Forum des Halles, FĂ©vrier 2021.
Conventions
Vouloir faire resurgir le passĂ©, câest aspirer au voyage avec le navire coulĂ©.
Ce jour que lâon voit enfin se rapprocher arrive peut-ĂȘtre avec une pierre. Et cette pierre sera pour nous. MĂȘme si lâon a travaillĂ© avec intelligence afin que notre trajectoire sâamĂ©liore.
Il y aura bientĂŽt pire que ce que nous vivons. Je suis dĂ©solĂ© de lâĂ©crire. Ce nâest pas dans mes habitudes dâĂȘtre pessimiste. Et, je ne me sens pas particuliĂšrement pessimiste, ce qui est peut-ĂȘtre pire.
Si la majoritĂ© lâemporte en thĂ©orie, je constate autour de moi que la majoritĂ© nâattend quâune chose. Car, comme la majoritĂ©, je suis trĂšs nombriliste et rĂ©sume le monde Ă ce que je vis et Ă mon entourage immĂ©diat :
Recommencer Ă vivre, aussi vite que possible, comme « avant » lâĂ©pidĂ©mie. Retrouver certaines libertĂ©s.
Forum des Halles, FĂ©vrier 2021.
Les vaccins anti-Covid sont beaucoup attendus parce-que lâon espĂšre quâils vont aussi nous inoculer le passĂ© dâavant lâĂ©pidĂ©mie.
Je « sais » trĂšs bien que des personnes ont perdu leur emploi, vont le perdre ou risquent de le perdre Ă cause du Covid et ses variants. Ainsi quâĂ cause du bizness que font certains labos- et quelques gouvernements- avec les vaccins.
Je « sais » aussi que dâautres personnes sont dĂ©cĂ©dĂ©es, vont dĂ©cĂ©der, ont perdu un proche ou une connaissance ou sont tombĂ©es malades. Et, je peux faire partie dâeux bientĂŽt sans le voir venir mĂȘme si jâai Ă©tĂ© prĂ©venu.
Je mâabstiendrai de comparer ma vie Ă celle dâune personne en prison que ce soit dans un centre pĂ©nitentiaire ou enfermĂ©e dans une maladie mentale et physique. En ce moment, alors que jâĂ©cris, jâai toute latitude pour exposer mon idiotie. Et comme tout idiot, je me rĂ©pands en me croyant un peu original. Je ferais sĂ»rement mieux de faire des mots croisĂ©s ou de regarder une sĂ©rie dans mon coin comme dâautres le font. Dâailleurs, jâai commencĂ© Ă regarder la derniĂšre saison, la cinquiĂšme, de la sĂ©rie Le Bureau des LĂ©gendes crĂ©Ă©Ă© par Eric Rochant. Je nâenvie pas du tout la vie de ces agents secrets qui passent leur temps Ă frĂŽler leur dernier souffle comme Ă se mĂ©fier de tous.
Il y a tellement de dĂ©cisions et dâhabitudes que nous prenons de nous-mĂȘmes depuis des annĂ©es et qui nous verrouillent un peu plus tous les jours. Pour toutes sortes de raisons que nous sortons de notre manche et que nous justifions. Câest notre magie personnelle. Celle qui nous guidait et va continuer de le faire. Comme avant lâĂ©pidĂ©mie. On peut donc comparaitre libre tous les jours et ĂȘtre dĂ©jĂ plus ou moins en prison. Et aussi contribuer Ă emprisonner d’autres personnes autour de nous.
Câest ce que jâappelle des conventions.
Des conventions de pensĂ©e. Des convictions intimes. Des conventions de comportements et dâattitudes envers la vie. LâinconvĂ©nient des conventions â ou des protocoles – câest que mĂȘme si elles sont foireuses, une fois rĂŽdĂ©es, on les laisse nous guider de maniĂšre automatisĂ©e. Puisque la majoritĂ© les adopte ou les accepte, câest donc quâelles sont justifiĂ©es. Et puis, une fois lancĂ©es, il est trĂšs difficile de les arrĂȘter.
Câest bon, pour vous ?!
Ce jeudi matin, la secrĂ©taire de cette clinique du 15Ăšme arrondissement de Paris finalise au tĂ©lĂ©phone la prise dâun nouveau rendez-vous. Elle a la trentaine. Un peu plus tĂŽt, de maniĂšre accueillante, elle mâa reçu. Jâavais quinze minutes dâavance. Jâai fait un peu dâhumour quand elle a dâabord cru comprendre que jâĂ©tais pompier. Elle a souri.
