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Quand j’Ă©coute de la musique : Lana Del Rey

Zentone, octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

Quand j’écoute de la musique

 

Quand j’écoute de la musique, je dois avoir Ă  peine 16 ou 17 ans tout au plus. MĂȘme si la musique (avec ou sans paroles) nous permet d’arriver Ă  divers Ăąges et Ă©poques de la vie.

Quelques fois, je repense Ă  ces moments avec des copains, voire des copines ou quel que soit notre « genre Â», nos origines culturelles, Ă©conomiques et raciales, l’Ɠuvre ou l’album de l’artiste Ă©tait un mĂ©dium qui nous permettait d’ĂȘtre ensemble, de discuter comme de nous provoquer. De nous rejeter aussi. Mais chacun existait de par son diaphragme et son domaine.

Feu Fred Rister, DJ reconnu, compositeur de plusieurs des tubes de David Guetta, coiffeur Ă  l’origine, « Ă©crit Â» dans son livre Faire danser les gens ( Paru en 2018), qu’il en Ă©tait arrivĂ© Ă  dĂ©tester tout ce qui empĂȘchait ou interdisait de danser.

Sans alerter jusqu’à la haine, je ne comprends pas que l’on puisse se passer de musique. De toutes sortes de musiques. Or, en « arrivant Ă  l’ñge adulte Â» comme l’on entrerait dans une religion ou dans une caserne stricte, en devenant des personnes « responsables Â», je constate que, peu Ă  peu, la musique a perdu de son pouvoir de rassemblement et de mouvement et que nous sommes devenus amnĂ©siques de cette expĂ©rience. Je me rappelle d’une jeune mĂšre un peu embarrassĂ©e de rĂ©pondre Ă  son fils de quatre ou cinq ans qui venait de l’interroger en public :

 Â« Non, on n’a pas dansĂ© Ă  notre mariage… ».

En « prenant » de l’ñge, la musique devient superflue car elle ne peut rĂ©soudre « nos problĂšmes ».

La musique qui se produit aujourd’hui – aprĂšs les annĂ©es de notre jeunesse – est obligatoirement de la « merde ». Ou la musique se fait territoire de retranchement ou bunker de nos souvenirs Ă  l’intĂ©rieur desquels on rĂ©siste Ă  notre dĂ©pression et nos dĂ©sillusions, seuls dans notre coin ou avec quelques « fidĂšles » qui ne nous ont pas ( encore ?) « trahis ».

Pire : La musique devient un bruit de fond comme n’importe quelle source d’images qui nous aspire et nous « aide » Ă  oublier et Ă  maquiller un peu nos fissures ainsi que toutes les menaces qui nous parviennent du monde et nous tĂ©lescopent lorsque nous  sommes chez nous.

Autrement, ĂȘtre devenus des hyperactifs ou des ĂȘtres qui accumulent jusqu’à l’excĂšs des objets qui nous survivront largement nous permet aussi de nous croire Ă  peu prĂšs Ă  l’abri et de moins ĂȘtre les cibles d’un quelconque tourment. Trois tonnes d’excrĂ©ments en haut de l’Everest, rĂ©sultat de l’alpinisme touristique depuis plusieurs annĂ©es.

Chez moi, j’ai plus de Cds, de livres et de dvds que je ne pourrai en profiter avant ma mort. Et, en ce qui concerne la musique, je continue d’aller en chercher. De façon physique et individualiste. Je me refuse Ă  me dĂ©matĂ©rialiser. Enfant, en CE2, un de mes maitres de l’école publique, nous avait fait dĂ©couvrir la mĂ©diathĂšque de notre ville. On peut emprunter beaucoup de Cds, de livres et de dvds dans les mĂ©diathĂšques. On n’est pas obligĂ© de toujours tout acheter. Et on peut mĂȘme prolonger les prĂȘts.

Je n’ai plus de contacts avec mes camarades de CE2 depuis longtemps. Je ne sais donc pas qui, dans notre classe, depuis, a continuĂ© de vivre, et comment, et de se rendre dans une mĂ©diathĂšque. Mais j’espĂšre que la musique que j’écoute inspire et inspirera ma fille.

Dans l’hĂŽpital oĂč je travaille depuis le dĂ©but de cette annĂ©e, il y a une trĂšs bonne mĂ©diathĂšque que j’ai repĂ©rĂ©e assez vite. Certains repĂšrent rapidement les points de deal de stupĂ©fiants, moi, je repĂšre les mĂ©diathĂšques.

Pochette de l’album ” Sorore” de Vitaa, Amel Bent et CamĂ©lia Jordana.

Cette semaine, j’ai rajoutĂ© huit emprunts Ă  ceux que je venais de faire prolonger Ă  la mĂ©diathĂšque de mon travail. Parmi ces emprunts, l’album Sorore ( sorti en 2021) de Vitaa, Amel Bent et CamĂ©lia Jordana ; 30 ( sorti en 2021) d’AdĂšle et Did You Know There’s a tunnel under Ocean Blvd ( sorti en 2023) de Lana Del Rey ( Parental Advisory Explicit Content).

Dans mes derniers articles, j’ai parlĂ© des concerts de PJ Harvey ( PJ Harvey Ă  l’Olympia, octobre 2023), Tricky Tricky Ă  l’Olympia ce 6 mars 2024)  et Ann ‘O’aro ( Ann O’aro au studio de l’ermitage ce 14 mars 2024). La semaine prochaine, j’ai prĂ©vu de me rendre au concert du groupe Lindigo au Cabaret Sauvage et, cet Ă©tĂ©, je me suis dĂ©cidĂ© Ă  retourner voir Massive Attack au festival Rock en Seine. Je parlerai bientĂŽt du concert du groupe Quartier Lointain que j’ai vu la semaine derniĂšre Ă  la cave DimiĂšre d’Argenteuil.

Je rĂ©pĂšte que je regrette d’avoir ratĂ© au dĂ©but de l’annĂ©e le concert de Rocio Marquez et de Bronquio.

Vitaa, Amel Bent, CamĂ©lia Jordana, Adele et Lana Del Rey ne figurent pas parmi les artistes que je citerais spontanĂ©ment si l’on me demandait ce que j’écoute comme musique ou comme artiste. Mais ces artistes ont des voix, des personnalitĂ©s, des histoires. J’ai dĂ©jĂ  entendu parler d’elles. J’ai vu quelques images de certaines d’entre elles ou ai pu Ă©couter quelques uns de leurs titres.

Hier, lors de mon premier jour de repos,  j’ai Ă©coutĂ© ces trois albums dans l’ordre comme je les ai citĂ©s. D’abord l’album Sorore de Vitaa, Amel Bent et CamĂ©lia Jordana ; puis 30 d’Adele et Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd de Lana Del Rey.

Trois Françaises, une Anglaise, une Américaine.

Avant de les Ă©couter, j’avais encore tendance Ă  confondre Adele et Lana Del Rey.

Et je confondais Amel Bent avec ChimĂšne Badi.

Amel Bent, Vitaa et CamĂ©lia Jordana sur leur album ” Sorore”.

Le premier titre de Sorore ( Marine) m’a surpris et touchĂ© pour son texte sincĂšre adressĂ© Ă  la femme politique Marine Le Pen. Mais surtout pour l’hommage Ă  l’artiste Diam’s, auteure du texte, numĂ©ro 1 en France dans les annĂ©es 2000, aujourd’hui retirĂ©e du monde du spectacle. Diam’s Ă©tait une artiste que je savais trĂšs populaire lorsqu’elle chantait mais qui, pour moi, faisait partie du dĂ©cor. Je n’ai jamais pris le temps d’Ă©couter vĂ©ritablement ce qu’elle disait dans ses chansons mĂȘme s’il m’est arrivĂ©, ici ou lĂ , de glaner quelques informations.

 Je savais qu’au moins Vitaa Ă©tait une amie proche de Diam’s mais aussi que cette chanson qui doit avoir une bonne dizaine d’annĂ©es ( ou davantage) avait toute sa justification en 2021 et encore plus en 2024 :

Lorsque l’on lit que la prestigieuse famille Klarsfeld (parents et fils), aurĂ©olĂ©e de sa vie consacrĂ©e Ă  chasser des anciens nazis, affirme que, aujourd’hui, en avril 2024, « Le Rassemblement National ( de Marine Le Pen) est devenu frĂ©quentable…. ».

Dans l’album Sorore, j’ai aussi aimĂ© l’alliage rĂ©ussi des trois voix. Je connais trop peu leur signature vocale pour toujours savoir qui chante et j’imagine que c’était le but, de toute façon. J’ai aussi aimĂ© que ces trois chanteuses, qui ont du coffre, s’abstiennent des tours de chauffe et de toute compĂ©tition dans les aigus. L’écoute m’a Ă©tĂ© agrĂ©able. J’ai Ă©coutĂ© l’album deux ou trois fois de suite sans me demander des comptes.

L’album ” 30″ d’Adele.

Puis, j’ai Ă©coutĂ© 30 d’Adele et cela m’a tout de suite plu. J’en ai profitĂ© pour commencer Ă  regarder sur le net un peu plus qui Ă©tait Adele. J’ai appris que ses parents s’étaient sĂ©parĂ©s lorsqu’elle avait trois ans. Que son pĂšre, d’origine galloise, Ă©tait retournĂ© au pays. Et que sa mĂšre, entre-autre masseuse indĂ©pendante, mais aussi fabricante de meubles, avait dĂ©mĂ©nagĂ© plusieurs fois. J’ai lu que, plus tard, dans une interview, alors qu’Adele Ă©tait devenue cĂ©lĂšbre, que son pĂšre avait confiĂ© ĂȘtre « un pĂšre pourri », qu’il Ă©tait mort d’un cancer ( ou d’alcoolisme) avant ses 60 ans mais aussi qu’Adele et lui s’étaient rĂ©conciliĂ©s auparavant.

Concernant Adele, je ne sais plus si je me trompe ou si c’est pareil pour la chanteuse Taylor Swift, mais elle avait une grand-mĂšre qui chantait trĂšs bien Ă  l’église. Adele est nĂ©anmoins plutĂŽt une autodidacte avec des capacitĂ©s vocales extraordinaires. Cependant, je reste fascinĂ© par ces personnes qui se dĂ©couvrent dans leur enfance des aptitudes vocales hors normes alors que chanter, parait-il, comme le fait de rire peut-ĂȘtre ou apprendre Ă  jouer de la musique, est supposĂ© ĂȘtre un acte assez instinctif et ordinaire chez l’ĂȘtre humain. Mais il se trouve qu’il est des ĂȘtres humains qui savent chanter, faire de la musique et rire ou ont des “facilitĂ©s” pour y parvenir. Et d’autres qui savent faire ni l’un, ni l’autre ou pour lesquels tout est plus “difficile”.

A lire ou Ă©couter les histoires de ces artistes qui se rĂ©vĂšlent, on dirait grossiĂšrement qu’il suffirait Ă  certaines et certains d’avoir seulement la volontĂ©, Ă  un moment de leur vie, gĂ©nĂ©ralement dans l’enfance, voire au dĂ©but des mutations de l’adolescence, de se lancer dans la chanson ou dans la musique pour apprendre qu’ils en sont capables. Alors que d’autres, tous les autres, pour des raisons multiples et contradictoires, plus douĂ©s ou non, bien que travailleurs, se rĂ©solvent ou se rĂ©sument Ă  se taire, Ă  ĂȘtre des tĂ©moins ou des assistants, Ă  disparaĂźtre ou Ă  se perdre.

Peut-ĂȘtre que le dĂ©sespoir ressenti dans les dĂ©buts de leur carriĂšre par ces artistes qui « rĂ©ussissent » et la nĂ©cessitĂ©, pour eux, de s’en  sortir seulement au travers de leur art explique en partie cette rĂ©ussite. On chante et on fait peut-ĂȘtre d’autant « mieux » de la musique que l’on a d’autant plus peur d’ĂȘtre enfermĂ© Ă  jamais dans une boite ou une prison avant d’avoir commencĂ© Ă  vĂ©ritablement exister. Lorsque nos rĂȘves et nos idĂ©aux parviennent Ă  se hisser au dessus de l’adversitĂ© et des frontiĂšres sans que l’on se fasse briser. 

Si la peur paralyse et rend docile beaucoup d’entre nous, il en est qu’elle transforme en crĂ©atures possĂ©dĂ©es ou en volontaires tranchĂ©s dĂ©cidĂ©s Ă  tenir jusqu’Ă  ce qu’ils aient atteint leur but. Et, c’est gĂ©nĂ©ralement cette expĂ©rience que la majoritĂ© des spectateurs ou des admirateurs part chercher ou retrouver chez les artistes. Car la docilitĂ© et le dĂ©couragement, nous en avons une expĂ©rience quotidienne et sommes, pour la plupart d’entre nous, plutĂŽt des experts dans ces domaines. C’est aussi pour cela qu’on nous recrute, qu’on nous administre, qu’on nous protĂšge, qu’on nous police et qu’on nous garde.

Mais ce que je raconte Ă  propos du « dĂ©sespoir » comme l’aiguillon possible d’une carriĂšre n’est pas une science exacte. Car beaucoup ont essayĂ© et essaient de toutes leurs forces sans parvenir jusqu’à se faire connaĂźtre de nous comme il se devrait ou se pourrait. Beaucoup essaient ou ont essayĂ© et, parmi elles et eux, il y a aussi toutes celles et tous ceux qui « finissent mal » ou dissĂ©quĂ©s. Or, assez peu de monde n’a vĂ©ritablement envie de « finir mal » ou de se retrouver dissĂ©quĂ© vivant.

C’est peut-ĂȘtre pour cela, qu’en lisant la page wikipĂ©dia consacrĂ©e Ă  Adele, j’ai assez mal supportĂ© que soit plusieurs fois soulignĂ© le fait que celle-ci avait fait gagner beaucoup d’argent Ă  l’industrie musicale. C’est mon cĂŽtĂ© idĂ©aliste et adolescent qui avait repris le dessus : Pour moi, la musique a plutĂŽt Ă  voir, d’abord, avec ce que l’on a besoin d’exprimer, Ă  crĂ©er, et comment on touche le public. J’ai du mal Ă  croire qu’Adele et beaucoup d’artistes musicaux, lorsqu’ils se lancent dans la musique, aient comme but prioritaire « d’injecter », comme je l’ai lu, des millions ou des milliards de bĂ©nĂ©fices sur les comptes en banque des diffĂ©rents « acteurs » ou agents de l’industrie du disque. Ce qui impliquait que le public qui avait achetĂ© les albums d’Adele mais aussi assistĂ© Ă  ses reprĂ©sentations publiques Ă©tait avant tout considĂ©rĂ© comme un troupeau de consommateurs. Le ruminant, en moi, n’a pas aimĂ© ĂȘtre ainsi quadrillĂ© et Ă©clairĂ©.

MĂȘme si le consommateur ruminant que je suis sait aussi que -dĂšs le dĂ©part- certains artistes peuvent avoir un plan de carriĂšre, je crois encore que c’est d’abord leur particularitĂ©, leur sincĂ©ritĂ© comme le fait que le public s’identifie Ă  ce qu’ils « montrent » ou ressentent qui fait le succĂšs des artistes mais aussi leur « rencontre » avec leur public.

Car, pour moi, un artiste public est un ĂȘtre qui aspire Ă  crĂ©er et Ă  rencontrer quelqu’un d’autre ou un public, tout en cherchant Ă  gagner sa vie de cette façon me semble-t’il. MĂȘme si les rencontres que cet artiste peut faire ensuite alterne avec les extrĂȘmes. De l’exceptionnel au plus que dĂ©sobligeant.

L’album ” 30″ d’Adele.

Sur l’album d’Adele, j’ai aimĂ© My Little Love, All Night Parking ( avec Errol Garner). J’avais aimĂ© d’autres titres. J’avais Ă©tĂ© trĂšs Ă©tonnĂ© d’aimer aussi facilement autant de titres.

Mais j’ai Ă©coutĂ© l’album de Lana Del Rey, Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd.

Je pourrais presque Ă©crire que j’ai fait l’erreur, ensuite, d’écouter le dernier album de Lana Del Rey. Car, Ă  partir de lĂ , j’ai eu autant de reconnaissance pour les deux prĂ©cĂ©dents albums qu’une momie peut en avoir pour l’existence.

 

L’album ” Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd” de Lana Del Rey.

Le processus d’emprise ou d’hypnose sur moi par Lana Del Rey a probablement dĂ» commencer dĂšs le premier titre de son album :

The Grants.

Un titre tout simple en apparence, mĂȘme pas criard. Plaisant Ă  Ă©couter. Je n’ai pas fait attention. J’ai continuĂ©.

Qu’est-ce que je « savais Â» sur Lana Del Rey avant d’écouter cet album, son dernier Ă  ce jour ?

J’avais dĂ©jĂ  Ă©coutĂ© deux ou trois de ses titres dont Blue Jeans qui doit ĂȘtre l’un des deux seuls titres ( si je ne me trompe pas) que j’ai d’elle sur un de mes baladeurs numĂ©riques. J’avais un peu entendu parler de polĂ©miques Ă  son sujet qui devaient tourner autour de sa rĂ©elle lĂ©gitimitĂ© en tant qu’artiste, je crois. Mais je n’en n’avais jamais fait une artiste Ă  Ă©couter en particulier. Lorsque la programmation du festival Rock en Seine cet Ă©tĂ© a Ă©tĂ© annoncĂ©e et que j’ai su que Lana Del Rey y serait le premier jour, Ă  aucun moment je n’ai envisagĂ© d’aller la voir sur scĂšne alors que j’aurais pu, alors, acheter une place pour ce jour-lĂ . Je ne partageais pas l’engouement qui accompagnait cette annonce :

Lana Del Rey au festival Rock En Seine !

Aujourd’hui, il est trop tard pour acheter une place pour aller voir Lana Del Rey cet Ă©tĂ©.  Il n’y a plus de places disponibles, officiellement, pour la seule date parisienne, au festival Rock en Seine, de Lana Del Rey, quatre mois avant le dĂ©but du « festival Â».

Rock en Seine Ă©tait peut-ĂȘtre un festival lorsqu’il a Ă©tĂ© crĂ©Ă© au dĂ©but des annĂ©es 2000. Mais, aujourd’hui, c’est une usine Ă  cash. Ses tarifs sont dotĂ©s du turbo. Et il existe aussi une certaine tendance Ă  la spĂ©culation. Il est probable que quelques jours avant le concert de Lana Del Rey, des places soient proposĂ©es Ă  la revente par des particuliers opportunistes deux ou trois fois la valeur initiale du prix du billet.

J’ai acceptĂ© de payer 81 euros pour aller revoir Massive Attack au festival Rock en Seine le samedi 24 aout. MĂȘme si d’autres groupes joueront aussi ce jour-lĂ . Mais si j’avais voulu « prendre » un forfait deux jours et  voir PJ Harvey le lendemain, par exemple, j’aurais dĂ» payer 135 euros. Ça paraĂźt une bonne rĂ©duction mais le tarif devient lourd d’autant que, sur place, il s’agira de consommer, d’acheter Ă  boire ou Ă  manger. Tout sera fait en consĂ©quence pour que cela arrive. Puisque, pour des « raisons de sĂ©curitĂ© », on nous interdira de nous rendre sur le site avec ceci ou cela. Lorsque l’on est jeune et ” sans charges”, on regarde peut-ĂȘtre moins Ă  la dĂ©pense. Surtout s’il est question de se rendre Ă  un festival ou Ă  un concert avec des copains et des copines et d’ĂȘtre ” avec tout le monde”. Mais lorsqu’on l’est un peu plus “vieux”, plus critique et aussi plus individualiste, on aime moins se dĂ©placer pour se faire feinter par ce genre d’entourloupe. 

