Quand jâĂ©coute de la musique
Quand jâĂ©coute de la musique, je dois avoir Ă peine 16 ou 17 ans tout au plus. MĂȘme si la musique (avec ou sans paroles) nous permet dâarriver Ă divers Ăąges et Ă©poques de la vie.
Quelques fois, je repense Ă ces moments avec des copains, voire des copines ou quel que soit notre « genre », nos origines culturelles, Ă©conomiques et raciales, lâĆuvre ou lâalbum de lâartiste Ă©tait un mĂ©dium qui nous permettait dâĂȘtre ensemble, de discuter comme de nous provoquer. De nous rejeter aussi. Mais chacun existait de par son diaphragme et son domaine.
Feu Fred Rister, DJ reconnu, compositeur de plusieurs des tubes de David Guetta, coiffeur Ă lâorigine, « Ă©crit » dans son livre Faire danser les gens ( Paru en 2018), quâil en Ă©tait arrivĂ© Ă dĂ©tester tout ce qui empĂȘchait ou interdisait de danser.
Sans alerter jusquâĂ la haine, je ne comprends pas que lâon puisse se passer de musique. De toutes sortes de musiques. Or, en « arrivant Ă lâĂąge adulte » comme lâon entrerait dans une religion ou dans une caserne stricte, en devenant des personnes « responsables », je constate que, peu Ă peu, la musique a perdu de son pouvoir de rassemblement et de mouvement et que nous sommes devenus amnĂ©siques de cette expĂ©rience. Je me rappelle dâune jeune mĂšre un peu embarrassĂ©e de rĂ©pondre Ă son fils de quatre ou cinq ans qui venait de lâinterroger en public :
« Non, on nâa pas dansĂ© Ă notre mariage… ».
En « prenant » de lâĂąge, la musique devient superflue car elle ne peut rĂ©soudre « nos problĂšmes ».
La musique qui se produit aujourdâhui – aprĂšs les annĂ©es de notre jeunesse – est obligatoirement de la « merde ». Ou la musique se fait territoire de retranchement ou bunker de nos souvenirs Ă lâintĂ©rieur desquels on rĂ©siste Ă notre dĂ©pression et nos dĂ©sillusions, seuls dans notre coin ou avec quelques « fidĂšles » qui ne nous ont pas ( encore ?) « trahis ».
Pire : La musique devient un bruit de fond comme nâimporte quelle source dâimages qui nous aspire et nous « aide » Ă oublier et Ă maquiller un peu nos fissures ainsi que toutes les menaces qui nous parviennent du monde et nous tĂ©lescopent lorsque nous sommes chez nous.
Autrement, ĂȘtre devenus des hyperactifs ou des ĂȘtres qui accumulent jusquâĂ lâexcĂšs des objets qui nous survivront largement nous permet aussi de nous croire Ă peu prĂšs Ă lâabri et de moins ĂȘtre les cibles dâun quelconque tourment. Trois tonnes dâexcrĂ©ments en haut de lâEverest, rĂ©sultat de lâalpinisme touristique depuis plusieurs annĂ©es.
Chez moi, jâai plus de Cds, de livres et de dvds que je ne pourrai en profiter avant ma mort. Et, en ce qui concerne la musique, je continue dâaller en chercher. De façon physique et individualiste. Je me refuse Ă me dĂ©matĂ©rialiser. Enfant, en CE2, un de mes maitres de lâĂ©cole publique, nous avait fait dĂ©couvrir la mĂ©diathĂšque de notre ville. On peut emprunter beaucoup de Cds, de livres et de dvds dans les mĂ©diathĂšques. On nâest pas obligĂ© de toujours tout acheter. Et on peut mĂȘme prolonger les prĂȘts.
