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Lille J + 4

Oeuvre de l’artiste Iwy Lahcen

 

 

 

 

 

 

Lille J + 4

 

 

Notre séjour à Lille s’est terminé dimanche. Lille était nouvelle pour nous, en couple avec enfant. Nous n’attendions rien de particulier de Lille. Nous avions eu de différents bons échos depuis des années. Mais elle était restée cette ville secondaire dans nos pensées : Trop proche. A une heure de Paris en TGV. Trop au Nord. Et aussi trop loin de la mer et de la montagne. Même si « Lille, c’est pratique pour aller ensuite à Amsterdam, en Belgique ou à Londres ». Et puis, « La Grande braderie de Lille… ».

Six nuits sur place ont été insuffisantes pour échapper à cet effet secondaire de Lille : Cette ville nous a beaucoup plu. Devant Bordeaux et Rennes. C’en est même suspect. Très suspect. Qu’est-ce qu’on nous a caché ?

Cette ville nous a sûrement caché quelque chose.

Dans Lille-centre près de la rue de la Monnaie ou dans la rue de la Monnaie.

 

Essayons donc d’être méthodiques : durant cette petite semaine à Lille où nous avons effectué tous nos déplacements en transports en commun ou en marchant, il a fait beau la plupart du temps. Nous sommes bien-sûr allés dans les « vannes » à touristes. Dans les « bons » coins. En semaine à partir du lundi et aux heures creuses. Et de jour. Nous n’avions pas de raison particulière d’aller effectuer des selfies nocturnes en famille dans certaines sphères sensibles a priori situées-concentrées au « sud » de Lille.

 

 

Néanmoins, mes perceptions sur cette ville ont assez peu varié depuis notre retour. On sent à Lille un héritage historique particulier. Je le dis parce-que je l’ai lu :

Cette ville a morflé à chaque fois durant les deux Guerres Mondiales du 20 ème siècle. Son patrimoine picard et flamand ainsi que les diverses immigrations ont aidé à sa reconstruction et à son impulsion actuelle. La naissance sur son sol de Charles de Gaulle a fait de cette ville une terre Gaulliste. Et il m’a fallu ce séjour pour mieux comprendre à travers une ou deux plaques de commémoration comme, pour Pierre Mauroy, Maire de Lille en 1981, cela avait dû être une très forte victoire politique, personnelle et symbolique d’être le premier Premier Ministre du président socialiste François Mitterrand, un demi-siècle après Léon Blum.

 

 

Même si, ensuite, Pierre Mauroy avait dû laisser sa place de Premier Ministre et que peu à peu, le parti socialiste de François Mitterrand s’était révélé moins « beau » que ce qu’il avait promis d’être.

 

 

En se déplaçant dans le centre de Lille et ses quartiers les plus emblématiques, on perçoit la volonté- socialiste ?- depuis des années, de faire de cette ville un essaim d’horizons. Par ses deux gares à TGV, bien-sûr, Lille-Europe et Lille-Flandre (une station de métro ou dix minutes de marche à pied les séparent). Par son métro qui, s’il est moins dense que le métro parisien, est bien pratique couplé à ses autres moyens de transports en commun. Et par ses infrastructures, étudiantes, commerçantes…

 

Le sens de l’accueil lillois s’est confirmé à plusieurs reprises. Mais il faut aussi savoir se rappeler lorsqu’on s’attèle à critiquer le mépris parisien que Lille et sa région sont nettement moins peuplées que Paris et ses villes de banlieue. Par ailleurs, ce samedi vers 18h, j’ai brièvement fait l’expérience de remonter la rue Esquermoise à une heure de grande affluence. J’y ai été bousculé- à l’épaule- sans ménagement et sans un regard par une femme d’un certain âge qui m’a semblé faire partie de ce grand troupeau qui allait se vider vers le « Vieux-Lille ».

Dans le Vieux-Lille.

 

 

A défaut de pouvoir nous rendre sur le marché de Wazemmes (un des plus grands de France) quelques heures plus tôt, nous nous étions rabattus sur ses Halles le samedi midi au même endroit.

Les Halles de Wazemmes ce samedi. Le marchĂ© a lieu les mardis, jeudis et dimanches. Il semblerait qu’il soit plus beau les jeudis et les dimanches.

 

Les Halles de Wazemmes sont elles ouvertes du mardi au dimanche comme indiqué.

 

Les Halles de Wazemmes est/sont un lieu très agréable, entouré de bâtiments qui, déjà, montraient une ville de Lille moins épanouie même si ce quartier, en raison de sa mobilisation artistique et culturelle, ferait partie des quartiers qui « montent » à Lille.

 

 

 

En sortant du métro, des affiches annonçaient la manifestation du 20 juillet – à Paris- en mémoire d’Adama Traoré.

 

 

Cependant, dans ce quartier de Wazemmes, il y’avait de la vie et une ambiance paisible.

 

Ensuite, notre passage à Roubaix avait été assez déprimant. Une ou deux semaines avant nos vacances à Lille, j’avais croisé deux jeunes de Roubaix près de la rue Montorgueil, à Paris. Lorsque je leur avais demandé ce qu’il y’avait à voir ou à faire à Roubaix, les deux jeunes, d’une vingtaine d’années, m’avaient répondu stoïquement :

« Il n’y’a rien à Roubaix… ».

 

 

J’avais alors tenté : « Et la piscine de Roubaix ? ». Assurément, ils savaient de quoi je parlais mais ça les concernait très peu. Le musée de la Piscine de Roubaix a une très bonne côte y compris à Paris.

 

Je voulais absolument y aller pour l’exposition consacrée à l’Algérie. J’avais simplement oublié que cette exposition s’était terminée le 2 juin de cette année. Nous y sommes néanmoins allés car c’était un endroit « où aller » lorsque l’on est à Lille. Et les photos aperçues de la piscine de Roubaix m’avaient donné envie. Ainsi que l’exposition de l’artiste ISE.

 

 

ça m’a fait tout drôle, en sortant du métro, non loin de la gare de Roubaix, de voir ces rues désertes et ces commerces fermés un samedi, vers quatorze heures. J’ai pensé à ce que j’avais pu entendre dire de Detroit ( aux Etats-Unis), ville coulée économiquement et socialement par la crise et la fermeture des usines automobiles. Même si certains projets en particulier écologiques s’y développeraient. En nous rapprochant de la piscine de Roubaix, un peu plus bas, une statue commémorait celles et ceux de Roubaix qui s’étaient, de par le passé, sacrifiés.

Au fond à gauche, la statue à la mémoire des martyrs de la résistance.

 

Je me suis dit que cela devait être ça : à un moment de son histoire, Roubaix, qui est à 16 stations de métro de Lille soit à une vingtaine de minutes, et sa population avaient été sacrifiés et beaucoup de monde, ici, avait décidément beaucoup de mal à s’en remettre.

 

Le musée de La piscine de Roubaix a été une espèce d’oasis. Nous y avons aussi sans doute croisé autant de personnes que dans les rues de Roubaix.

 

 

 

 

 

Buste de jeune fille, oeuvre en marbre et lapis-lazuli rĂ©alisĂ©e en 1889 par l’artiste Jean Dampt.

 

 

 

 

 

 

En sortant de la piscine de Roubaix, nous nous dirigions vers un « commerce » où l’on pouvait être susceptible d’acheter du linge de maison de bonne qualité. Après avoir dépassé un terrain de basket où quelques jeunes jouaient. Le terrain de basket était derrière le musée de la piscine.

Je m’étais demandé si ces jeunes qui jouaient au basket en plein soleil étaient allés une seule fois se mettre à l’ombre au musée de la Piscine. Par expérience, je sais que l’on peut multiplier pendant des années nos regards sur un lieu « prestigieux » et vecteur d’avenir et s’en soustraire car on le trouve trop abstrait. Même s’il est ouvert au plus grand nombre et à l’addition des chances.

