Pig Un film de Mani Haghighi
« La réalité ne compte pas, c’est ce qu’on en dit qui compte » assène la jeune Annie Nosrati au réalisateur Hassan Kasmai.
Lors de cette scène Ă huis clos, les rapports se sont inversĂ©s entre la jeune groupie inconnue et Hassan Kasmai, le rĂ©alisateur provocateur et harcelĂ©. DĂ©sormais, une vidĂ©o vue 1,7 million de fois sur les rĂ©seaux sociaux les sĂ©parent. La groupie opportuniste, avec sa vidĂ©o filmĂ©e avec son tĂ©lĂ©phone portable, totalise alors plus de spectateurs que le rĂ©alisateur Hassan Kasmai, rĂ©duit Ă tourner des pubs pour insecticides pour avoir osĂ© s’exprimer en tant qu’artiste. Entre-autre avec son film culte : Rendez-vous Ă l’abattoir.Â
« Avant », la jeune et belle Annie Nosrati, pendant féminin du Mossad, épiait la vie en mouvement d’Hassan Kasmai. Lorsque Hassan (le très bon acteur Hasan Ma’juni), divinité intellectuelle censurée par les autorités, était admirée pour sa rébellion comme pour son originalité. Lors de cette scène nocturne dans la voiture d’Annie Nosrati, au mépris de certaines bienséances (En outre, en Iran, un homme et une femme peuvent difficilement avoir une telle intimité en dehors du mariage) c’est Hassan qui la poursuit. Et elle qui le « tient ».
Hassan Kasmai, homme “jaloux”, barbu bedonnant et court sur pattes, la cinquantaine, les cheveux hirsutes, est un suspect parfait dans ce film oĂą un tueur en sĂ©rie dĂ©capite l’un après l’autre les rĂ©alisateurs iraniens ( et iraniennes) les plus en vue. Les rĂ©alisatrices et les rĂ©alisateurs, ces « divinitĂ©s » qui propagent des images et des carrières comme d’autres font les billets de banque ou des records du monde. Dans son film Pig, le rĂ©alisateur Mani Haghighi nous apprend qu’en Iran, tout artiste au moins est suspect. Et pour mieux nous faire ressentir la confusion qui s’inscrit dans la sociĂ©tĂ© iranienne entre le vrai et le faux, il parchemine son film de faux meurtres- dont le sien !- de rĂ©alisateurs iraniens qui existent vĂ©ritablement :
Le réalisateur Ebrahim Hatamikia ; la réalisatrice Rakhsan Banietemad ; le réalisateur Hamid Nematollah. Par ailleurs, Hamayoun, le seul ami d’Hassan Kasmai est également le nom d’un réalisateur iranien actuel.
A L’instar du personnage de Rorschach dans les Watchmen, Hassan Kasmai arbore un tissu qui reflète ses émotions. Mais au contraire de Rorschach dont le masque reflète le vrai visage, Hassan, lui, porte ses émotions sur ses tee-shirt : AC/DC, Black Sabbath, Kiss…
Hassan Kasmai est un adolescent attardĂ© qui fait chambre Ă part. C’est aussi un personnage très fĂ©minin – dans ce film très fĂ©ministe- qui voue un amour platonique irrĂ©mĂ©diable Ă son actrice fĂ©tiche qui porte un prĂ©nom de divinitĂ© :
Shiva Mohajer (l’actrice Leila Hatami, toute en douceur et nuances, et également fille d’un réalisateur iranien). Sauf que tout le monde se surveille et que le voyeurisme est une orthodoxie plus puissante que l’empathie dans Pig.
