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L’AnnĂ©e du Japon

Rue de Rivoli, Paris, 9 Juin 2024. Photo©Franck.Unimon

L’annĂ©e du Japon

Parler du Japon aujourd’hui depuis la rĂ©gion parisienne peut apparaĂźtre irresponsable et dĂ©placĂ©. Pourtant, nous sommes au mois de juin et cela fait plusieurs jours que je vois et revois que le Japon, lorsque l’Ă©tĂ© s’approche, redevient subitement une destination touristique attrayante. Ça et lĂ , le Japon apparait dans les vitrines.

 Je sais aussi qu’il existe un petit plus qu’un effet de mode avec le Japon et que depuis au moins une dizaine d’annĂ©es, la culture nipponne, voire sud corĂ©enne,  a ses spĂ©cialistes et ses amateurs au moins parmi les adolescents et les jeunes adultes.

Sur les Champs Elysées, Paris, 16 juin 2024, le matin. Photo©Franck.Unimon

 

Cependant, en France, il pleut et il fait gris. Certaines personnes diraient mĂȘme que, dĂ©sormais, en France, il fait presque brun.

Car l’AssemblĂ©e nationale, en France, a Ă©tĂ© dissoute par le PrĂ©sident Emmanuel Macron il y a quelques jours aprĂšs la victoire du RN aux Ă©lections europĂ©ennes. Un PrĂ©sident de la RĂ©publique rĂ©Ă©lu, aussi jeune qu’il est devenu impopulaire.

Paris, 16 juin 2024, le soir. Photo©Franck.Unimon

Cinquante pour cent d’électeurs se seraient abstenus d’aller voter lors de ces Ă©lections europĂ©ennes. Des Ă©lections lĂ©gislatives vont avoir lieu de maniĂšre anticipĂ©e le 30 juin et le 7 juillet. On ignore encore si, pour la premiĂšre fois, en France, le Rassemblement National (RN), parti d’extrĂȘme droite hĂ©ritier du Front National (FN) co-crĂ©Ă© il y a un demi-siĂšcle par le pionnier de la dynastie Le Pen va parvenir au Pouvoir Politique par la Grande Porte en obtenant le poste de Premier Ministre. Ou si, une fois de plus, le RN va se heurter Ă  la muraille de Chine faite de ce refus des Français revenus une nouvelle fois voter par dĂ©faut pour  un parti politique de Droite ou de Gauche perçu comme rĂ©publicain, antiraciste et dĂ©mocratique. 

A quelques jours du dĂ©but des Jeux Olympiques organisĂ©s en France, on pourrait se croire dans un Ă©pisode de Games of Throne avec les adeptes du RN dans le rĂŽle des revenants d’autant plus inquiĂ©tants qu’ils ressemblent Ă  ces mutants imperturbables vus dans bien des films et dont la volontĂ© de fer se concentre dans l’action de se multiplier mais aussi de se diversifier. Tandis que les plus irrĂ©ductibles des membres du RN, eux, verraient leurs opposants et leurs contraires comme autant de redoutables envahisseurs dont la principale source de volontĂ© serait de coloniser et d’anĂ©antir la grandeur de l’identitĂ© nationale française.

Je crois m’ĂȘtre fait servir par l’un d’entre eux il y a quelques heures.

Un Yakuza cachĂ©  ?

Dans ma ville, je passe quelques fois dans une boucherie dans laquelle l’atmosphĂšre et la clientĂšle dĂ©tonnent. J’y entre en Ă©tant assez fascinĂ© mais aussi parce-que je suis un client satisfait.

Dans cette boucherie, on se croirait dans la France des annĂ©es 70 et 80. On semble y rester confinĂ© entre soi mais on y achĂšte de la trĂšs bonne viande plus chĂšre qu’ailleurs dans la ville.

A tort ou Ă  raison, cet endroit m’évoque facilement les trĂšs bons films  Dupont Lajoie ou Seul contre tous. Cependant, il faut rester prudent et se mĂ©fier des apparences. MĂȘme si son propriĂ©taire et boucher, tout Ă  l’heure, m’a un peu troublĂ©.

Ou provoqué.

