Arts Martiaux : un article inspiré par Maitre Jean-Pierre Vignau
Lâinconnu :
Jean-Pierre Vignau, pratiquant dâArts Martiaux au moins depuis 1958, Maitre (ou Sensei) depuis plusieurs dĂ©cennies mâĂ©tait inconnu il y a encore sept mois. Son Ă©cole dâArts Martiaux, le Fair Play Sport, se trouve dans le 20 Ăšme arrondissement de Paris.
Sur cette photo ci-dessus que j’ai prise chez lui ce samedi aprĂšs-midi, Jean-Pierre Vignau a l’allure d’un gentil papy tranquille. Cela s’explique par le sens de l’accueil avec lequel sa femme Tina et lui m’ont reçu. Et, avant ça, cela s’explique aussi par le fait que lorsque cette photo a Ă©tĂ© prise, nous en Ă©tions Ă la fin de notre rencontre. D’abord, je suis convaincu qu’avant mĂȘme que je ne me dĂ©place pour venir chez lui, qu’il savait dĂ©ja que je n’Ă©tais pas un ennemi. Je crois que certaines personnes savent « lire » ou percevoir les rĂ©elles intentions de celles et ceux qui les entourent et les sollicitent.
Il est quantitĂ© de gens qui se pensent douĂ©s et perspicaces lorsqu’il s’agit de dĂ©coder ou de jauger les autres et qui s’illusionnent. Je ne mettrais Jean-Pierre ni dans cette catĂ©gorie de personnes et encore moins dans cette illusion. Pourtant, j’Ă©tais dĂ©tendu en sa prĂ©sence. Et, je me suis rendu chez lui et sa femme en toute confiance. L’arme posĂ©e sur la table Ă cĂŽtĂ© de lui n’est pas un objet de dĂ©coration que Jean-Pierre aurait achetĂ©e dans une brocante pour se faire plaisir. Pas plus qu’elle n’est lĂ pour ouvrir le courrier des factures d’Ă©lectricitĂ© ou afin d’Ă©plucher les pommes de terre pour faire des frites. Jean-Pierre est allĂ© la chercher pour m’illustrer le mot d’une arme que je ne connaissais pas. Pour avoir un peu eu cette arme dans la main, je peux certifier qu’elle pĂšse son poids. Ce n’est pas du liĂšge. Ni un jouet en aluminium.
Jean-Pierre Vignau est « 9Ăšme Dan I.B.A Hanshi ». Je lâĂ©cris parce-que jâai lâinformation sous les yeux lors de la rĂ©daction de cet article. Car le grade du Maitre a une importance formelle et est aussi un gage de lĂ©gitimitĂ© officielle. LâĂ©quivalent dâun « diplĂŽme » reconnu. MĂȘme si un grade, ou un Dan, est sĂ»rement plus quâun diplĂŽme. Ce nâest pas son nombre de Dan, pourtant, qui mâa donnĂ© envie dâaller vers Jean-Pierre Vignau.
Son interview par LĂ©o Tamaki – dans le numĂ©ro 7 du magazine Self & Dragon– mâa appris son existence.
Avant notre premier confinement, en fĂ©vrier, jâavais eu la possibilitĂ© de dĂ©couvrir un cours de Self-DĂ©fense dispensĂ© par Sifu Roger Itier, que je rencontrais pour la premiĂšre fois. La seule fois Ă ce jour. Mais quelques semaines aprĂšs cet essai, qui mâavait plu, une certaine douleur persistante mâavait obligĂ© Ă me rendre Ă cette Ă©vidence : Je mâĂ©tais blessĂ© et jâallais devoir en passer par un kinĂ©. Puis, le premier confinement dĂ» Ă la pandĂ©mie du Covid-19, ses fermetures, ses peurs et ses inconnues, Ă©tait arrivĂ© mi-Mars.
Par chance, prĂšs de mon travail, se trouve un centre de presse restĂ© ouvert pendant le confinement. Centre oĂč jâai pris lâhabitude de me procurer des journaux relatifs aux actualitĂ©s. Et oĂč, en prenant le temps de passer dans les rayons, jâai aperçu les magazines Yashima, Self & Dragon, Taichi Chuan mais aussi Self & Dragon Special Aikido.InspirĂ© par un certain besoin dâArts Martiaux, jâai commencĂ© Ă acheter rĂ©guliĂšrement leurs numĂ©ros.
