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Pour les Poissons Rouges

Nous vivons à l’époque du Poulpe

Gare de Paris St Lazare, mars 2022.

 

Nous vivons à l’époque du Poulpe

 

 

Nous vivons à l’ époque du « Poulpe ».

 

Il nous faut par tous nos pores d’usage, notre dose d’émotions, de sensations, de vibrations, de jouissance, de satisfaction, d’excitation, d’exaltation, d’existence. Et cette dose, nous la trouvons, la prenons, la conquérons ou la recherchons, la perdons aussi, au travers de ces multiples prises, claviers, touches, bouches, conso et ces moyens technologiques qui sont devenus l’extension spontanée de nos fibres sensibles et de nos tentacules.

 

Nos moyens technologiques de communication et de diffusion puissants, poussés, ultra-calibrés et « illimités » nous entraînent dans une frénésie de « pubs », de « tubes », « d’achats », «  d’informations », de « voyeurismes », de « déclarations », de « narcissismes », « d’exhibitionnismes » ou de « cynismes » quasi-permanente.

 

Sans doute qu’une fois de plus dans l’Histoire de l’Humanité,  culmine à la fois en nous un certain sentiment totalitaire de toute puissance et d’invulnérabilité associé à son contraire. Soit une conscience presque autant acérée que nous n’avons peut-être jamais été autant vulnérables et menacés.

 

On dirait que plus nous sommes « évolués » et plus nous sommes condamnés à la descente.

 

Paradoxalement, au lieu de nous instruire véritablement, nous passons encore beaucoup de temps à nous distraire et nous séduire en nous racontant- à nous mêmes- des bobards.  Souvent les mêmes bobards : que nous sommes spéciaux et que, nous, nous échapperons aux tricots des asticots.  

 

 

PSYCHOTHERAPIES, PSYCHANALYSE Et ADDICTIONS ( Transfert et Contre transfert) Séminaire de ce Samedi 19 Mars 2022 de 9h30 à 12H30 à Sainte Anne ( Service d’Addictologie, Dr Xavier LAQUEILLE) avec Pierre Sabourin, Psychiatre, Psychanalyste et Claude Orsel, Psychiatre, Psychanalyste

 

L’intitulé de cet article à venir n’est pas glamour. On dirait presque l’entrée d’un cimetière ou d’un monastère. Donc, cet article fera beaucoup moins de vues qu’une fête à Ibiza. Pas plus, en tout cas, que n’en n’a fait mon premier article sur le Cinquentenaire de Marmottan ( Les cinquante Temps de Marmottan) il y a un mois, exactement, le 28 février dernier.

Paris, mars 2022.

 

Bien-sûr, en matière de diffusion et de communication, je pourrais et devrais faire beaucoup mieux afin de rendre son contenu attractif, plus dynamique et plus « jeune » :

 

Je pourrais transformer cet article en podcast. Je pourrais filmer des images, faire un montage et les montrer de manière plus « chaleureuse ». En continu. 

 

Paris, mars 2022.

 

 

Lors de ce séminaire du samedi 19 mars 2022, dont je parlerai bientôt, une fois de plus, Claude Orsel a filmé. En caméra fixe.

 

Sauf que Claude Orsel, pas plus que Pierre Sabourin et tant d’autres professionnels de Santé ou d’autres disciplines, n’est un homme de pubs ou de cinéma. Ce qui est donc un premier écueil afin de « draguer » plus de public. Alors que des professionnels tels que Pierre Sabourin et Claude Orsel ont plus à nous apprendre que bien des animatrices et des animateurs, ou certains journalistes télé, presse ou radio, beaucoup plus rémunérés, que l’on « voit », « lit » ou « entend » régulièrement depuis des années.

 

Le second écueil, tout autant évident, m’est apparu seulement récemment. Avec mon premier article sur le Cinquentenaire de Marmottan.

 

Pour moi, il est tout à fait normal d’évoluer dans l’univers de la Santé mentale. Car c’est un univers professionnel où j’ai choisi d’évoluer. Lycéen, à l’approche du Bac, si j’avais pu avoir la possibilité de faire des études longues, je me rappelle avoir eu envie de faire des études de « psycho » et de « philo ». Même si un cursus en psycho et en philo peut aussi faire bifurquer dans d’autres domaines professionnels (le réalisateur de cinéma Bruno Dumont a bien fait des études de philo), il y a néanmoins une continuité dans le fait, que j’aie choisi de travailler en psychiatrie adulte puis en pédopsychiatrie. Ce choix a été, pour moi, comme pour d’autres professionnels, un « processus » normal que de me retrouver, en partie, là. 

 

Cette « normalité » de choix, pour moi, m’a fait perdre de vue il y a très longtemps, que ce qui est ou peut être « normal » pour moi ne l’est pas pour d’autres. Pour beaucoup d’autres, en fait.

Pour un apnéiste de haut niveau, il est « normal » depuis très longtemps de descendre à cinquante mètres de profondeur avec une monopalme. Ou sans palmes.

