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Echos Statiques

Tenant du titre

( Photo : Lansy Siessie ).

 

 

 

Tenant du titre

 

 

Avant, on les voyait peu. Ce samedi matin, Ă  7h40, ils Ă©taient lĂ , en tenue. Pour environ la dixiĂšme fois en deux mois. Pourtant, j’avais fait mon possible pour les Ă©viter.

 

J’avais quittĂ© le travail Ă  sept heures avec mes vĂȘtements habituels. Depuis plusieurs jours et plusieurs semaines, je ne me change pas. C’est dĂ©cidĂ©. Quoiqu’on en dise, je ne me changerai plus. Et tant pis si l’on se moque de moi.

 

Sept heures du matin est mon heure officielle pour quitter le travail mĂȘme si, habituellement, je pars aprĂšs cet horaire.

 

J’ai voulu prendre le bus pour rejoindre la gare. Pour profiter des rues calmes. Pour ĂȘtre Ă  l’air libre. Pour les Ă©viter, eux. GĂ©nĂ©ralement, dans le bus, ce sont eux qui viennent, en Ă©tat de manque (de plus en plus souvent en civil) jusqu’à vous. C’est toujours mieux que lorsqu’ils vous attendent, reptiles insĂ©rĂ©s dans les reliefs d’un des couloirs du mĂ©tro. Et vous tendent une embuscade. DĂ©sormais, et depuis des annĂ©es, ils sont Ă  plusieurs chaque fois qu’ils nous rackettent. Pour cela, ils bĂ©nĂ©ficient de l’appui de policiers le plus souvent dressĂ©s en civil. Lesquels portent un petit brassard qu’ils dĂ©voilent parfois Ă  la derniĂšre seconde telle une coquetterie alors que vous vous prĂ©sentez devant ce confessionnal forcĂ©. OĂč quelques mĂštres Ă  peine avant l’irrĂ©mĂ©diable croisement. Et qu’il est Ă  peu prĂšs trop tard pour Ă©clabousser le destin de votre absence.

 

Ce matin, j’étais installĂ© Ă  une bonne place dans le fond du bus. Puis la conductrice est arrivĂ©e avec quelques minutes de retard. Avant de s’installer, elle s’est adressĂ©e Ă  nous : le bus allait Ă  peine desservir quelques stations. Elle prĂ©fĂ©rait nous en informer. Je suis allĂ© la voir. Elle m’a confirmĂ© qu’elle s’arrĂȘterait bien avant la gare. Elle m’a rĂ©pondu qu’elle ignorait la raison de cette consigne. J’ai suggĂ©rĂ© le mouvement des gilets jaunes. On en Ă©tait Ă  leur 25 Ăšme samedi de manifestation. La conductrice n’en savait pas plus. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était nous conduire Ă  trois ou quatre stations plus loin, ce qui correspondrait au terminus.

 

Je me suis rabattu sur le métro.

 

Ça fait des annĂ©es que j’emprunte les transports en commun. Et autant d’annĂ©es que je suis un usager et un citoyen en rĂšgle. Je ne prĂ©tends pas toujours Ă  l’originalitĂ©. Les moyens de transport sont mon moyen de dĂ©placement principal et privilĂ©giĂ©. En plus, c’est Ă©cologique. Dans les transports en commun, je fais comme tout le monde. Je m’y suis dĂ©jĂ  endormi quelques annĂ©es plus tĂŽt. Depuis, je me suis rĂ©veillĂ©. Pour cela, je n’ai pas eu besoin d’ĂȘtre embrassĂ©. Je regarde mon smartphone. Je lis. Je regarde les gens. Je les Ă©coute. J’écoute de la musique. Je suis mes pensĂ©es. Parfois, j’écris. Souvent, je prends les transports en commun, seul. A de rares rencontres prĂšs de personnes que je connaissais auparavant, tous les autres autour de moi sont des inconnus qui le resteront.

Je ne suis pas vieux. Mais j’ai dĂ©jĂ  passĂ© une certaine partie de ma vie dans les transports en commun tout en Ă©tant incapable de dire ce que j’y appris. A part, peut-ĂȘtre, Ă  obĂ©ir et me soumettre un peu plus chaque fois que je remets mon titre en jeu.

Eux aussi, peut-ĂȘtre, passent une bonne partie de leur temps dans les transports en commun Ă  obĂ©ir et Ă  se soumettre. Lorsqu’ils annoncent le programme, c’est toujours avec une politesse de surface qu’ils resservent Ă  la chaine. On ne leur demande pas d’ĂȘtre original. Et il leur est impossible de l’ĂȘtre alors qu’ils passent au dĂ©tecteur des milliers de leurs semblables. Ils produisent le plus gros de leurs efforts en dehors de ces heures de pointe qui dĂ©chargent des millions de passagers, pressĂ©s, Ă©nervĂ©s, fatiguĂ©s et parfois prĂȘts Ă  se bousculer ou se bagarrer pour deux centimĂštres, un soudain contact d’haleine ou de chair,  avant d’entrer ou de sortir des “transes-pores”.

Ils sont tout autant invisibles en pĂ©riode de grĂšve des transports alors que ces mĂȘmes passagers, plus nombreux, sont encore plus stressĂ©s par la pĂ©nurie des transports assortie de temps Ă  autre d’informations approximatives. L’alcool et le tabac tuent. La promiscuitĂ© et le stress, aussi. Mais ça ne se voit pas dans les couloirs ou Ă  la descente du bus. Et on ne leur demande pas encore de faire des tests d’urine ou de rĂ©aliser des enquĂȘtes sociologiques. Mais, simplement, de faire leur travail :

« Bonjour, Mesdames et messieurs, contrĂŽle des titres de transports ! ». Peu importe qu’une majoritĂ© d’usagers parfaitement en rĂšgle soit inspectĂ©e- et ralentie- en tant que suspecte de plus en plus souvent. Peu importe qu’en multipliant les contrĂŽles, on accroit mathĂ©matiquement la probabilitĂ© de contrĂŽler et de sanctionner l’usager Ă©tourdi qui aura oubliĂ© son titre de transport dans ce vĂȘtement finalement laissĂ© – Ă  la derniĂšre minute- Ă  la maison. Ça ne compte pas. Toute personne sans son titre de transport est une personne sans son titre de personne. Pardon, sans son titre de transport.

( Photo : Franck Unimon )

 

BientĂŽt, on n’aura plus besoin d’avoir un titre de transport. Notre tĂ©lĂ©phone portable suffira. Ce sera une grande « libĂ©ration ». Mais, pour l’instant, patientons. Les tests auraient Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s uniquement avec des tĂ©lĂ©phones de la marque Samsung. La marque Apple, pour l’heure, n’aurait pas donnĂ© son accord. A nous de savoir choisir- et payer- la bonne marque de tĂ©lĂ©phone portable ou de tablette tactile Ă  l’avenir. Celle qui, pourvue du meilleur rĂ©seau, nous fera franchir plus facilement les portes de validation et nous Ă©vitera le KO technique- ou la colĂšre- en cas de contrĂŽle.

” Il faut savoir vivre avec son temps” dirait-on. De plus en plus, l’image chasse et remplace la pensĂ©e. Sur le ring des idĂ©es, les penseurs mondains d’hier, pourtant douĂ©s pour se montrer, deviennent des puncheurs incertains face Ă  ces poids lourds que sont les millions de vue et de clics numĂ©riques d’aujourd’hui et de demain.

 

 

( Photo : Franck Unimon )

 

Franck Unimon, ce vendredi 24 Mai 2019.

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Croisements/ Interviews

Dans la galerie de Michel

 

 

Dans la galerie de Michel

 

 

L’ami Michel Guillet tient sa galerie d’art, au 8 avenue Trudaine, depuis quarante ans. Ses clients, simples passants, viennent de partout. Des femmes et des hommes, un jour, trouvent leur  couleur et leur forme exposĂ©e dans une  peinture ou une sculpture.

 

 

Selon Michel, le regard, c’est le passĂ©. Cela pourrait parfois expliquer notre aveuglement devant le prĂ©sent. Ainsi que la raison pour laquelle certains voudraient punir l’art. Car un art armateur de notre passĂ© pourrait maintenir notre identitĂ© Ă  la surface. Tandis qu’un art en service commandĂ© la laisserait sombrer. Et un titre comme Until You Remember du groupe Tedeschi Trucks Band (album Revelator ) resterait maintenu sous les eaux par des commandos de la pensĂ©e.

