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Cinéma

How to have Sex un film de Molly Manning Walker

Tara ( l’actrice Mia McKenna Bruce) et Badger ( l’acteur Shaun Thomas).

How to have Sex un film de Molly Manning Walker

Plus de deux semaines sont passĂ©es depuis que j’ai vu ce film en projection de presse.

Et je n’ai toujours rien Ă©crit dessus. Le film va bientĂŽt sortir et j’ai dĂ©jĂ  commencĂ© Ă  apercevoir – sur l’affiche du film- des commentaires de la presse dithyrambiques.

Pour “bien” m’aider Ă  rĂ©diger cet article, j’ai Ă©garĂ© les quelques notes, bicoques de mes pensĂ©es, que j’avais Ă©crites peu aprĂšs avoir vu le film. Je les retrouverai peut-ĂȘtre aprĂšs, lorsque le film sera sorti. Ce 15 novembre 2023. 

Ce matin, je me mets Ă  repenser Ă  ce film alors que, pour d’autres raisons qui n’ont rien Ă  voir avec lui, je raisonne tout seul Ă  propos de ces besoins que nous avons, qui nous poussent Ă  vivre certaines relations douloureuses ou heureuses, et qui se partagent  peu avec les contingences de la morale et du Devoir.

Le titre du film est une entourloupe. Le sexe. Le sexe, ça excite.

Tara ( l’actrice Mia McKenna Bruce) et Skye ( l’actrice Lara Peake)

Ou ça effraie.

C’est un peu comme une chouette qui nous surprend la nuit ou dans un environnement inconnu et dont on a du mal Ă  identifier, avec autoritĂ©, l’identitĂ© ou les vĂ©ritables intentions Ă  notre sujet. On s’est alors beaucoup trop avancĂ©, d’un pas dĂ©cidĂ©, pour passer de l’autre cĂŽtĂ© et, maintenant, on commence un peu Ă  hĂ©siter. A se hĂ©risser. Mais on ne peut plus reculer. On a oubliĂ© ou perdu le trajet qui pourrait nous faire revenir Ă  notre point de dĂ©part. Lorsque l’on Ă©tait sain et sauf et que l’on avait envie d’aller de l’avant. On s’Ă©tait voulu dĂ©terminĂ©, on se rencontre maintenant autrement. On se rend compte que l’on n’avait pas tout Ă  fait tout prĂ©vu comme on le croyait au dĂ©part, en terrain familier.

On croit que le sujet de How to have sex, c’est le sexe. On a de quoi se frotter les mains ou se caresser les lĂšvres du vagin en dĂ©couvrant ce titre si l’on est « intĂ©ressĂ© ( e) ».

Em ( l’actrice Enva Lewis) et Tara ( l’actrice Mia McKenna Bruce) deux des amies “for Life”.

Le rĂ©sumĂ© de l’histoire nous apprend que trois copines, Em, Skye et Tara, mineures, et encore collĂ©giennes, partent en vacances dans l’équivalent d’un endroit comme Ibiza afin de perdre leur virginitĂ© et de connaĂźtre ce grand moment de la premiĂšre fois contre le corps de l’autre. Sea, Sex and sun.

Mais il faut voir ce que l’on met dans la boite Ă  lettres du sexe. Cette boite Ă  lettres se trouve dans notre tĂȘte.

Badger ( l’acteur Shaun Thomas)

Pour certaines personnes, il s’agit de tirer son coup et de s’en battre les couilles- ou les ovaires- aprùs, que l’on soit un homme ou une femme.

Je suis tombĂ© rĂ©cemment sur une vidĂ©o de la chanteuse Miley Cirus affirmant crĂąnement qu’aprĂšs avoir couchĂ© avec quelqu’un, celle-ci ou celui-ci n’existe plus. C’est Ă  peu prĂšs l’équivalent d’un cadavre qui a rempli son office – ainsi que ses orifices- de son vivant et dont il faut se dĂ©barrasser ou dont il faut s’éloigner au plus vite par la suite sans laisser de traces. 

Avec Miley Cirus, lorsque l’on a un rapport sexuel, on n’est pas lĂ  pour vivre ensemble.  Ni pour concevoir une quelconque relation. Si l’on recherchait un suivi de relation comme on le fait d’une lettre suivie par la poste, on s’est trompĂ© d’endroit et de personne.

On s’est juste mis « bien » pour coucher ensemble. On est bien d’accord ! Que les choses soient claires !

Sous cette vidĂ©o de ce qui ressemblait Ă  une interview de Miley Cirus, on pouvait lire des commentaires admiratifs et enthousiastes de personnes vantant son inconditionnelle franchise. Je n’ai aucune idĂ©e de l’ñge moyen de ces admiratrices et admirateurs mais j’ai envie de croire qu’ils Ă©taient « jeunes Â», c’est Ă  dire, pour faire trĂšs simple :

Moins de trente ans.

Tara ( l’actrice Mia McKenna Bruce)

Lorsque l’on a moins de trente ans (ou plus ) et que, finalement, on a vĂ©cu assez peu d’histoires ou de relations qui comptent, on pourrait rejoindre cet avis de Miley Cirus ou de ces « fans Â».

« Moi, c’est juste pour baiser Â». « C’était pour s’amuser. Je ne lui ai rien promis. On n’est pas marié  Â».

Nous sommes rĂ©guliĂšrement « convaincus Â» que le sexe est devenu une livraison banale sans engagement particulier de notre part :

Entre les pubs dĂ©nudĂ©es ; les soirĂ©es plus ou moins festives; les occasions et les propositions diverses; les lieux et les sites dits de rencontres; les femmes et les hommes qui voient le sexe comme Miley Cirus ; les images Ă©laborĂ©es d’influenceuses ou de stars fĂ©minines (BeyoncĂ©, Rihanna etc
) acharnĂ©es Ă  se montrer suggestives et parfaitement Ă  l’aise pour nous expliquer que tout cela est transgressif et vise surtout Ă  secouer ou dĂ©molir la pudibonderie hypocrite, veule et patriarcale prĂ©Ă©tablie dont le seul projet- ou objet- est de domestiquer mais aussi d’éradiquer la femme ;

Beaucoup est fait, dit, rĂ©pĂ©tĂ© et montrĂ© pour nous convaincre que la sexualitĂ©, finalement, mĂȘme pas mal. C’est mĂȘme un outil ou un engin de dĂ©livrance et d’affirmation de soi en tant que personne libre, consciente et responsable.

Je fais de mon corps ce que je veux…”

Skye ( l’actrice Lara Peake), Em ( l’actrice Enva Lewis) et Tara ( l’actrice Mia McKenna Bruce).

 

Tel est Ă  peu prĂšs l’état d’esprit de Em, Skye et Tara, les trois « meilleures amies pour la vie Â» lorsqu’elles dĂ©cident de partir ensemble dans ce lieu de rĂ©-jouissances oĂč, Ă  la façon d’un club MĂ©d, bien des animations sont organisĂ©es (par des adultes souvent plus ĂągĂ©s que les jeunes venant s’y dĂ©fouler) afin de boire beaucoup d’alcool mais aussi de permettre des interpĂ©nĂ©trations charnelles faciles et rĂ©Ă©ditĂ©es sans, a priori, aucune consĂ©quence.

Sur le papier, un tel programme, cela peut ĂȘtre le pied Ă  condition d’accepter de se bourrer la gueule et de trouver ça festif. Personnellement, dans ce genre d’ambiance, j’aurais dĂ©rangĂ© et emmerdĂ© bien des gens car prendre une cuite, partir vomir ensuite et avoir plaisir Ă  le raconter ne m’a jamais fait bander. Probablement, je le sais maintenant, parce-que je suis un type coincĂ© et sans avenir.

Mais lĂ  oĂč se rendent nos trois hĂ©roĂŻnes, Em, Skye et Tara, fort heureusement, tout le monde ou Ă  peu prĂšs est beaucoup plus drĂŽle, sait prendre la vie du bon cĂŽtĂ© et se montre consentant et participatif puisque l’on y vient tous pour ça. Cela change tellement des mimiques et des corps embarrassĂ©s et des mĂ©thodes de dragues Ă  deux balles, lorsque, dans la rue, sur la plage, en pleine forĂȘt, sur l’autoroute ou dans le mĂ©tro, on croise un inconnu ou une inconnue qui nous plait sans trop savoir  comment l’aborder ou en prenant le risque-en public- de se faire jeter ou traiter de pauvre type, de pervers ou de harceleur.

En pratique, malgrĂ© leurs bonnes dispositions, nos trois jeunes collĂ©giennes vont dĂ©couvrir qu’elles manquent peut-ĂȘtre encore un peu de rĂ©alisme. Et que l’on peut ĂȘtre une fille intelligente et rusĂ©e, et, par ailleurs, se jouer des tours Ă  soi-mĂȘme. Ou se faire rouler dans la farine.

