Bac Nord un film de CĂ©dric Jimenez
Dans les bacs
Bac Nord, sorti cet Ă©tĂ©, marche plutĂŽt bien. Ce film français oĂč lâhistoire se passe Ă Marseille, plutĂŽt de nos jours, serait fasciste et raciste.
A Paris, oĂč je suis allĂ© le voir puisque je vis, suis nĂ© en rĂ©gion parisienne et y ai toujours vĂ©cu, je lâai peut-ĂȘtre trĂšs trĂšs mal regardĂ©. Car je vais essayer de dĂ©montrer le contraire.
Je vais essayer dans cet article de démontrer que Bac Nord, pour moi, ce mercredi 29 septembre 2021, est ni fasciste, ni raciste.
Je suis allĂ© voir Bac Nord seulement vers la mi-septembre. Je ne pouvais pas aller le voir auparavant. Je nâavais pas de pass sanitaire. Et je nâĂ©tais pas pressĂ© de me faire de nouveau pousser dans le nez une tige de dĂ©pistage en vue dâeffectuer un test antigĂ©nique dont le rĂ©sultat, se devait dans mon cas bien-sĂ»r dâĂȘtre nĂ©gatif â puisquâĂ ce jour je nâai pas attrapĂ© le Covid depuis le dĂ©but officiel de la pandĂ©mie mi-mars 2020 en France- depuis moins de 72 heures. Finalement, avant ma premiĂšre injection de Moderna contre le Covid, on mâa imposĂ© un test antigĂ©nique prĂ©alable. Le test Ă©tant nĂ©gatif, jâen ai profitĂ© pour aller au cinĂ©ma voir quelques films ( dont Dune-un film de Denis Villeneuve). A partir de ce 15 octobre 2021, les tests antigĂ©niques deviendront payants. Mais Ă cette date, je devrais ĂȘtre vaccinĂ© contre le Covid comme cela nous a Ă©tĂ©âŠ.”demandĂ©” ( imposĂ© pour les soignants). Je fais cet apartĂ© afin de marquer un peu lâĂ©poque oĂč Bac Nord et dâautres longs mĂ©trages se sont faits connaĂźtre.
DĂšs sa sortie, Bac Nord faisait partie des films que jâavais envie dâaller voir. Pour le sujet de la Bac. Pour les acteurs, Karim Leklou et François Civil en tĂȘte. Des acteurs que jâai vus et aimĂ©s voir dans plusieurs films, court mĂ©trage ou sĂ©rie (Marseille la nuit ; Le Monde est Ă toi ; Le Chant du Loup ; Dix Pour cent ; Made in France ; Voir du pays).
Concernant lâacteur et rĂ©alisateur Gilles Lellouche, le plus expĂ©rimentĂ© de ce trio dâacteurs comme dans le film Bac Nord du reste, mon avis est plus partagĂ©. Je lui reconnais des intentions de jeu et beaucoup de travail pour ses rĂŽles. Je lui reconnais une franchise et une sincĂ©ritĂ© (je double la mise) ainsi quâun vĂ©ritable capital sympathie lorsquâil sâexprime lors des interviews. Mais, en tant quâacteur, je le trouve assez souvent voisin de la caricature.
NĂ©anmoins, jâavais bien aimĂ© son film en tant que rĂ©alisateur : Le Grand bain. MĂȘme si. MĂȘme si. Jâen avais dĂ©jĂ assez quâon surligne la prĂ©sence de Philippe Katerine, un acteur et chanteur dont jâaime le jeu et la folie. Mais que lâon prĂ©sente un peu trop dĂ©sormais comme le tube de lâĂ©tĂ©. Un tube qui dure depuis quelques annĂ©es maintenant. La sensibilitĂ© de Philippe Katerine. La personnalitĂ© borderline de Philippe Katerine. Je goĂ»te bien sĂ»r ces atouts de Katerine. C’est leur encensement rĂ©pĂ©tĂ© qui m’ennuie.
Bac Nord/ Les MisĂ©rables : Visions dâopposition ou visions complĂ©mentaires ?
Parlons maintenant un petit peu plus de Bac Nord aprÚs avoir jalousé le succÚs de Philippe Katerine.
