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Pour les Poissons Rouges

Ton appel

 

 

                                                                  Ton appel

Je sais que tu n’appelleras pas. Il me reste suffisamment de luciditĂ©. Mais je continuerai de m’en tenir au mĂȘme emploi du temps. A attendre cet appel. Trois fois par semaine, Ă  la mĂȘme heure, je me posterai prĂšs de chez toi. GrĂące au rĂ©sultat d’une filature de prĂ©caution, je sais oĂč. Je ferai trĂšs attention.  Si cela s’apprenait, ce serait le dĂ©sastre.

 

Tout a commencĂ© lorsque nous nous sommes rencontrĂ©s. C’était peut-ĂȘtre il y a des annĂ©es maintenant. Au travail ou ailleurs. Cela n’a aucune d’importance. Il ne s’est rien passĂ© ou dit de particulier.  Tu m’as sĂ»rement oubliĂ© depuis comme d’autres avant toi car je fais partie du dĂ©cor. J’ai simplement Ă©tĂ© sensible Ă  ton aura. Mais impossible de l’expliquer. A toi comme Ă  qui que ce soit. Je n’ai pas envie de dĂ©ranger. Cela ne sert Ă  rien d’essayer d’expliquer. Il faut sĂ©duire, c’est tout. Or, moi, je ne sĂ©duis pas.

 

D’autres ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© enfermĂ©s pour des situations similaires Ă  la mienne. Lorsqu’ils ont jouĂ© leur va-tout et se sont jetĂ©s Ă  l’eau. Ils croyaient qu’on les Ă©couterait, qu’on les accepterait.  Cela a Ă©tĂ© catastrophique ou ridicule. Ils se sont fait humilier.

 

Je n’ai pas cette naĂŻvetĂ©. Moi, je me tais. Je ne me rĂ©pands pas sur l’espace public. J’en fais une affaire privĂ©e. Personne ne peut me reprocher quoique ce soit tant que je reste Ă  ma place. C’est ce que je fais. Je le fais trĂšs bien et tous les jours.  Depuis le temps, j’ai acquis une certaine expĂ©rience dans ce domaine. Tous les jours, je me polis et me rends irrĂ©prochable. Il n’y a que durant cette heure « avec Â» toi, oĂč, enfin, je suis autrement.

 

Qu’est-ce je te trouve exactement ? Difficile Ă  dĂ©finir. Difficile Ă  retenir. Je te trouve tout. C’est comme un rĂȘve dĂ©clarĂ© qui ne peut se soustraire Ă  mes pensĂ©es. Cette heure avec toi, j’en fais mon affaire. Rien ne doit dĂ©passer. Personne ne doit interfĂ©rer. Pas mĂȘme mes propres peurs. Alors, je prĂ©pare toujours tout Ă  l’avance. Je m’entraine mentalement Ă  revenir secrĂštement. Pour l’instant, tu ne vois rien, tu ne sens rien. Enfin, je ne crois pas et c’est aussi bien. C’est trĂšs bien comme ça, cette sorte d’entente sans conflit. On peut croire que l’absence de conflit est synonyme d’ennui. Pas pour moi. Je prĂ©fĂšre rester dans mon coin telle une bĂ©quille posĂ©e contre un mur. Ou cĂ©der chaque fois que l’on veut que je me batte ou que l’on me contredit. Je n’ai rien Ă  perdre et rien Ă  prouver non plus. Je veux juste ĂȘtre tranquille avec toi de temps en temps. Et, pour ça, je veux pouvoir ne laisser aucune trace.  AprĂšs ça, le reste suivra puisque tout est rĂ©glĂ©. Et qu’il suffit de s’en tenir Ă  une routine consentie de part et d’autres. Avoir trĂšs peu d’ambition m’aide beaucoup. Cela m’évite bien des dĂ©sillusions. Je ne suis pas comme toutes ces personnes qui attendent beaucoup chaque fois qu’elles entreprennent une action. Je me concentre seulement sur cette heure avec toi sur laquelle je veille comme s’il s’agissait d’une fleur qui pousse dans un pot. Je prends soin de la qualitĂ© de la terre, de l’eau que j’y mets. Mais aussi de la façon dont je la verse. Il faut ĂȘtre doux et parler dĂ©licatement. Sans brusquer. C’est un bercement de tout mon poids au dessus de toi. Pour l’instant, tu ne sens rien mais ça viendra. Tu verras.

 

Franck Unimon, ce mercredi 20 janvier 2021.

 

 

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Pour les Poissons Rouges

Le mec foireux

 

                                                Le mec foireux

Corps uniformes. Horaires chloroformes.

 

 

Pour rĂ©ussir un projet, il faudra d’abord apprendre Ă  se sĂ©parer du mec foireux, conduit incessant de problĂšmes dans lequel on finit par tomber sans pouvoir remonter. Ou  difficilement. Et seulement par les Ă©gouts.

 

Alors que vous ferez connaissance en toute dĂ©contraction, le mec foireux ne vous dira jamais, la voix suave et entĂȘtante :

 

«  Je suis un mec ou une fille foireuse Â».  D’abord parce qu’il estime avoir une vie normale. Ensuite, parce-que, comme tout le monde, il a besoin de compagnie.

 

Le mec foireux est intelligent et grand travailleur : il travaille Ă  votre perte.

 

Souvent sympathique, vous vous attacherez facilement Ă  lui quelle que soit sa composition :

 

Laine, cachemire, coton, papier toilette,  bois, soie, aqueux, huileux, gazeux, laiteux, synthĂ©tique ou plastique. Parce-que le mec foireux a beaucoup de charisme.

 

Si votre projet se rĂ©sume Ă  partir faire des courses sur le marchĂ© prĂšs de chez nous, vous pourrez emmener le mec foireux avec nous. Il surviendra bien une tonne d’incidents entre le moment oĂč vous sortirez et rentrerez chez vous. Mais il y a de fortes chances pour que cela soit drĂŽle. Et puis, le mec foireux a de la conversation. On s’ennuie rarement avec lui.

 

Lorsque des projets avancĂ©s se prĂ©senteront, le plus difficile sera de savoir s’éloigner de lui discrĂštement sans le vexer. AprĂšs tout ce temps passĂ© ensemble.

 

Le mec foireux est trĂšs susceptible et a beaucoup de mĂ©moire. La vengeance d’un mec foireux a tous les attributs de la sanction interplanĂ©taire et hĂ©rĂ©ditaire. D’ailleurs, le mec foireux est nĂ© Ă  la suite d’une histoire qu’il trimballe vraisemblablement depuis plusieurs mythologies. Ou aprĂšs d’officieuses et illĂ©gales manipulations gĂ©nĂ©tiques- qui ont foirĂ©- dont les auteurs n’ont jamais Ă©tĂ© identifiĂ©s avec certitude :

 

DivinitĂ©s ? Grammairiens ? MathĂ©maticiens ? Philosophes ? MĂ©decins ? Artistes ? Escargots ? SpermatozoĂŻdes ?

 

 

Le mec foireux peut ĂȘtre votre meilleur ami, votre conjoint ou votre conjointe. Un cousin ou une cousine. Mais il peut aussi ĂȘtre un trĂšs bon collĂšgue, votre mĂ©decin votre patron
.et, avant tout, vous-mĂȘme. Parce-que lĂ  oĂč le mec foireux excellera, ce sera en pĂ©dagogie pour bien vous faire comprendre que si tout a foirĂ© et ne pouvait que foirer depuis le dĂ©but, c’est Ă  cause de vous.

 

 

 

Franck Unimon, ce dimanche 21 février 2021.

 

 

 

 

 

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Cinéma

Maudit !- un film d’Emmanuel Parraud

 

 

L’Ăźle de La RĂ©union est aussi le pays oĂč se dĂ©roule une course de trail trĂšs dure mais aussi mondialement connue:

La diagonale des fous- ou le Grand Raid- qui perce l’üle sur une distance de 164 kilomùtres.

 

A premiĂšre vue, Alix (Farouk SaĂŻdi) et Marcellin (Aldo Dolphin) sont deux sportifs du coin qui reviennent d’un entraĂźnement de trail. Ils ont la trentaine, ont un travail, se dĂ©brouillent et ont l’air plutĂŽt cool. Nous sommes en 2020 ou en 2021. C’est aujourd’hui. 

