Les Cinquante Temps de Marmottan
Câest venu avec le temps.
De temps Ă autre, dans une Ćuvre ou parce-que nous sommes les porte-frontiĂšres dâune certaine « curiositĂ© », nous parviennent quelques informations sur des systĂšmes et des planĂštes Ă©loignĂ©es. Des endroits et des histoires survenues avant nous, qui nous survivront, et oĂč nous nâavons pas le souvenir ou lâexpĂ©rience dâavoir jamais mis les pieds.
Nous entendons alors parler de cycles, de satellites en orbite, de révolutions autour du soleil, de conditions particuliÚres et hors normes qui seraient pour nous, les communs des mortels, impossibles à vivre ou à approcher.
A moins de lâimaginer.
Marmottan mâa peut-ĂȘtre fait cet effet-lĂ . Parce-que je ne savais pas ce que je savais. Parce-que, pour savoir, il faut partir un peu de soi.
Partir un peu de soi : Qui est Marmottan ?
Marmottan a fĂȘtĂ© ses cinquante ans lâannĂ©e derniĂšre, en dĂ©cembre 2021.
Qui est Marmottan ?
Pendant des annĂ©es, pour moi, Marmottan Ă©tait un personnage Ă part entiĂšre de lâHistoire de la Psychiatrie.
CâĂ©tait aussi un nom : Olivenstein.
Lorsque jâai commencĂ© Ă travailler de maniĂšre Ă©tablie en psychiatrie Ă Pontoise, en 1992-1993, Olivenstein Ă©tait encore vivant.
Infirmier DiplĂŽmĂ© dâEtat en 1989, en 1992, jâavais dĂ©cidĂ© de rompre avec les services de soins gĂ©nĂ©raux (mĂ©decine, chirurgieâŠ) ainsi quâavec une certaine culpabilitĂ© de les quitter.
Parce quâĂȘtre un vĂ©ritable infirmier, cela consistait Ă se rendre utile dans les services de soins gĂ©nĂ©raux. A ĂȘtre capable de performer, de faire et de rĂ©pĂ©ter quelque chose de concret et dâimmĂ©diatement vĂ©rifiable :
Poser des perfusions, poser des sondes urinaires, faire des pansements et des prises de sang. Transfuser. Faire, poser, reproduire. Surveiller. RĂ©aliser les prescriptions.
Mais aussi : se taire. Suivre. Subir. Exécuter. Obéir.
AprĂšs trois annĂ©es de tentatives variĂ©es dans les services de soins gĂ©nĂ©raux ou soins somatiques, par intĂ©rim, ou par vacations, jusquâĂ Margate, en Angleterre, durant pendant un mois, la psychiatrie adulte avait fini par rĂ©apparaĂźtre, de façon idĂ©alisĂ©e, comme Ă©tant plutĂŽt lâopposĂ©.
Comme une expĂ©rience qui mâavait plu.
En psychiatrie, jâavais le sentiment dâĂȘtre moi-mĂȘme. De me rĂ©unifier. De me retrouver. De me reconstituer. De me dĂ©couvrir. Et cela mâĂ©tonnait que ce mĂ©tier dâinfirmier qui, depuis ma formation, avait sans scrupules piĂ©tinĂ© mes thĂ©ories de lycĂ©en pour me dĂ©charger dans la benne du monde du travail et de celui des adultes devienneâŠ.agrĂ©able. Tant dans mes relations avec les patients quâavec plusieurs de mes collĂšgues plus ĂągĂ©s et majoritairement diplĂŽmĂ©s en soins psychiatriques.
Ma rencontre avec ce service de psychiatrie adulte en tant quâinfirmier, alors que jâavais 24 ans, a selon moi dĂ©cidĂ© de la continuitĂ© de ma carriĂšre. Je crois encore que sans cette expĂ©rience en tant quâinfirmier, dans ce service de psychiatrie adulte oĂč jâavais effectuĂ© un stage lors de ma troisiĂšme annĂ©e dâĂ©tude dâinfirmier, que jâaurais trouvĂ© en moi la ressource de changer de mĂ©tier.