Nous Ă©tions seuls dans la boucherie lorsque je me suis laissĂ© aller Ă  la familiaritĂ© de lui demander oĂč il avait prĂ©vu de partir en vacances cet Ă©tĂ©. Peut-ĂȘtre parce-que ma tĂȘte lui Ă©tait suffisamment familiĂšre, il m’a rĂ©pondu spontanĂ©ment :

« En Dordogne Â».

La Dordogne est une jolie rĂ©gion et la France, un trĂšs beau pays Ă  visiter. Cela fait des annĂ©es que la France est un des pays les plus visitĂ©s dans le monde qu’il s’agisse de l’Hexagone ou de « ses » Ăźles si l’on excepte peut-ĂȘtre la Nouvelle CalĂ©donie depuis plusieurs semaines compte-tenu du climat de guerre civile et de rejet de la politique française qui y a Ă©clos abruptement.

Sur les Champs Elysées, Paris, 5 juin 2024. Photo©Franck.Unimon
Le Jardin des Tuileries, 15 juin 2024. Photo©Franck.Unimon

Sauf que le boucher, Maitre en sa boucherie depuis une bonne vingtaine d’annĂ©es, a eu besoin de rajouter :

«  Pour faire travailler les Français
. Â».

Je me suis contentĂ© de lui rĂ©pondre, le plus lĂ©gĂšrement possible :

« Si vous pouvez
. Â».

Fort heureusement, sa politesse ou son absence de curiositĂ© m’ont sauvĂ©. Je n’ai pas eu Ă  lui annoncer oĂč j’avais prĂ©vu de passer mes vacances, cet Ă©tĂ©.

En effet, ce 8 juillet, soit le lendemain des rĂ©sultats du deuxiĂšme tour de ces Ă©lections lĂ©gislatives provoquĂ©es par le PrĂ©sident Macron suite Ă  sa dĂ©cision de dissoudre l’AssemblĂ©e Nationale, je prendrai l’avion pour trois semaines au Japon afin de participer au Masters Tour 2024 crĂ©Ă© et co-organisĂ© une nouvelle fois par LĂ©o Tamaki, expert en AĂŻkido.

Le Japon, c’est assez Ă©loignĂ© de la Dordogne.

Librairie, dans la Rue de Rivoli, 9 juin 2024. Photo©Franck.Unimon

Mais peut-ĂȘtre que le boucher regarde-t’il  tous les soirs des manga Ă  son domicile ? Peut-ĂȘtre aussi parle-t’il Japonais couramment dans ses rĂȘves et se rend-t’il tous les ans Ă  la Japan Expo ? Peut-ĂȘtre aussi, dans ses hobbies, compte-t’il un Savoir faire de Maitre Pottier japonais ? Ou de Maitre Sushi ? Ou de chanteur KaraokĂ© ?

Rien ne (me) permet, Ă  ce jour, de le contester. Peut-ĂȘtre mĂȘme, tous les soirs, se transforme-t’il aussi en Yakuza Ă  la façon dont Takeshi Kitano a pu nous les dĂ©crire dans ses films Sonatine ou Hana-Bi pour parler de quelques uns de ses films ?

Peut-ĂȘtre n’est-il qu’un samouraĂŻ infiltrĂ© dans une ville de banlieue parisienne, plutĂŽt mal rĂ©putĂ©e, qui a choisi d’endosser l’habit, la profession et des propos qui peuvent s’apparenter Ă  ceux de l’ExtrĂȘme Droite pour mieux la combattre Ă  la façon d’une taupe tel Tony Leung Chiu-Wai qui, lui, avait infiltrĂ© une triade chinoise dans le film A Toute Epreuve du rĂ©alisateur Hong-Kongais John Woo, son dernier film Ă  Hong-Kong avant la rĂ©trocession de celui-ci Ă  la Chine et avant son exil pour les Etats-Unis et son film Volte-face avec Nicolas Cage et John Travolta ?

Manifestation pro-palestinienne à Paris, 27 Mai 2024. Photo©Franck.Unimon

Ces films noirs ou ces polars asiatiques de ces rĂ©alisateurs, et d’autres que je ne cite pas tels Kirk Wong, Johnnie To ou les frĂšres Mak etc
, font partie des classiques pour celles et ceux qui les connaissent ou les ont vus, comme moi, au cinĂ©ma, Ă  leur sortie ou en dĂ©calĂ©.

