MeâShell NdĂ©geocello au festival Jazz Ă la Villette ce 1er septembre 2023.
« Elle est fatiguée et elle joue pour elle ».
Câest tĂ©lĂ©phone Ă©teint, que je suis retournĂ© voir MeâShell NdĂ©geocello. La premiĂšre fois, câĂ©tait aprĂšs son premier album, Plantation Lullabies, sorti en 1993. Et, ce vendredi 1er septembre 2023, je suis assis au premier rang (jâai rĂ©cupĂ©rĂ© la place dâune personne partie un peu plus tĂŽt) quand, aprĂšs le concert, en sortant de la salle, deux hommes passent devant la scĂšne. Ce faisant, lâun des deux livre son opinion Ă lâami qui lâaccompagne.
AprĂšs son premier album, Plantation Lullabies, MeâShell (cela sâĂ©crivait comme ça Ă lâĂ©poque. Aujourdâhui, cela sâĂ©crit Meshell) Ă©tait passĂ©e Ă lâElysĂ©e Montmartre. JâĂ©tais allĂ© la voir seul, comme ce vendredi soir. Je ne voyais pas qui aurait pu venir assister Ă ce concert avec moi.
MeâShell, câest trente ans de carriĂšre ou plus. MeâShell nâest pas
« connue ».
Pour ce concert, jâai lu quâon la prĂ©sentait comme celle qui avait jouĂ© avec David Bowie ? On lâaura peut-ĂȘtre confondue avec quelquâun dâautre. Peut-ĂȘtre avec la bassiste et chanteuse Gail Ann Dorsey que je connais moins bien et qui a pu ĂȘtre particuliĂšrement mĂ©diatisĂ©e aprĂšs la mort de David Bowie rĂ©cemmentâŠ.
Autrement, pour rendre MeâShell NdĂ©geocello un peu plus familiĂšre, on dit aussi quâelle a jouĂ© avec les Rolling Stones. Je nâai pas vĂ©rifiĂ©.
Jâai bien davantage retenu que MeâShell avait fait un trĂšs bon duo avec le bassiste, compositeur, arrangeur et producteur Marcus Miller (Rush Over). Je continue de me demander pourquoi leur collaboration sâest limitĂ©e Ă un seul titre. Marcus Miller, depuis prĂšs de vingt ans maintenant, est devenu un trĂšs grand nom des festivals de Jazz. Il est dĂ©sormais en tĂȘte dâaffiche au premier plan devant la scĂšne alors que, traditionnellement, le bassiste est plutĂŽt « derriĂšre ».
MeâShell nâa pas le pedigree de Marcus Miller mais elle a quand mĂȘme jouĂ© avec pas mal de musiciens qui comptent sur les Ă©toiles autant que sur leurs doigts pour faire de la musique. Elle a ainsi pu jouer avec Marc Ribot et Chocolate Genius. CâĂ©tait aussi Ă la Villette.
Je me suis aussi mis dans la tĂȘte que Oren Bloedow, sans pouvoir le certifier, lâun des membres du groupe Elysians Field avec Jennifer Charles, avait Ă©tĂ© un de ses guitaristes sur scĂšne lors dâun de ses concerts Ă lâElysĂ©e Montmartre ou Ă la Cigale.
SinĂ©ad OâConnor, dĂ©cĂ©dĂ©e rĂ©cemment, a aussi chantĂ© sur un des disques de MeâShell. Peut-ĂȘtre sur le disque hommage Ă Nina Simone dont a Ă©tĂ© retrouvĂ© lâenregistrement dâun de ses concerts mĂ©morables dans les annĂ©es 60.
Il y a aussi eu le saxophone Jacques Schwarz-bart qui a pu revendiquer, pour son premier album, dâavoir jouĂ© du Gwo-ka Jazz. Elle ( MeâShell) avait aussi participĂ© au disque hommage Ă Fela en reprenant le titre Gentleman quâelle avait fait plus que fredonner.
Elle a aussi cĂŽtoyĂ© Ravi Coltrane, lâun des enfants de John Coltrane et Alice Coltrane. Ou collaborĂ© avec Anthony Joseph.
MeâShell NdĂ©geocello aurait beaucoup aimĂ© pouvoir jouer avec Prince mais celui-ci, de son vivant, ne le lui a jamais permis.
Funk, Jazz, Soul, Punk Rock, Reggae, folk, Rap, chant, compositions, interprĂ©tations, et sans doute dâautres tempos, militante, MeâShell NdĂ©geocello nâa eu peur de rien et celles et ceux qui aiment la musique le lui rendent bien.
Jâai dĂ» la voir quatre ou cinq fois en concert en incluant le concert de ce vendredi soir.
JâĂ©cris ce dont je me souviens.