Puis, je me suis installĂ© dans la salle dâattente vide oĂč se trouvaient deux stagiaires en pĂ©dicurie-podologie. Peu aprĂšs, ceux-ci sont partis rejoindre un des chirurgiens dans son bureau. De temps Ă autre, par les portes restĂ©es ouvertes des bureaux, jâentends donc des bouts de conversation. La leur. Et celle que la secrĂ©taire a de temps Ă autre avec une autre femme qui se trouve dans un des bureaux. Lâambiance est dĂ©tendue. Bien quâil ait gelĂ© la veille ou lâavant veille et quâil fasse assez froid dehors, il y a Ă©galement une belle luminositĂ©. En arrivant, jâai repĂ©rĂ© une boulangerie qui mâa lâair de faire du bon pain. Jây passerai aprĂšs mon rendez-vous.
Dans le train Paris-Argenteuil, fin janvier 2021.
La secrĂ©taire vient de mâapprendre que la chirurgienne que je viens consulter va avoir « quinze minutes de retard ». Jâaccepte assez facilement les retards des autres. Dâabord parce quâil mâarrive dâĂȘtre en retard. Mais aussi parce-que je trouverais idiot dâavoir un accident parce-que lâon se presse pour un rendez-vous pour lequel on est en retard. Ce qui mâimporte, câest, une fois sur place, la disponibilitĂ© que lâon a pour lâautre ou pour son travail. Bien-sĂ»r, Il y a des rendez-vous oĂč il faut ĂȘtre ponctuel ou en avance. Il ne servirait Ă rien de se rendre Ă un aĂ©roport en retard et de crier depuis le taxi alors que notre avion a dĂ©collĂ© : « Maintenant, je suis disponible ! ».
Je viens voir cette chirurgienne pour un troisiĂšme avis. En banlieue parisienne, Ă Cormeilles en Parisis, un chirurgien mâa bien opĂ©rĂ© il a trois ans. Il est rĂ©putĂ© dans son domaine. Mais chaque fois que je lui pose certaines questions, il ne me rĂ©pond pas vraiment. Je vais le revoir bientĂŽt Ă Eaubonne. A cause du Covid et de mon emploi du temps qui a changĂ© en commençant un nouvel emploi, jâai dĂ» repousser plusieurs fois ma prochaine consultation avec lui.
Pendant les vacances de NoĂ«l, jâai vu un second chirurgien dans une clinique du 16Ăšme arrondissement de Paris. Sympathique, celui-ci a aussi Ă©tĂ© pĂ©dagogue et suffisamment convaincant pour lâopĂ©ration du pied Ă propos de laquelle je mâinterroge. Deux techniques sont possibles. Jâavais refusĂ© jusquâalors lâune des deux techniques. Ce chirurgien mâa donnĂ© des bons arguments. Puis, il mâa invitĂ© Ă prendre le temps de la rĂ©flexion. Jâavais dit Ă ce chirurgien que je sortais dâune nuit de travail et que jâĂ©tais infirmier. Il a refusĂ© de me rĂ©pondre lorsque je lui ai demandĂ© le coĂ»t de lâopĂ©ration. Le premier chirurgien, lui, mâavait donnĂ© son tarif quand je lui avais posĂ© la question : 400 euros. Une toute petite partie remboursable selon ma mutuelle. Mes consultations avec lui me coĂ»tent entre 50 et 80 euros. Câest dĂ©jĂ cher pour moi. Mais lâopĂ©ration Ă©tait nĂ©cessaire. Et jâai prĂ©fĂ©rĂ© mettre le prix pour me garantir la meilleure opĂ©ration possible. PlutĂŽt que de me livrer au premier chirurgien venu.
Dans la clinique du 16Ăšme arrondissement, la consultation avec le second chirurgien mâavait coĂ»tĂ© environ 110 euros. Quand jâavais prĂ©sentĂ© ma carte bancaire, la secrĂ©taire mâavait rappelĂ© que lâon pouvait payer uniquement en espĂšces ou par chĂšque ! CâĂ©tait indiquĂ© ! Il y avait bien un distributeur de billets mais câĂ©tait « loin » mâavait-tâelle alors rĂ©pondu. Elle allait donc attendre que je lui envoie mon chĂšque par la poste pour mâadresser ensuite ma feuille de soins me permettant dâĂȘtre remboursĂ©. Partiellement. Puisque ce chirurgien pratique aussi le dĂ©passement dâhonoraires.