Jâavais entendu parler de Roger Itier, Maitre en Arts Martiaux chinois, en suivant deux ou trois ans plus tĂŽt une formation Massage bien-ĂȘtre au centre Tao situĂ© dans le 19Ăšme arrondissement. Formation que jâai « terminĂ©e » Ă ce jour. Lors de cette formation, de façon plus ou moins intuitive, influencĂ© sans doute par mes prĂ©cĂ©dentes expĂ©riences sportives, erreurs incluses, jâavais commencĂ© Ă percevoir lâimportance du souffle. On nous avait sensibilisĂ© Ă lâimportance de nos gestes, de notre rythme, de notre prĂ©sence, mais aussi du placement comme du balancement de notre corps dans lâespace par rapport Ă lâautre. Afin dâĂ©viter de nous Ă©puiser le moins possible. Mais aussi, afin de ne pas nous faire du mal Ă nous-mĂȘmes. La personne qui pratique le massage pour le bien-ĂȘtre dâautrui est aussi supposĂ©e faire attention Ă sa personne lorsquâelle pratique. Je crois que lâon peut retrouver ça dans un Art Martial.
Pendant cette formation massage bien-ĂȘtre, jâavais Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de finir par comprendre que dans bien des pratiques sportives, et depuis des annĂ©es, ne serait-ce que pour faire de simples Ă©tirements, peu dâattention Ă©tait apportĂ©e Ă notre respiration. A travers le sport, trop de fois, notre rapport au corps est un rapport raide, brutal et mĂ©canique. Machinal. Il est plus que courant de voir des sportives et des sportifs tirer sur des extrĂ©mitĂ©s de leur corps sans y penser et sans tenir compte de leur respiration aprĂšs ou avant une sĂ©ance dâentraĂźnement. On leur a dit ou ils ont appris quâil faut faire ça, alors, elles et ils font ça. Jâai fait partie de cette population. Et jâen fais sĂ»rement encore partie.
Jâai pris du temps pour mâapercevoir que la plus grande partie des Ă©tirements que nous « faisons » dĂ©coule souvent de postures de yoga oĂč savoir bien respirer est indispensable.
Si ce comportement que nous avons adoptĂ© envers notre corps et notre respiration a dâabord des incidences telles que des blessures diverses â physiques et morales- par entĂȘtement, nĂ©gligence, imprudence ou ignorance, ce comportement a aussi des retombĂ©es sur nos rapports avec les autres comme avec le monde. Mais jâĂ©cris ça maintenant. Je nâai pas racontĂ© tout ce bla-bla Ă Roger Itier ce jour oĂč je lâavais rencontrĂ©. Lui, il savait dĂ©jĂ tout ça largement.
Jâai fait mon essai. A la fin du cours, je me suis rhabillĂ© aprĂšs avoir pris le temps de me doucher et de discuter. Je me suis ensuite aperçu que je mâĂ©tais blessĂ©. Le confinement est arrivĂ©. Et, lĂ , jâai fait comme tout le monde. A ceci prĂšs que jâai fait partie de celles et ceux qui ont continuĂ© de se rendre Ă leur travail comme si « de rien nâĂ©tait » pendant la premiĂšre vague du Covid. Puisque ma profession de soignant fait partie des professions en activitĂ© tous les jours de lâannĂ©e et sur toutes les « branches » horaires de jour comme de nuit. Et, durant le premier confinement, donc, aprĂšs mes nuits de travail, le centre de presse a en quelque sorte remplacĂ© la mĂ©diathĂšque de ma ville.
Dans le Self & Dragon numĂ©ro 7, LĂ©o Tamaki mâavait permis de dĂ©couvrir Jean-Pierre Vignau. LĂ©o Tamaki, aussi, mâĂ©tait inconnu. Aujourdâhui, je peux Ă©crire son prĂ©nom et son nom de tĂȘte car je me suis dĂ©sormais un peu mieux familiarisĂ© avec eux. Je « sais » que LĂ©o Tamaki est un Maitre dâAĂŻkido, quâil a Ă©tĂ© un Ă©lĂšve de Jean-Pierre Vignau, quâil travaille, aussi, en tant que journaliste, pour le magazine Yashima. Quâil tient un blog. Quâil a crĂ©Ă© son Ă©cole dâAĂŻkido, KinshikaĂŻ. Et que plus de deux cents jours par an, de par le monde, il dispense des cours dâAĂŻkido.
Mais soyons- Ă peu prĂšs- concis :
A mesure que je parcourais ces divers magazines traitant des arts martiaux asiatiques, jâapprenais lâexistence dâun certain nombre de Maitres dâArts Martiaux semblant, dâun seul coup, sortir dâune mĂȘme boite tels ces automates meurtriers dâallure enfantine dans lâadaptation cinĂ©matographique de lâĆuvre de Philippe K.Dick : PlanĂšte Hurlante.