La premiĂšre question que je me suis posĂ© lorsque jâai commencĂ© Ă voir des affiches du film a Ă©tĂ© :
Bac Nord est-il lâĂ©quivalent ou le complĂ©ment du film Les misĂ©rables 2Ăšme partie , prix de la mise en scĂšne Ă Cannes en 2018 (ou 2019 ?)
Avant dâaller trouver Bac Nord dans une salle de cinĂ©ma, au vu des tout petits Ă©chos qui me sont parvenus, jâai eu lâimpression que ces deux films sâadressaient Ă deux publics diffĂ©rents. Alors que lâon aurait pu penser que beaucoup les rapproche. Dans les deux films, les « hĂ©ros » sont des policiers de la Bac. Et, ils forgent un trio. On pourrait se dire que les policiers de la Bac marchent toujours par trois. Depuis le dĂ©but du procĂšs des attentats du 13 novembre 2015, jâai appris en lisant quelques articles que le commissaire de la Bac Ă ĂȘtre le premier Ă intervenir au Bataclan, de sa propre initiative, avait agi uniquement avec son « chauffeur ». Un chauffeur policier et armĂ© Ă©galement. Donc, ils Ă©taient deux. Mais cette histoire de nombre de policiers au sein des unitĂ©s de la Bac nâest pas prioritaire pour parler de Bac Nord. Sauf pour dire autrement que lâunivers de la police fait partie des univers qui suscitent mon attention.
A ce jour, je nâai pas rencontrĂ© ou pu discuter avec quelquâun qui a vu les deux films : Les MisĂ©rables de Ladj Ly et Bac Nord de CĂ©dric Jimenez. Quâest-ce qui les oppose dans les grandes lignes ?
Pour moi, Les MisĂ©rables est un film bien plus renseignĂ© socialement et plus subtil que Bac Nord. Et mieux filmĂ©. Câest facile Ă dire aprĂšs le prix de la mise en scĂšne quâa obtenu Les MisĂ©rables au festival de Cannes de 2019.
Dans Bac Nord, si lâon voit bien que les trois policiers donnent tout Ă leur mĂ©tier â comme dans Les MisĂ©rables– et quâils « lâaiment » et croient Ă leur utilitĂ©, on est aussi davantage avec des cow-boys. Dans ce que cela peut aussi avoir de plus grossier ; on est presque dans Starsky et Hutch. A la diffĂ©rence que, dans Bac Nord, le personnage de Huggy les bons tuyaux est interprĂ©tĂ© par une sĂ©duisante jeune beurette ou arabe qui aime beaucoup fumer son petit shit. Et quâil y a dans le film le croquis dâune attirance du flic de la Bac (jouĂ© par François Civil qui sây connaĂźt aussi trĂšs bien en sĂ©duction : le revoir dans Dix pour cent ou dans Le Chant du Loup pour bien le comprendre) pour elle.
Une attirance faite de croissance Ă©rotique mais aussi de volontĂ© de protection pour sa jeune indic. On n’avait pas cette attirance sexuelle entre David Starsky et Michael Hutch pour Huggy…
Hormis cela, dans Bac Nord, la jeune indic semble avoir trĂšs peu de perspectives comparativement Ă tous les risques quâelle prend. Et, son shit, quâelle obtient contre les informations quâelle donne, en risquant sa vie mais aussi sa rĂ©putation, on a lâimpression quâelle passe son temps Ă le fumer en solo. Donc, câest un peu difficile de comprendre comme elle peut ĂȘtre aussi souriante, sĂ©duisante et maline aussi pour, finalement, apparaĂźtre aussi seule et sans autre projet dâavenir que de rester dans les parages de celles et ceux quâelle trahit. A fumer son shit. Mais, aprĂšs tout, je nây connais rien Ă la psychologie ou la temporalitĂ© des indics. Et trĂšs certainement quâil existe toutes sortes de profils parmi les indics. Peut-ĂȘtre presquâ autant de profils quâil nâexiste dâindics. Y compris les plus dĂ©routants.
Stigmatiser Marseille ?
