LâĂ©cole Robespierre 1Ăšre Partie
DĂšs quâune personnalitĂ© ou un sportif aimĂ© du public et des mĂ©dia accomplit une performance ou bat un record, on lui donne du Madame ou du Monsieur. Ce qui finit par sous-entendre que tous les autres (la grande majoritĂ©) sont des rebuts de lâhumanitĂ©.
A lâĂ©cole Robespierre, dans mon ancienne citĂ© HLM, en CE2, je crois, Monsieur Pambrun, petit homme brun moustachu typĂ© Les Brigades du Tigre, et grand fumeur, nous avait emmenĂ©, seul, Ă la bibliothĂšque municipale de Nanterre. Nous avions fait le trajet Ă pied. Nous devions ĂȘtre une bonne vingtaine serpentant un moment le long de la piscine Maurice Thorez, alpinistes banlieusards horizontaux continuant dâeffectuer malgrĂ© nous notre chemin de Compostelle. Pour le plus grand nombre, dont jâĂ©tais, nous rendre dans une bibliothĂšque Ă©tait une PremiĂšre.
En classe, Monsieur Pambrun Ă©tait un instituteur qui tirait parfois les oreilles et donnait quelques claques Ă certains dâentre nous â dont jâĂ©tais- pour indiscipline. Ce jour-lĂ , pourtant, comme bien dâautres fois, et nous Ă©tions sĂ»rement plusieurs Ă lâignorer â en tout cas, moi, je lâignorais- Monsieur Pambrun sâappliquait, Ă la suite de toutes ses collĂšgues et collĂšgues prĂ©cĂ©dents, Ă continuer dâesquisser un certain trajet vers la Culture et la Connaissance. Et Ă nous le faire emprunter, ce trajet, en fendant les eaux et le sceau de notre ignorance. Le bĂ©nĂ©fice possible, pour nous tous, filles et garçons, Ă©tait dâajouter dâautres Savoirs Ă ceux de nos histoires et consciences personnelles. Pour cela, depuis lâĂ©cole, nous avions probablement dĂ» marcher entre 20 et 30 minutes ce jour-lĂ pour atteindre les lieux.
Depuis, et par la suite, je fis partie des petites tortues qui refirent le trajet rĂ©guliĂšrement jusquâĂ la bibliothĂšque. Seul ou accompagnĂ© dâun camarade ou dâun copain. Aujourdâhui, rĂ©guliĂšrement, je continue de refaire ce trajet.
Chaque fois que je change de domicile, en plus des commerces et des lieux de soins, jâai besoin de savoir oĂč se trouvent la gare, la piscine et la bibliothĂšque.
Enfants, aucun de nous nâavait choisi de venir dans cette Ă©cole publique et encore moins dans cette ville communiste. La majoritĂ© dâentre nous habitait soit dans la citĂ© ou Ă ses cĂŽtĂ©s. Lâusine CitroĂ«n, proche, Ă©tait encore en activitĂ©.
Sophie D, Sandrine El, Malika M, FrĂ©dĂ©ric B, Jacky W, Didier P, Myriam M, Corinne C, Laurent S, Jean-Christophe P, Sandrine et Karine R, Dany A, SaĂŻd, SmaĂŻl M, Florence T, William P, Isabelle R, Gilles O, Jocelyne B, Jean-Christophe B (qui au CP confondait le son « Vr » et le son « Fr »), Eric C, Anna-Paula M, Christophe B et Laurence A sont quelques uns de mes camarades de classe de lâĂ©cole primaire du CP au CM2. Certains sont partis en province avec leurs parents avant le CM2. Dâautres ont fait un passage dâun ou deux ans dans lâĂ©cole. Jâai Ă©tĂ© dans la classe de la plupart dâentre eux mais il mâest arrivĂ© dâen croiser dâautres dans la cour. Plus ĂągĂ©s comme plus jeunes. Bien-sĂ»r, il yâavait aussi les bagarreurs qui faisaient peur ou qui inspiraient lâadmiration.
