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Cinéma

Je vois rouge

 

Je vois rouge un film de Bojina Panayotova (en salles ce 24 avril 2019)

« Elle fait partie de cette génération qui a décidé de fouiner » (le pÚre de la réalisatrice Bojina Panayotova à la mÚre de celle-ci) ; « je suis devenue un petit soldat à la caméra » (la réalisatrice Bojina Panayotova dans son film Je vois rouge).

En vieillissant, nous nous en remettons de plus en plus Ă  notre expĂ©rience. AprĂšs tout, si nous avons survĂ©cu, c’est bien la preuve, malgrĂ© nos erreurs et nos Ă©checs, que nous avons su comment interprĂ©ter le monde qui nous entoure. Et c’est ainsi que nous pouvons devenir malgrĂ© nous les standardistes et les VRP de certaines croyances et connaissances que nous prenons pour acquises :

La mĂ©moire des poissons rouges tiendrait Ă  peine sept secondes. Les « Millenials » – dont fait assurĂ©ment partie la rĂ©alisatrice Bojina Panayotova nĂ©e en 1982 en Bulgarie- seraient « sili-clonĂ©s » aux rĂ©seaux sociaux comme Ă  toute forme de vie ombilico-tabaco-cacao-numĂ©rique sur Terre. Ils seraient incapables de rester concentrĂ©s plus de huit secondes sur la mĂȘme action. Il faudrait donc leur Ă©crire des articles calibrĂ©s pour des lectures de moins de huit secondes. Ils seraient dĂ©connectĂ©s de la geste citoyenne. Leur conscience moyenne serait enfermĂ©e dans une bouteille de soda – ou dans une paire de baskets- et attendrait d’en ĂȘtre dĂ©livrĂ©e.

Les « Millenials » et les plus jeunes seraient de grands dĂ©serteurs de l’Histoire.

A ces « croyances », s’oppose le film de Bojina Panayotova. La rĂ©alisatrice avait 7 ans- supposĂ© ĂȘtre « l’ñge de raison »- lors de la chute du mur de Berlin en 1989. L’Histoire officielle de la chute du mur de Berlin et ses effets sur les pays de l’Est – dont la Bulgarie- ricochent sur son histoire personnelle. En dĂ©cidant, en 2018, de revenir en Bulgarie sur cette pĂ©riode d’avant la chute du mur de Berlin – et d’avant la sĂ©paration de ses parents- Bojina Panayotova, actrice principale de son « film-skype » propose un certain choc cinĂ©matographique et culturel.

 

Rien de rĂ©volutionnaire d’un point de vue graphique pourtant. Inutile de chercher le nouveau Blade Runner de Ridley Scott (rĂ©alisĂ© en 1982, annĂ©e de naissance de Bojina Panayotova) , Avalon de Mamoru Oshii ( 2001) ou le Sin City : J’ai tuĂ© pour elle de Frank Miller et Robert Rodriguez ( 2014) dans Je vois rouge. L’actrice-rĂ©alisatrice est tout simplement d’abord porteuse au moins d’une double culture : bulgare et française. Premier atout, premier choc entre la culture bulgare et française, et premier rĂ©servoir de crĂ©ation.

Si Je vois rouge aurait probablement pu surmonter et s’inspirer du handicap de la langue, le fait de suffisamment possĂ©der la langue bulgare permet Ă  Bojina Panayotova certaines audaces et certaines rencontres payantes. Telles que ses discussions avec le moniteur d’auto-Ă©cole.

 

Et l’on devine aussi Ă  travers son film celle qui a bĂ©nĂ©ficiĂ©- tant mieux pour ses ailes- d’un environnement familial et culturel assez privilĂ©giĂ© et qui a su voler vers des Ă©tudes plutĂŽt brillantes. Soit des atouts vraisemblables pour faire chargement de confiance avant de se lancer dans certaines ascensions. Son film est une de ces ascensions. Ensuite, son rapport dĂ©complexĂ© Ă  l’image, sa maitrise technique de la mise en scĂšne de sa vie quotidienne, jusqu’à un certain exhibitionnisme, spĂ©cifique Ă  la « norme » skype/selfie d’aujourd’hui, tranche trĂšs vite Ă  la fois avec la culture du secret communiste dans laquelle ont vĂ©cu ses parents en Bulgarie mais aussi avec leurs valeurs. Soit, selon la chronologie que l’on choisira, le second ou le premier atout et choc de son film. Entre la culture communiste de « l’Europe de l’Est » de son pays natal et d’origine a priori derniĂšre grande « vaincue » de l’Histoire, et la culture capitaliste de « l’Europe de l’Ouest » de son pays de jeune adolescente et de femme. Monde dont la dĂ©faite est aussi de plus en plus annoncĂ©e mais dont les Ă©boulis restent Ă  ce jour dans les angles morts de nos espaces et souvenirs quotidiens, ce qui nous permet de continuer d’exceller dans notre rĂŽle de grands bĂ©douins du dĂ©ni.