Je nâai plus de contacts avec mes camarades de CE2 depuis longtemps. Je ne sais donc pas qui, dans notre classe, depuis, a continuĂ© de vivre, et comment, et de se rendre dans une mĂ©diathĂšque. Mais jâespĂšre que la musique que jâĂ©coute inspire et inspirera ma fille.
Dans lâhĂŽpital oĂč je travaille depuis le dĂ©but de cette annĂ©e, il y a une trĂšs bonne mĂ©diathĂšque que jâai repĂ©rĂ©e assez vite. Certains repĂšrent rapidement les points de deal de stupĂ©fiants, moi, je repĂšre les mĂ©diathĂšques.
Cette semaine, jâai rajoutĂ© huit emprunts Ă ceux que je venais de faire prolonger Ă la mĂ©diathĂšque de mon travail. Parmi ces emprunts, lâalbum Sorore ( sorti en 2021) de Vitaa, Amel Bent et CamĂ©lia Jordana ; 30 ( sorti en 2021) dâAdĂšle et Did You Know Thereâs a tunnel under Ocean Blvd ( sorti en 2023) de Lana Del Rey ( Parental Advisory Explicit Content).
Dans mes derniers articles, jâai parlĂ© des concerts de PJ Harvey ( PJ Harvey Ă l’Olympia, octobre 2023), Tricky Tricky Ă l’Olympia ce 6 mars 2024) et Ann âOâaro ( Ann O’aro au studio de l’ermitage ce 14 mars 2024). La semaine prochaine, jâai prĂ©vu de me rendre au concert du groupe Lindigo au Cabaret Sauvage et, cet Ă©tĂ©, je me suis dĂ©cidĂ© Ă retourner voir Massive Attack au festival Rock en Seine. Je parlerai bientĂŽt du concert du groupe Quartier Lointain que j’ai vu la semaine derniĂšre Ă la cave DimiĂšre d’Argenteuil.
Je rĂ©pĂšte que je regrette dâavoir ratĂ© au dĂ©but de lâannĂ©e le concert de Rocio Marquez et de Bronquio.
Vitaa, Amel Bent, CamĂ©lia Jordana, Adele et Lana Del Rey ne figurent pas parmi les artistes que je citerais spontanĂ©ment si lâon me demandait ce que jâĂ©coute comme musique ou comme artiste. Mais ces artistes ont des voix, des personnalitĂ©s, des histoires. Jâai dĂ©jĂ entendu parler dâelles. Jâai vu quelques images de certaines dâentre elles ou ai pu Ă©couter quelques uns de leurs titres.
Hier, lors de mon premier jour de repos, jâai Ă©coutĂ© ces trois albums dans lâordre comme je les ai citĂ©s. Dâabord lâalbum Sorore de Vitaa, Amel Bent et CamĂ©lia Jordana ; puis 30 dâAdele et Did you know that thereâs a tunnel under Ocean Blvd de Lana Del Rey.
Trois Françaises, une Anglaise, une Américaine.
Avant de les Ă©couter, jâavais encore tendance Ă confondre Adele et Lana Del Rey.
Et je confondais Amel Bent avec ChimĂšne Badi.
Le premier titre de Sorore ( Marine) mâa surpris et touchĂ© pour son texte sincĂšre adressĂ© Ă la femme politique Marine Le Pen. Mais surtout pour lâhommage Ă lâartiste Diamâs, auteure du texte, numĂ©ro 1 en France dans les annĂ©es 2000, aujourdâhui retirĂ©e du monde du spectacle. Diam’s Ă©tait une artiste que je savais trĂšs populaire lorsqu’elle chantait mais qui, pour moi, faisait partie du dĂ©cor. Je n’ai jamais pris le temps d’Ă©couter vĂ©ritablement ce qu’elle disait dans ses chansons mĂȘme s’il m’est arrivĂ©, ici ou lĂ , de glaner quelques informations.