NĂ©anmoins, aprĂšs ce que j’ai entendu hier, et malgrĂ© ce que je dis de l’industrie musicale, j’aurais acceptĂ© de payer 81 euros ou un peu moins de 100 euros pour aller voir Lana Del Rey (et d’autres artistes) Ă  un festival. D’autant que je sais que certaines personnes ont bien acceptĂ© de payer 3000 euros pour pouvoir assister Ă  la finale du cent mĂštres en athlĂ©tisme aux Jeux Olympiques Ă  Paris cet Ă©tĂ©. Et d’autres ont dĂ©boursĂ© 7000 euros pour pouvoir assister Ă  certaines Ă©preuves olympiques cet Ă©tĂ© en France.

L’album ” Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd” de Lana Del Rey.

De telles dĂ©penses ont de quoi couper la voix. Celle de Lana Del Rey est peut-ĂȘtre plus limitĂ©e que celle qu’Adele et du trio forgĂ© par Vitaa, Amel Bent et CamĂ©lia Jordana. Mais cela ne l’empĂȘche pas de titiller nos humeurs et nos Ă©motions. Des trois albums, son album est sans doute le plus variĂ© en termes d’atmosphĂšres et de musique.

Le titre A&W en est une trĂšs bonne dĂ©monstration. Entendre ce titre en concert doit ĂȘtre assez inoubliable. Lorsque je l’ai entendu la premiĂšre fois, je l’ai d’abord pris pour une gentille ballade Ă  la guitare/piano/voix oĂč Lana Del Rey s’emploie Ă  baisser le son de sa voix le plus possible, de celle qui a vĂ©cu. MalgrĂ© les effets qu’elle met dans sa voix, j’ai eu l’impression d’avoir dĂ©jĂ  entendu ça ailleurs. Je me suis Ă©loignĂ© de quelques mĂštres. Puis, il y a eu un changement ( le titre dure 7 minutes et 14 secondes) et je me suis dit qu’il fallait que je rĂ©Ă©coute tout le dĂ©but. Oui, c’Ă©tait bien le mĂȘme morceau que j’avais commencĂ© Ă  entendre. A&W “explique” que c’est une erreur de sous-estimer Lana Del Rey.

Lana Del Rey peut autant livrer des chansons de peines de cƓur ( ou « Torch songs ») comme le font Adele, Vitaa, Amel Bent et CamĂ©lia Jordana de maniĂšre « pop » ou “sage”, dirons-nous, que dĂ©river vers le Gospel, le Blues ou le Hip Hop. Elle a certes l’avantage de la langue.

Je me suis demandĂ© si j’étais victime de cette Ă©ducation qui, en occident, nous soumet au conditionnement de la langue Anglaise. Sauf qu’Adele chante en Anglais.

C’est peut-ĂȘtre mon conditionnement Ă  la culture amĂ©ricaine, alors ?

Je crois aussi que Vitaa, Amel Bent, CamĂ©lia Jordana et Adele font « trop propres Â» sur elles. Pourtant, Adele parle de son alcoolisme par exemple et sa carriĂšre initiĂ©e avant sa majoritĂ© fait d’elle un poids lourd en matiĂšre de vĂ©cu. Et, Vitaa, Amel Bent et CamĂ©lia Jordana, sĂ©parĂ©es ou en trio ne manquent pas de vĂ©cu non plus.

Mais il y a dans la musique de Lana Del Rey un refus de la sĂ©curitĂ© qui s’infiltre et qui s’attarde. Elle m’a rappelĂ© l’actrice Nicole Kidman dans le film Paper Boy rĂ©alisĂ© par Lee Daniels en 2012. J’ai parlĂ© « d’emprise et d’hypnose Â» pour Lana Del Rey. Mais on pourrait aussi bien parler d’elle comme d’une femme des marĂ©cages qui vous retient. On ne peut pas dire d’elle :

« L’essayer, c’est l’adopter Â». Car Lana Del Rey, c’est une toile d’araignĂ©e. Et une Alien. On avance a priori facilement dans son album comme dans son antre pour ne plus avoir trĂšs envie d’en sortir.  

Si l’on compare les trois couvertures d’album, il y a aussi, chez Lana Del Rey, une trĂšs nette maitrise de l’image. J’ai lu qu’elle avait pu rĂ©aliser certains de ses clips et que certains de ses amis avaient comparĂ© son univers Ă  celui du rĂ©alisateur David Lynch. Je comprends cette comparaison. A ceci prĂšs que Lana Del Rey ne viendrait pas des films de Lynch mais attesterait par elle-mĂȘme du fait que le rĂ©alisateur, pour ses films, s’était inspirĂ© de personnes qu’il avait vĂ©ritablement rencontrĂ©es mais jamais employĂ©es comme comĂ©diens.

Sur la couverture de son album, en noir et blanc, alors que celle des albums de Vitaa, Amel Bent, CamĂ©lia Jordana et Adele est en couleur, le regard de Lana Del Rey interroge autant qu’il suggĂšre qu’elle s’ennuie. Celui d’AdĂšle semble regarder un horizon encore lointain ou qui se dĂ©robe. Dans le regard de CamĂ©lia Jordana, Vitaa et Amel Bent, je trouve de la fiertĂ© ou de la dignitĂ©, de la solidaritĂ© et de l’optimisme. On peut tout supposer d’un regard. Mais l’album de Lana Del Rey a pour titre une question contrairement aux deux autres.

Lorsque j’ai un peu essayĂ© de savoir Ă  quoi OcĂ©an Blvd faisait rĂ©fĂ©rence, en m’attendant Ă  ce qu’il me confirme qu’il s’agissait d’Hollywood, j’ai trouvĂ© que c’était le titre du deuxiĂšme album d’Eric Clapton. Il y a trĂšs vraisemblablement des explications plus Ă©videntes Ă  ce titre. Mais le peu que j’ai compris du personnage de Lana Del Rey m’indique que l’allusion au deuxiĂšme album d’Eric Clapton est aussi possible.

On a de quoi se creuser la tĂȘte avec Lana Del Rey. Mais il y a aussi son langage.

Autant, elle peut ĂȘtre assez sobre, ou d’allure enfantine, autant elle nous susurre son sexe et nous le suture dans la tĂȘte avec douceur Ă  la façon de l’épouse attentive, presque plaintive et soumise, qui nous accueillerait en nous disant :

« Je t’ai laissĂ© tranquille toute la journĂ©e, j’ai tout fait Ă  la maison. Maintenant, fais-moi jouir et rĂȘver autant que je t’ai attendu et espĂ©rĂ©. Fais en sorte que plus rien d’autre ne compte vraiment Â». 

Son “Fuck me to death and love me until I love myself” rĂ©pĂ©tĂ© au moins trois fois dans son titre Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd en est un des exemples. Sauf que c’est plutĂŽt, elle, Lana Del Rey, qui nous baise jusqu’à la mort.

Quant Ă  savoir, si nous nous aimons vĂ©ritablement, personnellement, il ne nous reste, qu’à la rĂ©Ă©couter Ă  nouveau pour tenter de nous en assurer tant, avec elle, les illusions sont presque parfaites.

Franck Unimon, ce dimanche 7 avril 2024.

 

 

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Finley Quaye

UNSPECIFIED – JANUARY 01: Photo of Finley QUAYE (Photo by Marc Marnie/Redferns). Finley Quaye, probably in the beginning of the 2000’s.

 

                                             Finley Quaye

« You, alone ? » is what I heard in one of John Lee Hooker’s songs.

Maybe in that song where John Lee Hooker says « Oh, come back, baby, please don’t go one more time
 Â».

I surely wish he would come back.

He did not seemed to be impressed when he came a few years after Portishead, Massive Attack, Tricky (supposed to be his nephew but I never knew if they are really relatives) and Björk in the end of the nineties.

That is probably why he escaped memories. Finley Quaye.

Because Portishead, Massive Attack, Tricky, Björk and others by then were the musical ships which had already taken us to the 21 first century which had to be our next target.

For sure, this is not the only reason why Finley Quaye, today, does not appear in many play lists and I know it but I can barely face it.

Because it’s too hard.

Music is about memory. Our intimate memory. It’s like skin. But some skin we blend with what our lives are made of when when we listen to it. Every time I read the comments below some videos I watch on Youtube you will find someone writing « It reminds me of this, it reminds me of that ». It happened that night while catching Tricky’s Christiansands on video and on stage. While watching some videos of Finley Quaye.

That’s right.

Since we were born and even before, we listen to various amounts of music. Music, for us, in rich and « peaceful » countries, can also be like abundant water. It is  so easy to get some that many times we do not really care about what’s going on. Apart for what we already like and are focused on, the « rest » is just here and we do not have to particularly pay attention until many years later, suddenly, we remember the rest we had left.

And we say :

It was really the good times. I was doing this. Everything was easy then and all smiles were open.

Of course, this feeling is deceiving in some way. But Music does not interfer with our sense of happiness. It stimulates us. It rarely bury us even if  we are listening to some depressive music. By saying this I think of all the fans in the world who are so fond – almost to the grave- of artists like Leonard Cohen and Nick Cave.

I have tried to get involved with their music but all I can hear until now is a grave coming next to me. We cannot dance while hearing Leonard Cohen or Nick Cave. But we can probably pray for our souls while hearing their songs and I do not want to pray for my soul while listening to some music because I must probably have sinned some day.

I want to live even if what I am going through is painful. Even if I feel responsible for that.

We cannot plan to dance if  we want it while listening to Miles Davis’s albums too but I don’t mind. Perhaps because Miles did not sing and it was for the best. The voice can be everything.

But Finley Quaye was someone else.

Finley Quaye’s Music was utter stimulation. It was not a burial. 

Most Reggae artists can be divided in three or four sections.

Those who made History :

Burning Spear, Bob Marley, Albert Griffith and the Gladiators, Lee Scratch Perry, Steel Pulse, Aswad, U-Roy, Black Uhuru, LKJ, and many many more.

Those who respectfully follow the greatest and do nothing really new almost like musicians and singers playing in a zoo or for tourists.

Those who play dancehall.

Those who get Dub.

Finley Quaye Managed to do something else without denying the best the eldest had done before. His « obedience » to some standards of the Rastafarism even sounded odd when he spoke in a jamaican way .  What had this young man ( he was about 25 then when he became famous ) to do with Rastafarism by the end of the 1990’s in a world dealing with the dope of internet, cellular phones and a movie like Matrix by the then brothers Wachowski ? Despite the irresistible clocks of Rap Music. 

I ignored- or I easily forgot- at that time that Finley Quaye had spent most of his life in Scotland, a country I was very pleased with in the beginning of the 1990’s. But in my opinion it does not explain the sort of blast Finley Quaye remains in my mind when I listen to his music today almost 25 years later.

Reggae, Electro ( some say Trip Hop), Jazz, Soul. And what a voice !  In his voice, I find a crooner, a charmer and a
muezzin.

You want to listen to a musician and singer who does not pretend when he is in Music ? Finley Quaye is one of these artists you can rely on. Dig his albums Maverick A Strike and Vanguard.

I confess ( this is my Leonard Cohen and Nick Cave part) I p(r)ay little attention at what Finley Quaye says in his songs whose texts I guess can somewhat be heard like the result of a mix of esoteric, crazy stuff and automatic writing.

 

But, musically
.

 

Speaking of Finley Quaye, some People often recall the titles Even after all or Sun is Shining. It is only recently I have heard that Rita Marley gave Finley Quaye the permission to « replay Â» that song of Bob Marley whereas she had always refused any permission of that kind for years.

 

I am OK with Sun is shining and I like the symbol of Finley Quaye playing it after Bob Marley. And like many others I really enjoy Even after all so delicate and yet so warm and strong like blood taking care of  Life in our veins as if it will never stops. And that song never stops when you love it.

But what about Falling ? How can people forget about that song ? Again, Finley Quaye does not force you. He simply has all the keys (notes) to open your mind in 3 minutes and 19 seconds against 3 minutes and 56 seconds for Even after all.

There are others songs of Finley Quaye in Maverick A Strike ( 1997) and Vanguard (2001) that are worth listening : Ultra Stimulation, It’s great when we are together, When I burn off the distance, Feeling Blue and others
.

But I want to deal with another song of Finley Quaye that is not very famous :

White Paper.

Probably that song is not a masterpiece for its lyrics. But hear the Music ! At first, this song has some sort of psychedelic atmosphere and seems only to be fun. Nothing special. Then the break occurs at 2’43.  What a break. Only great musicians can do that. Finley Quaye did not need to sing to hide himself. His music can speak for itself.

I saw him once at a concert,  when he came to France, in Paris in the nineties at Le Zenith, I think, or at L’ElysĂ©e Montmartre ?

 

He seemed to be bored when he sung his most known songs. Perhaps because he had to and was fed up with this permanent do it again during his tour.

After a while, about an hour, (after his contract was honoured ?) we had a different Finley Quaye in front of us. Playing good music and definitely enjoying it.

That night, he was dressed with military clothes. I forgot when Finley decided to throw his vest at the crowd as a gift. But the circles made by his arm were too strong and too fast. The vest got so high it reached one of the spotlights. It never went down. Like Finley Quaye’s music.

 

When we listen to his Music now, we find pleasure and some regrets about our Youth. Finley Quaye found addiction to bad experiences and drugs.

Nostalgia, too, and its unsung dreams can be an addiction. From the start, Finley Quaye’s Music was safe due to its riddles of Nostalgia. But I wouldn’t notice. Because I was then getting old and I was not ready yet to admit for I was still hooked on my Youth.

 

Our Youth can vanish before we see it. Let’s enjoy it. Perhaps Finley Quaye ‘s Music is also a lot about that warning. I hope Finley Quaye – and his female and male twins- will recover enough from this to be at his best again.

 

Franck Unimon, the 2 of october, 2023. Today is my birthday and when I woke up this morning I had not scheduled to write my very first article in English for my blog balistiqueduquotidien.com. It came in English and I have tried my best. I hope this article will be enough enjoyable for a reading despite my english mistakes. See you !

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Un suicide

Camaret, juin 2022. Photo ©Franck.Unimon

 

Un suicide

Polyglotte et voisine, elle est allĂ©e parler au bitume cinq Ă©tages plus bas. Sa langue Ă©tait inconnue. La traduction ne s’est pas faite. 

 

La nouvelle m’est arrivĂ©e quelques heures plus tard aprĂšs une nuit de travail. La porte de mon appartement Ă  peine ouverte, ma fille m’a parlĂ© d’un « accident Â». Plus discrĂštement, ma compagne m’a parlĂ© de « suicide Â».

 

On repense Ă  la derniĂšre fois avant la bifurcation vers « l’accident Â». Bien-sĂ»r, rien ne pouvait laisser supposer que. Et mĂȘme si
.

 

Sortie de son, vol sans ailes, arrĂȘt brutal de la routine, le suicide orchestre nos souvenirs. Puis, inspirĂ©s ou non, c’est Ă  nous de jouer.

 

Ma fille continuait de jouer plus loin. AprĂšs avoir dit une ou deux fois « C’est triste Â», il m’a fallu plus de dix minutes dans les toilettes pour retrouver un peu de volontĂ©. Ma compagne semblait avoir eu le temps de digĂ©rer l’évĂ©nement. Sans doute en discutant avec deux autres voisines Ă©galement sollicitĂ©es par la police.

 

Ces derniers temps, je rĂ©Ă©coute beaucoup deux titres du groupe haĂŻtien Les Ambassadeurs :

 

Evénement et Mission Spéciale.

 

Dans ces deux titres, qui datent des annĂ©es 70-80, la musique Kompa du groupe  Les Ambassadeurs est un harnachement de vie avec lequel (comme d’autres groupes haĂŻtiens de cette « Ă©poque Â») il chante aussi son attachement Ă   son Ăźle natale, HaĂŻti, recouverte par la dictature militaire et politique, pays qu’il avait dĂ» quitter.

 

Cette musique me rappelle ces soirĂ©es antillaises oĂč, d’abord enfant, mes parents m’ont emmenĂ© : baptĂȘmes, mariages, communions


Souvent dans des grandes salles oĂč beaucoup de gens dansaient sur des titres de plus de cinq minutes.

Pour moi, ce monde Ă©tait une routine et aussi un spectacle. Une routine disparue en quittant l’enfance en France. C’était avant le Zouk de Kassav’ ( https://vimeo.com/586837210 ;  Jacob Desvarieux ) Ă  partir du milieu des annĂ©es 80.

 

Mais la vie ne se regarde pas et ne s’admire pas dans les vitrines. Elle s’apprend, se traduit et se danse. Celles et ceux qui affirment le contraire parlent la langue des dictateurs. ( Enfant de la France/ Enfant de la Transe ). 

 

AprĂšs les titres EvĂ©nement et Mission SpĂ©ciale, dans notre appartement, j’ai mis du Dub avec des titres du groupe bordelais Improvisators Dub.

 

Puis, pour finir, au casque, le titre Hommage aux Disparus du groupe haĂŻtien Les FrĂšres Dejean.

( merci Ă  ma cousine Janine pour m’avoir fait parvenir de Guadeloupe via mon frĂšre il y a quelques annĂ©es ces titres – et d’autres- des groupes Les Ambassadeurs et Les FrĂšres Dejean).  

 

Franck Unimon, ce samedi 25 juin 2022.

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En musique, j’Ă©coute de tout : Erykah Badu, une Angela Davis qui chante.

Paris, 13 Ăšme arrondissement. Dimanche 27 mars 2022 en allant au Spot 13.

En musique, j’écoute de tout : Erykah Badu, une Angela Davis qui chante

 

Au travail, il arrive que l’on « discute Â» de certaines actualitĂ©s entre collĂšgues. Les avis sont assez tranchĂ©s le plus souvent. Je ne prends pratiquement plus part Ă  ce genre de discussions.

D’abord pour me mettre en retrait. Mais, aussi, parce-que je trouve que ce genre de discussions est de l’énergie gaspillĂ©e. C’est brasser de l’air. Peu importe ce que nous pensons du PrĂ©sident Poutine et de sa dĂ©cision d’envahir l’Ukraine ce 24 fĂ©vrier 2022 ! Cela ne changera rien. Bien-sĂ»r, nous pouvons ĂȘtre tristes ou en colĂšre. Ou inquiets. Mais affirmer qu’il faut faire ceci, qu’il faudrait faire ceci ne changera rien. Personne ne nous demande notre avis. Alors que nous pouvons ĂȘtre lĂ , Ă  tenir l’équivalent de ces discussions de comptoir ou de bar. Ou entre amis. Sans lendemain. Sans effet pratique sur notre vie ou sur celle du voisin. Sauf, peut-ĂȘtre, pour finir par nous disputer. En vain.

 

A moins de nous radicaliser.  

 

Cette nuit, au travail, je n’étais pas en voie de radicalisation. Un de mes collĂšgues avait laissĂ© de la musique sur Youtube sur un des ordinateurs. Des tubes des annĂ©es 60 et 70. Il y avait les Bee Gees, par exemple, Village People
.

