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En musique, j’écoute de tout : Erykah Badu, une Angela Davis qui chante.

Paris, 13 ème arrondissement. Dimanche 27 mars 2022 en allant au Spot 13.

En musique, j’écoute de tout : Erykah Badu, une Angela Davis qui chante

 

Au travail, il arrive que l’on « discute » de certaines actualités entre collègues. Les avis sont assez tranchés le plus souvent. Je ne prends pratiquement plus part à ce genre de discussions.

D’abord pour me mettre en retrait. Mais, aussi, parce-que je trouve que ce genre de discussions est de l’énergie gaspillée. C’est brasser de l’air. Peu importe ce que nous pensons du Président Poutine et de sa décision d’envahir l’Ukraine ce 24 février 2022 ! Cela ne changera rien. Bien-sûr, nous pouvons être tristes ou en colère. Ou inquiets. Mais affirmer qu’il faut faire ceci, qu’il faudrait faire ceci ne changera rien. Personne ne nous demande notre avis. Alors que nous pouvons être là, à tenir l’équivalent de ces discussions de comptoir ou de bar. Ou entre amis. Sans lendemain. Sans effet pratique sur notre vie ou sur celle du voisin. Sauf, peut-être, pour finir par nous disputer. En vain.

 

A moins de nous radicaliser.  

 

Cette nuit, au travail, je n’étais pas en voie de radicalisation. Un de mes collègues avait laissé de la musique sur Youtube sur un des ordinateurs. Des tubes des années 60 et 70. Il y avait les Bee Gees, par exemple, Village People….

 

A la place, je me suis mis à écouter et regarder un concert d’Erykah Badu.

https://youtu.be/2VH0GNuBNgE

 

Comme je l’ai expliqué à Chamallow qui passait par là, et a donc regardé un peu, alors que nous attendions une nouvelle admission, Erykah Badu faisait plus parler d’elle dans les années 2000. Et, je l’écoutais comme d’autres chanteuses noires américaines de ces années-là : Macy Gray, Kelis….

 

Badu n’était pas celle que j’écoutais le plus. Mais je la « connaissais ». Je savais qu’elle avait une aura particulière. Qu’elle était militante. Sans bien comprendre ce qui la rendait si différente des autres.

 

Je me rappelle, dans un documentaire ( Rize, je crois, réalisé en 2005, par David LaChapelle)  de l’attention/tension qui avait précédé son arrivée sur scène.

 

Puis, assez vite, une fois sur scène, j’avais trouvé que, finalement, Erykah Badu, ce n’était pas si fort que ça.

 

A cette époque, j’étais sans doute beaucoup « dans » Miles Davis, Björk, Me’shell Ndégeocello, Sinéad O’Connor, Massive Attack ou Jean-Michel Rotin et d’autres artistes. De dub, y compris. Cela me parlait en priorité.

 

Erykah Badu, c’était « plus » la génération de ma sœur ou de mon frère, plus jeunes que moi. Plus dans le Rap. Même si Badu chante bien plus qu’elle ne rappe. Et ses codes de femme noire militante devaient sans doute me rappeler, aussi, vaguement… Angela Davis.

Mais une Angela Davis qui chante. Or, j’étais, alors, moins, dans la fascination que j’avais pu avoir, lycéen, pour les Black Panthers, Nelson Mandela, Malcolm X, Martin Luther King. Et Badu, sans doute, s’alignait à la suite de ces figures, féminines et masculines (la coupe Afro de Badu à la suite de la coupe Afro de la Angela Davis des années 70) plutôt datées années 60 et 70 ( exception faite de Mandela) aux Etats-Unis.

 

Mais en faisant une musique « nouvelle ». C’est peut-être pour ça que Badu, dans les années 2000 ou voire 1990 m’a moins parlé qu’à d’autres, plus jeunes, et encore dans leur adolescence et leur constitution identitaire.

 

Sauf que depuis deux ou trois ans, chez Badu, ce n’est pas ce côté identitaire, femme noire militante et féministe, qui m’appelle. Mais, plutôt, cette transe, même si sur-jouée et minaudée.

