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Cinéma

Le Chant du Loup

 

Le Chant du Loup un film d’Antonin Baudry

Sorti en salles ce 20 février 2019

 

Récemment, un candidat de la version française de l’émission télévisée The Voice a déclaré qu’il préférait rester lui-même plutôt que de chanter de façon contraire et voir les quatre jurés se retourner pour le choisir. Ce candidat était peut-être plus libre qu’Antonin Baudry lorsque celui-ci a réalisé Le Chant du Loup. Car dans Le Chant du Loup, on « apprend » par exemple qu’une femme amoureuse est nécessairement une infirmière dévouée à qui, à la vitesse d’un coup de foudre, on peut confier des secrets d’Etat. D’autant que, étant donné qu’elle est libraire, elle saura lire entre les lignes.

 

L’affiche du film était trop belle : Un sous-marin, un plongeur et François Civil, Omar Sy, Reda Kateb, Matthieu Kassovitz pour les têtes d’affiches. Soit le croisement d’acteurs éprouvés, estimés, que l’on aime regarder jouer.

Le film commence bien. Même si, assez vite, du côté de nos acteurs « connus », ça sonne à côté. Soit leur présence est insuffisamment raccord avec le climat du film. Soit on leur a déjà vu cette expression-là quelque part. Mais c’était sur Terre, dans un autre film ou dans une série télévisée. Le Chant du Loup avait pourtant de beaux atouts. Parmi eux, de la culture :

« Les vivants, les morts et ceux qui sont en mer ». Cette citation d’Aristote ouvre le film.

On y attrape quelques bouts de cette connaissance inhérente à chaque univers mystérieux et celui de la mer et de la marine nationale en sont :

« Un sous-marin bien conduit, ça fait moins de bruit que la mer ».

Chanteraide, surnommé « Chaussette », interprété par François Civil, nous épate bien-sûr par ses dons d’audition comme par son érudition acoustique qui font de lui un mutant qui pourrait postuler en vue de participer à la version française des X-Men.

Les cartes de la géopolitique ont été actualisées. Tout cela est vraisemblable. Mais le film reste entre deux. Il pourrait être raté. Il pourrait être réussi. « Nos » acteurs de premier plan font ici ce qu’ils ont déjà fait. Alors que le but de ce film est quand même de nous emmener dans d’autres ailleurs que ceux proposés généralement par les productions françaises :

Comédies ou « drames ».

Matthieu Kassovitz s’en sort le mieux. Même si son jeu peut ressembler à une extension de son personnage de Malotru dans Le Bureau des Légendes, il lui donne quelques nuances supplémentaires et restitue bien le peu d’humour écrit.

Le Chant du Loup accumule peu Ă  peu certains « dĂ©fauts » que l’on va d’autant plus lui reprocher que l’on a cru en lui : Vouloir faire ou donner l’impression de vouloir faire « comme » les productions amĂ©ricaines mais en moins bien. MĂŞme si, Ă  ce que j’ai lu, ces films ne seraient pas les rĂ©fĂ©rences principales du rĂ©alisateur, j’ai trouvĂ© Le Chant du Loup  “moins” bien que A La Poursuite d’Octobre Rouge rĂ©alisĂ© en 1990 par John Mc Tiernan et que le K-19 : Le Piège des profondeurs rĂ©alisĂ© en 2002 par Kathryn Bigelow.

La rĂ©fĂ©rence cinĂ©matographique principale  serait  Le Bateau ( Das Boot) rĂ©alisĂ© en 1981 par Wolfgang Petersen. Film dont j’avais entendu parler durant mes annĂ©es de collège mais que je n’ai toujours pas vu. Wolfgang Petersen a aussi, entre-autres, rĂ©alisé Dans la ligne de mire ( 1993) ainsi que Troie ( 2004) pour citer deux autres de ses films connus.

 

Le Chant du Loup est peut-être un film de jeunesse. Avec ce que l’on attribue de façon idéalisée à la jeunesse : Fougue, audace, créativité et force de travail. Il en fallait indiscutablement pour tenter ce genre de film, en France, et en l’écrivant avec ces quatre acteurs principaux aux caractères et aux carrières différentes et qui jouaient peut-être ensemble pour la première fois dans un long métrage.

