Je suis devenu un toqué de Lana Del Rey quelques jours avant les 24 heures du Samouraï
Bonjour ou bonsoir, ma situation est presque dĂ©sespĂ©rĂ©e. Et, jâenvisage, bientĂŽt, peut-ĂȘtre, de devoir composer le 15 afin de demander des secours au Samu. Sauvez-moi.
Voici mon problĂšme. Jâaime, entre-autres, Ă©couter de la musique. Je pratique trĂšs irrĂ©guliĂšrement les Arts martiaux. C’est peut-ĂȘtre d’ailleurs pour cela que je me suis mis dans cette situation apparemment inextricable.
Je suis un ĂȘtre de bientĂŽt 56 ans, du genre masculin, hĂ©tĂ©ro-normĂ©, conformĂ©, chloroformĂ©, noir, dâorigine antillaise, sobre de lâusage comme de la frĂ©quentation de toutes substances stupĂ©fiantes et illĂ©gales, Ă©duquĂ© dans le zouk, le Kompa, le Reggae et la Soul par mes parents.
Cependant, depuis quelques semaines maintenant, jâĂ©coute et fais Ă©couter Ă mon domicile une artiste blanche, amĂ©ricaine, de plus de vingt ans ma cadette que je nâai jamais rencontrĂ©e, qui nâest ni de mon Ăąge ni de mes coutumes et dont les admirateurs se cachent.
Ce n’est pas la premiĂšre fois que je parle d’elle ( Quand j’Ă©coute de la musique : Lana Del Rey). Et, je suis en train d’Ă©couter un de ses albums ( Chemtrails Over The Country Club ) alors que je publie cet article.
Cette artiste a un public. Puisque les places pour son premier concert Ă lâOlympia se seraient vendues en une minute et trente secondes et que toutes les places pour son unique concert en France, cet Ă©tĂ©, au mois dâAout, en Ăźle de France, se sont rapidement vendues et que certaines rĂ©apparaĂźtront vraisemblablement sur le marchĂ© noir avec le bon tempo. Il mâarrive, de temps Ă autre, de maniĂšre impulsive et puĂ©rile de « chercher » une place pour ce concert prĂ©vu cet Ă©tĂ©.
Je nâai pas de problĂšme dâappĂ©tit ou de sommeil. Je continue dâeffectuer mon travail dans des conditions satisfaisantes. Personne, pour l’instant, dans mon entourage proche et limitrophe n’a remarquĂ© de changement notable ou prĂ©occupant dans mon comportement.
Jâai toujours prĂ©vu de participer Ă la troisiĂšme Ă©dition des 24 heures du SamouraĂŻ dans quelques jours, le 17 et le 18 Mai au dojo dâHerblay, comme de me rendre durant trois semaines au Japon cet Ă©tĂ© au Masters Tour organisĂ© et proposĂ© par LĂ©o Tamaki Ă©galement Ă lâĆuvre- avec dâautres- dans la prĂ©paration des 24 heures du SamouraĂŻ ( Les 24 heures du SamouraĂŻ au dojo d’Herblay ce 20 et ce 21 Mai 2023, 2Ăšme Ă©dition).
Sauf que, chaque fois que je parle de cette artiste, autour de moi, et, peu importe lâĂąge de la personne Ă qui je mâadresse, les rĂ©ponses que jâobtiens sont dĂ©courageantes malgrĂ© les millions dâalbum vendus. Peut-ĂȘtre quâil se trouvera, aux 24 heures du SamouraĂŻ les 17 et 18 Mai, mais aussi lors du Masters Tour cet Ă©tĂ©, parmi les participantes et les participants, ainsi que parmi les intervenants, des admiratrices et admirateurs de Lana Del Rey.
Je ferai mon enquĂȘte.
Mais, pour lâinstant, lorsque, subitement, plein dâespoir, je demande Ă mon interlocuteur ou Ă mon interlocutrice :
« Tu connais Lana Del Rey ? » ou sa variante « Tu aimes la musique de Lana Del Rey ? », jâhĂ©rite Ă chaque fois de la mĂȘme rĂ©ponse polie mais aussi imperturbable quâune esquive ou un ippon :
« Je dois connaßtre ses deux ou trois tubes⊠».
Ses deux ou trois tubes ? Ce ne sont pas eux qui mâimportent. Depuis que je me suis mis Ă Ă©couter Lana Del Rey par hasard, je nâai pas encore rĂ©Ă©coutĂ© ses deux ou trois tubes (Video Games et Born to die).
