LâannĂ©e du Japon
Parler du Japon aujourdâhui depuis la rĂ©gion parisienne peut apparaĂźtre irresponsable et dĂ©placĂ©. Pourtant, nous sommes au mois de juin et cela fait plusieurs jours que je vois et revois que le Japon, lorsque l’Ă©tĂ© sâapproche, redevient subitement une destination touristique attrayante. Ăa et lĂ , le Japon apparait dans les vitrines.
Je sais aussi quâil existe un petit plus quâun effet de mode avec le Japon et que depuis au moins une dizaine dâannĂ©es, la culture nipponne, voire sud corĂ©enne, a ses spĂ©cialistes et ses amateurs au moins parmi les adolescents et les jeunes adultes.
Cependant, en France, il pleut et il fait gris. Certaines personnes diraient mĂȘme que, dĂ©sormais, en France, il fait presque brun.
Car lâAssemblĂ©e nationale, en France, a Ă©tĂ© dissoute par le PrĂ©sident Emmanuel Macron il y a quelques jours aprĂšs la victoire du RN aux Ă©lections europĂ©ennes. Un PrĂ©sident de la RĂ©publique rĂ©Ă©lu, aussi jeune qu’il est devenu impopulaire.
Cinquante pour cent dâĂ©lecteurs se seraient abstenus dâaller voter lors de ces Ă©lections europĂ©ennes. Des Ă©lections lĂ©gislatives vont avoir lieu de maniĂšre anticipĂ©e le 30 juin et le 7 juillet. On ignore encore si, pour la premiĂšre fois, en France, le Rassemblement National (RN), parti dâextrĂȘme droite hĂ©ritier du Front National (FN) co-crĂ©Ă© il y a un demi-siĂšcle par le pionnier de la dynastie Le Pen va parvenir au Pouvoir Politique par la Grande Porte en obtenant le poste de Premier Ministre. Ou si, une fois de plus, le RN va se heurter Ă la muraille de Chine faite de ce refus des Français revenus une nouvelle fois voter par dĂ©faut pour un parti politique de Droite ou de Gauche perçu comme rĂ©publicain, antiraciste et dĂ©mocratique.
A quelques jours du dĂ©but des Jeux Olympiques organisĂ©s en France, on pourrait se croire dans un Ă©pisode de Games of Throne avec les adeptes du RN dans le rĂŽle des revenants dâautant plus inquiĂ©tants quâils ressemblent Ă ces mutants imperturbables vus dans bien des films et dont la volontĂ© de fer se concentre dans lâaction de se multiplier mais aussi de se diversifier. Tandis que les plus irrĂ©ductibles des membres du RN, eux, verraient leurs opposants et leurs contraires comme autant de redoutables envahisseurs dont la principale source de volontĂ© serait de coloniser et dâanĂ©antir la grandeur de lâidentitĂ© nationale française.
Je crois mâĂȘtre fait servir par lâun dâentre eux il y a quelques heures.
Un Yakuza caché ?
Dans ma ville, je passe quelques fois dans une boucherie dans laquelle lâatmosphĂšre et la clientĂšle dĂ©tonnent. Jây entre en Ă©tant assez fascinĂ© mais aussi parce-que je suis un client satisfait.
Dans cette boucherie, on se croirait dans la France des annĂ©es 70 et 80. On semble y rester confinĂ© entre soi mais on y achĂšte de la trĂšs bonne viande plus chĂšre quâailleurs dans la ville.
A tort ou Ă raison, cet endroit mâĂ©voque facilement les trĂšs bons films Dupont Lajoie ou Seul contre tous. Cependant, il faut rester prudent et se mĂ©fier des apparences. MĂȘme si son propriĂ©taire et boucher, tout Ă lâheure, mâa un peu troublĂ©.
Ou provoqué.
Nous Ă©tions seuls dans la boucherie lorsque je me suis laissĂ© aller Ă la familiaritĂ© de lui demander oĂč il avait prĂ©vu de partir en vacances cet Ă©tĂ©. Peut-ĂȘtre parce-que ma tĂȘte lui Ă©tait suffisamment familiĂšre, il mâa rĂ©pondu spontanĂ©ment :
« En Dordogne ».