Sauf que ces Maitres d’Arts martiaux ne criaient pas sur le papier. CâĂ©tait principalement des hommes. Asiatiques ou occidentaux. La plupart avaient Ă leur actif vingt Ă trente annĂ©es, en moyenne, de pratique cumulĂ©e dans diffĂ©rentes disciplines martiales. Plusieurs de ces pratiquants Ă©taient des Maitres enseignant depuis plusieurs dĂ©cennies. Jean-Pierre Vignau fait partie de ces « derniers ».
Un certain nombre de ces Maitres Ă©taient passĂ©s ou enseignaient dans des villes, Paris et des villes de la banlieue parisienne par exemple, oĂč je ne comptais plus mes allĂ©es et venues. Et, moi, « amateur » dâArts Martiaux depuis des annĂ©es, plutĂŽt sportif, Ă peu prĂšs ouvert et curieux, attachĂ© Ă une certaine polyvalence, jâĂ©tais passĂ© Ă cĂŽtĂ©.
CâĂ©tait Ă se demander oĂč jâavais vĂ©cu, par quelles vitrines je mâĂ©tais laissĂ© happer et, aussi, qui jâavais rencontrĂ© pendant toutes ces annĂ©es.
Je sais avoir fait et continué de faire des rencontres importantes en dehors des Arts Martiaux.
Pourtant, plusieurs fois, en lisant Yashima, Self & Dragon, Self & Dragon spĂ©cial AĂŻkido, TaĂŻ Chi Chuan ou TaĂŻ Chi Mag, jâai eu le sentiment dâavoir ratĂ© une partie de ma vie. En « occultant » tous ces Maitres et tous ces enseignements dont jâentrevoyais les traits -au travers de persiennes – dans ces articles que je lisais.
Si tout dans la vie peut ĂȘtre Art Martial et que la pratique dâun Art Martial ne se rĂ©sume par Ă la satisfaction ressentie dans un dojo ou sur un tatamis, il y a quand mĂȘme, pour moi, un sentiment de gĂąchis, dans le fait dâavoir ignorĂ© des personnes (Maitres, pratiquantes et pratiquants dâArts Martiaux) pendant tant dâannĂ©es.
Aujourdâhui, si je cite Conor McGregor, vedette du MMA prĂ©sentĂ© par Google comme un « pratiquant dâArt Martial » ou Aya Nakamura, il y a des chances pour quâune certaine partie de la jeunesse masculine et fĂ©minine de France sache de qui je parle. Il y a une vingtaine dâannĂ©es, les « Ă©quivalents » de Conor McGregor avaient aussi une certaine notoriĂ©tĂ©. Les Gracie, FĂ©dor Emelianenko, Bertrand Amoussou, JĂ©rome Le Banner, Gilles ArsĂšne, Andy Hug et dâautres concernant le MMA et lâUFC. Et, nâoublions pas dans le registre de la boxe, Mike Tyson. Je les « connaissais » eux et dâautres : jâavais vu des vidĂ©os ou lu Ă leur propos.
Si je cite Aya Nakamura, plus chanteuse de son Ă©tat que combattante de MMA, mĂȘme si lâon peut comparer son succĂšs mĂ©diatique et ses punchlines Ă ceux de certaines vedettes de MMA, câest parce-que, comme Conor McGregor, ses vidĂ©os sur Youtube ou sur les rĂ©seaux sociaux totalisent gĂ©nĂ©ralement beaucoup plus de vues, et de loin, que les vidĂ©os montrant Jean-Pierre Vignau ou dâautres Maitres dâArts Martiaux en dĂ©monstration sur youtube.
Câest un peu lâhistoire du Blues ou du Jazz, ou dâune « quelconque » musique ou Ćuvre artistique, par exemple, qui se rĂ©pĂšte. Aujourdâhui, des grandes vedettes de Rock, de Pop ou de Rap doivent beaucoup Ă leurs aĂźnĂ©s du Blues ou du Jazz. Pourtant, ce sont les vedettes de Rock de Pop ou de Rap dont on connaĂźt le plus les Ćuvres, les spectacles, lâimage ou le succĂšs. Et ce sont leurs concerts qui affichent complet dans des salles gigantesques dont le prix dâaccĂšs peut ĂȘtre excessif tandis que les plus « anciens » et les moins « people » jouent dans des salles plus modestes pour des sommes pouvant ĂȘtre deux Ă trois fois moins Ă©levĂ©es. Aujourdâhui, la pandĂ©mie du Covid, sorte dâogre sanitaire qui annihile et dĂ©vore nos volontĂ©s, empĂȘche les concerts. Mais lorsquâil se sera un peu Ă©loignĂ©, de mĂȘme que la menace terroriste, on peut sâattendre Ă ce que, pour compenser, beaucoup dâentre nous aurons besoin de se distraire dans toutes formes de rĂ©jouissances et de festivitĂ©s immĂ©diates et extĂ©rieures. Dont des concerts et des festivals.
