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Corona Circus self-défense/ Arts Martiaux

Le Jihad, c’est les autres.

 

Ça a commencĂ© lors d’une nouvelle sĂ©ance de kinĂ©. Pour une tendinite. J’en ai dĂ©jĂ  parlĂ© et j’en reparlerai :

Les kinĂ©s sont les professionnels de la santĂ© que j’ai- de trĂšs loin- le plus rencontrĂ©s dans ma vie. J’ai une enquĂȘte Ă  finir sur l’histoire de mon corps. Il doit y avoir des raisons pour que je retourne rĂ©guliĂšrement, depuis mon adolescence,  dans le port  des kinĂ©s, ces rĂ©parateurs du mouvement. Sans doute que je rĂ©pĂšte des gestes interdits en forçat qui se dĂ©place Ă  contre-courant.

 

J’ai donc connu plusieurs cabinets ou plusieurs ports de kinĂ©s dans ma vie. Celui-ci est prĂšs de chez moi. J’y suis d’abord allĂ© les premiĂšres fois il y a deux ou trois ans pour des raisons trĂšs pratiques : afin de se rendre en bĂ©quilles Ă  une rĂ©Ă©ducation aprĂšs une intervention chirurgicale, mieux vaut Ă©viter le parcours avec des cols Ă  quinze pour cent Ă   grimper sur plusieurs kilomĂštres afin d’accĂ©der au cabinet du kinĂ©.

 

 

Sauf peut-ĂȘtre pendant le confinement rĂ©cent, les kinĂ©s ne chĂŽment pas. Ce sont des professionnels trĂšs demandĂ©s. J’ai connu deux sortes de kinĂ©s :

Celles et ceux qui vous prennent en individuel et qui, durant la sĂ©ance de 20 Ă  30 minutes, s’occupent uniquement ou principalement de vous. Et celles et ceux qui vous donnent des exercices Ă  faire, ou vous mettent sous machine, partent s’occuper de quelqu’un d’autre et viennent vous voir de temps Ă  autre pour s’assurer du fait que tout se passe bien.

 

J’imagine bien-sĂ»r que tous ces kinĂ©s ont leurs raisons.  Certains expliqueront que certains traitements et certaines rĂ©Ă©ducations ne nĂ©cessitent pas leur prĂ©sence permanente. D’autres, qu’il faut qu’ils amortissent le coĂ»t de leur matĂ©riel de pointe trĂšs couteux et qu’ils n’ont pas d’autre choix que d’enchaĂźner le nombre de patients ou de clients d’autant que ceux-ci sont devenus de plus en plus nombreux.

 

 

Le cabinet de kinĂ© oĂč je me rends a Ă©tĂ© pour moi une dĂ©couverte la premiĂšre fois :

 

Il y a bien quelques piĂšces isolĂ©es oĂč je devine que des patients sont dans une certaine intimitĂ©. Mais pour l’essentiel, le cabinet de kinĂ© est un open space sans cloisons oĂč l’on peut ĂȘtre vingt Ă  trente personnes en soins et en rĂ©Ă©ducation en mĂȘme temps allongĂ© ou en train de rĂ©aliser tel exercice de rĂ©Ă©ducation ou de renforcement musculaire, ou en train de recevoir un soin par un kinĂ©. Du fait de l’épidĂ©mie, avec la sortie du confinement, nous sommes tenus de venir avec un masque, un sac oĂč ranger nos manteaux et de nous laver les mains avant la sĂ©ance ou d’utiliser du gel hydroalcoolique mis Ă  notre disposition Ă  l’entrĂ©e.

 

Cette particularitĂ© « open space Â» pourrait faire sourire alors que l’on nous parle beaucoup de respect  de la « confidentialitĂ© Â» un peu partout : dans les labos d’analyses, dans les administrations diverses, dans les hĂŽpitaux. Mais cette proximitĂ© ne me dĂ©range pas d’autant qu’en gĂ©nĂ©ral les kinĂ©s qui officient ont su crĂ©er une certaine convivialitĂ© dans leurs relations comme avec nous. Et puis, il y a la tĂ©lĂ©.

 

Car dans ce cabinet « open space Â», il y a une tĂ©lĂ© souvent allumĂ©e. Dans un autre cabinet de kinĂ© que j’ai frĂ©quentĂ©, la tĂ©lĂ© passait uniquement du sport. On Ă©tait dans un cabinet de kinĂ©s spĂ©cialisĂ©s dans le sport.

