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Synonymes

 

                                       Synonymes un film de Nadav Lapid ( Au cinéma le 27 mars 2019).

« On m’a tout pris ! ».

Yoav a pourtant tout pour lui : Jeune, beau, ancien soldat Ă©mĂ©rite, cultivĂ©, polyglotte, aimĂ© de ses parents et de sa petite amie, il est un des fleurons de l’utopie socialiste israĂ©lienne. Mais il se montre inapte Ă  Ă©galer le modĂšle de Jason Bourne.

« On m’a tout pris ! ». Yoav, un des hĂ©ritiers de l’avenir d’IsraĂ«l, a dĂ©cidĂ© de quitter son pays, IsraĂ«l. « Que vas-tu faire ici ? » lui demande un de ses amis. « Je vais ĂȘtre Français » rĂ©pond t’il dans un Français littĂ©raire, bourgeois et datĂ©.

 

 

 

A lui seul, Yoav rĂ©siste Ă  l’expĂ©rience et Ă  l’hĂ©ritage de celles et ceux qui « savent », telle Ruth Elias, rescapĂ©e de la Shoah, et qui, Ă  la fin de son tĂ©moignage dans le documentaire Les Quatre SƓurs de Claude Lanzmann ( sorti en 2017) affirme :

« Je me sens en sécurité en Israël » ; « Je me battrai pour Israël et mes fils aussi ».

 

 

 

A lui seul, Yoav rĂ©fracte l’éclat de ce miracle Ă©conomique et technologique israĂ©lien qui peut faire la couverture d’un hebdomadaire tel Challenges ( numĂ©ro 600 du 7 au 13 mars 2019).

 

 

Yoav, la trentaine Ă  peine, veut couper les ponts avec son passĂ© et son pays car ils se sont emparĂ©s de son dĂ©sir. Et c’est en redevenant animal, un animal en fuite, qu’il espĂšre redevenir quelqu’un.

En l’an 2000, dans le portrait qu’elle fait du travail de Frantz Fanon sur les effets de la colonisation française sur les peuples opprimĂ©s, l’auteure Alice Cherki cite Lacan Ă  la suite de Fanon :

« Leur inconscient n’était pas celui de leurs souvenirs d’enfance, cela se juxtaposait seulement, leur enfance Ă©tait rĂ©troactivement vĂ©cue dans nos catĂ©gories familiales (françaises). C’était l’inconscient qu’on leur avait vendu en mĂȘme temps que les lois de la colonisation ».

 

 

 

 

Entre exil et voyage pathologique, Yoav essaie de fuir les effets de la colonisation de son propre pays, IsraĂ«l, sur son inconscient. Et pour cela, il va se donner du mal car, enfin, « ĂȘtre français » est son dĂ©sir.

La prĂ©sentation du film est alambiquĂ©e ? Difficile Ă  suivre ? Allez voir le film, vous comprendrez. J’étais arrivĂ© avec quelques minutes de retard Ă  la projection du film la premiĂšre fois. L’attachĂ©e de presse m’avait expliquĂ© un peu dĂ©solĂ©e : « Le film a commencĂ© depuis un moment. Je ne peux pas vous laisser entrer. Vous n’allez pas comprendre
 ». Je m’Ă©tais mis Ă  rire devant elle, soudainement un peu embarrassĂ©e.

 

 

L’attachĂ©e de presse avait raison. Je l’ai compris en arrivant, en avance cette fois-ci, lors d’une seconde projection de presse : Yoav ne comprend pas ce qui lui arrive. Le spectateur peut aussi avoir du mal Ă  comprendre ce film ainsi que ces deux autres personnages, Emile et Caroline (les acteurs Quentin Dolmaire et Louise Chevillotte trĂšs bien dans leur genre), dont le jeu affectĂ©- au mĂȘme titre que celui de Yoav – interprĂ©tĂ© par Tom Mercier- en prime abord dĂ©range, puis Ă©tonne, puis captive. Car ces trois-lĂ , Yoav, Emile et Caroline se protĂšgent de la vie dans un cocon qu’ils se font sur mesure. Au mĂȘme titre que d’autres – juifs israĂ©liens et d’ailleurs- que Yoav rencontre en plein Paris et qui s’accommodent chacun Ă  leur façon de la nĂ©vrose qui les occupe. Cela donne lieu Ă  quelques scĂšnes que l’on qualifiera de dĂ©lirantes, comiques, tristes ou surrĂ©alistes selon la sensibilitĂ© qui nous instruit ou nous occulte. Mais, pour cela, il faudra tenir Ă  ce film- comme Ă  Yoav et aux autres protagonistes- jusqu’au bout.

Synonymes, inspirĂ© de la « vie du rĂ©alisateur Ă  Paris au dĂ©but des annĂ©es 2000 » est un film sans ambiguĂŻtĂ© : La France, malgrĂ© ses problĂšmes, reste selon Nadav Lapid un pays oĂč la vie est une chance pour celle ou celui qui parvient Ă  s’y intĂ©grer.

Franck Unimon, ce mardi 26 mars 2019.

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Voyage

Center Park troisiĂšme et derniĂšre partie

 

 

 

 

Center Parcs 3Ăšme et derniĂšre partie

 

 

L’eau du robinet est Ă©tonnamment bonne Ă  Center parcs.

 

Hier soir, par curiosité, lors de notre promenade, je suis allé vérifier combien de personnes se trouvaient dans le centre aquatique : 900 !

Nous avons rencontrĂ© une copine de l’école de notre fille. Elle Ă©tait avec ses parents et ses deux sƓurs. J’ai reconnu le pĂšre que je salue quelques fois Ă  la sortie de l’école. Souriant et sympathique, celui-ci m’a dit : « ça change d’Argenteuil, hein ? ». J’ai acquiescĂ© poliment.

Ce matin, record absolu : un peu moins de 400 personnes Ă  notre arrivĂ©e. Comme les autres fois, nous commençons Ă  peine Ă  enlever nos chaussures Ă  l’entrĂ©e qu’une vingtaine de personnes nous rejoint.

Lors de notre premier jour, j’avais entendu un employĂ© du Center Parcs dire qu’il y’avait plein de casiers hors services. Nous en faisons l’expĂ©rience ce matin. Ma compagne a beau apposer son badge sur une dizaine de vestiaires diffĂ©rents: Cela ne marche pas.

 

Nous rĂ©ussissons Ă  trouver une employĂ©e. Elle repart avec notre badge pour le tester. A son retour quelques minutes plus tard, elle me rĂ©pond que notre badge est toujours actif. Mais elle constate –aussi- qu’elle n’arrive pas Ă  fermer un quelconque casier avec celui-ci. Elle me propose de fermer notre casier avec son badge et de revenir la voir lorsque nous partirons. Elle termine son service Ă  midi m’apprend t’elle. Il est alors onze heures. Je lui explique que nous resterons au centre aquatique bien aprĂšs midi. Elle me propose alors de solliciter ses autres collĂšgues qui prendront sa suite. L’idĂ©e de devoir solliciter ses collĂšgues et de dĂ©pendre de la confiance qu’ils voudront ou pourront bien m’accorder est pour moi Ă  Ă©viter. Je dĂ©cline cordialement et dĂ©cide de caser les affaires de ma compagne et de ma fille dans mon casier que je rĂ©ussis Ă  ouvrir et Ă  fermer de nouveau.

Ce matin, notre rĂ©gularitĂ© au centre aquatique est rĂ©compensĂ©e. Notre fille a moins peur. Et elle dĂ©couvre avec plaisir les joies des toboggans : Black Slide, Wide Slide, Jet Slide pour les enfants de son Ăąge. D’abord avec moi. Puis, seule. Ensuite, nous allons tenter l’expĂ©rience de toboggans oĂč, pour les enfants de son Ăąge, la compagnie d’un adulte lors de la descente du toboggan est obligatoire.

Lorsque nous sortons vers 13h30, je revois le Mac Do postĂ© stratĂ©giquement devant le centre aquatique. Des parents y dĂ©jeunent avec leurs enfants. D’autres personnes y commandent leur repas sur une des bornes prĂ©vues Ă  cet effet. Nous n’en faisons pas partie. Il y’a d’autres restaurants dans ce Center Parcs. Mais le Mac Do est le plus proche du centre aquatique. Plus proche que la boulangerie oĂč je me dirige pour acheter nos deux baguettes quotidiennes. Le Mac Do est aussi plus proche du centre aquatique que le supermarchĂ© Proxy qui jouxte la boulangerie. Devant moi ce matin, une clientĂšle allemande. Mais il m’a semblĂ© que la clientĂšle de ce Center Parcs Ă©tait majoritairement française. Du moins celle que nous avons pu croiser et entendre parler.

Aujourd’hui, ma compagne et moi faisons rapidement notre bilan comptable. Vu que nous sommes venus avec quelques provisions, nous aurons peu dĂ©pensĂ© lors de nos quatre jours à Center Parcs : 30 euros grosso modo. Si l’on excepte les 30 euros d’essence Ă  l’aller pour faire le plein qui sera suffisant pour rentrer.

Nous aurions sans doute dĂ©pensĂ© davantage s’il avait fait plus beau. En raison du ciel gris et de la pluie, nous nous sommes concentrĂ©s sur le centre aquatique -compris dans le forfait- et sur une petite promenade Ă  pied l’aprĂšs-midi avant de rentrer. Pas de passage dans l’un des magasins. Pas de commande de repas ou de restaurant. Pas de Mac Do. Et la tĂ©lĂ© est restĂ©e muette. Une radio aurait Ă©tĂ© bienvenue. Je m’en avise ce jeudi soir en mettant de la musique. Seul journal d’information : Le Canard EnchaĂźnĂ©. J’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© hier lorsque ma compagne m’a appris que Le Canard EnchaĂźnĂ© Ă©tait en vente dans le rayon presse du supermarchĂ© Proxy.

L’expĂ©rience Center Parcs se terminera demain matin. J’en retire que cela peut ĂȘtre bien de retourner Ă  l’Aquaboulevard avec ma fille. Et que cela peut ĂȘtre agrĂ©able et reposant Ă  condition d’y rester quelques jours comme nous et ensuite de repartir ailleurs.

 

Depuis, nous sommes rentrĂ©s de Center Parcs. Et en discutant avec d’autres parents de l’école oĂč se rend ma fille, j’ai dĂ©couvert que plusieurs d’entre eux s’étaient rendus ou allaient se rendre au mĂȘme Center Parcs. Ces parents faisaient l’éloge de Center Parcs :

« Il a fait beau » ; « Nous avons louĂ© des vĂ©los et nous avons pu faire des balades » ; « Nous avons fait du mini-golf » ; « Il y’a plein de choses Ă  faire ! ». Devant eux, je me suis Ă  chaque fois Ă©crasĂ© et les ai Ă©coutĂ©s poliment. PlutĂŽt qu’hypocrite, mon attitude avait Ă  voir avec une sorte de pĂ©nitence : A Center Parcs, il est indĂ©niable que la majoritĂ© des parents que nous avons croisĂ©s tenaient Ă  transmettre le meilleur Ă  leurs enfants. C’est ce que je me suis rappelĂ© en dĂ©couvrant l’enthousiasme de ces parents Ă  me parler de Center Parcs. Et je me suis aussi rappelĂ© que moi, si j’ai acceptĂ© de me rendre Ă  Center Parcs, c’est parce-que je fais dĂ©sormais partie de cette catĂ©gorie de parents.