 

Le sport, dont la course Ă  pied, fait partie des valeurs culturelles fortes et des attraits de l’üle. La RĂ©union, c’est joli, avec ses paysages  admirables. Les fĂ©es y ont les pieds dans l’eau. Maudit dĂ©bute d’ailleurs avec la prestation de la belle et blonde DorothĂ©e (Marie Lanfroy, membre et chanteuse dans la vie du groupe rĂ©unionnais Saodaj’) alors qu’elle est sur scĂšne. La chanteuse aborde la transe lors d’un concert sans doute au moins de Maloya.

 

Une idylle s’ensuit entre l’artiste DorothĂ©e et Marcellin, le tombeur, vainqueur de plusieurs courses. Tout cela se passe devant Alix qui assiste Ă  ce nouveau succĂšs de son meilleur ami. 

Marcellin est le plus clair des deux hommes. Celui qui semble aussi ĂȘtre le mieux dans cette peau. Cette particularitĂ© “pigmentaire” est  sans doute une petite coĂŻncidence.

Ou l’indice d’une certaine forme de paranoĂŻa.

Mais cette distinction pigmentaire est aussi une convention bien assimilée- et pratiquée- lors des critÚres de séduction et de sélection de son ou de sa partenaire :

Car c’est seulement en me rĂ©veillant ce matin, aprĂšs avoir publiĂ© cet article hier ( le 19 fĂ©vrier 2021) que je me suis rappelĂ© de ces deux aspects qui diffĂ©rencient les deux amis. 

Nous sommes pourtant sur l’Ăźle de la RĂ©union, une des rĂ©gions les plus mĂ©tissĂ©es au monde, souvent prĂ©sentĂ©e comme un pays oĂč la tolĂ©rance inter-ethnique, multiculturelle et religieuse serait vĂ©cue quotidiennement telle une Ă©vidence. Avec Maudit ! subtilement, nous faisons une autre expĂ©rience de cette “croyance”. Ensuite, nous avons un choix Ă  vivre : 

PrĂ©fĂ©rer Ă  cette “croyance” toutes les beautĂ©s Ă©talĂ©es et immĂ©diatement accessibles de la RĂ©union. Ou essayer, aussi, comme le rĂ©alisateur, d’entrer dans ce que cette Ăźle a de moins supportable.  

 

L’enivrement touche peut-ĂȘtre Emmanuel Parraud, qui, aprĂšs Sac la Mort (2016), poursuit sa reconnaissance de la RĂ©union avec un nouveau tandem masculin d’acteurs non professionnels. Le personnage d’Alix lui sert ici d’avatar. Et, vers la fin du film,  on apercevra l’acteur Patrice Planesse, son prĂ©cĂ©dent avatar, un des protagonistes principaux de Sac la Mort.

 

Moins Ă©gal que  celui-ci, Maudit !  est aussi plus ambitieux dans son traitement formel pour prĂ©senter “l’ire-rationnelle” que contient l’üle et qui ne tient pas dans quelques bouteilles en verre. Au mĂȘme titre que la violence subite qui  part des coulĂ©es de terre de cette histoire que nous verse Parraud. Les bouteilles Ă  la mer, si elles existaient du temps de l’esclavage, n’ont servi Ă  rien.    

 

Un film sur la RĂ©union loin des pistes touristiques,  et, en  CrĂ©ole, c’est rare au cinĂ©ma. Alors, on en profite.

 

Alix et Marcellin ont grandi dans la mĂȘme famille d’accueil. Orphelins, ils sont devenus insĂ©parables comme les doigts de la main. Cela tient comme ça pendant des annĂ©es. Puis, arrive la lueur de la femme blanche (DorothĂ©e). On la croit l’éclaireuse magique vers une histoire qu’Alix et Marcellin, malgrĂ© leurs kilomĂštres parcourus en pleine nature, n’ont  pas bouclĂ©e. Une histoire oĂč la douleur et la colĂšre, plutĂŽt qu’absentes, s’activent parmi les plantes.  

 

Car lorsque la femme libre- DorothĂ©e- s’évapore, la dĂ©pression des deux amis, autrefois relayĂ©e, devient une discipline individuelle pour forcenĂ©s. Chacun retourne au bercail comme vers les poings… de son cyclone. Et ça cogne fort. Le rhum, sĂ©rum ou filtre, est utilisĂ© bien-sĂ»r. Mais c’est un miracle grossier qui, s’il racle et se raccroche Ă   la gorge, rapproche aussi des traits et de l’acier de la folie.

 

Alix ( l’acteur Farouk SaĂŻdi)

 

Parraud nous parle d’un pays plus mĂ»r pour le fait divers que pour la parole qui libĂšre. Car, selon lui, les beaux paysages, la joie de vivre officielle et les trophĂ©es sportifs se lĂ©zardent encore devant les fracas du passĂ©.

 

(La sortie du film Ă©tait prĂ©vue dans les salles au printemps 2021. Elle a finalement eu lieu ce mercredi 17 novembre 2021). 

 

Franck Unimon, ce vendredi 19 février 2021.

 

 

 

 

 

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Corona Circus

Conventions

 

Forum des Halles, FĂ©vrier 2021.

                               Conventions

Vouloir faire resurgir le passĂ©, c’est aspirer au voyage avec le navire coulĂ©.

 

 

Ce jour que l’on voit  enfin se rapprocher arrive peut-ĂȘtre avec une pierre. Et cette pierre sera pour nous. MĂȘme si l’on a travaillĂ© avec intelligence afin que notre trajectoire s’amĂ©liore.

 

Il y aura bientĂŽt pire que ce que nous vivons. Je suis dĂ©solĂ© de l’écrire. Ce n’est pas dans mes habitudes d’ĂȘtre pessimiste. Et, je ne me sens pas particuliĂšrement pessimiste, ce qui est peut-ĂȘtre pire.

 

Si la majoritĂ© l’emporte en thĂ©orie, je constate autour de moi que la majoritĂ© n’attend qu’une chose. Car, comme la majoritĂ©, je suis trĂšs nombriliste et rĂ©sume le monde Ă  ce que je vis et Ă  mon entourage immĂ©diat :

 

Recommencer Ă  vivre, aussi vite que possible, comme « avant Â» l’épidĂ©mie. Retrouver certaines libertĂ©s.

 

Forum des Halles, FĂ©vrier 2021.

 

Les vaccins anti-Covid sont beaucoup attendus parce-que l’on espĂšre qu’ils vont aussi nous inoculer le passĂ© d’avant l’épidĂ©mie.

 

Je « sais Â» trĂšs bien que des personnes ont perdu leur emploi, vont le perdre ou risquent de le perdre Ă  cause du Covid et ses variants. Ainsi qu’à cause du bizness que font certains labos- et quelques gouvernements- avec les vaccins.  

 

Je « sais Â» aussi que d’autres personnes sont dĂ©cĂ©dĂ©es, vont dĂ©cĂ©der, ont perdu un proche ou une connaissance ou sont tombĂ©es malades. Et, je peux faire partie d’eux bientĂŽt sans le voir venir mĂȘme si j’ai Ă©tĂ© prĂ©venu.

 

Je m’abstiendrai de comparer ma vie Ă  celle d’une personne en prison que ce soit dans un centre pĂ©nitentiaire ou enfermĂ©e dans une maladie mentale et physique. En ce moment, alors que j’écris, j’ai toute latitude pour exposer mon idiotie. Et comme tout idiot, je me rĂ©pands en me croyant un peu original. Je ferais sĂ»rement mieux de faire des mots croisĂ©s ou de regarder une sĂ©rie dans mon coin comme d’autres le font. D’ailleurs, j’ai  commencĂ© Ă  regarder la derniĂšre saison, la cinquiĂšme, de la sĂ©rie Le Bureau des LĂ©gendes crĂ©Ă©Ă© par Eric Rochant. Je n’envie pas du tout la vie de ces agents secrets qui passent leur temps Ă  frĂŽler leur dernier souffle comme Ă  se mĂ©fier de tous.