Jâaime Ă©couter la musique dâAya Nakamura comme il mâest arrivĂ© de regarder des combats de Conor McGregor et dâautres combattants ou dâaller Ă des concerts et des festivals. Je mâĂ©tonne simplement dâavoir pu ĂȘtre en partie captivĂ© par une certaine partie du « spectre » des possibilitĂ©s qui nous est offert en permanence sur internet ou ailleurs. Au dĂ©triment des Arts Martiaux par exemple. Parce-que, je me crois et me croyais assez ouvert.
Câest ouvert :
Jâavais entendu parler de Maitre Henry PlĂ©e de son vivant (celui-ci est dĂ©cĂ©dĂ© en 2014 Ă lâĂąge de 91 ans). Jâai pratiquĂ© un peu de judo. Jâai lu, il y a une vingtaine dâannĂ©es, La Pierre et le Sabre dâ Eiji Yoshikawa, roman inspirĂ© de la vie de Miyamoto Musashi. Une fois, dans ma vie, grĂące Ă une amie, je suis allĂ© au Japon. CâĂ©tait en 1999, lâannĂ©e de la sortie du film Matrix des frĂšres Wachowski, avant quâils ne deviennent deux femmes, film que jâavais tenu Ă aller revoir au Japon dans une salle de cinĂ©ma. Avec cette amie, jâĂ©tais allĂ© assister Ă un tournoi de Sumo Ă Tokyo.
Comme nous le savons, nous disposons aujourdâhui dâun trĂšs grand accĂšs- quasiment illimitĂ©- Ă lâinformation et aux connaissances.
Mais tout dĂ©pend de ce que nous cherchons. Et comment nous le cherchons. Nous disposons de plus en plus facilement « dâarmes » de plus en plus puissantes. Mais nous rĂ©gressons peut-ĂȘtre de plus en plus concernant la Maitrise de nos Ă©motions, de nos jugements comme de nos actions. Nous manquons peut-ĂȘtre, de plus en plus, dâĂ©ducation. Me concernant, par exemple, il est Ă©vident que si, aujourdâhui, je retournais au Japon, que jâirais y chercher autre chose quâil y a une vingtaine dâannĂ©es. Et ce serait sans doute pareil pour les autres destinations oĂč je me suis dĂ©jĂ rendu de par le passĂ©.
Mais si nous sommes de plus en plus agressifs envers les autres et envers nous-mĂȘmes, câest sans doute, aussi, parce-que, dans le fond, malgrĂ© les « progrĂšs », notre sentiment dâinsĂ©curitĂ© personnel a Ă©galement augmentĂ©.
Ma rencontre ce week-end avec Jean-Pierre Vignau est peut-ĂȘtre une tentative de dĂ©but de rĂ©ponse Ă cette question :
Quâest-ce quâun Maitre ?
Quâest-ce que lâon recherche chez lui ?
Est-ce celle ou celui auquel on se soumet parfois ou souvent aveuglement, jusquâĂ lâĂ©tranglement, en lâĂ©change dâun peu de (sa) protection ?
Est-ce celle ou celui qui nous permet de devenir résistants et autonomes quelles que soient les difficultés ou les handicaps que nous rencontrerons dans la vie ?
Pour certains, Le Maitre est celui qui vous forme, qui vous dĂ©livre un permis de tuer et dâintimider qui sera le moyen de devenir cĂ©lĂšbre en mĂȘme temps que meurtrier et terroriste. Ou mercenaire. Je ne recherche pas ce genre de Maitre. Jâai « lu » cependant que Jean-Pierre Vignau avait Ă©tĂ© un temps, mercenaire.
Pour dâautres, le Maitre ou la Maitresse est celle ou celui qui vous isole et vous protĂšge du Monde comme de tous ses dangers et de ses perversitĂ©s et vous « aide ( ?!!) » Ă vous en « purifier » en vous sĂ©parant de toutes vos possessions matĂ©rielles, spirituelles mais aussi de vos vies relationnelles acquises dans notre Monde « malsain ». Ce nâest pas pour moi.