Si le film de Bojina Panayotova met bien en relief certains faux-semblants dans lesquels ses parents et sa famille- autres bĂ©douins du dĂ©ni- s’étaient fondus parfois Ă  leur insu, il accueille aussi l’ambiguĂŻtĂ© et les limites morales de sa dĂ©marche alors qu’elle persĂ©vĂšre dans ses recherches sur cette Ă©poque d’avant la chute du mur de Berlin et d’avant l’exil de ses parents pour la France :

« Ma vĂ©ritĂ© ne t’appartient pas » ; « Tu sur-joues pour le film. T’as pas honte ?! » lui dira un moment sa mĂšre. NĂ©anmoins, dans les annĂ©es 80, un tel film nous aurait peut-ĂȘtre plus facilement convaincu (c’était dĂ©ja notre mode de pensĂ©e) que la rĂ©elle libertĂ© et le plein respect des droits de l’enfant, de la femme et de l’homme, se trouvent exclusivement- et en permanence- en occident oĂč la rĂ©alisatrice continue principalement de mener sa vie avec son compagnon et futur pĂšre de leur premier enfant. Mais en 2019, Je vois rouge nous chuchote que le Monde froid et effrayant oĂč s’étendait le mur de Berlin Ă©tait aussi le Monde d’une certaine naĂŻvetĂ© et ignorance feintes ou dĂ©libĂ©rĂ©es.

 

Alors qu’aujourd’hui, si la quĂȘte de la rĂ©alisatrice d’un peu de vĂ©ritĂ© comme d’un peu de sincĂ©ritĂ© des relations s’accompagnent de dĂ©sillusions et d’assez grandes blessures pour ses proches, nous savons aujourd’hui en occident que de plus en plus de vĂ©ritĂ©s et de libertĂ©s continuent de nous Ă©chapper. Et nous sommes peut-ĂȘtre autant voire plus dĂ©primĂ©s et pessimistes aujourd’hui que certains citoyens des pays de l’est Ă  l’époque du mur de Berlin.

 

Depuis la place rouge de notre nombril de spectateurs, on pourra pourtant durement- et trĂšs gratuitement- juger les parents et la famille de Bojina Panayotova et les voir comme des stakhanovistes persistants de l’endoctrinement soviĂ©tique. Et du « passĂ© ». Cela nous donnera peut-ĂȘtre l’occasion d’oublier provisoirement notre proximitĂ© avec la frontiĂšre de certaines de nos – petites et grandes- dĂ©faites personnelles et mutuelles. Mais il faudra tout autant, aussi, savoir saluer la trĂšs grande patience, le courage aussi, et la gĂ©nĂ©reuse indulgence de l’entourage de Bojina Panayotova. Car celle-ci, leur fille, niĂšce et petit fille-rĂ©alisatrice est, aussi, quelques fois, l’inquisitrice qui leur impose aussi une espĂšce de thĂ©rapie familiale et systĂ©mique – ou une sorte de tord-boyaux- assez sauvage. Soit une expĂ©rience inversement aussi brutale que la douceur et la juvĂ©nilitĂ© des traits de son visage : Bojina Panayotova fait en effet bien plus jeune que son Ăąge. Assez proche de la quarantaine au moment de ce tournage, elle en paraĂźt Ă  peine trente. Cette remarque sur son Ăąge a peut-ĂȘtre une importance : pour Bojina Panayotova, ce film est aussi celui d’une certaine maturation en tant que femme et personne. AprĂšs ĂȘtre passĂ©e de l’est Ă  l’ouest durant son enfance, elle songe sans doute dĂ©jĂ - dĂšs le dĂ©but du tournage de son film- Ă  passer Ă  l’état de mĂšre et Ă  assurer son avenir ainsi que celui de sa descendance. Je vois rouge bĂ©nĂ©ficie donc in fine d’une certaine dose de nuance dans son propos. Et son personnage « fĂ©minin » est aussi plus optimiste que le personnage de fiction de l’hĂ©roĂŻne Ioanna du « film » Peu m’importe si l’histoire nous considĂšre comme des barbares rĂ©alisĂ© par le Roumain Radu Jude (sorti en salles ce 20 fĂ©vrier 2019, critique disponible sur ce blog).

 

On pourra aussi trouver dans Je vois rouge et dans l’allure de Bojina Panayotova quelques lointaines correspondances avec certaines comĂ©dies de Julie Delpy mais aussi avec la roublardise d’un MichaĂ«l Moore.

Franck Unimon, ce vendredi 19 avril 2019.

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Echos Statiques

Trou Noir

                                                              Trou Noir

Ce matin, dans un journal « gratuit », cet article marquant signĂ© Fabrice Pouliquen et intitulĂ© Le trou noir au grand jour : « Astronomie. Des chercheurs ont rĂ©vĂ©lĂ© la vĂ©ritable image de cet objet cĂ©leste ». Dans un encart de ce mĂȘme article, un certain Alain Rizuel nous explique qu’un trou noir est « une rĂ©gion de l’espace dont le champ gravitationnel est tel que vous ne pouvez pas y Ă©chapper ». Alain Rizuel nous explique :

« Par exemple, pour quitter la Terre afin d’aller sur la Lune, il faut atteindre une vitesse de 11,2 km par seconde. A la surface d’un trou noir, la vitesse qu’il faudrait atteindre pour lui Ă©chapper serait supĂ©rieure Ă  300 000 km par seconde, soit la vitesse de la lumiĂšre. Or, si mĂȘme la lumiĂšre ne peut s’échapper, rien d’autre ne peut le faire ».

