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                                                 Santé Mentale

Lorsque l’on se préoccupe des autres, on oublie parfois de s’occuper de soi. Il est des personnes dont c’est le métier et aussi la volonté de s’oublier.  On peut préférer s’ignorer ou estimer que notre vie peut attendre. Les autres, d’abord. Ensuite, on verra bien pour soi. S’il reste encore un peu de place dans la glace que l’on regarde.

 

Covid-19, deuxième prise. Nous sommes au mois de novembre 2020. Je suis un privilégié. Je travaille. J’ai touché une prime Covid. J’ai un salaire. Je n’ai pas été malade du Covid. Mes proches, non plus. Mon métier de soignant n’a peut-être jamais été aussi important.

Ah, oui, j’allais oublier : nous avons obtenu une augmentation salariale. 183 euros en deux temps.  Beaucoup de personnes en France aimeraient percevoir cette somme en plus sur leur salaire à la fin du mois.

 

Comme la majorité, à partir de mars, j’ai été matraqué lors des premières semaines du confinement numéro un au mois de mars. Par l’anxiété, l’angoisse et la peur. Au début du confinement en mars, j’ai cru qu’à n’importe quel moment, dans un couloir de métro, le virus pouvait me sauter dessus. Et me tuer en quelques secondes. Comme une bombe insecticide peut tuer un cafard.

 

 

J’ai aussi été exposé comme d’autres au manque de masques chirurgicaux les premières semaines. Dans mon service, j’ai oublié quand nous en avons eu. Mais nous en avons eus pour travailler.

 

Puis,  dans le monde extérieur, les masques sont arrivés début Mai. Tels des millions de parachutes de Noël dans les supermarchés. Aujourd’hui, on peut trouver des paquets de masques bradés. J’en ai acheté hier, dans la pharmacie, où, en février, un pharmacien m’avait vendu deux ou trois masques FFP2 à 3,99 euros l’unité. Avant que l’épidémie, le confinement de Mars et la pénurie de masque ne nous tombent dessus. Jusqu’en Mai.

Hier, à la pharmacie, j’ai « seulement » payé cinq euros pour une boite de cinquante masques jetables. Il m’en a coûté « seulement » cinq euros la boite.

 

Il m’a fallu quatre mois, entre mars et juillet, pour débloquer mes neurones. Pour redevenir capable de lire des livres. Partir en vacances mi-juillet pendant une dizaine de jours m’a bien aidé. Je fais partie des privilégiés qui ont pu partir en vacances à la mer cet été.

 

Depuis Mai, je porte un masque sur le visage chaque fois que je sors. Et, évidemment, au travail. Depuis mes vacances d’été, j’écoute ce qui a trait au Covid de « loin ». Je m’en tiens à quelques règles principales :

 

Porter mon masque sur mon nez et ma bouche. Eviter de le masturber. En changer régulièrement. Me laver les mains avec du savon quand je rentre dans un endroit. Lorsque je sors des toilettes. Avant de manger. Aérer les pièces où je me trouve. Embrasser seulement ma compagne et notre fille. Je me permets quelques fois de poser ma main sur certaines personnes mais c’est court. Je m’autorise certaines fois à être à visage découvert en présence d’autres mais à un ou deux mètres. J’ai accepté de prendre ma collègue M-J dans mes bras le lendemain de sa dernière nuit de travail, avant son départ à la retraite. J’ai posé ma main un instant sur l’épaule d’une collègue qui venait de m’apprendre avoir perdu sa grand-mère de 94 ans. Ce matin, j’ai aussi posé ma main sur l’épaule de ma collègue de nuit après que nous soyons restés discuter un peu dans la rue, devant le service, au moment de nous dire au revoir. Lorsque je me présente à un nouveau patient ou à une nouvelle patiente, j’enlève mon masque afin que celui-ci ou celle-ci voie mon visage même si c’est à un ou deux mètres. 

 

 

Accepter d’être près de quelqu’un physiquement n’a peut-être jamais été autant synonyme d’affection,  de sympathie ou de « révolte » qu’aujourd’hui. Puisqu’il existe un risque et un interdit sanitaire.