 

A la place, je me suis mis Ă  Ă©couter et regarder un concert d’Erykah Badu.

https://youtu.be/2VH0GNuBNgE

 

Comme je l’ai expliquĂ© Ă  Chamallow qui passait par lĂ , et a donc regardĂ© un peu, alors que nous attendions une nouvelle admission, Erykah Badu faisait plus parler d’elle dans les annĂ©es 2000. Et, je l’écoutais comme d’autres chanteuses noires amĂ©ricaines de ces annĂ©es-lĂ  : Macy Gray, Kelis
.

 

Badu n’était pas celle que j’écoutais le plus. Mais je la « connaissais Â». Je savais qu’elle avait une aura particuliĂšre. Qu’elle Ă©tait militante. Sans bien comprendre ce qui la rendait si diffĂ©rente des autres.

 

Je me rappelle, dans un documentaire ( Rize, je crois, rĂ©alisĂ© en 2005, par David LaChapelle)  de l’attention/tension qui avait prĂ©cĂ©dĂ© son arrivĂ©e sur scĂšne.

 

Puis, assez vite, une fois sur scĂšne, j’avais trouvĂ© que, finalement, Erykah Badu, ce n’était pas si fort que ça.

 

A cette Ă©poque, j’étais sans doute beaucoup « dans Â» Miles Davis, Björk, Me’shell NdĂ©geocello, SinĂ©ad O’Connor, Massive Attack ou Jean-Michel Rotin et d’autres artistes. De dub, y compris. Cela me parlait en prioritĂ©.

 

Erykah Badu, c’était « plus Â» la gĂ©nĂ©ration de ma sƓur ou de mon frĂšre, plus jeunes que moi. Plus dans le Rap. MĂȘme si Badu chante bien plus qu’elle ne rappe. Et ses codes de femme noire militante devaient sans doute me rappeler, aussi, vaguement
 Angela Davis.

Mais une Angela Davis qui chante. Or, j’étais, alors, moins, dans la fascination que j’avais pu avoir, lycĂ©en, pour les Black Panthers, Nelson Mandela, Malcolm X, Martin Luther King. Et Badu, sans doute, s’alignait Ă  la suite de ces figures, fĂ©minines et masculines (la coupe Afro de Badu Ă  la suite de la coupe Afro de la Angela Davis des annĂ©es 70) plutĂŽt datĂ©es annĂ©es 60 et 70 ( exception faite de Mandela) aux Etats-Unis.

 

Mais en faisant une musique « nouvelle Â». C’est peut-ĂȘtre pour ça que Badu, dans les annĂ©es 2000 ou voire 1990 m’a moins parlĂ© qu’à d’autres, plus jeunes, et encore dans leur adolescence et leur constitution identitaire.

 

Sauf que depuis deux ou trois ans, chez Badu, ce n’est pas ce cĂŽtĂ© identitaire, femme noire militante et fĂ©ministe, qui m’appelle. Mais, plutĂŽt, cette transe, mĂȘme si sur-jouĂ©e et minaudĂ©e.

 

Les femmes noires amĂ©ricaines, je trouve, ont une façon de chanter et de bouger comme si elles faisaient l’Amour. C’est sĂ»rement le cas aussi pour d’autres artistes non noires ou non amĂ©ricaines. Regardons, par exemple, les chanteuses de Zouk aux Antilles.

 

Ou Aya Nakamura en France, dĂ©sormais. Laquelle Nakamura, Ă  ce que j’ai appris, et cela peut s’entendre dans sa musique, aime beaucoup le Zouk.

 

Mais il y a toute une tradition noire amĂ©ricaine, je trouve, qui consiste Ă  exprimer ses sentiments et ses Ă©motions par la voix et le corps. On « sent Â» et l’on voit que cela fait partie d’elles. Ce n’est pas du tout le mĂȘme style qu’un Alain Souchon.

 

C’est un peu ce que j’ai essayĂ© d’expliquer Ă  Chamallow, cette nuit, mais en moins bien.

J’ai employĂ© des mots moins recherchĂ©s. En m’excusant des clichĂ©s que j’employais. Lorsque j’ai parlĂ© de « transe Â» pour Badu. Lorsque j’ai dit :

 

« Elle ne fait pas que chanter son texte Â». Chamallow a poursuivi :

 

«  Oui, elle l’incarne
. Â».

 

Bien-sĂ»r, d’autres artistes, non noires et non amĂ©ricaines, sont tout autant capables de ça. Je me rappelle du titre A Love Song, sur l’album de Jah Wobble et interprĂ©tĂ© par Natacha Atlas que j’avais dĂ©couverte, je crois, avec cette chanson. Une chanson que j’ai rĂ©Ă©coutĂ©e et rĂ©Ă©coutĂ©e. LĂ  aussi, Natacha Atlas, des annĂ©es avant sa reprise de Mon amie, la rose, ne fait pas que dire son texte. Et d’autres artistes d’autres pays, d’autres langues, d’autres musiques,  d’autres Ă©poques, femmes ou hommes, ont accompli et accomplissent ce que Natacha Atlas « fait Â» sur A Love Song.

 

Devant nous, cependant, sur l’écran de l’ordinateur, Badu poursuivait sa « performance Â». Mais c’était plus qu’une performance. C’était son existence.

 

MĂȘme prĂ©parĂ©e, rĂ©pĂ©tĂ©e, cette façon-lĂ , d’ĂȘtre sur scĂšne, de s’exprimer, mĂȘme avec des « trucs Â», ne faisait pas toc. C’était peut-ĂȘtre artificiel. Mais c’était aussi trĂšs personnel. Son entente avec ses choristes, ses musiciens, Ă©tait incontestable. Elle Ă©tait la patronne, la meneuse. Mais ce n’était pas qu’une patronne et une meneuse. Il y avait du travail derriĂšre pour ĂȘtre ensemble. Et on avait l’impression, j’ai l’impression, que tout le monde Ă©tait content d’ĂȘtre lĂ  pour ĂȘtre ensemble Ă  ce moment-lĂ . Pour cette rĂ©jouissance. Cette libĂ©ration.

 

Combien de temps et de travail, de rĂ©pĂ©titions, voire de conflits pour en arriver lĂ  ? Impossible Ă  savoir. Je n’étais pas lĂ . Nous sommes toujours absents pour voir et savoir ça. Tout ce que nous savons et retenons, c’est que nous aimons tel titre. Et que ce titre dure quatre minutes, cinq minutes, que ce soit en concert ou en studio, nous n’avons aucune idĂ©e de toutes les histoires qu’il y a derriĂšre la structure et la composition de ce titre. DerriĂšre la structure de ces milliers de chansons ou de musiques que nous aimons, que nous Ă©coutons. Et c’est la vie. Nous faisons aussi ça, mĂȘme entre nous, lorsque nous faisons connaissance.

 

Mais, peu importe. Cette nuit, au travail, j’étais bien en Ă©coutant et regardant Erykah Badu. Puis, Chamallow est arrivĂ©e.

 

Au dĂ©part, Chamallow a confondu Erykah Badu avec l’actrice française prĂ©sente dĂšs la premiĂšre saison (2015) de la sĂ©rie française Dix pour cent.  Il se trouve que j’ai vu- et beaucoup aimĂ©- la premiĂšre saison de Dix pour cent. J’ai donc rapidement compris de qui Chamallow parlait :

 

L’actrice StĂ©fi Celma.

 Cette confusion Ă©tait un peu dĂ©routante. Etonnante. Un peu amusante, aussi.

 

Lorsque l’on est dans une expĂ©rience que l’on veut faire partager Ă  quelqu’un, on a dĂ©jĂ  toute une histoire derriĂšre soi. Et on peut croire que l’autre qui arrive en « cours de route Â» peut tout de suite nous rattraper alors que nous sommes lancĂ©s depuis des annĂ©es.

Mais malgrĂ© sa bonne volontĂ© et son intĂ©rĂȘt, l’autre est souvent Ă  un autre « degrĂ© Â» d’expĂ©rience- ou d’interprĂ©tation- par rapport Ă  nous. Puisque notre intĂ©rioritĂ© ainsi que notre antĂ©rioritĂ© dans cette expĂ©rience intime est diffĂ©rente de la sienne. Lui et nous n’avons pas exactement la mĂȘme histoire mĂȘme si nous pouvons avoir des points communs. Et, mĂȘme si nous avons vĂ©cu un Ă©vĂ©nement identique ou Ă  peu prĂšs identique, nous avons une façon diffĂ©rente de le vivre ou d’évoluer par rapport Ă  lui.

 

C’est ce que Chamallow m’a rappelĂ© en confondant Erykah Badu avec l’actrice et chanteuse française StĂ©fi Celma dont j’avais alors oubliĂ© le prĂ©nom et le nom.

 

J’ai dit Ă  Chamallow que la musique est aussi « un vĂ©hicule Â» ( le terme n’est pas de moi). Et que tout en regardant et en Ă©coutant Badu chanter et danser, certaines pensĂ©es et certains sujets Ă©mergeaient dans ma tĂȘte. Sans le prĂ©ciser, mais j’imagine que cela se percevait dans ce que je disais, c’était une situation agrĂ©able. Les artistes que nous aimons ont gĂ©nĂ©ralement cette facultĂ©. Certains Ɠuvres d’artistes ouvrent certaines portes en nous, celles de notre inconscient, auquel celui-ci est plus sensible, plus rĂ©ceptif. Et c’est pour cela que nous les aimons, les prĂ©fĂ©rons.

 

Nous faisons sans doute pareil avec nos rencontres bonnes ou mauvaises. Sans toujours pouvoir en expliquer la raison. Miles Davis, je crois, me met en contact avec une tristesse obstinĂ©e et aussi assez dĂ©finitive. Une tristesse opiniĂątre et dĂ©cidĂ©e Ă  se mesurer au Temps. A l’emmurer. A rouler avec. A le dominer peut-ĂȘtre. A lui faire admettre qu’il n’est pas le Dieu tout puissant qu’il croit ĂȘtre. Ou qu’il semble ĂȘtre. A le faire douter. La musique de Miles, je crois, veut faire douter le Temps
.

 

 

Badu, c’est autre chose. C’est le sourire. L’Amour. La sensualitĂ©. La vie, malgrĂ© tout. La combattivitĂ© qui s’enroule autour de soi. Tout en douceur. MalgrĂ© les douleurs. Les coups. Il n’y a pas de sourire chez Miles. Pas dans sa musique. PlutĂŽt des Ă©claircies de tristesse, de deuil et de colĂšre.

 

Mais je n’ai pas parlĂ© de ça avec Chamallow. Ça, je le rajoute ici. Maintenant. A Chamallow, j’ai ensuite demandĂ© ce qu’elle Ă©coutait comme musique. De temps Ă  autre, il m’arrive de poser ce genre de questions. Il est arrivĂ© que l’on me rĂ©ponde :

 

« J’écoute de tout Â». Sans que l’on me dise ou me donne de noms de groupes ou d’artistes. Ce qui est assez invraisemblable pour moi qui ai eu besoin et ai toujours besoin, lorsque j’ai commencĂ© Ă  vĂ©ritablement Ă©couter de la musique, Ă  stocker voire Ă  croquer des rĂ©fĂ©rences. Et puis, je ne comprends pas, je crois, qu’une musique ou qu’un artiste qui nous touche puisse rester pour soi inconnu ou anonyme.

 

Mais peut-ĂȘtre que ces personnes qui m’ont rĂ©pondu, un jour, « J’écoute de tout Â», ont- elles prĂ©fĂ©rĂ© Ă©viter de se « rĂ©vĂ©ler Â» devant moi ? Il est vrai que certaines musiques et artistes sont peut-ĂȘtre plus difficiles Ă  assumer. Il est vrai que certains goĂ»ts musicaux peuvent nous valoir, selon nos interlocuteurs, certains jugements de valeur.

 

Il est peut-ĂȘtre vrai, aussi, que pour certains, la musique est simplement lĂ  pour « mettre Â» de l’ambiance. Pour servir de dĂ©cor. Pour ĂȘtre un bruit de fond. De la mĂȘme maniĂšre qu’une tĂ©lĂ© allumĂ©e en permanence, qu’une machine Ă  laver en activitĂ©. Afin de ne pas ĂȘtre seul. De se sentir moins seul. D’avoir l’impression d’ĂȘtre normal et « avec Â» les autres.

 

 

Pour moi, la musique, c’est plus que ça. C’est une recherche. C’est une descente en profondeur. C’est une expĂ©rience de soi Ă  transmettre. Et ce n’est pas Ă  nĂ©gliger.

https://youtu.be/-63mVi4SDpE

Franck Unimon, mercredi 30 mars 2022.

 

 

 

 

 

 

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Les rappeurs Joey Starr, Orelsan et Tricky : quelques idées pour réussir

Gare du Nord, ce lundi 31 janvier 2022.

 

 

 Les rappeurs Joey Starr, Orelsan et Tricky : quelques idĂ©es pour rĂ©ussir

 

Ces derniers temps, Orelsan est le rappeur ou l’un des rappeurs français dont on parle le plus et le «mieux Â». MĂȘme le PrĂ©sident Macron, qui va sans doute se reprĂ©senter lors des prochaines Ă©lections prĂ©sidentielles d’avril 2022, tenait des propos Ă©logieux Ă  son sujet Ă  la fin de l’annĂ©e derniĂšre. Comparant Orelsan Ă  un « sociologue Â» dĂ©crivant bien la sociĂ©tĂ© française.

InterrogĂ© au sujet de cette flatterie prĂ©sidentielle, alors qu’il faisait la promotion de son dernier album, Civilisation,  Orelsan a rĂ©pondu quelque chose comme :

« Il ( le PrĂ©sident Macron) ne serait pas en train de gratter mon buzz ? Â».

Avant de rĂ©ussir et d’ĂȘtre ce rappeur Ă  propos duquel, dĂ©sormais, beaucoup de monde est content de dire : «  Je l’admire Â», Orelsan a beaucoup doutĂ©. Je le sais comme d’autres car j’ai un peu lu sur lui. Auparavant. Sans trop insister.

 

Lorsque mon petit frĂšre de 14 ans mon cadet, qui a grandi dans le Rap, m’avait offert Ă  NoĂ«l il y a trois ou quatre ans maintenant, un album d’Orelsan, je l’avais un peu Ă©coutĂ©. Mais, d’une part, avant d’écrire cet article, lorsque j’ai cherchĂ© ce cd, j’ai dĂ» constater qu’il n’était plus lĂ  oĂč je l’avais initialement rangĂ©. A un endroit facile d’accĂšs. Ce qui signifie que je l’ai rangĂ© avec d’autres cds, dans un carton. Et, d’autre part, j’ai oubliĂ© le titre de cet album. Je me rappelle d’Orelsan sur la pochette, attendant Ă  une station de bus en tenue de ninja. Tenue que j’avais trouvĂ©e modĂ©rĂ©ment appropriĂ©e. A la fois car il est courant que des rappeurs se rĂ©clament des Arts martiaux. Mais, aussi, parce-que je trouvais que ces habits ne lui allaient pas. Je me rappelle aussi d’Orelsan derriĂšre une vitre humidifiĂ©e. 

On comprend donc facilement qu’Orelsan, aujourd’hui saluĂ© et reconnu pour son originalitĂ©, ses vertus de rappeur et la qualitĂ© de ses textes, ne m’avait pas particuliĂšrement marquĂ©. Alors que cet album, dĂ©jĂ , contenait plusieurs titres que bien des amateurs de Rap, et d’ailleurs, citeront comme des rĂ©fĂ©rences, tout en s’étonnant de mon ignorance voire de mon handicap psychique et auditif total et Ă©vident.

MĂȘme si, depuis, j’ai quand mĂȘme commencĂ© Ă  goĂ»ter des textes et des vidĂ©os de l’artiste Orelsan, je vais choisir de continuer de m’enfoncer encore un petit peu plus Ă  parler de lui, de Joey Starr et du Rap en gĂ©nĂ©ral.

 

Aujourd’hui, tout le monde Ă©coute du Rap. Je ne vais pas prĂ©tendre le faire autant que d’autres parce-que je respecte le Rap. Mais, aussi, parce-que, pour moi, Ă©couter de la musique, cela se fait “sĂ©rieusement”. En profondeur plutĂŽt qu’en passant. Je n’ai jamais aimĂ© le terme de “musique d’ambiance” ou de “musique d’ascenseur”. Encore moins de “musique de chiottes”.

Or, je sais que je n’ai pas, Ă  ce jour, consacrĂ© ou pu consacrer toute mon attention au Rap comme je l’aurais pu ou l’aurais dĂ». Pour cet article, je vais donc conserver le statut de celui qui sait Ă  moitiĂ© de quoi il en retourne lorsque l’on parle de Rap. 

 

Ce faisant, je continuerai de triquer la musique de l’artiste Tricky dont je rĂ©ecoute et dĂ©couvre des titres en ce moment.

 

Puisque, selon moi, cela est compatible avec le fait de parler davantage, ici, de Joey Starr et Orelsan. Tricky est du reste un artiste que je vois trĂšs mal l’un ou l’autre me reprocher d’Ă©couter. Non seulement il m’est dĂ©ja arrivĂ© de me dire que Joey Starr et Tricky ont une certaine ressemblance physique. Ensuite, pour sa façon qu’a Tricky d’ĂȘtre envoutĂ© par sa propre musique, comme pour ses compositions, je ne peux qu’imaginer Joey Starr et Orelsan plutĂŽt adeptes de la “filiĂšre” Tricky. Reste Ă  savoir si toutes celles et tous ceux qui, aujourd’hui et demain, Ă©coutent Joey Starr et Orelsan savent qui est Tricky. Mais cela n’est pas directement le sujet de l’article…

 

 

Cette nuit, dans un de ces moments d’égarement devenu frĂ©quent pour tout individu « connectĂ© Â», je me suis laissĂ© aller Ă  regarder des rubans d’images et de vidĂ©os. Parmi elles, une intervention de Joey Starr, qui, cinq minutes durant, revenait sur quelques uns des titres qui ont « fait Â» l’histoire du groupe NTM.  

NTM  : Groupe de Rap aujourd’hui devenu « mythique Â» ? « Iconique ? Â» « IntergĂ©nĂ©rationnel ? Â».

Au point qu’aussi bien des personnes qui l’ont connu en activitĂ© que des biens plus jeunes le citent comme faisant partie des groupes de Rap qui ont comptĂ© et continuent de compter. LĂ , aussi, c’est ce que l’on appelle la rĂ©ussite. Et si cette rĂ©ussite revĂȘt maintenant le panache des pionniers et des anciens, on peut facilement concevoir que plus tard, bien des personnes parleront d’Orelsan et d’autres rappeurs et chanteurs actuels avec le mĂȘme reflux de dynamisme et de nostalgie : 

Aya Nakamura, Niska, Maes, PNL, SCH, Ninho, Soprano, Damso,  et beaucoup d’autres. 

 

Dans cette vidĂ©o oĂč l’on voit Joey Starr parler de quelques uns des titres de NTM – c’était apparemment avant la sortie du film SuprĂȘmes d’Audrey Estrougo ( sorti en novembre 2021) que Starr cite un moment- il lui est demandĂ© qui, parmi les nouveaux rappeurs, il Ă©coute. Starr finit alors par citer :

«  Orelsan Â».