Dans cet article, on nous explique aussi qu’il a fallu « synchroniser parfaitement huit radiotĂ©lescopes rĂ©partis autour du globe de maniĂšre Ă  en faire un tĂ©lescope virtuel ». Et, c’est ainsi que l’on a pu obtenir une image, « Pour la premiĂšre fois de l’histoire de l’astronomie » du trou noir « nichĂ© au cƓur de la galaxie M87, situĂ©e Ă  environ 50 millions d’annĂ©es-lumiĂšres de la Terre ». GrĂące « au projet international Event Horizon Telescope (EHT) ».

Cet article comme tous les articles vulgarisĂ©s ayant trait Ă  l’Astronomie ou aux origines de l’Homme est bien-sĂ»r fascinant. Comme il est fascinant d’entendre parler « de restes d’étoiles dĂ©chiquetĂ©es ». Toutes ces recherches et toutes ces dĂ©couvertes nous font rĂȘver, rĂ©flĂ©chir et voyager. MĂȘme si on peut- aussi- se demander, avec une goutte d’inquiĂ©tude, si le trou noir est le parking qui nous attend : il est certes trĂšs « beau » Ă  voir mais autant qu’il reste le plus longtemps possible Ă  bonne distance. Et s’il se mettait soudainement Ă  ramper dans notre direction pour nous demander un selfie ?

Mais ma principale critique concernant cet article a Ă  voir avec la photo que je trouve vraiment trĂšs floue, presque ratĂ©e, malgrĂ© les « huit radiotĂ©lescopes » que l’on devine hyper-puissants et trĂšs performants. Ce matin, pourtant, avec mon simple appareil photo, j’ai quant Ă  moi obtenu des photos beaucoup plus nettes du trou noir. Et je ne crie pas Ă  l’exploit. J’essaie plutĂŽt d’amadouer le spectre alors que je le cĂŽtoie.

Bien-sĂ»r, j’ai plus qu’envie de vous faire profiter de mes clichĂ©s de maniĂšre totalement dĂ©sintĂ©ressĂ©e et uniquement pour l’amour de la science. Mais Ă  une seule condition : Que cela reste entre nous. Je ne voudrais pas que le trou noir ou des mĂ©chants scientifiques terroristes me poursuivent avec des radiotĂ©lescopes Ă©lectrifiĂ©s.

Hier soir, sur ces Ă©crans, une rĂ©clame des EnfoirĂ©s passait encore. Les EnfoirĂ©s et les restos du coeur est un projet initiĂ© par Coluche qui date des annĂ©es 80. Ce matin, la rĂ©clame qui passait sur ces Ă©crans Ă©tait en faveur d’une association qui recueille des fonds pour les personnes atteintes d’un cancer. A droite de la photo, revĂȘtue de casiers jaunes, une certaine forme de cancer, inexistante dans les annĂ©es 80, et partie pour continuer de s’Ă©tendre : l’achat en ligne disponible ensuite dans ces casiers. Ici, dans une gare oĂč, tous les jours, passent entre 300 000 et 460 000 personnes.

” A nous de vous faire prĂ©fĂ©rer le train” dit une certaine lĂ©gende. Voici le lieu de passage des pur-sangs que nous sommes. BientĂŽt, nous aurons le privilĂšge de jouer au tiercĂ© nos heures de passage, de dĂ©part et d’arrivĂ©e, et, peut-ĂȘtre aussi, d’espĂ©rer arrondir quelque peu nos fins de mois . Et si nous avons commis un dĂ©lit ou une mauvaise action, peut-ĂȘtre que l’accĂšs aux petits casiers jaunes nous sera-t’il interdit pour une durĂ©e Ă  dĂ©terminer selon la profondeur et la sincĂ©ritĂ© de nos regrets. Il va de soi que toute personne s’immolant par le feu, se faisant seppuku ou dĂ©nonçant son voisin pour racheter ses manquements bĂ©nĂ©ficiera de maniĂšre rĂ©troactive d’un accĂšs circonstanciĂ© voire illimitĂ© aux jolis casiers jaunes ainsi qu’aux autres casiers faisant partie intĂ©grante du mĂȘme rĂ©seau. Avantage premium accordĂ© seulement Ă  quelques uns par tirage au sort au bout d’un certain nombre d’achats : la possibilitĂ© de personnaliser son casier.

Ces deux brochures ci-dessus ont Ă©tĂ© remises hier Ă  ma fille au centre de loisirs : j’ai beau rĂ©flĂ©chir. Je ne vois toujours pas oĂč elles veulent en venir.

 

Franck Unimon, ce jeudi 11 avril 2019.

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Apnée

Apnée et Limites

 

Apnée et Limites

Il existe trois sortes de limites : Celles que l’on se fixe. Celles de l’expĂ©rience. Celles du modĂšle ou de l’exemple des autres.

Nos limites sont nos cellules. Et nous sommes des cellules. De l’infiniment petit à l’infiniment grand, nos limites sont diverses.

Nous sortons quelques fois de certaines de nos cellules. Mais nous restons dans d’autres de nos cellules et en dĂ©couvrons d’autres.

