Sur le chemin de halage entre Argenteuil et Epinay sur Seine. Vers Argenteuil et la A15, ce mercredi 7 avril 2021, un peu avant midi.
Chemin de halage
Je suis parti interroger mon corps. J’avais besoin d’informations. Il a bien voulu se laisser faire. Même si, au préalable, il m’a fallu tout un tas de préparatifs. C’en était ridicule. C’était beaucoup plus simple lorsque j’étais plus jeune.
Mais, là , avais-je les bonnes chaussures ? Mes chaussettes étaient-elles assez minces pour ne pas trop martyriser mes petits pieds ? Car les baskets, pendant le footing, avec le poids du corps et l’afflux du sang, ça comprime.
La veste. Avais-je la bonne veste ? Non, pas ce k-Way- là dans lequel j’allais suer tel un champignon rissolé mais plutôt celle en goretex. Si je l’avais achetée, c’était bien pour qu’elle me serve. Ah, oui, mes clés. Juste celles dont j’avais besoin. Je n’aime pas quand ça fait bling-bling quand je cours. Peut-être parce-que je crains que l’on confonde le bruit des clochettes avec celui du mouvement de recul de mes testicules.
Et, la petite compote, facile à avaler, ça peut servir en cas d’hypoglycémie. Avale-donc un peu d’eau avant de partir. Tu as la bouche sèche. Et un petit bout de chocolat, aussi, car la matinée est avancée. Tu as pris ton petit-déjeuner il y a plus de quatre heures. Et, on dirait que tu commences à avoir faim…
J’ai rajouté un masque anti-covid que j’ai mis dans une de mes poches. J’ai ouvert la porte de l’appartement et me suis engagé sur le palier….une pensée.
J’allais partir sans mes clés posées à l’entrée.
J’ai attrapĂ© mes clĂ©s, un peu contrariĂ©. Enfin, j’étais prĂŞt. Un vrai mariĂ©.
Dehors, la tempĂ©rature extĂ©rieure Ă©tait de 7 degrĂ©s. Mais, plus froid, ça n’aurait rien changĂ©. Je reste Ă©tonnĂ© de voir que certaines personnes attendent qu’il fasse chaud pour sortir le vĂ©lo ou faire un peu de sport. « Viens, on va se mettre au sport, il fait beau, aujourd’hui ». Mais lorsque les tempĂ©ratures augmentent, notre corps se dĂ©shydrate plus vite. C’est rapidement la transe ou le sauna. Il faut ĂŞtre entraĂ®nĂ©, condamnĂ© ou se prĂ©parer Ă aller courir dans le dĂ©sert pour sortir faire du sport en pleine chaleur. Ou, bien-sĂ»r, ne rien changer Ă sa vie sportive habituelle lorsque l’on a en une. Cela est assez oubliĂ©, mais l’un des propos du sport est aussi de nous prĂ©parer Ă nous adapter Ă notre environnement immĂ©diat (rivière, escalade, barrière de corail ou autre obstacle naturel ou mental se trouvant sur notre passage…). Cela dĂ©passe le simple fait de perdre des calories et du gras afin d’ĂŞtre suffisamment “slim” pour la sĂ©ance plage ou photo. La pratique sportive, seule, ne suffit pas Ă faire de nous des aventuriers ou des guerriers redoutables. Mais elle peut nous aider Ă nous Ă©lever au delĂ de certaines de nos faiblesses.
Ces faiblesses peuvent aussi bien ĂŞtre d’avoir le souffle court ou d’avoir le rĂ©flexe de facilement croire ou penser que tout ce qui vient de nous est forcĂ©ment nul. Pratiquer rĂ©gulièrement et Ă son rythme. En restant proche de la limite du plaisir. Cette règle est valable pour beaucoup de disciplines.
A « l’ancienne » :
Je fais toujours mes footing à « l’ancienne » : comme je l’ai appris Ă l’adolescence.
Pas d’écouteurs dans les oreilles. Pas de podomètre. Pas de cardio fréquencemètres, de montre connectée. Je préfère.
Si je laisse mon téléphone portable allumé, c’est davantage pour connaître la distance parcourue, peut-être en cas d’appel ou de message important. Ou pour faire des photos. Surtout, aujourd’hui. Il fait beau. Et, ce matin, vers 7h, j’ai repensé au viaduc où la jeune Alisha est morte le 8 mars dernier.