Je savais quâau moins Vitaa Ă©tait une amie proche de Diamâs mais aussi que cette chanson qui doit avoir une bonne dizaine dâannĂ©es ( ou davantage) avait toute sa justification en 2021 et encore plus en 2024 :
Lorsque lâon lit que la prestigieuse famille Klarsfeld (parents et fils), aurĂ©olĂ©e de sa vie consacrĂ©e Ă chasser des anciens nazis, affirme que, aujourdâhui, en avril 2024, « Le Rassemblement National ( de Marine Le Pen) est devenu frĂ©quentable…. ».
Dans lâalbum Sorore, jâai aussi aimĂ© lâalliage rĂ©ussi des trois voix. Je connais trop peu leur signature vocale pour toujours savoir qui chante et jâimagine que câĂ©tait le but, de toute façon. Jâai aussi aimĂ© que ces trois chanteuses, qui ont du coffre, sâabstiennent des tours de chauffe et de toute compĂ©tition dans les aigus. LâĂ©coute mâa Ă©tĂ© agrĂ©able. J’ai Ă©coutĂ© l’album deux ou trois fois de suite sans me demander des comptes.
Puis, jâai Ă©coutĂ© 30 dâAdele et cela mâa tout de suite plu. Jâen ai profitĂ© pour commencer Ă regarder sur le net un peu plus qui Ă©tait Adele. Jâai appris que ses parents sâĂ©taient sĂ©parĂ©s lorsquâelle avait trois ans. Que son pĂšre, dâorigine galloise, Ă©tait retournĂ© au pays. Et que sa mĂšre, entre-autre masseuse indĂ©pendante, mais aussi fabricante de meubles, avait dĂ©mĂ©nagĂ© plusieurs fois. Jâai lu que, plus tard, dans une interview, alors quâAdele Ă©tait devenue cĂ©lĂšbre, que son pĂšre avait confiĂ© ĂȘtre « un pĂšre pourri », quâil Ă©tait mort dâun cancer ( ou d’alcoolisme) avant ses 60 ans mais aussi quâAdele et lui sâĂ©taient rĂ©conciliĂ©s auparavant.
Concernant Adele, je ne sais plus si je me trompe ou si câest pareil pour la chanteuse Taylor Swift, mais elle avait une grand-mĂšre qui chantait trĂšs bien Ă lâĂ©glise. Adele est nĂ©anmoins plutĂŽt une autodidacte avec des capacitĂ©s vocales extraordinaires. Cependant, je reste fascinĂ© par ces personnes qui se dĂ©couvrent dans leur enfance des aptitudes vocales hors normes alors que chanter, parait-il, comme le fait de rire peut-ĂȘtre ou apprendre Ă jouer de la musique, est supposĂ© ĂȘtre un acte assez instinctif et ordinaire chez lâĂȘtre humain. Mais il se trouve quâil est des ĂȘtres humains qui savent chanter, faire de la musique et rire ou ont des “facilitĂ©s” pour y parvenir. Et dâautres qui savent faire ni lâun, ni lâautre ou pour lesquels tout est plus “difficile”.
A lire ou Ă©couter les histoires de ces artistes qui se rĂ©vĂšlent, on dirait grossiĂšrement quâil suffirait Ă certaines et certains dâavoir seulement la volontĂ©, Ă un moment de leur vie, gĂ©nĂ©ralement dans lâenfance, voire au dĂ©but des mutations de lâadolescence, de se lancer dans la chanson ou dans la musique pour apprendre quâils en sont capables. Alors que dâautres, tous les autres, pour des raisons multiples et contradictoires, plus douĂ©s ou non, bien que travailleurs, se rĂ©solvent ou se rĂ©sument Ă se taire, Ă ĂȘtre des tĂ©moins ou des assistants, Ă disparaĂźtre ou Ă se perdre.