Franck Unimon, ce lundi 25 mars 2019, “loin” de Center Parcs. Enfin, c’est ce que je crois.

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Echos Statiques

L’Ă©cole Robespierre 3Ăšme et derniĂšre partie

 

 

L’école Robespierre 3Ăšme et derniĂšre partie

 

« Nous sommes comme une petite famille et tout le monde nous dĂ©teste. Et, en mĂȘme temps, cela met du piment dans ma vie. Tout ce que font mes anciens amis me semble terne et sans intĂ©rĂȘt ».

Dans le documentaire Exit-La Vie aprĂšs la haine, la rĂ©alisatrice Karen Winther retrouve le professeur Tore Bjorgo (professeur et directeur en NorvĂšge d’un centre de recherche sur les ExtrĂ©mismes) qu’elle avait rencontrĂ© alors qu’elle Ă©tait encore dans la mouvance fasciste. Celui-ci avait pris des notes.

Guro Sibeko, l’amie alors militante de gauche, qui a aidĂ© Karen Winther Ă  sortir du fanatisme en l’hĂ©bergeant durant quelques temps lui dit dans le documentaire :

« Tu Ă©tais triste et frustrĂ©e. Et tu ne captais rien. Tu voulais qu’on te dise quoi faire et quoi penser. C’est comme si tu attendais de nouvelles personnes qui auraient rĂ©flĂ©chi Ă  ta place ». Avec un sourire figĂ©, Karen Winther regarde Guro Sibeko tandis que celle-ci se remĂ©more la Karen qu’elle Ă©tait alors. Guro Sibeko est une Madame. Ainsi qu’une rĂ©sistante. Qui la connaĂźt ? J’ignore, si, Ă  la place de Guro Sibeko, j’aurais eu le courage ou l’envie de recevoir chez moi une Karen Winther passĂ©e par l’extrĂȘme droite. Karen Winther fut-elle une de mes anciennes amies ou connaissances. En effet, il arrive que l’on craigne que l’amie ou la connaissance « Ă©garĂ©e » et dĂ©semparĂ©e que l’on recueille afin de l’aider se rĂ©vĂšle une menace qui, finalement, empoigne notre foyer.

Il y a plusieurs annĂ©es, Ă  Paris, lors d’une soirĂ©e, j’avais croisĂ© une personne persuadĂ©e que lors de la Seconde Guerre Mondiale, elle aurait fait partie de la rĂ©sistance. Nous Ă©tions plusieurs autour de lui lorsque cet homme avait affirmĂ© :

« Lorsque je rencontre quelqu’un, je me demande toujours si cette personne aurait fait partie de la rĂ©sistance ».

J’avais jalousĂ© l’assurance de cet homme. Je l’avais aussi trouvĂ© trĂšs prĂ©tentieux. Je n’étais pas allĂ© jusqu’à me demander si cet homme lisait Ă  travers moi mieux que je ne me dĂ©cryptais moi-mĂȘme. Des personnes que je considĂšre trĂšs intelligentes, trĂšs cultivĂ©es et trĂšs sĂ»res d’elles-mĂȘmes parmi mes connaissances et rencontres, ou dont je lis et « vois » les engagements, dĂ©fendent des valeurs que j’estime proches des miennes. Cela me fait du bien mĂȘme si, paradoxalement, partager des valeurs communes est insuffisant pour ĂȘtre proche d’une autre personne. NĂ©anmoins, parfois, je me demande ce qui retient ces personnes de penser et de rĂ©agir tout Ă  fait diffĂ©remment : comme des personnes d’extrĂȘme droite, des fanatiques ou n’importe quel terroriste. Je me demande quels sont leurs « gardes fous ». Je me demande ce qui empĂȘche les super hĂ©ros Superman, Black Panther, Wonder Woman et Ororo, celles et ceux qui, dans la vraie vie, Ă  mes yeux, leur ressemblent, d’ĂȘtre du cĂŽtĂ© des sadiques et des fascistes.

On aimerait que la bravoure morale qui diffĂ©rencierait les hĂ©ros des salopards soit aussi nette, lorsqu’elle s’exprime, que la lame de la baĂŻonnette ou du rasoir. Mais je sais que l’ĂȘtre humain reste insaisissable. Et aussi que toute personne a ses limites. Un film comme Apocalypse Now de Coppola nous a montrĂ© ça. Mais aussi Stalker de Tarkovski.

Une erreur d’apprĂ©ciation frĂ©quente consiste Ă  considĂ©rer comme « cons » ou « idiots » toutes celles et tous ceux qui dĂ©fendent des valeurs contraires aux nĂŽtres. A mon avis, Spike Lee, dans son dernier film BlacKkKlansman( film rĂ©cemment oscarisĂ© et dont je parle dans la rubrique CinĂ©ma de ce blog) fait cette erreur. Dans son film, la majoritĂ© des racistes et adhĂ©rents du KuKLuxKlan sont des abrutis. Des trĂšs dangereux abrutis mais des abrutis quand mĂȘme.

Un tĂ©lĂ©film en deux parties, Alias Caracalla, au CƓur de la RĂ©sistance rĂ©alisĂ© par Alain Tasma en 2013 est inspirĂ© du livre Alias Caracalla, Ă©crit en 2009 par Daniel Cordier, ancien secrĂ©taire de Jean Moulin. Ce livre de Daniel Cordier est depuis sa parution devenu une rĂ©fĂ©rence et un exemple sur l’Histoire de la rĂ©sistance en France lors de la Seconde Guerre Mondiale. Daniel Cordier, comme d’autres rĂ©sistants connus ou anonymes, est un Monsieur. Pourtant, au dĂ©but de son engagement dans la rĂ©sistance, si j’ai bien compris, Cordier, bien que trĂšs cultivĂ©, Ă©tait plutĂŽt antisĂ©mite. Vu que je n’ai pas encore pris le temps de lire intĂ©gralement son ouvrage, j’ignore encore ce qui lui a permis de changer d’opinion intellectuelle et morale et de cesser d’ĂȘtre antisĂ©mite.

Pour expliquer la complaisance de certaines et certains dans leur rĂŽle de bourreaux et d’extrĂ©mistes envers leurs victimes et boucs Ă©missaires, certains « spĂ©cialistes » souligneraient peut-ĂȘtre davantage le manque d’intelligence Ă©motionnelle et d’empathie, ou un certain mĂ©pris pour ces facultĂ©s. Pour certaines et certains , l’intelligence Ă©motionnelle et l’empathie, une certaine forme de sentimentalisme, sont des marques de faiblesse. Etre « dur » au mal, inflexible et tranchant est valorisĂ©. On peut retrouver ces valeurs dans le corps militaire, en politique, dans un certain rapport au sport, dans le monde du travail, dans certaines relations familiales, amicales, ombilicales et amoureuses ou l’on se montre « dur comme le cuir » ou « dur Ă  cuire ». Les « hĂ©roĂŻnes » et les « hĂ©ros » qui incarnent ces valeurs avec « rĂ©ussite » sont montrĂ©s en exemple et courtisĂ©s. Celles et ceux que ces modĂšles bousillent sont relĂ©guĂ©s dans les divisions de l’oubli ou on leur fournit un mandat de dĂ©placement avec aller simple pour une destination si possible inconnue de tous et Ă©loignĂ©e de tout. Nous voulons des winners. We Shall overcome ! Si Nou Moli Nou Mo ! (Si on se ramollit, on crĂšve !).

On peut souhaiter critiquer cette mentalitĂ© quelque peu « bourrine » et assassine et prĂ©fĂ©rer louer tout ce qui a trait Ă  « l’émotionnel », Ă  la poĂ©sie, au sentimentalisme, Ă  la sensibilitĂ© et Ă  la « communication ». Mais ce serait manquer de rĂ©alisme. Ce serait oublier que bien des entreprises humaines ont eu besoin et ont besoin de l’engagement de la force brute et de l’expĂ©rience de personnes dures au mal afin de survivre et de rĂ©ussir. Le film Green Book de Peter Farrely a lors des derniers Oscars (ce dimanche 24 fĂ©vrier 2019) Ă©tĂ© diversement apprĂ©ciĂ© par certaines personnalitĂ©s et journalistes. J’ai prĂ©vu de donner mon avis sur ce film dans ce blog. En attendant, dans le film Green Book, je constate que lorsque le Dr Shirley dĂ©cide de se rendre dans les Etats Unis racistes, il choisit Tony Lip comme homme Ă  tout faire. Et qui est Tony Lip ? PlutĂŽt un bourrin et un homme dur au mal. Pas du tout un esthĂšte et un intellectuel. En cela, le film me semble « juste » :

il est quelques circonstances dans la vie oĂč se contenter d’observer et de pratiquer les maniĂšres polies nous rĂ©duit au statut de proie et de victime.

En outre, Tony Lip est néanmoins un homme dont certains des principes et valeurs rejoignent ceux du Dr Shirley.

Dans le documentaire Exit-La vie aprĂšs la haine, David Vallat, ex-jihadiste au sein du GIA, auteur du livre Terreur de jeunesse, affirme :

« Lorsque vous ĂȘtes Jihadiste, vous n’avez pas peur de mourir. Vous souhaitez mourir ».

Alors qu’il est en prison, David Vallat lit deux livres par jour. Il dĂ©couvre que la vie est faite de nuances dĂšs son arrestation oĂč, durant quatre jours, on le traite correctement. Il s’attendait Ă  ĂȘtre brutalisĂ©. Il comprend que la doctrine jihadiste lui a menti. Il explique aussi avoir vĂ©cu une « Ă©norme dĂ©pression » et ressenti une « angoisse terrible » en sortant de prison. Car il Ă©tait alors isolĂ© et complĂštement dĂ©connectĂ©. Et il se demandait par quoi il pourrait bien remplacer le vide idĂ©ologique laissĂ© par l’abandon du jihadisme. Il dit l’avoir remplacĂ© par une histoire d’amour et par le travail.

Au cours du documentaire, Angela King rĂ©vĂšle, en entendant une autre extrĂ©miste repentie, qu’avant de devenir extrĂ©miste, elle aussi s’était faite violer et qu’elle en avait conçu une grande colĂšre. Plusieurs de ces anciens extrĂ©mistes racontent la difficultĂ© Ă  quitter leur milieu activiste : eux comme leurs familles sont menacĂ©s et l’ont Ă©tĂ©. Ils sont obligĂ©s de se cacher, de changer de rĂ©gion ou de pays. De cercle relationnel.