 

Il y a tellement de dĂ©cisions et d’habitudes que nous prenons de nous-mĂȘmes depuis des annĂ©es et qui nous verrouillent un peu plus tous les jours. Pour toutes sortes de raisons que nous sortons de notre manche et que nous justifions. C’est notre magie  personnelle. Celle qui nous guidait et va continuer de le faire. Comme avant l’épidĂ©mie. On peut donc comparaitre libre tous les jours et ĂȘtre dĂ©jĂ  plus ou moins en prison. Et aussi contribuer Ă  emprisonner d’autres personnes autour de nous. 

 

 

C’est ce que j’appelle des conventions.

 

Des conventions de pensĂ©e. Des convictions intimes. Des conventions de comportements et d’attitudes envers la vie. L’inconvĂ©nient des conventions – ou des protocoles – c’est que mĂȘme si elles sont foireuses, une fois rĂŽdĂ©es, on les laisse nous guider de maniĂšre automatisĂ©e. Puisque la majoritĂ© les adopte ou les accepte, c’est donc qu’elles sont justifiĂ©es. Et puis, une fois lancĂ©es, il est trĂšs difficile de les arrĂȘter.

 

C’est bon, pour vous ?!

 

Ce jeudi matin, la secrĂ©taire de cette clinique du 15Ăšme arrondissement de Paris finalise au tĂ©lĂ©phone la prise d’un nouveau rendez-vous. Elle a la trentaine. Un peu plus tĂŽt, de maniĂšre accueillante, elle m’a reçu. J’avais quinze minutes d’avance. J’ai fait un peu d’humour quand elle a d’abord cru comprendre que j’étais pompier. Elle a souri.

 

Puis, je me suis installĂ© dans la salle d’attente vide oĂč se trouvaient deux stagiaires en pĂ©dicurie-podologie. Peu aprĂšs, ceux-ci sont partis rejoindre un des chirurgiens dans son bureau. De temps Ă  autre, par les portes restĂ©es ouvertes des bureaux, j’entends donc des bouts de conversation. La leur. Et celle que la secrĂ©taire a de temps Ă  autre avec une autre femme qui se trouve dans un des bureaux. L’ambiance est dĂ©tendue. Bien qu’il ait gelĂ© la veille ou l’avant veille et qu’il fasse assez froid dehors, il y a Ă©galement une belle luminositĂ©. En arrivant, j’ai repĂ©rĂ© une boulangerie qui m’a l’air de faire du bon pain. J’y passerai aprĂšs mon rendez-vous.

 

Dans le train Paris-Argenteuil, fin janvier 2021.

 

 

La secrĂ©taire vient de m’apprendre que la chirurgienne que je viens consulter va avoir « quinze minutes de retard Â». J’accepte assez facilement les retards des autres. D’abord parce qu’il m’arrive d’ĂȘtre en retard. Mais aussi parce-que je trouverais idiot d’avoir un accident parce-que l’on se presse pour un rendez-vous pour lequel on est en retard. Ce qui m’importe, c’est, une fois sur place, la disponibilitĂ© que l’on a pour l’autre ou pour son travail. Bien-sĂ»r, Il y a des rendez-vous oĂč il faut ĂȘtre ponctuel ou en avance. Il ne servirait Ă  rien de se rendre Ă  un aĂ©roport en retard et de crier depuis le taxi alors que notre avion a dĂ©collĂ© : « Maintenant, je suis disponible ! Â».

 

Je viens voir cette chirurgienne pour un troisiĂšme avis. En banlieue parisienne, Ă  Cormeilles en Parisis, un chirurgien m’a bien opĂ©rĂ© il  a trois ans. Il est rĂ©putĂ© dans son domaine. Mais chaque fois que je lui pose certaines questions, il ne me rĂ©pond pas vraiment. Je vais le revoir bientĂŽt Ă  Eaubonne. A cause du Covid et de mon emploi du temps qui a changĂ©  en commençant un nouvel emploi, j’ai dĂ» repousser plusieurs fois ma prochaine consultation avec lui.

 

Pendant les vacances de NoĂ«l, j’ai vu un second chirurgien dans une clinique du 16Ăšme arrondissement de Paris. Sympathique, celui-ci a aussi Ă©tĂ© pĂ©dagogue et suffisamment convaincant pour l’opĂ©ration du pied Ă  propos de laquelle je m’interroge. Deux techniques sont possibles. J’avais refusĂ© jusqu’alors l’une des deux techniques. Ce chirurgien m’a donnĂ© des bons arguments. Puis, il m’a invitĂ© Ă  prendre le temps de la rĂ©flexion. J’avais dit Ă  ce chirurgien que je sortais d’une nuit de travail et que j’étais infirmier.  Il a refusĂ© de me rĂ©pondre lorsque je lui ai demandĂ© le coĂ»t de l’opĂ©ration. Le premier chirurgien, lui, m’avait donnĂ© son tarif quand je lui avais posĂ© la question : 400 euros. Une toute petite partie remboursable selon ma mutuelle. Mes consultations avec lui me coĂ»tent entre 50 et 80 euros. C’est dĂ©jĂ  cher pour moi. Mais l’opĂ©ration Ă©tait nĂ©cessaire. Et j’ai prĂ©fĂ©rĂ© mettre le prix pour me garantir la meilleure opĂ©ration possible. PlutĂŽt que de me livrer au premier chirurgien venu.

 

Dans la clinique du 16Ăšme arrondissement, la consultation avec le second chirurgien m’avait coĂ»tĂ© environ 110 euros. Quand j’avais prĂ©sentĂ© ma carte bancaire, la secrĂ©taire m’avait rappelĂ© que l’on pouvait payer uniquement en espĂšces ou par chĂšque ! C’était indiquĂ© ! Il y avait bien un distributeur de billets mais c’était « loin Â» m’avait-t’elle alors rĂ©pondu. Elle allait donc attendre que je lui envoie mon chĂšque par la poste pour m’adresser ensuite ma feuille de soins me permettant d’ĂȘtre remboursĂ©. Partiellement. Puisque ce chirurgien pratique aussi le dĂ©passement d’honoraires.

 

Je ne compte plus toutes ces personnes qui m’ont affirmĂ© qu’un lieu Ă©tait « loin Â» dĂšs lors qu’il s’agit de marcher quelques minutes.

 

J’avais pris soin d’aller tirer de l’argent dans ce DAB qui Ă©tait « loin Â» et de revenir quelques minutes plus tard donner l’argent de la consultation Ă  la secrĂ©taire de cette clinique du 16Ăšme arrondissement.

 

La chirurgienne que je viens voir aujourd’hui dans le 15Ăšme arrondissement de Paris m’a Ă©tĂ© recommandĂ©e par le mĂ©decin du sport fĂ©dĂ©ral que je consulte ces derniers mois. Il m’a dit que l’atout de cette chirurgienne est qu’elle n’a pas :

 

« Le bistouri entre les dents ! Â».

 

Je consulte ce mĂ©decin du sport Ă  Levallois, une ville de banlieue parisienne, dans les Hauts de Seine, le dĂ©partement du 92. Levallois est une ville plutĂŽt cossue. C’est la petite sƓur de Neuilly, dans le 16Ăšmearrondissement. Depuis un peu plus de dix ans, je suis venu habiter Ă  Argenteuil pour me rapprocher de Paris. L’immobilier, dans l’ancien, y Ă©tait plus abordable que lĂ  oĂč j’habitais auparavant Ă  Cergy-le-Haut, une ancienne ville nouvelle plus Ă©loignĂ©e de Paris et plus proche du Vexin. 

 

Ce mĂ©decin du sport de Levallois m’a aussi conseillĂ© un nouveau podologue. J’étais devenu insatisfait du second podologue que je voyais depuis quelques annĂ©es dans la ville de St-Leu la ForĂȘt. 

 

La veille de mon rendez-vous avec cette chirurgienne, j’ai revu ce nouveau podologue dans un cabinet situĂ© prĂšs du jardin du Luxembourg. Pour venir chercher mes nouvelles semelles orthopĂ©diques. La pratique du sport et l’ñge m’ont rendu indispensable l’usage de semelles orthopĂ©diques. On peut aimer les Ɠufs sur le plat. J’ai les pieds plats. C’est moins grave que d’avoir le diabĂšte, un cancer, une psychose, de l’hypertension, des problĂšmes de poids, de dos…. ou le Covid.