Matthieu Kassovitz, a été en France l’un des réalisateurs-acteurs chouchous des années 90-2000 (La Haine réalisé par lui, Regarde les Hommes tomber réalisé par Jacques Audiard pour résumer grossièrement sa période 90-2000). Depuis, dans les média, il apparaît comme un personnage plutôt offensif ou contrarié en même temps qu’un réalisateur/producteur/ acteur qui continue de bétonner son CV. Pour le plaisir, je vais à nouveau citer la série Le Bureau des Légendes. En 2008, il a été l’un des producteurs- en même tant qu’acteur- pour le film Louise Michel réalisé par Gustave Kervern et Benoît Delépine. Mais il était très étonnant de le trouver par exemple dans Piégée (2012) de Steven Soderbergh. Comment fait-il ?

Reda Kateb a commencé à se faire connaître par les deux ou trois premières saisons de la série française Engrenages. Une série policière française très méconnue en France pour des raisons aussi très méconnues. Reda Kateb a déjà une belle carrière. Un Prophète de Jacques Audiard ; Qu’un seul Tienne et les autres suivront de Léa Fehner ; Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow ; Qui Vive de Marianne Tardieux ; Frères Ennemis de David Oelhoffen. Et bien d’autres films.

Ensuite, parler d’ Omar Sy, c’est parler de sa période Omar et Fred puis d’Intouchables, bien-sûr mais aussi de Nos Jours Heureux réalisé par les mêmes Toledano et Nakache ; X-Men : Days of Future Past réalisé par Bryan Singer ; Yao (2018) réalisé par Philippe Godeau. Et d’autres films.

François Civil qui a le rôle principal dans Le Chant du Loup est, comme dans le film, le « petit » jeune (François Civil est né en 1990). Celui dont la carrière militaire/cinématographique prend son essor. J’ai découvert l’acteur François Civil seulement avec la série Dix pour cent (à partir de 2015). Il joue très bien également, voire encore mieux, dans Made in France (2016) de Nicolas Boukhrief.

Souvent, l’acteur principal est l’alter ego du réalisateur. Antonin Baudry est un ancien diplomate français né en 1975, auteur (avec l’illustrateur Christophe Blain) sous le pseudonyme Abel Lanzac de la bande dessinée Le Quai d’Orsay. Antonin Baudry a participé à l’écriture du scénario de la version cinématographique de Le Quai d’Orsay, réalisée par Bertrand Tavernier en 2012.

Le Chant du Loup ( 2018) est le premier film d’Antonin Baudry en tant que réalisateur et scénariste exclusif. Souhaitons lui une autre suite dans le cinéma que ce qui arrive au personnage de Chaussette à la fin de Le Chant du Loup. Car son film, en réunissant ces quatre acteurs, ces quatre visages et entités, dans l’univers sonore et visuel encore assez clos du cinéma français, est peut-être la métaphore d’une France qu’il voudrait plus ouverte. Et sans doute l’amorce d’une filmographie réussie.

Franck Unimon, ce lundi 4 mars 2019.

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Echos Statiques

L’Ă©cole Robespierre 2ème partie

 

 

                                            L’école Robespierre 2ème partie

 

« Fé-Lix Potin, On y revient ! ».

 

A l’école Robespierre, je suis sorti des toilettes. Le grand Philippe C m’attendait. Surpris, je me suis arrêté. Il a tiré sur son élastique et me l’a envoyé dans l’oeil. Il est reparti hilare.

En temps ordinaire, je n’aurais pas cafté. Philippe C, avec Cyril T, son grand frère et Enzo B étaient des durs de la rue ou de la cité Creuse (on disait « Greuse »). Une petite cité HLM un peu à l’écart, faite de bâtiments de trois ou quatre étages, située entre le théâtre des Amandiers et la cité où j’habitais faite de tours de 18 étages.

Mais la douleur, la surprise et la peur m’ont fait pleurer. C’est Mr Lambert, je crois, qui, devant toute la cour, a engueulé Philippe C. Celui-ci s’est fait tout petit. Cela a été la première et dernière fois où il s’en est pris à moi.

