Ton appel
Je sais que tu nâappelleras pas. Il me reste suffisamment de luciditĂ©. Mais je continuerai de mâen tenir au mĂȘme emploi du temps. A attendre cet appel. Trois fois par semaine, Ă la mĂȘme heure, je me posterai prĂšs de chez toi. GrĂące au rĂ©sultat dâune filature de prĂ©caution, je sais oĂč. Je ferai trĂšs attention. Si cela sâapprenait, ce serait le dĂ©sastre.
Tout a commencĂ© lorsque nous nous sommes rencontrĂ©s. CâĂ©tait peut-ĂȘtre il y a des annĂ©es maintenant. Au travail ou ailleurs. Cela nâa aucune dâimportance. Il ne sâest rien passĂ© ou dit de particulier. Tu mâas sĂ»rement oubliĂ© depuis comme dâautres avant toi car je fais partie du dĂ©cor. Jâai simplement Ă©tĂ© sensible Ă ton aura. Mais impossible de lâexpliquer. A toi comme Ă qui que ce soit. Je nâai pas envie de dĂ©ranger. Cela ne sert Ă rien dâessayer dâexpliquer. Il faut sĂ©duire, câest tout. Or, moi, je ne sĂ©duis pas.
Dâautres ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© enfermĂ©s pour des situations similaires Ă la mienne. Lorsquâils ont jouĂ© leur va-tout et se sont jetĂ©s Ă lâeau. Ils croyaient quâon les Ă©couterait, quâon les accepterait. Cela a Ă©tĂ© catastrophique ou ridicule. Ils se sont fait humilier.
Je nâai pas cette naĂŻvetĂ©. Moi, je me tais. Je ne me rĂ©pands pas sur lâespace public. Jâen fais une affaire privĂ©e. Personne ne peut me reprocher quoique ce soit tant que je reste Ă ma place. Câest ce que je fais. Je le fais trĂšs bien et tous les jours. Depuis le temps, jâai acquis une certaine expĂ©rience dans ce domaine. Tous les jours, je me polis et me rends irrĂ©prochable. Il nây a que durant cette heure « avec » toi, oĂč, enfin, je suis autrement.
Quâest-ce je te trouve exactement ? Difficile Ă dĂ©finir. Difficile Ă retenir. Je te trouve tout. Câest comme un rĂȘve dĂ©clarĂ© qui ne peut se soustraire Ă mes pensĂ©es. Cette heure avec toi, jâen fais mon affaire. Rien ne doit dĂ©passer. Personne ne doit interfĂ©rer. Pas mĂȘme mes propres peurs. Alors, je prĂ©pare toujours tout Ă lâavance. Je mâentraine mentalement Ă revenir secrĂštement. Pour lâinstant, tu ne vois rien, tu ne sens rien. Enfin, je ne crois pas et câest aussi bien. Câest trĂšs bien comme ça, cette sorte dâentente sans conflit. On peut croire que lâabsence de conflit est synonyme dâennui. Pas pour moi. Je prĂ©fĂšre rester dans mon coin telle une bĂ©quille posĂ©e contre un mur. Ou cĂ©der chaque fois que lâon veut que je me batte ou que lâon me contredit. Je nâai rien Ă perdre et rien Ă prouver non plus. Je veux juste ĂȘtre tranquille avec toi de temps en temps. Et, pour ça, je veux pouvoir ne laisser aucune trace. AprĂšs ça, le reste suivra puisque tout est rĂ©glĂ©. Et quâil suffit de sâen tenir Ă une routine consentie de part et dâautres. Avoir trĂšs peu dâambition mâaide beaucoup. Cela mâĂ©vite bien des dĂ©sillusions. Je ne suis pas comme toutes ces personnes qui attendent beaucoup chaque fois quâelles entreprennent une action. Je me concentre seulement sur cette heure avec toi sur laquelle je veille comme sâil sâagissait dâune fleur qui pousse dans un pot. Je prends soin de la qualitĂ© de la terre, de lâeau que jây mets. Mais aussi de la façon dont je la verse. Il faut ĂȘtre doux et parler dĂ©licatement. Sans brusquer. Câest un bercement de tout mon poids au dessus de toi. Pour lâinstant, tu ne sens rien mais ça viendra. Tu verras.
Franck Unimon, ce mercredi 20 janvier 2021.