 

 

Nous nous étions éloignés d’une bonne centaine de mètres de ce terrain de basket quand j’ai entendu plusieurs coups de klaxon suivis de : « Hé, Négro ! ». Un angle de mur et plusieurs mètres me séparaient de celui qui appelait. Estimant que cette personne devait sûrement s’adresser à quelqu’un d’autre, après une ou deux secondes, sans même me retourner, j’ai donc repris ma marche. Ça ne pouvait pas être moi. Et puis, j’ai entendu deux hommes qui se parlaient, contents de se revoir.

 

 

Il nous a fallu plus de temps pour aller jusqu’au magasin de linge de maison que pour en repartir.

 

 

Une ouvrière très aimable m’a ouvert la porte puis est retournée à son atelier. Je la voyais comme elle me voyait à travers deux fenêtres ouvertes. J’ai regardé les serviettes. Et d’une, toutes ces serviettes étaient laides avec cette inscription « La piscine ». Et de deux, cela me mettait très mal à l’aise de déranger cette ouvrière qui, si elle bénéficiait sans doute de meilleures conditions de travail qu’ailleurs, me donnait l’impression de remplir ainsi deux fonctions. Nous sommes très vite repartis. Bien-sûr, Roubaix n’est pas Lille. Et le Maroilles n’est pas le camembert. Et, Bien-sûr, à Roubaix comme à Lille, il y’a des personnes pleines d’énergie et qui s’en sortent. A notre arrivée à Roubaix, il s’était mis à pleuvoir et il faisait assez gris. Lorsque nous sommes sortis de la piscine de Roubaix, il avait arrêté de pleuvoir. Et il y’avait un très beau ciel bleu. A la gare, un homme nous a dit qu’il n’y’avait pas de train aujourd’hui. Alors, nous sommes repartis comme nous étions arrivés. Par le métro.

 

Je suis descendu à la station Rihour où j’ai vécu un peu le centre de Lille un samedi en fin d’après-midi, à une heure d’affluence. Avant notre départ le lendemain, je voulais faire quelques derniers achats de pâtisseries. J’ai eu de la chance : j’ai obtenu la dernière brioche sucrée et le dernier pot de glace à la vanille de 500 ml chez Méert où des gens faisaient désormais la queue tandis que dans la rue des passants lorgnaient sur la vitrine.

 

Juste derrière moi, une femme arrivait trop tard pour acheter sa brioche sucrée. L’employé a fait un peu d’humour : « Faites monter les enchères… ».

 

 

 

Devant moi, un couple de jeunes (re)faisait l’expérience de se sentir des personnalités importantes en commandant des pâtisseries pour eux et leurs amis. Chez le pâtissier Alex Croquet, j’ai eu la chance d’acheter la dernière ensaimada.

 

 

 

Puis, je me suis fait un peu secouer par une femme-bovidé en retournant au métro. J’ai néanmoins réussi à retourner à notre appartement sans me faire encorner.

 

A Lille et dans ses environs, nous n’avons pas pu prendre le temps d’aller découvrir la gare St Sauveur, le marché de Wazemmes, les Prés de Hem, le Musée de l’Air ainsi que sa vie nocturne. Sa célèbre grande braderie a lieu « le premier week-end du mois de septembre ». La ville de Lille possède sans aucun doute encore bien d’autres attraits.

 

Cet article clôture mes portraits de Lille démarrés dans mes articles précédents Lille-Jour 1, Premières impressions lilloises, Lille. Troisième portrait et Lille, vendredi 19 juillet 2019.

 

Franck Unimon, ce jeudi 25 juillet 2019.

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Lille, vendredi 19 juillet 2019.

Dans le Vieux-Lille. A quelques rues, se trouve la maison natale de Charles de Gaulle.

 

 

Hier encore, en apprenant oĂą je passais mes vacances, mon interlocuteur, alors au Cap Ferret, m’a rĂ©pondu :

” Lille, c’est bien. Mais je prĂ©fère ĂŞtre près de la mer”. Je ne peux pas lui en vouloir. Etre aux abords de la mer, dessus ou dessous, cela fait de nous des libellules du possible.

Mais Lille nous plait beaucoup. Et nous allons continuer de profiter encore – un peu- de notre bulle “lilloise” pour apposer d’autres photos qui sont bien-sĂ»r les fenĂŞtres que nous choisissons d’ouvrir.

Cet article est la suite des articles Lille-Jour 1 , Premières impressions lilloises et Lille. Troisième portrait.

 

Au fond, le palais des beaux-arts.

 

Un danseur répète ses pas.

 

 

L’Ă©cole supĂ©rieure de journalisme de Lille, très rĂ©putĂ©e.

 

Après l’enseigne MĂ©ert, cela a Ă©tĂ© un plaisir particulier de tomber par hasard sur le magasin de chaussures La Botte Chantilly et d’y entrer pour la première fois. MĂŞme si j’en suis ressorti les mains vides.

 

Dans la rue Esquirmoise ou près de la rue Basse, j’ai aperçu un passage qui n’a l’air de rien et que je n’avais pas remarquĂ© les autres fois. En le prenant, je me suis trouvĂ© dans cet endroit. En poursuivant, j’ai fait d’autres “dĂ©couvertes”.

 

Iwy Lahcen est l’auteur de cette oeuvre.

 

 

Oeuvre d’Iwy Lahcen.

 

Je n’avais pas entendu parler de cet endroit. Mais je me suis aussitĂ´t dit que j’Ă©tais bien tombĂ©.

 

En outre, Ă  quelques jours près, nous n’aurions pas pu en profiter.

 

 

 

 

 

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 19 juillet 2019.

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Lille. Troisième portrait

 

 

 

Lille. Troisième portrait.

Une des sorties possibles de la gare Lille-Europe en se dirigeant vers la gare Lille-Flandre, vers le centre-ville et le vieux Lille.

 

En allant vers la gare Lille-Europe.

 

C’est dans cette rue que nous avions croisĂ© les deux jeunes qui nous avaient recommandĂ© le restaurant ” Les 3 Brigands de Di Napoli”, rue St-Etienne. ( Mon article Lille-Jour 1 )

 

Dans le quartier St-Maurice.

 

 

 

 

C’est le journal qui m’a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme Ă©tant celui de rĂ©fĂ©rence concernant Lille.

 

A la Vieille Bourse de Lille.

 

A portée de voix de la place du Général de Gaulle.

 

 

Le long du quai du Wault.

 

Le Quai du Wault avec le coup d’oeil du soleil.

 

Un documentaire vu Ă  Paris avant notre dĂ©part pour Lille. J’espère le chroniquer bientĂ´t ainsi que  Le Chant de la ForĂŞt et  Parasite.

 

Un incontournable. Je n’en n’avais jamais mangĂ©.

 

Après ĂŞtre descendus au terminus de la ligne 1 du mĂ©tro ( arrĂŞt CHU-EurasantĂ©), nous avons pris un car ( frĂ©quence : environ un car par heure). Vingt minutes plus tard, ce car ( le 229) nous a dĂ©posĂ© près du parc Mosaic. ConstituĂ© d’aires ludiques pour les enfants et les familles, le parc Mosaic aspire au rassemblement des cultures, Ă  la (re)connaissance de la nature ainsi qu’aux bienfaits de l’Ă©cologie. Nous sommes alors Ă  une dizaine de kilomètres de Lille. Les trois photos suivantes ont Ă©tĂ© prises au parc Mosaic.

 

 

 

 

 

 

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 18 juillet 2019.

 

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Premières impressions lilloises

 

 

 

 

 

          Premières impressions lilloises

 

 

Hier en début d’après-midi, nous venions de descendre du TGV à la gare de Lille-Europe lorsque nous sommes passés à côté d’une file de gens. Ils attendaient pour partir à Londres. La proximité de Lille avec Londres a aussitôt été très concrète. Un employé de la gare, un noir en tenue de vigile portant chasuble orange, s’assurait que tout le monde était bien dans la file. L’ambiance était détendue. Ces personnes dans la file d’attente, cela aurait pu être nous souhaitant effectuer un séjour à Londres.