Certains garçons avaient la réputation d’être de très bons bagarreurs. Amar B frimait parce qu’il avait des grands frères qui se battaient bien et pouvaient le défendre. « Mais, en vrai », il n’était pas fort. C’est ce qui a pu se raconter.

Jacky W, qui était un bon bagarreur, a fait pleurer Amar un jour. Lors de l’unique bagarre – nous étions plutôt copains- que j’ai eue avec Jacky W (pour une raison que j’ai oubliée) j’ai très vite donné un coup de sabot. Ce jour-là, je portais des sabots. Jacky W s’est arrêté. Il est parti s’asseoir quelques minutes à quelques mètres. J’ai attendu, debout et prêt, les poings serrés, pieds nus dans mes sabots noirs. Jacky s’est relevé puis a fait la paix avec moi. J’ai accepté. Je suis reparti de mon côté. Je n’étais pas un bagarreur. Je n’avais rien à me prouver de ce côté-là.

William P avait combattu de façon héroïque face à Cyril T devant la cour de l’école. Cyril T l’avait provoqué. Peut-être parce qu’arrivé en CE2 ou en CM1, William P était nouveau dans l’école. Et, devant ses copains Philippe C, Enzo B, et son grand-frère, Cyril T a dû aller jusqu’au bout.

William P s’est très bien dĂ©fendu. On m’a racontĂ©. C’est peut-ĂŞtre William P lui-mĂŞme qui me l’a racontĂ© car on s’entendait bien. Après la bagarre, William a portĂ© un bandage Ă  la main  mais il a Ă©tĂ© respectĂ© et admirĂ©. Cyril T l’a peut-ĂŞtre menacĂ© mais c’était surtout pour ne pas perdre la face.

Dans l’autre école primaire de Robespierre, j’ai entendu parler d’un garçon d’origine vietnamienne, Teduc de V…. D’après la description, dès qu’il s’énervait lors d’une bagarre, il était terrifiant. Je ne l’ai jamais rencontré.

Lorsque j’Ă©tais en CM2, j’ai Ă©tĂ© atterrĂ© d’entendre des petites et des petits prononcer dès le CP des gros mots tels que « Ta mère la pute ! ».

Après être entré en 6ème, au collège Evariste Gallois, un tout petit peu en dehors de ma cité, je suis revenu deux ou trois fois dire bonjour à Mr Pambrun. Il m’a à chaque fois écouté durant quelques minutes. Lorsque je lui ai dit que, moi, au collège, je ne faisais pas de bêtises, il a répété mes propos en me souriant. Il a peu insisté. Mais j’ai compris qu’il n’en croyait pas un mot.

Comme d’autres copains, avec Jean-Marc T, en particulier, un Antillais d’origine martiniquaise né en France comme moi, rencontré en 6ème, j’ai commencé à voler dans le supermarché Félix Potin. Anciennement Sodim. Je volais n’importe quoi. J’en remplissais mes poches et n’en faisais rien. C’était d’autant plus idiot que le supermarché Félix Potin, le supermarché le plus proche de ma cité, était le supermarché où mes parents m’envoyaient faire des courses. Autrement, il y’avait le supermarché Suma situé du côté du collège Evariste Gallois. En face de Félix Potin, de l’autre côté de la route, peut-être avant la construction du grand parc de Nanterre, il y’avait un terrain vague. C’est là que Gilles S, qui habitait aux Canibouts, près des Pâquerettes et de l’hôpital de Nanterre où travaillait ma mère, a tenu à faire un concours avec Jean-Marc et moi. Pour savoir qui de nous trois avait la plus grande ou la plus grosse bite. Gilles S avait beaucoup de bagout. Il s’est soudainement retourné vers nous en pressant son zizi dans sa main pour nous montrer. J’ai refusé de participer. Je savais que les gros en avaient une petite.

Sur ce terrain vague, aussi, avec Jean-Marc, j’ai commencé à crapoter. J’ai vite arrêté. Aucun plaisir. En plus, cela prenait beaucoup de temps pour terminer une cigarette. Lorsque Francine B, rencontrée au collège, m’a dit plus tard que cela la calmait de fumer des cigarettes, cela m’a paru très abstrait.