Pour dâautres, le Maitre ou la Maitresse est celle ou celui qui vous promettra un Etat militaire et policier. La paix dans les rues. La torture et la censure derriĂšre les murs. Je ne veux pas de ce genre de Maitre, non plus.
Il est aussi des Maitres et des Maitresses qui acquiĂšrent une trĂšs forte position sociale et Ă©conomique qui se mesure aussi Ă lâĂ©tendue des possessions matĂ©rielles. Disposer dâune voiture luxueuse, dâun chĂąteau ou dâune villa Ă montrer ne mâa pas conquis. Cette « absence » dâambition, dans un monde oĂč avoir des « relations » peut ĂȘtre bien plus avantageux que les compĂ©tences et la bonne volontĂ© mâa sĂ»rement desservi. Mais cela nâempĂȘche pas dâapprendre et de sâen tenir Ă certaines prioritĂ©s :
On ne « voit » pas un Maitre ou une Maitresse dans une vidĂ©o, sur un site ou dans un article. On les rencontre. Au mĂȘme titre que si lâon se contente de voir sa vie plutĂŽt que de lâexpĂ©rimenter, on se contente alors de lâenvisager. Tel le fumeur de shit devant son joint, le buveur devant son verre, lâescroc devant sa combine, le tueur devant son arme, lâagresseur devant sa victime.
Lâexigence vis-Ă -vis de soi mĂȘme :
Si je suis exigeant envers moi-mĂȘme, Jean-Pierre Vignau lâest sans doute encore beaucoup plus envers lui-mĂȘme. Et depuis bien plus longtemps que moi.
Câest sans doute, pour moi, une des diffĂ©rences nĂ©cessaires entre un Maitre et un Ă©lĂšve. Et câest parce-que cette diffĂ©rence se perçoit concrĂštement que se crĂ©ent lâautoritĂ©, la lĂ©gitimitĂ© et lâĂ©coute du Maitre.
Si certaines valeurs aujourdâhui se « perdent » ou semblent se perdre, câest peut-ĂȘtre, aussi, parce quâelles sont dâun cĂŽtĂ© rĂ©servĂ©es, telles des places de parking, Ă quelques titulaires avant mĂȘme leur naissance. Tandis que ces mĂȘmes valeurs continuent dâĂȘtre livrĂ©es telles des jolies phrases ou des emballages sous vide Ă dâautres qui doivent se contenter de parpaings pour sommiers lorsquâils sâendorment le soir. AprĂšs que ces derniers se soient faits « arnaquer » un certain nombre de fois, certains dâentre eux finissent par se mĂ©fier de tout y compris des meilleures volontĂ©s quâils rencontrent peut-ĂȘtre trop tard.
Il y a aussi des histoires de « clan » peut-ĂȘtre de plus en plus ancrĂ©es. Des histoires et des croyances hĂ©rĂ©ditaires qui guident, qui brident, et qui nous disent que lorsque lâon fait partie dâun clan, dâun quartier ou dâune famille, quâil est impossible de faire partie dâun autre ou de plusieurs autres. Mais il y a peut-ĂȘtre aussi cette revendication identitaire jusque-boutiste et suicidaire qui consiste Ă vouloir absolument retrouver ailleurs ce que lâon vit et pense tous les jours chez soi. MĂȘme si on y tourne en rond et que cela nous dĂ©truit, nous et notre entourage.
On choisit de rencontrer une Maitresse ou un Maitre plutĂŽt quâun (e ) autre selon lĂ oĂč on est. Parce quâelle ou lui nous semble la personne la plus crĂ©dible mais aussi la plus accessible et la mieux disponible pour nous aider Ă nous Ă©loigner ou nous sortir de certaines impasses.
Une Maitresse ou un Maitre est une personne exigeante. Lorsque lâon se prĂ©sente devant elle ou lui, nous venons avec nos aptitudes, notre potentiel mais, aussi, avec certaines attitudes et ignorances qui nous maintiennent dans une certaine incomplĂ©tude. Nos ambitions et la façon que nous avons de nous percevoir font aussi partie de nos habitudes et de nos ignorances.
Lâexigence, lâexemple, autant que lâempathie, la persĂ©vĂ©rance, lâoptimisme mais, aussi, lâautocritique font, selon moi, partie de la panoplie du Maitre. MĂȘme si, bien-sĂ»r, toute Maitresse et tout Maitre est aussi un ĂȘtre humain avec ses faiblesses. Et que si certains Maitres ont plus de rĂ©ussite avec certains Ă©lĂšves, certains Ă©lĂšves ont aussi plus de rĂ©ussite avec certains Maitres.