Les premières images du film nous exposent ce paradoxe entre tradition et modernité :
Un quatuor d’adolescentes voilĂ©es et « kawaĂŻ » tient confĂ©rence en marchant dans  TĂ©hĂ©ran Ă propos des derniers potins concernant des cĂ©lĂ©britĂ©s iraniennes (l’actrice Manaz Afshar et l’acteur Mostafa Zamani). Les selfies et les rĂ©seaux sociaux n’ont plus de secrets pour elles. Mais cette « Ă©volution » des mĹ“urs apparaĂ®t plus comme une sorte de figuration voire de silhouette dans une sociĂ©tĂ© dont les visages et les acteurs principaux restent un certain intĂ©grisme, au mieux un certain conservatisme, ainsi qu’une affection passionnelle pour la mort. La mort a plus de valeur que la vie et se montre le plus honorable chemin vers la notoriĂ©tĂ© et la respectabilitĂ©.
Même s’il peut y avoir des ratés devant certaines morts qui suscitent très peu d’émotion, le titre Highway to Hell d’AC/DC semble être appliqué à la lettre :
Lors de ce trajet qu’Hassan accepte de faire en voiture avec le commissaire de police en revenant d’un enterrement.
Les scènes et les dialogues de Pig sont plusieurs fois pilotés par l’absurde, les doubles sens, les fausses pistes et les métaphores. Lors de cette séquence de voiture intérieure, le commissaire de police va jusqu’à se demander -et demander à Hassan- si le fait d’avoir désormais une nouvelle autoroute plus rapide pour se rendre au cimetière peut être le motif des meurtres en série. Comme s’il fallait rentabiliser l’autoroute menant au cimetière. Le film ne nous indique pas s’il faut s’acquitter d’un droit de péage pour emprunter l’autoroute jusqu’au cimetière. La police est bien-sûr présentée comme aussi puissante que bornée et incompétente. Mais le commissaire aux airs de Droopy , également bienveillant et patient, a aussi mis au point un détecteur de melon aussi performant que bien des détecteurs de mensonges. Ce qui est d’autant plus une belle trouvaille qu’Hassan est aussi un réalisateur qui a attrapé la grosse tête.
Dans ce film plus profond qu’il n’y paraît (au début, en bon occidental ignorant de l’Iran, on peut trouver Pig grotesque et avoir l’impression de perdre son temps) on croise aussi la figure historique de Sattar Khan. Et c’est la mère de Hassan, qui parle Turc ?, et supposée avoir perdu la tête qui détiendrait une part de son héritage.
La solitude s’accroît dans cette société pleine de certitudes et de beautés :
Shiva, l’actrice fĂ©tiche d’Hassan, est ainsi connue de beaucoup et « espionnĂ©e » par ses voisins mais devient invisible- et sans attrait- lorsqu’elle ne tourne pas. Et elle se retrouve aussi particulièrement seule en cas de danger. Sa cĂ©lĂ©britĂ© et sa carrière d’actrice se sont sans doute Ă©difiĂ©es Ă l’entrĂ©e du cul-de-sac de sa vie privĂ©e.
Le Farsi est très agrĂ©able Ă entendre. Pourtant, les femmes et les hommes- mĂŞme lorsqu’ils vivent ensemble- semblent avoir des vies totalement sĂ©parĂ©es les uns des autres. Il en dĂ©coule une suspicion pouvant prendre la forme – sur les rĂ©seaux sociaux- d’un harcèlement montĂ© sur le modèle d’imprĂ©cations religieuses vibrantes jusqu’Ă l’ivresse.
Quant aux hommes entre eux, hormis Homayoun, le seul ami d’Hassan, ils brillent par une certaine solidarité pour s’adonner à quelques ragots contre un des leurs ou pour, tel le réalisateur Sohrab Saïdi, se combiner à l’emphase. Son cinéma et son style sont si ampoulés et si kitsch qu’il élimine d’emblée les problèmes d’éclairage. C’est néanmoins lui qui déclare :
« Tuer l’Art, c’est tuer l’Amour ».
La sortie du film en dvd est pour ces jours-ci.
Franck Unimon, ce jeudi 2 mai 2019.