Aujourdâhui, en 2022, certaines personnes ont « besoin » dâun livre comme Les Fossoyeurs de Victor Castanet pour apprendre que les conditions de travail dans les Ă©tablissements de santĂ© peuvent ĂȘtre de plus en plus Ă©pouvantables. Alors que pour moi, dĂšs mes Ă©tudes dâinfirmier entre 1986 et 1989, le travail dâun infirmier dans les services dâhospitalisation de soins gĂ©nĂ©raux sâapparentait dĂ©jĂ beaucoup Ă du travail Ă la chaine, comme sur les chaines de montage dans une usine.
On peut aimer « ça » par tempĂ©rament ou Ă un moment de sa vie personnelle et professionnelle. Lorsque lâon aime ou que lâon veut que « ça bouge ». Lorsque lâon ne supporte pas dâĂȘtre là à « rien faire ».
Sachant que pour certains, le fait dâĂ©couter et de penser ; ou dâapprendre Ă penser par soi-mĂȘme ou de prendre du temps face Ă quelquâun dâautre qui se comporte ou se prĂ©sente de maniĂšre « Ă©trange», « bizarre », « anormale », « incomprĂ©hensible » voire « dangereuse » pour lui mĂȘme ou pour autrui, câest ne « rien faire ».
Un DJ dĂ©cĂ©dĂ© lâannĂ©e derniĂšre ou lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente, a Ă©crit dans un livre quelque chose comme : « En fait, jâai commencĂ© Ă dĂ©tester tout ce qui pouvait mâempĂȘcher ou empĂȘcher de danser ».
HĂ© bien, pour ma part, jâai commencĂ© Ă travailler en psychiatrie et eu besoin dây travailler car, Ă 24 ans, jâavais commencĂ© Ă dĂ©tester tout ce qui pouvait mâempĂȘcher de penser. Sauf quâalors, je ne pouvais pas lâexprimer de cette maniĂšre. Il nây a quâaujourdâhui que je peux lâĂ©crire comme ça. Presque trente ans plus tard. Câest venu avec le temps.
Un certain apprentissage de la psychiatrie et de la Santé Mentale
Au lycĂ©e, j’aimais apprendre. Jâaimais aussi comprendre ce que jâapprenais. Le par cĆur sans comprĂ©hension de ce que jâapprenais mâĂ©tait insupportable y compris lorsque je le voyais chez les autres.
Mes Ă©tudes dâinfirmier en soins gĂ©nĂ©raux ont Ă©tĂ© trĂšs Ă©prouvantes. Intellectuellement, je trouvais assez peu mon compte. Ni en stage, ni lors des cours thĂ©oriques. Et je devais apprendre des notions mĂ©dicales vers lesquelles, spontanĂ©ment, je ne serais jamais allĂ©. Mais impossible de faire autrement car, pour pouvoir protĂ©ger et sauver des vies, il faut bien apprendre certaines notions de lâanatomie et de la physiologie. Et, pour me sauver de la dĂ©chĂ©ance du chĂŽmage et gagner ma vie, il me fallait trouver un emploi.
Jâai donc dĂ» ingurgiter des connaissances par cĆur durant ces Ă©tudes dâinfirmier. Des connaissances dont nos propres monitrices nous ont dit un jour que nous nâen retiendrions quâĂ peu prĂšs « dix pour cent ». Fort heureusement, j’ai rencontrĂ© dans mon Ă©cole d’infirmiĂšres des personnes qui, humainement, m’ont fait du bien. Dont une amie avec laquelle je suis toujours en contact.
Jâai appris Ă travailler en psychiatrie en partant de moi. En vivant des situations. En regardant et en Ă©coutant faire. En me trouvant des modĂšles parmi mes collĂšgues. En discutant avec des collĂšgues en lesquels jâavais confiance. En les interrogeant. En gambergeant. En faisant des erreurs et en mâen rappelant. En lisant certaines fois Ă droite ou Ă gauche. Mais pas toujours des ouvrages ou des articles rĂ©servĂ©s Ă la psychiatrie.