 

 

Notre vie est faite de peintures fracassantes que quelques uns captivent pour quelques temps. Et celles-ci nous attendent dans une musique, quelques lettres, certaines images, parfois des moments ou des gestes dont nous sommes les aperçus.

 

 

Oeuvres des artistes AndrĂ© Laurenti, ITO GHO, CĂ©cile Orsoni, Shimon Palombo….

( Photos par Franck Unimon comme la plupart des photos de ce blog)

 

Franck Unimon, lundi 21 Mai 2019.

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Moon France Musique

Un Moon France en Concert

 

 

                                                Un Moon France en concert

 

 

« Vous partez ?! » « Laisse-les, ils n’aiment pas la bonne musique
. ».

En 1984 ou 1985, au Phil One , Ă  la DĂ©fense, nous venions d’assister au concert du groupe Apartheid Not. Le batteur, sur ses fĂ»ts Ă©lectroniques, avait fait claquer des ricochets, diamants sonores, qui s’Ă©taient incrustĂ©s dans notre ciboulot . Mais les spectateurs, en dĂ©pit de l’Ă©nergie du groupe, Ă©taient restĂ©s impassibles. Presque boudeurs et impatients que la prestation se termine. Dans la salle, un spectateur avait mĂȘme envoyĂ© un dĂ©contractĂ©   ” No Good !” soutenu par son accent frenchie. EnervĂ© par l’attitude du public, un des musiciens ( peut-ĂȘtre celui qui Ă©tait aux claviers )  avait un moment lĂąchĂ© quelques phrases calibrĂ©es en Anglais. Puis, en Français, il s’Ă©tait adressĂ© au public en mettant les formes.

Le concert Ă©tait maintenant terminĂ©. Nous allions sortir du Phil One pour poursuivre notre soirĂ©e quand nous avons croisĂ© ces deux ou trois inconnus qui venaient d’arriver. A moins qu’ils ne soient sortis prendre l’air pendant le concert. Eux venaient pour danser au Phil One. A les entendre, nous n’aimions pas la bonne musique…

LycĂ©en, je devais ĂȘtre le seul mineur de notre groupe. Cette sortie nocturne Ă©tait peut-ĂȘtre une de mes premiĂšres sorties nocturnes sans mes parents. « Notre » groupe, c’était FrĂ©do, notre entraĂźneur de la section sprint du club d’athlĂ©tisme de Nanterre. Plus tard, il se marierait avec Danielle, ancienne sprinteuse d’origine martiniquaise dont il Ă©tait persuadĂ© qu’il aurait pu faire une « championne de France » si elle l’avait voulu. Danielle, athlĂšte douĂ©e, avait pu se qualifier pour les championnats de France. Mais comme elle me l’expliqua un jour, le problĂšme, c’était qu’elle n’aimait pas
l’athlĂ©tisme. Lors d’un de nos stages d’athlĂ©tisme, je me rappelle maintenant de Danielle nous proposant une chorĂ©graphie, sa chorĂ©graphie, sur le titre Flash-back du groupe Imagination. A force de rĂ©entendre ce titre- qui n’Ă©tait pas mon prĂ©fĂ©rĂ© du groupe- lors de ses rĂ©pĂ©titions, j’avais fini par l’aimer.

Ce soir-lĂ , il y’avait aussi Georges, mon aĂźnĂ© de deux ou trois ans et dont j’ai voulu, un temps, faire un de mes grands frĂšres, moi qui n’en n’ai jamais eu. Georges, avant de donner la prioritĂ© Ă  l’athlĂ©tisme et Ă  ses Ă©tudes, avait Ă©tĂ© bassiste autodidacte dans un groupe de Reggae dont le meneur avait Ă©tĂ© Pascal, ancien basketteur de bon niveau, chanteur, musicien et compositeur, grand rasta « conscient » dont je croisais l’autoritĂ© plutĂŽt intimidante au lycĂ©e Joliot-Curie. Ce qui Ă©tait raccord avec Georges, dont la stature et l’attitude imposaient le respect Ă  tout le monde dans le club d’athlĂ©tisme, entraĂźneurs inclus. Personne ne critiquait ou ne se moquait de Georges quels que puissent ĂȘtre ses rĂ©sultats en compĂ©tition. Un jour, bien plus tard, on m’a racontĂ© la blague suivante :

« Tu sais comment on appelle un Noir avec un fusil ? Monsieur ! ». J’aime beaucoup cette blague. HĂ© bien, disons que Georges et Pascal n’avaient pas besoin d’avoir un fusil pour qu’on les appelle « Monsieur ! ».

Georges reste Ă  ce jour le seul Antillais que j’ai rencontrĂ© dont le nom de famille a une origine africaine Ă©vidente. Il est aujourd’hui surnommĂ© « Big Georges » dans ce club de province oĂč il est maintenant entraĂźneur depuis des annĂ©es. A ce que j’ai pu lire sur le net, il avait un temps entraĂźnĂ© l’athlĂšte Floria GueĂŻ avant que celle-ci se fasse remarquer pour sa performance dorĂ©e lors du relais des championnats d’Europe d’athlĂ©tisme Ă  Zurich en 2014.

Lors du mĂȘme stage d’athlĂ©tisme oĂč Danielle nous avait gratifiĂ© de sa prestation sur le titre Flash-back du groupe Imagination, Georges, lui, seul Ă©galement, nous avait donnĂ© une danse fiĂšre et militante sur le titre Uncle George du groupe Steel Pulse en hommage Ă  Georges Jackson, un des frĂšres de Soledad, un temps amant d’Angela Davis et condamnĂ© Ă  mort par la justice amĂ©ricaine.

Avec Georges et Frédo, avant cette soirée-là ou aprÚs elle, nous étions allés voir le groupe Touré Kunda en concert. Touré Kunda était alors un groupe qui comptait sur la scÚne publique.

 

En entendant que nous n’aimions pas la bonne musique, JĂ©rome, vexĂ©, avait voulu rattraper les deux ou trois gars : lui et moi Ă©tions dans cet Ăąge oĂč, Ă  peine adultes, nous affirmions aussi nos certitudes et nos personnalitĂ©s Ă  travers nos expĂ©riences de la musique. Ni journalistes, ni musiciens et encore moins musicologues, nous Ă©tions des amateurs au sens oĂč nous Ă©tions des explorateurs. Et non de celles et ceux qui se contentent de brouter ce que tout le monde Ă©coute.

JĂ©rome Ă©tait un de mes meilleurs amis et aussi mon voisin du dessous de la tour 17 de la citĂ© Fernand LĂ©ger Ă  Nanterre. C’est dans sa chambre et grĂące Ă  sa chaĂźne hifi avec ses enceintes surĂ©levĂ©es de façon Ă©tudiĂ©e que j’avais dĂ©couvert pour la premiĂšre fois certains artistes qui ne faisaient pas partie de mon entendement. Parmi ces artistes : Miles Davis avec l’album Star People (1983).

L’un d’entre nous avait retenu JĂ©rome et nous Ă©tions dĂ©finitivement partis. Driss Ă©tait peut-ĂȘtre aussi avec nous ce soir-lĂ .

Mais avant notre sortie, et alors que les musiciens avaient dĂ©ja quittĂ© la scĂšne, dans un Phil One encore Ă  peu prĂšs vide, j’avais entendu pour la premiĂšre fois ces quelques accords de guitare semi-acoustique, cette voix Ă©raillĂ©e (dĂ©crite plus tard par Jocelyne BĂ©roard, je crois, comme « blues et macho ») et cette musique qui disaient :

« An Nou Ay ! ».

 

C’est sur le titre Zouk-la-SĂ©-Sel-Medikaman-Nou-Ni que nous avions quittĂ© le Phil One. Et ce fut la seule fois oĂč je connus le Phil One. J’appris beaucoup plus tard, aprĂšs sa fermeture, que le Phil One, situĂ© dans le centre commercial des Quatre Temps de la DĂ©fense, Ă©tait alors une boite de nuit rĂ©putĂ©e.

NĂ©anmoins, cette « premiĂšre » expĂ©rience de  Kassav’  suffit Ă  me remettre dans les starting-blocks de la musique antillaise. Car cette expĂ©rience musicale de Kassav’ allait connaĂźtre des suites pendant mes vacances en Guadeloupe.