 

Pour un chasseur de pêche sous-marine, il est tout autant « normal » de descendre à dix ou quinze mètres de profondeur, en pleine mer. De se poser sur les fonds, à l’agachon, et d’attendre qu’apparaisse le poisson, pour le « tirer » et remonter ensuite avec à la surface.  Et de faire ça pendant deux à trois heures en prenant le temps, bien-sûr, de reprendre son souffle, de s’alimenter et de boire de l’eau.

 

Pour l’apnéiste, le pêcheur à la ligne ou le baigneur lambda ou occasionnel, de telles pratiques relèvent de la folie, du danger, de la légende, du mysticisme ou de la mythomanie et sont des pratiques à fuir ou à bannir.

Gare St Lazare, Paris, mars 2022.

 

C’est pareil avec la Santé Mentale. Notre rapport à la Santé Mentale, c’est peut-être ce qui nous reste, dans notre modernité, de notre rapport à la sorcellerie. Il y a la « bonne » sorcellerie. Et il y a la « mauvaise » sorcellerie. Il y a la sorcellerie du cinéma ou de l’art que l’on peut accepter. Et il y ‘a la sorcellerie de la Santé mentale.

 

 

A moins d’y être attiré ou contraint par des événements le touchant personnellement ou professionnellement, l’individu lambda, spontanément, sera plus attiré par des « distractions », des « animations » ou des sujets plus faciles, plus divertissants ou plus « grand publics » que ceux croisés dans les services de la Santé mentale.

 

Paris, mars 2022.

 

 

Les distractions et les animations « grand publics » sont celles où l’on ne prend pas trop de risques en regardant, en s’approchant, en s’approchant. Ou celles que l’on a l’impression de contrôler. «L’impression » que l’on a d’une expérience, si l’on a l’impression de la contrôler, peut avoir plus d’importance que la dangerosité réelle de l’expérience. Si l’on a l’impression de ne pas pouvoir contrôler l’expérience, on peut être d’autant plus poussé à mettre un terme à l’expérience.

 

A Center Parks ou à Euro Disney, tout est fléché. On y va pour s’amuser, pour passer « un bon moment » et pour consommer en contrepartie. On est prêt à payer pour ce divertissement en toute sécurité. Et à y retourner si les tarifs et le rapport « qualité-prix » nous correspond. On accepte aisément cette forme de racket ou de « ciblage » consenti et tout à fait légal. Voire, on redemande de ce plaisir « fait sur mesure » et qui nous donne l’impression d’être important en nous garantissant une tranquillité et une sécurité si difficiles à trouver et à préserver en temps ordinaire : problèmes de train, embouteillages, factures, impôts, guerres, mauvaises nouvelles, augmentation du prix de l’essence, des taxes….

 

En Santé Mentale, c’est un peu le contraire qui se passe. On peut y passer de « bons moments ». Mais, il va falloir les créer soi-même.  Pour cela, il faut être un peu armé mentalement, moralement, intellectuellement, et être bien encordé. Etre encordé à d’autres collègues endurants, bienveillants, constants, aventuriers, expérimentés. Et imaginatifs.

 

Cela ne se trouve pas si facilement. Et pas tout le temps. En Santé mentale comme ailleurs, d’ailleurs. Avec les amis, les conjointes et les conjoints, des partenaires, des associés,  c’est un peu pareil mais c’est un autre sujet.

 

Je me rappelle de temps  à autre d’une phrase répétée par un de mes anciens médecins chefs dans le service où j’avais débuté en pédopsychiatrie, dans un service (fermé) de soins et d’accueil urgents :

 

« Le travail en pédopsychiatrie, c’est de l’alpinisme de haute montagne ».

 

La haute montagne, ici, n’a rien à voir avec l’Everest. Mais avec nos Histoires personnelles. Autant celles des patients que les nôtres, soignants, qui rencontrons celles des patients. Et je crois qu’il est bien des personnes qui préfèreraient sans aucun doute escalader dix Everest plutôt que d’avoir à rencontrer, pour de vrai, l’Histoire personnelle passée et présente, de quelques patients. En pédopsychiatrie ou ailleurs.

Paris, près de la Place de la Concorde, février ou mars 2022.

 

Pour faire dans le solennel, je crois que la plupart des sujets abordés en Santé Mentale concernent le plus grand nombre depuis…la nuit des Temps. Sauf que, depuis la nuit des Temps, la plus grande partie des personnes concernées préfère s’occuper, regarder et écouter ailleurs.

 

Car il y a un aspect très ardu dans la Santé Mentale, et qui peut faire fuir le plus grand nombre, autant que le jargon appuyé et invraisemblable certaines fois ou trop souvent employé. C’est le fait, je crois, de nous mettre assez frontalement devant nos propres Tabous et nos propres limites. Face à nos insuffisances. Et de devoir en répondre. Sans artifices. Sans rouler des mécaniques puisque cela ne sert à rien de rouler des mécaniques lorsque se trouve devant nos propres faiblesses.