 

Si Orelsan ne fait pas partie de ma catĂ©gorie d’ñge, Joey Starr, si. A un ou deux ans prĂšs. Je reste convaincu que si nous avions habitĂ© dans la mĂȘme citĂ© que nous nous serions connus de vue :

Dans la citĂ© oĂč j’ai grandi Ă  Nanterre, je connaissais de vue, de nom ou de rĂ©putation, certains jeunes « durs Â» ou « voyous Â». La fascination qu’ils exerçaient, avant de se faire rattraper par les tridents de la Loi, de l’échec scolaire ou des substances Ă©tait suffisante pour qu’ils soient connus. Sans oublier cette impression de libertĂ© et de force qui se dĂ©gageaient d’eux ou qu’on leur prĂȘtait.

Dans ma jeunesse, j’ai donc connu « des Â» Joey Starr. Mais ils ne faisaient pas de Rap. Ils ne sont pas devenus cĂ©lĂšbres. Ou s’ils l’ont Ă©tĂ©, cela a peu durĂ© et cela s’est ensuite trĂšs mal terminĂ© pour eux. Au point de finir par se faire oublier. Leur jeunesse ayant Ă©tĂ© sans doute leur acmĂ© fut-il fait d’actes et de comportements hors-la-loi.

 

Mais, moi, comme la majoritĂ© des jeunes et sĂ»rement aussi comme la majoritĂ© de ces personnes qui Ă©coutent aujourd’hui du Rap, j’ai toujours respectĂ© la loi. J’ai toujours obĂ©i et marchĂ© droit. C’est la raison pour laquelle je crois que plus jeune, si nous avions frĂ©quentĂ© la mĂȘme citĂ©, Joey Starr et moi n’aurions pas Ă©tĂ© amis ou proches. Je l’aurais peut-ĂȘtre mĂȘme fui. Par peur ou par jugement moral. Et lui, comme d’autres, m’aurait perçu comme un petit intello de plus ou de trop. 

 

Une peur et un jugement moral qui m’ont suivi mĂȘme, lorsqu’adulte, le groupe NTM, dans les annĂ©es 90, a commencĂ© Ă  faire parler de lui.

Je me rappelle encore un peu de ce jour, oĂč j’avais eu Ă  choisir entre :

 

Me rendre Ă  un concert de NTM. J’avais achetĂ© leur album j’appuie sur la gĂąchette ( sorti en 1993. J’avais 25 ans, et, grĂące Ă  mon mĂ©tier d’infirmier avais alors commencĂ© Ă  m’insĂ©rer en trouvant en psychiatrie une discipline qui me plaisait).

 

Et un concert de Me’Shell NdĂ©geocello aprĂšs son premier album : Plantation Lullabies.

 

 Si j’avais Ă©tĂ© dans une bande ou avais connu un groupe d’amis solidaire et curieux d’aller Ă  ce concert, peut-ĂȘtre me serais-je risquĂ©  Ă  aller voir NTM. AprĂšs ĂȘtre allĂ© voir le gentil Mc Solaar (que j’aimais beaucoup alors mais dont la prestation sur scĂšne m’avait déçu car trop molle) au ZĂ©nith. Et avant d’aller voir I AM Ă  l’Olympia Ă  l’époque de je danse le Mia (un des meilleurs concerts auxquels je sois allĂ©).

 

Mais j’allais seul en concert et avais Ă©tĂ© plus rassurĂ© par le public de MeShell Ndegeocello. Son concert Ă  l’ElysĂ©e Montmartre avait d’ailleurs Ă©tĂ© trĂšs trĂšs bon. Artiste que je suis ensuite retournĂ© voir deux ou trois autres fois en concert.

MeShell Ndegeocello, moins connue en France que Joey Starr et Orelsan, mais sĂ»rement connue par au moins l’un des deux (puisque une grande culture musicale est souvent une des caractĂ©ristiques des artistes qui « marchent Â» quel que soit leur genre musical) est une artiste bien plus qu’honorable :

 

Chanteuse, poĂ©tesse, rappeuse, bassiste, claviĂ©riste, compositrice, elle a jouĂ© au moins avec les Rolling Stones, Marcus Miller et, de plus, aujourd’hui, fait figure de fĂ©ministe militante et LGBT. Donc, MeShell Ndegeocello est tout sauf une artiste de surface.

 

 

Sauf que, ne pas aller Ă  ce concert de NTM, dans les annĂ©es 90, c’est quand mĂȘme rater un sacrĂ© coche. Parce qu’il m’a fallu du temps pour comprendre l’importance du groupe dans ma vie. Pour dĂ©passer certaines images dĂ©favorables du groupe.

 

 

Rencontrer Joey Starr

 

Comparativement Ă  Joey Starr, Orelsan fait plus frĂ©quentable. Il fait plus attention Ă  son image que Joey Starr au mĂȘme Ăąge. Il a par ainsi gommĂ© la casquette de sa prĂ©sentation aprĂšs s’ĂȘtre aperçu que certaines personnes restaient “bloquĂ©es” devant un jeune en casquette.

 J’avais aussi oubliĂ© qu’il Ă©tait ce rappeur, qui, il y a presque dix ans, avait fait polĂ©mique avec un titre considĂ©rĂ© comme misogyne. Un titre que je n’ai pas vraiment Ă©coutĂ©. Comme d’autres rappeurs avant lui, Orelsan avait choquĂ© avec un titre et il avait plus Ă©tĂ© question de ce titre et du sens Ă  donner Ă  son texte qu’au reste de sa discographie. Le groupe MinistĂšre Amer ou le rappeur Disiz La Peste Ă©taient aussi passĂ©s par lĂ .

 

Pour NTM, le scandale passait- aussi- beaucoup par les frasques de Joey Starr : frapper un singe dans une cage, insulter une hĂŽtesse de l’air, se battre dans la rue, faire de la prison, prendre des substances, son ancienne relation avec BĂ©atrice Dalle etc
.

 

Au point que, pour moi, il Ă©tait Ă©vident que cet homme peu recommandable mourrait jeune. Telle Ă©tait la sanction morale et pudibonde qui l’attendait d’aprĂšs ce que j’avais alors compris de l’existence.

 

Mais Joey Starr a survĂ©cu. Et moi, aussi. 

Il Ă©tait Ă©galement vivant ce jour oĂč je l’ai croisĂ©. La seule fois, Ă  ce jour. C’était en 2007  vraisemblablement. Au festival Furia, aux Ă©tangs de Cergy-Pontoise. Festival qui n’existe plus aujourd’hui.

Joey Starr, aprĂšs la « dissolution Â» de NTM continuait une carriĂšre en solo. C’était  avant son rĂŽle dans la sĂ©rie Mafiosa ( 2008). Avant son rĂŽle dans le film Polisse ( 2011) de MaĂŻwenn. Film que je verrais d’ailleurs au festival de Cannes, sans pouvoir l’interviewer, car l’attachĂ© de presse du film n’aimait pas le journal cinĂ©ma pour lequel j’écrivais alors, journal cinĂ©ma aujourd’hui disparu : Brazil.

 

Octobre, 2019, au centre Joey Starr, Ă  sa droite, BĂ©atrice Dalle, aux moments des saluts, Ă  la fin de la piĂšce “Elephant Man” que j’Ă©tais allĂ© voir aux Folies BergĂšres.

 

Aujourd’hui, on peut trouver normal de voir Joey Starr acteur, au thĂ©Ăątre ou Ă  la tĂ©lĂ©. Mais, Ă  cette Ă©poque, en 2007, Joey Starr -ou simplement le fait d’ĂȘtre rappeur-, en France,  ne rimait pas du tout avec le fait d’ĂȘtre comĂ©dien de thĂ©Ăątre ou acteur de cinĂ©ma. Mc Solaar, rappeur “chouchou” des mĂ©dia, Ă©tait du reste allĂ© au festival de Cannes, en tant que membre du jury, plusieurs annĂ©es avant Joey Starr. En 1998, au sein du jury prĂ©sidĂ© par Martin Scorsese.  Et, autant que je me souvienne, Mc Solaar, malgrĂ© son Ă©lĂ©gance, n’a jamais fait d’apparition marquante par la suite ou carriĂšre dans le cinĂ©ma ou sur des planches de thĂ©Ăątre. Alors que Joey Starr, dans ces domaines, fait aujourd’hui figure d’exemple mais aussi d’exception. Il est ainsi, en France, le premier rappeur Ă  avoir rĂ©alisĂ© ce grand Ă©cart avec autant de rĂ©ussite entre son univers artistique d’origine ( le Rap) et le cinĂ©ma, le thĂ©Ăątre et la tĂ©lĂ©. 

 

Joey Starr, quittant la scĂšne, oct 2019, aux Folies BergĂšres, aprĂšs voir jouĂ© le rĂŽle “d’Elephant Man”.

( Voir l’article Elephant Man ). 

 

 

Hormis peut-ĂȘtre Eddy Mitchell ou Marc Lavoine, que je trouve aussi bons acteurs que chanteurs, il faut ensuite regarder plutĂŽt aux Etats-Unis pour voir une carriĂšre Ă  peu prĂšs Ă©quivalente d’un chanteur ou rappeur qui a, par ailleurs, une carriĂšre cinĂ©matographique notable. Je pense d’emblĂ©e, au choix, soit Ă  Harry Connick Jr ou Ă  Common. 

Mais en 2007, en France, Joey Starr Ă©tait encore Joey Starr. Un rappeur ainsi qu’un bonhomme incontrĂŽlable qui faisait peur ou qui pouvait encore faire peur. En tout cas, en 2007 , avant mĂȘme son arrivĂ©e sur le festival Furia, il m’avait indirectement fait peur ainsi qu’à certaines personnes de l’organisation du festival.

 

GrĂące Ă  un ami, Luc Rajaonarison ( chanteur et musicien, alors, du groupe Full Screen, et, aujourd’hui du groupe September Boy ) j’avais pu faire partie de l’organisation du festival, en tant que bĂ©nĂ©vole. CĂŽtĂ© production. DerriĂšre la scĂšne. Je pouvais donc et voir les artistes avant leur concert. Mais aussi sur scĂšne.

 

C’est ainsi que j’ai croisĂ© Joey Starr. J’avais alors une jambe dans le plĂątre. Rupture du tendon d’achille. Entre le jour oĂč je m’étais portĂ© volontaire pour ĂȘtre bĂ©nĂ©vole et le moment oĂč le festival avait dĂ©butĂ©, je m’étais rompu le tendon d’achille en faisant du sport.

 

Ce jour-lĂ , je n’ai pas osĂ© aborder Joey Starr. Par contre je l’ai observĂ©. Qui n’observait pas Joey Starr ?

Je me rappelle que le groupe The Roots, convoyĂ© par mon ami Luc, avait tenu, jusqu’au bout Ă  son statut de groupe Star. Le trajet menant du backstage jusqu’à la scĂšne Ă©tait trĂšs peu pratique Ă  monter en camion ou en voiture. Mais par le biais de son meneur, le batteur ?, le groupe avait tenu Ă  se faire emmener en camion jusqu’à la scĂšne. Les roues du camion patinaient dans le ridicule alors qu’il se rapprochait pĂ©niblement de la scĂšne situĂ©e Ă  une centaine de mĂštres.

 

En attendant son concert, assis, Joey Starr « l’énervĂ© Â», avait Ă©tĂ© particuliĂšrement calme. Discret. Aucune frasque. Au moment de monter sur scĂšne, sans faire d’histoire, lui et ses musiciens avaient fait le trajet Ă  pied. Puis avaient donnĂ© leur concert. Et Ă©taient ensuite repartis sans plus d’accrochage.

 

Mon admiration pour Joey Starr :

 

Un certain nombre de fois, dans le passĂ© ou mĂȘme rĂ©cemment, Joey Starr a dĂ©connĂ©. Dans ses comportements comme dans certains de ses propos.

 

Mais en le regardant cette nuit, j’ai listĂ© quelques raisons qui me font l’admirer.

 

D’abord avec NTM, parti de nulle part, car la ville de Saint Denis, et lĂ  oĂč il vivait, c’était alors nulle part, Joey Starr a crĂ©Ă© quelque chose. Dans la musique, le Rap.

 

MĂȘme relativement Ă©loignĂ© de cette scĂšne du Rap qui s’est construite dans les annĂ©es 90 avec Assassin, NTM ou d’autres groupes, je « sais Â» que la musique dominante,  dans les annĂ©es 90 alors, en France, Ă©tait loin d’ĂȘtre le Rap. Mais, aussi, que cette musique Ă©tait loin d’ĂȘtre incarnĂ©e par des artistes noirs ou arabes comme maintenant avec le Rap.

 

Si je commence Ă  faire un effort de mĂ©moire pour essayer de trouver des artistes noirs ou arabes qui, en France, dans la musique, avaient une grande ou assez grande audience, dans les annĂ©es 90, qui vais-je trouver ?

 

Henri Salvador ? Kassav’ ? Zouk Machine ? Francky Vincent ? Laurent Voulzy ?

J’ai oubliĂ© si La Compagnie CrĂ©ole tournait encore dans les annĂ©es 90. Et, avant les annĂ©es 90, qui avions-nous autrement comme artiste français non-blanc :

 

 

Carte de sĂ©jour ? Karim Kacel ? Ottawan ? David Martial ? 

 

En dĂ©couvrant ce lundi 31 janvier 2022, cette vidĂ©o du groupe Ottawan de ce tube qui doit dater de la fin des annĂ©es 70, je me dis qu’il a dĂ» falloir beaucoup de courage Ă  ce duo pour surmonter bien des prĂ©jugĂ©s racistes de l’Ă©poque. Cette remarque vaut aussi pour Karim Kacel : je me rappelle d’une de ses interventions, oĂč, agacĂ©, il avait rappelĂ© ” Je ne m’appelle pas MichaĂ«l Jackson. Je m’appelle Karim Kacel !”. 

 

J’ai peut-ĂȘtre oubliĂ© un ou deux artistes arabes ou noirs tels qu’Alain Bashung ( en partie Kabyle) ou voire Etienne Daho ( nĂ© Ă  Oran) ou peut-ĂȘtre Mirwais ( moitiĂ© afghan par son pĂšre et ex-membre du groupe Taxi Girl ).

 

 

 

Mais, autrement, il faut s’imaginer que tous les autres artistes de la chanson française, jusqu’à l’installation du Rap dans les annĂ©es 90, Ă©taient principalement ou beaucoup des artistes de variĂ©tĂ©. Bien des sujets graves sont abordĂ©s au travers de la variĂ©tĂ© et il serait trompeur de croire que les artistes de variĂ©tĂ©s ne sont que des petites midinettes et des petits gars qui interprĂštent des chansons « douces Â». Sauf que les canons d’expression dominants de l’époque, d’avant le Rap excluaient certaines catĂ©gories de populations ainsi que certains codes de langage ou vestimentaires.

 

Le Rap portĂ© et popularisĂ© par des groupes et des artistes comme NTM mais aussi Mc Solaar et I AM  a permis de « voir Â» certaines de ces catĂ©gories de populations jusque lĂ  exclues des plateaux tĂ©lĂ©s mais aussi de l’industrie du disque et du spectacle.

 

Si fin 2021, le PrĂ©sident Macron a pu essayer de « gratter le buzz Â» d’Orelsan en l’encensant, dans les annĂ©es 90, le PrĂ©sident de la RĂ©publique de l’époque, Mitterrand puis, ensuite, Chirac, s’y sont pris diffĂ©remment. Jack Lang, le Ministre de la culture de Mitterand avait peut-ĂȘtre tentĂ© de rĂ©cupĂ©rer le groupe NTM. Chirac, lui, ne m’a pas marquĂ© pour ses tentatives de rapprochement avec des artistes Rap. Alors que Nicolas Sarkozy, dĂ©jĂ , une fois PrĂ©sident, lui, s’était « fait Â» le rappeur Doc GynĂ©co.

 

Mais j’extrapole.

 

 

Avec le Rap, donc, Joey Starr et NTM  ou NTM et Joey Starr ont crĂ©Ă© une nouveautĂ©.

D’autres diraient qu’ils ont crĂ©Ă© une rupture plutĂŽt. Une rupture conventionnelle avec la musique qui se faisait avant. Avec les textes qui se disaient avant.

 

Donc, une rupture. Une certaine radicalitĂ©. Mais aussi une Ă©nergie. D’autres diraient :

Une urgence.

L’urgence de quoi ? L’urgence de faire un voyage, de vivre une expĂ©rience, une rencontre.

Une rencontre et une expĂ©rience suffisamment proches de soi, de l’auditrice et de l’auditeur qui Ă©coute, pour s’identifier Ă  ce qui est racontĂ© dans le Rap. Mais, aussi, pour donner envie Ă  l’auditrice et Ă  l’auditeur de se rapprocher davantage de ces artistes et de ce qu’ils racontent.

 

Un peu comme on se rapproche d’un feu de camp dans une forĂȘt sombre ou d’une cheminĂ©e qui crĂ©pite dans une maison oĂč l’on se sent enserrĂ© par un certain froid mais aussi par une presque solide solitude.

 

On se rapproche de ces artistes afin de changer d’univers, d’histoire, de condition. On l’espùre tout au moins.

 

CrĂ©er. Apporter une Ă©nergie (ou une chaleur particuliĂšre qui, jusque lĂ  a manquĂ© Ă  d’autres) dans une certaine radicalitĂ©. Que faut-il d’autre pour rĂ©ussir et ce qui me fait, aussi, admirer Joey Starr ?

 

 

La LongĂ©vitĂ© :

 

Joey Starr est encore prĂ©sent pour raconter. Il est un ensemble de hĂ©ros, artistes ou autres, morts trĂšs tĂŽt, et dont l’exemple marque, instruit et guide. Mais je trouve qu’une personne qui vit suffisamment vieux pour transmettre, c’est mieux. C’est mon point de vue.

 

 

Mais il manque encore quelques piÚces pour réussir.

 

 

Se canaliser :

 

Joey Starr, d’aprĂšs ses frasques, a du mal ou a pu avoir du mal Ă  se canaliser. Du moins en apparence. Car, tel le joueur de tennis Mc Enroe, qui, rĂ©guliĂšrement, se mettait en colĂšre sur un court de tennis, Joey starr s’est toujours canalisĂ© dans le Rap. Il a su tenir ses engagements. Comme Mc Enroe avait su tenir son tennis. 

 

Je citais Doc GynĂ©co un peu plus haut. Alors que Doc GynĂ©co avait fait un trĂšs bon premier album solo, toujours plĂ©biscitĂ© par certaines personnes, j’ai l’impression que l’on ne compte plus les tentatives de retour ratĂ©es de Doc GynĂ©co. Comme s’il s’était dissous. D’autres artistes, trĂšs bons, se sont ainsi Ă©vaporĂ©s. Par exemple, je pense de temps  Ă  autre, avec tristesse Ă  Finley Quaye, qui, dans les annĂ©es 90, avait tout un avenir devant lui : Jazz, Reggae, dub, Ă©lectro
.

 

Pour moi, il avait rĂ©alisĂ© une fusion unique de plusieurs genres musicaux. Et puis, il s’est en quelque sorte dĂ©sagrĂ©gĂ©.

 

Joey Starr, lui, est resté non seulement compact. Mais, il a continué à se canaliser et à se concentrer dans le Rap malgré ses accidents de parcours, et ses aller-retour en prison.