La Dordogne est une jolie rĂ©gion et la France, un trĂšs beau pays Ă visiter. Cela fait des annĂ©es que la France est un des pays les plus visitĂ©s dans le monde quâil sâagisse de lâHexagone ou de « ses » Ăźles si lâon excepte peut-ĂȘtre la Nouvelle CalĂ©donie depuis plusieurs semaines compte-tenu du climat de guerre civile et de rejet de la politique française qui y a Ă©clos abruptement.
Sauf que le boucher, Maitre en sa boucherie depuis une bonne vingtaine dâannĂ©es, a eu besoin de rajouter :
«⊠Pour faire travailler les FrançaisâŠ. ».
Je me suis contenté de lui répondre, le plus légÚrement possible :
« Si vous pouvezâŠ. ».
Fort heureusement, sa politesse ou son absence de curiositĂ© mâont sauvĂ©. Je nâai pas eu Ă lui annoncer oĂč jâavais prĂ©vu de passer mes vacances, cet Ă©tĂ©.
En effet, ce 8 juillet, soit le lendemain des rĂ©sultats du deuxiĂšme tour de ces Ă©lections lĂ©gislatives provoquĂ©es par le PrĂ©sident Macron suite Ă sa dĂ©cision de dissoudre lâAssemblĂ©e Nationale, je prendrai lâavion pour trois semaines au Japon afin de participer au Masters Tour 2024 crĂ©Ă© et co-organisĂ© une nouvelle fois par LĂ©o Tamaki, expert en AĂŻkido.
Le Japon, câest assez Ă©loignĂ© de la Dordogne.
Mais peut-ĂȘtre que le boucher regarde-tâil tous les soirs des manga Ă son domicile ? Peut-ĂȘtre aussi parle-tâil Japonais couramment dans ses rĂȘves et se rend-tâil tous les ans Ă la Japan Expo ? Peut-ĂȘtre aussi, dans ses hobbies, compte-tâil un Savoir faire de Maitre Pottier japonais ? Ou de Maitre Sushi ? Ou de chanteur KaraokĂ© ?
Rien ne (me) permet, Ă ce jour, de le contester. Peut-ĂȘtre mĂȘme, tous les soirs, se transforme-tâil aussi en Yakuza Ă la façon dont Takeshi Kitano a pu nous les dĂ©crire dans ses films Sonatine ou Hana-Bi pour parler de quelques uns de ses films ?
Peut-ĂȘtre nâest-il quâun samouraĂŻ infiltrĂ© dans une ville de banlieue parisienne, plutĂŽt mal rĂ©putĂ©e, qui a choisi dâendosser lâhabit, la profession et des propos qui peuvent sâapparenter Ă ceux de lâExtrĂȘme Droite pour mieux la combattre Ă la façon dâune taupe tel Tony Leung Chiu-Wai qui, lui, avait infiltrĂ© une triade chinoise dans le film A Toute Epreuve du rĂ©alisateur Hong-Kongais John Woo, son dernier film Ă Hong-Kong avant la rĂ©trocession de celui-ci Ă la Chine et avant son exil pour les Etats-Unis et son film Volte-face avec Nicolas Cage et John Travolta ?
Ces films noirs ou ces polars asiatiques de ces rĂ©alisateurs, et dâautres que je ne cite pas tels Kirk Wong, Johnnie To ou les frĂšres Mak etcâŠ, font partie des classiques pour celles et ceux qui les connaissent ou les ont vus, comme moi, au cinĂ©ma, Ă leur sortie ou en dĂ©calĂ©.
Ces films font aussi partie du passĂ©. MĂȘme si ce passĂ© est prĂ©sent et futur. Et moi, ce que je suis en train de vous Ă©crire ce mardi 18 juin 2024 appartient aussi au passĂ©. Car si mon dĂ©part pour le Japon, cette annĂ©e, est prĂ©vu pour le 8 juillet, soit dans trois semaines, il sâagira aussi de mon « retour » au Japon aprĂšs mon premier voyage, lĂ -bas, en 1999. Un retour souhaitĂ© dĂšs cette annĂ©e-lĂ .