J’avais dĂ©ja entendu la voix de Jacob Desvarieux sur les titres Oh Madiana  et Zonbi  mais, ce soir-lĂ  au Phil One,  je n’avais pas fait le rapprochement.

Avant Kassav’, pour moi, la musique antillaise, c’était une musique dont la basse faisait boom-boom-, boom-boom-, boom-boom-, boom-boom, dans les enceintes avec la gravitĂ© d’un Ă©lĂ©phant rĂ©pĂ©tant les mĂȘmes pas. Pendant des heures. Alors que je faisais banquette dans les multiples soirĂ©es antillaises oĂč nous emmenaient nos parents, j’entendais cette basse qui revenait en Ă©tant toujours ou souvent la mĂȘme. Et les gens dansaient, s’amusaient, rigolaient et quelques fois se disputaient et se battaient. Or, mon oreille, Ă  la maison, s’était habituĂ©e de façon prĂ©fĂ©rentielle au Reggae. Tandis que dehors, avec les copains, avec le Reggae, c’était plutĂŽt le Funk, la Soul et le Jazz-Rock qui nous conditionnaient.

Plus que les titres YĂ©lĂ©lĂ©, Tim-Tim- Bwa Sek , KavaliĂ© O Dam ou GorĂ©e (que j’aime beaucoup) dont le but est de « rappeler » aux Moon France ( ou Moun Frans si on prĂ©fĂšre) leur « Histoire » et leurs « racines », la façon dont Kassav’ a opĂ©rĂ© la musique antillaise et l’a faite grandir en l’ouvrant m’a rĂ©conciliĂ© avec la musique de « mon » pays. MĂȘme si j’ai bien-sĂ»r aimĂ© beaucoup de tubes antillais de l’époque d’avant Kassav’ et rĂ©Ă©couterais avec plaisir un certain nombre d’entre eux. Que l’on parle du Kompa, genre musical dominateur aux Antilles avant l’éruption du zouk pour moi reprĂ©sentĂ©e par Kassav’, ou de toute autre forme d’expression musicale alors en lice en Guadeloupe.

 

Avec Miles Davis, Me’Shell NdĂ©gĂ©ocello, Björk et Brain Damage, le groupe Kassav’ est le seul groupe ou artiste musical que je sois allĂ© « voir » et Ă©couter au moins trois fois en concert. A Basse Terre, en Guadeloupe. Au parc de l’ancienne mairie Ă  Nanterre. A Argenteuil. Et, depuis ce 11 Mai 2019, Ă  la salle de concert Arena Ă  la DĂ©fense oĂč je me rendais pour la premiĂšre fois avec ma compagne.

On rappelle parfois que Kassav’ a fait un titre avec Stevie Wonder. Pour l’instant, lorsque je l’Ă©coute, ce titre, hormis pour le caractĂšre prestigieux de la collaboration qui a permis sa crĂ©ation, me touche peu : je considĂšre que sur ce titre Stevie Wonder et/ou Kassav’ est ou sont peu inspirĂ©(s).

Par contre, deux ans avant sa mort en 1991, Miles sortait l’album Amandla sur lequel se trouve le titre CatembĂ© . En Ă©coutant ce titre, il ne faut pas s’attendre Ă  un morceau fait pour zouker en boite de nuit ou dans sa voiture. Mais comme Miles l’avait fait pour le titre Don’t Lose your mind sur son album Tutu ( en 1986) en s’inspirant ( Merci Ă  Pascal de me l’avoir appris !) de la rythmique basse-batterie du tandem Robbie Shakeaspeare & Sly Dunbar, ultimatum Reggae et Dub, de diverses formations ( dont le groupe Black Uhuru un moment envisagĂ© avant son implosion comme une des relĂšves possibles de Bob Marley ), je sais pour l’avoir lu que Miles s’Ă©tait inspirĂ© du zouk , et en particulier de celui promu par Kassav’, pour son titre CatembĂ©. Je me rappelle d’une interview oĂč Miles s’Ă©tait plu Ă  faire la leçon Ă  un journaliste ( sans doute blanc ) en lui demandant s’il connaissait cette musique qui venait des Antilles : le Zouk.

 

 

Entre mon tout premier concert de Miles Davis oĂč je m’Ă©tais rendu seul, en 1987 au Palais des Sports Ă  la Porte de Versailles, et celui de Kassav’ il y’a quelques jours, trente deux ans sont passĂ©s. Kassav’ existe officiellement depuis quarante ans.

Quarante ans d’existence. Quarante mille spectateurs.

 

Au Stade de France en 2009, ils Ă©taient 65 000. Mais j’ai entendu parler d’un concert en CĂŽte-d’Ivoire oĂč ils Ă©taient 100 000 spectateurs. Je me rappelle que le Zouk rĂ©pandu en Afrique par Kassav’ avait par exemple dĂ©teint sur les chansons d’une artiste comme Monique SĂ©ka, artiste ivoirienne dĂ©crite sur sa page wikipĂ©dia comme Ă©tant une ” chanteuse…Afro-zouk de la CĂŽte d’Ivoire”. BĂ©a, une de mes amies, vient de m’apprendre que Kassav’ s’est mĂȘme produit en concert sur l’Ăźle de GorĂ©e, au SĂ©nĂ©gal. Des neveux de son mari Ă©taient prĂ©sents Ă  ce concert mĂ©morable. Et ils ” en parlent jusqu’Ă  ce jour”. Cette mĂȘme amie ajoute ( je la cite) :

” J’Ă©tais Ă  une communion africaine dimanche ( SĂ©nĂ©gal/ Cap Vert). Ils ont mis 1h de Kassav’ en l’honneur du 40Ăšme anniv. Le feu dans la salle !”.

Kassav’ est aussi allĂ© se faire connaĂźtre sur d’autres continents. ArrivĂ©s Ă  un certain niveau, les artistes, musiciens ou autres, dĂ©passent les frontiĂšres, vont Ă  la rencontre des autres, s’Ă©coutent et s’inspirent les uns des autres. Et le groupe Apartheid Not, aujourd’hui disparu et oubliĂ© depuis des annĂ©es ou pas loin de l’ĂȘtre, et  citĂ© en prĂ©ambule de cet article, reprĂ©sentait indiscutablement -avec tant d’autres artistes –  cette ouverture d’esprit. On serait Ă©tonnĂ© d’apprendre ce que tel artiste reconnu et rĂ©putĂ© dans tel genre de musique Ă©coute par ailleurs comme style de musique. On serait aussi trĂšs Ă©tonnĂ© d’apprendre que tel artiste de telle “Ă©cole” ou de tel ” courant” est trĂšs ami avec tel autre artiste a priori totalement Ă©tranger, voire opposĂ©, Ă  son univers et son langage. La complĂ©mentaritĂ© permet la crĂ©ativitĂ©. Mais pour cela, il faut d’abord rĂ©ussir Ă  s’accorder.

 

D’ailleurs, au dĂ©but, je m’Ă©tais fermĂ© Ă  l’idĂ©e d’aller Ă  ce concert de Kassav’ ce samedi 11 Mai 2019. La salle Ă©tait trop grande pour moi. Ouverte le 19 octobre 2017 avec un concert des Rolling Stones, la salle de concert Paris La DĂ©fense Arena Ă©tait, Ă  ce que j’avais entendu dire, plus grande que celle du Palais Omnisports de Bercy rebaptisĂ©e AccorHotels Arena ou Bercy Arena depuis 2015 aprĂšs sa rĂ©novation. Bercy Arena, pourvue de 20 300 places selon wikipĂ©dia, m’avait laissĂ© un souvenir mitigĂ© en tant que spectateur. Je prĂ©fĂšre les salles intimistes de  la taille de la Cigale, L’ElysĂ©e Montmartre, le Bataclan ou plus petites. La salle du ZĂ©nith Ă©tant mon maximum pour une salle couverte et fermĂ©e. Alors qu’en extĂ©rieur, j’ai pu me rendre avec plaisir Ă  un festival comme Rock en Seine.