Pour moi, il nây a pas de stigmatisation particuliĂšre Ă situer lâhistoire Ă Marseille dans Bac Nord. Dâabord, parce-que, mĂȘme si cela mâa pris du temps, jâaime Marseille pour le peu que jâen connais. ( Marseille-Toulon-La Ciotat, octobre 2019 ) Ensuite, parce-que, par certains aspects il est des endroits populaires de Marseille qui me rappellent soit la ville oĂč jâhabite depuis quelques annĂ©es, Argenteuil, soit BarbĂšs ou mĂȘme Nanterre oĂč je suis nĂ© et ai grandi. Ensuite, ce qui peut se raconter de certains quartiers de Marseille peut tout aussi bien se transposer ailleurs. Si un titre comme Je danse le Mia du groupe I AM m’avait autant parlĂ©, alors que le groupe de Rap I AM est de Marseille, c’est parce-que j’avais connu et voyais trĂšs bien de quoi cette chanson parlait alors que je vivais en rĂ©gion parisienne. Et le succĂšs de ce titre Ă©tait bien-sĂ»r venu du fait que d’autres gens, dans d’autres citĂ©s et dans d’autres banlieues de France s’Ă©taient reconnus dans ce que cette chanson racontait. Pour moi, cela peut ĂȘtre pareil avec le film Bac Nord. Cela peut apparaĂźtre trĂšs rĂ©trograde de citer un titre aussi ancien du groupe I AM mais le personnage de policier jouĂ© par Gilles Lellouche a certainement connu ce titre.
Donc, pour moi, Bac Nord nâest pas un film de plus qui caricature la ville de Marseille. Ce nâest pas non plus un film qui porterait une opposition Nord/Sud. Le sud Ă©tant la ville de Marseille. Et, le nord Ă©tant Paris ou des villes au delĂ de Paris supposĂ©es ĂȘtre plus prĂ©sentables et plus prestigieuses. Pour moi, Bac Nord ne regarde pas Marseille de haut. Mais je ne suis pas marseillais. Peut-ĂȘtre le prendrais-je autrement si jâĂ©tais marseillais.
Par contre, pour reparler de “l’opposition” Paris/Marseille ( une opposition que, pour ma part, je ne revendique pas), lorsqu’Ă la fin du film, les policiers rĂ©alisent un gros coup et qu’ils fĂȘtent leur victoire, j’ai eu l’impression de voir, plutĂŽt que des policiers, des joueurs de football qui Ă©taient contents d’avoir gagnĂ© un match contre une grosse Ă©quipe. Que cette Ă©quipe soit le PSG ou une autre.
Garde-fou « ethnique »
Arrivons-en Ă ce qui serait raciste et fasciste dans le film. Ou dans ce qui a pu ĂȘtre considĂ©rĂ© comme raciste et fasciste dans le film.
Dans Les MisĂ©rables, le trio de policiers compte un noir, le personnage de Gwada. Celui par lequel la bavure au flash-ball arrive suite Ă trop de montĂ©e de pression. Alors que Gwada, auparavant, on lâa vu, câest plutĂŽt un homme sympathique au sein du trio. Ce nâest pas le plus Ă©nervĂ©. Câest plutĂŽt un modĂ©rateur. Dans Les MisĂ©rables, que ce soit donc voulu par le rĂ©alisateur Ladj Ly, ou non, il existe un « garde-fou » ethnique au sein du trio de la Bac.
Il existe mĂȘme une animositĂ© « intĂ©ressante » entre le personnage de Gwada et celui du maire jouĂ© par Steve Tientcheu rencontrĂ© le mois dernier. ( Le cinema-A ciel ouvert avec Steve Tientcheu et Tarik Laghdiri).