 

Les femmes noires américaines, je trouve, ont une façon de chanter et de bouger comme si elles faisaient l’Amour. C’est sûrement le cas aussi pour d’autres artistes non noires ou non américaines. Regardons, par exemple, les chanteuses de Zouk aux Antilles.

 

Ou Aya Nakamura en France, désormais. Laquelle Nakamura, à ce que j’ai appris, et cela peut s’entendre dans sa musique, aime beaucoup le Zouk.

 

Mais il y a toute une tradition noire américaine, je trouve, qui consiste à exprimer ses sentiments et ses émotions par la voix et le corps. On « sent » et l’on voit que cela fait partie d’elles. Ce n’est pas du tout le même style qu’un Alain Souchon.

 

C’est un peu ce que j’ai essayé d’expliquer à Chamallow, cette nuit, mais en moins bien.

J’ai employé des mots moins recherchés. En m’excusant des clichés que j’employais. Lorsque j’ai parlé de « transe » pour Badu. Lorsque j’ai dit :

 

« Elle ne fait pas que chanter son texte ». Chamallow a poursuivi :

 

«  Oui, elle l’incarne…. ».

 

Bien-sûr, d’autres artistes, non noires et non américaines, sont tout autant capables de ça. Je me rappelle du titre A Love Song, sur l’album de Jah Wobble et interprété par Natacha Atlas que j’avais découverte, je crois, avec cette chanson. Une chanson que j’ai réécoutée et réécoutée. Là aussi, Natacha Atlas, des années avant sa reprise de Mon amie, la rose, ne fait pas que dire son texte. Et d’autres artistes d’autres pays, d’autres langues, d’autres musiques,  d’autres époques, femmes ou hommes, ont accompli et accomplissent ce que Natacha Atlas « fait » sur A Love Song.

 

Devant nous, cependant, sur l’écran de l’ordinateur, Badu poursuivait sa « performance ». Mais c’était plus qu’une performance. C’était son existence.

 

Même préparée, répétée, cette façon-là, d’être sur scène, de s’exprimer, même avec des « trucs », ne faisait pas toc. C’était peut-être artificiel. Mais c’était aussi très personnel. Son entente avec ses choristes, ses musiciens, était incontestable. Elle était la patronne, la meneuse. Mais ce n’était pas qu’une patronne et une meneuse. Il y avait du travail derrière pour être ensemble. Et on avait l’impression, j’ai l’impression, que tout le monde était content d’être là pour être ensemble à ce moment-là. Pour cette réjouissance. Cette libération.

 

Combien de temps et de travail, de répétitions, voire de conflits pour en arriver là ? Impossible à savoir. Je n’étais pas là. Nous sommes toujours absents pour voir et savoir ça. Tout ce que nous savons et retenons, c’est que nous aimons tel titre. Et que ce titre dure quatre minutes, cinq minutes, que ce soit en concert ou en studio, nous n’avons aucune idée de toutes les histoires qu’il y a derrière la structure et la composition de ce titre. Derrière la structure de ces milliers de chansons ou de musiques que nous aimons, que nous écoutons. Et c’est la vie. Nous faisons aussi ça, même entre nous, lorsque nous faisons connaissance.

 

Mais, peu importe. Cette nuit, au travail, j’étais bien en écoutant et regardant Erykah Badu. Puis, Chamallow est arrivée.

 

Au départ, Chamallow a confondu Erykah Badu avec l’actrice française présente dès la première saison (2015) de la série française Dix pour cent.  Il se trouve que j’ai vu- et beaucoup aimé- la première saison de Dix pour cent. J’ai donc rapidement compris de qui Chamallow parlait :

 

L’actrice Stéfi Celma.

 Cette confusion était un peu déroutante. Etonnante. Un peu amusante, aussi.

 

Lorsque l’on est dans une expérience que l’on veut faire partager à quelqu’un, on a déjà toute une histoire derrière soi. Et on peut croire que l’autre qui arrive en « cours de route » peut tout de suite nous rattraper alors que nous sommes lancés depuis des années.