On cite souvent le film American History X (1998) de Tony Kaye pour parler de l’extrĂ©misme contemporain. Il est d’autres films qui en parlent- aussi- trĂšs « bien » et, voire, jusqu’au terrorisme : L’attentat de Ziad Doueri, Le Ciel attendra de Marie-Castille Mention Schaar, Un Français de DiastĂšme , Incendies de Denis Villeneuve ou Nocturama de Bertrand Bonello en font partie.

D’aprĂšs le documentaire Exit-La Vie aprĂšs la Haine, il ressort que le fanatisme, l’extrĂ©misme et le terrorisme deviennent les Ă©quivalents d’une addiction. D’une passion. D’une transe au cours de laquelle on se sent supĂ©rieur Ă  celles et ceux qui sont extĂ©rieurs Ă  notre groupe ; d’une identitĂ© sociale ; d’une forme de pensĂ©e automatique qui prend le dessus sur une certaine aptitude au discernement et Ă  l’autocritique.

L’autocritique, l’autocensure, la capacitĂ© Ă  prendre l’initiative d’une dĂ©cision contradictoire et/ou bienveillante comme ces deux codĂ©tenus turcs qui ont secouru Manuel Bauer, ces dĂ©tenues noires qui ont protĂ©gĂ© Angela King, le journaliste qui a rencontrĂ© et fait douter Ingo Hasselbach, Guro Sibeko et son petit ami d’alors qui avaient recueilli Karen Winther sont des actes de rĂ©sistance. Des actes de rĂ©sistance rĂ©alisĂ©s par des Mesdames et des Messieurs et toutes celles et ceux qui leur ressemblent, connus ou inconnus. Et Manuel Bauer, Ingo Hasselbach, Angela King, Karen Winther, David Vallat, mĂȘme si leurs actions passĂ©es sont repoussantes sont aussi d’une façon ou d’une autre des Mesdames, des Messieurs et des rĂ©sistants : dans ce documentaire, ils ne nous parlent pas de celles et ceux qu’ils ont pu cĂŽtoyer et dont ils ont pu ĂȘtre proches alors qu’ils Ă©taient fascistes, terroristes ou nĂ©o-nazis et qui ont prĂ©fĂ©rĂ© rester dans le « mouvement » mĂȘme s’ils avaient, eux aussi, des doutes. Par conformisme ou par peur des reprĂ©sailles.

 

A l’école Robespierre oĂč j’ai commencĂ© ma scolaritĂ© puis ensuite ailleurs au collĂšge, au lycĂ©e et dans ma citĂ© oĂč j’ai grandi, j’ignore dans quelle proportion celles et ceux que j’ai croisĂ©s sont devenus extrĂ©mistes, nĂ©onazis, fascistes ou rĂ©sistants. Mais je sais , qu’elles et ils se fassent un jour connaĂźtre ou non, qu’il en est bien quelques unes et quelques uns parmi eux qui quelque part ou en ce moment sont des Mesdames et des Messieurs qui rejettent « l’ensaignement ».

Ces immeubles que l’on aperçoit font partie de la citĂ© ou de l’allĂ©e Fernand LĂ©ger oĂč j’ai habitĂ© de mes 4 ans Ă  mes 17 ans. Notre immeuble se trouve hors-champ, sur la droite. A notre “Ă©poque”, jusqu’en 1985, les immeubles Ă©taient plutĂŽt de couleur gris/marron. Sur la gauche, au sein du bĂątiment un peu allongĂ©, il y avait le supermarchĂ© Sodim ensuite remplacĂ© par un FĂ©lix Potin. Les photos pour cet article ont Ă©tĂ© prises quelques jours avant sa rĂ©daction.

 

Ces immeubles au premier plan n’existaient pas Ă  mon “Ă©poque”. A leur place, il y avait sans doute un terrain vague. Les grandes tours que l’on aperçoit tout au fond, en revanche, Ă©taient bien lĂ  dans les annĂ©es 80. On les appelait les “Tours rondes”.

 

Nous sommes ici non loin du stade d’athlĂ©tisme Jean Guimier que j’ai frĂ©quentĂ©. Ainsi que sa piste en tartan de 400 mĂštres qui a remplacĂ© la piste en cendrĂ©e de 350 mĂštres oĂč j’avais dĂ©butĂ© l’athlĂ©tisme et qui se trouvait juste Ă  cĂŽtĂ© du lycĂ©e Joliot Curie, de la mairie mais aussi de la bibliothĂšque de Nanterre. Le stade Jean Guimier, lui, se trouve plus prĂšs du grand parc de Nanterre ( dont j’ai toujours eu du mal Ă  retenir le nom officiel), du collĂšge Evariste Gallois oĂč je suis ensuite allĂ©….et du quartier de la DĂ©fense qui se trouve Ă  dix Ă  quinze minutes Ă  pied.

 

Le grand immeuble qui tranche tout au fond, c’est, si je ne me trompe l’immeuble appelĂ© ” DĂ©fense 2000″. C’est dĂ©ja le quartier de la DĂ©fense. Et une toute autre population que celle que je “connaissais” et cĂŽtoyais au quotidien. Un autre monde. La seule fois oĂč je suis entrĂ© dans cette immeuble, c’Ă©tait pour essayer de faire “fortune” en faisant du porte Ă  porte avec mon meilleur ami, son frĂšre et un autre ami. J’ai oubliĂ© ce que nous avions essayĂ© de vendre. Mais, de toute façon, cela n’a pas marchĂ©.

 

Le stade Jean Guimier oĂč j’ai effectuĂ© un certain nombre de sĂ©ances d’athlĂ©tisme et aussi d’oĂč nous partions pour aller courir au parc se trouve, hors champ, sur la gauche Ă  moins de cent mĂštres.

 

Les Fontenelles.

 

Une adresse bien connue de moi ( mon meilleur ami y a vécu avec ses parents, ses frÚres et ses soeurs) qui se trouve prÚs du collÚge Evariste Gallois.

 

Des collĂ©giens devant le collĂšge Evariste Gallois, destinĂ© Ă  ĂȘtre fermĂ© : Ce collĂšge est devenu un Ă©chec pĂ©dagogique. A mon Ă©poque (au dĂ©but des annĂ©es 80) ce n’Ă©tait pas le cas.

 

Cette dame et “son” enfant marchent dans la citĂ© Fernand LĂ©ger. J’ai souvent pris ce chemin pour aller faire des courses au Sodim ou au FĂ©lix Potin. Sauf que, comme la plupart des enfants de mon Ăąge, je coupais en marchant sur la pelouse sur la gauche.

 

 

La Tour 17. LĂ  oĂč j’ai vĂ©cu de mes 4 ans Ă  mes 17 ans. Jusqu’en 1985. Face au groupe scolaire Robespierre, situĂ© sur la droite. Il n’y avait qu’Ă  traverser la rue pour aller Ă  l’Ă©cole primaire.

 

 

Le Groupe scolaire Robespierre, oĂč je suis allĂ© Ă  la maternelle, situĂ©e sur la droite. Puis, Ă  l’Ă©cole primaire, du CP au CM2, pour moi, au fond, Ă  gauche.

 

DerriĂšre cette dame Ă  l’horizon, il y avait une sorte de terrain de foot sans herbe. Que de la pierre, avec des buts. Nous jouions, lĂ . L’immeuble que l’on voit derriĂšre cette dame est soit la tour 13 ou la tour 14. Ma “fiancĂ©e” de l’Ă©cole primaire, Malika, habitait lĂ  avec sa famille, sa soeur Fatima, ses frĂšres Hassan et Lionel. Sur la droite, et dans le prolongement, derriĂšre l’immeuble, il y avait l’usine CitroĂ«n, toujours en activitĂ©. Pour moi, elle faisait juste partie du dĂ©cor. Car mes parents et aucune des personnes que je “connaissais”, n’y travaillait.

 

Ce panneau n’existait pas Ă  notre “Ă©poque”.
A notre arrivĂ©e, la citĂ© Fernand LĂ©ger Ă©tait pratiquement “fermĂ©e” : une route la ceinturait de l’intĂ©rieur et on ne pouvait la prendre- et en sortir- qu’Ă  un seul endroit qui se trouvait, je crois, avant le supermarchĂ©. Puis, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© de “l’ouvrir”. NĂ©anmoins, Ă  notre “Ă©poque”, ce rond-point, pour moi, n’existait pas.

 

 

 

PrĂšs des berges de la Seine, Ă  Colombes, non loin du parc de l’Ăźle “marrante” derriĂšre nous. Parc oĂč se trouvent la patinoire, la piscine etc…..

Franck Unimon, ce lundi 18 mars 2019. L’école Robespierre, 3Ăšme et derniĂšre partie.

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Voyage

Center Park 2Ăšme partie

 

 

 

                                                    Center Park 2Úme Partie.

 

« Tu as l’air de t’ennuyer ? » me demande gentiment ma compagne alors que nous sommes dans l’eau. J’élude poliment. Hier soir, aprĂšs avoir dĂ©posĂ© notre voiture au parking Ă  l’entrĂ©e de Center Park comme le veut le rĂšglement, j’avais fait un peu de repĂ©rage. Un peu plus de quatre cents personnes se trouvaient alors au centre aquatique Aquamundo. Il Ă©tait un peu plus de 19h. Ce chiffre m’avait semblĂ© Ă©levĂ©. Comme hier, le temps sera couvert et pluvieux durant notre sĂ©jour. Et assez frais. Il faisait environ 6 degrĂ©s hier soir.

Nous sommes un peu plus de six cents ce matin dans le centre aquatique. Dans le bassin oĂč nous nous trouvons, j’ai l’impression de me trouver Ă  Calcutta, dans le Gange, parmi des milliers d’Indiens. L’environnement me fait la mĂȘme impression que l’Aquaboulevard plusieurs dĂ©cennies plus tĂŽt et je subis un vĂ©ritable ippon mental. Les endroits sont des robots qui se dĂ©placent et se mettent dans les dispositions qu’on leur demande.