 

Il a donc cumulĂ© de hautes doses et aussi de hautes charges de travail dans le Rap. Au point de devenir, d’une maniĂšre ou d’une autre, un expert dans le Rap. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, son travail et sa persĂ©vĂ©rance ont Ă©tĂ© au rendez-vous. Et, cela, sans compter ses heures. Mais, bien-sĂ»r, s’il n’a pas comptĂ© ses heures, ses heures de travail n’ont pas comptĂ© pour du beurre. Il fallait qu’à un moment, tout ce travail se « voit Â» et se « matĂ©rialise Â» concrĂštement. Etre le meilleur rappeur, ou parmi les meilleurs, dans ses toilettes, c’est bien. L’ĂȘtre sur scĂšne ou sur des millions de disques, c’est bien mieux.

 

C’est lĂ  oĂč l’on en arrive Ă  ce qui, selon moi, est sans doute, le plus dĂ©terminant, et, cela, sans doute dĂšs le dĂ©but de toute entreprise.

 

 

L’entourage

 

J’ai oubliĂ© de parler de la sincĂ©ritĂ© de Joey Starr ou d’Orelsan lorsqu’ils ont commencĂ© Ă  se lancer dans le Rap. Pour rĂ©ussir, il me semble que la sincĂ©ritĂ© est indispensable. On continue, des annĂ©es aprĂšs leur mort, de nous parler de la sincĂ©ritĂ© d’artistes comme Georges Brassens, Jacques Brel  ou Barbara. Et on continuera de nous parler de leur sincĂ©ritĂ© pendant encore des annĂ©es. Cela veut bien dire que la sincĂ©ritĂ© d’un artiste nous touche particuliĂšrement. Comment expliquer, autrement, le succĂšs actuel de l’humoriste Blanche Gardin ?

 

Cependant, Ă  la sincĂ©ritĂ© de l’artiste, de Rap ou dans un autre domaine, doit correspondre la sincĂ©ritĂ© de son entourage. Car celui-ci fait, Ă  un moment ou Ă  un autre, la diffĂ©rence. Vers le succĂšs ou vers l’échec.

 

Que cet entourage soit intime ou non, qu’il soit prĂ©sent dĂšs le dĂ©but de l’aventure ou ensuite, pour que la rĂ©ussite soit atteinte, il faut que cet entourage soit un entourage qui :

 

Conseille ; qui guide ; qui soutient et qui fournit du courage plutĂŽt qu’un comportement anthropophage.

 

Il faut aussi que cet entourage soit facilement disponible en cas de besoin. Et prĂȘt Ă  se dĂ©vouer, Ă  se battre voire Ă  se sacrifier pour le projet. Et pour sa rĂ©ussite.

 

Dans la rĂ©ussite de bien des personnalitĂ©s que je regarde, chaque fois que je regarde de prĂšs, il y a toujours un entourage constituĂ©, permanent et solide autour d’elle. Telle une toile d’araignĂ©e.

 

Il y a ensuite d’autres paramùtres à prendre en compte.

 

L’époque/ La chance

 

On dit de certaines Ɠuvres et de certains artistes qu’ils arrivent au bon « moment Â». Que d’autres sont trop en avance sur leur temps ou trop en retard. Il est vrai que j’ai du mal Ă  m’imaginer le groupe NTM,  Orelsan ou Blanche Gardin dans les annĂ©es 60. Et, il peut ĂȘtre trĂšs drĂŽle de les imaginer Ă  cette Ă©poque.

 

Cependant, s’ils avaient vĂ©cu dans les annĂ©es 60, sans doute ou peut-ĂȘtre auraient-ils proposĂ© une Ɠuvre en rapport avec cette Ă©poque. Soit mus par leurs envies et leurs instincts mais, aussi guidĂ©s par l’exemple ou les conseils de quelqu’un de leur entourage.

 

Enfin, pour conclure, on va terminer avec ce qui est le plus souvent mis en exergue lorsqu’un artiste ou une personnalitĂ© « rĂ©ussit Â» :

 

Le talent/ Le don :

 

On rĂ©sume souvent la rĂ©ussite d’une personne Ă  son talent ou Ă  son don. Beaucoup de personnes ont du talent mais ne rĂ©ussissent pas pour autant. Soit parce qu’elles s’égarent. Parce qu’elles n’ont pas le meilleur ou le bon entourage. Parce qu’elles manquent de persĂ©vĂ©rance. Ou parce qu’elles se reposent trop sur leurs dons et leurs « facilitĂ©s Â».

 

Enfin, le mot « rĂ©ussite Â» est un mot fĂ©minin. Mais on dirait, aussi, parfois, que pour rĂ©ussir, ne serait-ce que pour rĂ©ussir tout simplement Ă  vivre, qu’il vaut mieux ĂȘtre un homme qu’une femme.

Charlie Hebdo, de ce 26 janvier 2022.

 

Ainsi, la jeune ShaĂŻna Hansye : « une jeune fille de Creil, dans l’Oise Â» (
.) « retrouvĂ©e brĂ»lĂ©e dans un cabanon abandonnĂ© d’un jardin ouvrier, Ă  l’ñge de 15 ans, en 2019. Le meurtrier prĂ©sumĂ© venait d’apprendre qu’elle Ă©tait enceinte de lui. Avant cela, la jeune fille avait Ă©tĂ© victime d’un viol collectif, commis par d’autres garçons de la citĂ©, et avait eu le courage de porter plainte Â» (
.) « Dossier dans lequel nous rĂ©vĂ©lons que, Ă  plusieurs reprises, policiers, experts ou magistrats n’ont pas entendu la parole de ShaĂŻna Â». ( Charlie Hebdo numĂ©ro 1540 du 26 janvier 2022).

 

Paris, prĂšs de la Gare de l’Est, ce lundi 31 janvier 2022.

 

Franck Unimon, ce lundi 31 janvier 2022.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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J’ai revu quelqu’un…

CathĂ©drale d’Amiens, juillet 2021.

                                           J’ai revu quelqu’un
.

 

Il y a quelques jours, j’ai revu quelqu’un. Ce n’était pas dans une Ă©glise. Je l’avais appelĂ© il y a quelques mois. Nous avions discutĂ©.

 

Il ne me connaissait pas.

 

Je lui avais donnĂ© mon nom et le prĂ©nom de ma mĂšre qu’il aurait dĂ» connaĂźtre. Il ne se souvenait pas d’elle.

 

Alors, j’avais sorti d’autres prĂ©noms et d’autres noms du jeu de cartes de ma mĂ©moire. Parmi eux, un certain nombre de carrĂ©s d’as. Il connaissait bien ces cartes. C’était bien lui que j’avais rencontrĂ© il y a plus de trente ans. J’avais croisĂ© sa mĂšre, aussi. Une petite femme pleine d’autoritĂ© qui connaissait ma mĂšre et me saluait.

 

AprĂšs quelques minutes, il s’était excusĂ©. Il avait du travail. Je n’avais pas insistĂ©. Mais j’avais Ă©tĂ© un peu contrariĂ© que ce simple Ă©change lui suffise.

 

Nous nous sommes finalement vus il y a quelques jours. Quand il s’est approchĂ©, Ă  petits pas vers moi, nous nous sommes regardĂ©s. C’est plus par dĂ©duction que nous avons compris qui nous Ă©tions. Lui et moi Ă©tions dĂ©tendus. J’étais assis, lui, debout face Ă  moi. Autour de nous, les personnes prĂ©sentes sont devenues transparentes et silencieuses bien qu’elles aient continuĂ© Ă  parler entre elles Ă  voix haute.

 

Lorsqu’il a enlevĂ© son masque anti-Covid, je ne l’ai pas reconnu. Je suis pourtant assez physionomiste. Mais, Ă  part les yeux et le regard peut-ĂȘtre, dans la rue, je serais passĂ© Ă  cĂŽtĂ© de lui. Il avait le crĂąne rasĂ©. Avait minci. Une petite moustache taillĂ©e. Et portait la marque autour du cou de celles et ceux qui ont Ă©tĂ© gravement malades et pour lesquels une chirurgie lourde avait Ă©tĂ© nĂ©cessaire. Un cancer Ă©tait passĂ© par lĂ . J’avais aussi appris qu’il avait Ă©tĂ© de celles et ceux qui avaient attrapĂ© le Covid cette annĂ©e, en mars-avril. Il avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© plusieurs semaines puis avait repris.

 

De lui, j’avais le souvenir d’un homme trĂšs assurĂ©, trĂšs bon professionnel. Qui savait ce qu’il faisait. C’était ce qui Ă©manait de lui. MĂȘme si nous n’avions pas vraiment passĂ© de temps ensemble, il avait Ă©tĂ© un peu un modĂšle pour cela.

 

Un jour, il y a plus de trente ans, s’adressant Ă  quelqu’un que je devais connaĂźtre il avait dit, trĂšs content :

 

« Tu veux voir ma caisse ?! Â». A cette Ă©poque, tout juste adulte, je n’avais pas le permis. J’étais Ă  cet Ăąge oĂč, avec les premiers salaires, la voiture, les copains et les copines, on sort la nuit et on « profite Â» de la vie. J’avais tout Ă  apprendre pratiquement.

 

Nous avons repris nos marques en reparlant du passĂ©. Nous avons Ă©changĂ© Ă  nouveau des noms et des prĂ©noms inconnus Ă  notre entourage immĂ©diat. Alors que parmi ces collĂšgues immĂ©diats se trouvaient vraisemblablement des personnes qui le connaissaient intimement depuis des annĂ©es, maintenant.  Et, moi, le « nouveau Â», celui qui faisait moins que son Ăąge, j’arrivais avec ça.

 

Lorsque j’ai mentionnĂ© la date de notre derniĂšre rencontre, 1989, le collĂšgue avec lequel je venais de terminer une deuxiĂšme nuit de travail de suite, un « nouveau Â» comme moi, mais un petit peu plus ancien dans le service, s’est exclamĂ© :

 

« En 1989, j’avais deux ans ! Â».

 

Ma fille a dĂ©sormais un peu plus que deux ans. Tout Ă  l’heure, avec elle, j’ai de nouveau regardĂ© quelques vidĂ©os de Jacob Desvarieux, l’un des fondateurs du groupe de Zouk Kassav’, dĂ©cĂ©dĂ© il y a quelques jours.

J’en ai parlĂ© dans un de mes articles rĂ©cents intitulĂ© : Jacob Desvarieux. Dans mon blog, on trouvera d’autres articles relatifs Ă  Kassav’ dans la catĂ©gorie Moon France.

 

Sur Youtube, je suis tombĂ© sur cette vidĂ©o de quelques minutes lors de l’enterrement de Jacob Desvarieux. Quatre hommes en costume portent son cercueil et se mettent Ă  zouker sur un de ses  titres : KavaliĂ© O Dam. ( Pour ĂȘtre plus exact : ces quatre hommes dansent le quadrille dans sa version crĂ©ole)

Ma fille Ă©tait assise sur mes genoux alors que nous regardions ça. J’ai trouvĂ© ça beau ! ça m’a…touchĂ©. Et encore plus parce-que je pouvais regarder ça avec ma fille.  Elle m’a demandĂ© oĂč Ă©tait Jacob Desvarieux, ou, pourquoi il Ă©tait dans le cercueil. Je lui ai alors rĂ©pondu :

« Parce qu’il est mort Â».

En regardant cette vidĂ©o, j’aurais aussi bien aimĂ© ĂȘtre le dĂ©funt qu’ĂȘtre Ă  la place d’un de ces quatre hommes qui portent le cercueil.  

 

Sur une autre vidĂ©o, un homme interrogĂ© a dit ce que la mort de Desvarieux lui faisait. On aurait dit un pĂȘcheur d’une soixantaine d’annĂ©es. Il s’est exprimĂ© en CrĂ©ole. J’ai pris l’initiative de traduire ses propos Ă  ma fille
  jusqu’à ce qu’elle me fasse comprendre que cela l’agaçait. Je lui ai alors demandĂ© en souriant :

« Ah, bon ! Ou KonĂšt PalĂ© KrĂ©yol ?! Â» (« Ah, bon, tu sais parler CrĂ©ole ?! Â»).

 

Je fais attention Ă  l’usage du CrĂ©ole avec ma fille. Afin qu’il ne soit pas un geste de colĂšre. Je le parle mal mais je sais ce qu’une langue peut crĂ©er en soi de sensible. Et je le rĂ©serve Ă  des moments agrĂ©ables avec elle. Lecture de contes. Quelques formulations.

 

Le dĂ©cĂšs de Jacob Desvarieux a Ă©tĂ© une bonne occasion, de plus, de filer la langue crĂ©ole sur le comptoir de ces instants vĂ©cus avec ma fille. Si je le pouvais, je parlerais aussi le CrĂ©ole rĂ©unionnais et haĂŻtien en plus d’autres langues. Dont L’Arabe et le Japonais.

 

J’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ©, en Ă©voquant devant mon collĂšgue masquĂ© certains prĂ©noms et noms d’anciens collĂšgues avec lesquels il avait travaillĂ© directement, qu’il martĂšle plusieurs fois, ce verdict :

 

« Il est mort ! Â».

 

Au point que j’ai fini par lui dire, presque Ă©tonnĂ© :

 

« Mais, on finit par mourir un jour, de toutes façons ?! Â».

 

Il m’a regardĂ© en silence, comme s’il disposait d’un plan secret pour Ă©viter ça. Mais qu’il le gardait pour lui. Ou qu’il Ă©tait encore trop tĂŽt pour en parler. J’ai alors compris la raison pour laquelle il reculait la date de son dĂ©part Ă  la retraite prĂ©vu initialement pour cette annĂ©e.

 

Je ne suis pas fort. Mais je trouve que l’on fait aussi toute une histoire avec la mort. C’est ce que je me suis dit en regardant ces quelques vidĂ©os sur Jacob Desvarieux. J’avais oubliĂ© de parler de ses solos de guitares qui, lors des concerts de Kassav’, Ă©taient un passage obligĂ©. Et, personne ne s’en plaignait.

 

Afin de coller Ă  notre Ă©poque, j’ai aussi pris le temps de regarder avec ma fille quelques vidĂ©os de Billie Eilish. Ce sera peut-ĂȘtre son futur d’adolescente. Billie Eilish doit aujourd’hui avoir Ă  peu prĂšs l’ñge que j’avais lorsque j’avais rencontrĂ© mon aĂźnĂ© Ă  la Maison de Nanterre, vers le milieu ou Ă  la  fin de mes annĂ©es d’études d’infirmier. C’Ă©tait aussi la pĂ©riode oĂč Kassav’ et le Zouk, d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, dĂ©bordaient aux Antilles. 

 

J’ai Ă©tĂ© un peu gĂȘnĂ© par quelques postures et images de la demoiselle Elish. Pour ma fille qui est encore en dessous de l’Ăąge de l’adolescence.

J’ai compris assez facilement ce qui peut expliquer le succĂšs de la jeune femme (Billie Eilish) :

La maitrise de l’image et du son. Certaines provocations et mimiques Ă  connotation sexuelle ou sensuelle ou comment titiller les tĂ©tons et les limites. Le style vestimentaire. La voix Ă©raillĂ©e et supportĂ©e par la technique. L’énergie spĂ©cifique Ă  cet « Ăąge Â» de la vie. Les thĂšmes interprĂ©tĂ©s comme artiste et personne plutĂŽt que comme une victime claustrĂ©e. Le fait aussi qu’elle chante en Anglais. Dans l’article consacrĂ© Ă  Desvarieux et Kassav’, j’ai appris tout Ă  l’heure que des pressions avaient Ă©tĂ© exercĂ©es sur le groupe afin qu’il chante…en Français. Comme La Compagnie CrĂ©ole. Cette volontĂ© comme ce projet sont pour moi inconcevables. MĂȘme si je sais qu’une artiste comme l’Islandaise Björk a aussi dĂ» son succĂšs international Ă  l’usage de l’Anglais ( comparativement Ă  l’artiste Mari Boine); ou que Bob Marley a dĂ» transposer ses idĂ©es depuis son argot jamaĂŻcain Ă  travers le garrot d’une langue anglaise plus accessible au grand public, le rythme d’une musique a aussi ses rĂšgles et ses conditions pour que ses auteurs et ses interprĂštes restent en adĂ©quation avec lui !   

Eilish, “native” de la langue anglaise n’a pas eu Ă  subir ce genre de chantage de l’industrie du disque. 

Sur scĂšne, accompagnĂ©e de deux ou trois musiciens et de machines dĂ©vouĂ©es, Eilish se sert de sa voix et de son corps tels des processeurs qui lui obĂ©issent au doigt et Ă  l’Ɠil.

 

Ensuite, Eilish est dĂ©ja arrivĂ©e Ă  ce stade de la cĂ©lĂ©britĂ© oĂč celle-ci recycle l’enthousiasme du public qui, en grossissant, attire de nouvelles personnes. Comme moi qui, aprĂšs avoir aperçu un ou deux articles rĂ©cemment Ă  son sujet, ai dĂ©cidĂ© de pousser la porte numĂ©rique de Youtube afin de me faire une idĂ©e. Pourquoi ? Parce-que sur le mĂȘme journal oĂč figurait un hommage Ă  Desvarieux se trouvait aussi un article sur Eilish et que c’était la deuxiĂšme fois en moins de dix jours que dans un journal, je la voyais soit en couverture ou dans les colonnes d’un article.

 

De Billie Eilish ( existe-t’il un rapport avec Billie Holiday ?), Ă  Jacob Desvarieux et Kassav’ en passant par cet aĂźnĂ© de dix ans- et collĂšgue- revu trente ans plus tard, il y a de multiples façons de se rencontrer soi-mĂȘme. Et de se voir. Je me suis senti un peu malade Ă  la suite de ma rencontre avec cet aĂźnĂ©. Je me suis mĂȘme demandĂ© si, Ă  son contact chargĂ©, j’avais attrapĂ© le Covid. Non pour son Ă©tat de santĂ©. Mais pour son Ă©tat d’esprit.

 

La mort de Jacob Desvarieux ne m’a pas mis dans cet Ă©tat d’esprit. Pour Billie Eilish, on verra selon la façon dont elle dĂ©cĂšdera. J’espĂšre bien-sĂ»r que ce sera le plus tard possible pour elle et que ce sera une assez belle mort.

Une mort Ă  la Amy Winehouse me catastrophe. J’ai l’impression d’ĂȘtre le tĂ©moin privilĂ©giĂ© et impuissant d’une dĂ©tresse en direct. Et je n’aime pas ça !  

Pour nous avoir aussi Ă©vitĂ© ça, Ă  nouveau un trĂšs grand merci Ă  Jacob Desvarieux. Comme on dit en CrĂ©ole, MĂ©ci On Pil !

 

Franck Unimon, ce vendredi 13 aout 2021

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Moon France Musique

Jacob Desvarieux

Jacob Desvarieux, Ă  la guitare, au centre. A gauche, Ă  la basse, Georges DĂ©cimus. FĂȘte de l’HumanitĂ©, 2019. Photo©Franck.Unimon

                                  

                                                 Jacob Desvarieux

La fatigue attendra.

 

J’étais un “Moon France” adolescent occupĂ© de CrĂ©ole, lorsque j’ai entendu pour la premiĂšre fois la voix de Jacob Desvarieux Ă  la radio. Sa voix « blues et macho Â» comme en parlerait Jocelyne BĂ©roard, des annĂ©es plus tard.