En 1999, lors de mon premier sĂ©jour au Japon, jâĂ©tais imprĂ©gnĂ© de cinĂ©ma en version originale sous-titrĂ©e et de cinĂ©ma asiatique. Au point de beaucoup mâidentifier aux Japonais.
Nous ne sommes pas des japonais
« Vous nâĂȘtes pas des Japonais ! » nous avait nĂ©anmoins assĂ©nĂ© Vanessa, – tel un ippon- une de nos camarades- et Française- de notre cours de Judo, au gymnase, rue Michel Lecomte, tant nous singions certaines caractĂ©ristiques japonaises.
Nous, câĂ©tait Manu, un de mes amis Français, rencontrĂ© sur le tatamis du club, et moi, Français dâorigine antillaise.
Elle avait raison.
Depuis notre naissance en rĂ©gion parisienne jusquâĂ cette dĂ©claration, Manu et moi nâavions jamais rien eu de bridĂ©. Nous avions achetĂ© nos kimonos de judo en France. Nous pratiquions le Judo en France. Notre professeur de Judo, Pascal Fleury, grand frĂšre de la championne olympique Cathy Fleury, Ă©tait dâorigine italienne.
Lorsque Manu et moi, nous allions- quelques fois- dans des restaurants asiatiques, câĂ©tait Ă Paris ou en banlieue parisienne. Et, lorsque nous voyions ou rencontrions beaucoup dâAsiatiques, câĂ©tait surtout projetĂ©s sur un grand Ă©cran de cinĂ©ma, sur lâĂ©cran dâun tĂ©lĂ©viseur ou dans les ouvrages d’une librairie.
Pour moi, en devenant adulte, je crois que le Japon avait pris la place que les Etats-Unis, enfant puis adolescent, avaient pu avoir. Celle dâun pays dont lâHistoire et les ĂȘtres avaient des destinĂ©es fantastiques. Lorsque lâon est nĂ© en banlieue parisienne, dans un milieu social moyen, que lâon a dâabord grandi dans une citĂ©, et que nos parents, bien que « Français », sont des Antillais qui ont dĂ» venir vivre en mĂ©tropole tels des immigrĂ©s Ă lâĂąge oĂč, en principe, tout est possible puisque lâon est jeune et que ce possible se rĂ©sume Ă un logement HLM avec dâautres personnes qui, comme eux, font de leur mieux pour sâen sortir, hĂ© bien, soit on se contente de ce que lâon a. Soit on rĂȘve ou on imagine un ailleurs.
Et puis, petit Ă petit, soit on essaie dâaller vers cet ailleurs, soit on reste enfermĂ© dans sa citĂ© et dans tout ce que lâon connait par coeur par peur et par prĂ©caution.
Pourquoi le Japon plus que le Vietnam, le Cambodge, lâIndonĂ©sie, la CorĂ©e du Sud, la ThaĂŻlande, la Birmanie, le Laos ou ne serait-ce que la Chine qui sont aussi des pays Ă connaĂźtre comme tant dâautres en Asie, en Afrique, en OcĂ©anie, en Europe ou ailleurs ?
TrĂšs certainement pour cet attrait pour les SamouraĂŻ qui avaient remplacĂ© les cow-boys des western de mon enfance. J’Ă©tais devenu adulte. C’Ă©tait exotique. Je ne pouvais pas continuer Ă garder les mĂȘmes modĂšles, me promener avec un chapeau de cow-boy, un ceinturon en plastique comportant un Ă©tui occupĂ© par un colt noir Ă©galement en plastique et une Ă©toile de shĂ©rif.
Il y avait peut-ĂȘtre aussi une forme de refus du statut de victime permanente et suppliciĂ©e. La victime potentielle du racisme parce-que Noir dans un pays de Blancs, la France.
Et une espĂšce de recherche de mon salut intĂ©rieur un peu plus en accord avec moi-mĂȘme dans les Arts Martiaux que dans les comportements des hĂ©ros de western qui buvaient de l’alcool et qui fumaient, aussi, qui jouaient de l’argent. Qui roulaient un peu plus des mĂ©caniques et qui parlaient fort. Il y ‘avait peut-ĂȘtre Ă©galement une envie de ma part de m’affirmer en Ă©tant un homme antillais “diffĂ©rent”, moins bruyant, moins thĂ©Ăątral et moins prĂ©visible. Plus original. Plus complexe. Peut-ĂȘtre plus libre.