 

Quelques mètres plus loin, ce sont deux hommes de ménage « barbus » qui nous ont confirmé la sortie à prendre pour nous rendre dans le centre-ville. L’un des deux, monté sur son véhicule de nettoyage, nous a obligeamment renseigné.

 

Après avoir déjeuné au restaurant Les 3 Brigands de Napoli, nous avons marché jusqu’au logement que nous avons loué pour ces quelques jours à Lille. Le téléphone de ma compagne indiquait :

« Trente et une minutes de marche ». Aller dans le centre-ville nous avait éloigné.

« A dix minutes de la gare Lille-Europe » affirmait sur le site la première annonce de notre « logeur ». Mais je suis tombé sur une autre annonce nous informant que nous étions à « Quinze minutes de la gare Lille-Europe ». Sourire complice de ma compagne en l’apprenant :

Il est plus attractif de présenter son appartement à dix minutes.

En revenant sur nos pas, nous sommes passés par la rue Pierre Mauroy. Particularité lilloise. Découvrir ce nom de rue m’a rappelé les premières années euphoriques du gouvernement socialiste entre 1981 et 1983. Pierre Mauroy, alors Premier Ministre de François Mitterand, était également maire de Lille ( il l’a été de 1973 à 2001).

Le TGV est « arrivé » à Lille en 1993. Néanmoins, pendant des années, cette ville a été uniquement un nom pour moi. Une ville connue pour sa Grande Braderie que je ne connais pas. En 1993, j’étais sans doute encore trop séduit par le sud de la France comme, plus jeune, on peut également être fasciné par New-York et les Etats-Unis au détriment du reste du monde. J’étais aussi davantage attiré par un pays comme l’Ecosse où j’avais effectué un premier séjour en 1990.

Martine Aubry, l’ancienne Ministre, m’évoquait aussi Lille. Mais si Pierre Mauroy m’avait d’abord inspiré une certaine sympathie puis l’image d’un homme politique dépassé, Martine Aubry, elle, bien qu’étant la Ministre des « 35 heures » me laissait l’impression d’une politicienne autoritaire, de plus en plus isolée, et aigrie. Bien-sûr, je crois qu’il est assez rare que la personnalité d’une figure politique d’un pays ou d’une région incite à venir y faire du tourisme.

Lille est néanmoins devenue une personne fréquentable il y’a bientôt une vingtaine d’années : Une collègue-amie venait de cette ville et, tous les week-end, pratiquement, celle-ci retournait dans son bercail lillois. Les Champs Elysées et Lille semblaient alors être les principales attaches de sa vie. Les Champs Elysées/ Lille, Lille/ Les Champs Elysées. Aujourd’hui, et depuis des années, je crois qu’elle s’est un peu guérie de cette folie.

On comprend un peu mieux une personne en voyant oĂą elle habite.

Je n’ai pas vu grand chose de Lille. Mais c’est ce que je me suis dit hier en marchant dans certaines rues de Lille à notre arrivée. Ces maisons de ville et ces petits bâtiments que nous avons aperçus m’ont rappelé ce passé « ouvrier » de Lille. Même si cette architecture peut déjà faire penser à certains quartiers anglais où peut subsister, aussi, un certain passé ouvrier. Non loin de là où nous sommes logés se trouve la rue de la Briqueterie. Ce monde fait de briques évoque celui de l’ouvrier.

Je m’étais déja fait cette même remarque la veille, ce dimanche 14 juillet, en plein Paris :

 

On comprend un peu mieux une personne en voyant oĂą elle habite.

 

 

 

Le métro nous met à cinq minutes du centre-ville de Lille.

 

 

 

Ce dimanche 14 juillet, Ă  Paris, pour le travail, j’étais parti faire quelques courses. Un peu de nourriture pour « amĂ©liorer l’ordinaire », des cigarettes ainsi que le journal Les Ă©chos pour un patient-client. Il faisait beau lorsque j’étais sorti du service oĂą j’effectuais un remplacement. En passant, j’ai regardĂ© certaines de ces personnes attablĂ©es, avenue des Ternes, avenue de la Grande ArmĂ©e, près du Palais des Congrès et de la Porte Maillot. RĂ©sident de Nanterre durant mes dix sept premières annĂ©es, j’ai toujours vĂ©cu en banlieue parisienne. J’ai eu peur de m’installer Ă  Paris lorsque cela aurait Ă©tĂ©- plus facilement- dans mes moyens financiers vingt ans plus tĂ´t. A cette Ă©poque, pour un primo-accĂ©dant Ă  la propriĂ©tĂ© en rĂ©gion parisienne, la norme Ă©tait d’obtenir un crĂ©dit immobilier intĂ©gral ( sans apport) de 15 Ă  20 ans. Et on Ă©tait ( très) content lorsque l’on obtenait un prĂŞt immobilier Ă  un taux fixe de 3,5% ou 4% hors assurance.  Mais j’ai Ă©tĂ© trop timorĂ©. J’ai peut-ĂŞtre manquĂ© de perspectives. J’ai aussi cru que j’allais me noyer au milieu de trop de perspectives. J’étais sĂ»rement trop prisonnier du ballet de certaines idĂ©es et de certaines craintes comme de celui de certains devoirs aussi. Je suis restĂ© dans cet environnement que je connaissais depuis mon enfance : la banlieue parisienne. Il y’avait et il y’a – aussi- heureusement, des bons cĂ´tĂ©s dans ce lieu de rĂ©sidence. Mais disons que vivre en banlieue parisienne, selon l’endroit oĂą l’on habite, c’est un peu plus prendre le risque d’ĂŞtre dĂ©favorisĂ© pour accĂ©der aux soins, Ă  de bonnes Ă©tudes ou Ă  de bons moyens de transport : pendant une vingtaine d’annĂ©es, j’ai Ă©tĂ© tributaire de la ligne A du RER pour me dĂ©placer de Cergy-Pontoise Ă  Paris. Plusieurs fois, j’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de voir passer devant moi plus de RER Ă  destination de la ville de St-Germain en Laye, une ville pourtant plus proche et sans doute moins peuplĂ©e que les villes de Cergy-PrĂ©fecture, Cergy-St-Christophe ou Cergy-Le-Haut qui me concernaient.

 

 

Le 17ème arrondissement de Paris est un lieu géographique assez proche d’Argenteuil, la ville de banlieue- considérée comme « populaire » voire assez « pauvre »- où j’habite désormais. Mais ce 14 juillet, en regardant un certain nombre de ces personnes croisées dans le 17ème arrondissement, en terrasse au restaurant , au café, ou devant ces immeubles de « prestige », dans un certain cadre de vie plutôt privilégié, je me suis dit qu’il leur était sûrement impossible et impensable d’imaginer ce que peut être la vie vue de certains endroits de banlieue pourtant proches. Je me suis aussi dit que pour certaines de ces personnes, la vie en banlieue est un lieu de perdition sociale et morale. Et, pourquoi pas, mentale !

Gilets jaunes et gilets noirs étaient peut-être pour quelques uns assez semblables à des aborigènes d’Australie ou à des Indiens d’Amérique consignés dans des réserves éloignées pour raisons sanitaires à des milliers de kilomètres de là. Bien-sûr, mon avis, ici, est lapidaire et manque de nuance : on peut être riche, privilégié ou sembler l’être, être au courant des mouvements sociaux de son quartier, sa région ou de son pays et se sentir parfaitement impuissant devant eux comme devant leurs causes.

On peut aussi être riche, privilégié ou sembler l’être et militer activement – bien plus activement que moi- pour que le monde change et évolue.