Pour lâinstant, seul le bibliothĂ©caire de mon travail oĂč jâai empruntĂ© par curiositĂ©, parce-quâil Ă©tait devant moi, le dernier album de Lana Del Rey , a comprimĂ© un air de contentement lorsque je lui ai parlĂ© de mon plaisir Ă lâĂ©couter. Le contentement de celles et ceux qui, rigoureusement et constamment, font de leur mieux pour combattre la routine et lâenfermement sans ĂȘtre pour autant les personnes les plus Ă lâaise pour converser et pour expliciter une Ćuvre ou un kata.
Le bibliothĂ©caire ne sera pas prĂ©sent aux 24 heures du SamouraĂŻ 2024 oĂč je serais bien Ă©tonnĂ©. En tout cas, il ne m’en a pas parlĂ©. Et, moi, non plus.
Alors, je suis, lĂ , comme un mendiant esseulĂ© en train de quĂȘter un quignon de discussion Ă propos de Lana Del Rey. Je nâai pas encore optĂ© pour me rapprocher de groupes dâadmirateurs de Lana Del Rey. Je reste trĂšs conservateur en termes de relations sociales ainsi que trĂšs mĂ©fiant envers les excĂšs rĂ©alisĂ©s grĂące aux rĂ©seaux sociaux.
Il mâarrive nĂ©anmoins, sur le net, dâessayer de dĂ©nicher des informations supplĂ©mentaires sur ses textes. Bien-sĂ»r, jâai dĂ©jĂ lu et relu la page wikipĂ©dia qui est consacrĂ©e Ă sa biographie. Je ne lâai pas encore imprimĂ©e. Je nâen suis pas Ă acheter des posters, des mugs ou des tee-shirts Ă son image ou des Ă©ditions spĂ©ciales de ses albums (jâai vu que cela Ă©tait possible) car cela ne fait pas partie de mon carburant. Par contre, quand je le peux, au travail ou dans le train, je sors mon baladeur, et, je me mets un petit coup de Lana Del Rey dans les oreilles et dans la tĂȘte.
Mais peut-ĂȘtre suis-je en train dâendurer un juste chĂątiment que jâai mĂ©ritĂ© car, en me mettant Ă Ă©couter Lana Del Rey, je suis tombĂ© bien bas alors que jâavais « tout » pour rĂ©ussirâŠ
CâĂ©tait mieux avant ?
Hier soir, en effet, un Ă©vĂ©nement vraiment trĂšs grave sâest produit.
Plein d’enthousiasme, jâavais commencĂ© Ă Ă©couter lâun des derniers albums de Marcus Miller, Laid Black (2018). Un album parmi la quarantaine ou cinquantaine (centaine ?) de Cds que jâai amassĂ©s grĂące Ă des emprunts- pour certains prolongĂ©s- dans plusieurs mĂ©diathĂšques ces trois derniĂšres semaines ou ces deux derniers mois.
Marcus Miller que jâai vu deux fois en concert. Marcus Miller qui a jouĂ© en concert avec Miles Davis Ă partir de 1981 et qui a composĂ© la plupart de ses derniers titres.
Marcus Miller ! Lâun des derniers protĂ©gĂ©s de Miles !
Cela se passe bien avec le premier morceau, Trip Trap.
Puis, Que Sera Sera deuxiĂšme titre de lâalbum Laid Black de Marcus Miller, sur lequel chante Selah Sue ( Selah Sue !), a commencĂ© depuis Ă peine deux minutes que jâen ai assez.
Marcus Miller est devenu depuis des annĂ©es (peut-ĂȘtre depuis la mort de Miles en 1991) une MajestĂ© musicale illustre et incontournable.
Mais, hier soir, jâai plaquĂ© Marcus Miller, pour, Ă la place, remettre dans mon lecteur Cd un ” vulgaire” album de Lana Del Rey :
Norman Fucking Rockwell ! ou NFR !
Si jâavais une platine disque, jâaurais effectuĂ© exactement les mĂȘmes gestes avec les disques vinyles. Je le sais.