Concernant ce concert du 11 Mai dernier,  j’ai aussi d’abord refusĂ© d’aller voir Kassav’ car je les avais ” dĂ©jĂ  vus en concert”. Et leurs derniĂšres productions me happent moins “qu’avant”. Lorsque Kassav’, Ă  l’Ă©poque oĂč Patrick St Eloi, Georges DĂ©cimus et tous les autres Ă©taient ensemble, Ă©tait ce “cyclone” musical et que les autres artistes Ă©vitaient de sortir leur album en mĂȘme temps que le “nouveau” Kassav’. MĂȘme si, par ailleurs, j’aime des titres assez rĂ©cents tels que TonbĂ© Leta.

 

Et puis, j’ai appris que ce serait la derniĂšre tournĂ©e de Kassav’. MĂȘme s’ils auraient dĂ©jĂ  dit ça. Mais ils prenaient de l’ñge quand mĂȘme alors il fallait ĂȘtre rĂ©aliste. Et puis, la salle de concert  la DĂ©fense Arena, c’était aussi revenir Ă  Nanterre, la ville de mes 17 premiĂšres annĂ©es. PrĂšs du centre commercial les Quatre Temps dont l’ouverture en 1981 avait Ă©tĂ© un Ă©vĂ©nement en mĂȘme temps qu’un aimant pour mon adolescence et celle de bien d’autres jeunes de mon Ăąge et des environs. Les Quatre Temps nous avaient aussi apportĂ© les premiers Mc Do. Les premiers Quick. Restauration qu’aujourd’hui je fuis autant que possible. C’était avant la grande Arche. A l’époque du Rubik’s Cube.

Kassav’ en concert, pour leurs quarante ans, c’était donc voir notre vie dĂ©filer. Au milieu d’un public fidĂ©lisĂ©, ĂągĂ© d’une vingtaine d’annĂ©es Ă  plus de soixante ans, majoritairement noir, qui reprend en dansant les paroles de tubes dont la majoritĂ© datait des annĂ©es 80 et 90.

A les voir, les « anciens », Jocelyne BĂ©roard, Jean-Philippe MarthĂ©ly, Jean-Claude Naimro, Jacob Desvarieux, Georges DĂ©cimus avec les nouveaux et plus ou moins nouveaux, en parfait accord avec le public, arrĂȘter le temps, cĂ©lĂ©brer chaque instant, semblait plus que facile. Il n’y’avait qu’à se laisser aller. Pourtant, alors qu’on les distinguait sur les grands Ă©crans de la taille de leur succĂšs et qu’on les voyait prendre- et donner- tout ce plaisir en plein dans le mille, je me suis dit que, d’un point de vue personnel, ce groupe en avait connu des traversĂ©es pour arriver jusque lĂ . Je « crois » que pour sa carriĂšre, Jocelyne BĂ©roard a renoncĂ© Ă  ĂȘtre mĂšre et peut-ĂȘtre Ă  une vie de couple. Desvarieux s’est sĂ©parĂ© au moins d’une mĂšre de ses enfants.

Et puis, Ă©conomiquement et artistiquement, Kassav’ fait partie des rescapĂ©s. Plusieurs annĂ©es auparavant, le producteur et chanteur Henri Debs avait expliquĂ© qu’il connaissait deux sortes d’artistes : Les « ADC », artistes Ă  durĂ©e courte et les autres, les « ADL », les artistes Ă  durĂ©e longue. En Ă©coutant Henri Debs, j’avais retenu qu’un ADL devait sa longĂ©vitĂ© Ă  son travail et Ă  ses dons. Pourtant, un artiste, mĂȘme s’il est « bon » ou « trĂšs bon » peut avoir beaucoup de mal Ă  « percer ». Tout artiste a besoin d’une certaine rĂ©ussite Ă©conomique pour continuer. Or, depuis les dĂ©buts de Kassav’ en tant que groupe en 1979, l’industrie du disque et de la musique a changĂ©. Un prof de guitare basse et musicien professionnel, GrĂ©gory Martin, a expliquĂ© ça quelques heures plus tĂŽt Ă  cette confĂ©rence oĂč je me trouvais avant le concert.

Aujourd’hui, les maisons de disque pressent les artistes pour « produire » comme des poules pondeuses en batterie. Les artistes se doivent de sortir rapidement des tubes et si possible avec des machines qui remplacent les musiciens. Pas de temps ou trĂšs peu de temps est laissĂ© aux artistes pour explorer et peaufiner un album. Et lorsqu’il s’agit de faire des concerts, on leur dit que moins ils sont, mieux c’est. Pour rĂ©duire les coĂ»ts. Il faut ĂȘtre rentable. Conclusion : si aujourd’hui un groupe comme Kassav’, avec autant de musiciens, dĂ©marrait sa carriĂšre, il s’effondrerait probablement avant ses quarante ans de carriĂšre.

A l’avenir, quel que soit le genre musical, nous rencontrerons de moins en moins d’artistes capables d’une telle longĂ©vitĂ©. Il peut y avoir si peu de diffĂ©rence entre celles et ceux qui se noient et les autres qui se dĂ©ploient et, cela, quelle que soit l’étendue du gĂ©nie, du talent, du « mĂ©rite », du travail et des sacrifices. Pour ces raisons, et d’autres que j’ignore, j’ai beaucoup aimĂ© ce concert. Je n’ai regrettĂ© aucun des prĂšs de cent euros dĂ©boursĂ©s pour les deux places et le parking. MĂȘme si le rĂ©glage du son aurait pu ĂȘtre un peu plus soigneux. Mais il aurait pu ĂȘtre pire.

J’aurais aimĂ© que Kassav’ nous fasse profiter des trĂšs bons musiciens qu’ils sont en allant plus souvent dans « l’instrumental » comme lorsque Jean-Claude Naimro s’est avancĂ© avec son clavier portatif pour ce titre que je connais moins que les autres. Avec des titres plus rĂ©cents tels que TonbĂ© Leta. Ou en reprenant par exemple un titre comme ZONGONN.

Lorsque j’avais Ă©coutĂ© ZONGONN pour la premiĂšre fois ( album de Jacob Desvarieux et Georges DĂ©cimus de 1986) je l’avais nĂ©gligĂ© au profit de titres comme GOREE, Ki NON A MANMANW, MWEN ENVI OU. C’est en l’écoutant en soirĂ©e antillaise et en voyant l’engouement qu’il provoquait que je m’étais aperçu de mon erreur « d’oreille ».

J’aurais aimĂ© entendre SOUSKAY. Mais comme me l’a rappelĂ© une collĂšgue aussi prĂ©sente au concert, le palmarĂšs de Kassav’ est si consĂ©quent qu’il leur Ă©tait impossible de tout jouer. Les trĂšs bons artistes, celles et ceux auxquels on est trĂšs attachĂ© et qui nous ont souvent habituĂ© au meilleur, nous rendent parfois trĂšs exigeants. Voire trop.

L’Historique groupe Kassav’ nous a bien bordĂ© samedi soir. Chacun portera dans sa mĂ©moire plusieurs moments de ce concert. Pour moi, il y a eu la ligne de basse en introduction de Georges DĂ©cimus sur SĂ© PA DJEN DJEN. Une ligne de basse  qu’il a rĂ©introduite en avant-scĂšne prĂšs d’un Jean-Philippe MarthĂ©ly soufflĂ© Ă  la fin de l’interprĂ©tation. Il y’a eu le « La Kour Trankil MĂ© La Kour Pa Dosil ! » de Jocelyne BĂ©roard suivi d’un « YĂ©krik » d’alpiniste. Il y a eu le solo silex de Jacob Desvarieux sur Tim-Tim-Bwa-Sek. Il y a eu l’hommage Ă  Patrick St Eloi avec des photos de celui-ci, seul ou avec Jean-Philippe MarthĂ©ly, Ă©poque annĂ©es 80-90. Il y ‘a eu le solo par le trio batterie et percussion. Et bien-sĂ»r, le final avec Zouk La SĂ© Sel Medikaman Nou Ni. Pour moi, Zouk La SĂ© Sel Medikamen Nou Ni est l’équivalent d’un titre inusable comme le Sex Machine de James Brown. MĂȘme lorsque le sable nous recouvrira tous, nous qui Ă©tions Ă  ce concert, il se trouvera encore des gens pour l’aimer et danser dessus. Et nous avec eux. Peut-ĂȘtre.

Franck Unimon, ce mercredi 15 Mai 2019.