Le Japon faisait aussi davantage penser Ă cette vitrine oĂč y Ă©tait exposĂ©e en permanence cette sorte de Maitrise en toute circonstance que je cherchais Ă obtenir en moi. Pour cette assurance et ce calme constants en apparence. Pour les sons gutturaux, rauques, brefs et dĂ©finitifs de la langue japonaise telle que je l’entendais. Pour cette dĂ©licatesse supposĂ©e de la femme japonaise qui contrastait avec la femme imprĂ©visible, exigeante, pleine d’assurance ou hystĂ©rique de la vie urbaine ou parisienne.
Pour caricaturer, dâun cĂŽtĂ©, on pouvait avoir la « Française » qui fume, qui boit de lâAlcool, qui peut vous quitter ou qui dit zut. De lâautre cĂŽtĂ©, on avait une femme polie, pas un mot plus haut que lâautre, que lâon voulait voir comme charnellement sensuelle, jamais contrariante et fidĂšle Ă jamais.
Il est beaucoup plus facile de fantasmer sur une personne à laquelle on ne se confronte jamais et dont on méconnait la langue, la culture, les volontés et la pensée et qui reste pour nous une apparition encadrée telle une poupée gonflable et domesticable. Mais aussi, jetable.
Jâignorais alors tout ce que le Japon pouvait avoir de traditionnaliste, de conservateur voire de raciste. Ou de sexiste. Et, je mĂ©connaissais totalement le fait, aussi, que ce mode de vie que je prĂ©fĂ©rais voir comme du raffinement esthĂ©tique digne de la trĂšs haute couture reposait aussi sur une certaine psychorigiditĂ© sociale qui flattait dâabord ma propre psychorigiditĂ©.
Jâignorais aussi que certains aspects de la vie traditionnelle Ă la Japonaise Ă©quivalaient, aussi, par ses principes, Ă certains aspects de la vie traditionnelle que mâont transmis mes parents et auxquels je suis attachĂ© : Un campagnard, quâil soit japonais ou dâorigine antillaise, aura une façon de regarder la vie assez similaire.
Lâimportance de la parole donnĂ©e mâapparait par exemple ĂȘtre une valeur qui Ă©mane plus de l’hĂ©ritage de la tradition et du mode de vie campagnard que du mode de vie dit urbain et moderne, pour ne pas dire mondain.
« Le Japon a mis mes valeurs Ă plat » mâavait dit lors dâune soirĂ©e parisienne une Française qui y avait vĂ©cu quatre annĂ©es.
Quatre annĂ©es, pour moi qui nâĂ©tais jamais allĂ© au Japon, câĂ©tait au-delĂ du rĂ©el.
Ce devait ĂȘtre deux ou trois ans avant que je n’envisage mon propre sĂ©jour au Japon. Cette femme qui avait Ă peu prĂšs mon Ăąge avait acceptĂ© le principe de me revoir pour me parler davantage du Japon. Mais ce quâelle mâavait laissĂ©, ce sont ses quelques remarques sur le Japon, son prĂ©nom et son nom lors de cette soirĂ©e passĂ©e dans un lieu dont je serais incapable de me rappeler avec certitude.
Mais si cette connaissance croisĂ©e dans une soirĂ©e, nâavait pas tenu parole, lâamie que je connaissais, alors, elle, lâavait tenue en mâaccueillant chez elle au Japon deux ans aprĂšs mâavoir dĂ©jĂ reçu chez elle une premiĂšre fois en Australie, Ă Melbourne, en 1997.
En 1999 : Le Japon, une Ă©claircie profonde
En 1999, lâannĂ©e du film Matrix, pour moi, il y eut un avant et un aprĂšs le Japon.
A mon retour de mon séjour grùce à Raspoutine, mon amie franco-australienne qui y habitait alors, et son frÚre Le Croque-mort alors mon ami, qui me fit profiter de son expérience là -bas avant de rentrer en France, je déclarai que ce voyage fut extraordinaire.
Et, je le pense toujours aujourdâhui.