Je me rappelle trĂšs peu du mĂ©tier quâexerçaient les parents de celles et ceux que je cĂŽtoyais. Je me rappelle que le pĂšre de Sandrine El, un de mes premiers amours avec Malika M, Ă©tait supposĂ© ĂȘtre inspecteur de police. Et quâelle et ses parents sont ensuite partis pour Toulouse.
Nous Ă©tions des Arabes- le premier mot arabe que j’ai retenu et appris signifie : “NĂ©gro!”-, des Juifs (mĂȘme si, pendant longtemps, je ne savais pas vraiment ce que signifiait ĂȘtre Juif)) des Blancs de France ou venant dâailleurs (Pologne, Espagne, Portugal, ItalieâŠ.) une toute petite minoritĂ© de noirs antillais nĂ©s en France.
Quelques uns dâentre nous Ă©taient des enfants de parents divorcĂ©s ou dâune famille monoparentale. Nos parents Ă©taient majoritairement locataires de leur appartement. Seul, peut-ĂȘtre, parmi celles et ceux dont je me rappelle, Gilles O et son accent du sud, dĂ©rogeait Ă la rĂšgle :
Dans leur maison de ville, il prenait des cours de piano Ă domicile. De la musique « classique ». Et lorsque nous nous rendions ensemble lui et moi Ă la bibliothĂšque, aprĂšs que je sois allĂ© le chercher, il me parlait souvent, intarissable, de sujets que je ne comprenais pas. Il me parlait Ă©conomie, politique. Du pĂ©trole. Je lâĂ©coutais poliment et essayais de me mettre Ă son niveau. Mais je nâai aucun souvenir dâavoir amenĂ© ne serait-ce quâune seule fois un argument ou un avis sensĂ© ou valable. Je me souviens de lui comme dâun garçon plutĂŽt isolĂ©, par moments chahutĂ©, trĂšs bon Ă©lĂšve et peu douĂ© pour le sport.
Au CP, nous avions eu Mme Chaponet, institutrice douce et grande fumeuse. Puis Mme Benyamin, bonne institutrice, grosse femme au physique de Bud Spencer qui dĂ©crochait quelques claques mĂȘme Ă certaines filles de la classe. Un jour, le pĂšre de Malika Ă©tait venu lâengueuler pour cela. Et il avait fait pleurer Mme Benyamin. Puis il yâavait eu Mr Pambrun en CE2. Je ne lâai jamais vu pleurer. Pas plus que Mr Lucas en CM1, le directeur de lâĂ©cole, lequel nous parlait souvent du MusĂ©e du Louvre. Et Ă nouveau Mr Pambrun. En CM2, Ă©galement skieur, Monsieur Pambrun nous emmena en classe de neige Ă La Bourboule Ă Clermont-Ferrand. Je me rappelle dâune partie de dames avec lui.
Je me rappelle aussi de Monsieur Lambert, instituteur auquel jâavais Ă©chappĂ© alors quâil aurait dĂ» ĂȘtre notre Maitre en CM2. Il avait quittĂ© lâĂ©cole, je crois. Mr Lambert Ă©tait un grand homme effrayant au physique de bĂ»cheron. Sa voix portait dans toute la cour lorsquâil apostrophait un Ă©lĂšve. Et son grand pied vĂ©loce corrigeait par moments le postĂ©rieur dâun ou deux Ă©coliers turbulents. Pourtant, une de ses filles Ă©tait Ă©galement dans lâĂ©cole et Ă la voir avec lui, il apparaissait fort gentil. Et calme.
Je nâai revu aucune de ces personnes depuis au moins vingt, trente ou quarante ans. Et, je me mĂ©fie beaucoup des retrouvailles. Aussi bien intentionnĂ©es soient-elles au dĂ©part, ce genre de retrouvailles peuvent trĂšs vite qualifier un certain malaise. Selon ce que nous sommes devenus et selon nos rapports au passĂ© et au prĂ©sent. A lâĂ©poque, nous coexistions ensemble au moins Ă lâĂ©cole. Nous nâavions pas le choix. Depuis, nous avons tous connu des bonheurs et des malheurs divers. Nos personnalitĂ©s et nos histoires se sont affirmĂ©es. Nous avons fait des choix et continuerons dâen faire en nous persuadant que ce sont les bons ou les moins mauvais. Mais nous nâavons plus cette obligation de coexister ensemble comme Ă lâĂ©cole primaire.