Peut-ĂȘtre que le dĂ©sespoir ressenti dans les dĂ©buts de leur carriĂšre par ces artistes qui « rĂ©ussissent » et la nĂ©cessitĂ©, pour eux, de s’en sortir seulement au travers de leur art explique en partie cette rĂ©ussite. On chante et on fait peut-ĂȘtre dâautant « mieux » de la musique que lâon a dâautant plus peur dâĂȘtre enfermĂ© Ă jamais dans une boite ou une prison avant dâavoir commencĂ© Ă vĂ©ritablement exister. Lorsque nos rĂȘves et nos idĂ©aux parviennent Ă se hisser au dessus de l’adversitĂ© et des frontiĂšres sans que l’on se fasse briser.
Si la peur paralyse et rend docile beaucoup dâentre nous, il en est quâelle transforme en crĂ©atures possĂ©dĂ©es ou en volontaires tranchĂ©s dĂ©cidĂ©s Ă tenir jusqu’Ă ce qu’ils aient atteint leur but. Et, câest gĂ©nĂ©ralement cette expĂ©rience que la majoritĂ© des spectateurs ou des admirateurs part chercher ou retrouver chez les artistes. Car la docilitĂ© et le dĂ©couragement, nous en avons une expĂ©rience quotidienne et sommes, pour la plupart dâentre nous, plutĂŽt des experts dans ces domaines. Câest aussi pour cela quâon nous recrute, qu’on nous administre, qu’on nous protĂšge, qu’on nous police et quâon nous garde.
Mais ce que je raconte Ă propos du « dĂ©sespoir » comme lâaiguillon possible dâune carriĂšre nâest pas une science exacte. Car beaucoup ont essayĂ© et essaient de toutes leurs forces sans parvenir jusquâĂ se faire connaĂźtre de nous comme il se devrait ou se pourrait. Beaucoup essaient ou ont essayĂ© et, parmi elles et eux, il y a aussi toutes celles et tous ceux qui « finissent mal » ou dissĂ©quĂ©s. Or, assez peu de monde nâa vĂ©ritablement envie de « finir mal » ou de se retrouver dissĂ©quĂ© vivant.
Câest peut-ĂȘtre pour cela, quâen lisant la page wikipĂ©dia consacrĂ©e Ă Adele, jâai assez mal supportĂ© que soit plusieurs fois soulignĂ© le fait que celle-ci avait fait gagner beaucoup dâargent Ă lâindustrie musicale. Câest mon cĂŽtĂ© idĂ©aliste et adolescent qui avait repris le dessus : Pour moi, la musique a plutĂŽt Ă voir, dâabord, avec ce que lâon a besoin dâexprimer, Ă crĂ©er, et comment on touche le public. Jâai du mal Ă croire quâAdele et beaucoup dâartistes musicaux, lorsquâils se lancent dans la musique, aient comme but prioritaire « dâinjecter », comme je lâai lu, des millions ou des milliards de bĂ©nĂ©fices sur les comptes en banque des diffĂ©rents « acteurs » ou agents de lâindustrie du disque. Ce qui impliquait que le public qui avait achetĂ© les albums dâAdele mais aussi assistĂ© Ă ses reprĂ©sentations publiques Ă©tait avant tout considĂ©rĂ© comme un troupeau de consommateurs. Le ruminant, en moi, n’a pas aimĂ© ĂȘtre ainsi quadrillĂ© et Ă©clairĂ©.
MĂȘme si le consommateur ruminant que je suis sait aussi que -dĂšs le dĂ©part- certains artistes peuvent avoir un plan de carriĂšre, je crois encore que câest dâabord leur particularitĂ©, leur sincĂ©ritĂ© comme le fait que le public sâidentifie Ă ce quâils « montrent » ou ressentent qui fait le succĂšs des artistes mais aussi leur « rencontre » avec leur public.
Car, pour moi, un artiste public est un ĂȘtre qui aspire Ă crĂ©er et Ă rencontrer quelquâun dâautre ou un public, tout en cherchant Ă gagner sa vie de cette façon me semble-tâil. MĂȘme si les rencontres que cet artiste peut faire ensuite alterne avec les extrĂȘmes. De lâexceptionnel au plus que dĂ©sobligeant.