Le rĂ©alisme, How to have sex en est pourvu. On pourra donc, lors de certaines scĂšnes quasi-documentaires, se sentir quelque peu mal Ă  l’aise sans ĂȘtre dans une position de voyeur. Comme devant des images du film Kids ( 1995) de Larry Clark auquel ce film m’a au moins fait penser. On pourra aussi se rappeler le personnage interprĂ©tĂ© par l’actrice Thora Birch dans le  American Beauty de Sam Mendes ( 1999) ou de certaines des paroles plus rĂ©centes du titre Teenage Fantasy de la chanteuse Jorja Smith. Une chanson qui aurait pu faire partie de la bande son du film.

How to have Sex, avec mĂ©thode, nous dĂ©voile comment se forme le canevas qui va permettre la « chute » : on y trouve des personnes vulnĂ©rables qui se croient suffisamment prĂȘtes, ouvertes, adultes et fortes pour l’aventure dans laquelle elles se sont lancĂ©es; une figure maternelle et protectrice qui ne peut pas ĂȘtre omniprĂ©sente et deviner la prĂ©sence et l’imminence du danger; le sentimental crĂ©dule, timide, bienveillant et gentil dominĂ© par « l’ami » tapi en embuscade, infiltrĂ©, qui, lui, agit Ă  la moindre opportunitĂ© et sans le moindre scrupule.

Tout n’est pas pourri dans cet univers oĂč des jeunes viennent un peu de tous les pays pour « s’amuser Â». Mais il suffit qu’une personne malintentionnĂ©e s’invite et se cache parmi eux pour que les premiĂšres victimes apparaissent.

Initiatique, How to have sex l’est autant pour les trois protagonistes qu’il pourra l’ĂȘtre pour certaines spectatrices et spectateurs qui pourront aller voir ce film Ă  partir de ce 15 novembre 2023.  

 

Franck Unimon, ce samedi 4 novembre 2023.

 

 

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En Concert

PJ Harvey Ă  l’Olympia, octobre 2023

 

PJ Harvey, Ă  l’Olympia, Paris, ce 12 octobre 2023. Photo©Franck.Unimon

PJ Harvey à l’Olympia, octobre 2023

PJ Harvey, c’est lors des annĂ©es 90 et 2000 qu’elle avait tout emballĂ©.  Je l’avais ratĂ©e au festival Rock En Seine entre 2003 et 2005 au parc de St Cloud. J’avais trop hĂ©sitĂ©.

Trente ans plus tard, ses deux dates pour l’Olympia ont Ă©tĂ© complĂštes. S’il y avait moins la queue pour son concert que pour celui des deux sƓurs Ibeyi, PJ Harvey a nĂ©anmoins son public.

Ce 12 octobre 2023, aprÚs le concert de PJ Harvey. Photo©Franck.Unimon

On a plutĂŽt la quarantaine voire la cinquantaine lorsque l’on vient voir PJ Harvey en concert et l’on est plutĂŽt blanc, aussi. C’est ce que je me dis subitement alors que je me trouve dans la salle oĂč, Ă  part les vigiles pour filtrer les entrĂ©es ou dans la salle pour assurer la sĂ©curitĂ©, je n’ai pas vu un seul noir dans le public.

Il y a aussi pas mal de femmes. De la trentaine Ă  la cinquantaine.

Bien plus que lorsque j’étais allĂ© dĂ©couvrir Joe Bonamassa grĂące Ă  Christophe Goffette et, qu’à cĂŽtĂ© de moi, dĂšs le dĂ©but du concert, un homme avait chaussĂ© ses lunettes noires et ostensiblement refusĂ© toute interaction avec moi. Nous n’étions pas du tout du mĂȘme bord. Lui, c’était un pur. Et, moi, je devais ressembler Ă  un artĂ©fact. Il Ă©tait peut-ĂȘtre aussi dans la salle, parmi les spectateurs, ce soir.

PJ Harvey, Ă  l’Olympia, ce 12 octobre 2023. Photo©Franck.Unimon

A ce concert de PJ Harvey, je le sais, se trouvent aussi un ami, rencontrĂ© trente ans plus tĂŽt, et une de ses collĂšgues dont j’ai fait la connaissance un peu plus tĂŽt dans la journĂ©e. Avec eux, j’aurai un peu plus d’interactions car aucun des deux ne porte de lunettes noires.

Sans nous ĂȘtre consultĂ©s, tous les trois, nous avions pris notre place pour ce concert de PJ Harvey environ deux mois plus tĂŽt. Les places sont vite parties.

Les artistes, entre eux, ont souvent bien moins de frontiĂšres que celles et ceux qui les « suivent » et les Ă©coutent. C’est parce-que, progressivement, j’ai fait mien ce principe ou cette conduite de vie que j’ai Ă©tĂ© amenĂ©, il y a plusieurs annĂ©es, Ă  Ă©couter PJ Harvey. Tout en Ă©coutant du Zouk ( Jacob Desvarieux)  ou du Reggae ( En concert avec Hollie Cook au Trabendo).

Mon ami de trente ans, je le sais, n’écoute pas du tout du Zouk, du Kompa, de la Salsa ou du Reggae. Et encore moins du Dub :

( En concert avec Zentone Ă  la Maroquinerie) .

Pas mĂȘme du Funk. Lui, me (re)parlera de Franck Black (que j’ai eu la chance de voir un jour en concert et ce fut une trĂšs trĂšs belle performance), de John Zorn, de Roger Waters
 Des artistes que je peux aimer Ă©couter (Roger Waters) ou que j’ai essayĂ© d’entendre (John Zorn).

Sa collĂšgue, elle, aprĂšs le concert, me donnera envie en m’apprenant avoir vu Massive Attack avec Tricky en 2008. Ces derniers jours, j’ai beaucoup Ă©coutĂ© et rĂ©Ă©coutĂ© Tricky. J’ai cherchĂ© des nouvelles versions de ses titres. Mon ami n’écoute pas Tricky. Mais PJ Harvey avait fait un titre avec lui :

Broken homes.

AprĂšs le concert, cependant, la collĂšgue de mon ami me laissera un peu pantois lorsqu’elle citera les Artic Monkeys. Car elle n’a pas trop aimĂ© la prestation que nous avons vue de PJ Harvey. Elle a trouvĂ© les paroles trĂšs belles mais le son mauvais. Pour elle, on ne sentait pas assez les basses. Elle aurait voulu se sentir « transpercĂ©e Â» par les basses comme cela s’était fait lors du concert des Artic Monkeys ou de Massive Attack par exemple. Je connais les Artic Monkeys seulement de nom. D’aprĂšs mes prĂ©jugĂ©s, c’est une musique froide, « blanche Â», ça ne se danse pas. Je n’ai pas envie d’y aller. Mais je n’ai rien Ă©coutĂ© d’eux Ă  ce jour alors que je peux beaucoup aimer des titres de Cure, Joy Division, Depeche Mode, Soft Cell, Radiohead
.

 D’ailleurs, j’ai vu le film consacrĂ© Ă  Ian Curtis, leader du groupe Joy Division : Control rĂ©alisĂ© en 2007 par Anton Corbijn. J’ai aimĂ© le film mĂȘme s’il est dĂ©primant.

Et, Tricky, lui-mĂȘme, ou Massive Attack, ont assurĂ©ment puisĂ© aussi dans des inspirations qui ont pu ĂȘtre communes aux Artic Monkeys. On ne peut pas dire non plus que les compositions de Tricky et Massive Attack soient des inventions particuliĂšrement festives.

PJ Harvey, A l’Olympia, ce 12 octobre 2023. Photo©Franck.Unimon

Mon ami, lui, pour nous redonner du tonus, aprĂšs le concert, nous dit :

« Je pense qu’on est venu la voir trop tard. Il aurait fallu la voir vingt ans plus tĂŽt Â».

Mon ami souligne aussi que la mise en scĂšne thĂ©Ăątrale de PJ Harvey ne l’a pas sĂ©duit. Il est vrai que, durant le concert, PJ Harvey a beaucoup posĂ© tout Ă  son rĂŽle ou aux histoires qu’elle nous a racontĂ©es dans ses chansons. Mais cela a Ă©tĂ© trĂšs pratique pour moi. Pour prendre des photos. Je n’ai peut-ĂȘtre jamais rĂ©ussi autant de photos en concert.

Nous avons vieilli. PJ Harvey, aussi. Mais nous le reprochons plus Ă  PJ Harvey qu’à nous-mĂȘmes. Toutefois, moi, qui ai moins bien compris les paroles de ses chansons que mon ami et sa collĂšgue, j’ai aimĂ© le concert. Jusqu’alors, je n’avais pas remarquĂ© le nombre de fois oĂč elle mentionne les mots « Amour Â» et  Â« JĂ©sus Â».  