Dans Bac Nord, pas dâhomme ou de femme noire au sein du trio des policiers de la Bac ? Et alors ? Bien-sĂ»r, jâaurais acceptĂ© une touche de diversitĂ© supplĂ©mentaire au sein de ce trio. Jâaurais bien aimĂ© voir ce que cela aurait pu donner comme adversitĂ© si le trio de policiers de Bac Nord avait Ă©tĂ© constituĂ© de trois noirs ? Dâun asiatique, dâune femme arabe, dâun noir ? De deux arabes et un noir ? EtcâŠ
Mais, pour moi, cette absence de diversitĂ© ou dâoriginalitĂ© Ă©thnique ne fait pas de Bac Nord un film raciste et fasciste. MĂȘme si, le trio des policiers de Bac Nord Ă©tant majoritairement blanc, exception faite de Karim Leklou mais dont la couleur de peau a nĂ©anmoins la particularitĂ© dâĂȘtre plus claire que foncĂ©e. Mon propos, ici, est-il raciste ? On pourra le penser. On le pensera. Ce sera peut-ĂȘtre en partie vrai. Pourtant, ici, ma vĂ©ritable intention est surtout de redire que, trĂšs souvent, trop souvent, le cinĂ©ma français prĂ©fĂšre faire lâimpasse sur la « couleur ». Et, ce faisant, certaines nuances, dans les situations passent Ă la trappe. Ainsi quâun certain rĂ©alisme. On a donc compris que, si pour moi, Bac Nord nâest pas un film raciste et fasciste, je prĂ©fĂšre Ă©videmment la distribution des rĂŽles dans Les misĂ©rables.
Dans Bac Nord, lâopposition entre « caĂŻds » des citĂ©s et la police ressemble donc, par dĂ©faut ou par maladresse, Ă une Ă©niĂšme opposition entre les basanĂ©s dâun cĂŽtĂ©. Et les blancs de lâautre. MalgrĂ© la prĂ©sence de Karim Leklou, ici minoritaire parmi les policiers, pour reprĂ©senter la diversitĂ©.
Mais jâaccepte ce parti pris ou cette « nĂ©gligence ». Et puis, l’alternance Ă ce parti pris ou Ă cette “nĂ©gligence”, peut aussi ĂȘtre de passer soi-mĂȘme Ă l’Ă©criture de scĂ©nario, Ă la rĂ©alisation ou au jeu d’acteur dans le but de montrer autre chose.
La France, ce nâest pas du tout ça : câest impossible.
Reste, sans doute, cette description de certaines citĂ©s, dâune, en particulier, ou de plusieurs dans le film ( jâai oubliĂ© ) oĂč les policiers ne peuvent plus entrer dĂ©sormais. Ce qui fait enrager le « chef » de lâĂ©quipĂ©e de la Bac jouĂ© par Gilles Lellouche qui compte vingt ans dâexpĂ©rience de terrain. Et qui est donc la mĂ©moire vivante de ce terrain perdu par la police au profit de la dĂ©linquance. Sous un angle Ă©cologique, on pourrait comparer cette perte de terrain par la police ou la RĂ©publique, Ă des lacs qui se sont non seulement assĂ©chĂ©s mais aussi lourdement polluĂ©s au fil des annĂ©es. Cette vision lĂ est-elle raciste et fasciste ? La perte du terrain ou du territoire dans certaines citĂ©s par la police. Comme la mĂ©taphore des lacs assĂ©chĂ©s et lourdement polluĂ©s avec le temps.
Pour certaines personnes, il est Ă©vident que cette vision et cette mĂ©taphore est raciste et fasciste. Car, pour ces personnes, la France, ce nâest pas du tout ça. Câest impossible. Donc, montrer ça dans Bac Nord oĂč, dâun cĂŽtĂ©, il y aurait les policiers droits qui se mouillent. Et de lâautre, des dĂ©linquants qui les toisent dâautant plus quâils se sentent intouchables et chez eux dans leur citĂ©, ce serait fasciste et raciste. Surtout Ă voir que les dĂ©linquants en question sont « bien-sĂ»r » noirs et arabes. Aucun blond ou rouquin aux yeux bleus ou verts parmi eux.
Bac Nord nâest pas un atoll de finesse
Pourquoi, alors, je lâaccepte aussi « bien » ou aussi facilement dâun film comme Bac Nord ? Peut-ĂȘtre parce-que je ne sens pas dâintention raciste dans le film du rĂ©alisateur. Jâai peut-ĂȘtre tort. Le film Bac Nord nâest pas un atoll de finesse, câest vrai. Toutefois, lorsque je le regarde, je ne gĂ©nĂ©ralise pas ce que montre Bac Nord. Pour moi, que ce soit Ă Marseille ou ailleurs, toutes les citĂ©s et toutes les banlieues ne ressemblent pas Ă ce que montre le film. Pour moi, tout Marseille ne se trouve pas dans Bac Nord.