Je ne compte plus toutes ces personnes qui mâont affirmĂ© quâun lieu Ă©tait « loin » dĂšs lors quâil sâagit de marcher quelques minutes.
Jâavais pris soin dâaller tirer de lâargent dans ce DAB qui Ă©tait « loin » et de revenir quelques minutes plus tard donner lâargent de la consultation Ă la secrĂ©taire de cette clinique du 16Ăšme arrondissement.
La chirurgienne que je viens voir aujourdâhui dans le 15Ăšme arrondissement de Paris mâa Ă©tĂ© recommandĂ©e par le mĂ©decin du sport fĂ©dĂ©ral que je consulte ces derniers mois. Il mâa dit que lâatout de cette chirurgienne est quâelle nâa pas :
« Le bistouri entre les dents ! ».
Je consulte ce mĂ©decin du sport Ă Levallois, une ville de banlieue parisienne, dans les Hauts de Seine, le dĂ©partement du 92. Levallois est une ville plutĂŽt cossue. Câest la petite sĆur de Neuilly, dans le 16Ăšme arrondissement. Depuis un peu plus de dix ans, je suis venu habiter Ă Argenteuil pour me rapprocher de Paris. L’immobilier, dans l’ancien, y Ă©tait plus abordable que lĂ oĂč j’habitais auparavant Ă Cergy-le-Haut, une ancienne ville nouvelle plus Ă©loignĂ©e de Paris et plus proche du Vexin.
Ce mĂ©decin du sport de Levallois mâa aussi conseillĂ© un nouveau podologue. JâĂ©tais devenu insatisfait du second podologue que je voyais depuis quelques annĂ©es dans la ville de St-Leu la ForĂȘt.
La veille de mon rendez-vous avec cette chirurgienne, jâai revu ce nouveau podologue dans un cabinet situĂ© prĂšs du jardin du Luxembourg. Pour venir chercher mes nouvelles semelles orthopĂ©diques. La pratique du sport et lâĂąge mâont rendu indispensable lâusage de semelles orthopĂ©diques. On peut aimer les Ćufs sur le plat. Jâai les pieds plats. C’est moins grave que d’avoir le diabĂšte, un cancer, une psychose, de l’hypertension, des problĂšmes de poids, de dos…. ou le Covid.
Mais, dâun point de vue biomĂ©canique et pratique, avoir les pieds plats, lorsque lâon sollicite son corps sur la terre en faisant du sport, cela entraĂźne des dĂ©sĂ©quilibres et des tensions de lâappareil locomoteur qui peuvent donner des tendinites, des douleurs musculaires ou ligamentaires. Si jâĂ©tais une personne strictement sĂ©dentaire et impermĂ©able au sport, Ă©voluant uniquement dans l’eau, sur l’eau, ou dans les airs, ou jouant rĂ©guliĂšrement d’un instrument de musique, jâaurais peut-ĂȘtre pu me passer de ces semelles. Mais le sport terrestre fait partie de ma vie. MĂȘme si j’en pratique moins qu’auparavant et moins que je ne le voudrais.
Pour ce podologue, avec mes nouvelles semelles conçues avec la 3D, une opĂ©ration du pied nâest plus justifiĂ©e. Le cabinet de ce podologue se trouve donc prĂšs du jardin du Luxembourg, Ă Paris. Cet endroit, pas plus que le 15Ăšme arrondissement ou le 16Ăšme arrondissement de Paris, ou Levallois, ne fait partie de mes foyers de vie. Jâai beau avoir un travail et un salaire fixe depuis plus dâune vingtaine dâannĂ©es, je nâen nâai pas les moyens. Jâai toujours vĂ©cu en banlieue parisienne. Dans une ville oĂč se loger Ă©tait financiĂšrement plus accessible. Lorsque jâentendais parler dâun loyer de 3000-3500 francs en plein Paris pour un appartement de 25 Ă 30 mĂštres carrĂ©s, un montant courant dans les annĂ©es 90, je me comportais comme un cheval refusant mentalement et physiquement de franchir lâobstacle.