On peut aussi être riche, privilégié ou sembler l’être, et tout autant souffrir intérieurement de sévères déboires personnels ou familiaux . Le Dr Tempura nous l’avait dit il y’a plusieurs années. Et cela est avéré.

Parmi ces personnes attablées tranquillement ce 14 juillet, deux ou trois hommes portaient une kippa. Je me suis demandé la raison pour laquelle ils la portaient dans un espace public : Auparavant, lorsque certaines tensions communautaires étaient « moins » vives, avant le 11 septembre 2001, avant les attentats de l’Hyper Cacher et « de » Charlie Hebdo, avant les meurtres de M.M… , avant le Gang des barbares et la mort d’Ilan Halimi, je ne me serais pas posé cette question. Mais, là, ce 14 juillet 2019, je me suis demandé si ces hommes portaient leur kippa car quelqu’un de leur famille avait servi la France durant la Guerre. Ou si c’était pour honorer l’Histoire de leur famille d’une manière générale depuis les premiers pogroms dont des juifs avaient pu être victimes en passant – comme s’il était possible de passer dessus- par la shoah jusqu’à la création de l’Etat d’Israël. Je me suis demandé, si, pour ces hommes, porter la kippa ouvertement, revenait au même que, pour des Noirs, lever le poing serré, recouvert d’un gant noir, du « Black Power ». Sauf que nous étions dans le 17 ème arrondissement, quartier de Paris- et de France- plutôt privilégié, détendu et agréable, et très différent d’autres quartiers de Paris et d’ailleurs où désert et misère s’associent et se meurtrissent.

 

On peut s’en dire des choses, hein, en effectuant un petit séjour touristique comme moi à Lille. Je vais me reprendre. Il est 9h10 ce matin. Notre résidence est calme. Même si, tout à l’heure, ma compagne m’a demandé :

« Tu n’as pas entendu le bruit, cette nuit ? Quatre Boum-Boum. Comme si quelqu’un avait tiré avec un fusil ? ». Non, je n’ai rien entendu cette nuit. Notre « résidence » est calme.

 

A part, quelques fois, des personnes qui passent dans le couloir devant l’appartement, nous avons entendu notre première voiture ce matin vers 8 heures. Chez nous, Ă  Argenteuil, lors de la victoire de l’AlgĂ©rie Ă  la Coupe d’Afrique de Football, quelques jours plus tĂ´t, nous avions eu droit Ă  des cris d’allĂ©gresse et des coups de klaxon en pleine nuit en bas de chez nous. Et mĂŞme sans match de Foot, nous avons assez rĂ©gulièrement l’honneur de profiter des goĂ»ts musicaux d’un automobiliste arrĂŞtĂ© au feu rouge. Ou de la joie de futurs mariĂ©s et de leurs invitĂ©s Ă©galement vĂ©hiculĂ©s. Il est nĂ©anmoins bien des endroits calmes Ă  Argenteuil.

Non, cette nuit, je n’ai rien entendu.

Par contre, ce matin, j’ai bien entendu ma fille me reprocher à nouveau d’être devant mon ordinateur et de ne pas pouvoir venir s’asseoir sur mes genoux. Et pourquoi j’écris ?!

Je l’ai aidée à s’asseoir sur mes genoux et je lui ai expliqué :

« Parce qu’au fur et à mesure de notre voyage, nous allons oublier des choses. C’est vrai que tu me vois souvent en train d’écrire avec mon ordinateur. Mais ça ne m’empêchera pas d’être avec toi et avec maman ». Je me suis alors tourné vers ma compagne qui m’a demandé  :

« Pourquoi tu me regardes ? ». Je me suis à nouveau adressé à notre fille :

« Et toi, qu’est-ce que tu as remarqué depuis que nous sommes arrivés à Lille hier ? Qu’est-ce qui t’a plu ? ». Ma fille a réfléchi. Elle se souvient d’avoir vu des statues

 

( je le lui ai soufflĂ©), un petit chien qui aboyait ( je n’ai pas pris de photo du petit chien) . Et, elle trouve que les maisons sont jolies.

Je me fais assez peu d’illusions : ma fille va sûrement se souvenir que lors de notre séjour à Lille, je passais –tout- mon temps à écrire sur mon ordinateur. Peu importent ces moments que je passerai avec elle et sa mère loin de mon ordinateur et de mes photos et de mes mots. C’est comme ça que ça marche : entre nous et nos enfants. Entre nous et nos parents. Et entre nos enfants et nous.

 

MĂŞme s’il est sĂ»rement moins frĂ©quentĂ©- et un peu plus Ă©troit- que le mĂ©tro parisien, nous avons pris le mĂ©tro lillois Ă  une heure creuse.

 

 

 

“La Voix du Nord”. Cette “phrase” m’intriguait. Je pressentais qu’elle avait une importance particulière mais je ne trouvais pas. Ma compagne a eu la bonne intuition : La voix du Nord, c’Ă©tait sans doute celle Charles De Gaulle pendant la Seconde Guerre Mondiale. Nous sommes sur la place GĂ©nĂ©ral De Gaulle.

 

Un copain de mon club d’apnĂ©e m’avait parlĂ© de cette enseigne pour ses gaufres. L’enseigne MĂ©ert qui est un des incontournables Ă  Lille. C’est ce qu’il m’a dit il y’a environ deux semaines. J’avais oubliĂ© le nom de cette enseigne et puis nous sommes passĂ©s devant. A la bonne heure. Pas de queue. Rien qu’Ă  la façon d’y entrer, on comprend que l’on est dans un lieu “sĂ©lect” et quelque peu feutrĂ©. Bon, ils ne prennent pas les chèques vacances ( j’ai eu besoin de demander) mais ils acceptent les tickets restaurant. J’ai prĂ©fĂ©rĂ© m’acheter une brioche. Mais le bout de gaufre que m’a tendu par ma compagne Ă©tait bon.

 

 

 

 

 

 

Hier en arrivant Ă  Lille, nous avons optĂ© pour la simplicitĂ© en allant acheter du pain Ă  la boulangerie la plus proche de notre “logement”. En apercevant les baguettes de pain, j’ai dĂ» me rendre Ă  l’Ă©vidence : dès le lendemain, nous achèterions du pain ailleurs. “Ailleurs”, c’Ă©tait aujourd’hui et c’est dans la boulangerie d’Alex Croquet pas très loin de l’enseigne MĂ©ert. Il y’a d’autres bonnes boulangeries mais c’est la première sur laquelle nous sommes tombĂ©s ce matin en arrivant dans le centre-ville.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A Lille, je m’attendais Ă  uniquement du bĂ©ton. Et nous arrivons lĂ  Ă  environ dix-quinze minutes Ă  pied du centre-ville.

 

 

Je me sens obligé de rappeler que nous sommes venus là un jour de semaine à une heure où la majorité des gens est encore au travail. Même si nous avons croisé quelques coureuses et coureurs ainsi que quelques promeneurs.

 

 

 

 

 

De retour dans le centre-ville, notre déjeuner fut moins vertueux que sur cette photo.

 

 

 

 

 

Une installation faite de “soleils” se tient Ă  la vieille bourse de Lille.

 

 

Un endroit agrĂ©able et Ă©tonnant oĂą tous les jours, de 13h Ă  19h, sauf les lundis, se tiennent des puces ( affiches de films, dvds, livres, bandes dessinĂ©es, magazines, vinyles…).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Franck Unimon, ce mardi 16 juillet 2019.

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Lille-Jour 1

Lille-Jour 1

 

« Vous avez Google Maps sur votre téléphone ? ».

 

J’aimerais un jour retourner au Japon. Un collègue m’a ramené ce thé vert du Japon récemment.