Mais on peut nĂ©anmoins montrer des noirs et des arabes qui sont du « mauvais » cĂŽtĂ©. MĂȘme sâil est vrai quâil existe aussi des blancs et des asiatiques qui sont du « mauvais » cĂŽtĂ© et que lâon ne montre pas dans le film. Ou autrement. PlutĂŽt dans le versant politique. Par le coup de « pute » que vont connaĂźtre « nos » cow-boys de la Bac plus tard.
Ensuite, si on arrive Ă plus ou moins passer le cap de lâĂ©ventuel dĂ©lit de faciĂšs des « mauvais » dans Bac Nord, il nous reste Ă faire face Ă certains de ces endroits oĂč la police nâentre pas, nâentre plus, ou, de moins en moins. Et, lĂ , jâai lâimpression que pour pouvoir admettre un peu ce point lĂ , plutĂŽt que dâimagination et dâintellectualisation, il est peut-ĂȘtre nĂ©cessaire de faire appel, un peu, Ă la « pratique » de certains souvenirs ou de certaines expĂ©riences directes ou indirectes.
La pratique de certains souvenirs
Je nâai pas de pratique ou dâexpĂ©rience dans le grand banditisme ou dans le trafic de stupĂ©fiants ou autres. Mon casier judiciaire est vierge. Je nâai ni le vice, ni lâinstinct, ni lâintelligence, ni la nĂ©cessitĂ© ou la furie de celles et ceux qui peuvent participer Ă des braquages, Ă des trafics ou Ă certaines actions meurtriĂšres et barbares. Il y a quelques annĂ©es, une de mes collĂšgues, une jeune femme sĂ©duisante, sĂ©ductrice, familiĂšre avec les codes de certains quartiers du Val FourrĂ© Ă Mantes la Jolie mâavait appris quâavec mon « Français soutenu », dans certaines situations, jâaurais des problĂšmes. Je lâavais crue sur parole, moi, pourtant nĂ© en banlieue parisienne et qui avais grandi dans une citĂ© HLM. Ensuite, elle mâavait racontĂ© comment il lui Ă©tait arrivĂ© de tenir tĂȘte Ă certains hommes qui lui avaient mal parlĂ©. Et de sâen sortir. LĂ , aussi, je lâavais crue sur parole. Je nâai aucun doute quant au fait quâune femme puisse ou sache, dans certaines circonstances, si elle connaĂźt certains codes de langage et de comportement, mieux sâen sortir en cas dâembrouille quâun homme poli et propre sur lui, combien mĂȘme, voire, surtout sâil a une stature physique qui, a priori, devrait lui Ă©viter les ennuis. Et ce Savoir-lĂ nâest pas exposĂ© dans les Ă©coles ou dans les vitrines des magasins. Ni dans les musĂ©es. Pas mĂȘme dans les mĂ©diathĂšques ou les salles de cinĂ©ma. Encore moins en suivant des cours par correspondance. Câest une histoire de pratique, de modĂšle mais aussi dâinstinct, dâinstant. Une seconde aprĂšs, câest trop tard. Une seconde avant, câest trop tĂŽt. Pour rĂ©pondre. Ou pour donner le regard quâil faut avec lâintonation convaincante ou dĂ©stabilisante qui va faire que lâon Ă©chappe au couteau, au coup de boule, au passage Ă niveau ou que lâon va ĂȘtre acceptĂ© ou tolĂ©rĂ©.
Ceci Ă©tant dit, je me rappelle du « petit » Enzo, dans mon collĂšge Evariste Galois, Ă Nanterre. Lorsque, devant tout le monde, dans la cour, des policiers Ă©taient venus le chercher. Il sâĂ©tait laissĂ© faire en se tenant droit comme un « bonhomme » que cela nâeffraie pas. Enzo devait avoir 15 ans voire moins. Je le « connaissais » de vue depuis quelques annĂ©es. Il mâĂ©tait arrivĂ© de discuter avec lui. Je nâavais jamais eu de problĂšme avec lui. Nos quelques Ă©changes avaient Ă©tĂ© « sympas ». Il faisait partie, avec dâautres, que je connaissais Ă©galement, de la citĂ© de la rue Greuse. Une citĂ© pas trĂšs Ă©loignĂ©e de la mienne qui avait une assez mauvaise rĂ©putation. Quâavait-il fait pour ĂȘtre cueilli au collĂšge ? Aucune idĂ©e. Câest la derniĂšre fois que je me souviens lâavoir vu. Jâavais quel Ăąge ? 14 ans ou moins.