Pourtant, tout, sur la pochette de lâalbum de Marcus Miller est prĂ©sent pour me retenir. Le beau visage et le regard direct, conquĂ©rant, assurĂ© ou sĂ©ducteur du « Grand » Marcus Miller avec son beau chapeau et que lâon devine torse nu/Le terme « Black » et le jeu de mot Laid Back-Laid Black et le tampon Blue Note, rĂ©fĂ©rence musicale absolue du Jazz.
En face, la couverture de lâalbum de Lana Del Rey, Ă©nigmatique, spontanĂ©ment, me parle et mâattire moins. Cette main tendue de Lana Del Rey vers nous avec ses ongles vernis en jaune. Ce drapeau amĂ©ricain derriĂšre elle. Ce voilier sur la mer et ce jeune homme qui nâest pas Norman Rockwell mais que lâon est poussĂ© Ă prendre comme tel. Ce ciel au dessus dâeux qui sâavĂšre avoir Ă©tĂ© peint, dĂ©tail dont je me suis aperçu seulement lorsque jâai voulu faire une photo de cette pochette pour cet article.
Si jâavais dĂ» choisir entre les deux albums en me fiant Ă leurs couvertures, jâaurais optĂ© pour Laid Black de Marcus Miller. Mais mĂȘme si le visuel dâun artiste est capital, on Ă©coute encore la musique ou, du moins, peut-ĂȘtre que pour moi, ce que jâentends peut encore lâemporter sur ce que je vois dâun artiste musical dans certaines conditions.
Je vais Ă©galement ajouter que jâai dĂ©jĂ Ă©tĂ© « déçu » plusieurs fois par Marcus Miller depuis la mort de Miles Davis. Tant en concert que dans ses albums. Jâai lâimpression quâil jouait mieux lorsquâil composait pour Miles ou lorsquâil se mettait Ă son service. Je trouve que sa maitrise technique mĂ©galomaniaque prend trop de place et que, faute dâalter-ego sur scĂšne et en studio, que sa musique est devenue acadĂ©mique, ennuyante, mĂȘme si imposante, et quâelle fait surtout plaisir Ă celles et ceux qui pensent et intellectualisent la musique beaucoup plus quâils ne la ressentent.
Je crois que beaucoup de celles et ceux qui aiment aujourdâhui la musique de Marcus Miller sont aussi identiques Ă celles et ceux qui se rendent Ă un OpĂ©ra pour sây montrer et faire Ćuvre de mondanitĂ©s. Hyper-intellectualisme et mondanitĂ© sont ce que je reproche Ă Marcus Miller et ce dont, pour lâinstant, la musique de Lana Del Rey, me semble encore prĂ©servĂ©e.
Aujourdâhui, et depuis des annĂ©es, plus personne, parmi les musiciens expĂ©rimentĂ©s de poids, aujourdâhui, nâest prĂ©sent pour exiger de Marcus Miller quâil fasse montre de crĂ©ativitĂ©. Alors que Lana Del Rey, elle, est encore inspirĂ©e. Il est vrai aussi qu’elle est bien plus jeune et que Marcus Miller a mangĂ© tellement de musique et composĂ© pour tellement d’artistes. Je manque peut-ĂȘtre tout simplement de gratitude pour Marcus. Mais je doute que lui soit en attente d’une quelconque gratitude de quiconque. Ou cela signifierait qu’il a pris sa retraite or il ne l’a pas prise. Ou peut-ĂȘtre que je ne comprends plus ou ne suis plus de ses “combats”. L’un de nous deux a vieilli plus que l’autre. Au point qu’aujourd’hui, j’en suis Ă Ă©couter Lana Del Rey.
Jâavais dĂ©jĂ Ă©coutĂ© l’album Norman Fucking Rockwell ! deux ou trois fois. Et, de façon impĂ©rieuse, hier soir, jâai voulu connaĂźtre la raison pour laquelle on parlait de cet album comme dâun des chefs-dâĆuvre de Lana Del Rey. Alors que je lui prĂ©fĂšre pour lâinstant trĂšs largement son dernier album Did you know that thereâs a tunnel under Ocean Blvd ou son album Lust for Life. Deux albums que jâai Ă©coutĂ©s pour la premiĂšre fois il y a Ă peu prĂšs un mois maintenant.