 

Ce devait ĂȘtre Ă  Morne Bourg, chez mes grands parents paternels. Ou Ă  CarrĂšre, chez ma grand-mĂšre maternelle. A la campagne. Je dirais,  plutĂŽt durant les congĂ©s bonifiĂ©s de 1983 en juillet et en aoĂ»t que durant ceux de 1980.

 

 

Pour le titre Oh, Madiana !

 

 

Il y avait aussi eu le titre Zombi. Aujourd’hui, c’est amusant de se dire que ce titre Ă©tait sorti aux Antilles avant le Thriller de MichaĂ«l Jackson dont on nous parle «  en corps Â».

 

Le Oh, Madiana ! de Desvarieux m’avait plu. Desvarieux avait alors une bonne bedaine et portait souvent une salopette. C’était environ deux ou trois ans avant que le zouk de Kassav’ ne me cloue et ne me rĂ©cupĂšre dans une boite de nuit, au quartier de la DĂ©fense oĂč, avec mon entraĂźneur d’athlĂ©tisme et des copains de notre club de Nanterre, nous venions de voir en concert le groupe Apartheid Not.

 

Les premiĂšres notes de guitare de Desvarieux sur le Zouk-La-SĂ©-Sel-MĂ©dikaman-Nou-Ni suivies de sa voix grave « An Nou Ay ! Â» avaient eu le temps de s’insĂ©rer dans ma tĂȘte alors que nous nous en allions.

 

De la musique antillaise, j’en entendais depuis mon enfance. En France et aux Antilles. Georges Plonquitte, Simon Jurad, les Aiglons, les Vikings, Ibo Simon, Perfecta, les « squales Â» de la musique haĂŻtienne, tous les « Combo Â» : Bossa, Tabou, Sugar et tous les autres, haĂŻtiens ou non. Plusieurs tubes de ces groupes font partie de mon histoire que j’en connaisse les titres ou non. Mes compatriotes ont souvent cru que, parce-que j’étais nĂ© en MĂ©tropole, que les ondes des musiques de « lĂ -bas Â», du « pays Â», mais aussi qu’une certaine mĂ©moire, coulaient dans l’ocĂ©an bien avant d’arriver jusqu’Ă  la MĂ©tropole ( la France) oĂč grandissaient les Moon France comme moi.

 

En Guadeloupe, le Oh, Madiana ! de Desvarieux m’avait Ă©tonnĂ©. Peut-ĂȘtre pour son cĂŽtĂ© funky qui le diffĂ©renciait d’une frĂ©quente production antillaise. 

 

Quelques annĂ©es plus tard, alors que nous Ă©tions en train de quitter cette boite de nuit de la DĂ©fense oĂč nous venions d’écouter le groupe Apartheid Not, un garçon qui entrait dans la salle pour danser s’était alors Ă©tonnĂ© :

 

« Mais, vous partez ?! Â». Un de ses amis l’avait alors entraĂźnĂ© en lui disant :

« Laisse-les, ils ne connaissent rien Ă  la musique ! Â».  Nous avions dĂ» retenir notre ami JĂ©rome qui, courroucĂ©, que l’on porte atteinte Ă  sa vie privĂ©e musicale, avait trĂšs mal pris ce jugement. Car, nous Ă©tions Ă  cet Ăąge oĂč, comme la plupart des jeunes, nous Ă©tions d’éminents spĂ©cialistes et critiques musicaux. Des musiques et des dĂ©couvertes, nous en faisions rĂ©guliĂšrement en allant les chercher. Nous Ă©coutions par exemple du jazz, du free-jazz. Miles Davis, pour nous, Ă©tait aussi frĂ©quentable ( ou allait le devenir) que Stevie Wonder, Black Uhuru, Sun Ra, Bob Marley, Aswad, Eddy Grant, Burning Spear, Steel Pulse, Stanley Clarke ou Georges Duke. En plus de The Jacksons, Marcus Miller, T-Connection, Prince, Rick James


 

« Ils ne connaissent rien Ă  la musique ! Â».

Durant pratiquement l’intĂ©gralitĂ© du concert d’Apartheid Not, nous avions Ă©tĂ© Ă©tonnĂ©s par l’incorrection permanente des spectateurs. Un spectateur ( un homme noir) avait mĂȘme lancĂ© lors d’un solo du batteur plutĂŽt rĂ©ussi un « No Good ! Â» avec un accent francisĂ©. Lui et d’autres spectateurs n’attendaient qu’une chose :

Que la musique de cette boite de nuit commence. Et, ça avait dĂ©butĂ© par ce titre de Kassav’ chantĂ© par Jacob Desvarieux.

 

An-Nou-Ay ! ( « On y va ! Â»/ On dĂ©colle ! Â» ).

 

La bonne musique de Desvarieux et de Kassav’, je l’ai retrouvĂ©e ensuite bien des fois. En Guadeloupe, lors d’autres sĂ©jours.

 

En concert. A Basse-Terre. Mais aussi en mĂ©tropole, Ă  Nanterre, Ă  l’ancien parc de la mairie. A La DĂ©fense Arena ( en 2018 ?) puis Ă  la fĂȘte de l’HumanitĂ© en 2019.

 

 

L’annĂ©e derniĂšre, lors du premier confinement dĂ» Ă  la pandĂ©mie du Covid, sur les rĂ©seaux sociaux, j’avais reçu l’annonce que Desvarieux Ă©tait malade. L’information avait Ă©tĂ© rapidement dĂ©mentie par Desvarieux ou un(e ) de ses proches.

 

Le fait que ce genre d’annonce erronĂ©e puisse circuler m’avait contrariĂ©. Puis, je m’étais rappelĂ© que la perte d’un membre pouvait faire mourir un groupe. Et qu’un groupe comme Kassav’,  lui, avait tenu 40 ans ! Ce qui est exceptionnel. Peu de grands groupes durent autant avec un public aussi nombreux Ă  leurs concerts. Les Rolling Stones. Un petit peu, Led Zeppelin. Quels autres grands groupes ? AC/DC ? Des groupes de Rock, le plus souvent.  

Desvarieux, MarthĂ©ly, derriĂšre, Naimro. J’ai oubliĂ© le nom du saxophoniste. FĂȘte de l’Huma, 2019. Photo©Franck.Unimon

 

Mais, cette fois, Jacob Desvarieux est bien mort. Ma mĂšre me l’a confirmĂ© tout Ă  l’heure au tĂ©lĂ©phone, depuis la Guadeloupe.

 

Lors du concert de Kassav’ Ă  la DĂ©fense Arena- oĂč nous Ă©tions cent mille spectateurs nous avait annoncĂ© Desvarieux- celui-ci avait fait un petit peu d’humour quant au fait que Kassav’ ne pourrait peut-ĂȘtre pas fĂȘter ses cinquante ans de carriĂšre. Des photos gĂ©antes de Patrick St-Eloi avaient aussi Ă©tĂ© affichĂ©es durant le concert.

 

Le propos du zouk et du titre Zouk-La-SĂ©-SĂšl-MĂ©dikaman-Nou-Ni, c’est de pouvoir continuer Ă  danser, Ă  vivre et Ă  rĂȘver malgrĂ© les diverses scories de la vie. GrĂące Ă  la musique. GrĂące au Zouk, ce genre musical Ă©peronnĂ©, Ă©talonnĂ©, par quelques personnalitĂ©s dont Desvarieux au sein du groupe Kassav’ et qui a modifiĂ© le courant musical des Antilles  En travaillant. En osant. En se perfectionnant. En se professionnalisant encore davantage. En se diversifiant. Tout en se remĂ©morant.

 

Ce sera ça que je prĂ©fĂšrerai, d’abord, retenir de Jacob Desvarieux.

 

FĂȘte de l’Huma, 2019. Au centre, Jacob Desvarieux. Photo©Franck.Unimon

 

Photos, vidĂ©os, article  par Franck Unimon, Moon France, ce samedi 31 juillet 2021.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Gagner plus d’argent

 

Gagner plus d’argent

 

Quantités et cent façons

 

 

La façon dont je gagne de l’argent a plus d’importance que sa quantitĂ©. J’ai failli Ă©crire :

 

« La façon dont je gagne de l’argent commence Ă  avoir plus d’importance
 Â».

 

Puis, j’ai un petit peu rĂ©flĂ©chi et je me suis corrigĂ©. Depuis le dĂ©but, la façon dont je le gagne, cet argent, ce miroir, cette excroissance particuliĂšre de soi, a eu plus d’importance que sa quantitĂ©. C’est un automatisme et un conditionnement si bien assimilĂ©s depuis des annĂ©es que je l’avais oubliĂ©. Ça m’a inspirĂ© spontanĂ©ment beaucoup de mes choix lorsque, vers ma majoritĂ©, accĂ©dant au monde des adultes mais aussi Ă  celui de mes « libres Â» choix, je me suis dirigĂ© vers un mĂ©tier plutĂŽt que vers un autre. Vers une relation plutĂŽt que vers une autre. Vers certaines destinations plutĂŽt que vers d’autres. Vers certaines discriminations plutĂŽt que vers d’autres. Vers certaines expĂ©riences plutĂŽt que vers d’autres.

 

Il n’y a aucune noblesse dans mon attitude de dĂ©part.

 

La peur du chĂŽmage au moins, la peur du monde ainsi que le peu de valeur que je m’accordais, plus que l’adĂ©quation avec mes aspirations profondes, m’ont fixĂ©. Puis, prĂ©sentĂ© certaines dĂ©cisions et objectifs comme « rĂ©alistes Â» pour une personne comme moi.

 

RĂ©alisme que d’autres refusent et ont refusĂ©.

 

Avec plusieurs annĂ©es de retard, une trentaine, j’ai Ă©coutĂ© et rĂ©Ă©coutĂ© hier l’album Live At Reading du groupe Nirvana « de Â» feu Kurt Cobain. Le concert date de 1992. Un cd de plus empruntĂ© Ă  la mĂ©diathĂšque de ma ville il y a environ quinze jours avant qu’elle ne ferme pour quinze jours, pour la premiĂšre fois, pendant l’Ă©tĂ©. Je verrai bien si, lors de sa rĂ©ouverture, la nouvelle obligation de prĂ©senter un pass sanitaire sur un lieu public- pour causes de pandĂ©mie due au Covid- me privera dĂ©sormais de l’accĂšs Ă  la mĂ©diathĂšque oĂč j’ai mes habitudes. Et oĂč j’emmĂšne ma fille rĂ©guliĂšrement depuis qu’elle a moins de un an. ( Dans la peau d’un non-vaccinĂ©)

 

Sans a priori, pourtant, on peut dire que mes rapports avec le rĂ©alisme diffĂšrent de ceux qu’ont entretenus Kurt Cobain et les autres musiciens du groupe avec lui.

 

A priori :

 

 

En 1992, je « connaissais Â» le groupe Nirvana par son titre Smells like Teen Spirit. Un titre que j’aimais bien alors que Nirvana, la musique grunge, ne faisait pas partie, a priori, de mes entitĂ©s musicales.

 

A priori.

 

Car, pour paraphraser l’humoriste DĂ©do qui avait pu demander, avec son allure de hard-rocker ou de gothique « Est-ce que j’ai une gueule Ă  Ă©couter du Zouk ?! Â», en 1992, j’étais « dans Â» d’autres genres musicaux que le grunge. Et, pour en avoir fait et refait l’expĂ©rience, je ne crois pas que la majoritĂ© des adeptes de Nirvana de cette Ă©poque ou d’aujourd’hui, soient prĂȘts Ă  Ă©couter du Zouk, du Dub, de la Salsa, du Maloya ou du LĂ©woz. Et, encore moins Ă  en danser.

 

Les adeptes de Nirvana prĂ©fĂšrent entrer – et rester- dans d’autres atmosphĂšres afin de chasser leurs fantĂŽmes ou de communier avec eux. Pourtant, dans beaucoup de ces univers de « gratteux Â», lorsque l’on regarde de plus prĂšs Ă  la source des religions musicales de ces prĂȘtresses et de ces prĂȘtres du Rock – pour Ă©lectrifier ou simplifier – on retrouve des croisements et des inspirations « Ă©tonnantes Â».

 

Le Bluesman Leadbelly pour Kurt Cobain ? BB King pour Bono du groupe U2 qui, dix ans avant Nirvana, dans les annĂ©es 80, avait sans doute eu le mĂȘme Ă©clat ?

 

Et, avant U2, AC/DC, dans les annĂ©es 70, dont l’écoute de quelques titres en concert suffisent pour retrouver le goulot du Blues ?

 

En nommant AC/DC, U2 et Nirvana, je cite seulement trois groupes musicaux qui, avant l’avĂšnement du Rap, et mĂȘme aprĂšs son avĂšnement (nous sommes le mardi 27 juillet 2021) aujourd’hui encore, je le crois, vont parler Ă  beaucoup de personnes.

 

Jeunes et moins jeunes. Adeptes de Rap ou d’autres genres musicaux.

 

Au dĂ©part, je n’avais pas du tout aimĂ© le groupe U2 et son titre Sunday, Bloody Sunday par exemple. Mais j’avais aimĂ© With or Without you avant d’autres titres. Comme avec la musique classique, lorsqu’un musicien ou un compositeur « compte Â», il y a toujours une Ɠuvre ou un titre que l’on va aimer ou que l’on a aimĂ© sans le savoir.

 

Si des jeunes d’aujourd’hui, comme je l’ai « Ă©tĂ© Â», font d’abord la grimace en entendant  parler de AC/DC, de U2 ou de Nirvana ou de leurs titres, c’est peut-ĂȘtre parce qu’ils ne sont pas encore suffisamment « mĂ»rs Â» ou suffisamment « sĂ»rs Â» de ce qu’ils ressentent pour s’apercevoir que ces groupes, comme bien d’autres groupes de diffĂ©rents genres musicaux, parlent d’eux.

 

Je n’étais pas suffisamment « mĂ»r Â» pour m’apercevoir de l’importance du groupe NTM lorsque le groupe existait dans les annĂ©es 90. Pourtant, je le « connaissais Â». J’avais mĂȘme achetĂ© le Cd d’un de leurs albums :

 

J’appuie sur la gñchette.

 

Mais, si j’étais allĂ©, seul, au ZĂ©nith au concert de Mc Solaar (concert qui m’avait déçu) comme Ă  celui, Ă  l’Olympia, du groupe I AM (un des meilleurs concerts auxquels je sois allĂ©) j’avais manquĂ© de courage pour aller Ă  celui de NTM.

 

Ce n’était pas la musique de NTM qui m’avait effrayĂ©.  Car certaines musiques font « peur Â». 

 

C’est le public de NTM qui m’avait fait peur.

 

Je n’avais pas de bande, de potes ou d’amis Ă  mĂȘme de me protĂ©ger ou de me dĂ©fendre si, en me rendant Ă  un de leurs concerts, dans les annĂ©es 90, on avait commencĂ© Ă  me chercher noise. Je voulais aller Ă  un concert. Pas Ă  un combat UFC contre plusieurs assaillants potentiels pour une histoire de casquette, de blouson ou d’apparence.

 

Je ne me posais pas ce genre de question pour ma sĂ©curitĂ© ou ma survie en me rendant, souvent seul, aux autres concerts. Je me l’étais et me la suis posĂ© seulement pour un concert de NTM dans les annĂ©es 90.

 

 Et, c’est seulement aprĂšs la dissolution du groupe, vers 2005, que je m’étais aperçu de l’importance du groupe dans ma vie. En rĂ©entendant certains titres. En voyant certains passages de leur concert.

 

Avant 2005, mĂȘme si j’avais aimĂ© plusieurs des tubes de NTM, je rejetais moralement l’image et certains des comportements du groupe (de Joey Starr en premier lieu) au travers de divers faits divers commentĂ©s et trĂšs mĂ©diatisĂ©s.

 

Le temps me semblait sĂ»rement cimentĂ© alors que des groupes comme NTM ou Nirvana savent le fracturer et promouvoir leur Ă©closion au travers des fissures lĂ  oĂč je m’arrĂȘtais devant le mur.

 

La Base de L’Oncle Tom ?

 

Pour l’élaboration d’une bonne pizza, il faut commencer par la base, c’est Ă  dire la qualitĂ© de la pĂąte alimentaire que l’on utilise, les ingrĂ©dients, le tour de main, la tempĂ©rature de la cuisson et ensuite le type de four que l’on emploie.

Etais-je de la bonne pa-pĂąte Ă  Oncle Tom ?

 

Vingt ans plus tĂŽt, au lycĂ©e Joliot-Curie de Nanterre, Pascal, un « grand Â», Rasta, l’antithĂšse de l’Oncle Tom, musicien, ami d’un ami qui faisait alors figure, pour moi, de grand frĂšre de substitution, m’avait subitement interpellĂ© :

 

« Qu’est-ce que tu fais ?! Â».

 

C’était jour de classe et je venais d’entrer dans la cour du lycĂ©e. Pascal, ancien basketteur, plus ĂągĂ© que moi d’un ou deux ans, plus grand que moi de vingt bons centimĂštres, Ă©tait debout, appuyĂ© contre un arbre chĂ©tif situĂ© sur un petit promontoire. Tel un surveillant observant la façon dont les uns et les autres pĂ©nĂ©traient en dĂ©filant dans le lycĂ©e. Une fonction complĂštement officieuse. Pascal devait ĂȘtre en terminale. J’étais en premiĂšre. A cĂŽtĂ© de lui,  se trouvait un autre garçon Ă  peu prĂšs de son Ăąge.

 

Devant ce tribunal improvisĂ©, j’avais Ă©tĂ© dĂ©sarçonnĂ©. Cette interpellation ne faisait pas partie des matiĂšres prĂ©vues dans mon emploi du temps.  

 

Je m’étais senti obligĂ© de rĂ©pondre. Je « connaissais Â» Pascal. Je l’admirais et le craignais aussi. Son autoritĂ©. Son allure. Son assurance. Tout cela, Ă©videmment, j’en Ă©tais dĂ©pourvu. Je me sentais son infĂ©rieur.

 

J’avais rĂ©ussi Ă  rĂ©pondre : « Je vais Ă  l’école
 Â».

Pascal avait alors rĂ©pĂ©tĂ©, avec un air un peu sardonique : « Tu vas Ă  l’école ?! Â». A ses cĂŽtĂ©s, l’autre « grand Â» s’était marrĂ© tout doucement en se tournant vers Pascal. Pour ajouter : « Il va Ă  l’école
 Â».

 

J’aurais pu rĂ©pondre que c’était dĂ©jĂ  plus que bien que je sois au lycĂ©e, et assez bon Ă©lĂšve. Mes parents, d’origine modeste, avaient accĂ©dĂ© Ă  la classe moyenne, en quittant jeunes leur Ăźle natale et tropicale – plus tard, j’allais apprendre que leur Ăźle natale faisait rĂȘver beaucoup de monde par ailleurs- pour la France.

 

Mon pĂšre, afin de m’assurer un avenir, avait eu le projet pendant des annĂ©es de faire de moi un futur mĂ©canicien de voitures. Moi qui ne savais mĂȘme pas changer une roue de vĂ©lo et qui Ă©tais beaucoup plus un petit intello Ă  lunettes qu’un manuel. Hier encore, mĂȘme si je me suis un peu civilisĂ© pour certaines Ɠuvres manuelles, juste pour essayer devant ma fille une nouvelle petite pompe Ă  vĂ©lo trĂšs esthĂ©tique -prĂ©sentĂ©e comme trĂšs pratique par la vendeuse- je n’ai pas Ă©tĂ© trĂšs convaincu par mes compĂ©tences. Ainsi que par la pertinence de mon achat.