En plus de cela, l’eau, plus ou moins propre, est froide. J’ai du mal Ă  me faire Ă  cet Ă©cart entre cette apparence de climat et de dĂ©cor tropical et cette sensation de douche froide. Pour arriver jusqu’au bassin, nous avons dĂ» fouler plusieurs dalles humides dont l’état me convainc qu’elles transforment les pieds en pieds Ă  verrues. Autour de moi, les gens sont contents. Tout le monde est content. J’agrĂ©mente mon retour Ă  l’Aquaboulevard, car je persiste Ă  penser que nous sommes bien Ă  l’Aquaboulevard, de regards circulaires. Ces regards circulaires me permettent d’enregistrer les donnĂ©es correspondant Ă  notre prĂ©sence ici. Le toit rappelle le dĂŽme du film Hunger Games. Dans l’eau, immergĂ©e jusqu’au nombril, une employĂ©e de Center Park, en bermuda noir et tee-shirt rouge, prend des gens en photo. Service payant. Je me demande depuis combien de temps elle patauge dans l’eau. Un MaĂźtre-nageur, blasĂ©, assis sur son siĂšge un peu surĂ©levĂ©, porte des embouts en caoutchouc dans les deux oreilles. Quelques minutes plus tĂŽt, alors qu’elle Ă©tait Ă  moins de cinquante centimĂštres de moi, ma compagne a dĂ» forcer la voix pour que je comprenne ce qu’elle me disait. Bien que nous soyons un certain nombre Ă  nous cĂŽtoyer dans l’eau, chacun est dans sa bulle avec son prochain, sa progĂ©niture ou sa famille. Dans une sorte de voisinage cordial et tout autant indiffĂ©rent.

Lorsque je me dĂ©cide Ă  dĂ©couvrir un peu plus le centre acoustique, pardon, le centre aquatique, je croise un autre maĂźtre-nageur puis un suivant. Quelle que soit l’action qu’il est alors en train d’entreprendre, dĂ©ambuler, ĂȘtre assis ou rester immobile et surveiller, chacun semble avoir, depuis trĂšs longtemps, renoncĂ© Ă  prendre la peine de saluer les usagers. Il y’a tellement de monde. Tellement de bruit. Tellement d’agitation.

A « l’écart », dans un bassin privatisĂ©, trois personnes font de l’aquagym au son d’une musique choisie. Un homme a l’air d’ĂȘtre le moniteur face Ă  deux femmes. Ils sont tous les trois sĂ©rieux, silencieux et concentrĂ©s. Cela fait marrer deux adolescents qui passent par lĂ  et regardent ça de haut. Puis, les deux adolescents s’éloignent, sĂ»rement en direction d’un toboggan ou de la riviĂšre sauvage. Les panneaux prĂ©conisent de rester assis ou de se mettre sur le dos et interdisent de porter des lunettes de natation. Mais plusieurs personnes, dont des mineurs, portent lunettes de natation et/ou se lancent allĂ©grement tĂȘte la premiĂšre en se mettant sur le ventre.

 

AprĂšs environ une heure trente dans le centre aquatique, nous partons. Les bons cĂŽtĂ©s sont que nous reviendrons. L’accĂšs au centre aquatique est compris dans le forfait. Cette rĂ©gularitĂ© permet de mieux se familiariser avec les Ă©lĂ©ments. Notre fille s’est plutĂŽt bien amusĂ©e. Je referai du toboggan et de la riviĂšre sauvage. Alors que nous sortons, je regarde le compteur afin de voir si en venant plus tard, nous aurions Ă©tĂ© plus Ă  l’aise : 602 personnes. Donc, pas de regret. Autres bons cĂŽtĂ©s : le pain vendu est bon et Ă  un tarif acceptable. 1 euro 20 la baguette. 1,95 euro, la Florentine faite avec de la farine de levain. J’apprĂ©hendais la miche de pain industrielle. Et j’étais prĂȘt Ă  sortir de l’Aquaboulevard, pardon, du Center Park, pour en acheter s’il le fallait. Enfin, lorsque j’allume mon tĂ©lĂ©phone portable pour la premiĂšre fois de la journĂ©e, il est un peu plus de 14h.

 

Franck Unimon Ă  Center Park, fin de la 2Ăšme partie.

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Voyage

Center Park 1Ăšre partie

 

 

                                                    Center Park 1Úre Partie

 

Center Park est une pensĂ©e. Je me suis rĂ©veillĂ© ce matin avec cette idĂ©e dans la tĂȘte aprĂšs notre premiĂšre nuit de sĂ©jour. Il en reste trois autres Ă  venir.

En bas de « notre » cottage, ma compagne et notre fille sont dĂ©jĂ  debout. Notre fille est joyeuse. Cela s’entend. Lors de ces vacances scolaires, j’ai acceptĂ© de faire un sĂ©jour dans une pensĂ©e. Pour des raisons pratiques :

« Ce n’est pas loin en voiture. Ça change. En plus, il y’a tout sur place et il y’a plein de choses Ă  faire » ; « Et puis, pour les enfants, il y’a de l’espace. Ils sont contents ! ».

Il a Ă©tĂ© rĂ©pondu Ă  ma compagne qu’en dehors de Center Park, la premiĂšre ville accessible est assez loin et sans intĂ©rĂȘt.

Mais il y’a d’autres avantages Ă  partir en vacances Ă  Center Park : « Ce n’est pas trop cher ». MĂȘme si tout y est conçu pour que la note se rallonge. Une fondue savoyarde livrĂ©e coĂ»te prĂšs de vingt euros pour une personne sachant que seules les commandes Ă  partir de deux fondues sont acceptĂ©es. L’accĂšs Ă  la Wifi est payant.

Cependant, pour des raisons sociales et de bonne intelligence, l’absence de Wifi et les conditions du sĂ©jour- le cĂŽtĂ© isolĂ© de Central Park- sont un bienfait : Le tĂ©moignage – trĂšs enthousiaste- de ma sƓur le soir de notre arrivĂ©e coĂŻncidait avec leur retour d’un autre Center Park. Quelques heures plus tĂŽt, son enthousiasme avait failli ĂȘtre Ă©crasĂ© par l’arbre de cinq mĂštres tombĂ© sur le pare-brise de leur vĂ©hicule alors qu’ils quittaient le Center Park. Le vent soufflait encore assez fort hier (jusqu’à cent kilomĂštres heures et plus) et l’état d’alerte orange Ă©tait encore en cours lorsqu’ils avaient dĂ» partir « avant dix heures » de leur Center Park. Heureusement, personne n’a Ă©tĂ© blessĂ© dans la voiture.

Mais cela ne doit pas nous détourner des arguments en faveur de Center Park.

Et puis : « Toi qui dis que les gens sont trop connectĂ©s et passent trop de temps sur internet et sur leur tĂ©lĂ©phone portable » ; « Si tu n’es pas content, organise-nous un voyage et paie le nous
si tu as de l’argent ». « Organiser tout ça m’a demandĂ© du temps
 ».

J’en rajoute un peu.

Notre dĂ©part pour Center Park s’est passĂ© diffĂ©remment et de façon plus dĂ©tendue. Mais il est vrai qu’organiser un sĂ©jour quelque part, cela demande du travail. Depuis plusieurs semaines, je savais que nous allions quelque part. J’ai appris quelques heures avant de prendre la voiture oĂč nous allions. J’avais un petit peu supposĂ© que cela pouvait ĂȘtre Central Park. J’espĂ©rais me tromper. Je l’ai acceptĂ© car c’est une expĂ©rience Ă  vivre. Et aussi parce-que, avant les lieux, il Ă©tait pour moi plus important de partir avec ma compagne et notre fille.

Ceci Ă©tant dit, Center Park et l’Aquaboulevard, pour moi, sont le mĂȘme genre d’endroit. Et, cela, depuis des dĂ©cennies. Au moins depuis ce jour oĂč j’avais acceptĂ© d’accompagner une amie parisienne toute contente de dĂ©couvrir avec moi l’Aquaboulevard, mĂ©tro Balard. Soit pratiquement au bout opposĂ© de mon lieu de domicile. J’habitais alors Cergy-Pontoise. A peine arrivĂ©s dans l’enceinte de l’Aquaboulevard, j’avais Ă©tĂ© dĂ©concertĂ©. D’abord, il avait fallu payer l’entrĂ©e. J’en avais Ă©tĂ© informĂ©. Citadin de naissance, je suis familier avec la frĂ©quentation des piscines. Ce qui fera sourire et grimacer les puristes ou les pratiquants des riviĂšres, des lacs et des mers. Mais j’étais aussi un Antillais de France. J’étais peut-ĂȘtre un « faux » antillais (oui, car il est supposĂ© exister des « vrais » et des « faux » antillais ou des « bounty » si l’on prĂ©fĂšre : noirs dehors et blancs Ă  l’extĂ©rieur ) cependant, j’avais dĂ©jĂ  mis les pieds plusieurs mois, plusieurs fois, en Guadeloupe. Et je savais qu’en dehors de la pensĂ©e de l’Aquaboulevard qui entendait rivaliser (ou faire oublier) avec la nature tropicale originale, il y’avait beaucoup mieux. Je l’avais dĂ©jĂ  vu et vĂ©cu plusieurs fois sans payer. Et lĂ , je me retrouvais entourĂ© de plein de gens heureux Ă  qui l’Aquaboulevard donnait Ă  vivre du merveilleux. Un peu comme si on vendait trois Ă  quatre fois plus cher Ă  une clientĂšle nombreuse la mauvaise copie d’un mets original. Un peu comme si on convainquait des milliers de personnes que le Reggae de Pierpoljak ou de Yannick Noah est deux cent fois supĂ©rieur Ă  celui de Bob Marley ou de Black Uhuru de l’époque de MichaĂ«l Rose et de la paire Sly Dunbar& Robbie Shakespeare.

A l’Aquaboulevard, j’avais fait au mieux pour mettre mes rĂ©serves en veilleuse devant mon amie Gavroche. Car, lĂ  aussi, le plus important pour moi Ă©tait d’ĂȘtre avec elle. Etant donnĂ© sa grande perspicacitĂ©, il est possible qu’elle m’ait nĂ©anmoins dĂ©masquĂ©. Pourtant, je crois aussi, et c’est en principe une des grandes leçons de notre enfance, qu’il en faut peu pour se distraire. Avec cette amie et d’autres comparses, quelques annĂ©es plus tĂŽt, Ă  son initiative je pense aprĂšs avoir vu d’autres enfants le faire, nous avions bien passĂ© une aprĂšs-midi Ă  nous amuser Ă  glisser sur des planches en carton depuis le haut d’une colline d’Edimbourg, en Ecosse. Nous avions entre 19 et 23 ans. Et, aujourd’hui encore, parmi tous les loisirs et les moyens de distraction que nous utilisons, gratuits ou payants, sportifs ou non, je m’étonne par moments, qu’une fois adultes, nous ayons Ă  ce point pu avoir rejetĂ© un jeu comme celui de la balle au prisonnier. Bien entendu, je n’en parle pas Ă  mon entourage, professionnel comme personnel car il est dĂ©sormais Ă©vident pour tout le monde que nous avons d’autres envies- telles que faire les courses et les magasins- ainsi que tant d’autres prioritĂ©s.

Toutefois, quelle surprise avec Center Park, des annĂ©es plus tard, de revenir Ă  ce qui ressemble Ă  un mĂȘme point de dĂ©part mais cette fois-ci avec femme et enfant. Et d’ĂȘtre lĂ  plus par devoir, par esprit de conciliation et de bon sens que parce-que cela correspond Ă  un de mes projets.