C’est sur la route entre ce terrain vague (ou le parc de Nanterre) et FĂ©lix Potin, qu’un jour, des gardiens du parc ont poursuivi des jeunes de la rue Creuse qui avaient traversĂ© le parc en mobylette. C’était interdit. Nous les avions regardĂ©s faire. Les deux jeunes, dont le grand frère de Cyril T je crois, dĂ©boulaient tĂŞte nue sur leur mobylette chaudron au moteur dĂ©bridĂ©. Ils Ă©taient suivis environ cinquante mètres ou cent mètres plus loin par les deux gardiens du parc assis sur leur deux roues de fonction, vĂŞtus comme des gendarmes avec leur kĂ©pi sur la tĂŞte. Au compteur, il devait bien y avoir trente Ă  quarante kilomètres heures d’Ă©cart entre les vĂ©lomoteurs rĂ©glementaires et de petite cylindrĂ©e des gardiens. Et ceux du grand frère de Cyril T et de son copain.

Nous étions plusieurs jeunes (uniquement des garçons sans doute) à regarder ça un peu comme s’il s’agissait du Tour de France. Nous encouragions évidemment les deux jeunes. Vu que les deux gardiens avaient le sens du devoir, cela a duré un moment. Sans suspense.

 

Non loin de là et à l’entrée du parc, la chapelle St Joseph où je suis allé au catéchisme. Lors des débats, le père André me donnait souvent l’impression que j’étais vraiment intelligent. Lorsque le groupe Police a commencé à être connu, avec d’autres jeunes, j’ai écouté et réécouté le titre Do Do Do Da Da Da. Au catéchisme, j’ai retrouvé un camarade de collège avec lequel j’ai davantage sympathisé- presque fraternisé la religion aidant- Roberto C, d’origine italienne.

 

Au collège Evariste Gallois, la dernière fois que j’ai vu Enzo B, il était entouré de policiers. Nous étions assez nombreux dans la cour du collège à assister à son arrestation. Le petit Enzo B (Enzo était de petite taille) avec lequel mes quelques échanges étaient sympathiques tout comme avec Cyril T et son grand frère, se tenait fièrement. Enzo est monté dans le camion de police. Je crois ne l’avoir jamais revu. Pas plus que je n’ai revu le grand Philippe C, Cyril T et son grand frère. Ou alors, je les ai revus et ne les ai pas reconnus.

 

Je ne sais comment. Un jour, j’ai su qu’il était possible de renifler la colle qui sert à poser des rustines lorsque l’on répare les chambres à air de nos vélos. Je ne l’ai pas fait. Je ne voyais pas ce que cela pouvait m’apporter.

Gilles P, un voisin de notre tour qui habitait avec ses parents quelques étages en dessous de notre appartement, mon aîné d’un ou deux ans, serait mort d’une overdose à l’héroïne. Je le croisais quelques fois en bas de notre tour, en attendant l’ascenseur, ou au collège. Son père était policier, je crois. Une des dernières images que j’ai de Gilles P, c’est lui, portant un maillot de foot vert et se battant avec une fille dans la cour du collège. Il avait dû la provoquer. Elle se battait très bien. Sa jambe allait haut. Gilles avait beau jouer la décontraction en reculant tel un boxeur pour éviter les coups, il n’avait pas gagné et avait plutôt été intimidé.

Une autre image me montre Gilles P un peu plus tard et portant un blouson de cuir noir, un Jean foncé près du corps et des baskets Adidas à trois bandes. Les groupes AC/DC et Trust étaient devenus des références musicales pour certains jeunes. Gilles P et moi nous sommes plus croisés que parlés. Deux ans d’écart, lorsque l’on est jeune, c’est beaucoup.

En 4ème, Patrice L m’a proposé un jour d’aller coucher avec une fille. Patrice a ajouté :

« Par contre, ramène l’eau de javel parce-qu’elle se lave pas… ». J’ai refusé.

Une autre fois, j’ai croisé Patrice alors qu’il s’amusait avec ses copains. Il m’a proposé de faire de la mobylette avec eux. J’ai refusé poliment et ai commencé à m’éloigner. Peu après, un camion de police est venu les embarquer.