Hier soir, jâai Ă©teint la lumiĂšre, et, dans lâobscuritĂ©, assis dans mon fauteuil avec la musique qui sortait des enceintes derriĂšre moi, jâai rĂ©Ă©coutĂ© plusieurs des titres de Norman Fucking Rockwell. LâAnglais chantĂ©, je le comprends assez peu alors je nâai pas tout avalĂ©. MĂȘme si Lana Del Rey a un Ă©lan vocal, qui, sans ĂȘtre monacal, est beaucoup plus facile Ă suivre que celui dâun chanteur de Heavy Metal ou dâune rappeuse type Nicki Minaj. Les termes « Bitch » et « Fuck », lorsquâils sont arrivent, sont trĂšs faciles Ă comprendre. Ce nâest pas dâeux dont je parle.
Alors que les plages de Norman Fucking Rockwell sâĂ©tendaient, jâai repensĂ© au dernier album de lâartiste Adele que jâavais empruntĂ© en mĂȘme temps que le dernier de Lana Del Rey ainsi quâĂ lâalbum Sorore du trio français Vitaa/Amel Bent/CamĂ©lia Jordana. Comparer des artistes et Ă©tablir entre eux des hiĂ©rarchies est trompeur tant leurs univers et leurs intentions peuvent ĂȘtre diffĂ©rentes mais aussi parce-que des artistes qui nous semblent dissemblables peuvent trĂšs bien sâentendre :
Bob Marley Ă©coutait James Brown. Miles Davis Ă©coutait Bob Marley, Chopin autant que le zouk de Kassavâ. Et Jacques Brel et Johnny Halliday Ă©taient potes.
Par ailleurs, jâai appris que bien des chanteuses et des chanteurs de « variĂ©tĂ©s » dont on peut trouver les titres ou les Ćuvres ringards sont souvent beaucoup plus au fait de la musique quâon ne peut le croire et ont des textes bien plus recherchĂ©s que lâidĂ©e que lâon sâen fait a priori. Il se trouve « simplement », que, eux, câest dans le domaine de la variĂ©tĂ© quâils ont pu percer comme dâautres, au cinĂ©ma, parviennent Ă faire une carriĂšre en restant dans le registre ( comique, Ă©rotique, spectaculaire ou patibulaire) pour lequel on leur propose invariablement des rĂŽles.
Mais en rĂ©entendant le titre Venice Bitch, jâai eu une idĂ©e de ce qui mâentraĂźne chez Lana Del Rey.
La musicalité, le format.
Lana Del Rey nâa pas peur de la musique. Elle ne fait pas que chanter et jouer avec sa voix en se cramponnant à « son » territoire. Sur un de ses titres, elle est capable de citer John Denver et sur un autre les Kings of Leon mais aussiâŠSun Ra. Sur un autre, elle fait un duo avec lâartiste The Weeknd. Jâai aussi « vu » (sur internet) quâelle a chantĂ© en duo avec Billie Eilish mais aussi avec Chris Isaak.
Sur son album Norman Fucking Rockwell (oui, jâai fait des recherches pour connaĂźtre le sens du nom de cet album) le titre Venice Bitch, lui, dure plus de 9 minutes.
Lorsque lâon dĂ©cide, en tant que chanteuse considĂ©rĂ©e plus ou moins comme « pop » de faire un morceau dâune telle longueur, cela signifie que lâon ne va pas chercher Ă le calibrer pour en faire un tube destinĂ© aux fuseaux horaires de la radio et des boites de nuit (ou dance floor).
Sur ce titre, Lana Del Rey fait beaucoup mieux que de se contenter de lĂ©cher le mot « Bitch » pendant neuf minutes. La musique est, lĂ aussi, une particule sonore entiĂšre et tentaculaire. Ce nâest pas un bruit de fond ou un prĂ©texte pour « sortir » Lana Del Rey de son silence et nous faire entendre la cour de sa jolie voix.
Je ne dirais pas que Venice Bitch va suffire Ă me faire revoir lâalbum Norman Fucking Rockwell Ă la hausse. Par contre, il me confirme que lâartiste Lana Del Rey (qui semble sortir un album tous les deux ans voire presque tous les ans) est tout sauf un artifice. Et, je comprends, lorsquâon a pris la peine de vraiment lâĂ©couter, que lâon ait plaisir Ă continuer de le faire.
Je crois que Miles serait tout Ă fait dâaccord avec ça. Et, peut-ĂȘtre Marcus Miller aussi. Lana Del Rey, elle, serait peut-ĂȘtre embarrassĂ©e. Ce qui me rendrait sa musique encore plus attachante.
Franck Unimon, ce jeudi 9 Mai 2024.