Dans son interview, lors de notre rencontre, Jean-Pierre Vignau le dit :
« Mon but, câest de dĂ©courager⊠». Et, il explique que, pendant les trois premiĂšres annĂ©es de pratique, il sâemploie Ă dĂ©courager lâĂ©lĂšve. Cela a de quoi intimider. Trois ans, dans notre vie oĂč beaucoup doit ĂȘtre obtenu rapidement ou aller vite, câest trĂšs long.
Jâai connu un kinĂ© sportif, il y a plusieurs annĂ©es, qui mâavait presque tenu les mĂȘmes propos que Jean-Pierre Vignau. Il mâavait expliquĂ© que lorsquâun sportif venait le voir pour une rĂ©Ă©ducation, il le mettait « minable ! » pendant les sĂ©ances. Mais quâen contrepartie, celui-ci se remettait sur pied. Dans dâautres expĂ©riences, on peut retrouver ce genre dâexigence. On peut bien-sĂ»r penser Ă lâarmĂ©e. Mais aussi Ă une Ă©cole prestigieuse rĂ©servĂ©e Ă une Ă©lite. Pour moi, une Ă©lite, cela peut ĂȘtre aussi bien une trĂšs bonne Ă©cole de menuiserie, de pĂątisserie, de boulangerie, de mĂ©canique ou de cuisine. Pas uniquement une Ă©cole dâintellos. Lâintellect, le fait dâavoir une certaine aisance pour le verbe, la culture, les concepts et la thĂ©orie, mĂȘme si jây souscris, cela ne fait pas tout.
On peut sâinscrire dans un club dâart martial sans faire partie dâune Ă©lite. On peut ĂȘtre un modĂšle sans ĂȘtre un intello.
Dans son livre, paru en 2016, La Fabrique du Monstre, (10 ans dâimmersion dans les quartiers nord de Marseille, parmi les plus inĂ©galitaires de France) que je suis en train de lire, le journaliste Philippe Pujol nous explique que certains- une minoritĂ©- sont prĂȘts Ă vendre du shit, Ă faire des braquages mais aussi Ă tuer pour⊠« rĂ©ussir » Ă exister socialement de façon expresse. Rapidement. MĂȘme si leur vie et celle des autres autour dâeux doit ĂȘtre courte.
Jean-Pierre Vignau, pour exigeant quâil soit, est le contraire dâun Monstre. Dans lâinterview que je fais de lui, on pourra ainsi entendre, Ă un moment donnĂ©, le peu dâestime quâil peut se porter.
« AnalphabĂšte jusquâĂ ses 28 ans », il fait partie de celles et ceux qui ont beaucoup vĂ©cu, beaucoup vu et entendu, qui continuent de pratiquer et qui, selon moi, sont un exemple. Dâabord, parce quâils sont toujours vivants. Ensuite, parce-que, si lâon vient les rencontrer avec les « bonnes » intentions, simplicitĂ© et honnĂȘtetĂ©, je crois que ces gens-lĂ , nous recevrons bien et ne nous raconterons pas de bobards. MĂȘme si, et câest normal, ils garderont leurs secrets. Car Les secrets sâĂ©liminent Ă mesure que lâon fait ses preuves. Or, on peut mourir sans jamais faire ses preuves. Comme on peut passer Ă cĂŽtĂ© dâelles toute notre vie durant.
Construire sa légende
Le numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone portable de Jean-Pierre Ă©tait notĂ© en bas de lâannonce pour son club, Fair Play– dans le 20Ăšme arrondissement de Paris- Ă la fin du magazine Self-DĂ©fense. Je crois ĂȘtre passĂ© devant son club lâannĂ©e derniĂšre en me rendant pour la premiĂšre fois chez un ami. Je vĂ©rifierai.
Lorsque la semaine derniĂšre, jâai composĂ© le numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone de Jean-Pierre la premiĂšre fois, je pensais tomber sur un rĂ©pondeur. Jâai eu Jean-Pierre directement. Jâavais lu quâil dĂ©dicaçait son dernier ouvrage, Construire sa LĂ©gende, paru en 2020.
CâĂ©tait il y a plus dâun mois. Je me rappelle que dans le magazine Self & Dragon, Vignau rĂ©pondait Ă un moment donnĂ© Ă LĂ©o Tamaki :
« Moi, pour certaines personnes qui pratiquent le KaratĂ©, je fais partie des malades mentaux. Je pratique et jâenseigne des techniques qui se rapprochent de la rĂ©alitĂ©, mais en les dosant Ă©videmment». (page 28 de Self & Dragon numĂ©ro 7). Ce genre de propos ainsi que le reste mâont sans doute parlĂ©.