En rĂ©Ă©coutant plusieurs de ses titres tout en Ă©crivant cet article, je me dis quâil y a trĂšs peu de bassistes, qui, comme elle, peuvent aussi bien varier du Funk ou du Jazz au Reggae sans que cela ne ressemble Ă un pastiche. Lorsque, pour Miles, Marcus Miller avait composĂ© le titre Donât Lose your mind sur lâalbum Tutu (câĂ©tait en 1986), je me rappelle dâun camarade de lycĂ©e, joueur et chanteur de Reggae, qui avait reconnu la rythmique du duo Sly Dunbar et Robbie Shakespeare. Cela mâavait fait drĂŽle de « voir » le grand Marcus Miller devenir en quelque sorte lâĂ©lĂšve de deux artistes Reggae incontestĂ©s ( Serge Gainsbourg les avait bien sollicitĂ©s pour ses albums Reggae).
Lorsque jâĂ©coute la basse de MeâShell sur ses titres Reggae, je lâentends, elle, et non Robbie Shakespeare, dĂ©cĂ©dĂ© il y a quelques mois, que jâai pu et peux particuliĂšrement aimer Ă©couter avec le groupe Black Uhuru des MichaĂ«l Rose, Duckie Simpson et Puma Jones ou sur des titres Dub.
J’aime particuliĂšrement, par exemple, ce que fait Me’Shell sur le titre Forget my name, selon moi, un titre contre le fanatisme religieux.
Mais MeâShell nâest pas connue.
Beaucoup moins connue que Depeche Mode, Sting et U2 ( elle est arrivée aprÚs eux).
Bien moins connue que les vedettes de ces dix Ă quinze derniĂšres annĂ©es aux concerts ou festivals Ă 100 000 personnes ou davantage pour lesquelles il faut dĂ©bourser facilement plus de cinquante euros pour les voir en concert. Sans doute, doit-elle ĂȘtre situĂ©e aux cĂŽtĂ©s de SinĂ©ad OâConnor, dĂ©jĂ citĂ©e, mais aussi de PJ Harvey ou Björk, des artistes qui se sont imposĂ©es Ă partir des annĂ©es 90 et qui avaient d’autres quĂȘtes que la recherche de la cĂ©lĂ©britĂ©.
Des quatre, aujourdâhui, il en reste trois. PJ Harvey passera bientĂŽt en Octobre Ă lâOlympia pour deux dates qui ont Ă©tĂ© rapidement complĂštes. Jâirai la voir pour la premiĂšre fois afin dâessayer de rattraper le fait de lâavoir ratĂ©e au festival Rock en Seine au dĂ©but des annĂ©es 2000 moyennant une place de concert aux alentours de 60 euros.
Björk, je lâai « vue » plusieurs fois sur scĂšne depuis ses dĂ©buts. La derniĂšre fois Ă©tant cette annĂ©e oĂč elle avait clĂŽturĂ© le festival Rock en Seine (2007 ?) avec Declare Independance. Il y a plus de dix ans. CâĂ©tait avant quâelle (Björk) ne joue dans des salles Ă cent euros la place en moyenne.
Pour MeâShell, ce vendredi 1er septembre 2023, aprĂšs au minimum trente ans de carriĂšre, la place assise et numĂ©rotĂ©e a coĂ»tĂ© 35 euros. Câest un peu plus que pour Oumou SangarĂ© que jâirai voir ce 6 septembre, Ă©galement Ă la Villette : 28 euros.
Oumou SangarĂ©, aussi, nâest pas trĂšs « connue ».
« Elle est fatiguée et elle joue pour elle ».
Il est indiscutable que depuis « You say thatâs your boyfriend, funny, he wasnât last nightâŠ.maybe he needed a little change, a switchâŠ. », il y a trente ans, MeâShell sâest assagie et a grossi. Elle nâest plus cette bitch garçon manquĂ© qui gouvernait le public et son groupe avec son allure et sa basse.
« Elle est fatiguée et elle joue pour elle ».
MĂȘme assise comme elle lâa Ă©tĂ© ce vendredi durant tout le concert, mettez-lui une basse dans les mains, alignez Ă cĂŽtĂ© une des vedettes actuelles avec le mĂȘme instrument et regardez ce quâil en sort. Jâai aimĂ© voir lâartiste Rosalia au mois de juillet lors d’un festival Ă lâhippodrome de Longchamp. Pour elle et cette date unique en rĂ©gion parisienne cette annĂ©e, jâai finalement acceptĂ© de payer prĂšs de 90 euros.
Juste pour elle.
Si Rosalia maitrise tout ce qui a trait Ă la mise en scĂšne et les technologies actuelles de communication, rĂ©seaux sociaux inclus, pour moi, entre elle et Me’Shell, il en est une des deux qui est bien plus musicienne que lâautre. Et une qui est plus plasticienne que la prĂ©cĂ©dente.
Ce vendredi, quand le bassiste, placĂ© derriĂšre MeâShell, a commencĂ© Ă lancer les premiĂšres notes de son titre Virgo prĂ©sent sur son dernier album The Omnichord Real Book, rejoint par une batterie afro-beat qui rappelle autant Fela que le batteur Tony Allen ( dĂ©cĂ©dĂ© durant la pandĂ©mie du Covid) je me suis dit quâil lui fallait toujours trĂšs peu pour nous atteindre.