Au plus prĂšs de la scĂšne afin de pouvoir faire mes photos, j’ai aimĂ© le dĂ©vouement de PJ Harvey. J’ignore si cela a toujours Ă©tĂ© comme ça mais nous savions que son concert commencerait Ă  20 heures piles comme annoncĂ© sur nos billets. Par ailleurs, des mesures ont Ă©tĂ© prises contre la revente des places de son concert au marchĂ© noir. Il vaut donc mieux avoir achetĂ© son entrĂ©e par les biais officiels. J’ai un peu oubliĂ© maintenant mais il me semble avoir payĂ© 55 euros pour ĂȘtre debout dans la fosse. Et, au dĂ©part, toutes les bonnes places prĂšs de la scĂšne m’ont semblĂ© dĂ©jĂ  prises.

PJ Harvey, ce 12 octobre 2023, Ă  l’Olympia. Photo©Franck.Unimon

La « prĂȘtresse du Rock Â» PJ Harvey (c’est ainsi qu’elle a Ă©tĂ© surnommĂ©e dans la presse pour ces concerts) a dĂ©veloppĂ© sa conscience du monde. J’ai lu ou appris qu’elle se prĂ©occupait de ce que nous faisions de notre planĂšte, de ce qui s’y passait. Devenue plus cĂ©rĂ©brale sans doute qu’à ses « dĂ©buts Â», comme Björk,  sa musique rentre moins dans le tas qu’avant. Et, il y a beaucoup moins de gravats aprĂšs les passages de sa voix et de sa guitare. Or, visiblement, c’est ce que un certain nombre d’entre nous attendaient.

PJ Harvey change d’ailleurs plusieurs fois de guitare. Il s’agit donc d’un instrument qui lui reste familier. Le public reste sage ou tout en dĂ©votion. Il s’anime d’emblĂ©e lorsque l’artiste entame certains de ses anciens « tubes Â» tels que Down by the water par lequel j’avais, je crois, entendu parler d’elle pour la premiĂšre fois dans un film de Laetitia Masson avec Sandrine Kiberlain. Alors que Laetitia Masson, dans les annĂ©es 90, Ă©tait une rĂ©alisatrice de films d’auteurs qui Ă©talonnait son Ă©poque.

PJ Harvey a aussi entonnĂ© Dress mais, si j’ai bien entendu, aucun titre de l’album Is it Desire ?

Je n’aurais pas dĂ» pouvoir prendre toutes ces photos au concert de PJ Harvey. MĂȘme si dans la salle, j’ai bien vu des personnes prendre des photos, ou filmer, y compris Ă  proximitĂ© d’un des vigiles, avec tout ce qu’il fallait pour bien zoomer, j’ai aussi vu une personne devoir dĂ©poser son appareil photo Ă  la consigne avant d’entrer dans la salle.

Je suis content ou trĂšs content de ces photos. Et, je m’en sers non pas pour me faire du fric sur le dos de l’artiste et de celles et ceux qui travaillent avec elle, mais afin d’avoir des photos originales, mes photos, et pour restituer aussi bien que possible cette expĂ©rience qu’a Ă©tĂ© pour moi ce concert ainsi que l’Ɠuvre d’une artiste. Avec autant de sincĂ©ritĂ© que possible ainsi qu’avec les moyens dont je dispose pour mon blog.

Pour le diaporama de photos que j’ai fait et qui arrive Ă  la fin de cet article, j’ai choisi des anciens titres de PJ Harvey. Cela lui dĂ©plairait peut-ĂȘtre. Mais je crois que cela devrait faire plaisir Ă  celles et ceux qui, comme moi, ont vieilli, et ont conservĂ© une partie de leur jeunesse et de leur vitalitĂ© dans les fĂ»ts et les refus de ces titres.

Franck Unimon, ce mercredi 1er novembre 2023.

 

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Théùtre

Zingaro : Cabaret de l’exil femmes persanes conception Bartabas

Au théùtre Zingaro, à Aubervilliers, ce samedi 28 octobre 2023. Photo©Franck.Unimon

Zingaro : Cabaret de l’Exil femmes persanes (conception Bartabas)

 

Cela faisait des annĂ©es que j’avais entendu parler de Bartabas, du thĂ©Ăątre Zingaro, de « ses » chevaux et que j’avais envie d’aller les voir. J’avais aussi lu un ou deux articles sur lui. Ou peut-ĂȘtre une interview. Cela m’avait dĂ©cidĂ©.

Bartabas, aprÚs la représentation ce samedi 28 octobre 2023 au théùtre Zingaro. Photo©Franck.Unimon

Mais mes envies sont aussi des bagages que je tire derriÚre moi. On peut me trouver excentrique et original. Pourtant, je vis le plus souvent avec les badges, les numéros, les heures, les consignes ou les directions qui me sont attribuées et pour lesquelles je (me) suis renseigné.

Il faut des sorts contraires ou en ĂȘtre arrivĂ© Ă  un stade particulier dans son histoire personnelle, pour, un jour, ou par moments, renoncer complĂštement et oublier beaucoup de ce que Ă  quoi l’on a pu tenir pendant des annĂ©es. Ou faire le nĂ©cessaire pour que tout arrive.

Il a fallu que je me marie et devienne pĂšre pour que je pense cette annĂ©e Ă  offrir Ă  ma fille un spectacle de Bartabas comme cadeau d’anniversaire et que je l’y emmĂšne avec sa mĂšre.

J’avais bien vu un de ses spectacles. Mais c’était au chĂąteau de Versailles. Dans une autre vie avec une autre personne. Nous Ă©tions loin. Cela allait vite. Il Ă©tait difficile de bien distinguer ce qui se passait mĂȘme s’il m’en Ă©tait restĂ© quelques visions. Et, cela n’était pas au thĂ©Ăątre Zingaro.

Une des parties du thĂ©Ăątre Zingaro, Ă  Aubervilliers, ce samedi 28 octobre 2023, lĂ  oĂč s’est tenu la reprĂ©sentation. Photo©Franck.Unimon

CrĂ©Ă© en 1989, situĂ© dans la ville d’Aubervilliers, je m’étais toujours imaginĂ© que le thĂ©Ăątre Zingaro Ă©tait difficile d’accĂšs. Que c’était soit trop loin ou soit trop cher.

Je suis pourtant nĂ© en banlieue parisienne et ai toujours vĂ©cu en banlieue parisienne. Un de mes cousins vit depuis plus de vingt ans dans la ville de Saint Denis. J’ai dĂ©jĂ  fait des voyages Ă  l’étranger et en France. J’ai aimĂ© ça et continuer d’aimer faire des voyages. A Paris et en Ăźle de France, je prĂ©fĂšre largement les transports en commun Ă  la voiture et je les emprunte trĂšs facilement depuis des annĂ©es.

Je n’ai peut-ĂȘtre pas assez aimĂ©.

Tout est fait pour pouvoir se rendre Ă  la station Fort d’Aubervilliers, par la ligne 7 du mĂ©tro, et aller au thĂ©Ăątre Zingaro. C’est mĂȘme beaucoup plus pratique que la voiture, le soir de la finale de coupe du monde de Rugby au stade de France entre la Nouvelle ZĂ©lande et l’Afrique du Sud.

Lorsque, tous les trois, nous partons dĂ©couvrir le thĂ©Ăątre Zingaro et son dernier spectacle Cabaret de l’Exil femmes persanes, le match de Rugby n’a pas encore dĂ©butĂ©. Et nous sommes Ă  quelques heures du passage Ă  l’heure d’hiver. Mais nous sommes un samedi soir, entre 18 heures et 19 heures, en pleines vacances de la Toussaint.

Il y a beaucoup de monde dans le mĂ©tro. Des touristes. Des personnes habillĂ©es pour sortir le samedi soir. Des amatrices et des amateurs de Rugby qui se rendent au « stade » (au stade de France) ou ailleurs pour regarder le match. Telle cette jeune femme plutĂŽt longiligne d’une vingtaine d’annĂ©es en face de qui je m’assieds, qui porte un maillot ( de Foot ou de Rugby ?) de l’équipe de France et des Ă©couteurs intra-auriculaires sans fil.

ArrivĂ©s Ă  la station Fort d’aubervilliers, juste avant le terminus, nous descendons et, tels des exilĂ©s, nous cherchons notre chemin.

Sous le chapiteau oĂč il est possible de se restaurer et de s’asseoir prĂšs du thĂ©Ăątre Zingaro, ce samedi 28 octobre 2023. Photo©Franck.Unimon

Le jeune homme noir (la vingtaine) devant lequel je me fige et que je salue avant de l’interroger tient son tĂ©lĂ©phone portable Ă  la main. Il est un petit plus grand que moi, debout, prĂšs de l’une des sorties du mĂ©tro.