Nous percevons la prĂ©sence de certaines de nos cellules. D’autres cellules qui continuent de nous enfermer passent inaperçues. Et nous restons aussi accrochĂ©s Ă  certaines de nos cellules car l’inconnu fait peur et nous nous sentons trĂšs vulnĂ©rables en dehors de nos cellules connues.

Ma derniĂšre sortie en fosse avec mon club date de cinq jours. Depuis les dĂ©buts de ma pratique de l’apnĂ©e il y a bientĂŽt trois ans ( ou quatre ), si j’inclus ma participation Ă  deux stages d’apnĂ©e animĂ©s par des ex-recordmen du monde d’apnĂ©e et des moniteurs confirmĂ©s, j’ai vĂ©cu environ vingt sorties en fosse. D’une profondeur de cinq mĂštres, dix mĂštres et vingt mĂštres.

Ajoutons Ă  cela mon petit vĂ©cu de plongeur bouteille il y a environ dix-quinze ans : 39 plongĂ©es dont deux ou trois Ă  moins quarante mĂštres. Je suis niveau deux. Il m’est arrivĂ© une ou deux fois de faire des plongĂ©es avec un binĂŽme, minimum niveau deux comme moi. Cela s’est toujours passĂ© en Guadeloupe. Dans une mer chaude, claire et plutĂŽt calme.

Mon baptĂȘme de plongĂ©e avait Ă©tĂ© laborieux. Alors que nous nous dirigions en bateau vers notre point de plongĂ©e, le moniteur que j’avais choisi -qui Ă©tait Ă©galement le directeur du centre de plongĂ©e- m’avait appris que, finalement, je ferais mon baptĂȘme avec un autre moniteur avec lequel j’étais en train de faire connaissance sur le bateau. Ce moniteur Ă©tait sympathique mais il m’était imposĂ©.

Au moment de ce qu’il faut bien aussi appeler ma « dĂ©floraison » aquatique, en pĂ©nĂ©trant dans l’eau avec tout cet appareillage (bouteille, masque, dĂ©tendeur, palmes) que je dĂ©couvrais et qui m’encombrait, j’avais eu du mal Ă  faire passer mes oreilles alors que nous avions Ă  peine commencĂ© notre descente sous la surface.

AprĂšs deux ou trois remontĂ©es suivies d’autant de tentatives, j’avais vu mon moniteur de «derniĂšre minute » commencer Ă  s’impatienter. Et puis, venant subitement du fond de la mer, «mon » moniteur Ă©tait arrivĂ© et avait rapidement, calmement et avec assurance pris le relais. Et, doucement, j’avais pu descendre. En dĂ©glutissant progressivement, j’étais parvenu Ă  Ă©quilibrer mes oreilles. MalgrĂ© les techniques thĂ©oriques qui nous sont enseignĂ©es, il est Ă©tonnant de voir comme, pour peu que l’expĂ©rience se dĂ©roule Ă  notre rythme et dans des conditions qui nous rassurent (grĂące Ă  l’encadrement humain, technique et matĂ©riel) nous trouvons instinctivement l’astuce ou l’attitude qui nous permet de nous adapter Ă  un nouvel environnement. Aujourd’hui, je suis incapable de me rappeler ce qui, ce jour-lĂ , m’avait donnĂ© l’idĂ©e de dĂ©glutir pour « faire passer » mes oreilles. Mais je sais qu’à partir de ce moment, c’est toujours de cette façon que j’ai procĂ©dĂ©.

Rapidement, aprĂšs mon baptĂȘme de plongĂ©e, j’ai commencĂ© Ă  suivre ma formation de plongeur. J’avais du temps : j’étais en vacances en Guadeloupe durant deux mois. Et cela faisait plusieurs annĂ©es que je lorgnais sur cette expĂ©rience de la plongĂ©e bouteille. Et, rĂ©guliĂšrement, Ă  peu prĂšs tous les jours voire deux fois par jour peut-ĂȘtre certaines fois, j’étais revenu plonger avec le mĂȘme club Ă  Ste-Rose : Alavama.

A mesure de ma formation rĂ©guliĂšre donc, je compensais de plus en plus facilement mes tympans. En dĂ©glutissant. Mieux : me sentant de plus en plus Ă  l’aise avec mon Ă©quipement et mon environnement, mes apprĂ©hensions rĂ©trogradaient ou se dissolvaient.

« Avant », une fois immergĂ© dans l’eau, j’avais peur de ce qui pouvait bien se trouver en dessous et de tout ce que je ne voyais pas : mon inconscient.

Ce qui Ă©tait en dessous et que je ne voyais pas Ă©tait forcĂ©ment un ĂȘtre dangereux et mal intentionnĂ©. Un requin bien-sĂ»r ou toute autre crĂ©ature fĂ©roce de mon imagination.