MeâShell NdĂ©geocello fait partie de cette minoritĂ© dâartistes (musicaux ou autres) qui ont dĂ©cidĂ© de prendre beaucoup de risques pour vivre de leur Art et qui y sont parvenus, trente ans durant.
Rosalia nâa pas encore ces trente ans de carriĂšre.
Il en est tant dâautres, artistes ou spectateurs que lâon ne voit pas et que lâon nâentend pas sur aucune scĂšne trente ans aprĂšs. A la Villette ou ailleurs. Il mâarrive dâailleurs de regretter encore le Finley Quaye de Even after All .
On peut rater un concert. Cela reste moins grave que de rater sa vie.
MeâShell a-tâelle jouĂ© pour elle, ce vendredi soir ? MeâShell nâa plus envie de performance. Lorsquâelle a chantĂ© en Anglais « Je suis reconnaissante dâavoir des yeux, je suis reconnaissante dâavoir des oreilles pour entendre », câĂ©tait sincĂšre. On peut la trouver mystique. Elle sâest bien convertie un moment Ă la religion musulmane ou a semblĂ© en tout cas sâen rapprocher. Mais elle fait ce quâelle peut afin de se dĂ©sabonner de lâego. Bien dâautres artistes, avant elle, sont passĂ©s par lĂ . Prince y compris, qui, un temps, ne voulait plus sâappeler Prince.
Alors que, nous, spectateurs, nous sommes nombreux à venir en concert afin de satisfaire ou de soigner notre ego. Souvent, nous repartons comme nous sommes venus et lorsque nous avons changé un peu, les effets de ce changement sont transitoires. Nous ne prenons pas beaucoup de risques à venir en spectateurs.
Il y avait sĂ»rement un cĂŽtĂ© « prĂȘche » dans lâattitude de MeâShell ce vendredi soir. Elle nâĂ©tait pas lĂ pour nous flatter et nous caresser le ventre avec sa basse. MĂȘme si elle est passĂ©e par Iâm digging you like an old soul record ( un de ses titres les plus connus de son premier album, Plantation Lullabies ) mais aussi par Love Song ( titre qui a plusieurs variantes, dont une variante Reggae, sur son album Comfort Woman sorti en 2003).
Et, il faudra un moment mentionner, aussi, quâelle a perdu ses parents. Elle les a dâailleurs dessinĂ©s sur son dernier album. Un album sur lequel on peut dâailleurs trouver certains de ces croquis un peu Ă la façon de Miles sur son album Star PeopleâŠ
MeâShell NdĂ©geocello restera celle qui nâest pas trĂšs connue et qui fait partie de ces artistes Ă©vitant la cĂ©lĂ©britĂ©. En cela, on peut peut-ĂȘtre aussi la rapprocher de bien d’autres artistes. Cependant hier soir, dans la salle, on a pu voir quelques enfants dâune dizaine dâannĂ©es, des jeunes dâune vingtaine dâannĂ©es ainsi que des personnes, noires et blanches, dâune cinquantaine ou dâune bonne soixantaine dâannĂ©es. Il y avait des Français mais aussi, Ă lâoreille, des AmĂ©ricains. On doit sans doute penser quâune grande majoritĂ© de ce public Ă©tait venue Ă©couter de la musique de « vieux » car, aujourdâhui, ce que joue MeâShell est en dehors de certains codes de cette musique-spectacle qui marche :
Aucune chorĂ©graphie en forme de fesse, principalement des musiciens sur scĂšne avec leurs instruments, pas de Rap ou de Reggaeton, pas dâautotune. Tout cela est dâun ringard car, selon certains critĂšres, ce concert aurait donc Ă©tĂ© une sorte de « troisiĂšme Ăąge » de la musique. Et, MeâShell, pourtant novatrice, serait donc une artiste dĂ©passĂ©e et nous aussi qui sommes venus ou revenus lâĂ©couter. MĂȘme si, cachĂ©s ou non, il doit bien y avoir des artistes qui marchent trĂšs bien actuellement, depuis des annĂ©es (ou plus tard) qui connaissent leur MeâShell par cĆur.
Bien-sĂ»r, jâaurais prĂ©fĂ©rĂ© un autre concert de MeâShell dâautant que jâai lâimpression que lâacoustique de la philarmonie est un peu un filet de pĂȘche qui empĂȘche la musique de passer. Mais on mesure la rĂ©ussite dâun concert au fait quâen rentrant chez soi, on aime ensuite rĂ©Ă©couter les titres de lâartiste que lâon a vu (e) sur scĂšne. Si ce vendredi soir, dans le train du retour, jâai Ă©coutĂ© Crash Landing et Come down hard on me de Jimi Hendrix suivi du Botanical Roots de Black Uhuru, alors que jâĂ©cris cet article aujourdâhui, je ne me fatigue pas de rĂ©entendre un certain nombre des titres de Meâshell.
Franck Unimon, ce mardi 5 septembre 2023.