En 3ème, Mme Epstein, notre prof de Français et professeur principal, petite femme au fort caractère et grande fumeuse, étonnée, nous demandait régulièrement :

« Pourquoi vous écrivez toujours des histoires qui se passent aux Etats-Unis ? Racontez des histoires d’endroits que vous connaissez… ». J’ai quelques fois essayé de réfléchir pendant quelques secondes. Je n’y arrivais pas.

 

J’ai aimĂ© ma citĂ©. Les reprĂ©sentants entraient comme ils voulaient dans notre tour. Lorsqu’ils s’arrĂŞtaient devant la porte d’un appartement, ils faisaient vriller les tympans avec la sonnette. Puis, sans attendre la moindre rĂ©action, ils passaient Ă  une autre porte d’appartement et ainsi de suite dans les Ă©tages. 18 Ă©tages.

Sur notre palier, parmi nos voisins, figuraient les M. Ils claquaient la porte lorsqu’ils entraient. Ils la claquaient lorsqu’ils partaient. Je suis allé plusieurs fois chez eux. Christophe M, le fils, et moi étions assez copains. Il avait une voix assez aigüe à l’époque. Corinne, sa grande sœur aînée, avait beaucoup aimé le tube de Patrick Juvet : « Où sont les femmes ? ». A notre étage, on l’avait entendu et réentendu, plus qu’à la radio, ce tube.

Lorsque des gens se disputaient chez eux, on entendait tout. Pareil lorsque quelqu’un se décidait à attaquer un des murs de son appartement à la chignole. Quand un jeune décidait de roder sa mobylette, on était avec lui alors qu’il passait et repassait dans la cité, augmentant petit à petit la vitesse de son engin.

Le terrain de foot en cailloux situé entre ma tour, la tour 13 et la tour 14 avait ses périodes de grande fréquentation. J’y ai connu certains de mes petits matches de foot.

La création du centre commercial Les Quatre Temps à la Défense nous a apporté un renouvellement de notre environnement. Auchan et le Mac Donald.

Avec Jean-Marc, principalement, les premières fois, je suis aussi allé voler dans quelques magasins des Quatre Temps. Même si je m’étais déjà fait prendre une fois. A Suma. L’attrait était trop fort.

CollĂ©gien, je suis bien plus de fois entrĂ© dans le centre commercial les Quatre Temps qu’au théâtre des Amandiers devant lequel, pourtant, j’Ă©tais dĂ©ja passĂ© quantitĂ© de fois depuis l’enfance. Le théâtre des Amandiers fait pratiquement face Ă  la piscine Maurice Thorez. Le théâtre des Amandiers Ă©tait un endroit qui ne me parlait pas. Les personnes qui faisaient la queue, jusque dans la rue, pour y entrer, nous empĂŞchaient parfois de passer. Ces personnes ne nous parlaient pas, ne nous ressemblaient pas, Ă  mes copains et moi.

Mme Epstein, notre prof de Français de 3ème, nous a emmené voir Combat de Nègres et de chiens au théâtre des Amandiers. Ensuite, elle en a débattu avec nous. Malheureusement, contrairement à l’expérience de la bibliothèque en CE2 avec Mr Pambrun, cette fois-ci, je n’ai pas eu envie d’y retourner. Pourtant, le théâtre des Amandiers était bien plus proche de notre tour que la bibliothèque et le centre commercial des Quatre Temps. J’ignorais ce que le théâtre pouvait m’apprendre et me donner mais aussi ce que j’aurais pu, tout autant, lui donner. Il est vrai, aussi, que l’accès au théâtre était payant. On ne paie jamais pour entrer dans un centre commercial.

Au collège, ce qui me parlait, c’était la télé, le Foot, l’Athlétisme, Bruce Lee, Mohamed Ali, le Tennis, le Cyclisme, les acteurs américains, la musique noire américaine, les Etats-Unis résumés à New-York, le Reggae, la lecture.

Au collège, ce qui me parlait c’était la ceinture de mon père, son soutien scolaire, le crĂ©ole, la Guadeloupe, la musique antillaise, la mĂ©moire de l’esclavage, avoir des bonnes notes Ă  l’école. Ma mère. Ma petite sĹ“ur et mon petit frère. Mon cousin Christophe qui habitait aux Pâquerettes près de l’hĂ´pital de Nanterre. Et les copains.