 

Dans ce cabinet, on aime beaucoup le sport aussi et les Ă©vĂ©nements qui en parlent. Mais on aime aussi beaucoup dĂ©battre. Il est arrivĂ© que la chaine choisie soit Arte et cela m’apaisait. Mais depuis que j’y suis retournĂ© il y a bientĂŽt un bon mois maintenant, on a droit Ă  la chaine Cnews. A chacune de mes sĂ©ances, Cnews est dans la place avec cette Ă©mission animĂ©e et patronnĂ©e par un journaliste entourĂ© de chroniqueurs majoritairement masculins mĂȘme si on trouve aussi quelques femmes.

 

 

Parmi mes premiĂšres sĂ©ances avec Cnews, le sujet, rĂ©pĂ©tĂ©, portait sur les violences policiĂšres en France. AprĂšs l’épidĂ©mie du coronavirus, le thĂšme des violences policiĂšres a effectuĂ© sa percĂ©e. C’était avant le rĂ©sultat du deuxiĂšme tour des Ă©lections municipales qui a finalement eu lieu hier et qui a rĂ©Ă©lu Isabelle Hidalgo comme maire de Paris face Ă  Rachida Dati et AgnĂšs Buzyn, ex-Ministre de la santĂ© partie en pleine Ă©pidĂ©mie Covid remplacer la candidature de Benjamin Grivaux pour cause de scandale dĂ» Ă  des vidĂ©os de Monsieur le sexe en Ă©rection. C’était avant la rĂ©ouverture des salles de cinĂ©ma qui ont pu s’adapter au covid-19.

 

 

Lors d’une de mes sĂ©ances kinĂ©, il y a donc eu dĂ©bat non sur mes Ă©rections ou sur ce que je pouvais penser de celle de l’homme politique Benjamin Grivaux, mais sur les violences policiĂšres. Un des kinĂ©s, assez incrĂ©dule, m’a demandĂ© si, moi, en tant que noir, je m’étais dĂ©jĂ  senti dĂ©favorisĂ© devant la police. Cette question personnelle m’a Ă©tĂ© posĂ©e en public puisque nous sommes dans un cabinet « open space Â».

 

On se rappelle du contexte : d’un cĂŽtĂ©, aux Etats-Unis, la mort du noir amĂ©ricain Georges Floyd, sous le genou d’un flic blanc, Derek Chauvin, dĂ©jĂ  connu «  pour violences Â». Georges Floyd aurait Ă©tĂ©, a Ă©tĂ© suspectĂ©, de vouloir se servir d’un faux billet de vingt dollars. RĂ©sultat :

Il est mort Ă©touffĂ© par le policier Derek Chauvin alors qu’il rĂ©pĂ©tait qu’il ne pouvait pas respirer. La scĂšne a Ă©tĂ© filmĂ©e par une jeune noire avec son tĂ©lĂ©phone portable. J’ai oubliĂ© le prĂ©nom de cette jeune noire. Mais j’ai retenu son nom : Frazier. Comme l’ancien boxeur noir, champion du monde, et grand rival de Muhammad Ali, un des hĂ©ros encore aujourd’hui de bien des jeunes dans les citĂ©s et banlieues.

 

Muhammad Ali a Ă©tĂ© un de mes hĂ©ros lorsque j’étais adolescent. Et je reste attachĂ© Ă  son histoire. Mais je sais aussi qu’il a manquĂ© de correction envers Joe Frazier et Malcolm X qui sont aussi des modĂšles. Je sais aussi que Muhammad Ali, lorsqu’il s’appelait encore Cassius Clay, doit d’avoir Ă©tĂ© « orientĂ© Â» vers la boxe par un flic
blanc. AprĂšs qu’il se soit fait voler son vĂ©lo.

 

Adama TraorĂ©, mort il y a quatre ans en France aprĂšs une interpellation policiĂšre, est l’autre personne qui a ravivĂ© le sujet des violences policiĂšres. Officiellement, la façon dont il a Ă©tĂ© interpellĂ© physiquement n’a rien Ă  voir avec sa mort. Sauf que les autopsies rĂ©alisĂ©es par d’autres experts sollicitĂ©s par la famille d’Adama TraorĂ© disent le contraire.