Si je ne disais que ça, je paraitrais être sous l’emprise d’un atavisme morbide .
Inconsolable
Lorsque ce matin, j’ai eu l’idée d’y retourner, j’ai d’abord pensé appeler cet article Inconsolable . Dans la musique que j’écoute désormais, Jimi Hendrix avait remplacé Agnès Obel depuis longtemps. Agnès Obel dont un critique avait écrit, il y a quelques années, qu’au début d’un de ses concerts, concert auquel il avait assisté, il avait d’abord eu l’impression qu’elle sortait d’un réfrigérateur. Tant sa musique était froide. Si j’avais aimé et envié cet humour, le critique avait néanmoins remarqué qu’à mesure de l’écoute, la musique d’Obel avait fini par l’atteindre.
En Ă©coutant Jimi Hendrix, ce laveur de solo, ce technicien de toute notre surface cĂ©rĂ©brale mais aussi crĂ©pusculaire, j’avais fini par comprendre la raison pour laquelle, mĂŞme si j’ai dansĂ© sur ses titres, j’ai toujours conservĂ© une rĂ©serve envers Prince , ce gĂ©nie musical. Je me rappelle d’un article oĂą l’on parlait de la guitare de Prince, comme de son « arme de destruction massive ». Mettez vos oreilles au contact du coffret Songs for Groovy Children , lors des concerts donnĂ©s par Jimi Hendrix fin 1969, dĂ©but 1970 et vous changerez d’avis. Prince devait avoir 12 ou 13 ans en 1969. Il a sĂ»rement entendu parler de ce concert, et encore plus d’Hendrix.
Quand je pense qu’il a fallu payer « seulement » 6 dollars ( les dollars de l’époque) pour voir Hendrix en concert en 1969.
Un de mes collègues m’a dit rĂ©cemment : « Lorsque des gens disent que Prince Ă©tait un très grand guitariste, ils mentent. MĂŞme si c’était un gĂ©nie ». On peut trouver ce jugement ingrat. A moins d’avoir Ă©coutĂ© Hendrix et de se rappeler, Ă nouveau, qu’Eric « God » Clapton , lui-mĂŞme, avait pris peur en dĂ©couvrant Hendrix sur scène en Angleterre, dans son royaume uni. J’ai lu que Clapton peut raconter qu’il avait en quelque sorte trouvĂ© son rythme de croisière avec son groupe (loin d’être des musiciens amateurs) et qu’il se croyait Ă©tabli. Lorsque Hendrix, arrivant des Etats-Unis, a dĂ©barquĂ© sur scène. Hendrix qui avait, Ă ses dĂ©buts, tournĂ© un peu avec Ike Turner , avant que celui-ci, selon certains dires, en aurait eu assez. Car Hendrix prenait trop de solos. En Ă©coutant le coffret de Songs For Groovy Children , la durĂ©e des titres ( plusieurs dĂ©passent la dizaine de minutes) et la “longueur” des solos de Jimi Hendrix, on peut s’amuser Ă imaginer la tĂŞte d’Ike Turner s’il avait Ă©tĂ© sur scène dans ces moments-lĂ .
Hendrix n’Ă©tait pas un artiste de foire. Et il Ă©tait encore moins prĂŞt Ă rester enfermĂ© dans une cage tel un hamster auquel on viendrait parler de temps en temps. Sa musique, dans ce coffret, m’a tellement consolĂ© qu’en l’écoutant, j’avais envie de pleurer. Le bibliothĂ©caire Ă qui j’en ai parlĂ© a paru surpris. Alors qu’il avait Ă©tĂ© le premier Ă avoir un air un peu navrĂ©, lorsqu’il y a quelques mois, je m’Ă©tais dĂ©cidĂ© Ă emprunter une anthologie de Johnny Halliday . Oui, Johnny Halliday. Dans un magazine de musique rĂ©putĂ©, j’avais lu une bonne critique sur un de ses albums qui datait des annĂ©es 60 ou 70. Je “savais” peut-ĂŞtre dĂ©ja que Johnny avait sollicitĂ© Hendrix afin que celui-ci fasse sa première partie. Par contre, je savais beaucoup moins que Johnny et Jacques Brel Ă©taient très proches. Dans la musique, comme en art et dans la vie d’une façon gĂ©nĂ©rale, les gens les plus ouverts et les plus rock’n’roll, peuvent ressembler assez peu Ă celles et ceux Ă qui l’on s’attendait en prime abord.