Mais, d’un point de vue biomĂ©canique et pratique, avoir les pieds plats, lorsque l’on sollicite son corps sur la terre en faisant du sport,  cela entraĂźne des dĂ©sĂ©quilibres et des tensions de l’appareil locomoteur qui peuvent donner des tendinites, des douleurs musculaires ou ligamentaires. Si j’étais une personne strictement sĂ©dentaire et impermĂ©able au sport, Ă©voluant uniquement dans l’eau, sur l’eau, ou dans les airs,  ou jouant rĂ©guliĂšrement d’un instrument de musique, j’aurais peut-ĂȘtre pu me passer de ces semelles. Mais le sport terrestre fait partie de ma vie. MĂȘme si j’en pratique moins qu’auparavant et moins que je ne le voudrais.

 

 

Pour ce podologue, avec mes nouvelles semelles conçues avec la 3D, une opĂ©ration du pied n’est plus justifiĂ©e. Le cabinet de ce podologue se trouve donc prĂšs du jardin du Luxembourg, Ă  Paris. Cet endroit, pas plus que le 15Ăšmearrondissement ou le 16Ăšme arrondissement de Paris, ou Levallois, ne fait partie de mes foyers de vie.  J’ai beau avoir un travail  et un salaire fixe depuis plus d’une vingtaine d’annĂ©es, je n’en n’ai pas les moyens. J’ai toujours vĂ©cu en banlieue parisienne. Dans une ville oĂč se loger Ă©tait financiĂšrement plus accessible. Lorsque j’entendais parler d’un loyer de 3000-3500 francs en plein Paris pour un appartement de 25 Ă  30 mĂštres carrĂ©s, un montant courant dans les annĂ©es 90, je me comportais comme un cheval refusant mentalement et physiquement de franchir l’obstacle.

 

Je suis allĂ© trĂšs loin dans mon refus et mon ignorance : Il  y a plus de vingt ans, lorsque le prix de l’immobilier Ă  l’achat, Ă  Paris, dans l’ancien, Ă©tait encore prĂ©sentable, j’ai ratĂ© le coche. J’ai prĂ©fĂ©rĂ© jouer la “sĂ©curitĂ©”. Faire un prĂȘt immobilier sur 15 ans pour acheter sur plan dans le neuf un studio de 23 mĂštres carrĂ©s Ă  Cergy-le-Haut, dans le Val d’Oise, une ville que je connaissais et oĂč j’habitais depuis une quinzaine d’annĂ©es. A plus de 45 minutes en transports en commun du jardin du Luxembourg ou du 15 Ăšme arrondissement oĂč j’ai rendez-vous avec cette chirurgienne.

Je me rendais alors Ă  Paris, souvent dans les mĂȘmes endroits, toujours pour mes loisirs ou pour des achats.

Pour le mĂȘme prix que mon studio, un ou deux ans plus tĂŽt,  une de mes amies qui vivait alors Ă  Paris, avait achetĂ© dans le 19Ăšme arrondissement, prĂšs de la Villette, un appartement de 45 mĂštres carrĂ©s, en loi carrez, dans l’ancien, au sixiĂšme et dernier Ă©tage sans ascenseur d’un immeuble. Elle avait fait faire quelques travaux.

 

Elle avait eu une trĂšs bonne intuition. C’était avant le passage Ă  l’euro.

 

A moins d’ĂȘtre « parrainĂ© Â» par quelqu’un de bienveillant et de clairvoyant, lorsque l’on ignore la façon dont tourne l’horloge du monde ou d’une sociĂ©tĂ©, on accumule rapidement plusieurs fuseaux horaires de retard. On prend donc de plus ou moins bonnes dĂ©cisions en s’appuyant sur nos conventions. MĂȘme si l’on est travailleur et passablement intelligent. Et nos dĂ©cisions, lorsqu’elles sont mauvaises, peuvent ĂȘtre de bonnes dĂ©cisions que nous avons prises avec plusieurs fuseaux horaires de retard….    

 

Je ne suis pas riche. Mais, comme beaucoup, je suis travailleur et je peux me lever tĂŽt. Y compris pour effectuer un certain travail non rĂ©munĂ©rĂ©.  On dit qu’il faut aussi faire ce que l’on aime par plaisir et sans attendre pour autant de faire de l’argent avec. J’applique cette convention au moins pour ce blog mais aussi en amitiĂ© et dans mon mĂ©tier d’infirmier en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie : lorsque je m’engage dans mon travail, gĂ©nĂ©ralement,  je ne pense pas Ă  l’argent qui va arriver sur mon compte en banque. Ce n’est pas ma premiĂšre motivation. Et, c’est sans doute, aussi, ce qui, depuis des annĂ©es, m’a lourdement pĂ©nalisĂ©. Pour ne pas dire  “plantĂ©” dans une certaine Ă©volution personnelle et sociale.   

Car, pour ma santĂ©, que j’estime prioritaire, par contre,  j’accepte de mettre le prix lorsque je pars consulter. On est bien capable de lĂącher bien plus d’argent dans une nouvelle paire de sneakers, des Ă©couteurs bluetooth – qui nous rendront peut-ĂȘtre sourds-, un nouveau tĂ©lĂ©phone portable ou pour tout un tas de vĂȘtements et d’objets que l’on utilisera assez peu et que l’on oubliera ensuite. Nous sommes incitĂ©s Ă  ça en permanence.Cela fait partie des conventions de la majoritĂ© d’entre nous. 

Quelques jours avant les fĂȘtes de NoĂ«l 2020, prĂšs des Galeries Lafayette et des Magasins Printemps, Ă  Paris prĂšs de l’OpĂ©ra Garnier.

 

Mais  je ne crois pas non plus que les meilleurs spĂ©cialistes de la santĂ© soient toujours celles et ceux qui nous font payer leurs consultations les plus chĂšres ou qui disposent du matĂ©riel le plus moderne. Mais pour commencer Ă  le comprendre, j’ai d’abord dĂ» passer Ă  la caisse plusieurs fois
.  

D’ailleurs, dans cette clinique du 15Ăšme arrondissement, le chirurgien qui m’avait opĂ©rĂ© il y a trois ans pour 400 euros consulte aussi. Mais un autre jour.

 

Gare de Paris St-Lazare, novembre 2020.

 

 

Plus jeune, en particulier Ă  l’adolescence, et mĂȘme un peu aprĂšs, j’avais tendance Ă  nĂ©gliger tout ce qui est suivi mĂ©dical aprĂšs une blessure sportive. Il est convenu dans la mentalitĂ© de bien des sportifs, qu’il faut ĂȘtre prĂȘt Ă  se faire mal lorsque l’on pratique. Donc, une blessure, ça peut  aussi attendre pour ĂȘtre soignĂ©e ou correctement soignĂ©e. Lorsque j’allais consulter, plus jeune, je ne faisais pas toujours attention au fait que certains mĂ©decins se contentaient d’appliquer des protocoles de traitements.

Avec l’expĂ©rience, plus d’une fois, c’est moi qui ai dĂ» demander la prescription d’un certain nombre de sĂ©ances de kinĂ©sithĂ©rapie en plus du traitement mĂ©dicamenteux censĂ© tout rĂ©soudre par lui-mĂȘme. Je prends le moins de mĂ©dicaments possible.

 

AprĂšs mon intervention chirurgicale du pied il y a trois ans, le chirurgien m’avait prescrit une certaine quantitĂ© d’antalgiques qui aurait permis Ă  un toxicomane de monter un petit commerce. Ou Ă  une personne lambda de peut-ĂȘtre devenir toxicomane. Cette pharmacie aurait aussi pu constituer le dĂ©but d’un trĂ©sor pour de la mĂ©decine de guerre. Il fallait bien compenser l’absence de prĂ©sence mĂ©dicale- et surtout paramĂ©dicale- alors que la personne opĂ©rĂ©e retourne chez elle quelques heures aprĂšs l’intervention chirurgicale.