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Cinéma

Digressions à partir de la série documentaire Paris 8, la fac Hip Hop de Pascal Tessaud

 

 

Digressions à partir de la série documentaire Paris 8, la Fac Hip Hop de Pascal Tessaud

 

On peut ĂȘtre une des piĂšces du puzzle de l’underground. Tout en l’ignorant.

 

La tĂ©lĂ© Ă©tait encore la frontiĂšre principale la plus visible de nos vies. En la franchissant, nous apprenions ce que nous devions savoir du monde mais aussi ce dont nous devions nous rappeler. Ainsi, en France, cinquiĂšme Puissance Mondiale, les numĂ©ros 1 officiels de la chanson s’appelaient Julien Clerc, GĂ©rard Lenorman, Michel Sardou, Alain Souchon, Claude François, Mireille Matthieu, Dalida, Johnny Halliday et d’autres que notre mĂ©moire encourage encore. Et pardonne. C’était avant l’émission The Voice avec les jurĂ©s actuels Julien Clerc, Jennifer, Mika et Soprano. C’était un ou deux ans avant l’enracinement de l’évĂ©nement tĂ©lĂ©visuel de la sĂ©rie Dallas dans le monde( au moins en occident), en France mais aussi aux Antilles françaises. Avant qu’en Guadeloupe, les paroles d’une chanson dise :

« Sue Ellen Ka BwÚ Whisky, Dallas ! » (« Sue Ellen boit du whisky, Dallas ! ».

C’Ă©tait avant qu’au SĂ©nĂ©gal, Youssou N’Dour, dans une de ses chansons, n’évoque les bouleversements sociologiques entraĂźnĂ©s par la tĂ©lĂ© et cette « fameuse Ă©mission » qu’était
Dallas ! Avant que Youssou N’Dour, encore, fasse son tube Seven Seconds avec Neneh Cherry.

 

Il Ă©tait nĂ©anmoins des circonstances oĂč mĂȘme enceinte des Ă©clats de notre quotidien, la tĂ©lĂ© demeurait dans son enclos ou Ă  quai. Eteinte ou provisoirement quittĂ©e.

Cette nuit-lĂ , nous nous Ă©tions passĂ©s de ses Ă©treintes. Dans l’appartement HLM oĂč nous Ă©tions, Ă  Colombes, Ă  quelques minutes Ă  pied de l’hĂŽpital Louis Mourier. Chez des parents, les chansons et les musiques des numĂ©ros 1 officiels de la tĂ©lĂ© française avaient disparu, dissociĂ©es des tubes des numĂ©ros 1 du moment de la musique antillaise. Nous Ă©tions sans doute tous rĂ©unis pour un baptĂȘme ou une communion. D’un cĂŽtĂ©, en journĂ©e et durant la semaine, la tradition catholique et la langue française, hĂ©ritages mentaux autant que coloniaux et culturels dominĂ©s par la couleur blanche. De l’autre, « entre nous », cette nuit-lĂ  comme pour d’autres, la musique ” noire”, la danse, le crĂ©ole, la nourriture et les « pays » de reco-naissance et d’origine redevenaient les sillons d’autres histoires, d’autres corps et d’autres visages absents de la tĂ©lĂ© – et du cinĂ©ma- que nous regardions. Et gardions.

Cette nuit-lĂ , ces considĂ©rations m’étaient des langues Ă©trangĂšres que je parlais couramment. Mais je me rappelle du trou noir sonore soudainement produit par le Rapper’s Delight de Sugarhill Gang lors de la soirĂ©e. Plus rien d’autre n’existait Ă  part lui. Hormis bien-sĂ»r les silhouettes se glissant dans les fuseaux horaires de sa basse et de sa diction. C’est le seul titre de cette soirĂ©e dont je me rappelle quarante ans plus tard. Sans doute parce-que, « Premier » tube mondial de Rap en 1979, Rapper’s Delight a Ă©tĂ© tellement diffusĂ© qu’il a – comme la plupart des tubes- monopolisĂ© la mĂ©moire et l’attention au dĂ©triment de beaucoup d’autres titres et artistes du moment. Mais peut-ĂȘtre aussi parce-que certains titres et tubes sont, plus que d’autres, les branchies sonores qui marquent, Ă©paississent et espacent certains moments de nos vies.

AprĂšs Rapper’s Delight de Sugarhill Gang en 1979, le second tube Rap « mondial » (en occident) Ă  marquer la planĂšte fut The Message de Grandmaster Flash en 1982. Il y’a aussi eu l’album Planet Rock d’Afrika Bambaataa mais lĂ , on entrait dĂ©jĂ  dans le mouvement Hip-Hop qui, je crois, parlait davantage Ă  quelques connaisseurs. Je « connais » Afrika Bambaataa parce qu’il a Ă©tĂ© mĂ©diatisĂ©. Mais c’est assez relatif. Quant au Dj Kool Herc, moins connu (du grand public dont j’étais et je reste)  je le cite d’aprĂšs mes recherches. Et aussi parce qu’il fait partie des figures importantes du mouvement Hip-Hop.

Puis, question « tubes » mondiaux dans la sphÚre Rap/Hip-Hop, allaient suivre The Crown de Stevie Wonder et Gary Bird en 1983. Mais aussi le titre Rock it de Herbie Hancock.

Avec Rapper’s Delight, The Message, la personnalitĂ© d’Afrika Bambaataa, les titres The Crown et Rock it (ou voire le tube Last Night A DJ Saved my Life en 1982 du groupe Indeep), je me concentre ici sur ce que mes souvenirs me rendent de l’engouement que ces titres avaient pu susciter au moins en rĂ©gion parisienne Ă  leur sortie dans les annĂ©es 80. Le titre Rock it, par exemple, avait plus tard servi comme musique lors d’une des attractions du Futuroscope de Poitiers inaugurĂ© en 1987.

Mais dans les annĂ©es 80, Ă  part l’émission Hip Hop, proposĂ©e et animĂ©e les dimanches par Sidney Duteil Ă  partir de 1984, le mouvement Hip Hop et la musique Rap -ainsi que la couleur d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale- peinent Ă  entrer dans les mƓurs de la chanson, de la tĂ©lĂ© comme dans les rĂ©alisations cinĂ©matographiques françaises. Et ce, malgrĂ© la marche des Beurs en 1983.

Il y a bien-sĂ»r des exceptions : l’humoriste Pascal LĂ©gitimus avec les Inconnus ; le chanteur Karim Kacel ; le groupe Carte de SĂ©jour de Rachid Taha ; La Compagnie CrĂ©ole ; l’acteur Greg Germain dans MĂ©decins de nuit. Farid Chopel. Des artistes extĂ©rieurs Ă  l’univers du mouvement Hip-Hop et Rap. Pascal LĂ©gitimus , par exemple, a fait plusieurs parodies de Rap avec ses acolytes Bourdon et Campan qui sont devenus des tubes en France (Auteuil, Neuilly, Passy pour citer un titre). Un groupe comme Chagrin d’Amour avec son tube Chacun fait c’qui lui plait (en 1981) s’inspire aussi du Rap. Mais dans les arcanes officielles de la sociĂ©tĂ© française- ainsi que dans sa tĂ©lĂ©vision- le mouvement Hip/Hop et le Rap ne prennent pas dans un premier temps dans les annĂ©es 80. On pense Ă  une mode. J’ai pensĂ© Ă  une mode.

Des genres musicaux comme la new wave et la « techno » se sont aussi Ă©tendus dans les annĂ©es 80 aux cĂŽtĂ©s de groupes plus ou moins pop-rock en ce sens qu’ils concilient une certaine mĂ©lodie et quelques riffs dansants et insistants. Et ils marchent bien. Depeche Mode. Soft Cell. Duran Duran. Talk-Talk. Tears for fear. INXS. Frankie Goes to Hollywood. Bronski Beat. Ou Police dans un registre punk-Reggae. Culture Club. Simply Red. UB40. Madonna….

AprĂšs avoir connu un acmĂ© Ă  la fin des annĂ©es 70 avec AC/DC en particulier, le crĂ©pitement        « Hard-Rock » donne un de ses derniers tubes avec le  Still Loving You du groupe Scorpions en 1984. U2 marque les esprits avec son album War (1983). MichaĂ«l Jackson est alors sĂ»rement le meilleur « compromis » pour fĂ©dĂ©rer pacifiquement non-blancs et blancs autour d’une mĂȘme musique (son album Thriller sort en 1982) et dans une mĂȘme salle de concert.