Je suis allĂ© trĂšs loin dans mon refus et mon ignorance : Il y a plus de vingt ans, lorsque le prix de lâimmobilier Ă lâachat, Ă Paris, dans lâancien, Ă©tait encore prĂ©sentable, jâai ratĂ© le coche. Jâai prĂ©fĂ©rĂ© jouer la “sĂ©curitĂ©”. Faire un prĂȘt immobilier sur 15 ans pour acheter sur plan dans le neuf un studio de 23 mĂštres carrĂ©s Ă Cergy-le-Haut, dans le Val dâOise, une ville que je connaissais et oĂč j’habitais depuis une quinzaine d’annĂ©es. A plus de 45 minutes en transports en commun du jardin du Luxembourg ou du 15 Ăšme arrondissement oĂč jâai rendez-vous avec cette chirurgienne.
Je me rendais alors Ă Paris, souvent dans les mĂȘmes endroits, toujours pour mes loisirs ou pour des achats.
Pour le mĂȘme prix que mon studio, un ou deux ans plus tĂŽt, une de mes amies qui vivait alors Ă Paris, avait achetĂ© dans le 19Ăšme arrondissement, prĂšs de la Villette, un appartement de 45 mĂštres carrĂ©s, en loi carrez, dans lâancien, au sixiĂšme et dernier Ă©tage sans ascenseur dâun immeuble. Elle avait fait faire quelques travaux.
Elle avait eu une trĂšs bonne intuition. CâĂ©tait avant le passage Ă lâeuro.
A moins dâĂȘtre « parrainĂ© » par quelquâun de bienveillant et de clairvoyant, lorsque lâon ignore la façon dont tourne lâhorloge du monde ou dâune sociĂ©tĂ©, on accumule rapidement plusieurs fuseaux horaires de retard. On prend donc de plus ou moins bonnes dĂ©cisions en sâappuyant sur nos conventions. MĂȘme si lâon est travailleur et passablement intelligent. Et nos dĂ©cisions, lorsqu’elles sont mauvaises, peuvent ĂȘtre de bonnes dĂ©cisions que nous avons prises avec plusieurs fuseaux horaires de retard….
Je ne suis pas riche. Mais, comme beaucoup, je suis travailleur et je peux me lever tĂŽt. Y compris pour effectuer un certain travail non rĂ©munĂ©rĂ©. On dit qu’il faut aussi faire ce que l’on aime par plaisir et sans attendre pour autant de faire de l’argent avec. J’applique cette convention au moins pour ce blog mais aussi en amitiĂ© et dans mon mĂ©tier d’infirmier en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie : lorsque je m’engage dans mon travail, gĂ©nĂ©ralement, je ne pense pas Ă l’argent qui va arriver sur mon compte en banque. Ce n’est pas ma premiĂšre motivation. Et, c’est sans doute, aussi, ce qui, depuis des annĂ©es, m’a lourdement pĂ©nalisĂ©. Pour ne pas dire “plantĂ©” dans une certaine Ă©volution personnelle et sociale.
Car, pour ma santĂ©, que j’estime prioritaire, par contre, j’accepte de mettre le prix lorsque je pars consulter. On est bien capable de lĂącher bien plus d’argent dans une nouvelle paire de sneakers, des Ă©couteurs bluetooth – qui nous rendront peut-ĂȘtre sourds-, un nouveau tĂ©lĂ©phone portable ou pour tout un tas de vĂȘtements et d’objets que l’on utilisera assez peu et que l’on oubliera ensuite. Nous sommes incitĂ©s à ça en permanence.Cela fait partie des conventions de la majoritĂ© d’entre nous.
Quelques jours avant les fĂȘtes de NoĂ«l 2020, prĂšs des Galeries Lafayette et des Magasins Printemps, Ă Paris prĂšs de l’OpĂ©ra Garnier.
Mais je ne crois pas non plus que les meilleurs spĂ©cialistes de la santĂ© soient toujours celles et ceux qui nous font payer leurs consultations les plus chĂšres ou qui disposent du matĂ©riel le plus moderne. Mais pour commencer Ă le comprendre, jâai dâabord dĂ» passer Ă la caisse plusieurs foisâŠ.
Dâailleurs, dans cette clinique du 15Ăšme arrondissement, le chirurgien qui mâavait opĂ©rĂ© il y a trois ans pour 400 euros consulte aussi. Mais un autre jour.
Gare de Paris St-Lazare, novembre 2020.