Sur lâalbum dâAdele, jâai aimĂ© My Little Love, All Night Parking ( avec Errol Garner). Jâavais aimĂ© dâautres titres. Jâavais Ă©tĂ© trĂšs Ă©tonnĂ© dâaimer aussi facilement autant de titres.
Mais jâai Ă©coutĂ© lâalbum de Lana Del Rey, Did you know that thereâs a tunnel under Ocean Blvd.
Je pourrais presque Ă©crire que jâai fait lâerreur, ensuite, dâĂ©couter le dernier album de Lana Del Rey. Car, Ă partir de lĂ , jâai eu autant de reconnaissance pour les deux prĂ©cĂ©dents albums quâune momie peut en avoir pour lâexistence.
Le processus dâemprise ou dâhypnose sur moi par Lana Del Rey a probablement dĂ» commencer dĂšs le premier titre de son album :
The Grants.
Un titre tout simple en apparence, mĂȘme pas criard. Plaisant Ă Ă©couter. Je nâai pas fait attention. Jâai continuĂ©.
Quâest-ce que je « savais » sur Lana Del Rey avant dâĂ©couter cet album, son dernier Ă ce jour ?
Jâavais dĂ©jĂ Ă©coutĂ© deux ou trois de ses titres dont Blue Jeans qui doit ĂȘtre lâun des deux seuls titres ( si je ne me trompe pas) que jâai dâelle sur un de mes baladeurs numĂ©riques. Jâavais un peu entendu parler de polĂ©miques Ă son sujet qui devaient tourner autour de sa rĂ©elle lĂ©gitimitĂ© en tant quâartiste, je crois. Mais je nâen nâavais jamais fait une artiste Ă Ă©couter en particulier. Lorsque la programmation du festival Rock en Seine cet Ă©tĂ© a Ă©tĂ© annoncĂ©e et que jâai su que Lana Del Rey y serait le premier jour, Ă aucun moment je nâai envisagĂ© dâaller la voir sur scĂšne alors que jâaurais pu, alors, acheter une place pour ce jour-lĂ . Je ne partageais pas lâengouement qui accompagnait cette annonce :
Lana Del Rey au festival Rock En Seine !
Aujourdâhui, il est trop tard pour acheter une place pour aller voir Lana Del Rey cet Ă©tĂ©. Il nây a plus de places disponibles, officiellement, pour la seule date parisienne, au festival Rock en Seine, de Lana Del Rey, quatre mois avant le dĂ©but du « festival ».
Rock en Seine Ă©tait peut-ĂȘtre un festival lorsquâil a Ă©tĂ© crĂ©Ă© au dĂ©but des annĂ©es 2000. Mais, aujourdâhui, câest une usine Ă cash. Ses tarifs sont dotĂ©s du turbo. Et il existe aussi une certaine tendance Ă la spĂ©culation. Il est probable que quelques jours avant le concert de Lana Del Rey, des places soient proposĂ©es Ă la revente par des particuliers opportunistes deux ou trois fois la valeur initiale du prix du billet.
Jâai acceptĂ© de payer 81 euros pour aller revoir Massive Attack au festival Rock en Seine le samedi 24 aout. MĂȘme si dâautres groupes joueront aussi ce jour-lĂ . Mais si jâavais voulu « prendre » un forfait deux jours et voir PJ Harvey le lendemain, par exemple, jâaurais dĂ» payer 135 euros. Ăa paraĂźt une bonne rĂ©duction mais le tarif devient lourd dâautant que, sur place, il sâagira de consommer, dâacheter Ă boire ou Ă manger. Tout sera fait en consĂ©quence pour que cela arrive. Puisque, pour des « raisons de sĂ©curitĂ© », on nous interdira de nous rendre sur le site avec ceci ou cela. Lorsque l’on est jeune et ” sans charges”, on regarde peut-ĂȘtre moins Ă la dĂ©pense. Surtout s’il est question de se rendre Ă un festival ou Ă un concert avec des copains et des copines et d’ĂȘtre ” avec tout le monde”. Mais lorsqu’on l’est un peu plus “vieux”, plus critique et aussi plus individualiste, on aime moins se dĂ©placer pour se faire feinter par ce genre d’entourloupe.