Lorsque je lâai appelĂ©, jâen Ă©tais Ă lâĂ©tape oĂč je cherchais la rencontre. AprĂšs ĂȘtre restĂ© des annĂ©es sous cloche en quelque sorte. La rencontre des Maitres. Mais aussi celle de la vie loin du Covid et du second confinement que nous «connaissons ». Ou que nous apprenons Ă connaĂźtre :
Au nom du Covid, nous acceptons un certain mode de vie que nous aurions refusĂ© il y a encore quelques mois. Cette semaine, en partant chercher ma fille au centre de loisirs, jâai croisĂ© la mĂšre dâun de ses copains. Celle-ci, comme nous, quittait le centre de loisirs avec son fils et sa fille. Une fois en dehors du centre de loisirs, cette mĂšre, infirmiĂšre comme moi (elle, en soins somatiques, moi en pĂ©dopsychiatrie) avait trĂšs vite retirĂ© son masque et lâavait fait enlever Ă ses enfants. Elle mâavait expliquĂ© :
« DĂšs que je peux, je leur fais retirer leur masque ! ». A cĂŽtĂ© dâelle, moi, qui, il y a encore un mois, acceptais tranquillement de sortir avec ma fille sans que celle-ci porte un masque anti-covid, jusquâĂ ce que lâĂ©cole et le centre de loisirs rendent son port obligatoire, jâai confessĂ©, plutĂŽt penaud :
« Moi, je ne sais plus ce quâil faut faire⊠». Jâapprouvais totalement la rĂ©action de cette mĂšre et « collĂšgue ». Mais je considĂ©rais aussi que cela ne pouvait pas faire de « mal » Ă ma fille- vu quâelle entendait parler du Covid depuis des mois- de garder son masque jusquâĂ la maison. Sauf quâimposer le masque sur le visage Ă nos enfants lorsque cela est injustifiĂ©, câest comme leur poser sur le visage lâĂ©quivalent dâune museliĂšre. Et, dĂ©jĂ , dâune certaine façon, dĂšs leur plus jeune Ăąge et avec notre complicitĂ©, câest leur apprendre Ă ĂȘtre dociles voire imbĂ©ciles. Ou Ă devenir, plus tard, des enragĂ©s.
Me refuser à ma part imbécile
Lorsque Jean-Pierre Vignau mâa proposĂ© de venir chez lui pour lui acheter son livre au lieu de le commander sur internet, jâai aussitĂŽt acceptĂ©. Cela signifiait sans doute aussi pour moi que je pouvais, encore, jusquâĂ un certain point, me refuser Ă ma part imbĂ©cile.
Je mâen serais voulu si jâavais refusĂ© ou si jâavais prĂ©fĂ©rĂ© commander son livre comme une pizza sur internet.
JâĂ©tais serein en prenant la route. Ma compagne Ă©tait Ă la maison avec notre fille. Je nâavais pas Ă penser Ă lâheure du retour pour aller chercher notre fille Ă la sortie de lâĂ©cole ou du centre.
A mon arrivĂ©e, je me suis garĂ© devant le domicile dâun des voisins de Jean-Pierre.
Jean-Pierre mâa proposĂ© de me garer dans lâenceinte de son parking extĂ©rieur. Il mâa guidĂ© alors que jâeffectuais ma marche arriĂšre. En sortant de ma voiture, jâavais mis mon masque anti-Covid. Lui, mâa dâemblĂ©e reçu Ă visage dĂ©couvert. Sa femme Tina, aussi. Lorsque jâai abordĂ© le sujet du masque avec Jean-Pierre, celui-ci mâa rapidement fait comprendre que je pouvais enlever le mien.
En me tenant Ă distance bien-sĂ»r, jâai donc enlevĂ© mon masque. Câest de cette façon que la rencontre sâest faite. Si je crois bien-sĂ»r que lâon peut se dire beaucoup avec nos yeux, il Ă©tait pour moi inconcevable de garder mon masque, donc de cacher mon visage, alors que Jean-Pierre et Tina, qui me voyaient pour la premiĂšre fois, et Ă©taient sans masque, mâadmettaient chez eux.
Cette interview, samedi aprĂšs-midi, Ă©tait informelle. Quelque peu improvisĂ©e. Si, officiellement, je venais acheter le dernier livre de Jean-Pierre, câest une fois sur place que je lui ai demandĂ© si je pouvais filmer pour mon blog. Bien-sĂ»r, dĂšs quâil mâa proposĂ© de venir chez lui, je me suis dit que je me devais de lâinterviewer.