 

J’avais dĂ» insister auprĂšs de ce chirurgien pour obtenir un certain nombre de sĂ©ances de kinĂ© pour ma rĂ©Ă©ducation. Il Ă©tait persuadĂ© que son intervention chirurgicale se suffisait et que je pouvais reprendre le travail aprĂšs trois semaines d’arrĂȘt. A l’écouter, je me devais seulement de faire ma rĂ©Ă©ducation tout seul chez moi.

 

 Il m’avait fallu deux bonnes semaines d’arrĂȘt de travail supplĂ©mentaires, davantage de sĂ©ances de kinĂ© et en retournant au travail, je boitais encore du fait de la douleur consĂ©cutive Ă  l’opĂ©ration chirurgicale.

La profession infirmiĂšre, aussi, mĂȘme non sportive, peut avoir tendance Ă  se surmener ou Ă  ĂȘtre surmenĂ©e mĂȘme lorsqu’elle devrait lever le pied. Il existe aussi d’autres professions, paramĂ©dicales, ou autres, qui sont soumises durablement aux mĂȘmes conflits de loyautĂ© entre leur sens du Devoir ou du sacrifice et leurs conditions de vie, de travail ou salariales, plutĂŽt dĂ©favorables. C’est peut-ĂȘtre le cas de cette secrĂ©taire qui m’a accueilli pour cette consultation.

Et c’Ă©tait comme ça bien avant l’Ă©pidĂ©mie du Covid. 

 

En venant voir cette chirurgienne ce jeudi, j’aimais, aussi – c’est peut-ĂȘtre un clichĂ©-  l’idĂ©e d’obtenir l’avis d’une femme.

 

Venir en avance m’a donnĂ© le temps d’apprendre le montant de la consultation : 112 euros. DĂ©duction faite de ce que me rembourseraient la sĂ©curitĂ© sociale et ma mutuelle, 93 euros resteraient Ă  ma charge. Le prix de cette consultation, 112 euros, correspond Ă  peu prĂšs Ă  ce que je gagne en une journĂ©e de travail comme infirmier aprĂšs bientĂŽt trente ans d’anciennetĂ©. 

 

Comme j’attends, une jeune femme vient se prĂ©senter au secrĂ©tariat. Elle explique avoir trente minutes de retard. Elle avait rendez-vous Ă  9h15. Il est 9h45. J’avais quant Ă  moi rendez-vous Ă  9h30. Et je suis lĂ  depuis 9h15.

 

Quelques minutes plus tard, la chirurgienne, la cinquantaine, sort de l’ascenseur. Je suis assis presque en face, Ă  cĂŽtĂ© du secrĂ©tariat. La secrĂ©taire lui dit bonjour en l’appelant par son prĂ©nom alors qu’elle file vers un bureau. Bureau oĂč elle est bientĂŽt rejointe par la secrĂ©taire. Je l’entends donner des nouvelles de sa fille qui  vient d’emmĂ©nager avec son copain. «  C’est bien Â» conviennent, ravies, la secrĂ©taire avec l’autre femme qui Ă©tait dĂ©jĂ  prĂ©sente dans un des bureaux Ă  mon arrivĂ©e.

 

 

La chirurgienne reparaĂźt quelques minutes plus tard. Elle appelle la personne qui est arrivĂ©e avec trente minutes de retard. Laquelle se lĂšve et va Ă  la rencontre de la chirurgienne. Je la laisse partir. Je me lĂšve alors calmement. Je viens annoncer Ă  la secrĂ©taire, revenue Ă  sa place, que je m’en vais.

 

Bien que je n’aie ni la tĂȘte et ni la voix de Serge Gainsbourg, il faut quelques secondes Ă  la secrĂ©taire pour rassembler l’information que je viens de lui donner.  Alors,  je l’aide avec mes mots qui ne deviendront jamais un tube Ă  la radio :

 

«  J’ai passĂ© trois quarts d’heure dans les transports en commun pour venir. Je suis arrivĂ© avec 15 minutes d’avance. Madame arrive avec 20 minutes de retard et prend une personne qui est arrivĂ©e aprĂšs moi
. Â».

 

La secrĂ©taire,  demi-sourire gĂȘnĂ©, je crois qu’elle a subitement chaud au visage, reste  professionnelle et pĂ©dagogue. Et m’explique :

 

« Oui, j’ai bien vu que vous veniez de loin. 
c’est une patiente qui avait rendez-vous avant vous
. Â». Je lui fais comprendre que cet argument, pour moi, ne tient pas. Elle n’insiste pas :

 

« Je le lui dirai. Je vous laisse rappeler pour reprendre rendez-vous ? Â».

 

« Peut-ĂȘtre, peut-ĂȘtre pas ! Â». Puis, je m’en vais en prenant le temps de passer aux toilettes auparavant.

 

 

 

Confinement doré

 

Dans le train Paris-Argenteuil, fin janvier 2021.

Depuis le dĂ©but de l’épidĂ©mie du Covid, nous nous plaignons du couvre-feu, du confinement. Et, nous avons raison de nous plaindre de la perte de libertĂ©s occasionnĂ©e – ou justifiĂ©e- par l’épidĂ©mie. Je pense Ă  certains lieux obligĂ©s de rester fermĂ©s telles que les salles de cinĂ©ma, les musĂ©es et les salles de thĂ©Ăątre dont nous avons aussi besoin.  Comme certains lieux de pratique sportive. Voire, de restauration…

 

 

A cĂŽtĂ© de ça, pour moi, la secrĂ©taire et la chirurgienne de cette clinique, au moins, et toutes les personnes qui leur ressemblent, femmes comme hommes, vivent dans un monde confinĂ©. Dans un confinement dorĂ©. Et cela n’est pas dĂ» Ă  l’épidĂ©mie du Covid. C’était dĂ©jĂ  comme ça avant l’épidĂ©mie du Covid.

Je n’ai pas de problĂšme particulier, au dĂ©part, avec le fait de parcourir un certain nombre de kilomĂštres ou de passer un certain temps dans les trajets pour me rendre quelque part. Si j’ai une bonne raison de m’y rendre. Mais c’est peut ĂȘtre un tort. Et cela peut ĂȘtre une trĂšs mauvaise habitude, le rĂ©sultat de mon Ă©ducation, que j’ai contractĂ©e tĂŽt, avant l’Ăąge adulte et qui consiste en quelque sorte Ă  ĂȘtre capable de se donner, de maniĂšre rĂ©pĂ©tĂ©e, sans compter. Car, selon le type d’interlocuteur ou d’interlocutrice auquel on a affaire, accepter facilement ou comme une Ă©vidence de rĂ©aliser certains efforts- et trouver cela normal de maniĂšre implicite- crĂ©Ă© d’emblĂ©e un handicap ou un rapport de dominĂ©-dominant. Cela revient Ă  se brader mĂȘme si on vous parlera de “gentillesse” ou de “gĂ©nĂ©rositĂ©” vous concernant :

Dans le monde confinĂ© de cette secrĂ©taire ou de cette chirurgienne, dans leur royaume, il est « normal Â» de faire attendre des patients. De disposer d’eux.  Et de les faire raquer ensuite. Il y a bien d’autres fois oĂč je l’ai acceptĂ©.

 

J’accepte que la chirurgienne ait eu une bonne raison d’ĂȘtre en retard. J’aurais mĂȘme acceptĂ© qu’elle prenne le temps de se rendre aux toilettes ou de se laver les mains si elle en avait eu envie ou besoin.

 

Par contre, j’ai plus de mal Ă  digĂ©rer l’absence de bonjour de cette chirurgienne en arrivant aprĂšs quinze Ă  vingt minutes de retard. Pour une consultation Ă  112 euros. Or, cette absence de « bonjour Â» d’une professionnelle de la santĂ© qui passe devant la salle d’attente de son lieu de consultations est aussi une convention trĂšs courante.

 

Pour moi, l’ambition de la secrĂ©taire ne doit pas se limiter au fait de pouvoir appeler la chirurgienne par son prĂ©nom. Si elle peut appeler la chirurgienne par son prĂ©nom, alors, elle est aussi capable de faire valoir Ă  cette chirurgienne le fait que j’étais le patient Ă  voir d’abord. Mais il y a une telle habitude Ă  ce que les gens qui viennent consulter s’en tiennent Ă  certaines conventions de prosternation totale devant des professionnels de la santĂ©.