Humainement, ce sĂ©jour fut pour moi une frontiĂšre entre celui que jâĂ©tais auparavant qui en faisais des tonnes dans la provocation mais aussi dans lâhumour pour se faire aimer. Mais aussi pour se desservir lui-mĂȘme.
Ce voyage au Japon et son contexte dans ma vie personnelle et professionnelle mâaidĂšrent et me poussĂšrent Ă aller davantage dans lâintrospection. Pour paraphraser un peu le livre Avec les Alcooliques Anonymes de Joseph Kessel, paru en 1960 et que jâai bientĂŽt terminĂ©, je dirais que ce sĂ©jour au Japon en 1999 mâa permis dâĂȘtre plus honnĂȘte et plus sincĂšre avec moi-mĂȘme.
Je nâĂ©tais pas alcoolique et je ne suis pas alcoolique. Si je lâavais Ă©tĂ©, jâaurais pu ĂȘtre Ă©tĂ© poussĂ© Ă croire que lâalcool, sous toutes ses formes et latitudes, aurait pu me guider.
Cependant, avant mon sĂ©jour au Japon, jâĂ©tais probablement ivre et imbibĂ© de mes propres peurs. Jâavais trĂšs peur de celui que jâĂ©tais, de celui que je pouvais devenir et jâavais aussi trĂšs peurâŠ.dâĂȘtre aimĂ©.
DâoĂč les provocations et lâhumour rĂ©pĂ©tĂ©s jusquâĂ en ĂȘtre inappropriĂ©s. Les dĂ©cisions trĂšs mal inspirĂ©es. Le propre de lâalcoolique, câest, Ă dĂ©faut de pouvoir sâĂ©treindre et se rassurer lui-mĂȘme, de se dĂ©truire et de chercher Ă sâassommer et Ă sâĂ©teindre jusquâau black- out par lâalcool. Pour sâĂ©vader de lui-mĂȘme. Je faisais pareil mais avec lâhumour, mes provocations, mes excĂšs, mes gesticulations, des mauvaises dĂ©cisions, une certaine nĂ©gligence de moi-mĂȘmeâŠ
Lorsque lâon a peur de soi-mĂȘme, que lâon a peur dâĂȘtre aimĂ© ou que lâon estime ĂȘtre indigne dâĂȘtre aimĂ©, on sait devenir tranchant, blessant ou dĂ©sarmant pour celles et ceux qui nous entourent ou qui prennent le risque ou ont lâaudace de nous approcher. On devient ivre au point de sâaveugler, de manquer de luciditĂ©, et dâĂȘtre incapable de faire la distinction qui convient entre celles et ceux que lâon peut laisser sâapprocher et les autres quâil faut savoir repousser ou, plus simplement, Ă©viter. Puis, notre orgueil parachĂšve de maniĂšre incontestable notre entreprise (ou notre chef-dâĆuvre) de dĂ©molition et dâautodestruction :
Sâil y a un problĂšme, câest Ă cause des autres. Ou, on ne savait pas que l’autre ne nous voulait-finalement- aucun mal…..
Le contexte dans lequel jâĂ©tais parti au Japon en 1999 cumulĂ© au fait de mâĂȘtre rendu dans un pays comme le Japon mâavaient aidĂ© Ă commencer Ă me sevrer de certaines de mes mauvaises habitudes relationnelles et Ă©motionnelles. Mais, comme on le sait, se sevrer prend du temps. Ce qui nâempĂȘche pas de vivre des Ă©claircies profondes. Et, le Japon en fut une pour moi.
Si bien quâĂ mon retour, je mâĂ©tais dit que je reviendrais un jour au Japon. Il aura fallu attendreâŠ25 ans.
Il y a 25 ans, du Japon, jâavais ramenĂ© des photos papier, un bermuda qui ne me va plus car j’ai pris du poids et du ventre depuis, une camĂ©ra analogique et de la cĂ©ramique.
Electronique et CĂ©ramique
l’Electronique et la cĂ©ramique me semblent assez bien reprĂ©senter les deux versants du Japon. Le moderne et le traditionnel. Le quasi-virtuel et le spirituel. L’industriel et l’artisanal. Le logique et l’organique. L’efficace et le sensuel. Mais l’un comme l’autre concourt pour la perfection.