« AprĂšs », je ne pensais plus Ă  ce genre de catastrophe. Il Ă©tait devenu normal de se trouver Ă  moins dix mĂštres et, sur un banc de sable, de faire des exercices tels que dĂ©capeler, ĂŽter son dĂ©tendeur de la bouche quelques secondes, le remettre en bouche. Lorsque j’en avais parlĂ© Ă  une cousine de lĂ -bas, j’avais compris Ă  sa rĂ©action que j’étais passĂ© de l’autre cĂŽtĂ© du monde. Je le percevais aussi lorsque nous nous dirigions vers le bateau pour aller plonger. J’étais le plus souvent le seul homme noir parmi les plongeurs. Mes compatriotes qui prenaient le bateau pratiquaient la pĂȘche. Et non ce loisir de « riche » et d’homme blanc qui consistait Ă  payer pour aller regarder des poissons au fond de l’eau. Je me rappelle encore de la surprise d’un de mes grands oncles lorsque je lui avais racontĂ© que, non, une fois dans l’eau, je ne pĂȘchais pas de poisson car c’était interdit de le faire lorsque l’on plongeait avec bouteille. A cette Ă©poque, il m’était inconcevable de m’imaginer un jour faire de la chasse sous-marine en pratiquant l’apnĂ©e.

De retour en France, j’ai bien essayĂ© une ou deux fois de pratiquer la plongĂ©e bouteille en m’inscrivant dans un club. Cela n’a jamais pris. L’entraĂźnement technique en piscine ou en fosse Ă©tait soit peu attractif. Soit effrayant ou angoissant.

Lors de mon premier entraĂźnement dans un club de banlieue, nous plongions en fosse. Une fois harnachĂ© au bord de la fosse des cinq mĂštres, il s’agissait de se jeter Ă  l’eau, dĂ©tendeur en bouche. J’avais peur mais comme j’étais niveau deux et que l’exercice paraissait facile Ă  voir les autres le faire, je me suis exĂ©cutĂ©. J’ai bu la tasse. J’ai perdu mon masque. Lequel, par je ne sais quel phĂ©nomĂšne, alors que je m’étais bien jetĂ© Ă  l’eau dans la fosse des cinq mĂštres a Ă©tĂ© retrouvĂ© au fond de la fosse des vingt mĂštres.

Je n’avais pas pratiquĂ© la plongĂ©e depuis quelques annĂ©es lorsque cela Ă©tait arrivĂ©. Je crois l’avoir prĂ©cisĂ©. Mais comme j’étais niveau deux et que, en apparence vraisemblablement, j’étais calme, on aura sĂ»rement estimĂ© m’avoir demandĂ© de rĂ©aliser des consignes accessibles et trĂšs simples. Ce qu’elles Ă©taient sĂ»rement : Dans mon souvenir. Ou lorsque l’on est rĂ©guliĂšrement entraĂźnĂ©. A ceci prĂšs que, dans ma formation, je ne me rappelle pas, en Guadeloupe, m’ĂȘtre mis Ă  l’eau en sautant du haut du bateau tout Ă©quipĂ©. Nous nous Ă©quipions gĂ©nĂ©ralement directement dans l’eau. Si je me rappelle bien, il nous Ă©tait arrivĂ© une ou deux fois, lors de notre formation, de basculer en arriĂšre depuis le bateau. Et cela s’était bien passĂ© pour moi.

J’ai oubliĂ© si ma dĂ©convenue en fosse dans ce club de plongĂ©e est la seule raison pour laquelle je ne suis pas revenu. L’horaire me convenait Ă  moitiĂ©. Si j’avais choisi mon club et mon moniteur de plongĂ©e en Guadeloupe, je n’avais ni choisi mon moniteur de plongĂ©e dans ce club de banlieue et ni ce club : j’avais fait avec ce qui Ă©tait le plus proche de chez moi. Et, vraiment, j’ai du mal Ă  pratiquer la plongĂ©e bouteille en piscine et en fosse. Je suis sĂ»rement dans la situation de beaucoup de personnes qui, une fois qu’elles ont goĂ»tĂ© Ă  une discipline en milieu naturel, peuvent avoir beaucoup de mal Ă  la pratiquer dans un milieu artificiel. Par exemple, j’ai appris Ă  nager en piscine et, nageur intermittent, j’aime assez aller nager en piscine. Mais je peux concevoir qu’une personne qui a toujours nagĂ© en mer ou dans un lac puisse avoir beaucoup de mal Ă  se rendre dans une piscine pour y faire des longueurs.

Ce dimanche, il y a cinq jours, lors de notre derniĂšre sortie fosse avec mon club d’apnĂ©e, tĂȘte en bas, j’ai pu descendre Ă  dix mĂštres tout au plus. Quinze mĂštres tĂȘte en haut en descendant le long d’une « corde ». L’anecdote, c’est que c’est dans cette fosse que, dix ou quinze ans plus tĂŽt, je m’étais ridiculisĂ© en me jetant Ă  l’eau avec bouteille et dĂ©tendeur. Avec mon club d’apnĂ©e, nous revenons assez rĂ©guliĂšrement pratiquer dans cette fosse. On pourrait donc dire que c’est une grande « victoire ». Je le vois diffĂ©remment :

En apnée, je « devrais » descendre à trente mÚtres.