A l’intonation et aux accents de sa voix comparativement Ă  mes expressions en Français « soutenu », je mesure Ă  la fois sa surprise mais aussi que nous sommes, lui et moi, de deux mondes diffĂ©rents mais aussi que nous sommes bien en banlieue.

Pourtant, nous venons d’Argenteuil et je suis nĂ© Ă  Nanterre. Argenteuil et Nanterre – lĂ  oĂč j’y ai vĂ©cu en immeuble HLM- n’ont rien Ă  voir avec Versailles, St Germain en Laye, Neuilly sur Seine ou le 6 Ăšme arrondissement de Paris.

Mais nous sommes nĂ©anmoins deux Ă©trangers lui et moi qui parlons alors dans une mĂȘme langue, le Français, tout en ayant- a priori- des perspectives trĂšs diffĂ©rentes.

Toujours sous le mĂȘme chapiteau que prĂ©cĂ©demment, ce samedi 28 octobre 2023, au thĂ©Ăątre Zingaro. Photo©Franck.Unimon

Je vois bien que le thĂ©Ăątre Zingaro, Bartabas, ça ne lui dit rien mĂȘme s’il est du quartier vraisemblablement et qu’il me renseigne. J’ai Ă©tĂ© pareil que lui, durant des annĂ©es, adolescent, lorsque je passais devant le thĂ©Ăątre des Amandiers, Ă  Nanterre, et que je voyais, Ă©tonnĂ© et dubitatif, des personnes faire la queue dans la rue afin d’y entrer. Nous avons habitĂ© Ă  environ dix minutes Ă  pied du thĂ©Ăątre des Amandiers jusqu’en 1985. Soit quatre ans avant la crĂ©ation du thĂ©Ăątre Zingaro Ă  Aubervilliers, ville qui, comme Nanterre, avait alors probablement un maire communiste.

Chaque fois que je connais un peu plus l’histoire du thĂ©Ăątre des Amandiers de Nanterre, je me rappelle avec une certaine amertume de ce genre d’opportunitĂ©s que j’ai pu rater Ă  cause, dĂ©jĂ , de mon infirmitĂ© :

Le manque de curiositĂ©, de volontĂ© et d’autonomie de pensĂ©e. Tout cela conduit Ă  la cĂ©citĂ© – morale, intellectuelle, psychologique- et Ă  la lĂąchetĂ© tant morale, que sociale et physique.

Ou, comme cela est mon cas, par moments, Ă  une sorte de rage, de colĂšre et d’amertume contre moi-mĂȘme. Parce-que j’ai une certaine mĂ©moire contre moi-mĂȘme.

Personne, dans mon histoire, dans mon quartier, dans mes relations ou dans ma famille n’avait pu ou n’avait su saisir la chance ou l’intĂ©rĂȘt que cela pouvait ĂȘtre, pour nous, personnes de banlieue, de milieu social modeste ou moyen, quelles que soient nos origines ou nos religions, d’avoir un tel lieu culturel prĂšs de chez nous.

MalgrĂ© les ambitions d’ouverture et de mixitĂ© sociale du thĂ©Ăątre des Amandiers et de tous les endroits ou de toutes les personnes qui lui ressemblent ou qui lui ont ressemblĂ©.

Pourtant, j’étais une personne normale.

Quelques uns des artistes aprÚs la représentation, ce samedi 28 octobre 2023 au théùtre Zingaro. Photo©Franck.Unimon

J’allais Ă  l’école, Ă  la bibliothĂšque. Je regardais la tĂ©lĂ©, le journal tĂ©lĂ©visĂ©. Je lisais. Je faisais mes devoirs, scolaires ou autres.
Et, lorsque je ne les faisais pas et les remplaçais par des bĂȘtises ou des mauvais comportements et que j’étais dĂ©masquĂ©, j’étais puni ou corrigĂ©, que ce soit Ă  l’école ou Ă  la maison. Mauvaise note, gifles, oreilles tirĂ©es, remontrances devant la classe, coups de ceinture Ă  la maison ou en public, engueulades.
Je jouais aussi au Foot avec les copains ou un autre sport. Je rigolais aussi avec eux. Je n’étais pas un isolĂ©. Je partais en vacances. En colonie ou avec ma famille. J’avais des rĂȘves et de l’imagination. J’avais une vie semblable Ă  d’autres. Et, j’apprenais ce qu’il y avait Ă  apprendre pour que tout se passe bien pour moi, par la suite.

En montant les marches nous amenant à la sortie du métro, ce samedi soir, sous la pluie qui ne nous avait pas quittés, il a fallu interroger deux ou trois autres personnes à une station de bus pour trouver le théùtre.

Un homme noir d’une cinquantaine d’annĂ©es qui vendait des marrons grillĂ©s sous la pluie et qui ne connaissait pas le coin. Une femme noire, large, la quarantaine, qui voyait avec dĂ©livrance son bus se rapprocher. C’est une seconde femme, Ă©galement noire, nettement plus ĂągĂ©e et plus svelte, Ă  cĂŽtĂ© d’elle, qui m’a rĂ©pondu que c’était sur le mĂȘme trottoir, un peu plus loin.

MalgrĂ© les panneaux indiquant le thĂ©Ăątre Zingaro dĂšs la sortie du mĂ©tro, la pluie, la nuit et l’inconnu faisaient de nous des myopes ou des presque aveugles. Nous aurions tout aussi bien pu nous Ă©garer un peu. Un grand centre commercial ou une autoroute restent mieux signalĂ©s. D’autant que, lorsque je cherche un endroit en me dĂ©plaçant Ă  pied, malgrĂ© les GPS et les plans devenus courants depuis des annĂ©es dans nos smartphones, je persiste Ă  chercher parmi les personnes que je croise dans la rue, les Ă©toiles qui vont m’indiquer ma route jusqu’à ma destination.

L’entrĂ©e du thĂ©Ăątre Zingaro se trouve Ă  Ă  peine cinq minutes Ă  pied de la station de mĂ©tro.

Les musiciennes et chanteuses, lors de la représentation : Firozeeh Raeesdanae, Shadi Fathi, Farnaz Modarresifar, Niloufar Mohseni. Photo©Franck.Unimon

Puisque l’on nous parlait d’un Fort, je m’attendais Ă  ce que le thĂ©Ăątre Zingaro se dĂ©couvre dans l’enceinte d’un fort et soit en quelque sorte invisible Ă  l’extĂ©rieur. Mais c’est depuis la rue que le thĂ©Ăątre Zingaro s’expose. C’est aussi un lieu, un monde, qui impose son architecture et son univers dĂšs l’accueil et la prĂ©sentation des billets.
Il m’a fait penser au thĂ©Ăątre du Soleil « d’Ariane » Mnouchkine qui se trouve Ă  la cartoucherie Vincennes dont Bartabas s’était sĂ»rement en partie inspirĂ© comme il s’était sĂ»rement, aussi, inspirĂ© du thĂ©Ăątre des Amandiers.

Alors qu’aujourd’hui existe une crise sĂ©vĂšre de l’immobilier et qu’il a pu se construire Ă  l’excĂšs des logements en dĂ©figurant certains quartiers, le thĂ©Ăątre Zingaro fait penser Ă  ce qui reste de certains millĂ©simes d’espaces conçus pour ĂȘtre beaux, pour ĂȘtre accueillants, pour ĂȘtre divertissants, pour ĂȘtre chauds, pour ĂȘtre confortables, pour ĂȘtre aĂ©rĂ©s, pour y venir en famille avec ses enfants, pour libĂ©rer et faire rĂȘver et rĂ©flĂ©chir celles et ceux qui y viennent ne serait-ce que pour y voir un spectacle. Et, l’on comprend vite que ce programme vaut le dĂ©placement mais aussi le prix que l’on peut mettre pour le vivre et/ou y assister. J’ai payĂ© 39 euros la place pour ma fille, et deux fois 59 euros pour ma compagne et moi afin d’ĂȘtre bien placĂ©s de maniĂšre Ă  ce que je puisse faire des photos.

Finalement, alors que je fais partie des mitrailleurs anarchiques de la prise de vue, je n’ai fait aucune photo durant le spectacle car j’ai trĂšs rapidement acceptĂ© de respecter au moins les chevaux et les artistes mais aussi l’état d’esprit du lieu.

Avant la reprĂ©sentation, le public a Ă©tĂ© d’ailleurs invitĂ© Ă  appliquer le mot « Respect » mais aussi Ă  « Ă©teindre son intelligence artificielle mĂȘme si cela est difficile pour certains ». Les photos de cet article ont donc Ă©tĂ© prises- sans flash comme toujours- avant la reprĂ©sentation ou Ă  la fin de celle-ci. Je ne suis pas trĂšs content de ces photos (il va vraiment falloir que j’apprenne Ă  me servir correctement de mes appareils photos). Par contre, je suis content d’ĂȘtre allĂ© au thĂ©Ăątre Zingaro et que cela ait plu Ă  ma compagne et Ă  notre fille. Et, je me demande si je vais y retourner bientĂŽt.

