salles. Dans une interview, Ladj Ly a dĂ©clarĂ© que cela faisait des annĂ©es que bien des gens sont  des gilets jaunes dans les banlieues. Dans diffĂ©rentes catĂ©gories de la population et de certaines professions, les gilets jaunes sont lĂ©gion depuis des annĂ©es voire depuis une bonne gĂ©nĂ©ration. Et c’est bien-sĂ»r le cas dans le milieu de la SantĂ©. Dans les annĂ©es 80, le professeur Schwartzenberg, bref Ministre de la SantĂ© et cancĂ©rologue rĂ©putĂ©, devant les manifestations infirmières, avait Ă  peu près dit :

 

«  Le gouvernement n’a pas le droit de laisser pourrir cette grève Â». C’est pourtant ce qui s’était produit. Il y a trente ans et depuis plus de trente ans, les diffĂ©rents gouvernements ont laissĂ© pourrir bien des grèves infirmières et autres ( voir le documentaire rĂ©cemment sorti de Jean-Pierre Thorn L’âcre parfum des immortelles).

C’est une certaine vision du monde, une certaine mĂ©thode de gestion et de management intensive et rĂ©pĂ©titive qui nous a amenĂ©s Ă  ĂŞtre lĂ , ce matin, comme d’autres et d’autres fois. Pourtant, ce matin,  aucun d’entre nous ne portait de gilet jaune. Bien qu’il soit possible que certains d’entre nous aient dĂ©ja manifestĂ© avec des gilets jaunes. Comme si, sans mĂŞme nous concerter, nous nous Ă©tions tous appliquĂ©s Ă  bien nous dĂ©marquer du mouvement des gilets jaunes.

Et, Ă©videmment, aucun d’entre nous n’a cassĂ©, menacĂ© ou insultĂ© non plus qui que ce soit ou quoique ce soit. Un classique lors de nos manifestations. Comme il est aussi classique que le personnel soignant, lui, parte Ă  la casse, le plus souvent en silence et dans l’oubli des «dirigeants Â». Lesquels dirigeants font peut-ĂŞtre vĂ©ritablement, par moments, quand ils sont pris d’un sursaut de conscience et lorsque la durĂ©e de leur “mandat” le leur permet, ce qu’ils peuvent, mais qui ne peuvent pas, aussi, combler tout ce qui a pu ĂŞtre nĂ©gligĂ© et oubliĂ© pendant des annĂ©es avant eux.

 

Les trois dirigeants que nous avons vus ce matin n’avaient pas peur de nous. A l’hĂ´pital, c’est une tradition sĂ©culaire d’avoir des employĂ©s qui ont, dans leur grande majoritĂ©, peur de leurs dirigeants. Que les dirigeants soient directeurs d’hĂ´pital, responsables du service de DRH, mĂ©decins ou cadres. Comme dans toute entreprise, il y a une sorte d’organigramme un peu militaire qui y rĂ©gente les relations humaines selon les vertiges hiĂ©rarchiques. Avec cette particularitĂ©, je le rappelle, que nous parlons d’un personnel majoritairement fĂ©minin dans un monde dirigĂ© par des hommes. Personnel soignant dont les principales motivations sont de soigner et d’assister et non de se bagarrer Ă  l’image de ces combattants- armĂ©s- qui sont entraĂ®nĂ©s et aguerris pour survivre, nuire, dĂ©truire, tuer et proscrire. Les dirigeants politiques-  et bien d’autres dirigeants- savent construire leurs discours, leurs attitudes et leurs projets en fonction de ces motivations et de ces particularitĂ©s d’engagement :

On ne s’adresse pas à Rambo ou à Terminator de la même façon que l’on va s’adresser à un soignant, celui-ci fut-il légitimement en colère et en nombre.

 

 

Ce matin, nous sommes repartis sans faire de bruit. Le jour oĂą des dirigeants dĂ©cideront de faire matraquer  par des forces de l’ordre celles et ceux dont le mĂ©tier est de soigner, sans doute que beaucoup changera. En attendant, nous continuons de nous adresser Ă  celles et ceux qui ont pouvoir de dĂ©cision, et, en principe de rĂ©flexion, car nous pensons que c’est comme ça qu’il faut faire. Que c’est comme cela que nous pouvons gagner en crĂ©dibilitĂ©.