Bien que nos yeux soient souvent des guichets ouverts, nous regardons souvent celles et ceux qui nous entourent tels des aveugles…
Tout amateur de musique attend ces moments où l’artiste va lâcher un solo. Et où ce solo le saisira le plus longtemps possible. Dans le coffret Songs for Groovy Children , Hendrix en lâche, des solos. Ce faisant, il les tient en laisse bien au delà de la durée réglementaire. Et, sa voix ! Ce Blues. Solo/voix, solo/voix. Cela pourrait être deux personnes. C’en est une. Et, avec Hendrix, ses deux autres musiciens, basse, chant, batterie qui suivent et sont loin d’être des scissions secondaires.
Cependant, avant Jimi Hendrix, j’avais réécoutĂ© le Zouk de Jean-Michel Rotin . Un autre style. Un artiste plus “rĂ©cent”, encore vivant, que j’ai sans doute très mal prĂ©sentĂ©.
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Depuis, Jimi a été remplacé ( le coffret Songs for Groovy Children , fastueux) par le concert d’Aretha Franklin Live at filmore West . J’ai emprunté ce cd, avec d’autres, avant que le nouveau confinement dû à la pandémie ne « close » à nouveau les médiathèques et autres lieux estimés « non essentiels ».
Non-essentiels :
Les deux artistes, Jimi Hendrix et Aretha Franklin ont réalisé ces performances sur scène vraisemblablement dans le même festival, mais à un ou deux ans d’intervalle.
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On imagine un certain nombre de duos entre deux artistes que l’on aime bien. Même si, souvent pour des histoires d’ego et de sous, la plupart de ces duos ou de ces collaborations, sont morts nés. Un artiste en plein épanouissement poursuit souvent une trajectoire vers ce qu’il pense être son chemin. Et, personne ne peut ou ne doit le faire en dévier, sauf s’il le décide. Aretha Franklin, par exemple, à ce que j’ai lu, toute croyante et fervente chanteuse de Gospel qu’elle était, n’aspirait à rien d’autre qu’être la meilleure et a considéré d’autres chanteuses comme ses rivales, forcément moins légitimes qu’elle (Natalie Cole , Diana Ross ….)
Ce matin, j’ai pensé à un duo Jimi Hendrix/ Aretha Franklin. Il n’y avait peut-être pas de rivalité entre les deux. Je ne sais pas s’ils se sont parlés ou rencontrés.
Après Aretha Franklin, j’ai écouté le dernier album d’Aya Nakamura . Aujourd’hui, Aya Nakamura est une vedette internationale. On a pu voir des images du footballeur brésilien, Neymar, superstar du Foot, et de l’équipe du PSG, danser sur son titre Djadja . Youtube n’existait pas à l’époque d’Aretha Franklin et de Jimi Hendrix.
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J’aime la musique d’Aya Nakamura. Et ce n’est pas la première fois que je la cite. Mais en dĂ©couvrant son album (achetĂ© hier Ă la Fnac St Lazare demeurĂ©e ouverte, en pleine pandĂ©mie du Covid, alors que la mĂ©diathèque de ma ville, pour les mĂŞmes raisons, a Ă©tĂ© obligĂ©e de fermer son accès au public depuis samedi dernier), j’ai bien Ă©tĂ© obligĂ© de constater que, comme me l’avait fait remarquer un des employĂ©s de la mĂŞme Fnac il y a environ deux ans, les paroles des chansons d’Aya Nakamura sont loin d’être…. des.prophĂ©ties. Les gros mots ne me dĂ©rangent pas. C’est surtout le projet des textes :
« Je t’ai aimĂ©. Tu m’as dĂ©sirĂ©. Tu m’as menti. Tu m’as trahi. Tu m’as pris pour une conne. Tu parles sur moi. Tiens, prends, ça dans ta figure. Et encore, ça. Je suis libre, j’ai de la fibre, je t’emmerde. Et je peux vivre sans toi. En plus, j’ai beaucoup de succès. Et, toi, tu n’as rien. Qui te connaĂ®t ?! Tchip !».