Mais malgré sa bonne volonté et son intérêt, l’autre est souvent à un autre « degré » d’expérience- ou d’interprétation- par rapport à nous. Puisque notre intériorité ainsi que notre antériorité dans cette expérience intime est différente de la sienne. Lui et nous n’avons pas exactement la même histoire même si nous pouvons avoir des points communs. Et, même si nous avons vécu un événement identique ou à peu près identique, nous avons une façon différente de le vivre ou d’évoluer par rapport à lui.

 

C’est ce que Chamallow m’a rappelé en confondant Erykah Badu avec l’actrice et chanteuse française Stéfi Celma dont j’avais alors oublié le prénom et le nom.

 

J’ai dit à Chamallow que la musique est aussi « un véhicule » ( le terme n’est pas de moi). Et que tout en regardant et en écoutant Badu chanter et danser, certaines pensées et certains sujets émergeaient dans ma tête. Sans le préciser, mais j’imagine que cela se percevait dans ce que je disais, c’était une situation agréable. Les artistes que nous aimons ont généralement cette faculté. Certains œuvres d’artistes ouvrent certaines portes en nous, celles de notre inconscient, auquel celui-ci est plus sensible, plus réceptif. Et c’est pour cela que nous les aimons, les préférons.

 

Nous faisons sans doute pareil avec nos rencontres bonnes ou mauvaises. Sans toujours pouvoir en expliquer la raison. Miles Davis, je crois, me met en contact avec une tristesse obstinée et aussi assez définitive. Une tristesse opiniâtre et décidée à se mesurer au Temps. A l’emmurer. A rouler avec. A le dominer peut-être. A lui faire admettre qu’il n’est pas le Dieu tout puissant qu’il croit être. Ou qu’il semble être. A le faire douter. La musique de Miles, je crois, veut faire douter le Temps….

 

 

Badu, c’est autre chose. C’est le sourire. L’Amour. La sensualité. La vie, malgré tout. La combattivité qui s’enroule autour de soi. Tout en douceur. Malgré les douleurs. Les coups. Il n’y a pas de sourire chez Miles. Pas dans sa musique. Plutôt des éclaircies de tristesse, de deuil et de colère.

 

Mais je n’ai pas parlé de ça avec Chamallow. Ça, je le rajoute ici. Maintenant. A Chamallow, j’ai ensuite demandé ce qu’elle écoutait comme musique. De temps à autre, il m’arrive de poser ce genre de questions. Il est arrivé que l’on me réponde :

 

« J’écoute de tout ». Sans que l’on me dise ou me donne de noms de groupes ou d’artistes. Ce qui est assez invraisemblable pour moi qui ai eu besoin et ai toujours besoin, lorsque j’ai commencé à véritablement écouter de la musique, à stocker voire à croquer des références. Et puis, je ne comprends pas, je crois, qu’une musique ou qu’un artiste qui nous touche puisse rester pour soi inconnu ou anonyme.

 

Mais peut-être que ces personnes qui m’ont répondu, un jour, « J’écoute de tout », ont- elles préféré éviter de se « révéler » devant moi ? Il est vrai que certaines musiques et artistes sont peut-être plus difficiles à assumer. Il est vrai que certains goûts musicaux peuvent nous valoir, selon nos interlocuteurs, certains jugements de valeur.

 

Il est peut-être vrai, aussi, que pour certains, la musique est simplement là pour « mettre » de l’ambiance. Pour servir de décor. Pour être un bruit de fond. De la même manière qu’une télé allumée en permanence, qu’une machine à laver en activité. Afin de ne pas être seul. De se sentir moins seul. D’avoir l’impression d’être normal et « avec » les autres.

 

 

Pour moi, la musique, c’est plus que ça. C’est une recherche. C’est une descente en profondeur. C’est une expérience de soi à transmettre. Et ce n’est pas à négliger.

https://youtu.be/-63mVi4SDpE

Franck Unimon, mercredi 30 mars 2022.

 

 

 

 

 

 

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