Ces films font aussi partie du passĂ©. MĂȘme si ce passĂ© est prĂ©sent et futur. Et moi, ce que je suis en train de vous Ă©crire ce mardi 18 juin 2024 appartient aussi au passĂ©. Car si mon dĂ©part pour le Japon, cette annĂ©e, est prĂ©vu pour le 8 juillet, soit dans trois semaines, il s’agira aussi de mon « retour » au Japon aprĂšs mon premier voyage, lĂ -bas, en 1999. Un retour souhaitĂ© dĂšs cette annĂ©e-lĂ .

En 1999, lors de mon premier sĂ©jour au Japon, j’étais imprĂ©gnĂ© de cinĂ©ma en version originale sous-titrĂ©e et de cinĂ©ma asiatique. Au point de beaucoup m’identifier aux Japonais.

Nous ne sommes pas des japonais

« Vous n’ĂȘtes pas des Japonais ! » nous avait nĂ©anmoins assĂ©nĂ© Vanessa, – tel un ippon- une de nos camarades- et Française- de notre cours de Judo, au gymnase, rue Michel Lecomte, tant nous singions certaines caractĂ©ristiques japonaises.

Nous, c’était Manu, un de mes amis Français, rencontrĂ© sur le tatamis du club, et moi, Français d’origine antillaise.

Elle avait raison.

Depuis notre naissance en rĂ©gion parisienne jusqu’à cette dĂ©claration, Manu et moi n’avions jamais rien eu de bridĂ©. Nous avions achetĂ© nos kimonos de judo en France. Nous pratiquions le Judo en France. Notre professeur de Judo, Pascal Fleury, grand frĂšre de la championne olympique Cathy Fleury, Ă©tait d’origine italienne.

Lorsque Manu et moi, nous allions- quelques fois- dans des restaurants asiatiques, c’était Ă  Paris ou en banlieue parisienne. Et, lorsque nous voyions ou rencontrions beaucoup d’Asiatiques, c’était surtout projetĂ©s sur un grand Ă©cran de cinĂ©ma, sur l’écran d’un tĂ©lĂ©viseur ou dans les ouvrages d’une librairie.

Rue de Rivoli, 9 juin 2024. Paris. Photo©Franck.Unimon

Pour moi, en devenant adulte, je crois que le Japon avait pris la place que les Etats-Unis, enfant puis adolescent, avaient pu avoir. Celle d’un pays dont l’Histoire et les ĂȘtres avaient des destinĂ©es fantastiques. Lorsque l’on est nĂ© en banlieue parisienne, dans un milieu social moyen, que l’on a d’abord grandi dans une citĂ©, et que nos parents, bien que « Français », sont des Antillais qui ont dĂ» venir vivre en mĂ©tropole tels des immigrĂ©s Ă  l’ñge oĂč, en principe, tout est possible puisque l’on est jeune et que ce possible se rĂ©sume Ă  un logement HLM avec d’autres personnes qui, comme eux, font de leur mieux pour s’en sortir, hĂ© bien, soit on se contente de ce que l’on a. Soit on rĂȘve ou on imagine un ailleurs.

Et puis, petit Ă  petit, soit on essaie d’aller vers cet ailleurs, soit on reste enfermĂ© dans sa citĂ© et dans tout ce que l’on connait par coeur par peur et par prĂ©caution.

Pourquoi le Japon plus que le Vietnam, le Cambodge, l’IndonĂ©sie, la CorĂ©e du Sud, la ThaĂŻlande, la Birmanie, le Laos ou ne serait-ce que la Chine qui sont aussi des pays Ă  connaĂźtre comme tant d’autres en Asie, en Afrique, en OcĂ©anie, en Europe ou ailleurs ?

 

 

Rue de Rivoli, Paris, 9 Juin 2024. Photo©Franck.Unimon

TrĂšs certainement pour cet attrait pour les SamouraĂŻ  qui avaient remplacĂ© les cow-boys des western de mon enfance. J’Ă©tais devenu adulte. C’Ă©tait exotique.  Je ne pouvais pas continuer Ă  garder les mĂȘmes modĂšles, me promener avec un chapeau de cow-boy, un ceinturon en plastique comportant un Ă©tui occupĂ© par un colt noir Ă©galement en plastique et une Ă©toile de shĂ©rif. 

Il y avait peut-ĂȘtre aussi une forme de refus du statut de victime permanente et suppliciĂ©e. La victime potentielle du racisme parce-que Noir dans un pays de Blancs, la France.