 

Franck Unimon Ă  Center Park. Fin de la 1Ăšre Partie.

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Noire N’Est Pas Mon MĂ©tier

 

Noire n’est pas mon mĂ©tier

 

16 actrices noires tĂ©moignent d’aprĂšs une idĂ©e d’AĂŻssa MaĂŻga

 

« Le noir, ça va avec tout ». On a dĂ©jĂ  entendu ça quelque part. DĂšs qu’il s’agit de se mettre Ă  son avantage, de se donner du volume et une bonne image de soi. VĂȘtement, maillot de bain, paire de chaussures, cosmĂ©tique, voiture, vernis Ă  ongle, lunettes de soleil. MĂȘme le pĂ©trole, qui permet Ă  l’industrie automobile et Ă  d’autres industries de faire de gros chiffres d’affaires, est noir.

Il est plein de circonstances oĂč la couleur noire, sĂ»rement l’une des plus employĂ©es de par le monde, est pratique. FrĂ©quentable. Estimable. On veut ĂȘtre pris au sĂ©rieux dans ses fonctions, susciter un air de dignitĂ© ? On optera pour un peu de noir voire pour une intĂ©gralitĂ© de noir. Un peu de trouble et de mystĂšre ? Optons pour du mascara.

Ce serait une erreur de considĂ©rer le noir comme la couleur attitrĂ©e du deuil et du malheur. D’abord, dans certaines cultures, ce serait plutĂŽt le blanc qui remplira cet office. Ensuite, il faudrait dire Ă  tous les rockeurs et Hard Rockeurs- vivants et enterrĂ©s- d’aller se rhabiller et de remplacer le noir de leurs vĂȘtements et de leur musique par du blanc ou du vert par exemple. Il est alors probable qu’ils nous regarderaient de travers et ne comprendraient pas ce qu’on leur baragouine.

RĂ©cemment, Karl Lagerfeld est mort. On sait nous parler de sa disparation et de ce qu’il a apportĂ© au monde de la culture et de l’art. Je suis bien moins expert que beaucoup d’autres pour en parler. Je le deviendrais peut-ĂȘtre un jour. Cependant, en tant que grand couturier, Karl Lagerfeld, et celles et ceux qui l’ont prĂ©cĂ©dĂ©, regardĂ©, ainsi que celles et ceux qui lui ont survĂ©cu ou se rĂ©clameront de lui, en a conçu des vĂȘtements classieux tout en noir. Et, lui-mĂȘme, comment s’habillait-il ? Les photos les plus connues de lui le montrent souvent portant du noir. Et c’est beau. C’est racĂ©. C’est Ă©lĂ©gant. RacĂ© ? Oui, racĂ©. Quelle classe ! Personne ne compare Karl Lagerfeld Ă  une guenon ou Ă  Cheetah, l’amie de Tarzan que celui-ci a rencontrĂ© un jour sur les rĂ©seaux sociaux de la jungle.

Etonnamment, dĂšs que la couleur noire s’anime et devient la particularitĂ© d’une personne faite de tissus cutanĂ©s, le temps se gĂąte. Un abĂźme s’avance. Et, dans certains milieux autorisĂ©s, on commence Ă  converger, inexorablement, vers un traquenard fait de miroirs dĂ©formants, d’extrapolations, de rumeurs et de superstitions. Un certain racisme se dĂ©chaine. Le racisme ressemble Ă  un organe. Il est possible qu’aprĂšs avoir Ă©tĂ© longtemps couvĂ©, qu’il devienne autonome, Ă©chappe Ă  son crĂ©ateur, et soit capable de se dupliquer sans fin en se diversifiant, lui qui refuse Ă  d’autres d’ĂȘtre diffĂ©rent de lui.

Le racisme, c’est peut-ĂȘtre l’histoire de Blanche Neige jalousĂ©e par sa belle-mĂšre. Entre les deux, un miroir sert de frontiĂšre et les dĂ©partage. D’un cĂŽtĂ©, une belle mĂšre droguĂ©e Ă  sa propre image qui se rĂȘve parfaite. D’un autre cĂŽtĂ©, la jeunesse insouciante qui ignore que son rayonnement est l’annonce du flĂ©trissement, inĂ©vitable de toute façon, de la belle-mĂšre. Il est des personnes, dĂšs qu’elles avancent en Ăąge, qui prennent le parti de l’accepter, de s’allier Ă  la jeunesse, d’apprendre d’elle, de lui transmettre le meilleur et de s’effacer. Il en est d’autres qui veulent continuer Ă  rĂ©gner et sont prĂȘtes Ă  tout emporter avec elles dans le gouffre plutĂŽt que de concevoir que le monde puisse leur survivre.

Tant que la couleur noire qualifie un objet, ça va. L’organe raciste se met en veille. DĂšs que la couleur noire prend forme humaine avec une personnalitĂ© propre, l’organe raciste se rĂ©veille et se met en alerte car le « danger » approche. Et ça peut dĂ©raper Ă  n’importe quel moment :

« Pour une Noire, vous ĂȘtes vraiment intelligente, vous auriez mĂ©ritĂ© d’ĂȘtre blanche ! ».

Dans le milieu du cinĂ©ma, l’actrice NadĂšge Beausson-Diagne a eu la primeur de cette photosensible rĂ©flexion qui l’a mise sur le cĂŽtĂ©. Elle et quinze autres actrices françaises tĂ©moignent dans le livre Noire n’est pas mon mĂ©tier de ce que le racisme a pu leur faire au cours de leur carriĂšre. Car leur particularitĂ© la plus flagrante est d’ĂȘtre noires.

« Oh, la chance d’avoir des fesses comme ça, vous devez ĂȘtre chaude au lit, non ?».

L’actrice NadĂšge Beausson-Diagne, encore elle, a reçu ce « compliment ». Elle ne nous dit pas- « la coquine ! »- si c’était le 14 fĂ©vrier, jour de la St Valentin.

Mata Gabin, MaĂŻmouna Gueye, Eye HaĂŻdara, Rachel Khan, AĂŻssa MaĂŻga, Sara Martins, Marie-PhilomĂšne NGA, Sabine Pakora, Firmine Richard, Sonia Rolland, Magaajyia Silberfeld, Shirley Souagnon, Assa Sylla, Karidja TourĂ© et France Zobda sont avec NadĂšge Beausson-Diagne les 16 actrices noires françaises qui tĂ©moignent dans ce livre. Et vu que nous sommes encore aujourd’hui le 8 Mars 2019, soit le jour « officiel » de la Femme, les nommer ce jour-lĂ  permet doublement de les honorer, elles et celles et ceux qui leur ressemblent qu’ils soient noirs ou pas d’ailleurs. Mais ici, le thĂšme du livre est d’abord la peau de couleur noire.

« Parce-que, pendant des siĂšcles, cette couleur de peau Ă©tait aussi celle des esclaves, des colonisĂ©s, parce qu’elle reste un fantasme exotique ou qu’elle renvoie Ă  une classe sociale pauvre, il faudrait qu’elle raconte encore et toujours cela au cinĂ©ma » ( l’actrice Rachel Kahn).

L’hĂ©ritage du passĂ© colonial de la France est pour quelque chose dans ce regard sur les Noires et Noirs de France. En Ă©tant un tout petit peu excessif, il doit bien se trouver aujourd’hui en France quelques personnes qui estiment – en toute bonne foi- que c’est dĂ©jĂ  trĂšs bien que les femmes et les hommes noirs soient acceptĂ©s dans les transports en commun, dans les Ă©coles et dans les lieux de soins. Deux cents ans plus tĂŽt, il en aurait Ă©tĂ© tout autrement :

C’est donc bien la « preuve » que la France est un pays Ă©voluĂ© et trĂšs tolĂ©rant. Et « notre » cher et charismatique GĂ©nĂ©ral de Gaulle parfois surnommĂ© « Papa de Gaulle », lors du dĂ©filĂ© de la Victoire sur les Champs ElysĂ©es Ă  la fin de la Seconde Guerre Mondiale en 1945 a aussi envoyĂ© un message trĂšs fort en expurgeant des troupes victorieuses les Arabes et les Noirs- pourtant français- qui avaient aussi contribuĂ© Ă  libĂ©rer la France.

La France rĂ©publicaine, dĂ©mocratique et exemplaire, a attendu 2007 pour qu’un PrĂ©sident de Droite nomme une Française d’origine arabe au poste prestigieux de Ministre de la Justice. Et il a fallu attendre 2012 pour qu’un PrĂ©sident socialiste- le parti socialiste Ă©tant censĂ© ĂȘtre plus progressiste qu’un parti de Droite- nomme une Française d’origine guyanaise – donc, noire- au mĂȘme poste prestigieux de Ministre de la Justice. Peu importe que, pour des raisons diffĂ©rentes, Rachida Dati, pour la premiĂšre, et Christiane Taubira, pour la seconde, aient quittĂ© leurs fonctions avant la fin du quinquennat prĂ©sidentiel. Le symbole est lĂ  : la France politique a dĂ» attendre le 21Ăšme siĂšcle pour s’ouvrir Ă  un dĂ©but de rĂ©elle diversitĂ© en nommant des Français « d’origine » Ă  des fonctions prestigieuses. Avant cela, bien-sĂ»r, il y’avait eu quelqu’un comme Roger Bambuck- Un Noir qui courait vite lorsqu’il Ă©tait athlĂšte de haut niveau-  au poste de SecrĂ©taire de la Jeunesse et des Sports.

Mon pĂšre, encouragĂ© par l’Etat Français, comme d’autres milliers d’Antillais Ă  venir travailler dans l’Hexagone- au dĂ©triment du dĂ©veloppement Ă©conomique de sa Guadeloupe natale- dans les annĂ©es 60 affirmait il y’a plus de vingt ans : « Je vois plus facilement un Noir ĂȘtre Ă©lu PrĂ©sident aux Etats-Unis qu’en France ! ». Pour mon pĂšre, la France est un pays de Blancs. Racistes. Pour lui, je n’ai rien Ă  faire en France depuis que je suis diplĂŽmĂ©. Je devrais vivre en Guadeloupe ou mĂȘme Ă  l’Etranger. Mais pas en France. En 1999, en acceptant une mutation professionnelle, mon pĂšre est retournĂ© vivre dans sa Guadeloupe natale quelques annĂ©es avant de prendre sa retraite. Il avait 22 ans lorsqu’il Ă©tait arrivĂ© en France en 1966. Ma mĂšre en avait 19 en 1967 lorsqu’elle avait quittĂ© sa Guadeloupe natale comme mon pĂšre afin d’y trouver du travail.