Je nâai pas appris la psychiatrie par cĆur. Et jâai beaucoup de mal avec ces professionnels capables de vous rĂ©citer par cĆur certaines thĂ©ories psychanalytiques et autres, si, par ailleurs, je les trouve ou les pressens « mauvais » en situation clinique.
Mais il y a bien évidemment certaines connaissances théoriques et autres à mémoriser. Que ce soit concernant certains effets possibles des traitements ou à propos de certaines attitudes à savoir éviter ou à développer en soi.
Entendre parler de Marmottan
Jâai appris des autres. Et je continue dâapprendre des autres chaque fois que câest possible.
Câest comme cela que jâai entendu parler de Marmottan, je pense, dans les annĂ©es 90. Jâavais entendu parler de Francis Curtet au collĂšge, en 3Ăšme, par ma prof de Français. Mais je nâavais pas retenu quâil avait un rapport avec Marmottan.
Marmottan, pour moi, faisait partie de ces services emblĂ©matiques de la psychiatrie en France. Avec le CPOA, la clinique de La Borde, les UMDâŠ
Et lorsque jâĂ©cris « emblĂ©matiques », cela signifie que ces endroits se distinguaient des services de psychiatrie traditionnels. Il sây dĂ©roulait quelque chose de particulier. Dâassez hors norme. Je croyais mĂȘme que Marmottan Ă©tait en quelque sorte un hĂŽpital Ă lui tout seul. Et le savoir me suffisait et mâa suffi pendant longtemps.
Jamais, dans les annĂ©es 90, je nâai fait la moindre dĂ©marche afin dâen savoir plus sur Marmottan, situĂ© rue ArmaillĂ©, pas trĂšs loin des Champs ElysĂ©es oĂč je pouvais me rendre assez facilement. Ne serait-ce que pour aller au cinĂ©ma ou pour me rendre au Virgin Megastore qui existait encore.
Aujourdâhui, je crois avoir choisi dâaller travailler en psychiatrie pour ne pas devenir fou. Mais, aussi, pour mieux comprendre ma propre folie. Et mieux comprendre dâoĂč elle venait. Certains ont peur dâaller travailler en psychiatrie pensant que cela va les perturber irrĂ©mĂ©diablement. Et cela peut en effet perturber, ou plutĂŽt dĂ©stabiliser, la conscience comme les connaissances que lâon a de soi que dâaller travailler dans un service de psychiatrie :
Nos certitudes, nos croyances, nos apparences, aussi, peuvent se retrouver contestĂ©es ou abattues face aux divers miroirs de la psychiatrie. Surtout lorsque lâon ne « fait rien » et quâil devient plus difficile de se fuir, et de fuir nos propres pensĂ©es, Ă©motions et sentiments, dans une certaine activitĂ© frĂ©nĂ©tique. Il peut ĂȘtre plus facile de couler dans du mouvement certaines Ă©motions et certaines pensĂ©es plutĂŽt que de les laisser remonter jusqu’Ă affluer Ă la surface de soi. Surtout si l’on a une image et une de soi monstrueuse ou dĂ©sastreuse.
Et, aujourdâhui, je crois avoir dĂ©cidĂ©, Ă un moment donnĂ©, dâavoir tentĂ© de travailler Ă Marmottan parce-quâil y a des annĂ©es que je crois que, de mĂȘme que jâaurais pu ĂȘtre un psychotique hospitalisĂ© en psychiatrie, jâaurais aussi pu devenir une personne dĂ©pendante Ă des substances. Mon histoire personnelle, selon mes croyances, aurait pu me faire converger vers ce genre dâĂ©tat. Or, Ă ce jour, mĂȘme si jâai pu redouter de devenir addict Ă des substances, plus que de devenir psychotique, cela nâest pas arrivĂ©.