Et une espĂšce de recherche de mon salut intĂ©rieur un peu plus en accord avec moi-mĂȘme dans les Arts Martiaux que dans les comportements des hĂ©ros de western qui buvaient de l’alcool et qui fumaient, aussi, qui jouaient de l’argent. Qui roulaient un peu plus des mĂ©caniques et qui parlaient fort. Il y ‘avait peut-ĂȘtre Ă©galement une envie de ma part de m’affirmer en Ă©tant un homme antillais “diffĂ©rent”, moins bruyant, moins thĂ©Ăątral et moins prĂ©visible. Plus original. Plus complexe. Peut-ĂȘtre plus libre.

Le Japon faisait aussi davantage penser Ă  cette vitrine oĂč y Ă©tait exposĂ©e en permanence cette sorte de Maitrise en toute circonstance que je cherchais Ă  obtenir en moi. Pour cette assurance et ce calme constants en apparence. Pour les sons gutturaux, rauques, brefs et dĂ©finitifs de la langue japonaise telle que je l’entendais. Pour cette dĂ©licatesse supposĂ©e de la femme japonaise qui contrastait avec la femme imprĂ©visible, exigeante, pleine d’assurance ou hystĂ©rique de la vie urbaine ou parisienne.

Pour caricaturer, d’un cĂŽtĂ©, on pouvait avoir la « Française » qui fume, qui boit de l’Alcool, qui peut vous quitter ou qui dit zut. De l’autre cĂŽtĂ©, on avait une femme polie, pas un mot plus haut que l’autre, que l’on voulait voir comme charnellement sensuelle, jamais contrariante et fidĂšle Ă  jamais.

Il est beaucoup plus facile de fantasmer sur une personne à laquelle on ne se confronte jamais et dont on méconnait la langue, la culture, les volontés et la pensée et qui reste pour nous une apparition encadrée telle une poupée gonflable et domesticable. Mais aussi, jetable.

J’ignorais alors tout ce que le Japon pouvait avoir de traditionnaliste, de conservateur voire de raciste. Ou de sexiste. Et, je mĂ©connaissais totalement le fait, aussi, que ce mode de vie que je prĂ©fĂ©rais voir comme du raffinement esthĂ©tique digne de la trĂšs haute couture reposait aussi sur une certaine psychorigiditĂ© sociale qui flattait d’abord ma propre psychorigiditĂ©.

J’ignorais aussi que certains aspects de la vie traditionnelle Ă  la Japonaise Ă©quivalaient, aussi, par ses principes, Ă  certains aspects de la vie traditionnelle que m’ont transmis mes parents et auxquels je suis attachĂ© : Un campagnard, qu’il soit japonais ou d’origine antillaise, aura une façon de regarder la vie assez similaire.

L’importance de la parole donnĂ©e m’apparait par exemple ĂȘtre une valeur qui Ă©mane plus de l’hĂ©ritage de la tradition et du mode de vie campagnard que du mode de vie dit urbain et moderne, pour ne pas dire mondain.

« Le Japon a mis mes valeurs Ă  plat » m’avait dit lors d’une soirĂ©e parisienne une Française qui y avait vĂ©cu quatre annĂ©es.

Quatre annĂ©es, pour moi qui n’étais jamais allĂ© au Japon, c’était au-delĂ  du rĂ©el.

Ce devait ĂȘtre deux ou trois ans avant que je n’envisage mon propre sĂ©jour au Japon.  Cette femme qui avait Ă  peu prĂšs mon Ăąge avait acceptĂ© le principe de me revoir pour me parler davantage du Japon. Mais ce qu’elle m’avait laissĂ©, ce sont ses quelques remarques sur le Japon, son prĂ©nom et son nom lors de cette soirĂ©e passĂ©e dans un lieu dont je serais incapable de me rappeler avec certitude.

Mais si cette connaissance croisĂ©e dans une soirĂ©e, n’avait pas tenu parole, l’amie que je connaissais, alors, elle, l’avait tenue en m’accueillant chez elle au Japon deux ans aprĂšs m’avoir dĂ©jĂ  reçu chez elle une premiĂšre fois en Australie, Ă  Melbourne, en 1997.