Barack Obama a donnĂ© en partie raison Ă  mon pĂšre en devenant le Premier Noir PrĂ©sident des Etats-Unis de 2009 Ă  2017. Il faudra un jour que je prenne le temps d’en discuter avec Barack. D’autant que son Ă©lection n’a pas fait de lui ou des Etats-Unis un PrĂ©sident et une Nation irrĂ©prochables. Barack Obama, c’est aussi celui qui, lors de son premier discours d’investiture a pu dire : « Nous n’allons pas nous excuser pour notre mode de vie ! ». Ce qui signifiait qu’il entendait poursuivre avec le mĂȘme panache et le mĂȘme aplomb bien des actions de la politique amĂ©ricaine en matiĂšre d’ingĂ©rence militaire comme en termes de non respect de l’écologie par exemple. En outre, aprĂšs lui, l’élection de Donald Trump en 2017 fait penser Ă  la revanche d’une certaine AmĂ©rique raciste. Et aussi encore plus libĂ©rale et individualiste. Donc, nous pondĂ©rerons notre enthousiasme envers Obama et certains exemples qui nous viennent des Etats-Unis. Si je cite Obama ici, c’est pour le symbole. Et pour cette forme d’ Espoir qu’il a pu un moment et certaines fois reprĂ©senter en faveur d’un Monde plus ouvert et moins raciste. Parler des Etats-Unis, c’est aussi parler de cinĂ©ma d’une certaine façon. Il existe lĂ -bas un certain « Savoir-faire » dans le domaine.

Noire n’est pas mon mĂ©tier est paru en France 2018. Ces 16 actrices françaises qui tĂ©moignent tournent sur les planches ou au cinĂ©ma depuis le dĂ©but des annĂ©es 80 pour les plus expĂ©rimentĂ©es. J’ai beau ĂȘtre assez cinĂ©phile et sensible au sujet de la prĂ©sence des Noirs dans le cinĂ©ma français, je connaissais de visage et de nom seulement cinq de ces seize actrices : AĂŻssa MaĂŻga, Firmine Richard, Sara Martins, Sonia Rolland et Shirley Souagnon. Le hasard veut que Shirley Souagnon soit actuellement sans doute la plus connue de toutes. Or, Shirley Souagnon fait partie des trois absentes sur les deux photos du livre avec Eye HaĂŻdara et Magaajyia Silberfeld. MĂȘme si elle est actrice, Shirley Souagnon est aussi-principalement- l’humoriste du groupe, une humoriste engagĂ©e et consciente. Par choix. Pour avoir regardĂ© certains des sketches de Shirley Souagnon, je sais qu’elle ne mĂ©nage pas son public : elle est loin d’ĂȘtre la petite rigolote noire que l’on a envie d’inviter Ă  son anniversaire pour qu’elle nous fasse passer un bon moment. Je lui trouve une certaine agressivitĂ© et elle ne me fait pas rire pour l’instant. Mais elle n’a sans doute pas d’autre choix : d’une part parce qu’elle est homo dans un monde hĂ©tĂ©ro activement homophobe y compris parmi les Noirs. D’autre part parce qu’elle sait que le fait d’ĂȘtre Noir (e) et comique expose Ă  ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une gentille irresponsable. D’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, Ă  moins d’user de l’ironie ou de l’humour noir, le comique (peu importe sa couleur de peau, son genre ou sa prĂ©fĂ©rence sexuelle) reste d’abord souvent considĂ©rĂ© comme une espĂšce de farfelu pour qui la lĂ©gĂšretĂ© et la sĂ©rĂ©nitĂ© sont des Ă©vidences. Et, pour beaucoup, c’est une surprise rĂ©guliĂšrement renouvelĂ©e de constater au travers d’un rĂŽle dramatique ou d’une confession touchante que le comique peut ĂȘtre plus endolori et plus grave qu’il ne le montre. Pour le moment, je prĂ©fĂšre largement Shirley Souagnon dans le rĂŽle qu’elle a tenu dans la sĂ©rie Engrenages Ă  ce que j’ai vu- et entendu d’elle- en tant qu’humoriste.

Je connaissais France Zobda de nom mais j’aurais Ă©tĂ© incapable de citer un film lui correspondant en tant qu’actrice. MĂȘme si j’avais dĂ©jĂ  entendu parler du film Adieu Foulards rĂ©alisĂ© en 1983 par Christian Lara et vu, en dĂ©calĂ©, le Black Mic-Mac rĂ©alisĂ© en 1985 par Thomas Gilou. Je n’ai toujours pas vu Les Caprices d’un fleuve rĂ©alisĂ© en 1996 par Bernard Giraudeau et jouĂ© Ă©galement par lui-mĂȘme et d’autres acteurs français plutĂŽt confirmĂ©s.

« Dans ma ville, Paris, les Noirs sont partout. Dans les films, nulle part ». (L’actrice AĂŻssa MaĂŻga).

Les noms et les visages d’Assa Sylla et de Karidja TourĂ© auraient pu peut-ĂȘtre me dire quelque chose. Mais je n’ai pas vu le film de CĂ©line Sciamma qui les a fait connaĂźtre : Bandes de filles, rĂ©alisĂ© en 2014. MĂȘme si je me rappelle de ce film et de sa campagne d’affichage.

Karidja TourĂ© s’interroge : « Pourquoi est-ce qu’on n’a pas fait la couverture d’un grand magazine comme Elle ? Avec nos visages d’actrices noires en Une ? ».

J’ai envie de rĂ©pondre Ă  Karidja TourĂ© :

Parce-que je doute que le magazine Elle mette en couverture des personnalitĂ©s comme BĂ©atrice Dalle ou Brigitte Fontaine qui sont des femmes blanches. Alors, mettre en couverture de Elle quatre jeunes actrices noires qui veulent conquĂ©rir le cinĂ©ma français, c’est lui demander l’impossible.

( Photo ci-dessous prise ce jeudi 11 avril 2019 au matin et ajoutĂ©e ce jour-mĂȘme. Karidja TourĂ© est la deuxiĂšme en partant de la droite, Assa Sylla, la premiĂšre)

 

D’autant qu’un peu plus tĂŽt, Karidja TourĂ© avait aussi fait ce constat :

« Ce n’est qu’aprĂšs que j’ai compris qu’il n’y’avait pas de Noires dans les Ă©coles de thĂ©Ăątres ou trĂšs peu. On n’existe pas, on y est introuvables ».

Je peux peut-ĂȘtre le confirmer. C’est uniquement en reprenant des cours de thĂ©Ăątre-plus poussĂ©s- au conservatoire d’Argenteuil que j’ai rencontrĂ© deux autres Noires parmi mes partenaires. J’avais 45 ans. Et je me rappelle aussi de deux autres jeunes noires , qui se connaissaient, et qui devaient ĂȘtre lycĂ©ennes. Elles avaient participĂ© Ă  deux ou trois cours. Elles me paraissaient capables. Elles ont pourtant trĂšs vite arrĂȘtĂ© de venir. Sur mes deux autres partenaires noires, l’une, lycĂ©enne, aprĂšs le Bac, s’est dirigĂ©e vers Sciences Po. Elle me paraissait trĂšs capable. Je situerais mon autre partenaire, un peu plus ĂągĂ©e mais bien plus jeune que moi, Ă©galement trĂšs capable, dans un entre-deux. Elle a dans un premier temps pris un poste Ă  responsabilitĂ©s dans un milieu professionnel extĂ©rieur au thĂ©Ăątre et au cinĂ©ma. Depuis, je ne sais pas ce qu’elle devient. Quant Ă  moi, je suis trĂšs ambivalent. Et j’ai compris depuis peu, depuis la tenue de ce blog, qu’il me faudrait une sorte de « cause » Ă  servir pour me dĂ©cider Ă  vĂ©ritablement m’impliquer professionnellement dans le cinĂ©ma et dans le thĂ©Ăątre en tant que comĂ©dien :

Bien des personnes choisissent de devenir comĂ©dien et de vivre de ce mĂ©tier par plaisir. J’en ai dĂ©jĂ  croisĂ© un certain nombre. La majoritĂ©. Il me semble que je n’ai pas ce droit-lĂ . Ou que je ne l’ai jamais eu. Cela m’est trĂšs difficile de raisonner de cette façon. Je crois que je n’ai pas les moyens de m’offrir cette insouciance. Ne serait-ce que d’un point de vue Ă©conomique et cela depuis le dĂ©but. Bien-sĂ»r, ce verrou Ă©conomique dĂ©pend de certaines prioritĂ©s qui nous viennent de notre Ă©ducation, de cette conscience acĂ©rĂ©e que nous avons de nous-mĂȘmes, de nos chances de rĂ©ussite, et de notre place dans le monde. Ça me rappelle cette anecdote du DJ français Laurent Garnier dans son livre Electrochoc qu’il avait Ă©crit en 2003 ( depuis, une deuxiĂšme version augmentĂ©e d’Electrochoc est parue mais je ne l’ai pas lue) avec David Brun-Lambert et que j’avais lu avec plaisir :

Il racontait avoir rencontrĂ© au cours de sa carriĂšre un certain nombre de DJs qui faisaient rĂ©fĂ©rence et dont il avait pu ĂȘtre un admirateur avant de devenir lui-mĂȘme DJ professionnel tout comme eux. Parmi eux, un DJ noir amĂ©ricain dont j’ai oubliĂ© le nom et qui devait ĂȘtre de Detroit. NaĂŻvement, Laurent Garnier, lors d’une discussion avec ce DJ noir, avait dit faire de la musique « Pour le Fun
. ». ( « Pour s’amuser, pour le plaisir »). Le DJ noir lui avait alors rĂ©pondu : « Pour le Fun ?! On ne fait pas de la musique pour le Fun ! ». J’ai dĂ» lire ce livre et cette anecdote il y’a plus de quinze ans. C’est seulement en lisant Noire n’est pas mon mĂ©tier cette semaine que je peux faire un peu plus le parallĂšle avec moi et mes rapports ambivalents envers le mĂ©tier de comĂ©dien.

Pour certains mĂ©dia français, parler des Noirs, c’est sans doute vendeur lorsqu’il s’agit de montrer des Ă©meutes dans les banlieues. Le sous-texte Ă©tant :

« Pourvu que tous ces Noirs restent dans les cages de leurs immeubles de banlieue et tout ira pour le mieux ».

Mais c’est aussi peut-ĂȘtre vendeur lorsqu’il s’agit de montrer deux Rappeurs – et leurs partisans- qui se bagarrent dans un aĂ©roport. Le sous-texte Ă©tant peut-ĂȘtre alors :

« EspĂ©rons que ces noirs, aprĂšs s’ĂȘtre battus, vont prendre l’avion pour rentrer dĂ©finitivement « chez » eux » dans leur pays de macaques ».

Pour certains esprits qu’un ouvrage comme Noire N’est pas Mon MĂ©tier dĂ©range, tout irait bien aussi si les actrices qui y tĂ©moignent  acceptaient de rester des corps aussi dociles qu’imbĂ©ciles. Ce livre de tĂ©moignages pourrait ainsi ĂȘtre le tombeau en mĂȘme temps que le sacrement dĂ©finitif du scĂ©nario fictif de leur intelligence. Mais ces seize actrices sont perspicaces. Elles sont loin de raisonner comme des manches Ă  balai :

« Je commence Ă  ĂȘtre spĂ©cialiste de la pute maintenant
 » (l’actrice Rachel Khan).