 

 

Je n’ai pas regardĂ© sur le net la vidĂ©o de la mort de Georges Floyd. Je n’ai pas lu le livre qui parle d’Adama TraorĂ© et de la façon dont il est mort. Je crois celles et ceux qui disent que les deux histoires sont trĂšs diffĂ©rentes. Mais je crois aussi que celles et ceux qui le disent le font aussi pour se soulager. Parce qu’une fois  qu’on a dit que les deux histoires n’ont rien Ă  voir, c’est comme si l’on pouvait changer de sujet juste aprĂšs la page de pub et aprĂšs avoir affirmĂ© que tout va bien.

 

Je ne crois pas que la police française soit raciste. Mais j’ai dĂ©jĂ  Ă©tĂ© interpellĂ© deux ou trois fois par des policiers, dont au moins une fois voire deux ou trois fois parce-que j’étais noir, et mĂȘme si deux ou trois fois, c’est « peu Â» et que tout s’est bien et rapidement terminĂ©, pour moi, en tant que personne, c’est dĂ©jĂ  beaucoup et, je « sais Â» que cela aurait pu se terminer plus mal pour moi alors que j’étais
 Â« innocent Â».

 

Si la « compĂ©tence Â» ou ce qui ressemble Ă  de l’intelligence de la part du policier ou des flics rencontrĂ©s lors de « mes Â» contrĂŽles a sans doute contribuĂ© au fait que cela se soit bien et rapidement terminĂ©, je crois aussi que je dois saluer, Ă  chaque fois, la capacitĂ© que j’ai eu de rester calme, coopĂ©ratif, optimiste et d’avoir pu m’exprimer poliment et « correctement Â». Mais en situation de stress, et un contrĂŽle est une situation stressante, nous savons tous qu’il peut ĂȘtre trĂšs difficile pour bien des personnes de rester « calme Â», « coopĂ©ratif Â» et de continuer de s’exprimer « correctement Â» :

 

C’est Ă  dire, sans crier, sans s’énerver, sans s’agiter, sans regarder son interlocuteur ou ses interlocuteurs avec dĂ©dain ou colĂšre, ou avec peur, en employant des mots nuancĂ©s et des intonations diplomatiques voire harmoniques et mĂ©lodieuses dans la voix.

 

 

Parce-que je crois vraiment que dans ces deux ou trois situations de contrĂŽle que j’ai vĂ©cues, qu’il aurait suffi que je m’emporte pour qu’en face, de maniĂšre-rĂ©flexe ou conditionnĂ©e, un des reprĂ©sentants de l’ordre se sente Ă  son tour agressĂ©, pris Ă  la gorge, et se persuade trĂšs vite d’ĂȘtre en prĂ©sence d’un Ă©niĂšme individu rĂ©calcitrant.

 

A partir de lĂ , une rĂ©action en chaine s’enclenche, et, moi, l’innocent, j’aurais trĂšs bien pu me retrouver avec une clĂ© de bras dans le dos, plaquĂ© contre un mur, sommĂ© de vider mes poches devant tout le monde, comme il m’a dĂ©jĂ  pu m’arriver de le voir pratiquĂ© en prenant les transports en commun. Transports en commun, le train et le mĂ©tro en particulier, qu’en tant que banlieusard, je prends rĂ©guliĂšrement depuis mon adolescence.

 

Cette expĂ©rience-lĂ , ce vĂ©cu-lĂ , cette quasi-certitude que cela peut ou pourrait « partir en couille Â» face Ă  la police lors d’un simple contrĂŽle, je crois qu’en France, aujourd’hui en 2020, si l’on est un homme arabe ou noir qui a grandi en France, dans un environnement rĂ©guliĂšrement quadrillĂ© par les forces de l’ordre, on les a ou on les assimile Ă  partir de notre adolescence. Et le verbe « assimiler Â» a sa place ici dans toute son ambiguĂŻtĂ©.

 

 

Je ne suis pas anti-flic. Je ne me sens pas anti-flic. Je considĂšre mĂȘme que bien des flics ont Ă  exĂ©cuter des ordres et des missions que leur impose leur hiĂ©rarchie du supĂ©rieur direct au MinistĂšre de l’IntĂ©rieur.