Des deux, Ă©lectronique et cĂ©ramique, câest la cĂ©ramique que jâutilise encore. Toutes mes tasses de thĂ© ramenĂ©es du Japon en 1999 sont demeurĂ©es intactes. Et, au travers de leur utilitĂ© et de leur durabilitĂ©, je vois une sorte de confirmation dans le fait que, utilisĂ©e pour lâusage qui lui correspond, la tradition conserve sa supĂ©rioritĂ© en acquĂ©rant plus de profondeur que la nouveautĂ© qui, elle, plus superficielle, est condamnĂ©e Ă se reproduire pour pouvoir espĂ©rer prĂ©server ses attraits et convaincre quant Ă ses promesses et ses effets.
Mais on peut le voir autrement et se dire que mon versant ou mon tempĂ©rament traditionaliste l’a emportĂ© pour le moment sur mon tempĂ©rament moderne ou moderniste. Car aprĂšs tout, d’aprĂšs un podcast que j’ai dĂ©jĂ Ă©coutĂ© deux fois, les blogs appartiendraient au passĂ©. Aujourd’hui, ce qui est moderne, ce qui suscite et maintient l’intĂ©rĂȘt quotidiennement et qui apporte un succĂšs immĂ©diat et continu, c’est de diffuser souvent et rĂ©guliĂšrement des images et de produire le moins de texte possible. Et, moi, comme un vieux schnock conservateur encore accrochĂ© au monde des relations Ă©pistolaires, et donc complĂštement dĂ©modĂ©, je fais l’exact contraire. Peut-ĂȘtre s’agit-t’il d’une stratĂ©gie et d’une dĂ©cision que je regretterai dans Ă peu prĂšs une dizaine d’annĂ©es. Lorsque je me dĂ©ciderai Ă changer de point de vue contraint ou forcĂ©. Ou Ă changer le thĂšme de mes articles.
Toutefois, il existe un bĂ©mol Ă cette autocritique : mes articles les plus lus sont relatifs aux Arts Martiaux ainsi qu’un article consacrĂ© Ă Brigitte Lahaie, une ex star française de films pornos qui n’a jamais portĂ© de kimono.
Et, il y a aussi un autre bĂ©mol Ă apporter Ă cet Ă©loge dithyrambique que j’ai fait concernant la supposĂ©e supĂ©rioritĂ© de la tradition sur la modernitĂ©, un prĂ©jugĂ© de plus dans lequel je me suis trĂšs confortablement installĂ© :
Pendant une vingtaine d’annĂ©es, j’ai roulĂ© dans une voiture Toyota achetĂ©e deux ans aprĂšs mon premier voyage au Japon. Et le nouveau modĂšle d’occasion, plus rĂ©cent, que j’ai achetĂ© Ă©galement Ă crĂ©dit l’annĂ©e derniĂšre n’est pas en cĂ©ramique.
Il me reste aussi quelques souvenirs durables du Japon de 1999.
Des souvenirs durables de mon voyage au Japon en 1999
De Tsukuba, cette ville de banlieue qui Ă©voquait la campagne, situĂ©e Ă une heure de Tokyo oĂč habitait mon amie Ă lâĂ©poque. Dâune course improvisĂ©e Ă vĂ©lo en revenant de la gare de Tsukuba avec une collĂ©gienne ou une lycĂ©enne dans sa tenue ( jupe, baskets, dĂ©bardeur et chemise blanche).
De Pierre, lycéen français au Japon grùce au Rotary Club de sa ville.
De cette secousse sismique alors que je discutais avec mon amie dans son appartement. De ce tournoi de Sumo oĂč nous nous Ă©tions rendus.
Je me rappelle de cette prĂ©venance des Japonais et des Japonais faisant ( tout) leur possible pour me renseigner dans la rue dĂšs lors que je mâĂ©tais adressĂ© Ă eux avec les quelques mots dâusage et de politesse consacrĂ©s que je connaissais en Japonais. Des mots agissant Ă la fois comme des sĂ©sames ou des talismans poussant mon interlocuteur et mon interlocutrice Ă sâassurer que je prenais bien ensuite la bonne direction comme si son destin ou son karma en dĂ©pendait. Des mots que je nâai pas oubliĂ©s et qui signifient « Bonjour », « Bonsoir », « Je voudrais, sâil vous plait », « Merci beaucoup », « ĂȘtes-vous dâaccord ? », « Faites attention Ă vous »âŠ.