 

 

 

Franck Unimon, mardi 5 novembre 2019.

 

 

 

 

 

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                                                              Massage Assis

« A un moment, il faut rendre leur corps aux gens Â» m’avait dit ma tutrice en formation massage. C’était il y a trois ou quatre ans. Je me trouvais alors chez elle et sa compagne près de la gare de l’Est. Je venais de lui faire un massage sur table.

 

«  Le corps, c’est l’inconscient Â» m’avait dit un collègue pĂ©dopsychiatre et lacanien que je n’ai jamais massĂ© et que j’ai du mal Ă  imaginer recevant un massage. Ce collègue brillant et attachant fait selon moi partie de toutes ces personnes atteintes profondĂ©ment par ce que j’appelle la nĂ©vrose de «  la pensĂ©e souveraine Â».  Mais il est possible que je me plante complètement :

Dans certaines conditions -qu’elles choisissent- beaucoup de personnes peuvent  nous Ă©tonner par leur ouverture d’esprit.

 

«  Le massage peut permettre certaines dĂ©rives sectaires Â» m’avait Ă  peu près dit une amie kinĂ© avec laquelle nous avions, un moment, envisagĂ© de rĂ©aliser des massages Ă  quatre mains sur table.

 

«  Le massage, c’est un bon moyen de drague ? Â» m’avait demandĂ© lors d’un Ă©vĂ©nement techno, avec un air « complice Â», un jeune commercial sĂ»rement dĂ©jĂ  particulièrement douĂ© pour sĂ©duire.

 

«  J’ai dĂ©jĂ  fait (reçu) plein de massages Â» m’avait dit mon « cobaye Â» : un robuste moniteur de plongĂ©e et d’apnĂ©e, motard par ailleurs. Il se trouvait alors sur la table de massage et j’étais en train de lui masser le dos dans ce centre de plongĂ©e et d’apnĂ©e que je dĂ©marchais afin d’y proposer mes services.

 

Un de mes amis d’enfance avait, soudainement, entrepris de satisfaire un besoin urgent alors que je le massais sur table : consulter ses sms.

 

Mon petit frère (déjà adulte) était resté endormi cinq bonnes minutes sur la table après que j’aie eu fini de le masser la première fois.

 

Lors d’un Ă©change de pratiques de massages, il m’est arrivĂ© de me faire masser par un homme qui, en cours de route, avait eu envie d’un autre genre d’échanges. Nous Ă©tions chez lui et j’étais sur la table tandis que le programme radiophonique de France Culture diffusait son contenu. Cette erreur d’aiguillage, rĂ©gulĂ©e Ă  un moment donnĂ©, a aussi fait partie de ma formation. Et de celle de ma compagne. Comme elle me l’a ensuite dit lorsque je lui ai racontĂ© :

« Tu as de la chance d’avoir une femme comme moi Â».

 

Après le judo, après quelques expĂ©riences de comĂ©dien au théâtre et au cinĂ©ma dans des courts-mĂ©trages, après l’écriture, après la plongĂ©e, après le journalisme (bĂ©nĂ©vole) cinĂ©ma, après des annĂ©es d’exercice en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie, je m’étais dĂ©cidĂ© Ă  suivre l’exemple d’autres collègues de mon service afin de me former au massage bien-ĂŞtre. Avant « Ă§a Â», plus jeune, je voulais ĂŞtre kinĂ© pour travailler dans le sport. Je voulais ĂŞtre journaliste. Faire de la philo et de la psycho.

Je m’étais finalement arrĂŞtĂ© Ă  la formation d’infirmier. C’est encore ce mĂ©tier qui, aujourd’hui, Ă©conomiquement, administrativement et socialement me fait « vivre Â» et, aussi, « m’estampille Â» et « m’étiquette Â».

 

Le mĂ©tier d’infirmier qui suscite tant de « correctes Â» et de sincères admirations est aussi un mĂ©tier de femmes- et d’executant(es)- dans une sociĂ©tĂ© et un monde masculin oĂą les dirigeants sont principalement certains hommes. Un certain type, un certain genre d’hommes.