 

 

A l’école de ma fille, nous avions déjà à composer avec le plan Vigipirate toujours actif dans notre département. Depuis, nous devons faire avec nos masques sur nos visages. Même ma fille  y a maintenant droit dans l’enceinte de l’école et du centre de loisirs. Comme ses copines et ses copains.

 

Les échanges téléphoniques et les réunions en visio-conférence pour le conseil de l’école sont en passe de devenir la norme à l’école de ma fille.

 

Cette semaine a eu lieu le premier conseil de l’école avec les enseignants et les parents d’élèves. En écoutant parler untel ou untel, je me suis étonné de mon incapacité à comprendre ce qui se racontait. Je me sentais plus que ralenti tant j’avais de mal à saisir les propos tenus. Des propos pourtant simples et largement à ma portée.

Ensuite, ma connexion internet est devenue mauvaise. Je voyais les images fixes de mes interlocuteurs mais sans le son. Ou alors, le son était haché. J’ai dû renoncer à participer. Je sais bien que mon désistement n’affecte pas en soi notre présence auprès de notre fille et ni ses résultats. Mais je n’ai pas pu m’empêcher de voir dans ma déconnection une sorte de décrochage scolaire alors que les autres participants, une majorité de femmes, semblaient parfaitement à l’aise avec ce nouveau dispositif.

 

 

Il y a deux ou trois semaines, maintenant, je suis arrivé en retard d’une demi-heure à une réunion à mon travail. J’avais pris le temps d’attendre que ma compagne et notre fille rentrent pour les voir. Mais j’avais mal anticipé la diminution du nombre de trains desservant Paris du fait de la pandémie.

 

Au travail, personne ne m’en a voulu pour mon « retard ». J’étais quand même arrivé avec une heure d’avance avant ma deuxième nuit de travail.

 

Pour cette réunion, nous étions plusieurs dans la salle d’attente attenante au bureau du médecin-chef. Il était là ainsi que deux ou trois autres collègues et notre cadre de pôle. Nous étions tous masqués. Nous étions sagement assis sur nos sièges. Environ un mètre nous séparait les uns des autres. Sur l’écran de l’ordinateur du médecin-chef, on pouvait voir la tête de nos autres collègues qui, depuis leur domicile, assistaient et participaient également à la réunion.

 

Ce soir-là, parmi les collègues présents physiquement, il y avait M-J. C’était sa dernière nuit avant son départ à la retraite.

Quand je suis arrivé, le sujet concernait le Covid. Les mesures à prendre par rapport au Covid. Masques, lavage des mains, aérer les pièces, nombre de personnes.  

Nous avons aussi été briefés à propos du fait que, malades, sous certaines conditions, nos pouvions ou devions venir travailler. Masqués évidemment. Et en respectant- formule désormais familière – «  les gestes barrières ». Voire, selon les situations, après avoir observé une période de confinement chez soi de sept ou huit jours.

 

Il n y avait rien de révolutionnaire ou de choquant dans ces « nouvelles ». En fait, mon retard m’avait fait rater le plus « choquant ». Je l’appris plus tard par une de mes collègues :

 

La Direction de notre hôpital faisait appel à des volontaires afin de se rendre dans un service où la majorité des patients avait le Covid et où, beaucoup de soignants, l’avaient également attrapé. Ce service avait besoin de renforts. Il se trouvait à une bonne heure en transports de notre service dans un département d’île de France. Les « volontaires » pouvaient choisir les horaires qui leur convenaient, soir ou matin. Rappelons les horaires du soir : 13h45/21H15. Rappelons les horaires du matin : 6h45-14h15.

 

A défaut de volontaires, la Direction faisait savoir qu’elle désignerait du personnel pour se rendre dans ce service. Dans notre hôpital, il manquerait deux cents infirmiers. Récemment, l’application qui propose des remplacements payés en heures sup dans d’autres services de l’hôpital a été remplacée. Désormais, la nouvelle application qui «  révolutionne la gestion des ressources humaines dans la santé »  et forte du fait que «  1500 entreprises nous font déja confiance » nous signale que tel service a « besoin » de nous.