Il y avait ces rues envahies par ces foules, plus imposantes qu’ailleurs, au moment de les traverser ou marchant sur les trottoirs. Ce cycliste se frayant patiemment l’usage d’un passage Ă travers la multitude de piĂ©tons sur le trottoir sans que personne ne lui fasse le moindre reproche.
Kyoto, le Shinkansen. La ponctualité millimétrée des trains. La propreté immaculée des gares.
Ce sentiment de sĂ©curitĂ© dans les rues ignorĂ© du banlieusard que jâĂ©tais et confirmĂ© par mon amie.
Il y a aussi ce Salary man qui, Ă Tokyo, vers 22 heures, habillĂ© en pantalon et chemise, son attachĂ© case Ă la main, sâĂ©tait subitement mis Ă dĂ©gueuler sur le quai de cette gare oĂč, comme lui, jâattendais le train pour rentrer. Puis, il sâĂ©tait Ă©loignĂ© de ses vomissements sans rien dire.
Dans quelques rues dâHiroshima, jâavais Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de voir ces jeunes femmes ou ces adolescentes au profil dâĂ©coliĂšres de type lolita, vĂ©ritables clignotants vestimentaires, qui attendaient le client Ă©garĂ© ou habituĂ©. A Hiroshima, toujours, jâavais aperçu ce bĂątiment dont le toit avait reçu la bombe atomique. Et, au musĂ©e tout proche, jâavais Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de constater que les Japonais Ă©taient prĂ©sentĂ©s comme les victimes de la bombe atomique sans souligner la responsabilitĂ© de lâarmĂ©e japonaise plutĂŽt jusque-boutiste. Je nâavais pas encore lu que les opĂ©rations Kamikaze des aviateurs japonais avaient, dans les faits, donnĂ© peu dâavantages en terme de rĂ©ussite militaire mais, aussi, que la participation du Japon au conflit de la Seconde Guerre Mondiale Ă©tait prĂ©visible et devenu inĂ©vitable dĂšs lors quâil lui restait six mois de rĂ©serve de pĂ©trole.
En 1999, jâavais aimĂ© me rendre dans les quartiers de Shibuya et de Harajuku rĂ©putĂ©s pour ĂȘtre des coins branchĂ©s de Tokyo. Jâavais dĂ©plorĂ© ĂȘtre passĂ© Ă cĂŽtĂ© de la vie nocturne du Japon. Cela aurait pu arriver si jâavais pu rencontrer Yuji et sa compagne plus tĂŽt dans une des rues de Tokyo. Anglophones tous les deux, ce qui Ă©tait rare, ils mâavaient fait dĂ©couvrir un bar-cinĂ©ma possĂ©dant une petite scĂšne dont mes yeux dâoccidentaux nâauraient jamais pu concevoir lâexistence dans ce bĂątiment ou cet immeuble tout proche de nous. Ensuite, toujours le mĂȘme jour, le colocataire de Yuji, musicien et originaire de Nara, mâavait invitĂ© Ă venir mây rendre un jour. Sauf que je repartais pour la FranceâŠle lendemain.
JâĂ©tais rentrĂ© du Japon le lendemain comme lorsque lâon sort d’un rĂȘve.
Le Japon et moi, aujourdâhui :
Les quelques personnes Ă qui jâai parlĂ© de mon sĂ©jour au Japon, cette annĂ©e, se sont montrĂ©es enthousiastes. Jâai Ă©tĂ© marquĂ© par le sourire XXL de mon amie PĂ©pita, qui, Ă lâĂ©poque, mâavait encouragĂ© Ă faire un crĂ©dit que je nâai jamais regrettĂ© mĂȘme sâil mâavait fallu ensuite deux annĂ©es pour le rembourser.