PrĂšs d’un des deux bars au thĂ©Ăątre Zingaro, aprĂšs la reprĂ©sentation, ce samedi 28 octobre 2023. Photo©Franck.Unimon. Sur les deux photos du bas, on peut reconnaĂźtre Bartabas, il y a quelques annĂ©es.

Il est plutĂŽt rare d’envier la caissiĂšre ou l’employĂ© d’un supermarchĂ© lorsque l’on part y faire ses achats. Mais on peut croire et espĂ©rer que celles et ceux qui travaillent au thĂ©Ăątre Zingaro y ont une belle vie ou se consacrent Ă  une Ɠuvre qui a son importance bien au delĂ  de sa valeur marchande. Alors qu’il est tant d’autres endroits oĂč l’on donne de soi oĂč par lesquels on passe oĂč croyance et espĂ©rance passent pour des expĂ©riences de dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s qu’il importe d’éconduire et de dĂ©truire.

C’est en partie ce que raconte Cabaret de l’Exil Femmes persanes oĂč les principaux rĂŽles sont tenus par des femmes de diffĂ©rents profils. Une jeune femme naine ouvre le spectacle et dĂ©clame. D’autres, cavaliĂšres, danseuses, acrobates, chanteuses ou musiciennes ont d’autres silhouettes. Mais avec leurs partenaires masculins, toutes rĂ©clament leur droit de vivre ainsi que leur droit Ă  l’Amour.

Bien-sĂ»r, on ne peut que penser Ă  ce qui se passe depuis quelques temps en Iran mais aussi partout oĂč des femmes sont martyrisĂ©es et tuĂ©es. Cela peut aussi se passer en France, prĂšs du thĂ©Ăątre Zingaro mais aussi Ă  Versailles ou dans le 6Ăšme arrondissement de Paris.

Le cercle dans lequel se déroule le spectacle ainsi que ses diverses dimensions vise sans doute à nous dire que notre vie se déroule souvent sur plusieurs niveaux. Il y a ce sur quoi nous fixons la plus grande partie de notre attention, ce vers quoi, aimantés, obsédés, nous nous dirigeons. Et, il y a tout ce qui nous entoure de merveilleux, de fantastique ou de possible et que nous ne voyons pas ou que nous ratons.

Ainsi, c’est la premiĂšre fois, oĂč, en me rendant Ă  un spectacle, j’ai Ă©tĂ© surpris d’ĂȘtre reçu par la chaleur thermique prĂ©sente alors que nous venions nous asseoir aux places que j’avais rĂ©servĂ©es et payĂ©es. Je m’attendais Ă  ce qu’il fasse froid. Pour moi, il fallait qu’il fasse froid dans l’enceinte du thĂ©Ăątre car, dehors, en plus de la pluie, la tempĂ©rature avait baissĂ© ces derniers jours. Et, pour les chevaux, je me disais qu’il valait mieux qu’il fasse assez froid.

Par ailleurs, devant nous, comme pour d’autres, la table Ă©tait mise : une thĂ©iĂšre remplie, quatre petits verres, quatre boudoirs et quatre serviettes en papier Ă©taient disposĂ©s sur notre table de quatre. Je ne pouvais que saluer la jeune femme qui nous avait prĂ©cĂ©dĂ© et, ensuite, lui proposer de lui servir du thĂ© comme je l’avais fait au prĂ©alable pour ma compagne et notre fille. Ce fut un contraste avec la brutalitĂ© et la totalitĂ© des concerts, des festivals, des piĂšces de thĂ©Ăątre, des sĂ©ances de cinĂ©ma et autres manifestations culturelles auxquels je suis parti assister et oĂč , gĂ©nĂ©ralement, c’est toujours chacun pour soi ou pour nos connaissances. MĂȘme si nous venons admirer ou dĂ©couvrir la mĂȘme Ɠuvre ou le mĂȘme artiste que beaucoup d’autres inconnus, nous nous comportons en ces circonstances de la mĂȘme façon que nous pouvons le faire dans les transports en commun, en voiture ou sur notre lieu de travail ! En troupeaux sĂ©parĂ©s ou en individualitĂ©s forcenĂ©es.

Pour conclure et pour l’anecdote, et, je suis un peu dĂ©solĂ© d’ĂȘtre quelque peu paralysĂ© avec ça car je sais que ce sujet revient assez rĂ©guliĂšrement dans mes articles :

La reprĂ©sentation de Cabaret de l’Exil Femmes persanes Ă  laquelle nous avons assistĂ© hier soir Ă©tait complĂšte ainsi que celle d’aujourd’hui. Mais lorsque les lumiĂšres se sont rallumĂ©es, en plus de moi, j’ai vu un seul homme noir dans la salle, au sein du public.

Je ne lui ai pas parlĂ©. Cependant, Ă  vue d’Ɠil, je dirais qu’il avait une bonne quarantaine d’annĂ©es.
Il demeure un paradoxe entre, d’un cĂŽtĂ©, beaucoup de noirs (et d’autres) prĂ©sents ou qui vivent aux alentours du thĂ©Ăątre Zingaro depuis des annĂ©es et si peu, manifestement, qui, de leur propre volontĂ© ou par curiositĂ©, viennent y voir ce qui s’y passe.

On devrait peut-ĂȘtre inventer le service culturel obligatoire.

Cela existe peut-ĂȘtre dĂ©jĂ  quelque part. A partir d’un certain Ăąge, et pour une certaine durĂ©e, on devrait peut-ĂȘtre obliger les jeunes femmes et les jeunes hommes, quelles que soient leurs origines, le volume de leur poitrine, la taille de leur pĂ©nis, celle de leurs religions, de leur classe sociale et de leur compte en banque, Ă  quitter pendant un certain temps leur quartier, leur famille et leur environnement afin de partir dĂ©couvrir mais aussi afin de participer Ă  la crĂ©ation d’oeuvres culturelles et artistiques diverses.

Et, toute personne ou toute famille qui s’y opposerait devrait ĂȘtre sanctionnĂ©e moralement ou pĂ©nalement ou considĂ©rĂ©e comme dĂ©sertant ses obligations civiques envers ses semblables. Ou perçue comme potentiellement dangereuse. AprĂšs tout, nous sommes beaucoup Ă  devoir quitter un jour notre famille, nos amis, nos copines, nos copains et notre environnement pour des obligations au moins d’ordre Ă©conomique ou personnelles. Et nous faisons avec gĂ©nĂ©ralement.

Au théùtre Zingaro, aprÚs la représentation, ce samedi 28 octobre 2023. Un feu de camp avait été fait. Photo©Franck.Unimon

La culture et l’Art, Ă  eux seuls, ne sauvent pas de la barbarie, mais avoir Ă  les crĂ©er, Ă  les transmettre, Ă  y assister et rencontrer vĂ©ritablement d’autres personnes mais aussi des figures qui y contribuent, cela procure sans doute plus facilement d’autres ambitions, d’autres armes, d’autres Ăąmes mais aussi d’autres responsabilitĂ©s que celles de morceler sa prochaine ou son prochain pour de vrai ou de les ensorceler avec des barbelĂ©s.

Franck Unimon, ce mercredi 1er novembre 2023.

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Catherine Breillat

Catherine Breillat, aussi insupportable que remarquable

Catherine Breillat, aussi insupportable que remarquable

 

Il y a trois ans, la citer dans mon article sur le film ADN de MaĂŻwenn qui allait sortir en 2020 a sans doute contribuĂ© Ă  me faire rayer de la liste des journalistes pouvant la rencontrer ou voir ses prochains films en projection de presse. ( ADN-un film de MaĂŻwenn au cinema le 28 octobre 2020 )

Cela a sans doute beaucoup dĂ©plu Ă  l’attachĂ© de presse qui s’occupe de ses films.

Comparer MaĂŻwenn Ă  Catherine Breillat ?!

Pour qui je me prenais ?!

Pourtant, j’avais aimĂ© ADN de MaĂŻwenn comme ses films prĂ©cĂ©dents et, cela, depuis son tout premier : Pardonnez-moi (2006).  

Mais je n’avais pas encore tout Ă  fait compris, alors, Ă  quel point Catherine Breillat peut exaspĂ©rer les autres  (elle dit elle-mĂȘme qu’elle est souvent « dĂ©testĂ©e ») mais aussi comme on peut s’empresser de s’éloigner d’elle comme d’une personne qu’il faudrait de toute urgence rebouter. Elle pourrait faire penser un petit peu au boxeur Muhammad Ali, Breillat, lorsque celui-ci fanfaronnait et que ses adversaires ou ses dĂ©tracteurs se disaient entre eux :

« Il faudrait lui faire fermer sa gueule une bonne fois pour toutes ! Oui, mais qui peut le faire ? Â».