 

Sur ma boite mail, c’est une première, j’ai aussi reçu un message, d’un groupe privé qui recherche des aides-soignants et des infirmiers :

 

« Dans le contexte d’épidémie Covid-19 et pour accompagner nos patients et résidents, nous avons besoin de renfort dans nos équipes soignantes au sein de nos Ehpad, Cliniques SSR et HAD.

Nous recherchons des Aides Soignant(e)s et des Infirmier(e)s pour des contrats en vacations, CDD ou CDI »

 

 

16 euros brut de l’heure sont annoncés pour un infirmier qui a plus de trois ans d’expérience. Ainsi qu’une prime Ségur mensuelle et une prime pour tout travail effectué durant le week-end.  

 

 

« L’argent » et le sacrifice, ou le sacrifice et « l’argent » continuent d’être les seules façons de s’adresser aux soignants.

 

Ce matin, sur la chaine Cnews, j’ai écouté une partie du dernier discours à ce jour du Ministre de la Santé, Olivier Véran. Il prévenait que le confinement allait sûrement devoir continuer. Il précisait que le gouvernement se préoccupait, aussi, de l’état de santé mental des Français : peur, anxiété, angoisse, dépression etc…

Et, il invitait les personnes concernées à s’adresser à des…. professionnels de la Santé.

 

 

La pénurie des soignants qui a été constatée en mars de cette année est pourtant la même en novembre. Elle dure depuis vingt à trente ans. Et, aujourd’hui, elle est peut-être pire. Pourtant, c’est à ces mêmes soignants que l’on demande d’être « volontaires » pour partir en renfort ailleurs. Que l’on sollicite par mail pour venir faire des vacations dans un autre établissement (en plus de leur poste de titulaire). Ou que l’on présente comme totalement disponibles pour toutes ces personnes qui, et cela se comprend, sont durement éprouvées psychologiquement, moralement et économiquement par cette pandémie du Covid.

 

 

Et nous n’en sommes « qu’à » la  deuxième  vague du Covid.

 

Nous sortirons un jour de ces tourments dus au Covid. Mais ça nous paraîtra long. C’est d’ailleurs déjà très long pour beaucoup de personnes. Moi, y compris.

 

Par exemple, je ne supporte plus de devoir remplir une feuille de justificatif lorsque je sors de chez moi. Porter le masque, oui. Me laver les mains, oui. Etre prudent en présence d’autres personnes, oui, même si, lorsque le métro est plein, je suis bien obligé de rester dedans pour me rendre à mon travail. Mais devoir accepter de rester chez moi alors que je souhaiterais rendre visite à quelqu’un devient très contraignant. Il faut un justificatif. Il faut rester dans un périmètre compris dans un kilomètre autour de chez soi.

 

Le pire, c’est que je réagis comme ça parce-que j’ai connu autre chose. Mais pour celles et ceux, qui, dans quelques années, vivront confinées dès leur naissance, cela paraitra normal d’être cloîtrées ou de fournir un justificatif au moindre déplacement. Et, tout ça, tout en étant déjà « repérés » par nos navigations sur internet ou par l’usage de nos smartphones. Ou, bientôt, peut-être, par des drones, ou, pourquoi pas, par des automates à forme humaine ou par des animaux ou des arbres artificiels.

 

 

En ce moment, en cette période d’hébétude, trois activités en particulier me font beaucoup de bien en plus de mes étirements quasi-quotidiens :

 

Lire

 

Ecouter des Podcasts

 

Lire sur les Arts Martiaux, comme des ouvrages ou des interviews de Maitres.

 

 

Nos relations au travail avec nos collègues, mais aussi avec certains  voisins ou commerçants se resserrent  sans doute. Ainsi qu’avec celles et ceux avec lesquels nous gardons le contact.

 

C’est sûrement, ça, la bonne nouvelle. Nous devenons des adeptes du « développé toucher » en quelque sorte. Le toucher relationnel. Ou nous devenons de bons petits paranos.

 

Franck Unimon, ce vendredi 20 novembre 2020.

 

 

 

 

 

 

 

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