 

 

Mais je m’estimerais trĂšs naĂŻf si, en tant qu’homme noir, en France, je me considĂ©rais toujours l’exact Ă©gal du citoyen blanc ou de la citoyenne blanche lambda en cas de contrĂŽle de police. J’ai quand mĂȘme Ă©tĂ© interpellĂ© un jour Ă  la gare de Sartrouville par une femme-flic qui faisait manifestement ses preuves devant ses collĂšgues masculins (la BAC du coin ?) afin de savoir si je portais sur moi du cannabis ! Selon quels critĂšres ?!

 

La gare Ă©tait pratiquement dĂ©serte et je me rendais Ă  mon travail ce jour-lĂ . J’étais dĂ©jĂ  soignant et faisais dĂ©jĂ  partie «  des hĂ©ros de la Nation Â».

Avec son air bonhomme, la femme flic s’est adressĂ©e Ă  moi avec un aplomb comme si, d’emblĂ©e, j’étais suspect. Je n’avais sur moi ni cigarette, ni joint. J’étais un simple passager qui venait de sortir de son RER ou de son train et qui allait Ă  son travail. J’avais mon titre de transport comme tous les jours. J’ai eu droit Ă  un contrĂŽle d’identitĂ©. Et Ă  un mini-interrogatoire sous le regard de ses collĂšgues masculins postĂ©s derriĂšre elle.

J’ai d’abord rĂ©pondu poliment. Puis, son interrogatoire se faisant insistant et intimidant

(elle me faisait comprendre que si j’avais du shit sur moi, ça allait mal se passer pour moi), j’ai commencĂ© Ă  rĂ©pondre calmement. Et ironiquement. Parce-que ça commençait Ă  m’agacer. Et, lĂ , coup de baguette magique, sans me fouiller, d’un signe de la tĂȘte, elle m’a fait comprendre que je pouvais y aller ( ou dĂ©gager, c’est selon la sensibilitĂ© de chacun). Cette expĂ©rience apparaitra peut-ĂȘtre anodine pour certaines personnes. Mais pas pour d’autres. Et je ne suis pas sĂ»r que d’autres personnes, Ă  ma place, seraient restĂ©es aussi calmes que moi. Et, oui, je considĂšre avoir eu de la chance ce jour-lĂ  car mon ironie, venue de mon agacement comprĂ©hensible, aurait pu se retourner contre moi.

 

 

 

Pour ces quelques raisons et ces quelques exemples, mĂȘme si, oui, je pense que les deux situations Georges Floyd/Adama TraorĂ© sont diffĂ©rentes et que ça me dĂ©range aussi beaucoup de savoir que, de son vivant, Adama TraorĂ© pratiquait «  l’extorsion sur des personnes vulnĂ©rables Â», ce qui est l’autre mot pour dire « racket Â», je me sens plutĂŽt concernĂ© en tant qu’homme noir, par les violences qui ont tuĂ© ces deux hommes.

 

Et, encore plus, en Ă©coutant certains des propos tenus sur Cnews pendant une de mes sĂ©ances de kinĂ©. Cela s’est passĂ© aprĂšs la fresque de Stains montrant Georges Floyd et Adama TraorĂ© cĂŽte Ă  cĂŽte. Je comprends que l’on puisse parler d’amalgame, de rĂ©cupĂ©ration en mettant Georges Floyd et Adama TraorĂ© ensemble au vu du casier judiciaire diffĂ©rent des deux hommes et aussi de la façon dont « l’interpellation Â» s’est passĂ©e :

 

D’un cĂŽtĂ©, avec Georges Floyd, images Ă  l’appui, sauf nouvelle information qui changerait la donne, on a l’acharnement d’un policier, fier de lui, et dĂ©jĂ  connu pour faits de violence. Un policier peut-ĂȘtre maintenu dans ses fonctions par sa hiĂ©rarchie car estimĂ© « efficace Â» ou pratique et disponible lors de certaines situations sensibles. Ce que l’on retrouve dĂ©jĂ  «  un peu Â» en France oĂč, depuis plusieurs mois, le gouvernement Macron-Philippe sait qu’il doit rester en bons termes avec la police afin de pouvoir compter sur elle pour faire le sale travail de rĂ©pression lors de certaines manifestations sociales du type gilets jaunes ou autres. Et je l’écris avec respect pour la police.

 

De l’autre, avec Adama TraorĂ©, on n’a pas les images de sa mort en direct aprĂšs son interpellation et les diffĂ©rentes autopsies se contredisent.