Jâai cĂŽtoyĂ© et rencontrĂ© des personnes qui ont connu des dĂ©pendances dĂšs lâenfance (l’alcoolisme dâun oncle plutĂŽt bien tolĂ©rĂ© dans la famille ) puis ensuite Ă lâadolescence et adulte. Des personnes dont jâai pu ĂȘtre proche (une ex qui avait besoin de fumer cinq Ă dix joints par jour) ou moins. Cependant, jâĂ©tais le « SuĂ©dois » de service comme mâavait affectueusement surnommĂ© un ami infirmier psy, ancien hĂ©roĂŻnomane, et assez portĂ© sur la boisson festive. Sobre, dans la maitrise ou le contrĂŽle permanent selon lâanalyse que lâon en fait.
Sobre, oui, en ce qui concerne les substances. Mais pas pour dâautres addictions.
Addictions sans substance
Lorsque jâai postulĂ© pour travailler Ă Marmottan, jâĂ©tais sĂ»r de moi. Jâallais ĂȘtre pris. Jâavais des annĂ©es dâexpĂ©rience en psychiatrie adulte et en pĂ©dopsychiatrie. JâĂ©tais un homme. Et je savais, pour ĂȘtre passĂ© auparavant Ă Marmottan et y avoir discutĂ© avec certains professionnels qui y travaillaient alors, quâil nâĂ©tait pas nĂ©cessaire dâavoir une expĂ©rience en tant que consommateur de substances ou en addictologie pour y ĂȘtre embauchĂ© comme infirmier. Marmottan recrutait des profils divers. Cependant, il y avait des rĂšgles trĂšs strictes Ă Marmottan sur certains sujets.
Tout comportement violent ou considĂ©rĂ© inacceptable ( relations sexuelles…) , toute consommation de substance dans le service ou tout propos homophobe vaudrait exclusion de ce service ouvert. Cela me convenait.
Pourtant, je nâai pas Ă©tĂ© retenu pour le poste. De mon entretien, dans la bibliothĂšque, face Ă deux mĂ©decins et Ă la cadre de pole d’alors, je me rappelle entre-autres de cette question posĂ©e par Mario Blaise, dĂ©jĂ mĂ©decin chef de Marmottan :
« Avez-vous des addictions ? ».
Pour toute personne un peu formĂ©e ou sensibilisĂ©e aux addictions, câest une question banale. Comme demander lâheure Ă quelquâun. La rĂ©ponse est facile.
Pourtant, jâai rĂ©pondu “superbement” :
« Non, je nâai pas dâaddictions ! ». JâĂ©tais sĂ»r de moi. Bien quâun peu dĂ©contenancĂ©, et aussi un peu mal Ă lâaise, jâĂ©tais sĂ»r de moi. Je nâavais pas dâaddictions. Pas de ça avec moi ! JâĂ©tais le “SuĂ©dois”. Celui qui, au milieu de personnes dans un Ă©tat dâĂ©briĂ©tĂ© avancĂ©, ou qui, face Ă quelquâun qui fumait son joint, ne se sentait pas incommodĂ©. Celui qui ne faisait pas de cauchemars aprĂšs avoir « frayĂ© » avec des patients psychotiquesâŠ.
Pour moi, addictions rimait encore exclusivement, consciemment, avec les substances. Jâavais pourtant bien compris que, dans ma propre vie, certaines situations contraignantes ou douloureuses avaient pu se rĂ©pĂ©ter ou pouvaient encore se rĂ©pĂ©ter sans que je parvienne vĂ©ritablement Ă mâen dĂ©barrasser. Mais je nâavais pas encore fait le rapprochement. Pour moi, Ă ce moment-lĂ , les addictions avaient plus Ă voir avec leur forme la plus visible physiquement mais aussi la plus renommĂ©e et la plus condamnĂ©e moralement et pĂ©nalement :
Les addictions avec substances.