Jean-Pierre en a parlĂ© Ă son Ă©pouse. Jâai obtenu leur accord. Jean-Pierre Ă©tait dĂ©jĂ assis. Jâai posĂ© mon camĂ©scope de poche, lâai allumĂ© et lâai laissĂ© filmer comme ça venait. Tant quâil pouvait. Jâai effectuĂ© deux incises dans le montage. Mes remarques auraient pu ĂȘtre mieux prĂ©parĂ©es et lâon mâentend moyennement lorsque je parle. Jâaurais prĂ©fĂ©rĂ©, idĂ©alement, avoir une meilleure Ă©locution, moins bafouiller. En somme, lorsque je regarde et Ă©coute ces images, jâaurais aimĂ© mieux faire lâacteur et le comĂ©dien. Maquiller mes interventions afin que ça passe « mieux » comme dans un clip dâAya Nakamura ou lors dâune provocation de Conor McGregor sans doute. Mais je nâĂ©tais pas venu pour fabriquer mon rĂŽle ou pour tourner mon clip. Et, on entend trĂšs bien les rĂ©ponses, fournies, de Jean-Pierre comme celles de sa femme. Donc, pour moi, le principal est prĂ©sent et bien audible.
Cela a durĂ© un peu plus dâune heure. Lâinterview en images sâarrĂȘte brutalement mais je crois quâil y a suffisamment de matiĂšre. Quel que soit ce que ce que jâai Ă©tĂ© capable de retenir de ces moments, je suis persuadĂ© dâavoir appris quelque chose ce samedi. Par exemple, en reprenant aujourdâhui cet article depuis le dĂ©but pour la quatriĂšme fois, je sais y avoir incorporĂ© des idĂ©es qui mâont Ă©tĂ© inspirĂ©es par notre rencontre il y a maintenant deux jours (trois jours maintenant). Et dâautres arriveront sans doute aprĂšs la publication de cet article et de cette interview.
Je nâai pas encore lu le dernier livre de Jean-Pierre, Construire sa lĂ©gende.
Dans le numĂ©ro 9 du magazine Yashima dâoctobre 2020, page 8, LĂ©o Tamaki mentionne la biographie de Jean-Pierre Vignau, Corps dâacier (je lâai achetĂ©e dâoccasion via le net) . Ainsi que le documentaire Le maĂźtre et le batard qui lui est consacrĂ©. L. Tamaki encourage surtout à « un moment de pratique avec lui » ( Jean-Pierre Vignau).
LĂ©o Tamaki prĂ©sente Jean-Pierre Vignau comme « simple et direct ». Câest ce Ă quoi je mâattendais. Et câest ce que jâai vĂ©cu et qui se retrouve, je crois, dans ce que mon camĂ©scope, qui a sa vie propre, a filmĂ©.
Je suis convaincu que Jean-Pierre et Tina, samedi aprĂšs-midi, mâont donnĂ© quelque chose.
JâespĂšre, Ă©videmment, que cet article et, plus tard, la vidĂ©o de mon interview leur rendra la pareille. Ainsi quâĂ dâautres. Pour lâinstant, mon ordinateur « rame » pour exporter ce que jâai filmĂ©. Câest peut-ĂȘtre mieux comme ça pour le moment. En attendant, je publie dĂ©jĂ cet article. Parce-que je pense quâil prĂ©pare un peu Ă lâinterview filmĂ©e de Jean-Pierre. Et, peut-ĂȘtre, je le souhaite, parce quâil contribuera un peu, Ă bien ou mieux apprĂ©hender les Arts Martiaux dâune certaine façon.
Cet article est long. Peut-ĂȘtre trop long. Il dĂ©couragera sans doute un certain nombre de lectrices et de lecteurs. Mais sa longueur est peut-ĂȘtre aussi une forme de « protection » contre ce Big Bang permanent du « clash et du buzz » qui constelle et Ă©parpille dĂ©sormais nos existences. Big Bang dont tout et nâimporte quoi peut sortir Ă nâimporte quel moment. Le pire comme le meilleur. Alors que si je parle- un peu- dâArts Martiaux, je tiens particuliĂšrement Ă ce que ce soit le meilleur qui ressorte et qui soit retenu par celles et ceux qui liront cet article et qui verront- ou non- lâinterview de Sensei Jean-Pierre Vignau lorsque je la posterai.
Franck Unimon, ce mardi 24 novembre 2020.