La vibe reggae perd peu Ă  peu son meilleur VRP international avec la mort de Bob Marley en 1981. MĂȘme si Jimmy Cliff en 1983 nous est « prĂ©sentĂ© » comme le nouveau « roi » du Reggae avec son tube Reggae Night. Indirectement, MichaĂ«l Jackson rĂ©cupĂšre peut-ĂȘtre une partie du public « one love » de Bob Marley.

Les annĂ©es 80 en France, c’est aussi Taxi Girl, MylĂšne Farmer, Etienne Daho, Alain Bashung. « Encore » Serge Gainsbourg. Vanessa Paradis. Florent Pagny. Renaud. Indochine. Telephone. Patrick Bruel. France Gall et Michel Berger. Daniel Balavoine. Eddy Mitchell. Laurent Voulzy. Jane Birkin. Lio. Chantal Goya. Richard Gotainer. Enrico Macias. HervĂ© Vilar. Christophe. Patricia Kaas. Francis Cabrel. Jean-Jacques Goldmann. Jeanne Mas.

Les annĂ©es 80, c’est aussi les ” annĂ©es Sida”( bien que celui-ci, aujourd’hui, soit toujours prĂ©sent). Le chĂŽmage et le Sida. L’Ă©pidĂ©mie Sida est officialisĂ©e et mĂ©diatisĂ©e. A la tĂ©lĂ©, impossible de nous dire comment tout a commencĂ© mais on nous explique d’abord que le Sida touche plutĂŽt les homosexuels et les HaĂŻtiens. Sous-entendu : ” la lie de l’humanitĂ©”. C’est en tout cas ce que j’ai retenu Ă  l’Ă©poque. J’ai oubliĂ©, si, dans le lot, on nous parlait aussi des prostituĂ©(es) et des toxicomanes.  La tragĂ©die- et le scandale politique- du ” sang contaminĂ©” qui touchera et tuera des hĂ©mophiles et des hĂ©tĂ©rosexuels “bien sous tous rapports” arrivera aprĂšs.

Les annĂ©es 80, c’est encore le bloc Est/Ouest. La fin de l’URSS va arriver Ă  la fin de la dĂ©cennie. BientĂŽt, le mur de Berlin va tomber.

Bien-sĂ»r, tout cela, c’est avant l’Ăšre internet telle qu’on la connait maintenant. Avant la gĂ©nĂ©ralisation d’internet, des rĂ©seaux sociaux et de la tĂ©lĂ©phonie mobile.

Mais on reste extérieur au mouvement Hip/Hop et Rap et celui-ci semble alors avoir expiré en France.

La sĂ©rie documentaire Paris 8, la Fac Hip Hop de Pascal Tessaud actuellement disponible sur Arte jusqu’au 7 avril 2022 nous dĂ©montre le contraire en dix volets. Dix volets d’une durĂ©e moyenne de 7-8 minutes chacun qui nous raconte le prolongement du mouvement Hip Hop en banlieue parisienne dans les annĂ©es 90 aprĂšs sa mise Ă  feu dans les annĂ©es 70-80.

Pascal Tessaud a rĂ©alisĂ© le long mĂ©trage Brooklyn en 2014. Film auto-produit Ă©galement consacrĂ© au milieu Hip Hop et Rap et prĂ©sentĂ© au festival de Cannes dans la sĂ©lection Acid.  Avant Brooklyn, entre 2002 et 2012, Pascal Tessaud avait auparavant rĂ©alisĂ© quatre courts-mĂ©trages : Noctambules, L’Ă©tĂ© de Noura, FaciĂšs, La Ville LumiĂšre . Mais aussi le documentaire Slam, ce qui nous brĂ»le ( 2007). En 2009, il a aussi Ă©crit un livre : Paul Carpita, cinĂ©aste franc-tireur. Cette prĂ©sentation est un rĂ©sumĂ© pour introduire le fait que Pascal Tessaud a une culture Hip Hop/ Rap  et cinĂ©ma. Toute culture repose sur la production et l’expression ( ou l’Ă©mergence) Ă  un moment ou un autre de rĂ©flexions sur le monde distribuĂ©es par certaines Ă©nergies.

La série Paris 8, la Fac Hip Hop relaie ces énergies et ces réflexions.

Aujourd’hui, en 2019, beaucoup de personnes Ă©coutent du Rap. C’est devenu la norme (ou « mainstream »). Il se trouvera bien des personnes qui s’en dĂ©tournent ou qui expliqueront avoir arrĂȘtĂ© d’en Ă©couter. Mais il sera impossible Ă  ces personnes, en France, si elles sont un peu curieuses et « regardent » les mĂ©dia disponibles, d’ignorer totalement quelqu’un parmi les noms d’Orelsan, Eddy de Pretto, PNL, Booba, Kaaris, NTM, IAM, Jul et d’autres. Comme il sera tout Ă  fait possible Ă  beaucoup d’autres, aujourd’hui, de se rendre au concert d’un ou de plusieurs de ces artistes de Rap et de bien d’autres (français ou amĂ©ricains en majoritĂ©) alors que cette action Ă©tait plutĂŽt rĂ©servĂ©e Ă  une certaine frange au moins de la population et de la sociĂ©tĂ© française dans les annĂ©es 90. Pour des questions de rĂ©putation et de frĂ©quentations. Mais aussi pour des questions de « goĂ»t » musical et culturel.

En Ă©coutant le premier album Lost& Found (2018) de la chanteuse plus que prometteuse Jorja Smith, on trouve par exemple le titre Lifeboats ( Freestyle). Un titre indiscutablement adossĂ© Ă  un esprit Rap. Sauf qu’en 1990-1991, Ă©poque sur laquelle se concentre la sĂ©rie documentaire de Pascal Tessaud, Jorja Smith n’était
pas nĂ©e.

Un artiste mondialement connu comme Will.i.am fondateur du groupe Black Eyed Peas et co-compositeur (avec David Guetta et Fred Rister) du tube I Gotta Feeling (2009) vendu Ă  des millions d’exemplaires –  et sur lequel a eu lieu le premier Flashmob lors d’une Ă©mission d’Oprah Winfrey-  est originellement un Rappeur. Et mĂȘme Prince, de son vivant, avait versĂ© dans le Rap (rĂ©Ă©couter son titre Get off ou, simplement, son tube Sign O The Times en 1987). Mais nous citons ici des artistes mondialement connus (pour Will.i.am et Prince) alors que le propos de Pascal Tessaud est de dĂ©montrer que le Hip Hop et le Rap ont Ă©tĂ© des moyens d’existence et d’expression pour une certaine jeunesse ignorĂ©e – ou recalĂ©e- des standards de rĂ©ussite de la sociĂ©tĂ© française.

La personnalitĂ© de Georges Lapassade se doit d’ĂȘtre nommĂ©e. Tant elle est centrale dans la sĂ©rie documentaire ainsi que dans cette initiative d’avoir voulu faire de l’universitĂ© de Paris 8 situĂ©e Ă  St-Denis (en banlieue parisienne) une fac Hip-Hop dans les annĂ©es 90. Lapassade rappelle ces adultes influents (dans tous les sens du terme) qui savent aborder des jeunes pas forcĂ©ment faciles d’accĂšs. Lapassade rappelle ces adultes Ă©tablis et reconnus socialement, pourvus d’une certaine autoritĂ©, qui savent parler Ă  des jeunes, les valoriser, les « canaliser » et leur donner des moyens pour croire en eux afin de passer de l’adolescence Ă  l’ñge adulte. Il manque de tels passeurs dans nos sociĂ©tĂ©s «modernes » par volontĂ© politique, ignorance
.ou lĂąchetĂ©. DĂ©sormais, lorsque l’on entend parler de « passeurs », le plus souvent, c’est pour nous parler de celles et ceux qui escroquent les migrants qui tentent de fuir leur pays afin de survivre.