Plus jeune, en particulier Ă lâadolescence, et mĂȘme un peu aprĂšs, jâavais tendance Ă nĂ©gliger tout ce qui est suivi mĂ©dical aprĂšs une blessure sportive. Il est convenu dans la mentalitĂ© de bien des sportifs, quâil faut ĂȘtre prĂȘt Ă se faire mal lorsque lâon pratique. Donc, une blessure, ça peut aussi attendre pour ĂȘtre soignĂ©e ou correctement soignĂ©e. Lorsque jâallais consulter, plus jeune, je ne faisais pas toujours attention au fait que certains mĂ©decins se contentaient dâappliquer des protocoles de traitements.
Avec lâexpĂ©rience, plus dâune fois, câest moi qui ai dĂ» demander la prescription dâun certain nombre de sĂ©ances de kinĂ©sithĂ©rapie en plus du traitement mĂ©dicamenteux censĂ© tout rĂ©soudre par lui-mĂȘme. Je prends le moins de mĂ©dicaments possible.
AprĂšs mon intervention chirurgicale du pied il y a trois ans, le chirurgien mâavait prescrit une certaine quantitĂ© dâantalgiques qui aurait permis Ă un toxicomane de monter un petit commerce. Ou Ă une personne lambda de peut-ĂȘtre devenir toxicomane. Cette pharmacie aurait aussi pu constituer le dĂ©but dâun trĂ©sor pour de la mĂ©decine de guerre. Il fallait bien compenser lâabsence de prĂ©sence mĂ©dicale- et surtout paramĂ©dicale- alors que la personne opĂ©rĂ©e retourne chez elle quelques heures aprĂšs lâintervention chirurgicale.
Jâavais dĂ» insister auprĂšs de ce chirurgien pour obtenir un certain nombre de sĂ©ances de kinĂ© pour ma rĂ©Ă©ducation. Il Ă©tait persuadĂ© que son intervention chirurgicale se suffisait et que je pouvais reprendre le travail aprĂšs trois semaines dâarrĂȘt. A lâĂ©couter, je me devais seulement de faire ma rĂ©Ă©ducation tout seul chez moi.
Il mâavait fallu deux bonnes semaines dâarrĂȘt de travail supplĂ©mentaires, davantage de sĂ©ances de kinĂ© et en retournant au travail, je boitais encore du fait de la douleur consĂ©cutive Ă lâopĂ©ration chirurgicale.
La profession infirmiĂšre, aussi, mĂȘme non sportive, peut avoir tendance Ă se surmener ou Ă ĂȘtre surmenĂ©e mĂȘme lorsqu’elle devrait lever le pied. Il existe aussi d’autres professions, paramĂ©dicales, ou autres, qui sont soumises durablement aux mĂȘmes conflits de loyautĂ© entre leur sens du Devoir ou du sacrifice et leurs conditions de vie, de travail ou salariales, plutĂŽt dĂ©favorables. C’est peut-ĂȘtre le cas de cette secrĂ©taire qui m’a accueilli pour cette consultation.
Et c’Ă©tait comme ça bien avant l’Ă©pidĂ©mie du Covid.
En venant voir cette chirurgienne ce jeudi, jâaimais, aussi â câest peut-ĂȘtre un clichĂ©- l’idĂ©e d’obtenir lâavis dâune femme.
Venir en avance mâa donnĂ© le temps dâapprendre le montant de la consultation : 112 euros. DĂ©duction faite de ce que me rembourseraient la sĂ©curitĂ© sociale et ma mutuelle, 93 euros resteraient Ă ma charge. Le prix de cette consultation, 112 euros, correspond Ă peu prĂšs Ă ce que je gagne en une journĂ©e de travail comme infirmier aprĂšs bientĂŽt trente ans d’anciennetĂ©.
Comme jâattends, une jeune femme vient se prĂ©senter au secrĂ©tariat. Elle explique avoir trente minutes de retard. Elle avait rendez-vous Ă 9h15. Il est 9h45. Jâavais quant Ă moi rendez-vous Ă 9h30. Et je suis lĂ depuis 9h15.
Quelques minutes plus tard, la chirurgienne, la cinquantaine, sort de lâascenseur. Je suis assis presque en face, Ă cĂŽtĂ© du secrĂ©tariat. La secrĂ©taire lui dit bonjour en lâappelant par son prĂ©nom alors quâelle file vers un bureau. Bureau oĂč elle est bientĂŽt rejointe par la secrĂ©taire. Je lâentends donner des nouvelles de sa fille qui vient dâemmĂ©nager avec son copain. « Câest bien » conviennent, ravies, la secrĂ©taire avec lâautre femme qui Ă©tait dĂ©jĂ prĂ©sente dans un des bureaux Ă mon arrivĂ©e.