« Les rares fois oĂč on recherche une femme noire, c’est pour raconter une migration tragique, la prĂ©caritĂ© ou la banlieue dĂ©linquante. Les films d’époque aussi nous sont interdits, parce-que encore une fois, l’Inconscient collectif ne peut se reprĂ©senter une prĂ©sence noire sur le territoire français avant les annĂ©es 1980. A moins que ce ne soit une prostituĂ©e. C’est le seul genre de rĂŽle oĂč ĂȘtre noire est recommandĂ© ! » (l’actrice Sara Martins).

« Je joue toutes les dĂ©clinaisons possibles de la mama et de la putain africaines ; des personnages hauts en couleur sans capital intellectuel ou Ă©conomique. Si je n’acceptais pas ces personnages, concrĂštement, je ne travaillerais pas en tant que comĂ©dienne » (l’actrice Sabine Pakora).

Et lorsque l’on lit le CV de plusieurs d’entre elles, tant intellectuel qu’artistique, ainsi que leur tĂ©moignage, on comprend trĂšs vite qu’elles sont surqualifiĂ©es pour ce qu’on leur demande de jouer. A titre personnel, je me souviens avoir Ă©tĂ© contactĂ© en 2014 ou en 2015 pour « jouer » une silhouette d’homme de mĂ©nage. J’avais alors repris mes cours de thĂ©Ăątre au conservatoire et comptais dĂ©jĂ  plusieurs annĂ©es d’expĂ©riences thĂ©Ăątrales auparavant. La personne qui m’avait contactĂ© ne pensait visiblement pas Ă  mal et j’avais perçu son embarras lorsque je lui avais fait comprendre que je refusais ce genre de proposition. Je n’ai plus Ă©tĂ© rappelĂ©.

 

Si le racisme anti-noir oblitĂšre les carriĂšres en France (et AĂŻssa MaĂŻga en donne un tĂ©moignage marquant) je crois aussi que certaines personnes dĂ©cisionnaires sont nommĂ©es Ă  leur poste de dĂ©cision parce-que l’on « sait » qu’elles se conformeront aux directives qui leur seront donnĂ©es sans chercher Ă  innover. Cela existe dans toutes les entreprises. Cela devrait ĂȘtre moins le cas dans une entreprise cinĂ©matographique car on est supposĂ© ĂȘtre ici dans un univers crĂ©atif et artistique donc plutĂŽt ouvert sur le monde et son Ă©volution. Mais mĂȘme l’univers crĂ©atif et artistique a ses dirigeants conservateurs et nostalgiques. Le cinĂ©ma permet de recrĂ©er artificiellement des souvenirs et de les façonner de maniĂšre Ă  les faire se rapprocher du mythe. Mythe « recrĂ©Ă© » devant lequel il sera possible ensuite de se prosterner et d’amener d’autres Ă  le faire avec nous. Si le fantasme absolu d’un producteur est de voir des actrices qui lui rappellent Ava Gardner ou Marilyn Monroe parce que celles-ci l’ont tant fait rĂȘver plus jeune, il aura beaucoup de mal Ă  accepter qu’AĂŻssa MaĂŻga ou une autre vienne remplacer Ava Gardner ou Marilyn Monroe dans un film qu’il produit. Comment, en regardant par exemple une Scarlett Johansson aujourd’hui, ne pas voir, d’une façon ou d’une autre, un zeste de Marilyn Monroe ? Comment ne pas trouver un air de Demi Moore Ă  la Jennifer Connelly que l’on voit dans le Alita : Battle Angel de Robert Rodriguez sorti derniĂšrement au cinĂ©ma ? Comment ne pas trouver chez Laetitia Casta un quelque chose de Brigitte Bardot ?

Par ailleurs, on peut ĂȘtre trĂšs cultivĂ© et raciste. On peut mĂȘme ĂȘtre une femme ou un homme politique -ou mĂ©decin- occuper un poste Ă  haute responsabilitĂ© et ĂȘtre raciste.

Mes remarques, ici, peuvent sembler fatalistes. Je suis pourtant de l’avis d’Aïssa Maïga lorsqu’elle dit :

« Mon territoire n’est pas limitĂ© Ă  la couleur de ma peau(
.) ».

Je suis aussi d’accord avec elle lorsqu’elle dit :

« Ce public au nom duquel on efface de l’histoire les acteurs Ă  la peau sombre est celui que je croise dans le mĂ©tro, dans la rue, dans les cafĂ©s. Si les gens ne s’enfuient pas en courant en me voyant, alors pourquoi le feraient-ils en m’apercevant sur une affiche de cinĂ©ma ? Je ne comprends toujours pas pourquoi le « public », prĂȘt Ă  se dĂ©placer au cinĂ©ma pour Will Smith ou Denzel Washington, ne pourrait souffrir de voir Mata, NadĂšge, Eriq ( Ebouaney), Alex ( Descas), AĂŻssa, Edouard ( Montoute), Firmine, Sonia (
.) tous noirs ou mĂ©tisses
.mais Français ? De quelle nature est la diffĂ©rence entre un Noir des Etats-Unis et un Noir venu d’Afrique, d’Outremer ou encore nĂ© ici ? Sommes-nous finalement trop Français pour des Noirs ? ».

 

Je crois ici que les Etats-Unis, en tant que PremiĂšre Puissance Mondiale, continuent d’exercer en France et ailleurs une forte et une folle fascination : beaucoup de gens ont encore envie de s’identifier aux AmĂ©ricains. Le fait que le Basket soit devenu en France un sport aussi prisĂ© est pour moi une preuve supplĂ©mentaire de cette fascination pour les Etats-Unis. Pareil pour le Rap. Imaginons le Tony Parker d’aujourd’hui en  1984. A Ă  l’époque oĂč Platini, Giresse, Tigana, Luis Fernandez et les autres Ă©taient devenus champions d’Europe de Football. En 1984, Tony Parker aurait eu beaucoup moins de couverture mĂ©diatique qu’aujourd’hui. A cette « Ă©poque », le Basket en particulier amĂ©ricain, Ă©tait moins populaire en France.

Un Noir AmĂ©ricain, c’est tellement plus « stylĂ© ». Plus « affirmĂ© ». C’est plus « cool ». C’est aussi plus « exotique ». En plus, en sport, les noirs amĂ©ricains restent devant. C’est aussi cela, la persistance du RĂȘve amĂ©ricain pour beaucoup de Français. En outre, culturellement, il y’a un Savoir-faire amĂ©ricain et un sens du spectacle rĂŽdĂ©, puissant, qui est sĂ©duisant. Si l’on prend par exemple un animateur tĂ©lĂ© comme Jimmy Fallon, il a tout de mĂȘme plus d’envergure qu’un Thierry Ardisson, un Cyril Hanouna ou un Nagui. Et on remarquera que Jimmy Fallon est un homme blanc. Mais tout autant AmĂ©ricain.

Si l’on devait comparer une des prestations de Billy Cristal lorsqu’il avait animĂ© la cĂ©rĂ©monie des Oscars et celle de Kad Merad lors des derniers CĂ©sars, je suis d’avis que ce serait l’AmĂ©ricain Billy Cristal qui l’emporterait.

Pareil pour certains humoristes qui sont les références de plusieurs de nos humoristes français adeptes du Stand-Up : qui sont ces modÚles ? Des Américains.

Je suis peu connaisseur de BeyoncĂ©, Lady Gaga et de celles qui les concurrencent ou les dĂ©passeront. Mais leur succĂšs mondial fait d’elles des modĂšles. Et, elles sont aussi amĂ©ricaines. Et lorsque certaines vedettes ne sont pas amĂ©ricaines, elles font en sorte de s’y rendre ou de s’y Ă©tablir. Car c’est lĂ -bas que “ça se passe”.

Et puis, il faut rappeler que pour beaucoup de Français, le cinĂ©ma français est synonyme de mauvais cinĂ©ma. C’est un prĂ©jugĂ© assez tenace. Je l’ai dĂ©jĂ  constatĂ© plusieurs fois en proposant d’aller voir un film français. Pour un certain nombre de personnes en France, cinĂ©ma français rime encore avec tĂ©lĂ©film, mauvaise sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e, film intello pour nĂ©vrosĂ©s ou film d’humour gras. Je ne suis pas sĂ»r que le cinĂ©ma d’auteur français d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale soit autant apprĂ©ciĂ© Ă  sa juste valeur qu’il le devrait en France. Je crois qu’il existe en France un public «Pop-Corn », jeune et familial assez peu curieux du cinĂ©ma.

Lorsque je repense au remake amĂ©ricain True Lies du film français La Totale– qui est une comĂ©die rĂ©alisĂ©e en 1991 par Claude Zidi- autant l’aspect comĂ©die Ă©tait ratĂ© dans la version amĂ©ricaine rĂ©alisĂ©e par James Cameron, autant, dans la partie action, la version originale française Ă©tait ridiculisĂ©e. Il y’a une efficacitĂ©- ainsi qu’une rentabilitĂ© Ă©conomique- dans le cinĂ©ma amĂ©ricain qui captive encore beaucoup de spectateurs et plus encore un certain nombre de producteurs français, qui leur donnent la sensation d’assister de nouveau au dĂ©barquement du D-Day sauf que cela se passe sur grand Ă©cran. Et Will Smith comme Denzel Washington, mĂȘme s’ils sont noirs, font partie des GI’S qui dĂ©barquent sur les Ă©crans français.

C’est sĂ»rement parce qu’un rĂ©alisateur-producteur-scĂ©nariste comme Luc Besson ( Un Français, donc) a empruntĂ© les mĂȘmes recettes que ses films d’action marchent auprĂšs d’un certain public, plutĂŽt nombreux en France. Voire aux Etats-Unis. Ou dans le monde.

Il n’y’a pas de hĂ©ros noir dans la sĂ©rie GOT (Game of Thrones), une sĂ©rie amĂ©ricaine Ă  succĂšs de plus que j’aime beaucoup. S’il s’était trouvĂ© un hĂ©ros noir dans GOT, au vu du succĂšs de la sĂ©rie, dont la 8Ăšme et derniĂšre saison commence Ă  ĂȘtre annoncĂ©e pour ĂȘtre vĂ©ritablement lancĂ©e Ă  partir du 14 avril prochain sur la chaine HBO, l’acteur qui l’aurait interprĂ©tĂ© aurait aujourd’hui une cĂŽte autrement supĂ©rieure Ă  nos actrices et acteurs noirs français. Surtout lorsque l’on voit comme le fait de participer Ă  cette sĂ©rie a particuliĂšrement « boostĂ© » la carriĂšre de plusieurs des actrices et acteurs engagĂ©s. A un point qui est peut-ĂȘtre exagĂ©rĂ© compte tenu du fait que certaines et certains des comĂ©diens ont plus de jeu que d’autres. Mais le cinĂ©ma, ce puissant dĂ©terminant social, est plus un vecteur d’exagĂ©ration que de modĂ©ration.