Le rĂŽle de « passeur » de Lapassade, ici, et de celles et ceux qui ont Ă©tĂ© ses collĂšgues  -voire ses     « subordonnĂ©s » adultes- a bien-sĂ»r Ă©tĂ© plus proche de celui d’éducateurs. Cela est bien montrĂ© dans la sĂ©rie documentaire Paris 8, la Fac Hip-Hop au moyen des archives que Pascal Tessaud a pu rĂ©cupĂ©rer (dix pour cent d’entre elles car les 90 pour cent restantes avaient Ă©tĂ© dĂ©truites !) ou l’on peut apercevoir quelques fois un jeune Mc Solaar, un jeune MĂ©nĂ©lik mais aussi un jeune Joey Starr.

Au travers d’interviews, diffĂ©rents acteurs ( tant du cĂŽtĂ© des anciens professeurs que des rappeurs et des jeunes artistes de cette Ă©poque) acceptent de revenir sur cette dynamique :

Cristina Lopes, Juan Massenya, Pascale Obolo, Menelik, Sear (fondateur de Getz Busy), Madj      ( ex-responsable d’Assassin Productions), M’widi ( rappeur au coude Ă  coude dans les annĂ©es 90 avec Mc Solaar pour sortir un premier album ), Mode 2 ( graffeur), Menelik, Banga, King Bobo, Swen ( de NTM), Driver, Mc Solaar, le fils de Desdemone Bardin et d’autres.

J’aurais aimĂ© que le documentaire nous en dise davantage sur les rĂ©percussions du conflit entre Lapassade et Desdemone Bardin. Car on a l’impression que cette rupture entre ces deux «éminences » a peu pesĂ© sur l’aventure fac Hip-Hop alors que ça a dĂ» ĂȘtre le cas.

J’ai beaucoup aimĂ© le spĂ©cial portrait( Le Prince du Mic)  sur le Rappeur M’Widi que j’ai dĂ©couvert. A travers lui, et son intelligente autocritique, c’est le parcours de tous ces artistes ou autres qui « ratent » une carriĂšre que l’on voit. MĂȘme si l’avis des ex-Ladies Night nuance cette vision. Lorsqu’elles disent qu’elles n’étaient pas « mallĂ©ables » et qu’elles n’auraient pas pu ĂȘtre « Un Girl Band ». Ce qui m’a rappelĂ© que Mc Solaar ( et aussi IAM) avaient d’abord mieux marchĂ© et Ă©tĂ© plus acceptĂ©s que NTM ( alors appelĂ© le SuprĂȘme NTM ) aussi parce qu’ils passaient «mieux » et Ă©taient plus « frĂ©quentables ». NTM avait pu reprocher Ă  Solaar son cĂŽtĂ©  « premier de la classe » pour ne pas dire « fayot ». Mais ce serait beaucoup sous-estimer la valeur artistique et culturelle d’IAM et de MC Solaar en retenant uniquement le fait qu’ils Ă©taient…”plus frĂ©quentables”. Disons que ça compte- aussi- dans une vie et dans une carriĂšre de savoir/pouvoir se rendre frĂ©quentable devant les  “bonnes” personnes : celles qui peuvent nous ouvrir des portes.

Plus “prĂ©sentable”, en 1998, Mc Solaar avait ainsi fait partie du jury du festival de Cannes prĂ©sidĂ© par Martin Scorsese. En 1998, il aurait fallu avoir de puissants dons de voyance pour envisager NTM dans le jury du festival de Cannes. Joey Starr et Kool Shen sont entrĂ©s dans les mƓurs plus tard. Aujourd’hui, Joey Starr est un acteur recherchĂ©. MĂȘme Kool Shen a tĂątĂ© du cinĂ©ma en tant qu’acteur. Et, je me rappelle aujourd’hui de l’air satisfait de la consoeur journaliste croisĂ©e dans un ascenseur au festival de Cannes alors qu’elle m’avait rĂ©pondu qu’elle allait interviewer
Joey Starr. Pour son rĂŽle dans le film Polisse de MaĂŻwenn. C’était en 2011. Pour ma consoeur journaliste, interviewer Joey Starr, c’Ă©tait comme faire partie du carrĂ© VIP des journalistes.  Mais l’attachĂ© de presse qui s’occupait du film Polisse ( dont Joey Starr Ă©tait un des acteurs) Ă©tait fĂąchĂ© avec le mensuel dont j’étais un des journalistes : le mensuel de cinĂ©ma Brazil.

Devant ma « consoeur » journaliste en apesanteur, j’avais donnĂ© le change. Mais je m’étais senti un peu puni en Ă©tant « privĂ© » de Joey Starr. J’étais parti interviewer ValĂ©rie Donzelli pour son film La Guerre est dĂ©clarĂ©e.

Entre 1998, annĂ©e oĂč Mc Solaar avait fait partie du jury du festival de Cannes ( l’annĂ©e de L’éternitĂ© et un jour de Theo Angelopoulos, de La Vie est belle de Roberto Begnini, de La Vie rĂȘvĂ©e des anges d’Eric Zonca, de Festen de Thomas Vinterberg mais aussi de Slam de Marc Levin ) oĂč l’équipe de France de Football black-blanche-beure Ă©tait devenue championne du Monde pour la premiĂšre fois de son Histoire, et 2011, la radicalitĂ© de NTM a Ă©tĂ© profitable.

GrĂące aussi Ă  certaines rencontres ( Chabat et son documentaire Authentiques NTM : Un An avec le SuprĂȘme NTM co-rĂ©alisĂ© en 2000 avec Sear de Get Busy ; BĂ©atrice Dalle etc
.) et Ă  leurs bons choix. Comme pour toute carriĂšre et pour tout parcours.

Concernant l’époque traitĂ©e ( 1990-1991) dans le documentaire Paris 8, la Fac Hip Hop, je crois que ça aurait Ă©tĂ© mieux de ne pas mettre la vignette dans le gĂ©nĂ©rique de fin oĂč Lapassade est qualifiĂ© de « traitre ». Les divers tĂ©moignages dans le documentaire nous font suffisamment comprendre que Lapassade Ă©tait aussi mĂ©galo et opportuniste : Il y a ce passage oĂč il dit/dicte au jeune Mc Solaar qu’il est lĂ  pour rapper. Et non pour tagguer. En Italie, Lapassade se sert des jeunes rappeurs qu’il a emmenĂ©s (dont Mc Solaar et Menelik, pour les plus connus par la suite ) pour faire sa rĂ©volution Ă  l’image d’une espĂšce de Che Guevera « zoulou » du troisiĂšme Ăąge un peu pathĂ©tique. On comprend  grĂące aux tĂ©moignages que Lapassade a voulu faire du Hip Hop son trĂŽne. Et qu’il l’a chĂšrement payĂ© Ă  la fin. Avec sa mise au rebut, sa retraite forcĂ©e. Sa solitude. Pour cela, je suis trĂšs touchĂ© par la reconnaissance du rappeur M’Widi et de Swen ( ex-NTM) envers Lapassade. Celui-ci avait nĂ©anmoins ouvert ou entrouvert des portes.

J’aurais bien sĂ»r aimĂ© avoir profitĂ© des cours d’Anglais de Desdemone Bardin au moyen des textes de Rap amĂ©ricains qu’elle dĂ©cryptait. Cela m’aurait sĂ»rement plus parlĂ© que certaines lectures et devoirs de version plutĂŽt classiques et assez scolaires que j’ai eu Ă  faire lors de mes courtes Ă©tudes d’Anglais Ă  la fac de Nanterre entre….1989 et 1992.

L’intervention rĂ©trospective de Mc Solaar sur ce passĂ© est trĂšs classe. C’est dommage que sa carriĂšre, aujourd’hui, laisse moins transparaĂźtre toute cette classe.

Pour conclure, le documentaire A Voix Haute-La Force de la Parole rĂ©alisĂ© en 2016 dans la mĂȘme fac de St-Denis par StĂ©phane de Freitas et Ladj Ly semble une extension de cette Ă©poque et un complĂ©ment du documentaire de Pascal Tessaud, Paris 8, la Fac Hip Hop.

Franck Unimon, ce mardi 7 Mai 2019.

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Micro Actif

C’est trĂšs simple

 

 

 

Franck Unimon, ce lundi 6 Mai 2019.

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Cinéma

Pig

 

Pig Un film de Mani Haghighi

 

« La rĂ©alitĂ© ne compte pas, c’est ce qu’on en dit qui compte » assĂšne la jeune Annie Nosrati au rĂ©alisateur Hassan Kasmai.