Si la maladie de Parkinson finit par assagir Muhammad Ali, un AVC et une hĂ©miplĂ©gie avaient entrepris de faire Ă  peu prĂšs pareil pour Breillat :

« Ma mĂšre m’a coupĂ© horizontalement et l’hĂ©miplĂ©gie, verticalement » raconte Breillat dans ce livre d’entretiens avec Murielle Joudet, sorti rĂ©cemment ( Je ne crois qu’en moi) peu aprĂšs son dernier film L’étĂ© Dernier ( au cinĂ©ma depuis le 13 septembre 2023). Un film peut-ĂȘtre Ă©clipsĂ© par la prĂ©sence sur les Ă©crans de Anatomie d’une chute (Palme d’or Ă  Cannes) derniĂšre rĂ©alisation de Justine Triet qui rencontre un bon succĂšs en salles depuis sa sortie le 23 aout 2023 (plus d’un million  de spectateurs).  Un film que j’ai vu Ă  un jour prĂšs aprĂšs ou avant celui du dernier Breillat et dont mĂȘme le titre peut aussi l’évoquer.

Avant que, ces deux ou trois derniers mois, je ne rĂ©entende parler de Breillat, rĂ©alisatrice, la derniĂšre fois que je l’avais Ă©voquĂ©e, un peu amusĂ©, et en avais entendu parler, c’était vers 2010 ou 2011. Je venais d’assister Ă  un dĂ©bat lors du festival ChĂ©ries, chĂ©ris au forum des halles.

Peut-ĂȘtre Ă  propos du thĂšme « Qu’est-ce qu’ĂȘtre Queer ? Â». Je ne connaissais pas le terme. Je me demandais de quoi il s’agissait.

Aujourd’hui, j’en sais Ă  peine beaucoup plus mais, ce soir-lĂ , j’avais entendu et appris que le rĂ©alisateur Jacques Demy Ă©tait homosexuel. Cela semblait un fait Ă©tabli mais aussi une sorte de prix ou de trophĂ©e acquis Ă  la cause LGBT. C’était donc important, lors de cette soirĂ©e, de dire que Jacques Demy, le rĂ©alisateur et modĂšle admirĂ© et reconnu par la critique et le monde du cinĂ©ma, Ă©tait homosexuel.  

C’était l’équivalent de James Brown chantant des annĂ©es plus tĂŽt:

« Say it loud, I’m Black and proud ! Â». LĂ , on Ă©tait dans « Say it loud, I’m gay and proud ! Â».

Je comprenais la logique. MĂȘme si j’étais un peu Ă©tonnĂ© par ce besoin de dire.

A ce jour, je n’ai vu aucun des films de Demy mĂȘme si je connais bien sĂ»r de nom au moins Les Parapluies de Cherbourg. « On Â» nous en parle tellement ainsi que des sƓurs Deneuve si magnifiques


 Je le regarderai sans doute un jour mais je trouve que les critiques idolĂątrent beaucoup Demy  ce qui me donne beaucoup envie de m’en Ă©loigner. Et puis, je n’ai pas encore perçu, pour moi, la nĂ©cessitĂ© primordiale de voir ses films.

Lors de ce dĂ©bat trĂšs sĂ©rieux ( je ne me rappelle pas qu’il y ait eu beaucoup d’humour lors des interventions) j’avais aussi entendu un participant estimer que le cinĂ©ma de François Ozon ( dont j’ai vu et aimĂ© plusieurs de ses premiers films) Ă©tait « queer Â».

Assis en haut de cette salle amphithĂ©Ăątre plutĂŽt remplie dans mon souvenir, j’entendais et dĂ©couvrais ce soir-lĂ  des avis et des visions qui m’étaient Ă©trangers.

A la fin de ce dĂ©bat, alors qu’un de ses animateurs en Ă©tait Ă  remonter les marches afin de sortir de la salle, je lui avais dit, un peu provocateur et amusĂ©, alors qu’il s’avançait devant moi :

« Il y a une personne dont vous avez oubliĂ© de parler : Catherine Breillat
 Â».

Celui-ci m’avait alors regardĂ©, et, comme on annonce un dĂ©cret, m’avait rapidement et trĂšs sĂ©rieusement rĂ©pondu :

« Catherine Breillat ? Elle s’est faite escroquer, je crois ! Â». Puis, aussitĂŽt, il Ă©tait parti, me plantant-lĂ  avec des restes me permettant de comprendre que Catherine Breillat Ă©tait dĂ©finitivement sur la touche. Que l’on n’entendrait plus parler d’elle. Que sa bouche avait Ă©tĂ© clĂŽturĂ©e pour de bon.

J’avais alors Ă  peine entendu parler du fait qu’elle s’était en effet bien faite (dĂ©)plumer par Christophe Rocancourt- le « bien connu» arnaqueur des stars- alors qu’elle Ă©tait encore quelque peu convalescente d’une hĂ©miplĂ©gie contractĂ©e Ă  la suite d’un AVC.

Comme je suis un demi-tiĂšde et une personne fonciĂšrement peu curieuse, je n’avais pas beaucoup poussĂ© mes recherches pour chercher Ă  en savoir plus. Catherine Breillat n’était pas une de mes proches. Et, je n’avais pas encore forcĂ©ment compris, alors, comme ce qu’elle Ă©tait ou pouvait raconter m’importait beaucoup plus que le fait de voir Les Parapluies de Cherbourg (1963) de Jacques Demy.

Il nous faut parfois des annĂ©es pour nous apercevoir que telle personne ou telle Ɠuvre a une importance trĂšs particuliĂšre pour nous. L’une des premiĂšres fois oĂč je me rappelle avoir eue cette impression, ce fut aprĂšs la dissolution du groupe
.NTM.

Tant que le groupe NTM de Kool Shen et de Joey Starr Ă©tait en activitĂ©, je les Ă©coutais et les regardais plus ou moins de loin. Je m’accrochais plutĂŽt Ă  leurs frasques que je rĂ©prouvais moralement. Je promettais alors Ă  Joey Starr une existence courte et un Ă©pilogue existentiel douloureux, honteux et brutal en raison de ses excĂšs. Je ne lui donnais pas plus de quarante annĂ©es de vie.

Je prĂ©fĂ©rais MC Solaar Ă  NTM. Je l’avais vu en concert au ZĂ©nith une fois. MC Solaar Ă©tait tellement plus classe, plus respectable. Il n’avait pas ces tics de langage ou gestuels auxquels, schĂ©matiquement, on identifiait et auxquels on identifie encore les personnes de la banlieue. Je venais aussi de la banlieue et je n’avais pas les attitudes et les propos de Joey Starr et Kool Shen. Je n’aspirais pas Ă  leur ressembler ou Ă  ce que l’on me confonde avec eux. Eux, c’étaient des mauvais garçons. Ils Ă©taient violents, ils Ă©taient agressifs, ils parlaient mal, se comportaient mal. Avec eux, tout pouvait partir en vrille Ă  n’importe quel moment. Or, moi, j’avais plutĂŽt l’esprit gazon de jardin britannique. Tout devait ĂȘtre impeccable et carrĂ© au centimĂštre prĂšs comme sur le stade de Wimbledon. Il ne devait pas y avoir de trous ou de bouteilles vides de biĂšre, de rhum ou de vodka par terre. Kool Shen et Joey Starr, c’était sĂ»r que si vous les invitiez chez vous, qu’en repartant, ils vous laissaient plein de mĂ©gots partout y compris dans les yaourts et les pots de confiture. En plus, votre logement Ă©tait dĂ©labrĂ© et, Ă  coup sĂ»r, ils (ou leurs copains ) vous auraient tabassĂ©s entretemps pour vous remercier de les avoir invitĂ©s ou parce qu’il n y avait pas assez de filles et que la musique ne leur avait pas plu.

Je n’aurais pas pris le risque de passer une soirĂ©e avec Kool Shen et Joey Starr. Alors qu’avec MC Solaar, j’aurais pu l’envisager. Nous aurions bu du thĂ©, discutĂ© de la banlieue et parlĂ© philosophie
.

MĂȘme si le voir en concert m’avait
.déçu. Mais pendant des annĂ©es, j’ai eu du mal Ă  faire mon coming out et Ă  reconnaĂźtre que son concert m’avait laissĂ© frustrĂ©.  Cela voulait  bien dire quelque chose mĂȘme si, sur scĂšne, et bien entourĂ© ( Soon MC, Les DĂ©mocrates D
) MC Solaar ne s’était pas mĂ©nagĂ©.