 

Pourtant, je n’ai rien de particulier contre les chirurgiens et les mĂ©decins. Et, j’ai Ă©tĂ© trĂšs frĂ©quentable. Voire sans doute trop frĂ©quentable. Car j’ai respectĂ© certaines conventions de politesse et de diplomatie. D’autres personnes, plus « nerveuses Â» ou plus « fiĂšres Â»,  Ă   ma place, auraient retournĂ© la salle d’attente.

 

Visiblement, cette secrĂ©taire et cette chirurgienne ne connaissent pas cette vie-lĂ . OĂč un certain manque de considĂ©ration peut se payer cash. Leur confinement est un confinement dorĂ©.

 

Je n’attends aucun changement particulier dans leurs conventions de pensĂ©es. Je suis sĂ»rement passĂ© pour un « caractĂ©riel Â» ou pour quelqu’un qui ne sait pas vivre.

 

En sortant de la clinique, je me suis rendu Ă  la boulangerie que j’avais repĂ©rĂ©e en arrivant. Les baguettes traditions que j’ai achetĂ©es y sont vraiment bonnes.

Puis, j’en ai profitĂ© pour marcher jusqu’à apercevoir la Tour Eiffel.

 

FĂ©vrier 2021. Non, il ne fait pas froid !

 

J’ai eu une pensĂ©e pour cet homme qui, poussĂ© par ses hallucinations vraisemblablement, s’est rendu Ă  la Tour Eiffel, et s’est mis Ă  errer autour. Lorsque la police, appelĂ©e par un employĂ© de la Tour Eiffel, est arrivĂ©e Ă  quatre heures du matin, l’homme n’a pas pu expliquer la raison de sa prĂ©sence. Il semblait confus, ne pas avoir toute sa tĂȘte, bien que trĂšs calme.

Ensuite, j’ai pris le bus 80 vers St Lazare.

 

En passant prĂšs de Matignon, j’ai pensĂ© Ă  cette femme venue chercher protection auprĂšs du PrĂ©sident Macron. Un mois et demi plus tĂŽt, elle s’était rendue au commissariat pour les mĂȘmes raisons. Mais on ne l’avait pas crue. Alors, cette fois, elle avait dĂ©cidĂ© de s’adresser Ă  plus haut. Elle craignait pour sa vie. Elle Ă©tait «  Un TrĂ©sor vivant Â» mais personne ne voulait la croire !

Elle avait sur elle sa clé de voiture, ses papiers, son téléphone portable, trois cartes bancaires, deux chéquiers et quelques affaires.

 

Ces deux personnes, on s’en doute, bien que de bonne foi, avaient contre elles d’avoir enfreint les «bonnes Â» conventions. Les conventions oĂč l’on reste Ă  sa place. Et oĂč l’on s’en tient aux horaires et aux lieux oĂč l’on a le droit d’agir et de se comporter d’une certaine façon. Les religions, aussi, peuvent fournir et prescrire leur lot de conventions. La particularitĂ© de certaines conventions, mĂȘme lorsqu’elles nous interdisent de vivre, c’est d’avoir une date de pĂ©remption trĂšs lointaine ou indĂ©finiment renouvelable. 

 

Si j’avais retournĂ© la salle d’attente de cette clinique, peut-ĂȘtre que, comme cet homme et cette femme, j’aurais, moi, aussi, Ă©tĂ© interpelĂ© par les forces de police.

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 18 fĂ©vrier 2021.  

 

 

 

 

 

 

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Une ligne 14 Ă  bloc !

 

Gare de Lyon, ce vendredi 12 fĂ©vrier 2021 au matin, vers 9h10. Cette rame du ligne 14 du mĂ©tro vient d’arriver Ă  la gare de Lyon aprĂšs ĂȘtre restĂ©e immobilisĂ©e trente minutes dans le tunnel. Jusqu’Ă  ce qu’une agent de la RATP parvienne Ă  la conduire manuellement. Cette rame de mĂ©tro va repartir sans passagers.

                                            Une ligne 14 Ă  bloc !

Le Grand Paris, environ trente millions d’habitants, c’est pour bientît. Les Jeux olympiques de 2024 en France, et ses millions ou ses milliards de visiteurs, ses heures de retransmissions et ses pubs, encore plus tît.

 

Si cette date est retenue. Si nous avons le droit de sortir.

 

Les pharaons d’Egypte, en exploitant et en tuant dans l’oeuf des  quantitĂ©s indĂ©nombrables d’ouvriers, ont entre-autres laissĂ© des pyramides qu’aujourd’hui, nous admirons. Car elles sont bien plus cĂ©lĂšbres que tous ces clandestins, aujourd’hui disparus, qui auront contribuĂ© Ă  leur Ă©lĂ©vation.

 

Nous, pour nos grands projets, nous avons besoin de transports en commun ad hoc. Et, peu importe que nous soyons anonymes. Pourvu que ça roule dans la farine.

 

Pour cela, nous pouvons compter sur la Ligne 14 entiĂšrement automatisĂ©e. La ligne 14, ça fuse ! Et ça ne se refuse pas. Depuis la gare St Lazare, la ligne 14 a Ă©tĂ© bien des fois mon arme de rĂ©duction temporelle pour aller dans les salles de cinĂ©ma.

Mais depuis plusieurs mois, les cinĂ©mas et les salles de thĂ©Ăątre sont fermĂ©es, remplacĂ©es par les festivals pandĂ©mie, vaccins, couvre-feu et confinement qui s’opposent aux rapprochements humains. Heureusement que des bibliothĂšques et des librairies sont ouvertes ou ont rouvert pour compenser un peu ce traitement au scalpel – sans anesthĂ©sie- que subissent  bien des espaces culturels.

 

Pour le bien-ĂȘtre de l’économie, il a aussi Ă©tĂ© plus rapidement permis de s’attrouper  de nouveau aux heures de pointe dans les transports en commun parisiens. Comme ce matin, ce vendredi 12 fĂ©vrier 2021, ou, aprĂšs une nuit de travail de douze heures, je me dirige vers la ligne 14 Ă  la station Bercy. La tempĂ©rature extĂ©rieure est alors d’environ -1 degrĂ©. Nous connaissons une vague de froid depuis deux Ă  trois jours.

 

Mon rĂȘve, alors qu’il est prĂšs de 8h30, en finir au plus vite avec ce trajet jusqu’à Paris St Lazare. Puis, lĂ , prendre mon train de banlieue. J’aurais bien-sĂ»r prĂ©fĂ©rĂ© vivre dans un appartement avec vue dĂ©gagĂ©e sur la Pyramide du Louvre. Mais on fait ce que l’on peut. MĂȘme si c’est sĂ»rement de ma faute si j’ai ratĂ© une bonne partie de ma vie. Je n’avais qu’à choisir de devenir pharaon au lieu de manquer d’ambition. Quand on veut, on peut.

 

Faute d’ambition, je me contente ce matin d’avoir une place assise dans la ligne 14. Et de me dire que dans dix minutes, je marcherai vers le grand hall de la gare St Lazare.  C’est un bon dĂ©but vers mon destin de moins que rien.

 

Mais j’ai Ă  peine imaginĂ© ce scĂ©nario de film de sĂ©rie V que le mĂ©tro de la ligne 14 se bloque sur les rails en plein tunnel. Sans doute la ligne 14 a-t’elle Ă©tĂ© vexĂ©e par mes pensĂ©es indignes. Parce-que, trĂšs vite, je me fais la remarque que, premiĂšre lame des rails pendant des annĂ©es, la ligne 14 semble ĂȘtre devenue un second couteau alors qu’elle dessert, depuis quelques semaines maintenant, les nouvelles stations Sanofi,  4 milliards, Actionnaires, et Vaccin anti-Covid prĂ©vu pour la fin de l’annĂ©e. Heureusement qu’elle ne dessert pas en plus les stations Pfizer, Moderna, Astrazeneca, Sputnik V, Masque chirurgical. Mais ça viendra sĂ»rement.  Chaque pirogue en son temps. Mais comme c’était mieux, lorsque la Ligne 14 avait Paris St Lazare pour dĂ©part et terminus.