ça fait trois albums que ça dure, et ça peut encore continuer comme ça longtemps puisque ses chansons ont du succès. Je ne discute pas les atouts de sa musique. En Ă©coutant ses paroles, je comprends qu’une certaine jeunesse, en grande partie fĂ©minine dans un monde encore rĂ©glĂ© par et pour les hommes, puisse s’identifier Ă ses Ă©mois ainsi qu’Ă ses “exploits” ( sexuels, affectifs, Ă©conomiques ou autres).
Et puis, la musique d’Aya Nakamura donne particulièrement envie de danser, toutes gĂ©nĂ©rations confondues. Ce qui est important pour toute personne qui aime danser ou qui est plutĂ´t Ă l’aise pour le faire. Ce que peut avoir beaucoup de mal Ă comprendre toutes celles et ceux, pour qui, le simple fait de taper nerveusement du pied suffit pour danser. Mais aussi celles et ceux qui voudraient dĂ©cortiquer du Shakespeare ou, pourquoi pas, du CĂ©saire, en toute circonstance.
La musique d’Aya Nakamura emballe tout le corps . Ses titres, limitĂ©s Ă 3 ou 4 minutes, semblent Ă©tudiĂ©s pour ça. Ses phrases sont très simples Ă retenir. Et, j’imagine très facilement un public conquis rĂ©pĂ©ter ses paroles en choeur en plein concert avec une très grande spontanĂ©itĂ© libĂ©ratrice. Et, aussi, frondeuse.
Je constate bien, depuis que j’ai commencĂ© Ă Ă©couter son album hier que deux ou trois titres me pendent Ă l’oreille, tels Doudou ou Mon chĂ©ri , au moins. Si bien que je dois faire un effort pour remettre l’album d’Aretha Franklin afin de bien choisir le titre que je compte vous prĂ©senter. Alors que, spontanĂ©ment, j’ai surtout envie de remettre le Cd d’Aya Nakamura. Alors que je « sais » comme l’album live d’Aretha Franklin est plus que bon. Et qu’Aya Nakamura n’approchera sans doute jamais de sa voix les contrĂ©es et les inspirations qu’Aretha est allĂ©e chercher et a fait descendre sur terre pour qu’on puisse les entendre. Mais aussi, que mĂŞme en matière de “vice”, Soeur Aretha Ă©tait encore bien plus indocile que petite soeur Aya. Amen.
Travailler, travailler, travailler :
Je ne doute pas non plus qu’Aya Nakamura soit une travailleuse dans sa veine artistique et musicale. Ainsi que celles et ceux qui l’entourent et la conseillent plutôt bien.
Dans le dernier numĂ©ro du magazine Self &Dragon , il est demandĂ© au comĂ©dien Bruno Putzulu , un comĂ©dien dont j’aime beaucoup le travail et que j’avais aimĂ© voir au cinĂ©ma dans le film L’Appât , film qui m’avait marquĂ© Ă sa sortie au dĂ©but des annĂ©es 90, de feu Bertrand Tavernier- rĂ©alisateur dĂ©cĂ©dĂ© rĂ©cemment – les conseils qu’il pourrait donner Ă quelqu’un voulant se lancer dans le mĂ©tier de comĂ©dien.
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Pour pouvoir espĂ©rer rĂ©ussir dans le mĂ©tier de comĂ©dien, Putzulu commence par rĂ©pondre qu’il conseillerait Ă un (e) apprenti( e ) comĂ©dien (ne) de :
« Travailler, travailler, travailler ».
Putzulu connaît évidemment son sujet. Mais je vais pourtant le contredire. D’abord, en tant que comédien, même s’il vit de son métier, il fait partie de ces très bons comédiens, qui sont à mon avis sous-employés. Des comédiens auxquels on ne propose pas des « grands rôles » leur permettant d’étaler véritablement ce qu’ils savent faire. Parce-que l’on ne pense pas à eux. Parce-que l’on ne les choisit pas. Et, cela n’a rien à voir avec leur capacité de travail.