Les NTM, eux, j’avais eu peur d’aller les voir en concert. Pour leur public. Seul Ă  vouloir m’y rendre, je n’avais pas envie de me faire agresser en plein concert par une bande. Si on m’avait obligĂ© Ă  y aller, peut-ĂȘtre que je serais restĂ© trĂšs prudemment proche de la premiĂšre issue de secours. Et, si on m’y avait mal regardĂ©, peut-ĂȘtre que je me serais gelĂ© instantanĂ©ment sur place. Je n’aurais peut-ĂȘtre pas pu Ă©couter grand chose. J’aurais peut-ĂȘtre passĂ© la plus grande partie de mon temps, durant le concert, Ă  observer et Ă  surveiller autour de moi si quelqu’un me voulait du mal.  Et, Ă  la fin, je serais peut-ĂȘtre parti en courant. En sprintant pendant au moins cinq cents mĂštres. Jusqu’à ce que je me sente en sĂ©curitĂ© en quelque part.

Donc, Ă  la place de NTM, j’étais allĂ© voir, toujours seul, le premier concert de Me’Shell NdĂ©geocello Ă  l’ElysĂ©e Montmartre, je crois, aprĂšs son premier album : Plantation Lullabies. Une ambiance beaucoup plus safe. Sur scĂšne, Me’Shell nous avait fait un festival. Chant, claviers, basse, prĂ©sence, avec ses petites lunettes rondes et son allure longiligne/androgyne, elle avait tenu son groupe et nous avait servi de la vie. A aucun moment, je ne m’étais senti menacĂ©. ( Me’Shell NdĂ©geocello au festival Jazz Ă  la Villette ce 1er septembre 2023 )

Pour essayer de me racheter de ma lĂąchetĂ© concernant NTM, j’étais allĂ© voir I Am Ă  l’Olympia. Ils y avaient fĂȘtĂ© leur million d’albums vendus mais aussi entonnĂ© leur Je chante le Mia. Un des meilleurs concerts auxquels j’ai assistĂ©s tant pour les artistes que pour l’ambiance dans la salle. Mais aussi pour avoir la vie sauve peut-ĂȘtre.

C’était dans les annĂ©es 90. Alors que maintenant, Ă©couter du RAP, aller Ă  un concert de Rap, c’est tout Ă  fait mainstream. Vous allez rencontrer des personnes de bonne famille, d’un (trĂšs) bon milieu social, trĂšs bonnes Ă©tudes, blanc cachemire, vous dire qu’elle sont allĂ©es voir tel artiste de Rap ou les entendre employer des formules telles que « Je m’en bats les couilles Â» comme si c’était normal.

C’est Ă  peu prĂšs au milieu des annĂ©es 2000, aprĂšs avoir appris la dissolution du groupe NTM, aprĂšs quatre albums, que j’avais commencĂ© Ă  comprendre que plusieurs de leurs titres avaient Ă  voir avec mon histoire. Tant qu’ils faisaient partie du dĂ©cor sonore ou mĂ©diatique et semblaient permanents, je ne leur prĂȘtais pas une attention particuliĂšre ou alors, plutĂŽt pour rĂ©prouver ou craindre leurs maniĂšres et leurs façons de faire.

Leurs apparences me dĂ©rangeaient. Ce n’était pas comme ça qu’il fallait faire. Pour tout dire, Ă  l’époque, je trouvais mĂȘme Joey Starr trĂšs moche alors qu’aujourd’hui, lorsque je revois des images de lui Ă  cette Ă©poque, je le trouve beau gosse. C’est Ă©tonnant, hein ?

Lorsque Kool Shen et Joey Starr ont finalement disparu du dĂ©cor sonore et mĂ©diatique en tant que NTM, je me suis aperçu qu’il me manquait quelque chose. Et, avec Breillat, il y a sĂ»rement eu le mĂȘme phĂ©nomĂšne et la mĂȘme prise de conscience.

Assez ironiquement, l’histoire ou l’avenir, m’a donnĂ© en quelque sorte raison.

Puisque, par la suite, Joey Starr a commencĂ© Ă  faire du cinĂ©ma ( il m’a tout de suite convaincu en tant qu’acteur) et a rencontrĂ© MaĂŻwenn au moins pour faire le film Polisse (2011) qui avait marquĂ© le festival de Cannes, une annĂ©e oĂč j’y avais Ă©tĂ© comme journaliste de cinĂ©ma.

J’y avais alors croisĂ© une journaliste (pour Le Parisien, je crois) d’une bonne quarantaine d’annĂ©es toute fiĂšre de me rĂ©pondre qu’elle allait interviewer Joey Starr !

L’attachĂ© de presse qui s’occupait du film Polisse de MaĂŻwenn Ă©tant fĂąchĂ© avec le mĂ©dia cinĂ©ma (le mensuel papier Brazil) pour lequel j’écrivais, j’avais, moi, Ă©tĂ© privĂ© « de Â» Joey Starr comme l’on est privĂ© de dessert. Et, j’étais parti interviewer ValĂ©rie Donzelli pour La Guerre est dĂ©clarĂ©e, film qu’elle avait co-rĂ©alisĂ© avec JĂ©rĂ©mie ElkaĂŻm, Ă©galement prĂ©sent en tant qu’acteur dans Polisse.

 

De son cĂŽtĂ©, Kool Shen, lui, l’autre moitiĂ© de NTM, a fini par incarner Christophe Rocancourt au cinĂ©ma dans la fiction que Breillat a tirĂ©e de sa rencontre avec celui-ci d’aprĂšs son ouvrage Abus de faiblesse dont j’ai terminĂ© la lecture hier soir.

 

Joey Starr/ Maïwenn, Kool Shen/ Catherine Breillat, il sera difficile de me convaincre que l’une et l’autre n’ont absolument rien en commun.

Par ailleurs, que ce soit chez l’une ou chez l’autre, on peut trouver, dans leur cinĂ©ma, plutĂŽt que du Jacques Demy, du Pialat, du Jean Yanne ou mĂȘme
du Jean-Pierre Mocky. Je sais qu’en Ă©crivant ça, je leur attribue des rĂ©fĂ©rences « masculines Â» mais ce n’est pas une insulte. D’autant que, dans une certaine mesure, malgrĂ© leur machisme et leurs outrances, ces trois artistes masculins ont sans doute, aussi, eu des traits fĂ©ministes
.et fĂ©minins. Si l’on se rappelle, aussi, leur insolence, leur attachement Ă  leur indĂ©pendance ou leur mĂ©pris pour certaines convenances, on doit bien parvenir Ă  dĂ©boucher Ă  nouveau sur des artistes tels que Catherine Breillat, MaĂŻwenn
 NTM ou d’autres.

J’avais donc vu juste, Ă  la fin de ce dĂ©bat sur la question « Queer Â», en mentionnant Catherine Breillat. Et, j’avais aussi vu juste, dans mon article sur le film de MaĂŻwenn qui venait de sortir, de la citer Breillat Ă  nouveau. Sauf que je l’avais fait intuitivement comme je le fais, aussi, de l’usage de certains mots ou de certaines tournures de phrases sans ĂȘtre toujours capable, sur le moment, de l’expliquer ou de le thĂ©oriser.

Aujourd’hui, ce 1er novembre 2023, jour de la Toussaint, s’il me plait bien sĂ»r de parler de Catherine Breillat parce-que c’est le jour de la Toussaint, bien que je ne sache pas trĂšs bien dans les dĂ©tails Ă  quoi cela correspond Ă  part pour rĂ©citer que c’est « le jour de la fĂȘte des morts Â», je peux un peu plus expliquer ce qui me tient chez Breillat.

D’abord, il est difficile de se dĂ©barrasser de Catherine Breillat. Elle est toujours quelque part en train de mijoter une recette ou une action qui nous sera servi Ă  table Ă  un moment ou Ă  un autre, qu’on le dĂ©cide ou non.

Lorsque j’ai commencĂ© Ă  essayer de me rappeler par quel film je l’ai dĂ©couverte la premiĂšre fois, je me suis trompĂ©. J’avais oubliĂ© le titre. J’ai essayĂ© Parfait Amour (1996), Romance ( 1999). Ça ne collait pas. L’histoire dont je me rappelais, avec l’acteur Patrick Chesnay, ne figurait dans aucune distribution des films de Breillat que je regardais. L’histoire d’une femme, mariĂ©e, qui ne parvenait pas Ă  faire le deuil de son histoire d’amour avec son amant. Deuil difficile que son mari, Patrick Chesnais, encaissait stoĂŻquement avec cette patte qui lui est spĂ©cifique, Mi-droopy, mi-Pierre Richard.

A la fin du film, la femme, qui passait par tous les Ă©tats, finissait par se jeter dans une riviĂšre depuis un gros rocher la surplombant d’une bonne dizaine de mĂštres. Puis, elle rĂ©apparaissait, bien vivante, Ă  la surface. Pour moi, c’était du Breillat.

HĂ© bien, c’était du Brigitte RouĂ€n qui jouait d’ailleurs le rĂŽle principal ! Mais lorsque l’on regarde le titre du film, rĂ©alisĂ© en 1996, on aurait pu dire que c’était du Breillat :

Post-coĂŻtum, animal triste.