Parmi ces quelques jeunes cités, et certains de leurs proches, femmes et hommes, il doit malheureusement s’en trouver plusieurs à qui la haine a su parler.

Franck Unimon, ce samedi 2 mars 2019. Fin de la 2ème partie de l’école Robespierre.

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Cinéma

Jusqu’Ă  la garde

 

Jusqu’à la Garde un film de Xavier Legrand

 

 

« J’ai changé… ». Antoine vient de boire un grand verre d’eau. Il se met à pleurer face à « sa » femme, Miriam, devant leur fils Julien (l’acteur Thomas Gioria) âgé de 11 ans.

Oui, il a changé.

Avant de boire ce grand verre d’eau dans la cuisine et de donner cette étrange « confession », de sa masse imposante, il est venu prendre possession. Des lieux. D’une intimité. Il n’est pas chez lui. Il est chez son ex-femme, Miriam.

Quelques annĂ©es plus tĂ´t, lointain horizon, lui, ce responsable sĂ©curitĂ© (interprĂ©tĂ© par l’acteur Denis MĂ©nochet) d’un centre commercial, Ă©tait peut-ĂŞtre un homme et un port aimants et rassurants pour la frĂŞle Miriam (l’actrice LĂ©a Drucker) et leurs deux enfants. Au cĹ“ur d’un couple et d’une famille, la sĂ©curitĂ©, toutes les sĂ©curitĂ©s, sont ce que l’on peut attendre de l’autre. A la fin du film Mystic River – rĂ©alisĂ© par Clint Eatswood- alors qu’il doute, un père (interprĂ©tĂ© par Sean Penn) est rĂ©armĂ© moralement par sa propre femme et mère de leur fille disparue. Oui, lui et ses hommes ont tuĂ©, Ă  tort, un de ses anciens amis d’enfance (victime lui-mĂŞme d’un viol dans son enfance) qu’il a cru  responsable du viol et du meurtre de leur fille. Mais il a fait ce qui est attendu d’un homme qui protège sa famille (sa tribu) lui assure sa femme ! Et, devant le perron de leur maison, ce père interprĂ©tĂ© par Sean Penn, et sa femme, se montrent pleins d’assurance alors qu’ils assistent Ă  un dĂ©filĂ© et que l’on voit un moment passer, abattu moralement, le fils de l’ami d’enfance rendu responsable – Ă  tort- d’un crime qu’il avait lui-mĂŞme subi plus jeune car personne ne l’avait dĂ©fendu.

Dans Jusqu’à la garde, Antoine, semblable à un ogre, est devenu une menace pour son couple et sa famille dont il était supposé, originellement, assurer la protection.

Oui, il a changé.

Ou Miriam a peut-être toujours rêvé l’homme qu’il était comme on peut parfois rêver celle ou celui que l’on aime.

Lors de la comparution devant le juge, l’ogre ou « L’Autre », comme Miriam et leurs enfants le nomment en son absence, se comporte en homme qui sait se tenir. Son avocate met en doute la cohérence comme l’honnêteté morales de Miriam :

« On part en week-end » ; « Comme le prétend Madame… ». L’avocate d’Antoine se retient presque d’exprimer des réserves quant aux capacités de Miriam en matière d’éducation et de soins pour ses deux enfants. Les parents d’Antoine, ses collègues ainsi que ses amis chasseurs témoignent en faveur de son exemplarité.

De son côté, après avoir écouté le témoignage de leur fils Julien, lu par la juge, Antoine déclare calmement :

« J’aimerais bien comprendre. Je ne sais pas ce qu’on lui met dans la tête ». « On », c’est bien-sûr Miriam, assise juste à côté de lui. Devant les témoignages contradictoires, qui se doivent de rester calmes et intelligibles malgré l’extrême tension émotionnelle, la juge (la comédienne Saadia Bentaïeb, très bien) a du mal à trancher.

Jusqu’à la garde (2018) est la suite du court-mĂ©trage (30 mn) Avant que de tout perdre ( 2013) que Xavier Legrand avait rĂ©alisĂ© sur le mĂŞme thème et avec les mĂŞmes comĂ©diens principaux. En 2013, j’avais dĂ©couvert Avant que de tout perdre alors que j’étais encore rĂ©dacteur pour le site Format Court et que j’y co-animais les soirĂ©es dĂ©bats mensuelles. Une fois par mois, en plus d’autres Ă©vĂ©nements, le site Format Court continue de proposer des soirĂ©es dĂ©bat au cinĂ©ma des Ursulines Ă  quelques minutes du jardin du Luxembourg.