Je me rappelle il y a plus de vingt ans avoir appris un jour quâun de mes anciens collĂšgues de travail avait un Beretta. Par qui lâavais-je appris ? Par sa copine dâalors, Ă©galement une de mes collĂšgues. CâĂ©tait Ă Pontoise.
Je me souviens de ce copain, natif dâArgenteuil, souvent sur le qui-vive au point quâil me fait penser Ă Joe Dalton, qui mâa dit un jour que se sachant trĂšs en colĂšre contre je ne sais qui, il avait prĂ©fĂ©rĂ©, avant de faire une bĂȘtise, scier et dĂ©molir les armes Ă feu quâil possĂ©dait. EtonnĂ©, je lui avais alors demandĂ© comment il avait fait pour obtenir ces armes ? Ce copain mâavait alors regardĂ© comme si jâĂ©tais une andouille ou que je dĂ©barquais dâune autre planĂšte. Et ce regard signifiait sans ambiguĂŻtĂ© mais aussi sans explications quâil nây avait rien de plus facile que de se procurer des armes Ă feu. CâĂ©tait il y a environ cinq ans.
Je me rappelle du pĂšre, policier, dâune des camarades de classe de ma fille, Ă la maternelle. Cet homme aime son travail. Et, ayant Ă©galement grandi Ă Nanterre comme moi, mais dans une autre citĂ©, il mâavait affirmĂ© que cela sâĂ©tait « dĂ©gradĂ© ». Cet homme discutait de temps Ă autre avec un autre papa, Ă©galement policier devant lâĂ©cole en attendant la sortie de son enfant. Ce policier, devant moi, avait un jour racontĂ©, en souriant, ce rituel qui consistait, lorsquâil entrait dans une citĂ© avec ses collĂšgues, Ă longer le mur des immeubles. Afin de ne pas se recevoir un rĂ©frigĂ©rateur. CâĂ©tait, aussi, il y a environ cinq ans. Je ne sais pas de quelle citĂ© il parlait ni dans quelle ville. Je nâavais pas pensĂ© Ă demander. A ce jour, en entrant dans une citĂ©, je nâai pas longĂ© le mur des immeubles pour Ă©viter de me prendre un rĂ©frigĂ©rateur ou autre objet sur la tĂȘte. Mais, avant cette anecdote, jâavais ouĂŻ dire que cela pouvait arriver. Mais pas lĂ oĂč jâhabitais.
Je nâai pas oubliĂ© non plus que le trĂšs bon kinĂ© que nous avons un temps consultĂ© pour notre fille nous a appris un jour que les va et vient de sa clientĂšle, de toutes origines tant sociales que culturelles et religieuses, dĂ©rangeait le trafic de certaines jeunes du coin. Et, ils le lui avaient fait savoir.
Je nâai pas oubliĂ© non plus que la mĂšre dâune des bonnes copines de ma fille mâa dit un jour que sur le trajet de lâĂ©cole, pas trĂšs loin, se trouvait un point de rencontre officieux pour trafic de stupĂ©fiants. DĂšs lors, certains jeunes que jâaperçois rĂ©guliĂšrement, en groupe, sâils ne sont pas menaçants pour les enfants et les parents dont je fais partie, et ne font que discuter entre eux, mâapparaissent aussi, comme Ă©tant lĂ soit pour protĂ©ger un territoire. Soit pour « guetter ». Bien-sĂ»r, nous ne sommes pas dans Bac Nord oĂč, lĂ , le sujet est poussĂ© Ă son extrĂȘme. Mais je crois quâil peut ĂȘtre concevable que dans certains endroits, dĂ©sertĂ©s par les institutions publiques, ou soit pace-que certains modĂšles de vie aient Ă©tĂ© choisis ou privilĂ©giĂ©s, par mimĂ©tisme ou par conviction, quâil se soit dĂ©veloppĂ© des situations Ă©quivalentes Ă celles que lâon voit dans le film.