Lors de mon premier stage d’initiation Ă  l’apnĂ©e dans un autre lieu, avant mon inscription dans mon club d’apnĂ©e, l’ex-recordman du monde qui animait le stage avait dĂ©clarĂ© que selon nos capacitĂ©s en apnĂ©e statique, on pouvait raisonnablement descendre Ă  dix mĂštres si on Ă©tait capable de tenir une minute en apnĂ©e statique. Donc vingt mĂštres si on pouvait tenir deux minutes en apnĂ©e statique. Il y a une dizaine de jours et hier soir, encore, j’ai tenu trois minutes en apnĂ©e statique. Il y’a une dizaine de jours, j’avais tenu les trois minutes facilement. J’aurais pu tenir quinze ou trente secondes de plus. Hier soir, j’étais moins en forme. J’étais enrhumĂ©. J’avais un peu mangĂ© une heure plus tĂŽt. J’étais moins serein. J’ai eu peu de plaisir Ă  ĂȘtre dans l’eau. J’ai trĂšs peu crĂ©Ă© mon espace. A mes dĂ©buts, en apnĂ©e statique, je tenais deux minutes quinze secondes en apnĂ©e statique. Depuis mon inscription en club, chez moi, Ă  sec, j’ai pu tenir trois minutes trente en apnĂ©e. Mais je l’ai fait une seule fois. Il y a plus d’un an. Je bois peu et je ne fume pas. J’ai un vĂ©cu de sportif dans des activitĂ©s plutĂŽt toniques, voire explosives, et terrestres (athlĂ©tisme, judo).

 

La premiĂšre nuance Ă  apporter aux propos de notre ancien multi-recordman du monde d’apnĂ©e est bien-sĂ»r la qualitĂ© de notre hydrodynamisme, de notre palmage ainsi que notre « flottabilité». Certaines personnes coulent Ă  pic. D’autres sont des vaisseaux d’HĂ©lium et doivent se lester en consĂ©quence.

L’autre nuance concerne Ă©videmment tout ce qui concerne le mental, le moral, le psychologique, le culturel. Ce qui peut ĂȘtre pire que l’HĂ©lium. Car, lĂ , nous nous retrouvons face Ă  nous-mĂȘmes et nous sommes trĂšs diffĂ©rents les uns des autres. Assez seuls avec nos limites- et notre potentiel inhabitĂ© mais aussi insoupçonnĂ©- malgrĂ© la prĂ©sence de l’encadrement qui fait de son mieux pour nous guider.

Il va sĂ»rement me falloir- encore- un certain temps pour parvenir Ă  convertir et Ă  transfĂ©rer ( Ă  supposer que cela possible) dans ma pratique de l’apnĂ©e certaines compĂ©tences que j’ai pu dĂ©velopper en pratiquant l’athlĂ©tisme et le judo( essayez de faire un Uchi-mata sur un tympan qui ne passe pas, vous verrez : mĂȘme en prenant bien son Ă©lan, c’est le tympan qui gagne) .

Me retrouver- pour le plaisir- Ă  plusieurs mĂštres de profondeur sous l’eau est trĂšs Ă©loignĂ© de mes traditions ancestrales et familiales mais aussi de mes expĂ©riences enfantines et adolescentes. La pratique et l’apprentissage de l’apnĂ©e revient peut-ĂȘtre pour moi- et pour d’autres- au mĂȘme que d’apprendre Ă  jouer d’un instrument de musique Ă  l’ñge adulte. Sauf que, ici, l’instrument de musique, c’est Ă©videmment notre corps et notre mental.

Ce dimanche, mĂȘme si je suis Ă  chaque fois volontaire pour me rendre en fosse, j’ai dĂ» admettre que la fosse de vingt mĂštres continue de me faire peur. « Avant », c’était la fosse des cinq mĂštres. Puis celle des dix mĂštres. Au delĂ  de dix mĂštres, je le vois bien en descendant tĂȘte en haut oĂč je compense plus facilement mes tympans, je commence Ă  trouver la descente un peu longue. MĂȘme en fermant les yeux depuis le dĂ©but de la descente. Puis, une fois Ă  quinze mĂštres, je vois bien que le fond de la fosse est tout proche. Mais ensuite, il faut remonter vingt mĂštres. C’est encore trop pour moi. MĂȘme si, une fois Ă  quinze mĂštres tĂȘte en haut, je peux rester quelques secondes pour regarder ce qui se passe avant de remonter. Et je peux dire que depuis mon balcon de dix ou quinze mĂštres sous l’eau, qu’il est pour moi plutĂŽt frustrant de voir les autres de mon club tout Ă  leur plaisir au fond de la fosse alors qu’ils sont en train de zouker ou en train de jouer Ă  la balle au prisonnier. Sourire. J’aimerais bien en ĂȘtre. Mais je n’arrive pas encore Ă  faire partie de ce club-lĂ . SecrĂštement, d’ailleurs, je cultive de plus en plus aussi l’illusion qu’en milieu naturel, bien prĂ©parĂ©, je pourrais plus facilement- sans forcer- atteindre agrĂ©ablement les vingt mĂštres. Le caractĂšre froid et assez Ă©troit de la fosse- on parle bien de « tube » certaines fois- de vingt mĂštres a un peu tendance Ă  me rendre claustrophobe dirait-on.