 

Nous sommes arrivés à Lille depuis une quinzaine de minutes et près de l’Opéra de Lille, je viens d’accoster deux jeunes en pleine croissance. C’est tout un état d’esprit que d’aborder quelqu’un dans la rue afin de lui demander un renseignement. Je le fais encore souvent. Peu importe « l’aide » que nous apportent les nouvelles technologies. Si en voiture, je me laisser volontiers téléguider par une boite vocale, piéton, je recommence à m’adresser aux inconnus que je croise. C’est peut-être une maladie qui sera un jour diagnostiquée. Car, bien-sûr, à chaque fois, au préalable, je m’improvise directeur de casting et effectue une « sélection » avant d’entrer en contact avec l’atmosphère de l’autre : Car Il s’agit d’essayer de deviner à la fois celle ou celui, ou ceux, qui seront susceptibles de se rendre disponibles. Et « compétents ».

 

Evidemment, en pratique, le taux de réussite du premier coup varie beaucoup. Car on « trouve » de tout. Celle ou celui qui n’est pas du coin. Celle ou celui qui est malvoyant et sourd. Celle ou celui qui vous ignore. Celle ou celui qui est du coin mais qui ne connaît pas la rue ou le lieu que vous recherchez. Ce qui est, je crois, de plus en plus fréquent à mesure que l’on se fie aux nouvelles technologies et sans doute au fait, aussi, que l’on s’enferme vite dans les mêmes itinéraires. Nos déplacements sont aussi nos tours d’ivoire. Et, peu à peu, nous regardons peu ou de moins en moins ce qui nous entoure. Finalement. Ne serait-ce que dans un magasin et dans bon nombre d’autres espaces que nous empruntons (les gares par exemple) où notre regard est souvent horizontal et paramétré par notre but à atteindre et notre obsession de « l’efficacité ». Tels des joueurs de foot ou de tennis obnubilés par le camp adverse et le fait de trouver les moyens les plus habiles pour y accéder.

 

Avant de m’adresser à ces deux jeunes, j’ai déjà questionné une personne et un couple. Le couple m’a répondu ne pas être de la région. Une jeune femme au profil d’étudiante portant des lunettes et un sac de soldes a fait de son mieux pour me répondre. Son manque d’assurance m’a étonné. M’indiquant un point géographique au loin, elle m’a dit que j’aurais peut-être plus de chance en allant par là. C’est en allant « par là », à une centaine de mètres, suivi de ma compagne et de notre fille, que nous sommes arrivés sur la Grande Place dont, pour l’heure, je n’ai pas encore pris le temps de retenir le nom( la place De-Gaulle). Mais je me souviens de « la Voix du Nord ». Du restaurant Alcide, je crois. De noms de magasins désormais répandus partout. Et de quelques terrasses où des personnes déjeunaient. Et d’autres commerces plus loin.

Déjà, je crois, j’ai été étonné de voir aussi facilement des agences de la Banque Postale. Mais ce n’est pas de ça dont j’ai conversé avec les deux jeunes.

 

Les deux jeunes devaient avoir dans la quinzaine et me dépassaient de deux bonnes têtes. Longilignes, bien éduqués, ils ont eu l’air de se demander ce qui leur arrivait lorsque je les ai sollicités. Il doit être rare qu’un adulte leur demande ce genre d’information. Ils semblaient à la fois un peu pressés mais aussi désireux de rendre service tout en étant désarmés. J’ai rajouté un peu de pression en précisant : « Surtout pas un Mac Donald ! ». Devant la tête un peu surprise d’un des deux jeunes, j’ai alors ajouté : « Vous voyez, les clichés… ».

Non, non, m’ont-ils assuré, ils n’étaient pas si pressés que ça. Et puis, un des deux a pensé à ce restaurant-pizzeria :

Les 3 Brigands di Napoli. Mais comment me dire où ça se trouvait ? Cela semblait assez loin. A une bonne dizaine de minutes. L’autre jeune m’a demandé :

« Vous n’avez pas Google Maps sur votre téléphone ? ». J’ai répondu : « Si, mais mon téléphone est éteint ». Puis, celui qui avait suggéré l’idée a localisé le restaurant sur son téléphone portable. Le restaurant se trouvait….à une minute. Mais il ne pouvait pas bien le situer. A part le fait qu’il fallait tourner à droite sur la place et qu’il se trouvait dans une « petite rue ».

 

J’ai ensuite demandé à deux ou trois personnes où se trouvait le restaurant Les 3 Brigands di Napoli. Une dame d’une soixantaine d’années s’est mise à rire lorsqu’elle a entendu le nom du restaurant. Comme si c’était une blague et aussi parce qu’il n’y’avait aucune chance pour qu’elle connaisse ce genre d’endroit. Un jeune couple était volontaire pour me répondre. Mais il s’est très vite découragé. Alors, j’ai continué à marcher dans la direction supposée. J’étais à la fois concerné par ma compagne et ma fille qui suivaient quelques mètres derrière moi car il était un peu plus de 13h30 et nous avions encore nos bagages. Nous marchions depuis près d’une vingtaine de minutes. D’un autre côté, et mon meilleur ami Driss pourrait en témoigner en souvenir de notre séjour en Yougoslavie en 1989, je puis par moments marcher sans que le temps pénètre mes pensées. Comme un fou.

Mais j’ai trouvé la petite rue assez vite. En moins de cinq minutes. J’ai aperçu l’enseigne dans la rue St-Etienne, je crois. L’endroit nous a tout de suite convenus.

 

 

C’Ă©tait très bien car  je voulais Ă©viter la nasse Ă  touristes ainsi que le rĂ©servoir de Junk food.

Par ailleurs, nous sommes arrivés à la bonne heure car j’ai peu de mal à croire que Les 3 Brigands di Napoli marche bien question affluence.

 

 

 

Nous avons Ă©tĂ© très bien reçus dans un restaurant calme comportant quelques clients. Un musicien ( peut-ĂŞtre un saxophoniste) est venu dĂ©jeuner Ă  cĂ´tĂ© de nous quelques plus tard. Il a dĂ©posĂ© l’étui rigide de son instrument près de lui et a souri en voyant notre fille s’amuser sous la table Ă  la fin du repas.

 

Merci à ces deux jeunes de nous avoir conseillé cet endroit. Et merci à ma compagne et à ma fille de m’avoir suivi.

 

Franck Unimon, ce lundi 15 juillet 2019

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Cinéma Moon France

Kassav’

 

 

Kassav’ un documentaire de Benjamin Marquet

En replay sur FR3 jusqu’au 29 juillet 2019.

 

« L’histoire de Kassav’, c’est l’histoire du groupe français le plus connu au monde » commente le narrateur Thierry Desroses. Le documentaire a alors débuté depuis une minute et trois secondes. Il dure un peu moins d’une heure vingt pour décrire plus de quarante ans de musique et de conscience.

Car la musique de Kassav’, le Zouk, est une musique dansante et consciente. Moins frontale politiquement que le Reggae qui est au départ une musique militante ( comme rappelé dans le bon « documentaire » Inna de Yard de Peter Webber en salles depuis ce 10 juillet 2019) , le Zouk de Kassav’ comporte aussi des chroniques du quotidien des Antilles françaises. A l’opposé d’un groupe comme La Compagnie créole un tout petit peu critiqué dans le documentaire Kassav’ de Benjamin Marquet. L’artiste Francky Vincent aussi (très) connu en France pour ses chansons « légères » n’est pas mentionné dans le documentaire. Cependant, aux côtés de certains des titres « charnels » de Francky Vincent, je me souviens d’un de ses titres où il dénonçait le droit de cuissage au travail dans les années 80. Je ne me rappelle pas que La Compagnie Créole ait abordé ces thèmes dans ses tubes :

 

« Le droit de cuissage au travail, c’est bon, bon ! Bon, bon ! C’est bon, pour le moral ! ».

 

Je ne crois pas un instant que La Compagnie Créole ait interprété ce genre de chanson. Le documentaire de Benjamin Marquet, lui, rappelle, qu’au départ, le groupe Kassav’ vient de la volonté d’un homme, Pierre-Edouard Décimus…et des « Vikings ».