NĂ©anmoins, aprĂšs ce que jâai entendu hier, et malgrĂ© ce que je dis de lâindustrie musicale, jâaurais acceptĂ© de payer 81 euros ou un peu moins de 100 euros pour aller voir Lana Del Rey (et dâautres artistes) Ă un festival. Dâautant que je sais que certaines personnes ont bien acceptĂ© de payer 3000 euros pour pouvoir assister Ă la finale du cent mĂštres en athlĂ©tisme aux Jeux Olympiques Ă Paris cet Ă©tĂ©. Et dâautres ont dĂ©boursĂ© 7000 euros pour pouvoir assister Ă certaines Ă©preuves olympiques cet Ă©tĂ© en France.
De telles dĂ©penses ont de quoi couper la voix. Celle de Lana Del Rey est peut-ĂȘtre plus limitĂ©e que celle quâAdele et du trio forgĂ© par Vitaa, Amel Bent et CamĂ©lia Jordana. Mais cela ne lâempĂȘche pas de titiller nos humeurs et nos Ă©motions. Des trois albums, son album est sans doute le plus variĂ© en termes d’atmosphĂšres et de musique.
Le titre A&W en est une trĂšs bonne dĂ©monstration. Entendre ce titre en concert doit ĂȘtre assez inoubliable. Lorsque je l’ai entendu la premiĂšre fois, je l’ai d’abord pris pour une gentille ballade Ă la guitare/piano/voix oĂč Lana Del Rey s’emploie Ă baisser le son de sa voix le plus possible, de celle qui a vĂ©cu. MalgrĂ© les effets qu’elle met dans sa voix, j’ai eu l’impression d’avoir dĂ©jĂ entendu ça ailleurs. Je me suis Ă©loignĂ© de quelques mĂštres. Puis, il y a eu un changement ( le titre dure 7 minutes et 14 secondes) et je me suis dit qu’il fallait que je rĂ©Ă©coute tout le dĂ©but. Oui, c’Ă©tait bien le mĂȘme morceau que j’avais commencĂ© Ă entendre. A&W “explique” que c’est une erreur de sous-estimer Lana Del Rey.
Lana Del Rey peut autant livrer des chansons de peines de cĆur ( ou « Torch songs ») comme le font Adele, Vitaa, Amel Bent et CamĂ©lia Jordana de maniĂšre « pop » ou “sage”, dirons-nous, que dĂ©river vers le Gospel, le Blues ou le Hip Hop. Elle a certes lâavantage de la langue.
Je me suis demandĂ© si jâĂ©tais victime de cette Ă©ducation qui, en occident, nous soumet au conditionnement de la langue Anglaise. Sauf quâAdele chante en Anglais.
Câest peut-ĂȘtre mon conditionnement Ă la culture amĂ©ricaine, alors ?
Je crois aussi que Vitaa, Amel Bent, CamĂ©lia Jordana et Adele font « trop propres » sur elles. Pourtant, Adele parle de son alcoolisme par exemple et sa carriĂšre initiĂ©e avant sa majoritĂ© fait dâelle un poids lourd en matiĂšre de vĂ©cu. Et, Vitaa, Amel Bent et CamĂ©lia Jordana, sĂ©parĂ©es ou en trio ne manquent pas de vĂ©cu non plus.