Le Japon reste une destination touristique peu courante comme en atteste encore la rĂ©ponse que mâa faite le boucher lorsque je lâai interrogĂ© Ă propos de ses vacances. MĂȘme si lâĂ©coute dâun podcast cette semaine mâa appris que de plus en plus de vacanciers sây rendaient et que quelques uns dâentre eux se comportaient de façon outranciĂšre.
En 1999, je buvais sĂ»rement encore du thĂ© en sachet ou du thĂ© aromatisĂ© avec beaucoup de sucre. Soit lâexact contraire dâaujourdâhui oĂč je bois du thĂ© vert japonais que jâachĂšte en vrac et que je bois sans sucre. Du Sencha ou du Gyokuro que je peux boire froid. Lâun des gĂ©rants de la boutique de thĂ© oĂč jâai des habitudes et oĂč jâai commencĂ© Ă acheter du thĂ© en vrac un jour, mâa dit que mon palais avait Ă©tĂ© Ă©duquĂ© mais, aussi, que notre palais a une mĂ©moire. Du goĂ»t et des tempĂ©ratures qui nous conviennent lorsque nous buvons du thĂ©.
Jâai lâimpression dâĂȘtre moins en pamoison devant la culture japonaise quâen 1999. DĂ©libĂ©rĂ©ment et aussi parce-que je suis dans les dĂ©marches du quotidien, jâai, pour lâinstant, survolĂ© le programme que nous a adressĂ© LĂ©o concernant notre sĂ©jour lĂ -bas.
Mais si je me fie Ă mon rapport au thĂ©, au salĂ©, et au maintien de mon intĂ©rĂȘt pour les Arts martiaux japonais ou autres, il semblerait que je sois bien plus rĂ©ceptif Ă la culture japonaise que je ne le crois. De maniĂšre pragmatique, je crois que jâattends de me trouver dans lâavion pour Tokyo en bonne condition avec toutes les formalitĂ©s en rĂšgle pour pouvoir commencer Ă pleinement vivre lâĂ©vĂ©nement. Avant cela, je me dis sĂ»rement que trop dâextrapolation et trop dâimagination tue lâexpĂ©rience.
Cet article qui est une forme de prĂ©-bilan avant le voyage fait partie pour moi des « formalitĂ©s ». Autant dâun point de vue instrospectif quâĂ visĂ©e dâinteraction avec dâautres. Car je crois que dâautres personnes qui seront au Japon ou non en juillet peuvent ressentir ou sâidentifier Ă ce que je raconte Ă un moment ou Ă un autre dans cet article.
Il y a quelques mois, je me suis dit que retourner au Japon lors du Masters Tour 2024 Ă©tait vraisemblablement une des meilleures façons pour moi de le faire. LĂ©o Tamaki nous a appris il y a quelques jours que nous serions 143 Ă participer Ă ce Masters Tour en juillet et que nous ferions des sessions avec des Maitres dâArts Martiaux en Ă©tant 23 par groupes. Ce qui est un bon chiffre.
En apercevant quelques offres commerciales que jâai pu voir en faveur de voyages au Japon ces derniers jours, tant pour leur tarif que pour leur contenu, je me suis dĂ©jĂ senti soulagĂ© dâavoir optĂ© pour le choix du Masters Tour 2024.
JâespĂšre et je compte ramener du Japon 2024, en mĂȘme temps que des impressions et des rencontres mĂ©morables, quelques images et un article pour ce blog qui essaieront de restituer cela au mieux. Pour les esprits jeunes et les esprits vieux, pour les esprits traditionalistes et les esprits modernes qui pourront y trouver plaisir et rĂ©confort.
Nota Bene, ce mercedi 19 juin 2024 :
En repensant ce matin Ă cet article aprĂšs l’avoir Ă©crit en grande partie hier, je me suis aperçu que j’avais complĂštement oubliĂ© de parler du risque de l’accident nuclĂ©aire au Japon. Un risque difficile Ă totalement occulter pourtant aprĂšs ce qui s’Ă©tait passĂ© Ă Fukushima en 2011.
MalgrĂ© la probabilitĂ© du risque nuclĂ©aire, ou de celui d’un sĂ©isme, je reste sur l’impression que ce nouveau sĂ©jour au Japon m’extraira durant quelques temps des sortilĂšges d’un certain cirque quotidien.
Franck Unimon.