Dans son trĂšs bon documentaire, Exit- La Vie aprĂšs la haine, encore disponible sur Arte jusquâau 27 fĂ©vrier 2019 (aujourdâhui !) Karen Winther se demande comment, de par le passĂ©, elle a pu devenir une activiste dâextrĂȘme droite. Pour essayer de le comprendre, elle est allĂ©e Ă la rencontre dâautres personnes qui sont passĂ©es comme elle par certains extrĂȘmes. Mais aussi Ă la rencontre dâune de ses anciennes amies, activiste de gauche Ă lâĂ©poque, qui avait acceptĂ© de lâaider Ă sâĂ©loigner de son milieu fasciste.
Ingo Hasselbach ( qui a écrit un livre sur cette période, disponible en Allemand et en Anglais), le premier interviewé, a été décrit à une époque comme le « nouvel Hitler ». Dans le documentaire, il dit par exemple :
« Je voulais blesser les autres ».
Un journaliste, pour les besoins dâun reportage, lâavait rencontrĂ© pendant un an. Ce journaliste le contredisait point par point sur un certain nombre de sujets. Cela a commencĂ© Ă faire douter Ingo Hasselbach. Ce journaliste est un Monsieur. Jâignore si jâaurais eu sa persĂ©vĂ©rance et son intelligence.
Manuel Bauer explique que ses amis Ă©tant dâextrĂȘme droite, il Ă©tait donc devenu comme eux. Lors dâune dĂ©tention en prison, alors quâil Ă©tait en train de se faire agresser, ce sont deux codĂ©tenus turcs qui sont venus le sauver. Ce qui aurait provoquĂ© sa prise de conscience. Ces deux codĂ©tenus turcs, lorsquâils lâont sauvĂ©, ont Ă©tĂ© des Messieurs. Jâignore si je serais venu au secours dâun Manuel Bauer, qui, lors de sa « splendeur » fasciste, avait pu flanquer un coup de pied dans le ventre dâune femme enceinte au prĂ©texte quâelle Ă©tait Ă©trangĂšre. Et, ce, juste aprĂšs avoir agressĂ©- parce-qu’il Ă©tait Ă©tranger- le compagnon de cette femme.
Angela King, Tee-shirt de Bob Marley, ancienne suprématiste blanche, raconte :
« A lâĂ©poque, jâĂ©tais invisible. HarcelĂ©e » ; « Jâai pensĂ© que personne ne mâaimait ». Angela King explique quâelle croyait vraiment Ă lâexistence dâun complot ainsi quâĂ la supĂ©rioritĂ© de la race blanche. Câest un attentat meurtrier en 1995, commis dans lâOkhlahoma, par un homme qui pensait comme elle qui lâaurait fait se reprendre. En prison, ce sont des dĂ©tenues noires qui ont eu de la compassion pour elle et lâont protĂ©gĂ©e, allant jusquâĂ cacher son passĂ© de suprĂ©matiste blanche Ă dâautres dĂ©tenues. Angela King dit : « Ces femmes mâont rendu mon humanitĂ© ».
Ces dĂ©tenues noires, qui avaient peut-ĂȘtre tuĂ© auparavant, ont Ă©tĂ© des Mesdames en choisissant de protĂ©ger Angela King. Jâaurais aimĂ© entendre ces dĂ©tenues noires expliquer, raconter, ce qui, en Angela King, leur avait donnĂ© envie de la protĂ©ger. Pourtant, Angela King lâaffirme :
« Si les conditions sont rĂ©unies, tout le monde peut devenir extrĂ©miste ». Cette phrase peut ressembler Ă une lapalissade. En regardant le dĂ©but dâune fiction telle que la sĂ©rie Walking Dead, on comprend pourtant que- si les conditions sont rĂ©unies- tout le monde peut devenir zombie.
Franck Unimon, ce mercredi 27 fĂ©vrier 2019. Fin de la PremiĂšre partie de LâĂ©cole Robespierre.