 

 

Assez rapidement, une voix Off nous informe que nous sommes arrĂȘtĂ©s. Cette voix  nous quittera seulement lorsqu’une femme agent de la RATP viendra nous rejoindre afin de conduire « manuellement Â» la superbe ligne 14.

 

Heureusement, notre sauveuse arrive assez rapidement. Cela fait alors environ quinze minutes que nous sommes dans l’au-delĂ  des rails. LĂ  oĂč je suis, pratiquement en tĂȘte du mĂ©tro, au niveau des troisiĂšmes portes, personne ne panique. Tout le monde reste calme mĂȘme s’il semblerait qu’une personne essaie, sans insister, d’ouvrir les portes. L’agent de la RATP lui demande de ne rien en faire. L’homme avorte sa tentative.

 

Un autre passager s’avance pour prendre une photo puis retourne Ă  sa place. Une autre passagĂšre, assise en face de moi, prĂ©vient qu’elle sera en retard pour son rendez-vous de 9h. Il lui est proposĂ© un autre rendez-vous Ă  11h15.

 

Avant de me dĂ©cider pour la ligne 14, j’avais testĂ© d’autres itinĂ©raires. Depuis deux Ă  trois semaines, j’ai l’impression que les dĂ©fauts techniques dans les transports en commun se multiplient. Ligne J, Ligne 6 du mĂ©tro. Une amie m’a parlĂ© de la ligne B du RER. L’usure due Ă  la pandĂ©mie semble avoir gagnĂ© le matĂ©riel qui nous transporte. Or, les transports en commun, lorsqu’ils permettent Ă  des femmes, des enfants et des hommes, de se rendre d’un point vers un autre, afin d’accomplir leur mission, leur travail ou un projet quelconque, deviennent l’équivalent du systĂšme sanguin d’une sociĂ©tĂ©.

Si le systĂšme sanguin d’une sociĂ©tĂ© se bloque, celui-ci peut finir par se dĂ©tĂ©riorer. Car il a besoin d’échanges entre son intĂ©rieur et l’extĂ©rieur. D’une certaine fluiditĂ© comme d’une certaine mobilitĂ©. Une sociĂ©tĂ© qui se fige peut ainsi finir par se retrouver sous dialyse ou sous galĂšre.

 

 

AprĂšs quinze minutes d’échanges d’un certain nombre de protocoles et de procĂ©dures techniques avec son collĂšgue- ou son supĂ©rieur- l’employĂ©e de la RATP rĂ©ussit Ă  redonner un Ă©lan vital au mĂ©tro de la ligne 14. On dirait Sigourney Weaver aux commandes d’un vaisseau dans Alien.  La gare de Lyon, et la sortie du tunnel, n’était pas si loin que ça, finalement. L’état de choc du mĂ©tro de la ligne 14 aura durĂ© trente minutes.

 

Des applaudissements justifiĂ©s saluent la rĂ©ussite de l’agent de la RATP. AprĂšs ça, il  faut trouver un itinĂ©raire bis. Pour moi, ça sera la ligne A du RER jusqu’à OpĂ©ra. Puis, je prĂ©fĂšre marcher jusqu’à la gare St Lazare.

Gare de Lyon, ligne 14 ce vendredi 12 février 2021 vers 9h10. AprÚs avoir réussi à rejoindre la gare de Lyon, il nous est demandé de descendre et de prendre un autre itinéraire pour la suite de notre voyage. Le temps que le trafic de la ligne 14 vers St Ouen reprenne.

 

Contraint Ă  lĂ©zarder avec d’autres dans le mĂ©tro immobilisĂ©, j’ai repensĂ© au vĂ©lo pliant que j’avais commandĂ© la semaine derniĂšre. Car j’en avais assez de dĂ©pendre de ces « dĂ©fauts techniques Â» rĂ©pĂ©tĂ©s. En moins d’un mois, j’estime avoir rencontrĂ© plus de dĂ©convenues dues Ă  des ” dĂ©fauts techniques” liĂ©s aux transports en communs qu’en plusieurs annĂ©es de trajets. NĂ©anmoins, un de mes nouveaux collĂšgues, adepte de la ligne 13 du mĂ©tro, m’avait dit que je m’étais un peu trop prĂ©cipitĂ©. J’avais commencĂ© Ă  me dire que partir plus tĂŽt de chez moi permettait d’échapper Ă  ce genre de dĂ©sagrĂ©ment. Et, ce collĂšgue avait mĂȘme rĂ©ussi Ă  me convaincre de recommencer Ă  prendre la ligne 13, une ligne de mĂ©tro dont j’ai choisi de limiter l’usage au strict minimum pendant des annĂ©es. Au point de presque exclure son existence de ma mĂ©moire.  Alors que la ligne 13, lorsqu’elle marche, est en effet rapide.

Mais tout usager de la ligne 13 connait sa rĂ©putation de ligne souvent marquĂ©e par les arrĂȘts pour causes techniques ou de sur-encombrement. Sans oublier la “culture” de pickpocket qui lui est accolĂ©e. Mais l’extension de la ligne 14 a aussi pour but d’allĂ©ger la ligne 13. Et, je me suis dit que ce collĂšgue avait finalement raison. En prenant la ligne 13, cela s’Ă©tait bien passĂ©.  Jusqu’Ă  ce que je m’aperçoive qu’un autre collĂšgue, un mordu de la ligne 14, avait pu mettre encore moins de temps que moi pour son trajet. 

 

 Mais maintenant
..

Gare de Lyon, ce vendredi 12 fĂ©vrier 2021. Le trafic est interrompu jusqu’Ă  environ 9h15 sur la ligne 14 du mĂ©tro du fait de l’impair technique que nous avons connu pendant trente minutes. Il est donc demandĂ© aux voyageurs que l’on voit en haut d’attendre la reprise du trafic de la ligne 14 vers la Porte de St Ouen.

 

Franck Unimon, ce vendredi 12 février 2021.

 

 

 

 

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Tu ressembles à ça ?!

 

 

J’ai aperçu son visage grĂące Ă  la porte entre-ouverte de son bureau. C’était la premiĂšre fois que je le voyais vraiment. Lui et tous les autres se connaissaient depuis des annĂ©es. Mais, moi, le petit nouveau, je les dĂ©couvrais tous Ă  cette Ă©poque des masques. Cela faisait Ă  peine un mois que j’étais avec eux, et ce que je voyais, c’étaient des yeux, des fronts, des cheveux et assez peu de visages sauf, bien-sĂ»r, au moment des repas. Pour ceux que je partageais avec certaines et certains d’entre eux. Ou Ă©pisodiquement lors de certaines pauses.

 

Je devais avoir presque dix ans, lorsque je me suis avancĂ© pour lui dire :

 

« Ah ? Tu ressembles Ă  ça ?! Â». Il Ă©tait prĂšs de 19H. Comme la veille, pour dĂ©buter cette journĂ©e qui allait se terminer vers 20h, je m’étais levĂ© Ă  5h50. Et, jusque lĂ , tout s’était bien passĂ© avec l’ensemble des personnes et des situations rencontrĂ©es.

 

AprĂšs avoir dit ça, je suis restĂ© lĂ , sur le seuil. Il Ă©tait seul, assis derriĂšre son bureau. Il n’avait pas l’air occupĂ©. Quelques jours plus tĂŽt, lors de notre premiĂšre rencontre oĂč il avait optĂ© pour garder son masque alors que je dĂ©jeunais, ça s’était passĂ© de façon dĂ©tendue. J’avais fait de l’humour Ă  propos de son refus de se dĂ©couvrir. J’avais mentionnĂ© l’importance de prĂ©server sa pudeur. Il l’avait bien pris.