Et que l’on ne me parle pas de la « grâce ». Parce-que, personne ne trouve Samuel Jackson ou Joey Starr ou Jean-Pascal Zadi ( Tout simplement Noir) , ni mĂŞme Omar Sy ( Yao , Police-un film d’Anne Fontaine ) gracieux. Pourtant, personne, aujourd’hui, ne contestera leur « particularitĂ© », leur « originalitĂ© », leur « style », leur « personnalitĂ© » ou leur « talent ». Parce-que, entre leurs dĂ©buts, et maintenant, ils ont chacun, de diffĂ©rentes façons, rencontrĂ© le succès. Et se sont rendus “dĂ©sirables”.
Et, le succès, tout comme le dĂ©sir, lorsque tu Ă©volues dans un domaine artistique et public, ça se respecte voire ça se gère ou ça se craint . Car cela reprĂ©sente un jackpot Ă©conomique potentiel si tu fais partie du “deal” ou de l’entourage immĂ©diat du poulain ou de la pouliche qui est très en vue ou qui peut remporter d’autres grands prix.
Que tu t’appelles Aya Nakamura, Aretha Franklin ou Jean-Pascal Zadi. Peu importe le message que tu passes ou que tu essaies de faire passer. Peu importe que, dans le cas d’une Aretha Franklin, Martin Luther King soit venu dormir chez ton père, lors de certains meeting, ou que tu aies fait des concerts, gratuitement, en soutien pour le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis dans les années 60. Ou que, comme Aya Nakamura, tu parles de ruptures sentimentales, et de mecs qui n’assurent pas.
Le succès, ça se respecte, et, il n’y a pas de règle Ă©tablie pour y parvenir . On peut se dĂ©foncer toute sa vie pour rĂ©ussir. Y compris avec son derrière. Et Ă©chouer. C’est ça, le secret que tout le monde connaĂ®t. Et pour enterrer un peu plus l’idĂ©e selon laquelle, la grâce permettrait de diffĂ©rencier une personne qui en a d’une autre qui en serait dĂ©pourvue, on va se rappeler que, pour certaines et certains, la grâce est tout de mĂŞme bien mise sur orbite, ou “aidĂ©e”, par l’entourage stratĂ©gique que l’on connaĂ®t, et le moment, aussi, oĂą l’on apparaĂ®t en public. Ensuite, c’est Ă nous de jouer. Soit on fait tout de travers. Soit on “fait le travail” pour lequel on a Ă©tĂ© prĂ©parĂ©.
Cependant, pour rĂ©ussir, il faut bien, Ă un moment ou Ă un autre, rencontrer, dĂ©cider ou dĂ©rider quelqu’un qui jettera sur notre trajet un peu de cette de poudre magique qui nous permettra de rĂ©ussir . Et, rĂ©ussir, qu’on le veuille ou non, cela signifiera toujours rĂ©ussir Ă©conomiquement.
Ce que n’ont toujours pas compris quantitĂ©s d’idĂ©alistes et d’abrutis- dont je fais partie- qui se condamnent d’eux-mĂŞmes. C’est parce-que je me suis condamnĂ© Ă faire partie des invisibles et des ratĂ©s du box-office Ă©conomique que je fais partie des abrutis.
Si des professions comme les professions soignantes sont maltraitĂ©es de manière rĂ©pĂ©tĂ©e, c’est aussi, parce-que, Ă moins d’ĂŞtre une personnalitĂ© très mĂ©diatisĂ©e ( ça existe parmi quelques soignants gĂ©nĂ©ralement mĂ©decins ou psychologues), la majoritĂ© des soignants sont des anonymes, donc, Ă©loignĂ©s du “succès” public mais, surtout, Ă©conomique . Lorsque l’on contribue Ă sauver une vie, par exemple, cela ne fait pas des millions d’entrĂ©es au box-office. Cela ne fait pas vendre de la pub, du pop corn ou du coca-cola. Il n’existe pas de festival de Cannes du soin qui serait convoitĂ© et visitĂ© par des millions de spectateurs, avec limousine, grandes cĂ©lĂ©britĂ©s et retransmission mĂ©diatisĂ©e dans le monde entier de l’Ă©vĂ©nement. Alors, au mieux, on “admire” les soignants ou on les applaudit. Et, tout ordinairement, on peut les nĂ©gliger. On peut aussi les plaindre car cela ne coĂ»te pas grand chose non plus. Pourtant, les soignants, comme bien d’autres gens, des artistes inconnus, ou d’autres personnes exerçant dans d’autres professions, sont des travailleurs. Mais pas de petite poudre magique pour eux afin d’amĂ©liorer leur statut ou leurs conditions de travail. Pour eux, et pour tant d’autres- les invisibles et les ratĂ©s du box-office de la rĂ©ussite Ă©conomique- la vie sera dure. Les conditions de travail. Le salaire. L’Ă©pargne ou la retraite. La santĂ©. Tout sera susceptible d’ĂŞtre dur ou de le devenir pour eux, s’ils n’apprennent pas Ă encaisser et Ă esquiver.