Je me rappelle aussi qu’une Argenteuillaise m’avait appris que le premier jour du Ramadan, un conflit avait eu lieu dans un quartier de notre ville et que cela s’Ă©tait terminĂ© par un mort par balles. Ces “anecdotes”, je les considĂšre comme des Ă©vidences. Elles horrifieront peut-ĂȘtre certaines personnes. Elles en feront sourire d’autres qui vous diront : “Et, encore, ça, ce n’est pas grand chose….”. Et, lĂ , aussi, je croirai ces derniĂšres personnes sur parole sans pour autant raser les murs. Sauf que en certains endroits, Ă certaines heures, si je suis informĂ© par quiconque du “coin” qu’il faut ĂȘtre prudent ou Ă©viter de passer Ă tel endroit, je prĂ©fĂšrerai me montrer prudent ou Ă©viterai de passer Ă tel endroit. Pour moi, ce n’est pas ĂȘtre raciste et fasciste de penser comme ça. Comme, pour moi, ce n’est pas ĂȘtre soumis et crĂ©tin, lors d’un contrĂŽle de police, de rester aussi calme et poli que possible. C’est plutĂŽt s’adapter Ă mon environnement et/ou Ă mon interlocuteur.
Lorsquâun reporter tel que Philippe Pujol, Marseillais, Prix Albert Londres pour un de ses ouvrages, Ă©crit La fabrique du monstre : 10 ans d’immersion dans les quartiers nord de Marseille, la zone la plus pauvre d’Europe en 2018, sâil pointe, Ă©videmment, les responsabilitĂ©s politiques et sociales, mais aussi intellectuelles, pour expliquer et critiquer le dĂ©labrement prononcĂ© de certains quartiers de Marseille, il nâen dĂ©crit pas moins certains endroits oĂč lâaccĂšs nâest autorisĂ© quâĂ des personnes sĂ©lectionnĂ©es. Des personnes du quartier. Des personnes de confiance. Profil- des personnes de confiance- qui est loin de correspondre Ă des policiers de la Bac.
Dans cet ouvrage, Philippe Pujol indique bien que dans ces quartiers nords de Marseille, il reste des personnes Ă©trangĂšres au banditisme comme aux trafics.
De mĂȘme que lors des attentats du 13 novembre 2015, câest une juge belge qui a expliquĂ© il y a quelques jours au tribunal que si plusieurs des terroristes islamistes se connaissaient depuis longtemps et avaient vĂ©cu Ă Moolenbeek, que, par ailleurs, câĂ©tait dans certains quartiers, minoritaires, de Moolenbeck que sâĂ©tait dĂ©veloppĂ© lâactivitĂ© terroriste islamiste de ces derniĂšres annĂ©es. Mais, quâautrement, Moolenbeek Ă©tait aussi une commune trĂšs agrĂ©able oĂč la plupart des habitants nâavaient rien Ă voir avec le terrorisme et lâislamisme.
Un métier de conviction :
Ce qui passe peut-ĂȘtre mal avec le film Bac Nord, câest quâil magnifie des policiers. Et que beaucoup de monde entretient une certaine ambivalence faite Ă la fois de mĂ©fiance/crainte/haine/ admiration envers la police et celles et ceux qui la reprĂ©sente. Ambivalence qui avait Ă©tĂ© dĂ©crite dans les mĂ©dia oĂč, lors de la pĂ©riode des attentats islamistes, les policiers Ă©taient devenus trĂšs populaires. Pour, ensuite, Ă nouveau, ĂȘtre perçus de travers.