 

Le mĂ©tier d’infirmier ne m’a jamais suffi. MĂŞme si une partie de ses valeurs me suivent souvent dans ce que je fais ailleurs, mon identitĂ© est Ă  cheval sur plusieurs cultures. Et je bascule rĂ©gulièrement de l’une Ă  autre. Aujourd’hui, je « suis Â» infirmier en pĂ©dopsychiatrie mais m’incarcĂ©rer dans cette gestuelle, cette pensĂ©e et ce vocabulaire, c’est me rĂ©duire en cendres. Je suis vivant et mobile. Ma poitrine se soulève, s’abaisse et je respire. Dans mes pensĂ©es, je chasse autant que possible les cendres et la dĂ©prime qui peuvent m’encombrer. Je les perçois lorsque elles commencent Ă  devenir trop prĂ©sentes, les perce. Et j’évacue.

 

 

Je n’étais pas particulièrement déprimé lorsque j’ai décidé, au début de cette semaine, de répondre à cet appel du 1er novembre.

 

 

Quelques fois, comme d’autres « anciens Â» stagiaires, je reçois de certains de mes anciens formateurs en massage « bien-ĂŞtre Â» des messages. Il peut s’agir, comme pour ce 1er novembre, d’être volontaire pour rĂ©viser et de permettre Ă  la formatrice d’avoir un nombre pair de participants.

 

Aujourd’hui, j’ai renoncĂ© Ă  me reconvertir dans le massage bien-ĂŞtre. Une de mes anciennes partenaires de jeu au théâtre ( pour la pièce La ComĂ©die des erreurs de Shakespeare que nous avions jouĂ©e avec d’autres au théâtre du Nord-Ouest)  avait raison :

Faire du massage bien-ĂŞtre est la continuitĂ© du mĂ©tier d’infirmier or ce que je voudrais dĂ©velopper en prioritĂ©, c’est plutĂ´t ma personnalitĂ© culturelle et artistique. Mais le massage, comme d’autres actes (respirer, Ă©crire, lire, pratiquer l’apnĂ©e, la photo) fait aujourd’hui partie de moi. Proche de l’Art martial et de la mĂ©ditation, le massage est un arc et aussi le miroir de ce que nous sommes. Entre la flèche et nous, ce qui changera la donne, plus que d’établir des records ou de vouloir devenir le meilleur masseur « du monde Â», c’est et ce sera l’intention.

 

RĂ©cemment, Ă  une formation sur le thème de SpiritualitĂ© et addictions, j’ai demandĂ© Ă  un intervenant quels Ă©taient les gardes fous contre une emprise sectaire ou jihadiste. Il m’a rĂ©pondu :

 

Liberté, gratuité et charité.

 

On peut évidemment devenir un professionnel (en massage bien-être ou dans une autre spécialité) et se faire légitimement rémunérer à hauteur de notre engagement. Et s’épanouir. Mais les rapports que l’on adopte et que l’on adoptera avec la liberté, la gratuité et la charité conditionnent et conditionneront beaucoup nos intentions ainsi que, souvent, ce que l’on vivra véritablement.

 

Ce 1er novembre, jour fĂ©riĂ©, je suis peut-ĂŞtre venu dans cet Ă©tat d’esprit :

 

Je n’ai pas gagné d’argent. J’ai été massé et j’ai massé. J’ai écouté, parlé et interrogé. Puis, à la fin de la journée, je suis parti faire ma nuit de travail à l’hôpital en ayant eu le sentiment d’avoir passé une très bonne journée. D’avoir été au rendez-vous avec moi-même.

 

 Ma journĂ©e avait d’abord bien commencĂ©- et tĂ´t- avec ma fille. Je m’étais bien entendu avec elle afin qu’elle laisse sa mère se reposer. J’étais parti de la maison plutĂ´t content de moi. Au lieu de m’être Ă  nouveau fâchĂ© :

 

J’allais passer ce jour fĂ©riĂ© avec d’autres personnes, la plupart inconnues, mais auparavant, je lui avais transmis quelque chose de la vie et du monde dans l’entente, l’apaisement et une comprĂ©hension, je l’espère, rĂ©ciproques. C’est ce qui, je crois, est Ă  l’oeuvre dans tout « bon Â» massage comme dans toutes ces relations avec les autres ainsi qu’avec nous-mĂŞmes que nous recherchons et essayons quelques fois- ou souvent- de vivre.

 

 

Franck Unimon, ce dimanche 3 novembre 2019.