 

Le cinéma, lorsqu’il aborde ces sujets, use d’artifices. Car le cinéma est un Art fait d’artifices, de maquillages, de décors, d’éclairages construits, de textes sus, appris, de comportements traduits et travaillés, d’une temporalité maitrisée, d’un budget programmé, de toute une logistique de repérage, de toute une aura, aussi, autour des « Stars » qui ont droit à certains privilèges. Il y a beaucoup de Stars. Celles que tout le monde voit.

Paris, mars 2022.

 

Et toutes les autres autour.

 

Et puis, une salle de cinéma, on y entre pour une durée donnée et déterminée à l’avance. Nous avons choisi le film et l’heure de la séance. Au pire, si cela se passe mal au cours de la « projection », il suffit de sortir de la salle. En Santé mentale, nous disposons de moins d’échappatoires. Il n’y a pas de chef décorateur, il n’y a pas d’assistant réalisateur, il n’y a pas de cascadeur, il n’y a pas de script, il n’y a pas de coiffeur ou de coiffeuse, il n’y a pas plusieurs prises….

 

Je me rappelle d’un grand producteur de cinéma, qui, au festival de Cannes, s’était beaucoup ému devant un film qu’il avait trouvé « particulièrement humain ». Je m’étais alors dit :

Mais s’il veut autant vibrer d’humanité, lui et tous ceux et toutes celles qui lui ressemblent, il n’a qu’à venir travailler en psychiatrie ou en pédopsychiatrie. Car En Santé Mentale, certains des verrous de nos divers maquillages, de nos certitudes et mises en scène sautent lorsque l’on pratique. Sincèrement et avec régularité.

 

Si l’on a réellement l’intention de se chercher et de se débusquer.

 

Alors qu’il est d’autres environnements, professionnels ou autres, où l’on peut plus facilement se raconter notre personnage, être insincère,  et  vendre cette image à d’autres qui vont se complaire ou se conforter dans ce qu’on leur donne à voir de nous. Dans une sorte de compromis où chacun a intérêt à se dissimuler, à jouer ou à se déguiser. Un peu comme sur les réseaux sociaux ou dans certaines soirées ou rencontres où l’on fait le « beau » ou la « belle ».

Gare de Paris St Lazare, mars 2022.

 

 

Je ne peux pas comprendre autrement, par exemple, le suicide, le 20 avril 2018, du jeune et célébrissime DJ Avicii «  âgé seulement de 28 ans ». DJ superstar, connu pour avoir fait danser et donné de grands et beaux souvenirs à des milliers de jeunes (et moins jeunes) fêtards dans le monde entier. Je vois au moins dans son suicide, celui d’un jeune homme qui, à un moment donné, et trop longtemps, s’est sacrifié pour que d’autres s’amusent, se rencontrent, fassent l’Amour, baisent, se défoncent et fassent du fric. Alors qu’il aurait mieux fait de s’arrêter et se demander qui il est et ce qu’il veut véritablement vivre. Quatre ans après sa mort, je ne suis pas sûr que, parmi celles et ceux qui l’ont pleuré après avoir dansé « avec lui » ou qui ont « chroniqué » sa mort dans les Média, que tous en soient arrivés à peu près à la conclusion – approximative- que je tire de son suicide. Son suicide, je pense, a sans doute été une information surprenante et sensationnelle qui saisit d’abord. Puis cette information a rejoint l’hémorragie de notre humanité dans un flot d’autres nouvelles désormais oubliées car débarrassées de leur lot d’étincelles faites de sensationnel, de stupeur, de peur, d’immédiateté et de vibrations.

 

 A titre de comparaison, même si le décès de Jacob Desvarieux, l’année dernière, ( un des fondateurs et meneurs du groupe Kassav’) a attristé, je crois qu’il ne fait pratiquement aucun doute que celui-ci avait eu sur scène, dans les studios de musique, et de par le monde, la vie qu’il avait souhaité avoir.

 

Pour moi, travailler en Santé Mentale, ou décider de venir y consulter, c’est au moins ça :

 

Décider, à un moment donné de s’arrêter de « fonctionner ». Et prendre le temps de se demander qui l’on est et ce que l’on veut véritablement vivre. Ce qui peut très mal s’accorder avec notre activité quasi permanente, voire paramilitaire, de poulpe.

Spot 13, Paris, mardi 22 mars 2022.

 

On dirait, parfois ou souvent, que notre vie doit seulement tenir dans le rythme ou à la cadence de la fibrillation cardiaque permanente.  Si les battements de notre cœur ralentissent, c’est la peur qui s’installe. Parce-que, fondamentalement, technologies surpuissantes ou non, nous avons toujours aussi peur du silence, du repos, de la pénombre, du vide, de la contemplation et de la solitude.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 28 mars 2022.

 

 

 

 

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