Xavier Legrand était venu participer au débat. Avant que de tout perdre nous avait « bien » plu :

Devant des sujets particulièrement sensibles, ici celui des violences conjugales, lorsqu’un film est bien ou très bien réalisé, écrit et interprété, il me semble toujours un peu déplacé de dire ou d’écrire qu’il m’a « bien » ou « beaucoup » plu. Car c’est rarement pour notre confort personnel que l’on participe à un projet pareil. Et, c’est également rarement pour notre plaisir personnel que l’on se décide à voir un film comme celui-ci.

Lors de la dernière remise des César (ce vendredi 24 février 2019 : il y’a une semaine) Jusqu’à la garde a récolté plusieurs prix dont celui du meilleur film de l’année et de la meilleure actrice pour Léa Drucker. Je suis allé le voir hier. Pour ses deux films, Xavier Legrand s’est documenté. Il a aussi rencontré un certain nombre de personnes et d’organisations à même de l’aiguiller. Dans le générique de fin de Jusqu’à la garde, il remercie par exemple la FNCAV :

Fédération Nationale Des Associations et des Centres de Prise en Charge d’Auteurs de Violences Conjugales et Familiales.

Jusqu’à la garde est un film très ambitieux. Il y’a beaucoup à dire sur les violences conjugales et Xavier Legrand réussit très bien à concilier œuvre de fiction et œuvre pédagogique. Pour cela, il est aussi réussi que le Holy Lola (réalisé en 2003…comme Mystic River !) de Bertrand Tavernier, consacré, lui, à l’adoption.

Un film comme Ne Dis Rien réalisé en 2004 par Iciar Bollain sur le thème des violences conjugales m’était aussi resté. Mais la violence brute dérobée par moments à Antoine/ Denis Ménochet me rappelle aussi celle excavée par un Chris Penn ( feu le frère de Sean Penn) dans Nos Funérailles ( 1996) d’Abel Ferrara ou également dans le Short Cuts réalisé par Robert Altman en 1994. « Adoption », « funérailles », il y’a au moins de ça dans les violences conjugales. Une adoption et des funérailles ratés. On peut y ajouter, malheureusement, le viol.

Il n’y’a pas de scène de viol physique dans Jusqu’à la garde. Mais la prestation de Denis Ménochet me rappelle celle d’un Jo Prestia dans le Irréversible (2002) de Gaspar Noé où, là, il est bien question d’un viol physique (psychologique et moral) filmé de manière réaliste (ou crue selon les sensibilités). J’avais appris plus tard qu’après avoir interprété ce rôle de violeur, le comédien Jo Prestia avait dû suivre une thérapie. Lors de la cérémonie des Césars de vendredi dernier, je me suis demandé si Denis Ménochet , qui porte ce rôle d’homme et de père violent allait avoir, lui aussi, besoin de ce soutien psychothérapeutique à un moment ou à un autre. Car jouer ce genre de personnage nous enfouit dans des émotions dont il peut être difficile de se dépêtrer :

Je me rappelle de l’acteur Jean-Michel Martial nous expliquant au cours d’un débat , que pendant un temps, il avait « dégagé un truc » après avoir joué son rôle de militaire tortionnaire sous la dictature de Duvalier à Haïti dans le film L’Homme sur les quais (1992) de Raoul Peck.

“Tortionnaire”, “dictature”, ” Ne dis rien“,  Mystic River, Short Cuts,  après les “adoption”, ” funĂ©railles” ratĂ©s, IrrĂ©versible et le viol : mes rĂ©miniscences cinĂ©matographiques, après voir vu Jusqu’Ă  la garde parlent pour moi et bien mieux que moi, en quelques mots, de ce que j’ai “vu” hier.