 

Lors de cette scĂšne Ă  huis clos, les rapports se sont inversĂ©s entre la jeune groupie inconnue et Hassan Kasmai, le rĂ©alisateur provocateur et harcelĂ©. DĂ©sormais, une vidĂ©o vue 1,7 million de fois sur les rĂ©seaux sociaux les sĂ©parent. La groupie opportuniste, avec sa vidĂ©o filmĂ©e avec son tĂ©lĂ©phone portable, totalise alors plus de spectateurs que le rĂ©alisateur Hassan Kasmai, rĂ©duit Ă  tourner des pubs pour insecticides pour avoir osĂ© s’exprimer en tant qu’artiste. Entre-autre avec son film culte : Rendez-vous Ă  l’abattoir. 

« Avant », la jeune et belle Annie Nosrati, pendant fĂ©minin du Mossad, Ă©piait la vie en mouvement d’Hassan Kasmai. Lorsque Hassan (le trĂšs bon acteur Hasan Ma’juni), divinitĂ© intellectuelle censurĂ©e par les autoritĂ©s, Ă©tait admirĂ©e pour sa rĂ©bellion comme pour son originalitĂ©. Lors de cette scĂšne nocturne dans la voiture d’Annie Nosrati, au mĂ©pris de certaines biensĂ©ances (En outre, en Iran, un homme et une femme peuvent difficilement avoir une telle intimitĂ© en dehors du mariage) c’est Hassan qui la poursuit. Et elle qui le « tient ».

Hassan Kasmai, homme “jaloux”, barbu bedonnant et court sur pattes, la cinquantaine, les cheveux hirsutes, est un suspect parfait dans ce film oĂč un tueur en sĂ©rie dĂ©capite l’un aprĂšs l’autre les rĂ©alisateurs iraniens ( et iraniennes) les plus en vue. Les rĂ©alisatrices et les rĂ©alisateurs, ces « divinitĂ©s » qui propagent des images et des carriĂšres comme d’autres font les billets de banque ou des records du monde. Dans son film Pig, le rĂ©alisateur Mani Haghighi nous apprend qu’en Iran, tout artiste au moins est suspect. Et pour mieux nous faire ressentir la confusion qui s’inscrit dans la sociĂ©tĂ© iranienne entre le vrai et le faux, il parchemine son film de faux meurtres- dont le sien !- de rĂ©alisateurs iraniens qui existent vĂ©ritablement :

Le rĂ©alisateur Ebrahim Hatamikia ; la rĂ©alisatrice Rakhsan Banietemad ; le rĂ©alisateur Hamid Nematollah. Par ailleurs, Hamayoun, le seul ami d’Hassan Kasmai est Ă©galement le nom d’un rĂ©alisateur iranien actuel.

A L’instar du personnage de Rorschach dans les Watchmen, Hassan Kasmai arbore un tissu qui reflĂšte ses Ă©motions. Mais au contraire de Rorschach dont le masque reflĂšte le vrai visage, Hassan, lui, porte ses Ă©motions sur ses tee-shirt : AC/DC, Black Sabbath, Kiss


Hassan Kasmai est un adolescent attardĂ© qui fait chambre Ă  part. C’est aussi un personnage trĂšs fĂ©minin – dans ce film trĂšs fĂ©ministe- qui voue un amour platonique irrĂ©mĂ©diable Ă  son actrice fĂ©tiche qui porte un prĂ©nom de divinitĂ© :

Shiva Mohajer (l’actrice Leila Hatami, toute en douceur et nuances, et Ă©galement fille d’un rĂ©alisateur iranien). Sauf que tout le monde se surveille et que le voyeurisme est une orthodoxie plus puissante que l’empathie dans Pig.

Les premiÚres images du film nous exposent ce paradoxe entre tradition et modernité :

Un quatuor d’adolescentes voilĂ©es et « kawaĂŻ » tient confĂ©rence en marchant dans  TĂ©hĂ©ran Ă  propos des derniers potins concernant des cĂ©lĂ©britĂ©s iraniennes (l’actrice Manaz Afshar et l’acteur Mostafa Zamani). Les selfies et les rĂ©seaux sociaux n’ont plus de secrets pour elles. Mais cette « Ă©volution » des mƓurs apparaĂźt plus comme une sorte de figuration voire de silhouette dans une sociĂ©tĂ© dont les visages et les acteurs principaux restent un certain intĂ©grisme, au mieux un certain conservatisme, ainsi qu’une affection passionnelle pour la mort. La mort a plus de valeur que la vie et se montre le plus honorable chemin vers la notoriĂ©tĂ© et la respectabilitĂ©.

MĂȘme s’il peut y avoir des ratĂ©s devant certaines morts qui suscitent trĂšs peu d’émotion, le titre Highway to Hell d’AC/DC semble ĂȘtre appliquĂ© Ă  la lettre :

Lors de ce trajet qu’Hassan accepte de faire en voiture avec le commissaire de police en revenant d’un enterrement.

Les scĂšnes et les dialogues de Pig sont plusieurs fois pilotĂ©s par l’absurde, les doubles sens, les fausses pistes et les mĂ©taphores. Lors de cette sĂ©quence de voiture intĂ©rieure, le commissaire de police va jusqu’à se demander -et demander Ă  Hassan- si le fait d’avoir dĂ©sormais une nouvelle autoroute plus rapide pour se rendre au cimetiĂšre peut ĂȘtre le motif des meurtres en sĂ©rie. Comme s’il fallait rentabiliser l’autoroute menant au cimetiĂšre. Le film ne nous indique pas s’il faut s’acquitter d’un droit de pĂ©age pour emprunter l’autoroute jusqu’au cimetiĂšre. La police est bien-sĂ»r prĂ©sentĂ©e comme aussi puissante que bornĂ©e et incompĂ©tente. Mais le commissaire aux airs de Droopy , Ă©galement bienveillant et patient, a aussi mis au point un dĂ©tecteur de melon aussi performant que bien des dĂ©tecteurs de mensonges. Ce qui est d’autant plus une belle trouvaille qu’Hassan est aussi un rĂ©alisateur qui a attrapĂ© la grosse tĂȘte.

Dans ce film plus profond qu’il n’y paraĂźt (au dĂ©but, en bon occidental ignorant de l’Iran, on peut trouver Pig grotesque et avoir l’impression de perdre son temps) on croise aussi la figure historique de Sattar Khan. Et c’est la mĂšre de Hassan, qui parle Turc ?, et supposĂ©e avoir perdu la tĂȘte qui dĂ©tiendrait une part de son hĂ©ritage.

La solitude s’accroĂźt dans cette sociĂ©tĂ© pleine de certitudes et de beautĂ©s :

Shiva, l’actrice fĂ©tiche d’Hassan, est ainsi connue de beaucoup et « espionnĂ©e » par ses voisins mais devient invisible- et sans attrait- lorsqu’elle ne tourne pas. Et elle se retrouve aussi particuliĂšrement seule en cas de danger. Sa cĂ©lĂ©britĂ© et sa carriĂšre d’actrice se sont sans doute Ă©difiĂ©es Ă  l’entrĂ©e du cul-de-sac de sa vie privĂ©e.

Le Farsi est trĂšs agrĂ©able Ă  entendre. Pourtant, les femmes et les hommes- mĂȘme lorsqu’ils vivent ensemble- semblent avoir des vies totalement sĂ©parĂ©es les uns des autres. Il en dĂ©coule une suspicion pouvant prendre la forme – sur les rĂ©seaux sociaux- d’un harcĂšlement montĂ© sur le modĂšle d’imprĂ©cations religieuses vibrantes jusqu’Ă  l’ivresse.

Quant aux hommes entre eux, hormis Homayoun, le seul ami d’Hassan, ils brillent par une certaine solidaritĂ© pour s’adonner Ă  quelques ragots contre un des leurs ou pour, tel le rĂ©alisateur Sohrab SaĂŻdi, se combiner Ă  l’emphase. Son cinĂ©ma et son style sont si ampoulĂ©s et si kitsch qu’il Ă©limine d’emblĂ©e les problĂšmes d’éclairage. C’est nĂ©anmoins lui qui dĂ©clare :

« Tuer l’Art, c’est tuer l’Amour ».

La sortie du film en dvd est pour ces jours-ci.

Franck Unimon, ce jeudi 2 mai 2019.