A un moment donné, soit, on sait encaisser. Soit, on se fait lessiver.
Enfin, si les polars connaissent autant de succès, c’est aussi parce qu’ils racontent souvent l’histoire de grâces et d’innocences qui ont été saccagées. Et nous connaissons, intimement, ce genre de vérités. Donc, travailler, travailler, travailler, ne suffit pas.
C’est étonnant comme le simple fait de reprendre les footing peut vous dévergonder. J’étais plus éteint que ça en partant courir ce matin.
La “petite” Aya Nakamura, elle, avait compris tout ça bien plus tĂ´t que moi, et sans avoir besoin de faire des footing. C’est pour ça qu’elle a rĂ©ussi et, qu’aujourd’hui, elle peut nous faire danser.
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La librairie Presse Papier :
Il y a quelques jours, un collègue habitant aussi dans ma ville, a un moment fait allusion Ă la mort d’Alisha ( Marche jusqu’au viaduc) . Mais c’était pour lui un Ă©vĂ©nement comme un autre. Il a vite occupĂ© ses pensĂ©es Ă tenir sa tasse de cafĂ© ou Ă d’autres sujets. ( Quelques jours plus tard, sans que cela ait Ă©videmment de rapport avec le dĂ©cès de la jeune Alisha, j’apprenais que ce collègue avait attrapĂ© le Covid)
Ce matin, en allant acheter le journal dans la librairie du centre-ville, j’ai pris le temps de discuter avec le gérant et un habitué. Les deux hommes se connaissent bien visiblement. Le premier habite Argenteuil depuis quarante ans. Le second, enseignant à la retraite, est né à Argenteuil. Militant, je l’ai déjà vu distribuer des tracts à la sortie de l’école. Il m’a appris ce matin être à l’origine de la création du salon du livre d’Argenteuil . Mais aussi de l’association Lire sous les couvertures .
Mais il m’a appris davantage : la voie expresse qui, aujourd’hui, coupe les Argenteuillais des berges de la Seine n’existait pas avant….1970. Grosso modo, lorsque Jimi Hendrix a fait son concert fin 1969 et début 1970 ( le concert d’Aretha Franklin date de 1971), il existait une promenade le long de la Seine. On organisait même des cross sur cette promenade qui aurait existé de 1820 à 1970.
Sur le chemin de halage, vers Argenteuil, ce mercredi 7 avril 2021. Sur la fin de mon footing, de retour d’Epinay Sur Seine. C’est sous ce viaduc que le 8 mars, Alisha….
Tout à son récit, D m’a parlé du chemin de halage du côté du viaduc. Marcheur, D s’est enthousiasmé pour le travail « extraordinaire » qui avait été réalisé sur ce chemin de halage pour le rendre agréable. Il m’a confirmé brièvement. Oui, c’était bien là , sous le viaduc qu’il y avait eu le fait divers….puis, il a poursuivi son argumentaire concernant la façon dont l’aménagement de la ville était mal géré. D m’a appris qu’il avait un blog, très bien fait, alimenté régulièrement, dans lequel il parlait d’Argenteuil. Il m’a invité à le lire. Je lui ai aussi parlé du mien mais cela n’a pas paru lui parler plus que ça. Je ne sais pas si D préfère écouter Aya Nakamura ou lire son blog. Je ne sais pas non plus si elle en a un. Par contre, en quittant la librairie, je savais que j’allais retourner au viaduc. J’ai un moment pensé à faire le parcours à vélo afin de bien profiter de la Seine sans trop me fatiguer. Puis, je me suis rapidement dit que ce serait une bonne occasion de reprendre le footing. Afin de voir où j’en étais.