NĂ©anmoins, plus prĂšs de nous, il y’a encore quelques annĂ©es, un Bilal Hassani, « Arabe et Queer » n’aurait pas pu reprĂ©senter la France Ă  l’Eurovision ce 26 avril prochain. Et, il est vraisemblable que la dirigeante du RN ( ex-Front National), d’autres dirigeants d’autres partis politiques ainsi que certaines personnalitĂ©s ou intellectuels français soient particuliĂšrement irritĂ©s de savoir que Bilal Hassani reprĂ©sentera la France Ă  l’Eurovision. Parler de « l’effet » Bilal Hassani aprĂšs avoir Ă©voquĂ© « l’effet » GOT a sans doute un cĂŽtĂ© comique. Mais c’est pour souligner qu’il y’a quelques ouvertures malgrĂ© tout en France. Et que pour avoir regardĂ© la phase finale de la sĂ©lection française avec quelques ados dans mon service, j’ai pu percevoir comme Bilal Hassani Ă©tait un modĂšle pour ces jeunes car il a eu la force et le courage de prendre le risque de s’affirmer tel qu’il est.

Mais cela prendra encore du temps avant que cela Ă©volue vĂ©ritablement en France quant Ă  la visibilitĂ© des Noirs dans le cinĂ©ma. Noire n’est pas mon mĂ©tier aurait pu s’appeler Noire n’est pas mon pays mais aussi Noire est mon mĂ©tier Ă  tisser. Pour que le changement soit incontestable, cela nĂ©cessitera d’avoir la persĂ©vĂ©rance et la patience – symbolique et concrĂšte- de plusieurs PĂ©nĂ©lope.

Pour l’actrice Marie-PhilomĂšne Nga, la solution passe aussi par des projets dont elle est l’initiatrice et qu’elle dirige en France et Ă  l’étranger :

« C’est ainsi que, vivant Ă  Paris dorĂ©navant, je me retrouve conceptrice, organisatrice de projets entre l’Afrique, la France et l’Inde ».

L’actrice Magaajyia Silberfeld et France Zobda sont aussi dans le mĂȘme Ă©tat d’esprit.

« (
.) Quelques jours aprĂšs, je suis repartie Ă  Los Angeles, Ă  l’occasion de la premiĂšre de mon court-mĂ©trage Vagabonds et pour ĂȘtre lĂ  au moment des Oscar. LĂ -bas, si on travaille, on peut y arriver. LĂ -bas, on rencontre quelqu’un qui vous fait rencontrer quelqu’un d’autre, etc. Tout est possible
On pourra me repĂ©rer, qui sait ! ». (l’actrice Magaajvia Silberfeld).

Grande aptitude Ă  la « rĂ©silience », « entourage de qualitĂ© supĂ©rieure » et autodĂ©rision font partie des « armes » de ces Mesdames. (voir la premiĂšre partie mon article L’école Robespierre concernant le titre de « Madame » et « Monsieur »).

Certaines personnes souhaiteraient que le cinĂ©ma français adopte des quotas comme aux Etats-Unis pour assurer une certaine reprĂ©sentation de la diversitĂ© dans le cinĂ©ma français. J’étais plutĂŽt contre. Je trouvais ce moyen « artificiel » et assez facile Ă  contourner : Je considĂ©rais qu’il suffirait de mettre un Arabe ou un Noir Ă  l’arriĂšre-plan ou dans un rĂŽle sans intĂ©rĂȘt pour considĂ©rer avoir rempli son quota. Je considĂ©rais que des quotas, seuls, seraient insuffisants pour inverser la tendance. Mais, finalement, si on fait une comparaison avec le code de la route, on s’aperçoit qu’il a bien fallu Ă©tablir des rĂšgles de conduite et verbaliser certaines infractions pour rĂ©guler certains comportements et faire diminuer certains risques d’accidents ainsi que la mortalitĂ© sur la route. Dans le milieu du cinĂ©ma et du thĂ©Ăątre, c’est un peu pareil. Cela peut d’abord paraĂźtre dĂ©placĂ© de parler de « mortalitĂ© » pour des comĂ©diens exclus ou Ă©cartĂ©s du fait de leur couleur de peau dans un milieu de toute façon trĂšs sĂ©lectif que l’on soit noir ou blanc. Mais un comĂ©dien privĂ© de rĂŽles est comme tout employĂ© privĂ© d’emploi rĂ©munĂ©rĂ© : Il est Ă©conomiquement condamnĂ©. L’éventualitĂ© de sa mortalitĂ© sociale et morale se fait alors plus concrĂšte. Il faudrait donc peut-ĂȘtre pĂ©naliser certains projets thĂ©Ăątraux et cinĂ©matographiques qui choisissent leurs comĂ©diens au faciĂšs ou rĂ©servent toujours les mĂȘmes rĂŽles dĂ©gradants aux mĂȘmes comĂ©diens comme on pĂ©nalise les excĂšs de vitesse ou l’abus d’alcool au volant. Pour cela, il faudrait d’abord une rĂ©elle volontĂ© politique, culturelle et sociale en vue de permettre une certaine Ă©quitĂ©. EquitĂ© qui serait toujours imparfaite car l’ĂȘtre humain est imparfait. Ensuite, il faudrait que cette volontĂ© politique puisse imposer ces codes ou ces lois Ă  des producteurs et Ă  des distributeurs. Ce qui serait dĂ©jĂ  beaucoup plus difficile : malgrĂ© les limitations de vitesse de plus en plus strictes, les constructeurs automobiles continuent de vendre des voitures trĂšs puissantes afin de les rendre attractives. Et ces voitures trouvent acquĂ©reurs. Ce sont les acquĂ©reurs qui Ă©copent des amendes, de la perte de points et du retrait de permis. Pas les constructeurs automobiles ni les concessionnaires automobiles. Les premiers continuent de “construire”. Et les seconds Ă  vendre.

Le changement viendra sans doute du public qui plĂ©biscitera de plus en plus un certain type de cinĂ©ma oĂč une certaine diversitĂ© sera montrĂ©e. Parce-que cela correspondra Ă  un besoin qu’il essaiera de satisfaire comme cela a Ă©tĂ© le cas pour le RAP qui, de musique marginale il y’a trente ans, est devenue aujourd’hui un genre musical que n’importe quel jeune, blanc ou noir, de classe sociale modeste ou bourgeoise, Ă©coute.

Pour cela, il faut des artistes chefs de file qui proposent des Ɠuvres qui vont remplir un vide que certains producteurs actuels, accrochĂ©s Ă  leurs rĂ©fĂ©rences et Ă  leur passĂ©, sont incapables de percevoir. AprĂšs tout, il est bien des chefs d’entreprise qui, alors qu’ils auraient pu ĂȘtre des pionniers, ont trĂšs mal anticipĂ© le dĂ©veloppement de l’Ă©conomie numĂ©rique par exemple. Ou de certaines innovations technologiques telles que le smartphone.

Tout Ă  l’heure, j’ai Ă©tĂ© un peu sarcastique envers Kad Merad en tant que Maitre de cĂ©rĂ©monie des CĂ©sars cette annĂ©e. Mais cette annĂ©e, Kad Merad est peut-ĂȘtre pour quelque chose dans le fait que l’artiste Eddy de Pretto soit venu interprĂ©ter un titre de Charles Aznavour :

J’me voyais dĂ©jĂ . MĂȘme si l’interprĂ©tation d’Eddy de Pretto ne m’a pas convaincu et que j’ai du mal pour l’instant Ă  ĂȘtre emballĂ© par sa prĂ©sence scĂ©nique, je vois dans sa participation aux derniers CĂ©sars le signe d’un changement. Il y’a dix ou quinze ans, un artiste comme Eddy De Pretto (Artiste hybride entre le chant et le RAP et homo affirmĂ©) n’aurait pas Ă©tĂ© conviĂ© Ă  la cĂ©rĂ©monie des CĂ©sars en France.

« Dans cette clartĂ© Ă©blouissante oĂč rĂšgnent nos absences, je regarde ma fille qui danse dans la cuisine » (l’actrice Rachel Kahn).

Ma fille, pour l’instant, se croit blanche. Comme beaucoup d’enfants, elle a entonnĂ© les paroles de La Reine Des Neiges : « DĂ©livrĂ©eĂ©Ă©Ă©Ă©Ă©Ă©Ă©Ă©Ă©Ă© ! Je ne serai plus jamais la mĂȘĂȘĂȘĂȘĂȘĂȘĂȘĂȘ-me ! ». Comme beaucoup d’autres enfants avant et aprĂšs elle, ma fille aime porter une robe de Blanche Neige. Dans son Ă©cole, les enfants viennent de partout. Juifs, musulmans, Arabes, Blancs, Noirs sont ensemble. MalgrĂ© quelques mĂšres en tenue musulmane traditionnelle. MalgrĂ©, dĂ©jĂ , cette course vers l’école privĂ©e. Ma fille, comme la plupart des enfants de son Ăąge, est encore loin de savoir le mĂ©tier qu’elle souhaitera faire plus tard. Ou elle n’en parle pas pour l’instant. Avec sa mĂšre, je parle de ce monde en noir et blanc et je veille Ă  ce que, Ă  la maison, elle entende toutes sortes de musiques. Et regarde d’autres dessins animĂ©s que ceux ou, invariablement, les protagonistes sont uniformĂ©ment blancs. En sa prĂ©sence, je discute avec des personnes de diffĂ©rentes origines et diffĂ©rentes cultures. Je ne vois pas pourquoi je devrais dĂ©ja lui farcir la tĂȘte avec l’esclavage et le racisme. Je ne peux pas prĂ©voir ses rencontres et ce qu’elles ( lui) donneront. De temps Ă  autre, je lui parle de la RĂ©union et de la Guadeloupe.

Je sais que l’on peut ĂȘtre noir et raciste. Je sais que le racisme est multiforme. Et qu’il s’exerce aussi contre d’autres sur d’autres critĂšres que la couleur de peau. Je sais que j’ai des prĂ©jugĂ©s. Mais, moi, je n’empĂȘche personne de devenir acteur parce qu’il est blanc. Et je n’ai jamais refusĂ© de jouer sur scĂšne ou dans un court-mĂ©trage avec une partenaire blanche ou un partenaire blanc. MĂȘme si cela pourrait ĂȘtre le thĂšme d’un sketch ou d’un court mĂ©trage humoristique.

Cependant, je devrai ĂȘtre prĂȘt le jour oĂč quelqu’un voudra dĂ©cider Ă  la place de ma fille de la personne qu’elle est parce qu’elle est noire.

Franck Unimon, ce vendredi 8 mars 2019.