Cette nuit encore, alors que je finissais d’Ă©couter un podcast dans lequel tĂ©moigne une jeune Française qui, sous l’effet d’une radicalisation islamiste, est partie vivre dans l’Etat Islamique en Syrie en 2013, ma bĂ©vue m’est Ă nouveau apparue Ă©vidente. Lorsque celle-ci a parlĂ© de “cage”. Cette jeune femme, dans ce podcast qui comporte quatre Ă©pisodes, raconte comment, pour elle, partir en Syrie, avait d’abord Ă©tĂ© un moyen de quitter la cage dans laquelle elle se trouvait dans sa famille. En espĂ©rant trouver mieux ailleurs. En rencontrant quelqu’un, Ă un moment donnĂ© de sa vie, qui lui a promis le meilleur en Syrie en venant vivre dans l’Etat Islamique. Cette rencontre aurait pu ĂȘtre un proxĂ©nĂšte, une mĂšre maquerelle, un dealer. Pour elle, cette rencontre a Ă©tĂ© une personne qui l’a sĂ©duite. Cela a Ă©tĂ© rapide et facile.
Car elle Ă©tait “disponible” pour ce genre de rencontre Ă cette pĂ©riode de sa vie. Parce-que cette croyance idĂ©ologique collait bien, Ă cette pĂ©riode de sa vie, avec son patrimoine personnel et culturel. Et que cette croyance idĂ©ologique, mais aussi cette fuite en Syrie, lui apparaissaient ĂȘtre la bonne dĂ©cision.
Cette jeune femme, devenue mĂšre en Syrie est revenue en France six ans plus tard ( en 2019). Et s’est officiellement dĂ©tournĂ©e de cette croyance islamiste. Elle a pu dire qu’en quittant la France et sa famille, elle avait finalement quittĂ© une cage pour une autre cage. Mais aussi que partir de chez ses parents Ă©tait la “bonne dĂ©cision” mais que la destination choisie Ă©tait “mauvaise”. Elle s’en est rendue compte une fois sur place, en Syrie.
Je me suis dit que c’est exactement ce qui peut se passer pour une personne dĂ©pendante avec une substance. MĂȘme si on peut chercher une substance avant tout pour le plaisir. Le mot plaisir a Ă©tĂ© prononcĂ© lors du cinquentenaire de Marmottan.
Au dĂ©but, c’est trĂšs bien, c’est merveilleux, c’est exceptionnel, on vibre. La suite est moins agrĂ©able. Rencontre. PersonnalitĂ©. Cage. On peut remplacer le produit par une croyance ou par une pratique lorsque l’on parle d’addiction.
Il y a sĂ»rement d’autres raisons que mon “incapacitĂ©” Ă rĂ©pondre favorablement Ă cette question sur “mes” Ă©ventuelles addictions pour expliquer mon Ă©chec Ă cet entretien lorsque j’ai postulĂ© pour Marmottan. Comme le simple fait d’avoir envie ou non de travailler avec moi ou de se sentir Ă l’aise en ma prĂ©sence. Mais mon ignorance hardie, bien qu’assumĂ©e car j’ai ouvertement dit que je ne connaissais pas grand chose dans le domaine des addictions, m’a peu aidĂ© Ă convaincre de m’embaucher. Puis, par la suite, devant ces Ă©checs ( j’ai postulĂ© trois fois), j’ai dĂ©veloppĂ© une ambivalence Ă l’idĂ©e de travailler Ă Marmottan. Peut-ĂȘtre une ambivalence qui peut se retrouver chez toute personne envers son addiction.
Chaque fois que je suis retournĂ© travailler en remplacement Ă Marmottan, je m’apercevais que je me sentais suffisamment appropriĂ© : je ne regardais pas ma montre en Ă©tant pressĂ© que ça se termine. Tout en sachant que j’avais beaucoup Ă apprendre. Je m’y sentais suffisamment bien. Pourtant, il m’est aussi arrivĂ© de me dire que ce n’Ă©tait pas pour moi. Que je n’Ă©tais peut-ĂȘtre pas fait pour y travailler. Que j’allais me faire rouler dans la farine. Ou que je ne saurais pas conseiller ou accompagner comme il se devait certains patients. Que je ne saurais pas leur rĂ©pondre.