Le chemin de halage :
Je m’étais mis en tête de courir trente minutes pour une reprise. Sans aucune idée du temps qu’il me faudrait pour arriver au viaduc.
Les dix premières minutes ont été un peu inconfortables. Car mon corps n’était plus habitué au footing. Mais, très vite, j’ai perçu que mon cœur, lui, était au rendez-vous. Peut-être les effets de mes trajets à vélo depuis bientôt deux mois depuis la gare St-Lazare pour aller à la travail. A chaque fois, à l’aller comme au retour, trente minutes de vélo.
Il m’a fallu douze minutes, à allure douce, pour arriver au viaduc. J’avais le soleil de face. J’ai continué sur le chemin de halage jusqu’à arriver à Epinay sur Seine, ville de tournage de cinéma. Mais ville, aussi, où se trouve une clinique psychiatrique où il a pu m’arriver de faire des vacations. Je pouvais alors m’y rendre en environ vingt minutes en voiture. Là , j’avais mis à peu près trente trois minutes en footing. A vélo, j’en aurais sûrement pour 20 minutes, peut-être quinze, par le chemin de halage. Le centre Aqua92 de Villeneuve-la-Garenne, où les trois fosses et le bassin de 2,20 de profondeur, permettent de pratiquer apnée et plongée n’était pas si loin que ça. Même s’il devait rester quinze à vingt minutes de footing pour y arriver.
Je me suis arrêté pour marcher. Prendre le temps de souffler. Quelques photos. Après dix minutes, je suis reparti en sens inverse. A l’aller comme au retour, les gens que j’ai croisés, promeneurs, coureurs, étaient enclins à dire bonjour. L’absorption des relations sociales par le confinement et la pandémie favorisaient peut-être ces échanges simples.
Je prenais des photos de ce “bateau-Ă©cole” lorsque G…, me voyant faire, a ouvert la porte pour me renseigner. Elle m’a donnĂ© quelques explications, m’a remis une brochure avec les tarifs. Puis, je suis reparti.
Je commençais à en avoir plein les cuisses. L’acide lactique. Ça m’a étonné parce-que je ne courais pas particulièrement vite. Cela devait venir du manque d’entraînement, sans doute.
A l’approche du viaduc, j’ai ralenti. Encore quelques photos. J’étais près du mur des fleurs à la mémoire d’Alisha, lorsque la sirène du premier mercredi du mois a retenti. Je ne pouvais pas filmer meilleure minute de silence qu’avec cette sirène.
Devant tout ce bleu, tout ce soleil, je me suis dit que la mort d’Alisha, d’une certaine manière était un sacrifice. Et, qu’est-ce qu’un sacrifice, si ce n’est une mort- ou un soleil- qui permet à d’autres de vivre ou qui leur indique le chemin qu’ils doivent suivre pour continuer de vivre ?
Photo ce mercredi 7 avril 2021, depuis l’endroit oĂą le 8 mars, Alisha a Ă©tĂ© poussĂ©e dans la Seine après avoir Ă©tĂ© tabassĂ©e.
Après la minute de silence, j’ai fait le tour du viaduc dans le sens inverse de la dernière fois sans m’attarder. En faisant ça instinctivement, j’ai eu la soudaine impression de défaire le cercle de la mort.
MĂŞme endroit que la photo prĂ©cĂ©dente, ce mercredi 7 avril 2021. En regardant dans la direction d’Epinay-sur-Seine.
Evidemment, je n’irai pas expliquer ça aux parents d’Alisha, ni à ses proches ou à celles et ceux qui l’ont connue de près. Et, je ne crois pas que j’aimerais que quelqu’un vienne me tenir ce genre de propos si je perdais une personne chère.
Ce mercredi 7 avril 2021, en rentrant sur Argenteuil vers la fin de mon footing.