Pierre-Edouard Décimus, c’est le frère aîné de Georges Décimus. Georges Décimus, c’est le bassiste d’origine de Kassav’ qui s’est éclipsé pendant quelques années pour créer le groupe très populaire Volt-Face (aucun lien parental avec le film de John Woo ) puis qui est revenu à Kassav’. Avant Kassav’, Pierre-Edouard Décimus jouait dans le groupe Les Vikings. Le nom de ce groupe de musique antillaise peut faire sourire :

Les Vikings annoncent des grands blonds aux cheveux lunatiques ou la figure divine de Thor pour les adeptes des comics et des mythologies scandinaves. Ce nom de groupe de musique antillaise oblige Ă  voir une certaine contradiction chez l’Antillais :

L’Antillais « susceptible » est ce personnage déplaisant qui, sans prévenir, entre Ti-Punch et accra, peut vous rappeler l’humiliation d’avoir été obligé d’apprendre l’Histoire « de nos ancêtres, les Gaulois » comme de subir couramment détournement ou délit de faciès et bavure policière. Ainsi, lors du documentaire, Elie Domota de l’UGTG, présenté comme « syndicaliste » (et non comme indépendantiste), se rappelle, enfant, avoir entendu quotidiennement la Marseillaise sur Radio Guadeloupe alors que son père allait partir au travail. Et, ce, dès quatre heures cinquante du matin. Tandis qu’en France, le chant de la Marseillaise s’était depuis longtemps éteint sur les ondes radiophoniques à la même époque nous apprend-il :

Elie Domota a pris soin de le vérifier plus tard auprès de ses camarades croisés lors de ses études dans l’Hexagone. En écoutant Elie Domota se remémorer cette expérience, on comprend que celle-ci, cumulée à d’autres pendant des années, a beaucoup contribué à (re)générer son instinct militant.

Mais le groupe Les Vikings, dont Pierre-Edouard Décimus est issu, et envers lequel il exprime toujours sa pleine reconnaissance dans ce documentaire, était un groupe musicalement novateur aux Antilles. Jacques-Marie Basses, compositeur, fait partie de la vingtaine d’intervenants de ce documentaire. Derrière lui, on peut voir une affiche montrant Miles Davis sur ses dernières années quand qu’il déclare :

« Les Vikings, ça n’avait déjà rien à voir avec ce qu’on pouvait appeler les orchestres de bal ».

 

Le groupe Les Vikings s’est reformé il y’ a un ou deux ans et j’ai lu de très bonnes critiques sur lui. J’en parlerai peut-être un peu plus dans un autre article. Le batteur Christian Pazé, aujourd’hui décédé, un ami rencontré dans sa boutique consacrée à la musique dans la commune de Ste-Rose, m’avait donné l’occasion de rencontrer au moins deux des musiciens du groupe Les Vikings :

Camille Sopran’n et Guy Jacquet.

C’était il y’a une bonne dizaine d’années lors d’un de mes séjours en Guadeloupe. Je me doute que pour eux, j’ai été une rencontre parallèle-et oubliée- parmi tant d’autres d’autant que je ne suis pas musicien. Mais pour les avoir approchés et avoir un peu discuté avec eux, je peux affirmer qu’ils avaient bien conscience de leur histoire comme de leurs origines.

Si la musique, c’est allier les morts et les vivants, parmi les morts se trouve VĂ©lo – Marcel Lollia dit VĂ©lo– MaĂ®tre Ka. Un de mes cousins Ă©loignĂ©s, dĂ©cĂ©dĂ© dans le district des annĂ©es 80 ( le 5 juin 1984 Ă  52 ans), jamais rencontrĂ©, dont mon père m’avait un peu parlĂ©, et dont l’influence sur Kassav’ est signalĂ©e dans le documentaire. Ce documentaire sur la carrière de Kassav’ est bien sĂ»r le fait de personnes encore bien vivantes. A moins que ces personnes ne fassent partie de ces Ă©toiles aujourd’hui disparues alors que leurs Ă©clats et leurs dĂ©cibels nous arrivent et nous sauvent. Parmi les tĂ©moins, vivants ou semblant l’ĂŞtre, de ce documentaire, donc, des musiciens reconnus et d’autres qui le sont moins :

Nile Rodgers est le premier témoin. Nile Rodgers, pour les plus jeunes, fera penser au groupe Daft Punk. Leur collaboration avait fait beaucoup parler il y’a deux ou trois ans. Mais Nile Rodgers, c’est d’abord le groupe Chic. Suivent Eric Virgal ( grand artiste antillais), Youssou N’Dour, Eduardo Paim, Wyclef Jean, Peter Gabriel, Rudy Benjamin, Manu Dibango, Pierre-Edouard Décimus, Philippe Conrath ( fondateur du festival Africolor mais aussi directeur du label Cobalt qui produit entre-autres les artistes de maloya Ann O’Aro et Danyel Waro), Danielle René Corail, Manu Katché, Michel Fayad ( conservateur du musée Martinique), Jacques-Marie Basses ( artiste), Marcus Miller, Miles Davis ( archives), Aldo Middleton ( Maitre Ka), Erick Cosaque ( Maitre Ka), Elie Domota ( « Syndicaliste » UGTG), Fanfan du groupe Tabou Combo, Alpha Blondy, Ophélia ( chanteuse de la Dominique et, entre-autres, du titre Aïe Dominique que j’ai pu écouter à la maison, à Nanterre, quand j’étais pré-adolescent), Bob Sinclar, Henri de Bodinat ( directeur de Sony France de 1985 à 1994), les Soroptimists d’Abidjan, Daniel Bamba Cheick ( Haut fonctionnaire ivoirien)….

Pour Miles Davis (décédé en 1991), le Zouk de Kassav’ :

«(….) ça sonne Afro-Cubain mais ils ( Kassav’) mettent de la Samba et de la Rumba ensemble et des Beat africains et du Rock contemporain. Ça sonne bien ». Et Miles de dire dans ces archives qu’il a parlĂ© de leur musique Ă  Marcus Miller (compositeur, entre-autres, de ses derniers albums) afin que celui-ci s’en inspire ( pour l’album Amandla, dernier album studio enregistrĂ© par Miles de son vivant en 1989 ).

Eric Cosaque, Maitre Ka, parle Créole lorsqu’il explique :

« La base de Kassav’, c’est le Gro-Ka et le gros Tambour qui était la musique du peuple. Il faut aussi reconnaître la modernité des instruments. Ça permet aussi de ne pas rester figés ».

Devant un tel intérêt manifesté envers la musique de Kassav’, on pourrait se dire que le succès de Kassav’ était évident dans les années 80. Pierre-Edouard Décimus rappelle tranquillement qu’avant le premier concert de Kassav’ au Zénith en 1985 :

« (….) Les professionnels du show business français ( comprendre : « Blancs ») nous disaient :

« Mais ça ne peut pas marcher….il n’y’a personne ( traduction : « Pas d’Antillais et pas de public- noir et autre- désireux de se rendre au premier concert de Kassav’ au Zénith à Paris) à Paris. Nous, on avait la conviction que le public de Kassav’ était à Paris ».

 

En 2019, trente quatre ans plus tard, il est bien-sûr très facile a posteriori de s’étonner de la cécité de certains des décideurs et professionnels culturels de 1985. Car quelques indices auraient pu ou auraient dû leur faire pressentir le succès possible d’un groupe comme Kassav’:

Si le film Black Mic-Mac de Thomas Gilou sortira un an plus tard ( en 1986) en 1983, soit deux ans plus tĂ´t, Euzhan Palcy rĂ©alisait le film Rue Cases-Nègres d’après le roman de Joseph Zobel. Le film Rue Cases-Nègres, dont l’histoire dĂ©bute dans les annĂ©e 1930 ne parle pas de Zouk directement ou explicitement. Mais le film Rue Cases-Nègres aborde ouvertement devant la France nouvellement socialiste ( depuis 1981) du prĂ©sident François Mitterrand  les thèmes de l’esclavage, de l’identitĂ© antillaise et d’un fort dĂ©sir d’ascension sociale et culturelle.