 

En 1999 : Le Japon, une Ă©claircie profonde

En 1999, l’annĂ©e du film Matrix, pour moi, il y eut un avant et un aprĂšs le Japon.

A mon retour de mon séjour grùce à Raspoutine, mon amie franco-australienne qui y habitait alors, et son frÚre Le Croque-mort alors mon ami, qui me fit profiter de son expérience là-bas avant de rentrer en France, je déclarai que ce voyage fut extraordinaire.

Et, je le pense toujours aujourd’hui.

Humainement, ce sĂ©jour fut pour moi une frontiĂšre entre celui que j’étais auparavant qui en faisais des tonnes dans la provocation mais aussi dans l’humour pour se faire aimer. Mais aussi pour se desservir lui-mĂȘme.

Ce voyage au Japon et son contexte dans ma vie personnelle et professionnelle m’aidĂšrent et me poussĂšrent Ă  aller davantage dans l’introspection. Pour paraphraser un peu le livre Avec les Alcooliques Anonymes de Joseph Kessel, paru en 1960 et que j’ai bientĂŽt terminĂ©, je dirais que ce sĂ©jour au Japon en 1999 m’a permis d’ĂȘtre plus honnĂȘte et plus sincĂšre avec moi-mĂȘme.

Je n’étais pas alcoolique et je ne suis pas alcoolique. Si je l’avais Ă©tĂ©, j’aurais pu ĂȘtre Ă©tĂ© poussĂ© Ă   croire que l’alcool, sous toutes ses formes et latitudes, aurait pu me guider.

Cependant, avant mon sĂ©jour au Japon, j’étais probablement ivre et imbibĂ© de mes propres peurs. J’avais trĂšs peur de celui que j’étais, de celui que je pouvais devenir et j’avais aussi trĂšs peur
.d’ĂȘtre aimĂ©.

D’oĂč les provocations et l’humour rĂ©pĂ©tĂ©s jusqu’à en ĂȘtre inappropriĂ©s. Les dĂ©cisions trĂšs mal inspirĂ©es. Le propre de l’alcoolique, c’est, Ă  dĂ©faut de pouvoir s’étreindre et se rassurer lui-mĂȘme, de se dĂ©truire et de chercher Ă  s’assommer et Ă  s’éteindre jusqu’au black- out par l’alcool. Pour s’évader de lui-mĂȘme. Je faisais pareil mais avec l’humour, mes provocations, mes excĂšs, mes gesticulations, des mauvaises dĂ©cisions, une certaine nĂ©gligence de moi-mĂȘme


Lorsque l’on a peur de soi-mĂȘme, que l’on a peur d’ĂȘtre aimĂ© ou que l’on estime ĂȘtre indigne d’ĂȘtre aimĂ©, on sait devenir tranchant, blessant ou dĂ©sarmant pour celles et ceux qui nous entourent ou qui prennent le risque ou ont l’audace de nous approcher. On devient ivre au point de s’aveugler, de manquer de luciditĂ©, et d’ĂȘtre incapable de faire la distinction qui convient entre celles et ceux que l’on peut laisser s’approcher et les autres qu’il faut savoir repousser ou, plus simplement, Ă©viter. Puis, notre orgueil parachĂšve de maniĂšre incontestable notre entreprise (ou notre chef-d’Ɠuvre) de dĂ©molition et d’autodestruction :

S’il y a un problĂšme, c’est Ă  cause des autres. Ou, on ne savait pas que l’autre ne nous voulait-finalement- aucun mal…..

Le contexte dans lequel j’étais parti au Japon en 1999 cumulĂ© au fait de m’ĂȘtre rendu dans un pays comme le Japon m’avaient aidĂ© Ă  commencer Ă  me sevrer de certaines de mes mauvaises habitudes relationnelles et Ă©motionnelles. Mais, comme on le sait, se sevrer prend du temps. Ce qui n’empĂȘche pas de vivre des Ă©claircies profondes. Et, le Japon en fut une pour moi.

Si bien qu’à mon retour, je m’étais dit que je reviendrais un jour au Japon. Il aura fallu attendre
25 ans.

Il y a 25 ans, du Japon, j’avais ramenĂ© des photos papier, un bermuda qui ne me va plus car j’ai pris du poids et du ventre depuis, une camĂ©ra analogique et de la cĂ©ramique.