 

Mais pour mieux rĂ©pondre Ă  Pascal, il aurait dĂ©jĂ  fallu que je comprenne Ă  qu’avoir obtenu l’accord de mon pĂšre pour aller au lycĂ©e revenait presque au fait d’accĂ©der Ă  une grande Ă©cole du genre l’ENA, Polytechnique ou Sciences Po. Cela, grĂące Ă  l’intervention de ma prof de Français de 3Ăšme, Mme Askolovitch /Epstein.

 

Peut-ĂȘtre que certaines et certains de mes camarades connaissaient ces grandes Ă©coles. Je pense Ă  ceux qui m’étonnaient dĂšs le dĂ©but de l’annĂ©e scolaire lorsqu’ils lĂąchaient un :

« J’ai regardĂ© le programme de cette annĂ©e Â». Ou qui se montraient plus que critiques sur tel collĂšge ou tel lycĂ©e dont le niveau avait « baissĂ© Â».

 

Evidemment, mes parents et les membres de ma famille, eux, n’avaient jamais Ă©tĂ© concernĂ©s par ces histoires de « programme de l’annĂ©e Â», de « niveau qui avait baissĂ© Â» ou par l’existence de ces grandes Ă©coles.

 

Par contre, la mécanique automobile, niveau BEP, ma famille connaissait.

 

Nous Ă©tions au milieu des annĂ©es 80. L’époque de François Mitterrand, PrĂ©sident socialiste. De U2. Ou de Kassav’pour celles et ceux qui savent. Quelques annĂ©es aprĂšs AC/DC. Avant Nirvana. NTM n’existait alors pas en tant que groupe de Rap.

 

Alors, Kool Shen, Joey Starr, ou MC Solaar et AkhĂ©naton, qui ont Ă  peu prĂšs le mĂȘme Ăąge que moi, auraient pu ĂȘtre des « connaissances Â» si nous avions habitĂ© dans la mĂȘme citĂ© ou dans les mĂȘmes environs. Des personnes que j’aurais pu saluer ou dont j’aurais pu connaĂźtre le nom et certains « faits Â». Comme cela a Ă©tĂ© le cas pour plusieurs jeunes de ma citĂ© et des environs que je croisais ou dont les noms parfois circulaient.  Je me rappelle encore des noms de famille et des prĂ©noms de certains.

Que ces jeunes aient « mal Â» tournĂ© ou se soient « bien Â» intĂ©grĂ©s dans la sociĂ©tĂ© et le monde des adultes. Des jeunes qui, comme les fondateurs de Nirvana ou de NTM, Ă  un moment ou Ă  un autre, ont Ă©tĂ© en colĂšre et tristes comme beaucoup de jeunes mais qui ont voulu prendre du bon temps et ont suivi certaines rĂšgles autrement, d’abord les leurs,  lorsque le monde des adultes s’est rapprochĂ© d’eux et que leur tour d’y entrer est arrivĂ©.

 

Hormis pour Hypokhagne, je ne peux pas affirmer que connaĂźtre alors l’existence de l’ENA, Polytechnique, Sciences Po ou d’autres grandes Ă©coles, aurait beaucoup changĂ© mes « choix Â» d’orientation Ă  la fin du lycĂ©e. Mais nos dĂ©cisions peuvent changer ou Ă©voluer selon les perspectives et les exemples que l’on connaĂźt prĂšs de soi ou autour de soi. Avec les expĂ©riences que l’on s’autorise.

 

Peut-ĂȘtre Ă©tais-je un Oncle Tom dĂšs le lycĂ©e ? Moi qui avais dĂ©jĂ  lu plusieurs livres de Richard Wright, sans doute de Chester Himes, qui Ă©coutais du Bob Marley Ă  la maison depuis mon enfance ; qui m’intĂ©ressais Ă  la philosophie, et qui, avant mes dix ans, avais eu droit Ă  des leçons rĂ©pĂ©tĂ©es de mon pĂšre Ă  propos de l’esclavage ?

Je m’intĂ©ressais aussi aux Black Panthers, Ă  Malcolm X et Ă  Martin Luther King, Ă  L’ANC et Ă  Nelson Mandela, alors encore en prison. Mais rien de cela ne transparaissait dans mon comportement de lycĂ©en scolaire et  soumis. On peut ĂȘtre un Oncle Tom lettrĂ©.

 

Ce jour-lĂ , j’avais rĂ©ussi Ă  rĂ©pondre plutĂŽt timidement Ă  Pascal et Ă  son partenaire :

 

« J’écris des poĂšmes
 Â».

 

Si son comparse, sans doute un annexe secondaire, s’était tu, Pascal, lui, de maniĂšre surprenante, avait donnĂ© du crĂ©dit Ă  cette nouvelle donnĂ©e.

 

Il ne m’a pas dit : «  C’est trĂšs bien. Continue ! Â». Ni : « Ce serait bien que tu me montres Â». Mais j’ai perçu que ces quelques lignes que j’avais pris l’habitude de tracer sur des feuilles de papier m’avaient donnĂ© un petit peu plus de consistance Ă  ses yeux. MĂȘme si je ne voyais pas en quoi ce que j’écrivais me distinguait tant que ça de toutes celles et tous ceux qui allaient « seulement Â» Ă  l’école, j’avais compris que je faisais quand mĂȘme quelque « chose Â» qui trouvait grĂące Ă  ses yeux. Je n’étais pas un Oncle Tom ou un benĂȘt en voie de finalisation.

 

Je veux bien croire que Pascal ait rapidement oubliĂ© cette anecdote. Comme il a pu oublier qui je suis, alors que je m’en rappelle encore plus de trente annĂ©es plus tard. Ce genre de situation m’arrive rĂ©guliĂšrement. Plusieurs annĂ©es plus tard, je reconnais et me rappelle de personnes qui m’ont totalement oubliĂ©. Ceci pour dire comme j’étais peu marquant comme individu.

 

Il y a Ă  peine deux semaines, j’ai refait le mĂȘme coup Ă  quelqu’un. La derniĂšre fois que je l’avais vu, c’était
en 1989. Il ne se souvenait absolument pas de moi. J’ai pu lui restituer le contexte avec tellement de dĂ©tails qu’il a Ă©tĂ© obligĂ© d’accepter que notre rencontre avait bien eu lieu.  Comme lui dire, qu’à cette Ă©poque, le tube de Laurent Voulzy qui passait Ă©tait Le Soleil donne. Et qu’au cinĂ©ma, on parlait pas mal du film Faux-semblants  de David Cronenberg. Finalement, avant de se rendre dĂ©finitivement, il a fini par me demander :

« Mais comment ça se fait que tu te souviens de moi ?! Â».

Je lui ai alors rĂ©pondu, trĂšs sĂ»r de moi :

« Pourquoi je ne me souviendrais pas de toi ?! Â».

 

En cherchant sur internet il y a quelques annĂ©es, j’ai appris que Pascal Ă©tait devenu Ă©ducateur spĂ©cialisĂ©. Je n’ai pas l’impression qu’il ait continuĂ© de faire de la musique pour des raisons que je ne m’explique pas. Et, la derniĂšre fois que je l’avais croisĂ©, cela devait ĂȘtre Ă  l’universitĂ©. Il avait alors rasĂ© ses locks et Ă©tait devenu facteur Ă  vĂ©lo.

 

Le hasard veut que l’homme que j’avais rencontrĂ© en 1989- et Ă  qui j’ai fait la surprise de le reconnaĂźtre rĂ©cemment- porte aujourd’hui des locks et est musicien. En 1989, je ne le savais pas musicien ( ou je l’ai oubliĂ©) et il avait une coupe de cheveux plutĂŽt similaire Ă  celle de Pascal, la derniĂšre fois que j’avais croisĂ© celui-ci et qu’il Ă©tait devenu facteur.

 

Nirvana :

En Ă©coutant et en rĂ©Ă©coutant hier cet album live du groupe Nirvana, j’ai eu l’impression d’écouter et d’entendre ce qui me manquait dans ma jeunesse. Et ce qui fait, en principe, le panache de la jeunesse avec l’insouciance :

 

 Le fait de vivre sans s’arrĂȘter et sans contrĂŽle.

 

Le groupe Nirvana, et Kurt Cobain, me font penser Ă  des personnes qui, dans un restaurant, casseraient tout. Que l’on applaudirait ensuite. Et Ă  qui l’on glisserait discrĂštement Ă  l’oreille :

« Vous avez fait ce que j’avais envie de faire depuis longtemps Â». « Ou trĂšs souvent Â».

 

Et, au moment de payer l’addition et les rĂ©parations, les spectateurs ou tout un tas de mĂ©dias et de personnalitĂ©s les plus diverses se dĂ©pĂȘcheraient soit de rĂ©pĂ©ter :

 

«  C’est de l’art ! Ce n’est pas Ă  eux de payer ! Ils ont raison ! Â». Rapidement, quelqu’un justifierait leur comportement et expliquerait en quoi, lĂ , prĂ©cisĂ©ment, le fait d’avoir tout cassĂ© dans ce restaurant, Ă©tait un acte salvateur et nĂ©cessaire pour la sociĂ©tĂ© et le monde entier.

 

La diffĂ©rence entre Nirvana, ou tout groupe, artiste ou personnalitĂ© qui casse ainsi la baraque, symboliquement ou concrĂštement, et le citoyen lambda ou scolaire, c’est d’abord d’ĂȘtre les premiers Ă   « dĂ©frayer la chronique Â» lĂ  oĂč la majoritĂ© le pense et le souhaite mais n’ose pas le faire.  

 

Ensuite, l’autre diffĂ©rence avec la majoritĂ©, c’est que ces artistes et ces personnalitĂ©s sont prĂȘtes Ă  assumer les risques de leurs comportements. Sur leur vie et sur leur santĂ©. Ou acceptent d’ĂȘtre regardĂ©s de travers par la majoritĂ© voire provoquent cette majoritĂ©, ou cet ordre social ou autre, qui les contraint ou cherche Ă  les contraindre.

 

Leur attitude n’est pas gratuite. On parle alors de SincĂ©ritĂ© de leur engagement. Lequel engagement servira ensuite d’exemple ou sera reconnu par une bonne partie de la majoritĂ©. C’est ce que l’on appelle la « commercialisation Â» ou la « rĂ©cupĂ©ration Â». Ou la reconnaissance. Si ces artistes ou ces personnalitĂ©s ont la chance, ou la malchance – Kurt Cobain comme d’autres artistes a trĂšs mal vĂ©cu l’énorme succĂšs de Nirvana- d’arriver Ă  la bonne Ă©poque. En prĂ©sence des tĂ©moins qui rendront compte ; qui sauront bien expliquer l’Ɠuvre ; et qui sauront aussi trouver les moyens qu’il faut pour dĂ©fendre l’Ɠuvre, les artistes ainsi que leur souvenir.

 

Le citoyen lambda ou scolaire, lui, s’il se met Ă  tout casser dans un restaurant, terminera en garde Ă  vue. Cela sera peut-ĂȘtre marquĂ© dans son casier judiciaire. Sauf s’il est reconnu irresponsable au moment des faits car sous le coup de troubles psychiatriques.

 

Cet incident, si le citoyen lamba ou scolaire, a un emploi « normal Â» comme la majoritĂ© des citoyens, peut lui faire perdre son emploi. Et, il devra, seul, rembourser les rĂ©parations de ses dĂ©gĂąts dans le restaurant. S’il a de la chance, et s’il avait contractĂ© une bonne assurance, celle-ci pourra peut-ĂȘtre l’aider financiĂšrement. S’il a moins de chance, sa femme le quittera peut-ĂȘtre. Ou, elle le trompera avec le restaurateur qui aura besoin de consolation.

 

Les artistes ou les personnalitĂ©s, elles, pourront voir, jusqu’à un certain degrĂ©, leur CV se bonifier avec ce genre de dĂ©gĂąts. Elles se feront peut-ĂȘtre inviter par le restaurateur oĂč tout cela s’était passĂ©. Afin de les remercier pour toute la bonne publicitĂ© que l’incident a apportĂ© Ă  l’établissement. Le citoyen lambda ou scolaire, lui, devant le mĂȘme Ă©tablissement, sera dĂ©clarĂ© tricard. Au mieux, s’il s’y prend bien, il aura peut-ĂȘtre le droit de faire la manche ou d’obtenir l’autorisation de venir vendre des fleurs aux clients du restaurant.

 

 

 Je crois que l’on s’attache, non Ă  un marchand de fleurs, mais Ă  un groupe de musique, ou Ă  un auteur en particulier, parce qu’il exprime nos manques. Nos peines. Parce qu’il « display Â»- il dĂ©voile ou exprime- ce courage qui nous a manquĂ© ou que l’on aurait voulu avoir en certaines circonstances et Ă©tapes de nos vies. Car qui, n’a pas eu envie, un jour ou l’autre, dans certaines situations, de tout casser et s’est retenu ?

 

Ce genre d’expĂ©riences et de miroir avec un groupe ou une personnalitĂ©, n’a pas d’époque,  d’ñge ou de genre musical ou mĂȘme de domaine de discipline spĂ©cifique.

C’est pour cela que le nom d’un groupe, ses origines, sa couleur de peau, son style de musique ou sa langue importent peu. Tout ce qui compte, c’est le moment, oĂč, dans notre existence, la rencontre avec notre « double Â» ou notre « alter-ego Â» public est possible et se fait.

 

Il y a tant de rencontres et d’opportunitĂ©s ratĂ©es, avec soi-mĂȘme et avec les autres, que lorsque certaines de nos rencontres rĂ©ussissent, nous faisons le plein- et Ă  ras bord- de ces rencontres. Par la musique ou dans d’autres domaines.

 

Sauf que pour qu’un Nirvana, un AC/DC, un U2, un Bob Marley, un NTM, Un MC Solaar ou un I AM « rĂ©ussisse Â», beaucoup d’autres Ă©chouent. Et, davantage encore, en deviennent spectateurs. Faute de pouvoir tout casser, prendre des drogues ou des positions ultimes, autant laisser d’autres le faire Ă  notre place. Et, pour quelques unes et quelques uns d’entre eux, Nirvana ou d’autres, une certaine rĂ©ussite arrive.

 

 Car la rĂ©ussite, pour ces artistes et ces personnalitĂ©s, n’est pas totale.

 

Finir comme Kurt Cobain ? Il y en a quelques unes et quelques uns que cela fait et fera rĂȘver. Selon moi, une minoritĂ©, et Ă  une certaine pĂ©riode de la vie comprise, allez, entre 13-14 ans et…. 30 ans. Car c’est la pĂ©riode des ( plus) grands engagements. Corps et Ăąme. 

 

Mais, d’une part, mĂȘme si l’on a aujourd’hui entre 13 et 30 ans, c’est trop tard pour prendre la place de Kurt Cobain. A moins de dĂ©cider de devenir son sosie.

Ensuite lui, comme bien d’autres cĂ©lĂ©britĂ©s, n’avait pas prĂ©vu ce qui lui est tombĂ© dessus comme succĂšs. Il y a tant d’artistes inconnus aujourd’hui qui le seront encore demain ou aprĂšs demain, ou dans plusieurs annĂ©es, alors qu’ils sont actuellement en activitĂ©. Plus ou moins douĂ©s. Plus ou moins engagĂ©s. Plus ou moins dĂ©vouĂ©s. 

 

 Et puis, rĂȘver et nous souvenir de nos rĂȘves, souvent, nous suffit. Autrement, nous serions trĂšs nombreux Ă  avoir des vies qui ressemblent Ă  celles des membres de groupes de musique, des auteurs, et des personnalitĂ©s, que nous admirons tant.

 

Voir et acheter

 

Je parlais d’argent au dĂ©but de cet article. Au fait de gagner plus d’argent. Plusieurs fois par jour, depuis des annĂ©es, nous voyons gratuitement ce que nous pourrions vivre. Nous le voyons de maniĂšre si familiĂšre, que mĂȘme en nous appliquant Ă  ĂȘtre raisonnables,  nous finissons par acheter.

 

Nous baignons dans ce monde. Voir et acheter. Voir et vivre. Voir et participer. Voir et vouloir en ĂȘtre.

 

En rĂ©Ă©coutant cet album de Nirvana, hier, je me suis demandĂ© comment j’avais pu ĂȘtre aussi sourd Ă  l’époque. Puisqu’ Ă  part le titre Smells Like Teen Spirit et le fait de me rappeler qu’Eric B- un collĂšgue psychiatre dont les compĂ©tences et le personnage m’avaient marquĂ©- avait parlĂ© de ce groupe, je n’ai rien fait pour Ă©couter davantage Nirvana. Donc, pour m’écouter moi-mĂȘme d’une certaine façon.

 

Gagner plus d’argent est devenu une obsession avant le fait de vivre. Ce constat donne plutît envie de tout casser. Ou de voler.

 

Chaque article que je fais sort peut-ĂȘtre de mon kit de survie contre cette obsession.

 

Aujourd’hui, cet article est sorti de mon kit parce qu’hier, j’ai Ă©coutĂ© et rĂ©Ă©coutĂ© la musique en concert du groupe Nirvana. Autrement, j’aurais peut-ĂȘtre parlĂ© du film The Black Widow avec l’actrice Scarlett Johansson que j’ai vu au cinĂ©ma il y a bientĂŽt deux semaines maintenant.

 

D’autres n’ont pas ce kit.

 

 

Franck Unimon, ce mardi 27 juillet 2021.

 

 

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Moon France Musique

Erykah Badu

 

           Erykah Badu

 

 

Ses albums sont placĂ©s derriĂšre les barreaux depuis plusieurs annĂ©es maintenant. Parfois vingt.  Pourtant, ils continuent de nous libĂ©rer. Pourtant leurs canons ont fait et continuent de faire la jeunesse d’artistes que l’on Ă©coute aujourd’hui.

 

Quand on est jeune.

 

Si le corps essuie et colmate avec des rythmes les gestes qui, dans la vie courante, nous manquent ainsi que les bruits que l’on cache et qui nous braquent, notre esprit, lui, dĂ©truit ou non, est la gomme qui efface les distances entre les Ɠuvres et nous.

 

Plus jeune, j’avais entendu parler d’Erykah Badu. Je l’avais Ă©coutĂ©e. SĂ»rement en regardant et en Ă©coutant d’autres plus jeunes qui Ă©coutaient les Fugees, Macy Gray, Kelis, Alicia Keys et sont probablement, aujourd’hui, passĂ©s Ă  autre chose.

 

Autre chose.

 

Moi, le vieux, depuis peu, je rĂ©Ă©coute ses albums. J’en ai empruntĂ© Ă  la mĂ©diathĂšque prĂšs de chez moi. J’en ai un achetĂ© un, neuf, vendredi, Ă  une femme d’une trentaine d’annĂ©es, enceinte de plus de six mois, Ă  Mairie de Montreuil, prĂšs d’un marchand de fleurs. Le lieu du rendez-vous avait Ă©tĂ© choisi par la vendeuse. Deux ou trois jours  plus tĂŽt, j’avais commis un impair. Trop attachĂ© Ă  ce que j’écrivais, j’avais pris trop de retard. Mais, cette fois, j’avais plus d’une demi-heure d’avance. Je lui ai de nouveau prĂ©sentĂ© mes excuses. Je lui ai donnĂ© un peu plus que ce qui Ă©tait prĂ©vu pour le disque. J’ignorais qu’elle Ă©tait enceinte.