Auréolé du soutien de François Truffaut ( décédé en octobre 1984) et de l’obtention de divers prix (César en 1984 de la Meilleure première œuvre, Lion D’Argent pour la meilleure première œuvre à la 40 ème Mostra de Venise…), le film Rue Cases-Nègres connaît alors un succès critique ainsi qu’un certain succès public au moins auprès du public antillais. Et des décideurs et professionnels culturels un petit peu curieux de ce succès ou « avant-gardistes », auraient pu ou auraient dû prendre le temps de découvrir et de prendre le pouls de cette œuvre ainsi que de ce public et « voir » en un groupe comme Kassav’ un groupe prometteur ou digne d’intérêt. Car, finalement, Kassav’ s’est révélé être la jonction entre Rue Cases-Nègres, l’Histoire qui la précède (donc l’Histoire de l’Afrique et de l’esclavage) et le quotidien des Antillais et des Africains que ce soit au pays, exilés en métropole ou de par le monde.

Concernant l’histoire de Kassav’, malgré ces ratés de départ en termes de promotion, la consolation est double car elle impose à nouveau des faits vérifiés ailleurs :

1) Certains groupes, artistes ou œuvres, surgissent au moment adéquat lorsque la maturité de leur art concorde avec celle de leur époque et de leur public. La rencontre entre les différentes parties est alors aussi inéluctable qu’un coup de foudre entre différentes pièces du même puzzle.

2 ) Si l’on peut suspecter un mépris à caractère raciste de certains promoteurs à l’époque du premier Zénith de Kassav’, il est néanmoins beaucoup d’autres histoires de carrières d’artistes et d’entreprises bloquées, sous-estimées ou freinées du fait de l’incurie ou de mauvais choix de spécialistes désignés dans une industrie donnée. Une carrière artistique tient aussi à une certaine vision stratégique quant à ce qui est considéré comme pouvant tenir dans la durée ou susceptible d’être rentable économiquement y compris à court terme.

Personnellement, lorsque je repense à des artistes français comme Mylène Farmer ou Indochine apparus dans les années 80 avec leurs premiers tubes Maman a tort (1984) ou L’Aventurier (1982) -soit avant le premier Zénith de Kassav’ en 1985- je sais avoir été incapable en les écoutant alors de m’imaginer que ce seraient aujourd’hui des icones et qu’ils toucheraient plusieurs générations de spectateurs. Et je serais curieux de savoir combien de « spécialistes » de l’époque avaient réellement prévu une telle carrière pour Mylène Farmer ou le groupe Indochine. Je crois prendre peu de risques en affirmant que très peu de « spécialistes » de l’époque, parmi celles et ceux qui sont encore vivants, avaient envisagé qu’en 2019 l’artiste Mylène Farmer et le groupe Indochine pourraient remplir facilement des salles de concert telles que celles du Stade de France (qui n’existait pas à l’époque), AccorHotelsArena ou ex Paris-Bercy ( idem ) ou de la salle de Concert Paris La Défense-Arena encore plus récente que les deux précédentes.

Il en est de même de la carrière réussie d’un acteur ou, plus simplement, de la longévité d’un couple ou de celle, accomplie, d’une existence.

Dans les années 90, parmi les principaux noms du Rap en France des groupes et des artistes tels que IAM, MC Solaar et NTM se distinguaient. Aujourd’hui si on devait comparer l’engouement que suscite l’annonce d’un concert de NTM ou de MC Solaar, on s’apercevrait que l’ordre de préférence s’est nettement inversé par rapport à cette époque où MC Solaar était ce premier rappeur français (en 1993) interprétant un titre avec un Rappeur américain (Le Bien, le Mal avec Guru). Pourtant, dans les années 90, on avait l’impression que le Rap et la voix de Mc Solaar pouvaient tout transformer en or. Et c’était peut-être presque vrai.

Lorsque j’ai Ă©coutĂ© et réécoutĂ© il y’a plusieurs semaines maintenant le second album (Souldier, sorti en 2018) de l’artiste Jain très cotĂ©e depuis son premier album, j’ai entendu dans sa musique des airs et des histoires de ruptures amoureuses entrainĂ©s en Anglais et cru comprendre que son sens du « visuel » et de la com’ font d’elle une artiste originale et qui marche très bien. Pourtant, mĂŞme si plusieurs de ses titres me plaisent assez Ă  l’écoute, je suis sceptique en apprenant qu’elle fait aujourd’hui partie des « poids lourds » de la musique. Il est nĂ©anmoins vrai que je ne l’ai pas encore vue sur scène qui est pour moi le sĂ©rum de vĂ©ritĂ© absolu de tout artiste. Et que personne ne peut dĂ©cider ou prĂ©voir avec certitude ce qui fait qu’un artiste plutĂ´t qu’un autre va trouver son public. Et durer. le rĂ©alisateur Pascal Tessaud ( mon article https://balistiqueduquotidien.com/digressions-a-pa…e-pascal-tessaud/), dans sa très bonne sĂ©rie documentaire Paris 8- La Fac Hip-Hop ( en replay jusqu’au 7 avril 2022 sur Arte TV)  en donne un aperçu dans le portrait Le Prince du Rap qu’il fait du rappeur Mwidi au coude-Ă -coude dans les annĂ©es 90 avec MC Solaar pour sortir un premier album.

 

Philippe Conrath dans le documentaire de Benjamin Marquet Ă  propos du premier concert de Kassav’ au ZĂ©nith en 1985 :

« Jamais on n’aurait pu penser faire le Zénith. Et, il ( le groupe Kassav’) le remplit un peu tout seul d’une certaine façon. Y’a pas de promo, y’a rien et tout et comment il va y’avoir quatre mille personnes qui vont remplir le Zénith ? A l’époque, c’est une prise de risque. Il y’a que Kassav’ qui sait (….). A ce moment-là, si quelqu’un a la curiosité de venir, il voit un Zénith bondé et un groupe qui s’appelle Kassav’. Et tout le monde qui est en train de hurler et de danser ».

 

En dĂ©couvrant ce documentaire, on prendra très peu de risque : On apprendra beaucoup sur Kassav’, premier groupe français Ă  remplir le Stade de France en 2009 bien qu’étrangement classĂ© dans la World Music après avoir Ă©tĂ© Ă©lu « meilleur groupe français » en 1989. Je me demande dans quelle catĂ©gorie les artistes Jain et Christine &The Queen sont-elles classĂ©es. Je n’ai pas vĂ©rifiĂ©. Et, je tiens Ă  ajouter que, quelles que puissent ĂŞtre mes Ă©ventuelles rĂ©serves, je ressens pour ces deux artistes plutĂ´t de la curiositĂ© et de la sympathie.

Kassav’, c’est le groupe qui détient le record de représentations au Zénith de Paris (plus d’une soixantaine) et qui a un statut de Rock stars en Afrique. Dans ce documentaire, on apprendra sur les Antilles et sur la musique d’une façon générale. Marcus Miller explique par exemple que partir en tournée, cela signifie vivre 18 heures ensemble tous les jours et que Kassav’ le fait depuis quarante ans ! Au vu de cet énoncé, certaines personnes préfèreront peut-être regarder Fort Boyard ou une émission de téléréalité.

Vous avez jusqu’au 29 juillet pour regarder ça en replay sur FR3. Cet article complète mes deux articles prĂ©cĂ©dents, Moon France ( Moon France) ainsi que Un Moon France en concert ( Un Moon France en Concert). Attention, mon article Moon France est très très long mais vous pourrez encore prendre le temps de le lire après le 29 juillet de cette annĂ©e.