Electronique et CĂ©ramique

l’Electronique et la cĂ©ramique me semblent assez bien reprĂ©senter les deux versants du Japon. Le moderne et le traditionnel. Le quasi-virtuel et le spirituel. L’industriel et l’artisanal. Le logique et l’organique. L’efficace et le sensuel. Mais l’un comme l’autre concourt pour la perfection. 

Des deux, Ă©lectronique et cĂ©ramique, c’est la cĂ©ramique que j’utilise encore. Toutes mes tasses de thĂ© ramenĂ©es du Japon en 1999 sont demeurĂ©es intactes. Et, au travers de leur utilitĂ© et de leur durabilitĂ©, je vois une sorte de confirmation dans le fait que, utilisĂ©e pour l’usage qui lui correspond, la tradition conserve sa supĂ©rioritĂ© en acquĂ©rant plus de profondeur que la nouveautĂ© qui, elle, plus superficielle, est condamnĂ©e Ă  se reproduire pour pouvoir espĂ©rer prĂ©server ses attraits et convaincre quant Ă  ses promesses et ses effets. 

 

Mais on peut le voir autrement et se dire que mon versant ou mon tempĂ©rament traditionaliste l’a emportĂ© pour le moment sur mon tempĂ©rament moderne ou moderniste. Car aprĂšs tout, d’aprĂšs un podcast que j’ai dĂ©jĂ  Ă©coutĂ© deux fois, les blogs appartiendraient au passĂ©. Aujourd’hui, ce qui est moderne, ce qui suscite et maintient l’intĂ©rĂȘt quotidiennement et qui apporte un succĂšs immĂ©diat et continu, c’est de diffuser souvent et rĂ©guliĂšrement des images et de produire le moins de texte possible. Et, moi, comme un vieux schnock conservateur encore accrochĂ© au monde des relations Ă©pistolaires, et donc complĂštement dĂ©modĂ©, je fais l’exact contraire. Peut-ĂȘtre s’agit-t’il d’une stratĂ©gie et d’une dĂ©cision que je regretterai dans Ă  peu prĂšs une dizaine d’annĂ©es. Lorsque je me dĂ©ciderai Ă  changer de point de vue contraint ou forcĂ©. Ou Ă  changer le thĂšme de mes articles.

Toutefois, il existe un bĂ©mol Ă  cette autocritique : mes articles les plus lus sont relatifs aux Arts Martiaux ainsi qu’un article consacrĂ© Ă  Brigitte Lahaie, une ex star française de films pornos qui n’a jamais portĂ© de kimono. 

Et, il y a aussi un autre bĂ©mol Ă  apporter Ă  cet Ă©loge dithyrambique que j’ai fait concernant la supposĂ©e supĂ©rioritĂ© de la tradition sur la modernitĂ©, un prĂ©jugĂ© de plus dans lequel je me suis trĂšs confortablement installĂ© : 

Pendant une vingtaine d’annĂ©es, j’ai roulĂ©  dans une voiture Toyota achetĂ©e deux ans aprĂšs mon premier voyage au Japon. Et le nouveau modĂšle d’occasion, plus rĂ©cent, que j’ai achetĂ© Ă©galement Ă  crĂ©dit l’annĂ©e derniĂšre n’est pas en cĂ©ramique. 

Il me reste aussi quelques souvenirs durables du Japon de 1999.

 

Des souvenirs durables de mon voyage au Japon en 1999

 

De Tsukuba, cette ville de banlieue qui Ă©voquait la campagne, situĂ©e Ă  une heure de Tokyo oĂč habitait mon amie Ă  l’époque. D’une course improvisĂ©e Ă  vĂ©lo en revenant de la gare de Tsukuba avec une collĂ©gienne ou une lycĂ©enne dans sa tenue ( jupe, baskets, dĂ©bardeur et chemise blanche).

De Pierre, lycéen français au Japon grùce au Rotary Club de sa ville.

De cette secousse sismique alors que je discutais avec mon amie dans son appartement. De ce tournoi de Sumo oĂč nous nous Ă©tions rendus.