Je ne discute pas les raisons, justifiĂ©es ou injustifiĂ©es, de cette ambivalence. Cette ambivalence envers la police peut, finalement, ĂȘtre la jumelle de ce racisme envers certaines catĂ©gories de personnes :
On peut avoir des raisons personnelles et concrĂštes qui expliquent que lâon en veut Ă telle catĂ©gorie de personnes. Parce quâelles nous ont fait du mal, Ă nous ou Ă des proches. Mais on peut aussi trĂšs bien en vouloir Ă certaines catĂ©gories de personnes et de professions sans avoir eu de mauvaise expĂ©rience rĂ©elle avec elles. On ne fait alors que « rĂ©pĂ©ter » ce qui se dit dans notre environnement et dans notre entourage depuis des annĂ©es ou des gĂ©nĂ©rations. Sans prendre la peine de peser le pour et le contre. Puisque lâon fait corps avec celles et ceux qui font partie de notre environnement et de notre entourage. Et que lâon sâen remet Ă eux tous les jours. Se faire sa propre expĂ©rience demande une certaine capacitĂ© d’initiative. Mais aussi de pouvoir accepter de faire et vivre d’abord seul (e ) certaines expĂ©riences contradictoires. Certaines personnes n’ont ni cette volontĂ© ni ce courage.
MalgrĂ© cette ambivalence envers la police ou malgrĂ© lâaversion assumĂ©e que certaines personnes peuvent avoir envers elle, en regardant Bac Nord, je me suis demandĂ© comment font ces femmes et ces hommes policiers pour avoir envie de faire ce mĂ©tier. Ou, plutĂŽt, pour continuer dâavoir envie de le faire. Que ces femmes et ces hommes travaillent pour la Bac ou non. Car le film rappelle bien aussi quâĂȘtre policiĂšre ou policier, câest exercer un mĂ©tier de conviction :
Il faut ĂȘtre convaincu de lâutilitĂ© de ce que lâon fait. Et de ce que lâon est. Ce qui peut ĂȘtre dĂ©jĂ trĂšs difficile au vu des risques mais aussi, surtout peut-ĂȘtre, des dĂ©sillusions que font vivre- de façon rĂ©pĂ©tĂ©e- ce mĂ©tier. Et, en plus, il faut pouvoir apporter des preuves indiscutables que le travail effectuĂ© a Ă©tĂ© bien effectuĂ©. Et, tout cela, sans sâenrayer soi-mĂȘme. Sans se vomir soi-mĂȘme.
Câest montrĂ© dans le film : A part le personnage jouĂ© par Karim Leklou qui a pour lui la trĂšs large compensation d’avoir une femme aussi attractive, honorable et honorante que l’actrice AdĂšle Exarchopoulos, les deux autres policiers jouĂ©s par Gilles Lellouche et François Civil nâont pas de vie personnelle valide ou valable. Donc, leur mĂ©tier leur fait payer un trĂšs lourd tribut. Et, dans ces conditions, je mâĂ©tonne que des femmes et des hommes tiennent encore Ă vouloir devenir policiĂšres et policiers. Tout en essayant, aussi, de concilier une vie de couple et de famille.
Or, pourtant, il y en a. Bien-sĂ»r, je pourrais faire la mĂȘme remarque pour des personnels soignants. Mais le mĂ©tier de policier, de par ses armes, et la maniĂšre dont il confronte directement des femmes et des hommes Ă dâautres femmes et hommes me semble porteur de bien des Ă©checs quâaucun uniforme, grade ou ultimatum ne peut contrer.
Casseur de rĂȘve exotique :
Pour ces quelques raisons, pour moi, Bac Nord nâest pas un film fasciste et raciste. Mais on peut lui reprocher, oui, dâĂȘtre assez caricatural sur certains aspects.
NĂ©anmoins peut-ĂȘtre que ce qui lui est fondamentalement reprochĂ©, câest de casser le rĂȘve exotique marseillais avec lâaccent, la mer, la sensualitĂ© et le soleil. Pour, au contraire, envoyer dans les yeux du spectateur du sable et bien des Ă©cueils. Comme si, au plein milieu dâune comĂ©die qui se dĂ©roule bien, on se mettait dâun seul coup Ă reparler de la pandĂ©mie du Covid ou du rĂ©chauffement climatique. Comme si, Ă parler de la Guadeloupe, au lieu de parler de plages, cocotier, zouk, ti-punch, sexe et Francky Vincent, on en arrivait Ă reparler de lâesclavage, du Covid, de lâobĂ©sitĂ©, du Sida, de chĂŽmage, de maltraitances conjugales, de chlordĂ©cone, dâalcoolisme et de diabĂšte. Ăa casse un peu lâambiance.
Franck Unimon, ce mercredi 29 septembre 2021.