La chirurgienne reparaĂźt quelques minutes plus tard. Elle appelle la personne qui est arrivĂ©e avec trente minutes de retard. Laquelle se lĂšve et va Ă la rencontre de la chirurgienne. Je la laisse partir. Je me lĂšve alors calmement. Je viens annoncer Ă la secrĂ©taire, revenue Ă sa place, que je mâen vais.
Bien que je n’aie ni la tĂȘte et ni la voix de Serge Gainsbourg, il faut quelques secondes Ă la secrĂ©taire pour rassembler lâinformation que je viens de lui donner. Alors, je lâaide avec mes mots qui ne deviendront jamais un tube Ă la radio :
« Jâai passĂ© trois quarts dâheure dans les transports en commun pour venir. Je suis arrivĂ© avec 15 minutes dâavance. Madame arrive avec 20 minutes de retard et prend une personne qui est arrivĂ©e aprĂšs moiâŠ. ».
La secrĂ©taire, demi-sourire gĂȘnĂ©, je crois quâelle a subitement chaud au visage, reste professionnelle et pĂ©dagogue. Et mâexplique :
« Oui, jâai bien vu que vous veniez de loin. âŠcâest une patiente qui avait rendez-vous avant vousâŠ. ». Je lui fais comprendre que cet argument, pour moi, ne tient pas. Elle nâinsiste pas :
« Je le lui dirai. Je vous laisse rappeler pour reprendre rendez-vous ? ».
« Peut-ĂȘtre, peut-ĂȘtre pas ! ». Puis, je mâen vais en prenant le temps de passer aux toilettes auparavant.
Confinement doré
Dans le train Paris-Argenteuil, fin janvier 2021.
Depuis le dĂ©but de lâĂ©pidĂ©mie du Covid, nous nous plaignons du couvre-feu, du confinement. Et, nous avons raison de nous plaindre de la perte de libertĂ©s occasionnĂ©e â ou justifiĂ©e- par lâĂ©pidĂ©mie. Je pense Ă certains lieux obligĂ©s de rester fermĂ©s telles que les salles de cinĂ©ma, les musĂ©es et les salles de thĂ©Ăątre dont nous avons aussi besoin. Comme certains lieux de pratique sportive. Voire, de restauration…
A cĂŽtĂ© de ça, pour moi, la secrĂ©taire et la chirurgienne de cette clinique, au moins, et toutes les personnes qui leur ressemblent, femmes comme hommes, vivent dans un monde confinĂ©. Dans un confinement dorĂ©. Et cela nâest pas dĂ» Ă lâĂ©pidĂ©mie du Covid. CâĂ©tait dĂ©jĂ comme ça avant lâĂ©pidĂ©mie du Covid.
Je n’ai pas de problĂšme particulier, au dĂ©part, avec le fait de parcourir un certain nombre de kilomĂštres ou de passer un certain temps dans les trajets pour me rendre quelque part. Si j’ai une bonne raison de m’y rendre. Mais c’est peut ĂȘtre un tort. Et cela peut ĂȘtre une trĂšs mauvaise habitude, le rĂ©sultat de mon Ă©ducation, que j’ai contractĂ©e tĂŽt, avant l’Ăąge adulte et qui consiste en quelque sorte Ă ĂȘtre capable de se donner, de maniĂšre rĂ©pĂ©tĂ©e, sans compter . Car, selon le type d’interlocuteur ou d’interlocutrice auquel on a affaire, accepter facilement ou comme une Ă©vidence de rĂ©aliser certains efforts- et trouver cela normal de maniĂšre implicite- crĂ©Ă© d’emblĂ©e un handicap ou un rapport de dominĂ©-dominant. Cela revient Ă se brader mĂȘme si on vous parlera de “gentillesse” ou de “gĂ©nĂ©rositĂ©” vous concernant :
Dans le monde confinĂ© de cette secrĂ©taire ou de cette chirurgienne, dans leur royaume, il est « normal » de faire attendre des patients. De disposer dâeux. Et de les faire raquer ensuite. Il y a bien d’autres fois oĂč je l’ai acceptĂ©.