Je me rappelle de cette prĂ©venance des Japonais et des Japonais faisant ( tout) leur possible pour me renseigner dans la rue dĂšs lors que je m’étais adressĂ© Ă  eux avec les quelques mots d’usage et de politesse consacrĂ©s que je connaissais en Japonais. Des mots agissant Ă  la fois comme des sĂ©sames ou des talismans poussant mon interlocuteur et mon interlocutrice Ă  s’assurer que je prenais bien ensuite la bonne direction comme si son destin ou son karma en dĂ©pendait. Des mots que je n’ai pas oubliĂ©s et qui signifient « Bonjour », « Bonsoir », «  Je voudrais, s’il vous plait », « Merci beaucoup », « ĂȘtes-vous d’accord ? », «  Faites attention Ă   vous » .

Il y avait ces rues envahies par ces foules, plus imposantes qu’ailleurs, au moment de les traverser ou marchant sur les trottoirs. Ce cycliste se frayant patiemment l’usage d’un passage Ă  travers la multitude de piĂ©tons sur le trottoir sans que personne ne lui fasse le moindre reproche.

Kyoto, le Shinkansen. La ponctualité millimétrée des trains. La propreté immaculée des gares.

Ce sentiment de sĂ©curitĂ© dans les rues ignorĂ© du banlieusard que j’étais et confirmĂ© par mon amie.

Il y a aussi ce Salary man qui, Ă  Tokyo, vers 22 heures, habillĂ© en pantalon et chemise, son attachĂ© case Ă  la main, s’était subitement mis Ă  dĂ©gueuler sur le quai de cette gare oĂč, comme lui, j’attendais le train pour rentrer. Puis, il s’était Ă©loignĂ© de ses vomissements sans rien dire.

Dans quelques rues d’Hiroshima, j’avais Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de voir ces jeunes femmes ou ces adolescentes au profil d’écoliĂšres de type lolita, vĂ©ritables clignotants vestimentaires, qui attendaient le client Ă©garĂ© ou habituĂ©. A Hiroshima, toujours, j’avais aperçu ce bĂątiment dont le toit avait reçu la bombe atomique. Et, au musĂ©e tout proche, j’avais Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de constater que les Japonais Ă©taient prĂ©sentĂ©s comme les victimes de la bombe atomique sans souligner la responsabilitĂ© de l’armĂ©e japonaise plutĂŽt jusque-boutiste. Je n’avais pas encore lu que les opĂ©rations Kamikaze des aviateurs japonais avaient, dans les faits, donnĂ© peu d’avantages en terme de rĂ©ussite militaire mais, aussi, que la participation du Japon au conflit de la Seconde Guerre Mondiale Ă©tait prĂ©visible et devenu inĂ©vitable dĂšs lors qu’il lui restait six mois de rĂ©serve de pĂ©trole.

En 1999, j’avais aimĂ© me rendre dans les quartiers de Shibuya et de Harajuku rĂ©putĂ©s pour ĂȘtre des coins branchĂ©s de Tokyo. J’avais dĂ©plorĂ© ĂȘtre passĂ© Ă  cĂŽtĂ© de la vie nocturne du Japon. Cela aurait pu arriver si j’avais pu rencontrer Yuji et sa compagne plus tĂŽt dans une des rues de Tokyo. Anglophones tous les deux, ce qui Ă©tait rare, ils m’avaient fait dĂ©couvrir un bar-cinĂ©ma possĂ©dant une petite scĂšne dont mes yeux d’occidentaux n’auraient jamais  pu concevoir l’existence dans ce bĂątiment ou cet immeuble tout proche de nous. Ensuite, toujours le mĂȘme jour, le colocataire de Yuji, musicien et originaire de Nara, m’avait invitĂ© Ă  venir m’y rendre un jour. Sauf que je repartais pour la France
le lendemain.

J’étais rentrĂ© du Japon le lendemain comme lorsque l’on sort d’un rĂȘve.

Le Japon et moi, aujourd’hui :

Les quelques personnes Ă  qui j’ai parlĂ© de mon sĂ©jour au Japon, cette annĂ©e, se sont montrĂ©es enthousiastes. J’ai Ă©tĂ© marquĂ© par le sourire XXL de mon amie PĂ©pita, qui, Ă  l’époque, m’avait encouragĂ© Ă  faire un crĂ©dit que je n’ai jamais regrettĂ© mĂȘme s’il m’avait fallu ensuite deux annĂ©es pour le rembourser.