Marmottan, le service spécialisé dans le traitement des addictions
Jâai nĂ©anmoins eu la chance de venir faire des remplacements, avant et aprĂšs ma postulation Ă Marmottan, Ă peu prĂšs une quinzaine de fois en tant quâinfirmier. Et, lorsque jâĂ©cris Marmottan, car il faut le prĂ©ciser, je parle bien-sĂ»r du service spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions.
Parce-que si le service spĂ©cialisĂ© (hospitalisation et accueil) dans les addictions est connu sous le nom de Marmottan, Marmottan est aussi un endroit oĂč se trouvent un CMP pour patients adultes oĂč se trouve une consultation pour adultes pĂ©dophiles. Ainsi quâun hĂŽpital de jour de psychiatrie adulte. Deux services (le CMP et lâhĂŽpital de jour) qui sont indĂ©pendants du service consacrĂ© au traitement des addictions. MĂȘme si ces deux services (le CMP adulte et lâhĂŽpital de jour) sont aussi situĂ©s dans le mĂȘme bĂątiment, rue ArmaillĂ© dans le 17 Ăšme arrondissement de Paris.
Il y a aussi le musĂ©e Marmottan qui se trouve Ă cĂŽtĂ©. Un musĂ©e bien rĂ©fĂ©rencĂ© que lâon peut visiter et qui nâa rien Ă voir avec le service.
Le Marmottan dont je parle, initialement, faisait partie de lâhĂŽpital psychiatrique Perray-Vaucluse. HĂŽpital par lequel jâai Ă©tĂ© recrutĂ© en juillet 2009. Câest Ă cette occasion que jâai compris que « le » Marmottan dont jâavais entendu parler depuis des annĂ©es Ă©tait un service. Et que ce service faisait partie du mĂȘme hĂŽpital que celui qui mâemployait.
Lorsque lâon parlait de grands Ă©tablissements psychiatriques en rĂ©gion parisienne, les Ă©tablissements hospitaliers auxquels je pensais principalement Ă©taient :
Maison Blanche ; Ville-Evrard ; Ste-Anne ; Voire Villejuif ou Paul Guiraud.
Jâai dĂ©couvert lâexistence du groupe hospitalier psychiatrique Perray-Vaucluse tardivement. Et par hasard. Vers la fin des annĂ©es 2000. Il y a une explication gĂ©ographique Ă cette ignorance. LâEtablissement Perray-Vaucluse est situĂ© dans lâEssonne. Soit dans un dĂ©partement oĂč je nâai jamais eu dâattache ou de domiciliation. Puis mon ignorance culturelle, comme celle de mes collĂšgues, de la Psychiatrie a fait le reste. Jâai connu la psychiatrie de Pontoise parce-que jâhabitais Ă Cergy Pontoise durant mes Ă©tudes dâinfirmier et que jây rĂ©sidais encore lorsque jâavais commencĂ© Ă y travailler en psychiatrie adulte.
LâhĂŽpital psychiatrique Perray-Vaucluse, comme les autres, est au moins centenaire. AbsorbĂ© par Maison Blanche il y a quelques annĂ©es, il fait dĂ©sormais partie du GHU Paris Ste Anne qui comporte la fusion des Ă©tablissements Perray-Vaucluse, Maison Blanche et Ste Anne. Soit un ensemble de services intra-hospitaliers mais aussi extra-hospitaliers de santĂ© mentale ( psychiatrie adulte, addictions, soins gĂ©nĂ©raux ou somatiques, pĂ©dopsychiatrieâŠ).
Marmottan/ Olivenstein/ Personnalité/ Antipsychiatrie
Marmottan a Ă©tĂ© crĂ©Ă© en 1971, par Claude Olivenstein. Lors du cinquentenaire, jâai appris quâil y avait deux ou trois autres mĂ©decins avec lui pour fonder Ă Marmottan le service spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions. Mais lorsque lâon dit Marmottan, encore aujourdâhui, pour beaucoup dâun certain Ăąge, on pense aussitĂŽt : Olivenstein.