 

Aujourd’hui, j’entends autrement les titres d’Erykha Badu. Je croyais pourtant qu’avec les ans, on devenait sourd. Peut-ĂȘtre pas. Je repense Ă  mon pĂšre, tiens. Le premier amateur de musique que j’ai connu. Pourquoi, vers ses quarante ans, a-t’il arrĂȘtĂ© d’acheter des disques comme d’écouter de la musique Ă  la maison ? Lui, qui Ă©tait allĂ© jusqu’à acheter des magazines de musique spĂ©cialisĂ©s tels Rock & Folk et Best. Des magazines dans lesquels des critiques, qui se dĂ©vouent Ă  la musique, passent leur vie Ă  en Ă©couter, Ă  aller Ă  des concerts, Ă  rencontrer des artistes. Puis, Ă  en parler et Ă  donner envie de les Ă©couter et d’en discuter avec d’autres.

 

La musique, ça a Ă  voir avec la vie mais aussi avec notre enfance et notre jeunesse. Alors, mon pĂšre a-t’il arrĂȘtĂ© de vivre vers ses quarante ans comme beaucoup d’autres ? Ou a-t’il considĂ©rĂ© que tout cela Ă©tait anecdotique et coĂ»tait trop d’argent pour si peu d’épanouissement ?

 

On arrĂȘte tous de faire quelque chose Ă  un moment ou Ă  un autre, de notre vie. Mentir. Vomir. Sucer son pouce. Faire du sport. Sortir. Rire de tout.

 

Certaines personnes nous expliqueront que cela correspondait Ă  une Ă©tape de leur vie. Et que tout cela appartient dĂ©sormais au passĂ©. Mais est-on toujours obligĂ© de le croire ?

 

A quarante ans, nĂ©anmoins, j’ai arrĂȘtĂ© d’aller danser. De danser. Je me sens un peu fautif. Surtout envers ma fille. Enfant et ado, j’ai des souvenirs de soirĂ©es antillaises (mariages, baptĂȘmes, communions) oĂč beaucoup de gens dansaient, discutaient et mangeaient pendant des heures dans des grandes salles. Et, parfois, deux ou trois se bagarraient. Je me suis racontĂ© des histoires, certains soirs, Ă  regarder tout ce monde. Mais j’ignorais que ce que je voyais et entendais Ă©tait exceptionnel. Ce que nous voyons et entendons peut ĂȘtre exceptionnel. C’est nous, qui l’oublions.

A ces soirĂ©es, je n’ai pas pris de notes. Je n’en prenais pas. Je n’ai rien filmĂ©. Je n’avais pas de camĂ©ra. Je n’ai pas pris de photos. Et les quelques photos qui ont Ă©tĂ© prises l’ont Ă©tĂ© par d’autres regards et d’autres intentions. Mais j’ai appris Ă  gesticuler. Ou à
danser.

 

 

J’ai Ă©tĂ© un peu triste, lorsqu’un jour,  un petit a demandĂ© Ă  sa mĂšre si, Ă  leur mariage, elle et son pĂšre, avaient dansĂ©. Elle a rĂ©pondu un peu gĂȘnĂ©e, intimidĂ©e par cette question posĂ©e en public, comme si le sujet Ă©tait osĂ© :

« Non, on n’a pas dansĂ© Â». Elle avait une trentaine d’annĂ©es et Ă©tait plutĂŽt d’un abord avenant. C’était au conservatoire d’Argenteuil, au Val d’Argenteuil. J’avais emmenĂ© ma fille Ă  son cours de danse. A son cours d’initiation Ă  la danse et au chant. On emmĂšne au conservatoire nos enfants pour qu’ils apprennent ce qui a pu et peut s’apprendre dans les soirĂ©es voire entre copains et copines. Ou chez la tante, le grand-pĂšre ou avec la cousine ou le cousin.

 

Je ne sais pas quoi penser de ma « dĂ©fection Â» Ă  propos de la danse. Si ce n’est que, certaines fois, je me dis que j’en ai assez de rĂ©pĂ©ter les mĂȘmes gestes. Pourtant, je n’aime pas penser que, pour moi, la danse, c’était l’armĂ©e. On danse aussi pour arrĂȘter d’ĂȘtre des bĂȘtes traquĂ©es.

 

J’ai peut-ĂȘtre eu moins besoin de m’échapper. Et, aussi, celles et ceux que je frĂ©quente dĂ©sormais sont plus installĂ©s dans leur vie et davantage portĂ©s sur la parole. Ou, souvent aussi, quand mĂȘme, nous parlons des mĂȘmes
. sujets.

 

J’imagine qu’Erykah Badu, mĂȘme si son dernier album a quelques annĂ©es, a continuĂ© de danser et de chanter. Si une Me’Shell NdĂ©geocello ou une Björk ont pu se mettre en danse sur scĂšne, cela se passait autrement pour Miles Davis. Par contre, j’ai appris qu’Erykah Badu avait dirigĂ© la rĂ©Ă©dition d’albums de Fela. Mon pĂšre avait un de ses albums Ă  la maison. Mais il ne le mettait pas souvent. Et il n’achetait plus de disques lorsque Kassav’ a Ă©mergĂ©. Et encore moins lorsque d’autres artistes de zouk sont ensuite arrivĂ©s tel Jean-Michel Rotin qui fait partie des anciens, maintenant.

 

Comme Erykah Badu.

 

Rimshot, en concert, a Ă©tĂ© le titre qui a reposĂ© Erykah Badu sur mon atlas musical. Et, tout cela, suite Ă  un stage d’apnĂ©e Ă  Quiberon, en Bretagne, avec mon club le mois dernier. Parce-que j’ai fait des photos. Et qu’ensuite j’ai fait deux  diaporamas, un long et un court, et qu’à chaque fois cette chanson d’Erykah Badu a Ă©tĂ© celle que j’ai mise au premier plan.

 

De l’apnĂ©e en Bretagne, et, aussi, de la chasse sous-marine, Ă  Erykah Badu. Nos directions et notre façon d’écouter la vie restent assez imprĂ©visibles. Notre façon d’écouter, surtout. Car, souvent, le reste suit. A plus ou moins long terme.

 

Franck Unimon, ce dimanche 6 juin 2021.  

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Corona Circus Musique self-défense/ Arts Martiaux

Say Hello, Wave Good Bye

 

 

 

Say hello, wave good bye

Cette chanson du groupe Soft Cell, sortie en 1981, m’a toujours beaucoup touchĂ©e. Bien qu’elle soit moins connue que son tube : Tainted Love.

 

 

A nouveau, je viens d’essayer de chanter sur Say Hello, Wave Goodbye en mĂȘme temps que son interprĂšte, Marc Almond. J’ai probablement chantĂ© faux.

Mais, cette fois, pour la premiĂšre fois, je suis restĂ© dans « ma Â» voix. Enfin, je crois m’ĂȘtre au mieux rapprochĂ© de ce qui est ma voix. Car, Ă  chaque fois, auparavant, je me faisais aspirer par celle de Marc Almond fuselĂ©e pour passer des graves aux aigus. Evidemment, je finissais, Ă  chaque fois, par «m’asphyxier Â» et racler mes limites vocales. Cela devait ĂȘtre plus que moche Ă  voir et Ă  Ă©couter. Fort heureusement, pour l’instant, je n’ai jamais cru en ma carriĂšre de vocaliste. MĂȘme si chanter m’attire depuis des annĂ©es. Au mĂȘme titre que faire de la musique.

 

Chanter, jouer de la musique, Ă©crire, ce sont des activitĂ©s d’abord humaines, qui, si elles ne permettent pas de devenir « riches Â» et « cĂ©lĂšbres Â» matĂ©riellement, autorisent Ă  ĂȘtre soi-mĂȘme. Seul ou avec d’autres. Et Ă  vivre, autrement, seul ou avec  d’autres, connus, ou inconnus, ce temps qui passe, qui nous occupe ou nous accule. Dans une certaine sincĂ©ritĂ©.

 

Il existe plein d’activitĂ©s humaines. Certaines plus nĂ©cessaires que d’autres. Certaines plus volontaires. Et, d’autres, plus interdites. Que ces activitĂ©s soient bĂ©nĂ©fiques ou nĂ©fastes, toutes ces activitĂ©s ont lieu. Nous les faisons. Nous y assistons. Nous en entendons parler. Puis, nous en parlons, en rĂȘvons, tentons de faire pareil. Ou, au contraire, nous nous taisons et nous Ă©loignons. Parfois pour des « bonnes Â» raisons. D’autres fois, non. Car quelle bonne raison pourrait-il y avoir, si l’on en a envie, de s’interdire de prendre le temps de chanter ou d’apprendre Ă  chanter ? A Ă©crire ? A jouer de la musique ? Si cela nous plait. Si cela nous ouvre Ă  nous-mĂȘmes mais aussi Ă  certaines Ă©motions.

 

Ce titre, Say Hello, Wave Good Bye raconte une histoire triste. La musique est fort peu dansante. PlutĂŽt nostalgique. J’avais 13 ans lorsqu’elle est sortie, en 1981. Il n’y a rien d’exceptionnel dans le fait de filer une certaine nostalgie lorsque l’on a 13 ans. Une peine d’amour ou d’amitiĂ©. Une mauvaise note. Une mauvaise nouvelle dans sa famille.

 

En 1981, pourtant, j’avais plus Ă©tĂ© touchĂ© par la mort de Bob Marley. Sa musique Ă©tait familiĂšre grĂące Ă  la platine disque de mon pĂšre depuis plusieurs annĂ©es. En 1981, j’avais sĂ»rement entendu Tainted Love Ă  la radio. Parmi les tubes. Mais pas Say hello, Wave Good Bye. Et, jamais, je n’aurais entendu ou n’ai entendu de groupes du genre de Soft Cell ou Depeche Mode qui se sont faits connaĂźtre Ă  peu prĂšs en mĂȘme temps, Ă  la maison.

Cette musique, ainsi que d’autres, Ă©taient ignorĂ©es Ă  la maison. Et dans nos rĂ©unions familiales. Je ne pourrais mĂȘme pas dire qu’elles Ă©taient interdites. MĂȘme si ça revenait au mĂȘme : elles auraient Ă©tĂ© ignorĂ©es, mĂ©prisĂ©es. Ou, auraient Ă©tĂ© perçues comme l’empire du mal. Je repense encore, par moments, Ă  ce jour, oĂč, dans un mariage ou une fĂȘte antillaise, j’avais remplacĂ©, pour quelques titres un de mes oncles maternels qui Ă©tait le  DJ de cette soirĂ©e.

 

 

AprĂšs plusieurs titres antillais, j’avais dĂ©cidĂ© placĂ© sur une des platines le titre World in My Eyes
de Depeche Mode. Jusque lĂ , tout s’était bien passĂ©.

 

 

Mais, Ă  peine avais-je posĂ© ce titre, que, c’était comme si j’avais balancĂ© du Round Up sur la piste. En moins d’une minute, tous les danseurs et danseuses avaient dĂ©guerpi ! Ce n’était pas uniquement une histoire de goĂ»t ou de rythme. Mais, aussi, une affaire de prestige et de honte. J’imagine que cela aurait Ă©tĂ© la honte pour elle si une seule personne avait osĂ© danser sur ce titre. Mizik A Blan ! De la musique de Blanc !

 

Il est un certain nombre d’activitĂ©s vis-Ă -vis desquelles nous avons le mĂȘme comportement : nous considĂ©rons que ce n’est pas pour nous ! MĂȘme si rien ne nous interdit de les pratiquer ou de nous en approcher. Si ce n’est notre sentiment d’appartenance Ă  un groupe. Et la conception, assez superficielle, en surface, que nous avons de ce que nous sommes. Je me rappelle encore de mon petit frĂšre, ado, qui Ă©coutait du Rap avec ses copains, et qui, secrĂštement, en cachette et en ma prĂ©sence, avec ma « complicitĂ© Â», Ă©coutait
.Björk.

 

 

Car j’écoutais et j’aimais cette artiste que j’ai d’ailleurs « vue Â» trois fois en concert. Presque autant de fois que j’ai vu Miles Davis, Me’Shell NĂ©dĂ©geocello, Kassav’ ou Alain Bashung en concert
..

 

https://youtu.be/sJ7M3ht9rYI

 

 

J’ai dĂ©couvert ou redĂ©couvert Say Hello, Wave Good Bye lors d’un sĂ©jour supposĂ© linguistique en Ecosse, Ă  Edimbourg, en 1990. Un sĂ©jour affectivement consĂ©quent pour moi.

 

Dans ce titre, je suis sensible Ă  la tristesse. A cette dĂ©sillusion amoureuse. Sans doute ou peut-ĂȘtre parce-que lors de ce sĂ©jour, j’avais vĂ©cu une double rencontre amoureuse. Avant mon dĂ©part pour l’Ecosse. Puis durant mon sĂ©jour. Deux histoires contraires dont le contenu Ă©motionnel et sentimental m’ont portĂ© pendant des annĂ©es. Une, plutĂŽt Ă  distance, avec une Marseillaise. Une autre, avec une Parisienne, dĂ©jĂ  en couple.

 

Peu importe que Say Hello, Wave Good Bye raconte une histoire d’amour entre un homme et une femme ou pour un autre homme. Car j’ai plus tard appris, si je ne me trompe, que Marc Almond est homo. Et, s’il ne l’est pas, je n’ai aucune difficultĂ© Ă  croire que ce titre puisse ĂȘtre un classique pour une certaine gĂ©nĂ©ration d’hommes voire de femmes homos. Comme je n’avais pas a priori compris, lors de sa sortie, que le tube d’Elton John, I’M still standing, puisse ĂȘtre si important pour les homos touchĂ©s, percutĂ©s et persĂ©cutĂ©s par le Sida.

 

 

Tout ce que j’avais entendu Ă  l’époque, dans les annĂ©es 80, c’était un titre plutĂŽt dansant, assez funky. Je n’écoutais pas les paroles. Je ne comprenais pas le contexte. Pourtant, j’avais aussi peur du Sida. Et l’épidĂ©mie du Sida me concernait beaucoup. En tant que jeune adulte avec une sexualitĂ©. Mais, aussi, en tant qu’infirmier rĂ©cemment diplĂŽmĂ©.

 

Avec la pandĂ©mie du Covid, c’est pareil. Rien ne nous empĂȘche de nous livrer Ă  certaines activitĂ©s dont nous avons envie et besoin. MĂȘme s’il faut savoir se protĂ©ger. Car, certaines fois, c’est peut-ĂȘtre, aussi, de certaines de nos apparences dont il vaut mieux savoir se protĂ©ger :

 

Il y a quelques jours, en revenant du travail, sur mon vĂ©lo  pliant, j’ai dĂ©couvert tous ces gens Ă  nouveau en terrasse. Il faisait beau. TrĂšs beau. Et, moi, mĂȘme si je savais que tout cela avait existĂ© auparavant. MĂȘme si je comprenais ce besoin de sortir Ă  nouveau.  MĂȘme si j’irai sĂ»rement, aussi, Ă  une de ces terrasses un jour ou l’autre, j’ai nĂ©anmoins eu l’impression d’assister Ă  une mise en scĂšne.

 

J’ai eu l’impression que beaucoup de ces gens que j’ai aperçus, et, parmi eux, sans aucun doute, des amis, des proches ou des collĂšgues, voulaient affirmer que, pour eux, vivre, c’était absolument ça ! Presque revendiquer le droit d’ĂȘtre en terrasse face Ă  face. De fumer. De cloper Ă  l’air libre. De consommer. De refaire les magasins.

 

Pourquoi je fais le moraliste ? Pourquoi cela m’a-t’il dĂ©rangĂ© Ă  ce point alors que je l’ai moi-mĂȘme fait et refait ? Et que je le referai ?! Moi, aussi, je me rendrai bientĂŽt sur une terrasse en plein Paris


 

Je fais le moraliste parce-que, subitement, ce jour-lĂ , et parce-que la pandĂ©mie a dĂ©ja durĂ© un certain temps, je me suis peut-ĂȘtre, et de maniĂšre assez provisoire sans doute, aperçu, que, pendant des annĂ©es, je m’étais accrochĂ© Ă  certaines activitĂ©s qui, finalement, Ă©taient peu nĂ©cessaires.

 

Etre en terrasse, oui, mais pour y vivre quoi et avec qui ?!  Juste pour s’y montrer ?!

 

On peut ĂȘtre en terrasse avec quelqu’un et ne rien vivre de particulier avec elle ou lui. Donc, pourquoi y rester ?! Pourquoi y revenir ?!  Pourquoi se l’imposer si ce n’est, principalement, pour ĂȘtre dans la norme ?!  Pour faire quelque chose. Pour ne se pas se confronter Ă  notre propre vide. A notre grande tristesse et Ă  notre grande solitude.

Pour ne pas devoir admettre que l’on passe une grande partie de son temps Ă  se vider de notre vitalitĂ© et de notre crĂ©ativitĂ© au lieu de lui donner les moyens de s’exprimer et de, vĂ©ritablement, nous libĂ©rer, nous aider.

 

Pour ne pas voir que l’on tourne rĂ©guliĂšrement en rond mais que, comme la majoritĂ© des personne que l’on voit et que l’on frĂ©quente agit de mĂȘme, hĂ© bien, cela nous rassure et nous encourage Ă  continuer de rester sur la mĂȘme piste de danse.

 

Il est plus facile et plus commode de faire la fĂȘte, d’ĂȘtre en terrasse en plein soleil avec d’autres que d’admettre que l’on est triste et dĂ©fait. Lorsque l’on est triste et dĂ©fait.

 

J’aime sans doute ce titre de Soft Cell (cellule douce) parce-qu’avec lui, comme avec d’autres, je m’autorise Ă  entendre et Ă  chanter ma tristesse et ma peine. Ce qu’il m’en reste. Ou ce que j’en ressens. Si la tristesse d’un Jacques Brel me fait dĂ©primer, celle de Say Hello, Wave Goodbye a plus tendance Ă  me donner un certain envol. Ensuite, si j’ai envie de bercer cette tristesse, de la distancer ou de la percer, j’écouterai du dub, du Reggae, du zouk, du Maloya, ou Miles Davis par exemple. 

https://youtu.be/ChZ1QU9pxZE

 

 

D’autres prĂ©fĂšreront Ă©couter du Rap, de la musique classique, du Rock, de la musique arabe, de la chanson française ou de la techno. La musique, cet ailleurs qui se joint Ă  nos coups de poings mais aussi Ă  nos soins intĂ©rieurs…

 

 

Mais quoiqu’il en soit, en terrasse ou non, nous vivrons les mĂȘmes Ă©motions (joie, espoir, tristesse, colĂšre, dĂ©sir ou dĂ©gout) Ă  un moment ou Ă  un autre. L’idĂ©al, ensuite, ce sera de pouvoir les vivre avec d’autres, ces Ă©motions. Que ce soit en terrasse. Ou ailleurs
.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 31 Mai 2021.