Le Japon reste une destination touristique peu courante comme en atteste encore la rĂ©ponse que m’a faite le boucher lorsque je l’ai interrogĂ© Ă  propos de ses vacances. MĂȘme si l’écoute d’un podcast cette semaine m’a appris que de plus en plus de vacanciers s’y rendaient et que quelques uns d’entre eux se comportaient de façon outranciĂšre.

En 1999, je buvais sĂ»rement encore du thĂ© en sachet ou du thĂ© aromatisĂ© avec beaucoup de sucre. Soit l’exact contraire d’aujourd’hui oĂč je bois du thĂ© vert japonais que j’achĂšte en vrac et que je bois sans sucre. Du Sencha ou du Gyokuro que je peux boire froid. L’un des gĂ©rants de la boutique de thĂ© oĂč j’ai des habitudes et oĂč j’ai commencĂ© Ă  acheter du thĂ© en vrac un jour, m’a dit que mon palais avait Ă©tĂ© Ă©duquĂ© mais, aussi, que notre palais a une mĂ©moire. Du goĂ»t et des tempĂ©ratures qui nous conviennent lorsque nous buvons du thĂ©.

J’ai l’impression d’ĂȘtre moins en pamoison devant la culture japonaise qu’en 1999. DĂ©libĂ©rĂ©ment et aussi parce-que je suis dans les dĂ©marches du quotidien, j’ai, pour l’instant, survolĂ© le programme que nous a adressĂ© LĂ©o concernant notre sĂ©jour lĂ -bas.

Mais si je me fie Ă  mon rapport au thĂ©, au salĂ©, et au maintien de mon intĂ©rĂȘt pour les Arts martiaux japonais ou autres, il semblerait que je sois bien plus rĂ©ceptif Ă  la culture japonaise que je ne le crois. De maniĂšre pragmatique, je crois que j’attends de me trouver dans l’avion pour Tokyo en bonne condition avec toutes les formalitĂ©s en rĂšgle pour pouvoir commencer Ă  pleinement vivre l’évĂ©nement. Avant cela, je me dis sĂ»rement que trop d’extrapolation et trop d’imagination tue l’expĂ©rience.

Cet article qui est une forme de prĂ©-bilan avant le voyage fait partie pour moi des « formalitĂ©s Â». Autant d’un point de vue instrospectif qu’à visĂ©e d’interaction avec d’autres. Car je crois que d’autres personnes qui seront au Japon ou non en juillet peuvent ressentir ou s’identifier Ă  ce que je raconte Ă  un moment ou Ă  un autre dans cet article.

Il y a quelques mois, je me suis dit que retourner au Japon lors du Masters Tour 2024 Ă©tait vraisemblablement une des meilleures façons pour moi de le faire. LĂ©o Tamaki nous a appris il y a quelques jours que nous serions 143 Ă  participer Ă  ce Masters Tour en juillet et que nous ferions des sessions avec des Maitres d’Arts Martiaux en Ă©tant 23 par groupes. Ce qui est un bon chiffre. 

En apercevant quelques offres commerciales que j’ai pu voir en faveur de voyages au Japon ces derniers jours, tant pour leur tarif que pour leur contenu, je me suis dĂ©jĂ  senti soulagĂ© d’avoir optĂ© pour le choix du Masters Tour 2024.

J’espĂšre et je compte ramener du Japon 2024, en mĂȘme temps que des impressions et des rencontres mĂ©morables, quelques images et un article pour ce blog qui essaieront de restituer cela au mieux. Pour les esprits jeunes et les esprits vieux, pour les esprits traditionalistes et les esprits modernes qui pourront y trouver plaisir et rĂ©confort. 

Rue de Rivoli, Paris, 9 juin 2024. Photo©Franck.Unimon

Nota Bene, ce mercedi 19 juin 2024 :

En repensant ce matin Ă  cet article aprĂšs l’avoir Ă©crit en grande partie hier, je me suis aperçu que j’avais complĂštement oubliĂ© de parler du risque de l’accident nuclĂ©aire au Japon. Un risque difficile Ă  totalement occulter pourtant aprĂšs ce qui s’Ă©tait passĂ© Ă  Fukushima en 2011. 

MalgrĂ© la probabilitĂ© du risque nuclĂ©aire, ou de celui d’un sĂ©isme, je reste sur l’impression que ce nouveau sĂ©jour au Japon m’extraira durant quelques temps des sortilĂšges d’un certain cirque quotidien. 

Franck Unimon.