A l’image de ce que peuvent ressentir bien des victimes (de violences conjugales mais aussi d’autres violences), Jusqu’à la garde nous enferme. Il pourrait donner à certaines personnes un certain sentiment de claustrophobie. Néanmoins, même si Miriam et ses enfants s’installent peu à peu dans un état d’alerte quasi animal, Xavier Legrand préserve néanmoins des sas et des échappatoires :

Miriam et ses enfants sont entourés de proches recommandables et aussi capables de tenir tête à « L’Autre ». Appuis dont un certain nombre de victimes sont privées (victimes de violences conjugales, de violences sectaires, de violences dans les églises ou de violences liées à la prostitution ou à la toxicomanie par exemple…).

D’un point de vue clinique, ma seule petite réserve concerne le physique de Denis Ménochet : sa stature imposante peut laisser croire qu’un violent ou une violente conjugal(e ) est obligatoirement une personne au physique de vigile et au regard de faucille ( de « pervers », diront d’autres). Les auteurs de violence conjugale ont à mon avis des physiques très variés.

Jusqu’à la garde est un film qui informe que mieux peut être ou doit être fait en faveur des victimes. C’est aussi un film qui peut rappeler à celles et ceux qui détiennent un pouvoir ou un ascendant sur d’autres (hiérarchique, financier, affectif, éducatif,….) que dès lors que l’on a ce pouvoir, nos échanges avec les autres peuvent être assez facilement biaisés. Il importe donc, aussi, de savoir se mettre à la hauteur des autres ainsi qu’à leur réelle écoute si l’on aspire véritablement à avoir avec eux des relations où « tout se passe bien ».

Répéter des « Mon cœur » ou des ribambelles de phrases toutes faites tressées de mots-clés lorsque l’on dispose d’un pouvoir et que l’on s’adresse à l’autre ne suffit pas.

Nominé pour le César du meilleur acteur, Denis Ménochet n’a pas eu le prix. Si j’ai été content qu’Alex Lutz l’obtienne pour son rôle dans le film qu’il a coréalisé et co-écrit (Guy), je déplore qu’au cinéma, les rôles de « méchant » soient si connotés moralement qu’ils privent généralement leur interprète d’une quelconque distinction. Par exemple, pour moi, dans le film Django Unchained (2012) de Quentin Tarantino, Samuel Jackson et Léonardo DiCaprio, dans leurs rôles respectifs, auraient pu ou dû avoir un Oscar d’autant plus qu’ils meurent dans le film. Je reverrais ce film avec plaisir juste pour eux. Jamie Foxx qui joue pourtant le rôle du héros, soit Django, et qui a pu me plaire dans d’autres films est dans Django Unchained complètement secondaire à mes yeux. Pareil lorsque l’Oscar du meilleur acteur avait été donné à Tommy Lee Jones pour son rôle dans Trois Enterrements (2005). Sans l’acteur Barry Pepper (que tout le monde a désormais oublié alors que la carrière de Tommy Lee Jones était déjà bien établie), qu’aurait donné le jeu de Tommy Lee Jones ?

Mais au cinéma, on préfère récompenser les « gentilles » ou les « bons » personnages. Pour son rôle dans Jusqu’à la garde, Léa Drucker a donc été récompensée. J’aime le jeu de Léa Drucker. Désormais, ma référence la concernant est plutôt son rôle dans la très bonne série Le Bureau des Légendes. J’ai été touché par son discours et son attitude à la cérémonie des Césars. Mais comme elle l’a dit elle-même, en remerciant Denis Ménochet, elle a d’autant mieux joué son rôle de Miriam parce-que Denis Ménochet le lui a permis en se plongeant dans son personnage d’homme à la violence irradiante. Il faut d’autant plus une grande confiance mutuelle, une forte connivence et affection – en plus d’une certaine force morale- entre comédiens et une équipe de tournage pour arriver à un tel résultat. Impossible de réaliser ça en restant chacun seul dans son coin.

Une pensĂ©e pour la chanteuse dĂ©cĂ©dĂ©e Edith Lefel (1963-2003) qui, dans son titre Somnifère, abordait le sujet des violences faites aux femmes. Nous faire zouker sur une chanson qui parle- en crĂ©ole- de violences faites aux femmes, il faut le faire. J’ai du mal Ă  imaginer Johnny nous faire le mĂŞme effet avec le mĂŞme titre.

Franck Unimon, ce vendredi 1er mars 2019.