 

Il a commencĂ© Ă  m’expliquer plutĂŽt sĂ©rieusement qu’il s’était laissĂ© pousser la moustache. C’était comme une sorte de confession que je ne demandais pas. J’ai compris qu’il n’était pas trĂšs satisfait du rĂ©sultat. Mais qu’il avait fait de son mieux. Et puis, il a tiquĂ© sur le terme : « Tu ressembles Ă  ça ?! Â». J’ai aussitĂŽt rĂ©cupĂ©rĂ© toutes mes annĂ©es. Je n’avais pas dix ans. J’étais dans mon nouvel emploi depuis Ă  peine un mois. Et, j’y faisais connaissance avec un nouvel environnement ainsi qu’avec une bonne cinquantaine de nouvelles et de nouveaux collĂšgues. DĂšs les dĂ©buts, j’avais dĂ©jĂ  entendu parler de Radio Langue de pute, qui, ici, Ă©mettait sur bien des frĂ©quences comme partout. Sauf qu’ici, les frĂ©quences affleuraient davantage au grand jour. Le matin, un collĂšgue qui terminait sa nuit, proche de la retraite, que je croisais pour la premiĂšre fois, m’avait dit avec le sourire :

 

« J’ai entendu parler de toi. Tu verras, ici, c’est une petite famille
. (sous-entendu : tout se sait rapidement et les ragots sont fournis avec le wifi et la fibre optique intĂ©grĂ©s) Â».

 

Debout, de l’autre cĂŽtĂ© du bureau de ce nouveau collĂšgue, je l’ai regardĂ© buter sur ce que je venais de dire. Nos propos peuvent ĂȘtre bilingues ou trilingues. Mais il Ă©tait trop tard pour que je me reprenne. Ni lui ni moi n’avions dix ans. Je savais pertinemment qu’isolĂ© et pris au pied de la lettre, le terme « Ă§a Â» pouvait ĂȘtre dĂ©gradant. Mais ce n’était pas mon intention en disant « Ă§a Â». Et le contexte avait aussi son importance :

 

Hormis nos proches et celles et ceux que nous connaissions dĂ©jĂ  avant la pandĂ©mie du covid et l’épopĂ©e des masques que nous vivons depuis plusieurs mois, notre cerveau compose une certaine image avec le peu que nous voyons du visage des autres. Le dĂ©calage est frĂ©quent mais il nous apprend quelque chose sur notre perception- imparfaite-  et immĂ©diate de notre environnement.  Et ce n’est pas une histoire de manque d’intĂ©rĂȘt.

 

Un peu plus tĂŽt, ce jour-lĂ , je crois, alors qu’elle dĂ©jeunait, j’avais vu de profil une personne que j’avais vue jusque lĂ  seulement de face. Mais que je connaissais uniquement porteuse d’un masque. En la voyant dĂ©masquĂ©e pour la premiĂšre fois alors qu’elle mangeait devant moi, je m’étais demandĂ© si c’était bien la mĂȘme personne. Alors que je savais que c’était  elle ! Je pensais, pourtant, l’avoir plus d’une fois plus que que bien regardĂ©e :

 

Je l’avais rencontrĂ©e lors de mes trois entretiens de prĂ©-embauche, elle comme moi portant notre masque.  Je la trouvais plutĂŽt sympathique. Elle Ă©tait dĂ©sormais ma supĂ©rieure hiĂ©rarchique en chef.

 

 

Mais impossible de parler de ça Ă  mon nouveau collĂšgue. J’étais trop imbibĂ© par ce qui Ă©tait en train de se dĂ©rouler. D’autant qu’à deux reprises, pour essayer de dĂ©samorcer le malentendu, j’avais baissĂ© mon propre masque et lui avais dit avec le sourire :

 

« Moi, je ressemble Ă  ça ! Â».

 

 A le voir continuer de rĂ©gurgiter ma phrase « Tu ressembles Ă  ça ?! Â», je me suis dit :

 

Soit cet homme, toute sa vie durant, a aspirĂ© Ă  s’élever socialement.

Soit, malgrĂ© son envergure, il a toujours eu une mauvaise image de lui. Et moi, le « jeune Â» nouveau  collĂšgue, en moins de dix secondes, j’avais Ă©crabouillĂ© tout ça.

 

 

Je n’avais pas rĂȘvĂ© de lui  par la suite. Mais j’allais savoir assez vite lorsque je retournerais au travail si Radio Langue de pute avait lancĂ© un avis de recherche Ă  mon sujet. Ou si une vendetta Ă©tait en cours me concernant.

 

Des histoires de vengeance peuvent se décider pour bien moins que ça.

 

Franck Unimon, ce mardi 9 février 2021.

 

 

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Pourtant, je ne lui voulais aucun mal.

 

 

Nous nous sommes revus tout Ă  fait par hasard. J’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© mais aussi content de le revoir.

Je l’ai appelĂ© par son prĂ©nom pour ĂȘtre sĂ»r.

 

FĂ©lix ?

 

Il a approuvé, assis au milieu de deux ou trois inconnus.

Je me suis avancĂ© vers lui. Ils n’existaient plus ou alors seulement comme assistants de cette rencontre.

 

Enthousiaste, j’ai dĂ©bitĂ© le peu dont je me rappelais. FĂ©lix a souri. Son sourire Ă©tait un feuilletĂ© d’embarras, de sĂ©nilitĂ© et de surprise. C’était le sourire de celui qui regrettait. Pourtant, je ne lui voulais aucun mal. 

FĂ©lix regrettait, quinze ans plus tĂŽt, d’avoir choisi de m’oublier. Alors que moi, je pouvais encore parler de la marque de sa voiture, du groupe de musique qu’il aimait Ă©couter. Des prĂ©noms de plusieurs femmes avec lesquelles il avait besognĂ©es. LĂ  oĂč il avait travaillĂ©.

Mais, lui, il ne savait rien de moi.

FĂ©lix m’a appris ĂȘtre Ă  la retraite depuis quatre ans. Ensuite, il m’a raccompagnĂ© prudemment vers la sortie. Pourtant, je ne lui voulais aucun mal. On l’a laissĂ© faire.

Nous nous reverrons peut-ĂȘtre dans quinze ans. Et ce sera peut-ĂȘtre moi qui, ce jour-lĂ , fermerai dĂ©finitivement la porte derriĂšre lui. Celle de l’oubli.

 

Franck Unimon, ce mardi 9 février 2021.

 

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Pour les Poissons Rouges

M6

 

                                                                            M6

 

 

Quand elle se présente à vous, elle ne dit ni son nom, ni son ùge. Elle dit seulement :

 

« M6 ».

 

Puis, elle attend.

 

 M6 est une fille simple. C’est une boite Ă  varices sans soutien gorge. Mais peu importe puisqu’elle a le rythme. Elle a compris depuis longtemps que les principes, l’empathie et les compĂ©tences, c’est pour les naĂŻfs et les imbĂ©ciles. Juger et court-circuiter n’empĂȘche pas de rĂ©ussir ni d’ĂȘtre dĂ©sirable.

Bien-sĂ»r, il faut travailler. Mais ce qu’il faut, surtout, c’est sĂ©duire en faisant le bon choix dĂšs le dĂ©part. RepĂ©rer rapidement celles et ceux qui en valent la peine. Quitte Ă  les accoucher dans la douleur. Et dĂ©visager tous les pervers qui essaient de la trainer vers une absence de perspective.

Cette expertise nĂ©cessite d’ĂȘtre Ă  l’écoute et d’avoir l’Ɠil. ça exige beaucoup de concentration et de sang froid tous les jours au moins pendant deux Ă  trois heures.

Heureusement, avec le temps, M6, s’est constituĂ©e un rĂ©seau fiable. Une arche de solidaritĂ© avec des personnes portĂ©es par des valeurs identiques et qui se lĂšvent Ă  la mĂȘme heure qu’elle. Celle de la rĂ©ussite. Les autres peuvent bien rester couchĂ©s ou mourir dĂšs maintenant, ils se lĂšveront toujours au mauvais moment malgrĂ© leurs efforts. Car ils n’ont pas le sens de la rĂ©ussite. Seulement celui de la faillite.

Si M6, vous rappelle quelqu’un, c’est sĂ»rement elle. Bien-sĂ»r, vous aviez bien compris dĂšs le dĂ©but que M6 est un pseudo.

Dans le cas contraire, vous et moi ne faisons pas partie du mĂȘme rĂ©seau et j’aurais perdu mon temps.

Franck Unimon, ce mardi 9 février 2021.