Pourtant, sans cette mort le 8 mars, je ne serais pas venu jusqu’à ce viaduc. Je n’aurais peut-être jamais pris ce chemin de halage alors que cela fait déjà 14 ans que je vis à Argenteuil.
Ce chemin de halage, je l’avais supposé depuis Epinay Sur Seine où je m’étais rendu en voiture ou à vélo. Mais sans savoir qu’il pouvait aller jusqu’à Argenteuil.
Et, j’avais déjà entendu un Argenteuillais, adepte du footing, en parler, il y a trois ou quatre années, mais cela était resté très abstrait pour moi. Je n’imaginais pas un tel chemin, aussi étendu, aussi large, aussi agréable. Et, à travers tout le bleu de ce mercredi 7 avril, je comprends qu’Alisha, le 8 mars, ait pu très facilement accepter de suivre celle qui a servi d’appât, comme le titre du film de Bertrand Tavernier qui avait été inspiré d’un fait divers.
Lorsque je suis venu ici pour la première fois ( Marche jusqu’au viaduc ), il faisait plus sombre. Et je m’Ă©tais dit qu’Alisha avait vraiment dĂ» se sentir en confiance pour venir dans un endroit pareil. Mais le 8 mars, il faisait peut-ĂŞtre beau.
Lorsque l’on compare les photos que j’ai faites de cet endroit la première fois que j’y suis venu, le 16 mars, avec celles de ce mercredi 7 avril, on remarque que la lumière et l’atmosphère sont très opposĂ©es. Ce mercredi 7 avril, la lumière est très belle. J’ai postĂ© une des photos de ce jour, prise depuis le chemin de halage ( celle qui ouvre cet article) sur ma page Facebook, et elle a plu Ă plusieurs personnes. Elle me plait aussi. Tout ce bleu. Ce soleil.
Comme ces photos prises deux jours diffĂ©rents, malgrĂ© tout le bĂ©ton dont l’ĂŞtre humain s’entoure, notre nature se lĂ©zarde et mue. Ces mues ne sautent pas aux yeux Ă première vue. Elles sont d’abord invisibles, souterraines, imperceptibles, lĂ©gitimes ou illĂ©gitimes. Mais elles surviendront, pour le pire ou le meilleur, si elles trouvent un moyen ou un chemin pour s’affirmer et s’affranchir de nos secrets. De nos codes. De nos limites.
Ces mues, nos changements, de comportement, tenteront de s’adapter et de s’habituer au grand jour et au monde. Ils seront parfois aussi violents qu’Ă©phĂ©mères. On peut d’abord penser Ă des crimes ou Ă des actes monstrueux. Mais on peut aussi penser Ă certaines carrières fulgurantes :
Jimi Hendrix est mort ultra-cĂ©lèbre Ă 27 ans alors qu’il ne pratiquait la guitare que depuis une douzaine d’annĂ©es…… on nous parle encore d’Amy Winehouse , de Janis Joplin , de tel acteur ou tel actrice “parti(e) trop vite…” . On peut aussi penser Ă des aventuriers de l’extrĂŞme morts trop jeunes tels que l’apnĂ©iste LoĂŻc Leferme . Ou mĂŞme Ă l’apnĂ©iste… Audrey Mestre .
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En m’éloignant du viaduc, un homme noir d’une soixante d’années semblant venir de nulle part, partait comme moi. Il marchait et avait du mal à remonter la pente. Il avait baissé son masque anti-covid sûrement pour mieux reprendre son souffle. Je l’ai dépassé en reprenant mon trot. Ce faisant, je l’ai salué. Il m’a répondu, un peu étonné. Puis, je l’ai distancé. Je serai peut-être ce vieil homme, un jour.
Lorsque j’ai retrouvé la route d’Epinay, en allant vers Argenteuil, un bus 361 m’a dépassé. Puis, j’en ai un croisé un autre un peu plus loin. A l’aller, aussi, j’avais croisé un 361. Cet itinéraire est vraiment bien desservi par le bus.
En rentrant chez moi, je suis repassé devant le hammam. Il avait l’air ouvert. Je me suis dit que j’y retournerais. Et que cela me permettrait, aussi, de profiter de leur très bon thé à la menthe.
Franck Unimon, ce mercredi 7 avril 2021.( complété et finalisé ce mardi 13 avril 2021).