Donc, depuis plusieurs sorties en fosse, c’est le mĂȘme cirque qui se reproduit pour moi. Fosse de cinq mĂštres, aucune difficultĂ© pour compenser tĂȘte en bas. Je dĂ©glutis. Ça passe avec Ă©vidence. Fosse de vingt mĂštres, je me plie Ă  l’exercice d’échauffement. Je me plie aux consignes de compensation en compagnie de notre « ami » Frenzel en portant ma main sur mon nez puisqu’en dĂ©glutissant, au delĂ  de huit mĂštres Ă  peu prĂšs, ça coince. Et puis, vers huit mĂštres, ça coince quand mĂȘme (mĂȘme dans la fosse de dix mĂštres) et je suis obligĂ© d’ouvrir le parachute : De me retourner, ralentir, de mettre ma tĂȘte en haut. Et, incrĂ©dule, je constate Ă  nouveau que je bute sur le mĂȘme mur de profondeur alors que j’ai encore une bonne provision d’air dans les poumons. Et que mon apparente volontĂ© est insuffisante pour m’insuffler de quoi descendre plus bas.

J’éprouve rarement le plaisir de m’enfuir dans la fosse de vingt mĂštres. J’ai toujours l’impression de manquer de temps avant de le trouver, ce plaisir. Non, dans la fosse de vingt mĂštres, si je tombe, c’est vers la mort. La fosse commune, quoi. Pourtant, j’aimerais fondre vers les vingt mĂštres. Et non ramer dans les huit mĂštres tel un poisson empĂȘtrĂ© dans un filet. En plongĂ©e bouteille, lĂ  ou d’autres parlent des poissons et de ce qu’ils voient, j’ai jusqu’à maintenant prĂ©fĂ©rĂ© vivre la sensation d’apesanteur et d’oubli. MĂȘme si j’ai eu le plaisir de voir une raie Manta « dĂ©coller » sur un banc de sable et aussi de croiser un groupe de dauphins qui s’étaient amusĂ©s avec nous durant quelques minutes. Les deux ou trois fois oĂč je suis descendu Ă  moins quarante mĂštres, il m’a semblĂ© que j’aurais pu descendre plus profond. Je n’avais pas d’anxiĂ©tĂ© particuliĂšre puisque cette plongĂ©e profonde se dĂ©roulait aprĂšs que je me sois de nouveau acclimatĂ© Ă  la plongĂ©e bouteille aprĂšs plusieurs sorties rĂ©guliĂšres et rapprochĂ©es. Les sensations que je ressentais au cours de la plongĂ©e Ă©taient des sensations confortables et familiĂšres et mon matĂ©riel ainsi que mon niveau d’air Ă©taient au rendez-vous et satisfaisants.

Mon niveau 2 m’interdit bien-sĂ»r de descendre plus profond et j’ai bien sĂ»r Ă©tĂ© sensibilisĂ© Ă  la narcose ou ivresse des profondeurs.

Il existe peut-ĂȘtre un ratio thĂ©orique entre ce que, psychologiquement, on accepte comme profondeur en apnĂ©e selon la profondeur que l’on a pu connaĂźtre avec bouteille. Ce ratio est sĂ»rement imparfait car bien-sĂ»r cela varie d’une personne Ă  une autre. Mais pour moi, en apnĂ©e, mon frein « dans » les oreilles est apparemment situĂ© entre huit et dix mĂštres de profondeur. Et, je crois que ce frein est principalement dans la tĂȘte, plus que dans la technique de compensation.

C’est ce que je me dis depuis ce dimanche.

Je veux bien me considĂ©rer comme un idiot et me dire que je rĂ©alise vraiment trĂšs mal certains gestes techniques mais l’idiotie a Ă©galement ses limites. Il est aussi vrai que les masques que j’ai eus jusqu’à maintenant me permettent mal d’atteindre mon petit nez. Oui, grĂące Ă  l’apnĂ©e, j’ai dĂ©couvert que j’ai un petit nez lorsqu’il s’agit de le pincer Ă  travers le masque pour compenser mes oreilles. Dimanche, j’ai dĂ» l’admettre en regardant le nez (finalement, j’ai renoncĂ© Ă  les mesurer) de certains de mes copains de club : j’ai un petit nez. Alors, Ă  dĂ©faut de chirurgie esthĂ©tique et de me faire prescrire du viagra pour le nez, je me suis achetĂ© cette semaine un nouveau masque en prenant en compte cette particularitĂ© cette fois-ci. Et le vendeur m’a appris que ce masque se vendait beaucoup
en Asie. Car ils ont un petit nez. GrĂące Ă  l’apnĂ©e, je me suis peut-ĂȘtre dĂ©couvert de lointaines origines asiatiques dans une autre vie. Mais peut-ĂȘtre aussi qu’en retournant rĂ©guliĂšrement en fosse (j’y vais, au mieux, une fois par mois) que ce mystĂšre des oreilles va se dĂ©boucher. C’est ce que je crois de plus en plus. Et c’est aussi ce que m’a dĂ©ja expliquĂ© une copine du club. En attendant, je dois accepter mes limites actuelles. Les rogner progressivement Ă  la façon d’un charognard de vie et d’apnĂ©e.

J’écris ce rĂ©cit aujourd’hui car lorsque mes oreilles passeront la barre des vingt mĂštres ou davantage, ou plus tard, j’aurai peut-ĂȘtre oubliĂ© ces tourments actuels qui seront peut-ĂȘtre le prĂ©sent d’autres apnĂ©istes et plongeurs.