Mais il y a dans la musique de Lana Del Rey un refus de la sĂ©curitĂ© qui sâinfiltre et qui sâattarde. Elle mâa rappelĂ© lâactrice Nicole Kidman dans le film Paper Boy rĂ©alisĂ© par Lee Daniels en 2012. Jâai parlĂ© « dâemprise et dâhypnose » pour Lana Del Rey. Mais on pourrait aussi bien parler dâelle comme dâune femme des marĂ©cages qui vous retient. On ne peut pas dire dâelle :
« Lâessayer, câest lâadopter ». Car Lana Del Rey, câest une toile dâaraignĂ©e. Et une Alien. On avance a priori facilement dans son album comme dans son antre pour ne plus avoir trĂšs envie dâen sortir.
Si lâon compare les trois couvertures dâalbum, il y a aussi, chez Lana Del Rey, une trĂšs nette maitrise de lâimage. Jâai lu qu’elle avait pu rĂ©aliser certains de ses clips et que certains de ses amis avaient comparĂ© son univers Ă celui du rĂ©alisateur David Lynch. Je comprends cette comparaison. A ceci prĂšs que Lana Del Rey ne viendrait pas des films de Lynch mais attesterait par elle-mĂȘme du fait que le rĂ©alisateur, pour ses films, sâĂ©tait inspirĂ© de personnes quâil avait vĂ©ritablement rencontrĂ©es mais jamais employĂ©es comme comĂ©diens.
Sur la couverture de son album, en noir et blanc, alors que celle des albums de Vitaa, Amel Bent, CamĂ©lia Jordana et Adele est en couleur, le regard de Lana Del Rey interroge autant quâil suggĂšre quâelle sâennuie. Celui dâAdĂšle semble regarder un horizon encore lointain ou qui se dĂ©robe. Dans le regard de CamĂ©lia Jordana, Vitaa et Amel Bent, je trouve de la fiertĂ© ou de la dignitĂ©, de la solidaritĂ© et de lâoptimisme. On peut tout supposer dâun regard. Mais lâalbum de Lana Del Rey a pour titre une question contrairement aux deux autres.
Lorsque jâai un peu essayĂ© de savoir Ă quoi OcĂ©an Blvd faisait rĂ©fĂ©rence, en mâattendant Ă ce quâil me confirme quâil sâagissait dâHollywood, jâai trouvĂ© que câĂ©tait le titre du deuxiĂšme album dâEric Clapton. Il y a trĂšs vraisemblablement des explications plus Ă©videntes Ă ce titre. Mais le peu que jâai compris du personnage de Lana Del Rey mâindique que lâallusion au deuxiĂšme album dâEric Clapton est aussi possible.
On a de quoi se creuser la tĂȘte avec Lana Del Rey. Mais il y a aussi son langage.
Autant, elle peut ĂȘtre assez sobre, ou d’allure enfantine, autant elle nous susurre son sexe et nous le suture dans la tĂȘte avec douceur Ă la façon de lâĂ©pouse attentive, presque plaintive et soumise, qui nous accueillerait en nous disant :
« Je tâai laissĂ© tranquille toute la journĂ©e, jâai tout fait Ă la maison. Maintenant, fais-moi jouir et rĂȘver autant que je tâai attendu et espĂ©rĂ©. Fais en sorte que plus rien dâautre ne compte vraiment ».
Son âFuck me to death and love me until I love myselfâ rĂ©pĂ©tĂ© au moins trois fois dans son titre Did you know that thereâs a tunnel under Ocean Blvd en est un des exemples. Sauf que câest plutĂŽt, elle, Lana Del Rey, qui nous baise jusquâĂ la mort.
Quant Ă savoir, si nous nous aimons vĂ©ritablement, personnellement, il ne nous reste, quâĂ la rĂ©Ă©couter Ă nouveau pour tenter de nous en assurer tant, avec elle, les illusions sont presque parfaites.
Franck Unimon, ce dimanche 7 avril 2024.