 

Mais qu’il y’ait amalgame, rĂ©cupĂ©ration ou non en accolant Georges Floyd et Adama TraorĂ© dans cette fresque Ă  Stains, il me semble que « l’expĂ©rience Â» du spectacle d’une certaine justice montre au citoyen lambda qu’attendre docilement et patiemment que la Justice se fasse correctement peut ĂȘtre une erreur stratĂ©gique :

 

Les affaires du MĂ©diator ou des prothĂšses PIP du Roundup de Monsanto ou, plus « simplement Â», la façon dont certaines professions (soignantes et autres) pourtant nĂ©cessaires se font balader par les diffĂ©rents gouvernements contraignent le citoyen lambda Ă  comprendre qu’ĂȘtre victime et « seulement Â» manifester civilement ou porter plainte peut ĂȘtre insuffisant pour obtenir rĂ©paration ou justice.

 

Il faut aussi rĂ©aliser des coups mĂ©diatiques. Faire le buzz. Il faut des catastrophes ou des Ă©pidĂ©mies. Il faut faire peur. Il faut se faire respecter comme force de nuisance par les autoritĂ©s officielles. Puisque mĂȘme des personnes coupables, dĂšs qu’elles en ont les moyens au moins financiers, savent choisir les bons avocats qui trouveront les astuces, les bons ressorts, les erreurs, les failles ou les fautes de procĂ©dures, afin de retarder le jugement, le casser ou l’éviter.

 

 

Donc, je vois cette fresque Ă  Stains comme un moyen d’essayer d’obtenir que la Justice française, si elle a Ă©tĂ© mal influencĂ©e, de bien ou de mieux faire son travail dans l’affaire TraorĂ©. D’autant que sur le plateau de CNews, la fresque rĂ©alisĂ©e par certains propos a Ă©tĂ© plutĂŽt palpitante :

 

Elle, il y a encore quelques semaines, je ne la connaissais pas. Elle regrette et combat la perte des hautes valeurs qui ont fait la France. Pourtant, ses succĂšs personnels et mĂ©diatiques proviennent peut-ĂȘtre aussi du fait de cette « perte Â» des hautes valeurs qu’elle regrette tant.

Elle ne le dira pas car elle fait partie des premiers de la classe, qui plus est sur un plateau de tĂ©lĂ©. Mais elle croit Ă  la supĂ©rioritĂ© des races. Ce n’est pas de sa faute. La destinĂ©e est ainsi et le souligner, c’est Ă©videmment ĂȘtre aigri.

Bien-sĂ»r, les personnes qu’elle dĂ©signe comme l’ennemi sont souvent parmi celles qui refusent de la servir, elle, moralement si irrĂ©prochable.

PlutĂŽt belle femme – et elle le sait- elle se sert de son minois devant le « journaliste Â» qui pilote le journal comme le propriĂ©taire d’un ballon de foot qui veut bien jouer avec les autres Ă  condition que ce soit lui qui marque le plus de buts.

 

Elle, elle n’est pas comme ça. Assez souvent, elle se tait. Elle entend ĂȘtre plus sage que certains des chroniqueurs et des intervenants plus ĂągĂ©s qu’elle compte bien ringardiser. Sa pensĂ©e est ouverte lĂ  oĂč elle regarde vu que son Ɠil est toujours juste et que sa langue tinte bien. Pourtant, malgrĂ© sa parole qui lui donne l’allure d’un sac Ă  main de luxe, elle dit aussi des ordures :

 

Quand elle rĂ©cite et affirme que la plupart des Ă©tranglements rĂ©alisĂ©s par la police sont  «  la violence lĂ©gitime et nĂ©cessaire de l’Etat Â» et qu’ils  se dĂ©roulent «  en gĂ©nĂ©ral, sans problĂšme Â», on aimerait qu’elle nous raconte ses expĂ©riences d’étranglement que l’on devine nombreuses. Non par voyeurisme : mais afin qu’elle nous rassure quant aux effets d’une telle expĂ©rience lorsque l’on est innocent et qu’une interpellation a mal tournĂ©. Mais, bien-sĂ»r, elle n’est pas responsable des circonstances comme des situations qui crĂ©ent le recours Ă  cette pratique.