Franck Unimon, ce vendredi 5 avril 2019.

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Projection

Projection

« C’est fou comme nos enfants sont la projection de notre inconscient
. ».

C’est ce que j’ai racontĂ© il y’a plusieurs semaines Ă  une collĂšgue et amie, familiĂšre avec ce temps particulier- et faux ami- qu’est l’inconscient. Notre inconscient nous suit Ă  la trace autant que notre sang. OĂč que nous soyons, quoique nous fassions, sa prĂ©sence luit en nous tant que nous sommes en vie. Et mĂȘme au delĂ . Et mĂȘme avant ça. Que cela nous plaise ou non. L’inconscient est comme ça : ce n’est pas un squatteur, qui, une fois le printemps arrivĂ©, peut ĂȘtre limogĂ©. C’est plutĂŽt lui qui vous limoge. Vous croyez que vous venez pour lui. Il peut trĂšs vite vous dĂ©montrer que c’est lui qui vous a fait venir.

« C’est fou comme nos enfants sont la projection de notre inconscient
 ». J’avais dit cette phrase Ă  cette amie calmement. A la fois avec luciditĂ© mais aussi avec la naĂŻvetĂ© de celui qui croit qu’en la prononçant, cette phrase allait le protĂ©ger. Nos enfants viennent de nous. Et mĂȘme s’ils se sĂ©parent de nous un jour, ils nous ressembleront. A-t’on vu les enfants de l’eau devenir de la pierre ou de la terre ? Peut-ĂȘtre. Mais notre mĂ©moire de ce temps-lĂ  a disparu ou nous a Ă©tĂ© volĂ©. Et nous n’en savons rien. Nous n’en saurons peut-ĂȘtre jamais rien. Sauf, peut-ĂȘtre, au moment de mourir. Mais il sera trop tard pour le dire. A moins peut-ĂȘtre d’avoir dĂ©jĂ  dit beaucoup malgrĂ© soi de son vivant. On dit beaucoup malgrĂ© soi de son vivant. Et il est souvent une ou plusieurs personnes, mĂȘme si c’est discrĂštement, qui s’en souviendront.

 

Lorsque je nous regarde, nous les parents et les adultes, nous sommes devenus depuis longtemps complÚtement dépendants de nos écrans : Cela a commencé par la télévision. Puis les ordinateurs, les téléphones portables, les smartphones et les tablettes sont arrivés.

Je me rappelle encore de ce slogan publicitaire en faveur du tĂ©lĂ©phone portable Ă  peu prĂšs au milieu des annĂ©es 90 : « Et tĂ©lĂ©phoner devient un sixiĂšme sens ». Cela nous avait fait ricaner mon meilleur ami et moi. Jamais on ne nous y prendrait. C’était ce que je croyais. On peut rĂ©ussir Ă  arrĂȘter de fumer ou de boire de l’alcool sous certaines conditions et si on prĂȘt pour cela. Il nous est dĂ©sormais beaucoup plus difficile de dĂ©crocher de nos Ă©crans. Il y a et il y aura toujours une personne ou une raison pour nous entraĂźner et pour nous pousser Ă  continuer de fixer un de nos Ă©crans. Dans les transports, au travail, en voiture, Ă  la maison, Ă  la sortie des Ă©coles, dans les commerces, Ă  la piscine, au cinĂ©ma, dans les mĂ©diathĂšques, dans les lieux de rencontres et de loisirs, dans les aĂ©roports, Ă  l’hĂŽpital, en pleine nature. Partout.

Nos Ă©crans sont devenus un sixiĂšme sens mais aussi un cinquiĂšme membre. Un cinquiĂšme membre insĂ©parable de notre organisme ou un membre de notre famille. La greffe a plus que pris. Impossible de revenir en arriĂšre. Nous sommes dans le mouvement et bien d’autres applications et usages pratiques ou addictifs sont Ă  venir. Se barricader loin des Ă©crans est possible de temps Ă  autre pour faire retraite ou en cas de fuite. Mais s’en dispenser durablement semble maintenant synonyme de grand danger pour notre santĂ© physique et mentale. Ou semble ĂȘtre la marque de l’esprit rĂ©actionnaire qui a peur du changement et idĂ©alise le passĂ© et ses abysses. Avec nos multiples Ă©crans, nous sommes tels des mutants jouissant de nos super pouvoirs. Pour en bĂ©nĂ©ficier le plus possible en en subissant le moins possible les revers, nous devrions apprendre Ă  contrĂŽler nos super pouvoirs. Encore faut-il le vouloir car nos Ă©crans sont si attractifs. Et nos enfants, eux, pendant ce temps, captivĂ©s par nous comme on peut l’ĂȘtre par le soleil ou par Ă  peu prĂšs tout ce qui brille, claque et est nouveau, nous voient captivĂ©s par ces Ă©crans magiques qui, ils le savent, un jour, seront les leurs. Alors, comme nous, ils passeront des heures et des heures sur des Ă©crans et, quelques fois peut-ĂȘtre, s’ils se rappellent encore un peu de nous, ils nous y chercheront.

Franck Unimon, lundi 1er avril 2019.