Franck Unimon, ce jeudi 11 juillet 2019.

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Echos Statiques

Cette Histoire

 

 

 

                                                           Cette Histoire

 

Cette histoire, nous la connaissons : il faut parfois un acte héroïque ou dégoûtant pour créer l’étincelle à même de nous faire pousser dans le regard admiratif ou horrifié des autres. Auparavant, nous existions peut-être à l’état de bulle plate ou de banale silhouette. Parce qu’à peine la rupture des premiers attraits et de la découverte est-elle prononcée que l’habitude scélérate s’installe. Et il faut faire certains efforts pour rester attentif aux autres comme pour maintenir en eux un certain « intérêt ». Nous avons tellement à faire. La vie est si courte. Et nous n’avons pas de temps à perdre.

Pire que l’exposition au temps qui passe, le risque d’être exposé trop longtemps à un sentiment de solitude et d’échec nous incite à nous démettre de celles et ceux qui nous semblent peu… pour nous en délivrer.

Cet homme-là, je l’ai longtemps délaissé. Je le voyais à peine. Pour mieux dire les choses : j’ai oublié comment je le voyais lorsque je le croisais. C’était une silhouette d’homme de ménage employé par une société dont je connais à peine le nom. Je le savais présent sur le plateau de tournage de mon travail, certains matins. Dès 6 heures. Je faisais sûrement attention à son travail :

Autant que possible, j’évitais de marcher là où il venait de passer le balai ou la serpillère. Même s’il est très courant que celles et ceux qui font le ménage vous disent généralement avec politesse et gentillesse : « Si ! Si ! Vous passez passer ! ». Alors que vous, vous savez qu’en passant, vous allez saloper la surface qu’ils viennent de laver. Et qu’à leur place, vous prendriez très mal que quelqu’un salisse le résultat tout frais de votre oeuvre de ménage.

Au cinéma, une fois, on m’avait proposé un rôle de silhouette d’homme de ménage. J’avais refusé. Et ma prof de théâtre au conservatoire, en colère, avait approuvé mon choix de refuser ce « rôle » en me confirmant mes impressions :

« On te propose ça parce-que tu es Noir ! Tu refuses ! ». Au cinéma, on s’exclue du regard et de la carrière d’acteur en acceptant de « jouer » la silhouette. Et encore plus en y faisant l’homme de ménage qui efface en lui-même les traces de sa propre présence à mesure des scènes. Etre payé, modestement, pour effacer soi-même ses propres traces jusqu’à la disparition complète, c’est tout un concept. Mais certainement pas un plan de carrière à conseiller à celle ou celui qui veut réussir en tant qu’acteur.

Aussi Ă©tonnante que cette proposition soudaine de m’engager en tant que silhouette d’homme de mĂ©nage avait Ă©tĂ© la croyance de certaines personnes de mon entourage :

Quand je les avais interrogées, certaines d’entre elles, pragmatiques, avaient estimé que c’était toujours bon à prendre, une place de silhouette d’homme de ménage au cinéma. Tant que c’était payé.

 

Dans la vie, et gratuitement, j’avais déja croisé cet homme de ménage un certain nombre de fois lorsqu’un matin, une de nos collègues a été suivie par un violeur. Les cris de notre collègue ont alerté notre « silhouette » d’homme de ménage. Celui-ci a accouru et s’est interposé. Seul lui, « l’homme de ménage », en raison de sa présence à cette heure, pouvait à ce moment-là entendre, voir et intervenir. Le violeur a très vite pris la fuite.

Cette tentative de viol a été un choc. Pour cette collègue. Pour nous.

Notre collègue s’en est apparemment remise : je ne suis pas assez proche pour aborder ce sujet avec elle et j’ai préféré éviter toute question déplacée ou qui aurait pu passer pour telle. A la place, il a pu m’arriver, comme d’autres collègues, de veiller un peu plus sur elle comme cette fois où venant au travail, elle nous avait appelé pour nous informer…qu’elle avait l’impression d’être suivie par un mec bizarre. J’étais prêt à partir la rejoindre. Finalement, elle s’était refugiée dans un café quelques minutes puis était arrivée.

 

Je me demande combien de personnes parmi toutes celles et ceux, qui, quotidiennement, se font faire et servir un cafĂ© et marchent en toute dĂ©contraction dans le travail des autres auraient Ă©tĂ© capables d’agir comme cet homme de mĂ©nage. Depuis quelques mois maintenant, une de mes collègues, rĂ©incarnation d’un chien St-Bernard, en cela qu’elle est particulièrement attentive aux autres, lui apporte un cafĂ© les matins. Ce matin, ma collègue m’a Ă  nouveau dit que cela lui avait pris du temps pour « apprivoiser » cet homme.

Depuis cette tentative de viol, je perçois cet homme de ménage comme un héros et un modèle. Je le salue autant que possible. Je me suis obligé à apprendre et à retenir son prénom. Quelques fois, je prends le temps de discuter avec lui. Je n’ai jamais osé lui parler de ce qui était arrivé. C’est un héros méconnu et je crois que cela lui convient très bien :

La majorité des héros sont des gens méconnus et oubliés. Seule une minorité de héros, je crois, « bénéficie » d’une histoire officielle et d’une certaine publicité qui peut d’ailleurs être une malédiction.

Quelques fois, je repense avec un peu d’inquiétude à ce « Jeune Malien sans papiers » :

Mamadou Gassama.

Le 27 Mai 2018, à Paris, Mamadou Gassama était devenu « un héros » en sauvant un enfant accroché à un balcon, les pieds suspendus dans le vide. Mamadou Gassama, dont j’avais déjà oublié le prénom et le nom avant d’écrire cet article, a reçu la nationalité française et été embauché en tant que pompier suite à son acte héroïque. C’est ce que j’ai cru comprendre. Ce dénouement ressemble à un happy end commun à certains romans et certains films. Tout va bien et tout se termine pour le mieux. Mais :

Entre l’exigence de devoir toujours, désormais, être un héros (donc un être parfait) et le fait, quand même, de susciter certaines jalousies, je me dis que la vie de Mamadou Gassama doit être loin d’être simple. Je me dis que pour lui le plus simple a peut-être été, finalement, de risquer sa vie pour cet enfant. Ensuite, soit pour lui soit pour son entourage, je doute que la vie se soit simplifiée. Trop de célébrité tue l’héroïsme, la tranquillité et la simplicité. Bien des héros et des super-héros ont bien raison de porter un masque assurant leur anonymat dans la vie de tous les jours. Qu’un masque cache leur visage ou que ce masque soit un rôle ou une attitude qu’ils (se) jouent tous les jours et par lesquels ils se font passer pour plus idiots, plus vulnérables et plus lâches qu’ils ne le sont réellement.

Dusko Popov, qui a inspiré à Ian Fleming un certain personnage célèbre, l’a dit :

« Dans la vraie vie, James Bond ne tiendrait pas six mois ».

Je « soupçonne » Dusko Popov d’avoir été indulgent en parlant de « six mois » car en lisant sa très bonne biographie Tricycle qu’il a écrite lui-même, on comprend que son intelligence et son art de la dissimulation lui ont permis de jouer les agents double voire triple et de bien tenir sa couverture durant la Seconde Guerre Mondiale face aux nazis qu’il fréquentait.

On m’objectera qu’il en est de même, malheureusement, pour de grands criminels et de grands meurtriers qui savent passer inaperçus en tout normalité et même en toute légalité jusqu’à ce moment où ils entrent en scène. C’est vrai. Mais je préfère penser ce matin à cette histoire où parmi toutes ces femmes et ces hommes de ménage, parmi toutes ces silhouettes confondues dont la présence est souvent floue, se cachent des héroïnes et des héros que nous croisons ou que nous sommes tous les jours.

Franck Unimon, ce jeudi 4 juillet 2019.