Lors de sa rencontre avec Bachar El-Assad en Syrie, elle aurait trouvĂ© celui-ci « doux Â». C’est peut-ĂȘtre une fausse information. Autrement, cela pourrait expliquer sa vision tranquillisante de l’étranglement d’un citoyen par des forces de l’ordre.

 

 

Un intervenant prĂ©sent ce jour-lĂ  Ă  cĂŽtĂ© d’elle, politologue, semble dĂ©guster un tiramisu en dĂ©clarant que le parti socialiste n’existe plus dĂ©sormais. Peut-ĂȘtre que tout son bonheur Ă  ĂȘtre sur ce plateau est condensĂ© dans cette phrase. Pouvoir enfin la dire librement et Ă  visage dĂ©couvert sans avoir Ă  se retourner. Cela respire presque l’enfant qui a longtemps Ă©tĂ© battu par un parent socialiste. Et, fin gourmet, il explique que c’est  pour sauver le trĂšs peu qui lui reste que le parti socialiste s’accroche Ă  la cause de l’antiracisme du cĂŽtĂ© d’Assa TraorĂ©, la sƓur d’Adama TraorĂ©.

Sa joie lui donne raison d’autant que si le parti socialiste, aujourd’hui, est inexistant, c’est peut-ĂȘtre pour beaucoup parce-que son « tonton Â» et son premier PrĂ©sident, François Mitterrand, a su verser dans sa famille politique, durant quatorze ans de 1981 Ă  1995, le poison suffisant afin qu’aucun de ses neveux ou niĂšces en politique ne puisse ĂȘtre en mesure de lui succĂ©der et de le dĂ©passer par la suite. Mais, de cela, le politologue, la bouche pleine de tiramisu, n’en parle pas. Ni personne d’ailleurs sur ce plateau de tĂ©lĂ©. 1995, c’était il y a 25 ans. C’est dĂ©jĂ  loin. Et peut-ĂȘtre que, dĂ©sormais, aussi, lorsque l’on est ou que l’on a Ă©tĂ© socialiste et que l’on repense Ă  cette pĂ©riode, que l’on se sent nostalgique ou honteux. Honteux d’y avoir cru.

 

TrĂšs en confiance, le politologue affirme que, dans les citĂ©s, les gens en « ont marre Â» des actions d’Assa TraorĂ©. J’ai sĂ»rement de grands prĂ©jugĂ©s mais il m’est difficile de l’imaginer faisant le tour des citĂ©s et s’entendant dire qu’Assa TraorĂ© en fait trop. Personne ne le conteste ou ne met en doute ses propos sur le plateau de tĂ©lĂ©.

 

NĂ©anmoins, «  Les Bretons et les Provençaux n’ont pas la mĂȘme tĂȘte Â» professe nĂ©anmoins le politologue pour expliquer que la France s’est faite en unifiant des personnes trĂšs diffĂ©rentes. Et donc qu’il est possible d’intĂ©grer des personnes de tous horizons. La France, selon-lui, est d’ailleurs un des pays les plus diversifiĂ©s au monde et donc en aucun cas, raciste. Mais que cela implique de se rejoindre autour d’une identitĂ© nationale commune.

Le journaliste qui « anime Â» le dĂ©bat abonde dans son sens et cite, rĂ©fĂ©rence sans doute Ă  son passĂ© de journaliste sportif
. Aldo Platini. On revient donc en France au dĂ©but des annĂ©es 80 Ă  l’époque de la premiĂšre Ă©lection de François Mitterrand. La France qui ferait particuliĂšrement vibrer notre « animateur Â» serait-elle celle des annĂ©es 80 ?

Toujours est-il qu’il nous parle d’Aldo Platini qui  avait prĂ©nommĂ© son fils, futur grand footballeur
Michel. Avec interdiction «  de parler Ă  la maison la langue d’origine Â». NĂ©anmoins, prĂ©cise tout de suite « notre Â» journaliste, « â€Šil ne s’agit pas de refouler les origines
. Â».

Mais elles ont peut-ĂȘtre Ă©tĂ© un peu trop refoulĂ©es, ces origines, pour que « Michel Â», quitte la France et termine- brillamment- sa carriĂšre de footeux Ă  la Juventus de Turin, un club de Foot italien
.

