
Jacob Desvarieux
La fatigue attendra.
J’étais un “Moon France” adolescent occupĂ© de CrĂ©ole, lorsque j’ai entendu pour la première fois la voix de Jacob Desvarieux Ă la radio. Sa voix « blues et macho » comme en parlerait Jocelyne BĂ©roard, des annĂ©es plus tard.
Ce devait être à Morne Bourg, chez mes grands parents paternels. Ou à Carrère, chez ma grand-mère maternelle. A la campagne. Je dirais, plutôt durant les congés bonifiés de 1983 en juillet et en août que durant ceux de 1980.
Pour le titre Oh, Madiana !
Il y avait aussi eu le titre Zombi. Aujourd’hui, c’est amusant de se dire que ce titre était sorti aux Antilles avant le Thriller de Michaël Jackson dont on nous parle « en corps ».
Le Oh, Madiana ! de Desvarieux m’avait plu. Desvarieux avait alors une bonne bedaine et portait souvent une salopette. C’était environ deux ou trois ans avant que le zouk de Kassav’ ne me cloue et ne me récupère dans une boite de nuit, au quartier de la Défense où, avec mon entraîneur d’athlétisme et des copains de notre club de Nanterre, nous venions de voir en concert le groupe Apartheid Not.
Les premières notes de guitare de Desvarieux sur le Zouk-La-SĂ©-Sel-MĂ©dikaman-Nou-Ni suivies de sa voix grave « An Nou Ay ! » avaient eu le temps de s’insĂ©rer dans ma tĂŞte alors que nous nous en allions.
De la musique antillaise, j’en entendais depuis mon enfance. En France et aux Antilles. Georges Plonquitte, Simon Jurad, les Aiglons, les Vikings, Ibo Simon, Perfecta, les « squales » de la musique haĂŻtienne, tous les « Combo » : Bossa, Tabou, Sugar et tous les autres, haĂŻtiens ou non. Plusieurs tubes de ces groupes font partie de mon histoire que j’en connaisse les titres ou non. Mes compatriotes ont souvent cru que, parce-que j’étais nĂ© en MĂ©tropole, que les ondes des musiques de « lĂ -bas », du « pays », mais aussi qu’une certaine mĂ©moire, coulaient dans l’ocĂ©an bien avant d’arriver jusqu’Ă la MĂ©tropole ( la France) oĂą grandissaient les Moon France comme moi.
En Guadeloupe, le Oh, Madiana ! de Desvarieux m’avait Ă©tonnĂ©. Peut-ĂŞtre pour son cĂ´tĂ© funky qui le diffĂ©renciait d’une frĂ©quente production antillaise.
Quelques années plus tard, alors que nous étions en train de quitter cette boite de nuit de la Défense où nous venions d’écouter le groupe Apartheid Not, un garçon qui entrait dans la salle pour danser s’était alors étonné :
« Mais, vous partez ?! ». Un de ses amis l’avait alors entraîné en lui disant :
« Laisse-les, ils ne connaissent rien à la musique ! ». Nous avions dû retenir notre ami Jérome qui, courroucé, que l’on porte atteinte à sa vie privée musicale, avait très mal pris ce jugement. Car, nous étions à cet âge où, comme la plupart des jeunes, nous étions d’éminents spécialistes et critiques musicaux. Des musiques et des découvertes, nous en faisions régulièrement en allant les chercher. Nous écoutions par exemple du jazz, du free-jazz. Miles Davis, pour nous, était aussi fréquentable ( ou allait le devenir) que Stevie Wonder, Black Uhuru, Sun Ra, Bob Marley, Aswad, Eddy Grant, Burning Spear, Steel Pulse, Stanley Clarke ou Georges Duke. En plus de The Jacksons, Marcus Miller, T-Connection, Prince, Rick James…
« Ils ne connaissent rien à la musique ! ».
Durant pratiquement l’intégralité du concert d’Apartheid Not, nous avions été étonnés par l’incorrection permanente des spectateurs. Un spectateur ( un homme noir) avait même lancé lors d’un solo du batteur plutôt réussi un « No Good ! » avec un accent francisé. Lui et d’autres spectateurs n’attendaient qu’une chose :
Que la musique de cette boite de nuit commence. Et, ça avait débuté par ce titre de Kassav’ chanté par Jacob Desvarieux.
An-Nou-Ay ! ( « On y va ! »/ On décolle ! » ).
La bonne musique de Desvarieux et de Kassav’, je l’ai retrouvée ensuite bien des fois. En Guadeloupe, lors d’autres séjours.
En concert. A Basse-Terre. Mais aussi en métropole, à Nanterre, à l’ancien parc de la mairie. A La Défense Arena ( en 2018 ?) puis à la fête de l’Humanité en 2019.
L’année dernière, lors du premier confinement dû à la pandémie du Covid, sur les réseaux sociaux, j’avais reçu l’annonce que Desvarieux était malade. L’information avait été rapidement démentie par Desvarieux ou un(e ) de ses proches.
Le fait que ce genre d’annonce erronée puisse circuler m’avait contrarié. Puis, je m’étais rappelé que la perte d’un membre pouvait faire mourir un groupe. Et qu’un groupe comme Kassav’, lui, avait tenu 40 ans ! Ce qui est exceptionnel. Peu de grands groupes durent autant avec un public aussi nombreux à leurs concerts. Les Rolling Stones. Un petit peu, Led Zeppelin. Quels autres grands groupes ? AC/DC ? Des groupes de Rock, le plus souvent.

Mais, cette fois, Jacob Desvarieux est bien mort. Ma mère me l’a confirmé tout à l’heure au téléphone, depuis la Guadeloupe.
Lors du concert de Kassav’ à la Défense Arena- où nous étions cent mille spectateurs nous avait annoncé Desvarieux- celui-ci avait fait un petit peu d’humour quant au fait que Kassav’ ne pourrait peut-être pas fêter ses cinquante ans de carrière. Des photos géantes de Patrick St-Eloi avaient aussi été affichées durant le concert.
Le propos du zouk et du titre Zouk-La-Sé-Sèl-Médikaman-Nou-Ni, c’est de pouvoir continuer à danser, à vivre et à rêver malgré les diverses scories de la vie. Grâce à la musique. Grâce au Zouk, ce genre musical éperonné, étalonné, par quelques personnalités dont Desvarieux au sein du groupe Kassav’ et qui a modifié le courant musical des Antilles En travaillant. En osant. En se perfectionnant. En se professionnalisant encore davantage. En se diversifiant. Tout en se remémorant.
Ce sera ça que je préfèrerai, d’abord, retenir de Jacob Desvarieux.

Photos, vidéos, article par Franck Unimon, Moon France, ce samedi 31 juillet 2021.