Dans son film Romance, on retrouve de ça. Mais on retrouve, aussi, la mĂȘme colĂšre et la mĂȘme violence que peut mettre MaĂŻwenn dans son Pardonnez-moi . Sauf que dans Romance, Breillat s’en « prend Â» Ă  l’Amour, au couple amoureux. C’est son sujet. Tandis que MaĂŻwenn ( mais je n’ai pas vu Mon Roi, rĂ©alisĂ© en 2015 ) s’attaque plus Ă  la famille. MĂȘme si j’ai relevĂ© que dans Je ne crois qu’en moi, le livre d’entretiens livrĂ© par Murielle Joudet, s’il est rĂ©guliĂšrement fait allusion Ă  sa mĂšre, avec laquelle elle a nouĂ© des relations trĂšs difficiles, et Ă  sa sƓur, son pĂšre n’est jamais mentionnĂ© une seule fois. Au point que j’ai cru que celui-ci Ă©tait dĂ©cĂ©dĂ© lorsqu’elle Ă©tait trĂšs jeune alors que dans les faits, il semble que non.

Sur la table de chevet de Breillat mais aussi Ă  l’intĂ©rieur de ses chevilles,, il doit sans doute y avoir en permanence une sorte de plan qui, toujours, la ramĂšne, vers ça. Le couple, l’Amour.

Et, elle bĂ©tonne, la Breillat. On peut dire, on a le droit de dire, qu’elle tringle sec et dur, Ă  mĂȘme la croupe, le sujet du couple et de l’Amour, Breillat.

C’est sans dĂ©tour.

S’il est interdit d’en parler ou d’y aller, c’est que c’est pour elle. Et, elle y va, Breillat. MaĂŻwenn, pour moi, n’est pas trĂšs diffĂ©rente. Elle, aussi, recherche le saut d’obstacles.

A cĂŽtĂ© de ça, on comprendra que L’Anatomie d’une chute de Justine Triet, mĂȘme s’il m’a plu (il m’a mĂȘme Ă©tĂ© recommandĂ© par mon thĂ©rapeute) m’a moins touchĂ© que L’étĂ© dernier de Catherine Breillat.

Dans L’étĂ© dernier, sorti donc il y a presque deux mois ( le 13 septembre), j’ai retrouvĂ© tout Breillat. Ses excĂšs, sa franchise «  Oui, c’est vrai que c’est beau, l’Amour conjugal mĂȘme si on s’emmerde Â» ( Breillat, dans le dernier livre d’entretiens sorti rĂ©cemment intitulĂ© Je ne crois qu’en moi).

Son humour.

Il peut m’arriver d’ĂȘtre mal Ă  l’aise devant des images de Breillat. Mais je ne peux pas dire que c’est faux. Breillat montre ce qui peut arriver ou ce qui arrive. Elle ne nous montre pas ce qui doit ou devrait arriver.

J’ai parlĂ© de Pialat, Jean Yanne, Mocky pour Breillat. Mais j’ai aussi pensĂ© Ă  Rohmer dont le cinĂ©ma me plait moins. Pialat, c’est quand mĂȘme celui qui a rĂ©alisĂ©, avec MarlĂšne Jobert et Jean-Yanne :

Nous ne vieillirons pas ensemble.

Ça a quand mĂȘme plus d’abattage que ce que peuvent se susurrer, avec un glaçon dans la bouche, les protagonistes des films de Rohmer que j’ai envie de voir se faire dĂ©capiter dans un film de zombies. Alors que dans les films de Pialat, Breillat ou MaĂŻwenn, leurs personnages s’occupent du service aprĂšs vente des aimables rĂ©glements de comptes.

J’ai oubliĂ© de dire que Breillat me fait penser, aussi, Ă  Cioran :

«  L’homme va disparaĂźtre. C’est ce que j’ai dit un jour. Depuis, j’ai changĂ© d’avis : Il doit disparaĂźtre Â».

J’en profite pour me rappeler de la premiĂšre fois que j’avais entendue la voix de Catherine Breillat. Une trĂšs belle voix, fort agrĂ©able. Dans son livre d’entretiens, Breillat dit qu’elle a Ă©tĂ© une trĂšs belle femme, avec une poitrine affolante, mais elle parle seulement de son physique et non de sa voix, pour moi, trĂšs sĂ©duisante. Je m’attendais davantage Ă  une voix de crĂ©celle vus ses films.  

Or, lorsque j’ai entendu la voix de Breillat pour la premiĂšre fois, c’était pour l’entendre dire :

« Les acteurs qui ne se donnent pas, moi, je les dĂ©teste ! Â».

Dans Abus de faiblesse, qu’elle a Ă©crit avec l’aide de Jean-François KervĂ©an, elle affirme :

« En tant que rĂ©alisatrice, je suis la propriĂ©taire des corps Â».

On peut reprocher Ă  Breillat ses mĂ©andres bourgeois, sa mauvaise foi, son Ă©gocentrisme, sa nĂ©gligence envers celles et ceux qu’elle est censĂ©e protĂ©ger et non exposer.

Il demeure que , sans employer les termes  dĂ©sormais trĂšs Ă  la mode tels que « dĂ©construire Â», « empowerment Â», « transgresser Â», sans s’affirmer ĂȘtre une personne « rock and roll Â» et sans ĂȘtre une influenceuse pourvue de millions de followers, Breillat est, pense et fait ce que d’autres ne font qu’annoncer, fantasmer ou rĂ©pĂ©ter.

Breillat, toute entiĂšre, n’en fait qu’à sa tĂȘte. Elle le fait comme quelqu’un d’insupportable peut le faire mais aussi comme un Joao CĂ©sar Monteiro que j’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© qu’elle cite et dont La ComĂ©die de Dieu (1995)  m’avait époustouflĂ©. Pour aimer ce film, il faut au moins aimer les gentils fous, la fantaisie, l’insolence, mais aussi le plaisir et l’érotisme.

C’est comme cela que je m’explique que Breillat puisse ĂȘtre l’amie de la rĂ©alisatrice Claire Denis (je l’ai appris en lisant Abus de faiblesse). Mais c’est aussi comme ça que je m’explique l’apparition dans L’étĂ© dernier de l’avocat- aux extrĂȘmes limites de la loi et des bonnes convenances- Karim Achoui.

Karim Achoui, en plus d’ĂȘtre cet avocat douĂ©, rouĂ© et charismatique trĂšs fortement soupçonnĂ© de baigner dans le grand banditisme, serait ou a Ă©tĂ© un des « amis Â» de Christophe Rocancourt d’aprĂšs ce qu’en dit Breillat Ă©galement dans Abus de faiblesse, paru en 2009. Karim Achoui est celui qui a « Ă©crit Â» en 2008 Un avocat Ă  abattre  d’aprĂšs la tentative d’assassinat dont il a Ă©tĂ© victime en 2007. On peut le voir, Ă  l’image de Rocancourt, mais aussi de Breillat, comme quelqu’un qui joue ou a  souvent jouĂ© sa vie- et ses rĂ©ussites- Ă  la roulette :

Achoui, avec son savoir faire avec la loi et son mĂ©tier d’avocat ; Rocancourt avec son habilitĂ© Ă  habiter ses mensonges et Ă  y faire entrer et participer – en toute confiance, jusqu’à les amener Ă  un Ă©tat avancĂ© de dĂ©pendance-  ses victimes ; Breillat, avec son Ɠuvre cinĂ©matographique et littĂ©raire dans lesquelles elle transpose sa conscience et son intimitĂ©.

Breillat aurait Ă©tĂ© capable de suivre le tueur en sĂ©rie Guy Georges dans une chambre d’hĂŽtel, de lui faire payer la chambre, de lui faire une scĂšne, sans coucher avec lui, de l’étudier et de lui parler toute la nuit de telle façon, qu’à la fin, soulagĂ© d’ĂȘtre dĂ©livrĂ© d’elle, Guy Georges aurait pu s’exclamer : « Elle m’a pris la tĂȘte ! Â».

Pour ces quelques raisons autant que pour ces dĂ©raisons, je n’ai pas fini de voir ou revoir, mais aussi de lire ou d’entendre les propos et les Ɠuvres de Madame Catherine Breillat, aussi insupportable que remarquable. J’aimerais bien, si elle le peut, si elle le veut, que Catherine Breillat fasse quelque chose avec « l’autre Â» Catherine, celle qui reste des Parapluies de Cherbourg de Demy. Mais c’est peut-ĂȘtre dĂ©jĂ  trop tard ou cela l’a peut-ĂȘtre toujours Ă©tĂ©. AprĂšs tout, LĂ©a Drucker dans L’étĂ© dernier, c’est un peu Catherine Deneuve ou Isabelle Huppert, plus jeunes.

Franck Unimon, ce mercredi 1er novembre 2023.