Jâaccepte que la chirurgienne ait eu une bonne raison dâĂȘtre en retard. Jâaurais mĂȘme acceptĂ© quâelle prenne le temps de se rendre aux toilettes ou de se laver les mains si elle en avait eu envie ou besoin.
Par contre, jâai plus de mal Ă digĂ©rer lâabsence de bonjour de cette chirurgienne en arrivant aprĂšs quinze Ă vingt minutes de retard. Pour une consultation Ă 112 euros. Or, cette absence de « bonjour » dâune professionnelle de la santĂ© qui passe devant la salle dâattente de son lieu de consultations est aussi une convention trĂšs courante.
Pour moi, lâambition de la secrĂ©taire ne doit pas se limiter au fait de pouvoir appeler la chirurgienne par son prĂ©nom. Si elle peut appeler la chirurgienne par son prĂ©nom, alors, elle est aussi capable de faire valoir Ă cette chirurgienne le fait que jâĂ©tais le patient Ă voir dâabord. Mais il y a une telle habitude Ă ce que les gens qui viennent consulter sâen tiennent Ă certaines conventions de prosternation totale devant des professionnels de la santĂ©.
Pourtant, je nâai rien de particulier contre les chirurgiens et les mĂ©decins. Et, jâai Ă©tĂ© trĂšs frĂ©quentable. Voire sans doute trop frĂ©quentable. Car jâai respectĂ© certaines conventions de politesse et de diplomatie. Dâautres personnes, plus « nerveuses » ou plus « fiĂšres », Ă ma place, auraient retournĂ© la salle dâattente.
Visiblement, cette secrĂ©taire et cette chirurgienne ne connaissent pas cette vie-lĂ . OĂč un certain manque de considĂ©ration peut se payer cash. Leur confinement est un confinement dorĂ©.
Je nâattends aucun changement particulier dans leurs conventions de pensĂ©es. Je suis sĂ»rement passĂ© pour un « caractĂ©riel » ou pour quelquâun qui ne sait pas vivre.
En sortant de la clinique, je me suis rendu Ă la boulangerie que jâavais repĂ©rĂ©e en arrivant. Les baguettes traditions que jâai achetĂ©es y sont vraiment bonnes.
Puis, jâen ai profitĂ© pour marcher jusquâĂ apercevoir la Tour Eiffel.
FĂ©vrier 2021. Non, il ne fait pas froid !
Jâai eu une pensĂ©e pour cet homme qui, poussĂ© par ses hallucinations vraisemblablement, sâest rendu Ă la Tour Eiffel, et sâest mis Ă errer autour. Lorsque la police, appelĂ©e par un employĂ© de la Tour Eiffel, est arrivĂ©e Ă quatre heures du matin, lâhomme nâa pas pu expliquer la raison de sa prĂ©sence. Il semblait confus, ne pas avoir toute sa tĂȘte, bien que trĂšs calme.
Ensuite, jâai pris le bus 80 vers St Lazare.
En passant prĂšs de Matignon, jâai pensĂ© Ă cette femme venue chercher protection auprĂšs du PrĂ©sident Macron. Un mois et demi plus tĂŽt, elle sâĂ©tait rendue au commissariat pour les mĂȘmes raisons. Mais on ne lâavait pas crue. Alors, cette fois, elle avait dĂ©cidĂ© de sâadresser Ă plus haut. Elle craignait pour sa vie. Elle Ă©tait « Un TrĂ©sor vivant » mais personne ne voulait la croire !
Elle avait sur elle sa clé de voiture, ses papiers, son téléphone portable, trois cartes bancaires, deux chéquiers et quelques affaires.
Ces deux personnes, on sâen doute, bien que de bonne foi, avaient contre elles dâavoir enfreint les «bonnes » conventions. Les conventions oĂč lâon reste Ă sa place. Et oĂč lâon sâen tient aux horaires et aux lieux oĂč lâon a le droit dâagir et de se comporter dâune certaine façon. Les religions, aussi, peuvent fournir et prescrire leur lot de conventions. La particularitĂ© de certaines conventions, mĂȘme lorsqu’elles nous interdisent de vivre, c’est d’avoir une date de pĂ©remption trĂšs lointaine ou indĂ©finiment renouvelable.
Si jâavais retournĂ© la salle dâattente de cette clinique, peut-ĂȘtre que, comme cet homme et cette femme, jâaurais, moi, aussi, Ă©tĂ© interpelĂ© par les forces de police.
Franck Unimon, ce jeudi 18 février 2021.