Son nom et une partie de sa mĂ©moire -comme de sa prĂ©sence- habitent encore lâendroit pour le peu que jâai entrevu. MĂȘme si, aprĂšs lui, Marc Valleur a pris sa suite et a, depuis, transmis le relais Ă Mario Blaise.
Le service Marmottan, spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions, a une personnalitĂ© que jâai rarement trouvĂ©e ailleurs. Par personnalitĂ©, je pense Ă une volontĂ© assez farouche de maintenir son autonomie et/ ou son indĂ©pendance de pensĂ©e, de façon de travailler, qui tranche avec cette façon assez unanime quâont eu les services de psychiatrie- que je connais- de sâaligner sur les diffĂ©rents diktats imposĂ©s ces vingt derniĂšres annĂ©es en matiĂšre de soin et de façon de soigner. Ou de transmettre. Par exemple, alors que depuis une bonne dizaine dâannĂ©es maintenant, la majoritĂ© des services de santĂ© mentale â et autres- Ă©crivent leurs transmissions et leurs prescriptions sur ordinateur, Ă Marmottan, on Ă©crivait- et on Ă©crit sans doute encore- les transmissions comme les prescriptions mĂ©dicales sur papier.
Bien-sûr, mes principaux repÚres de comparaison sont ici sont ceux de la psychiatrie que je connais.
La psychiatrie que je connais en rĂ©gion parisienne telle quâelle se pratique aujourdâhui dans la plupart des services est trĂšs diffĂ©rente de celle qui est Ă©tait pratiquĂ©e il y a encore vingt ou trente ans. Par bien des aspects, la psychiatrie dâaujourdâhui a dĂ©figurĂ© ce qui se faisait de « bien » il y a vingt ou trente ans. Moins de moyens, moins de personnels, plus dâheures de travailâŠplus dâinformatiqueâŠ
Lâouvrage de Victor Castanet, Les Fossoyeurs qui a fait lâactualitĂ© il y a quelques semaines, avant dâĂȘtre dĂ©passĂ© par lâactualitĂ© de lâinvasion militaire de lâUkraine par la Russie « de » Vladimir Poutine, scrute, si jâai bien retenu, les conditions de travail dans les EHPAD. Malheureusement, sous dâautres formes, les conditions de travail en psychiatrie publique se sont aussi dĂ©tĂ©riorĂ©es puisquâelles doivent dĂ©sormais se calquer sur le modĂšle du privĂ©. Et le peu que jâai vu dans deux cliniques de psychiatrie adulte il y a une dizaine dâannĂ©es, lorsque jây avais effectuĂ© des vacations, ne mâa pas donnĂ© envie dây postuler.
Aussi, lorsque durant le cinquantenaire de Marmottan, en dĂ©cembre, le mot « Antipsychiatrie » a Ă©tĂ© prononcĂ© par un ou une des intervenants, il mâest tout de suite apparu Ă©vident que cela expliquait en partie lâune des raisons pour lesquelles Marmottan, le service des addictions, dĂ©tonait et dĂ©tone encore dans le milieu de la SantĂ© Mentale.
Dâune part parce que le travail qui sâeffectue dans un service spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions se distingue du travail effectuĂ© dans un service de psychiatrie. Mais aussi parce quâil sây pratique un certain esprit, une certaine façon de travailler, pour le peu que jâai vu sur place, auxquels un professionnel familier avec la psychiatrie nâest pas habituĂ©.
Cet article devait ĂȘtre unique. Mais je mâaperçois que le poursuivre maintenant le rendrait trop long. Et quâil vaut mieux que je mâarrĂȘte sur cette introduction avant, dans un prochain article, de raconter et de montrer davantage comment câĂ©tait lors du cinquentenaire de Marmottan Ă la salle de concert de la Cigale en dĂ©cembre dernier. Mais aussi dans le service ( dâaccueil et dâhospitalisation) lors dâune des deux journĂ©es portes ouvertes qui a suivi la journĂ©e Ă la Cigale.
Franck Unimon, ce lundi 28 février 2022.