 

Est critiquĂ© aussi, au cours du dĂ©bat, cette trop grande fascination des jeunes pour « Nos bons Maitres amĂ©ricains Â». La sĂ©mantique « Bons Maitres Â» est amusante et retournĂ©e :

 

Les Français se rĂ©voltent contre leurs Maitres amĂ©ricains. Mais s’agit-il du Français franchouillard ? Gaullien ? De celui de l’ancien empire colonial français qui Ă©tait alors plus puissant que les Etats-Unis avant son indĂ©pendance ?

Ou des jeunes français noirs, et autres, qui, pour s’émanciper, se choisissent d’autres modĂšles culturels, idĂ©ologiques et politiques aux Etats-Unis ?

Tout cela est flou, messieurs et madame qui débattez et savez mieux penser et mieux parler que nous qui vous regardons et vous écoutons.

 

On perçoit en tout cas un aveu d’impuissance et une rancƓur envers les Etats-Unis qui sont plus forts que « nous Â», « nous Â» qui Ă©tions si puissants avant. Nous voudrions ĂȘtre des modĂšles pour cette jeunesse qui nous dĂ©fie et nous embarrasse et nous n’y arrivons pas. Alors, que les Etats-Unis, eux, ils ont la cote auprĂšs de bien des jeunes. Mais quels modĂšles proposez-vous ? Des modĂšles comme ceux  des dĂ©bats que vous avez et imposez sur Cnews ? Ou un des intervenants, satisfait de lui, affirme que les personnes prĂ©sentes Ă  la marche en mĂ©moire d’Adama TraorĂ© sont surtout ou principalement des « bobos blancs Â» et plutĂŽt socialistes ?

 

Je crois ĂȘtre moins fascinĂ© que je ne l’étais par les Etats-Unis lorsque j’étais adolescent. Mon sĂ©jour Ă  New-York m’a sĂ»rement moyennement plu parce-que je l’ai effectuĂ© en 2011 et que je m’étais davantage ouvert au monde et Ă  la pensĂ©e entre-temps. Pourtant, sans ĂȘtre un idolĂątre des Etats-Unis, on est obligĂ© de constater que ceux-ci sont encore la PremiĂšre Puissance Mondiale dans certains domaines :

 

Une Ă©mission animĂ©e par Billy Crystal ou Jimmy Fallon a beaucoup plus de classe qu’une Ă©mission animĂ©e par Thierry Ardisson, Laurent Ruquier ou Cyril Hanouna.

 

 

Plusieurs des dĂ©batteurs- dont le journaliste « maitre des lieux Â» finissent pas conclure d’un commun accord, qu’il faudrait traiter par l’indiffĂ©rence tous ces reprĂ©sentants noirs, en France, qui tiennent des propos racialistes Ă  propos des Blancs. Cela apparaĂźt le meilleur moyen afin de donner moins d’ampleur mĂ©diatique Ă  tous ces propos extrĂ©mistes et haineux et la meilleure façon d’y rĂ©pondre. Par contre, Ă©couter Eric Zemmour et converser avec lui semble Ă©clairant et nullement racialisant.

 

 

Mais « il faudrait quand mĂȘme retirer cette fresque Ă  Stains Â», dit le journaliste-« propriĂ©taire Â» du dĂ©bat sur Cnews. Mais comment faire, demande-t’il ?!

 

La rĂ©ponse est pourtant Ă©vidente : Lui et plusieurs de ses invitĂ©s qui savent tout, qui gagnent bien plus que nous, grĂące Ă  la pub, grĂące Ă  la tĂ©lĂ©, grĂące Ă  leur renommĂ©e, n’ont qu’à faire comme la plupart des gens. Prendre un seau, de l’eau bouillante, un peu de bicarbonate, quelques Ă©ponges,  se dĂ©placer et aller faire le mĂ©nage. Et s’ils pouvaient aussi faire un peu le mĂ©nage dans leur tĂȘte (mais comment ?) ce serait bien, aussi.

 

A la fin, notre journaliste-dĂ©batteur, se confie :

 

« Je vais vous dire, modestement, ce qui me choque. Je n’ai rien contre Rosa Parks mais pourquoi on n’appelle pas certains endroits (ou stades) Jean de La Fontaine ? Â».

 

 

PrĂšs de moi, le kinĂ© qui, lors d’une sĂ©ance prĂ©cĂ©dente m’avait demandĂ©, si, en tant que noir, je m’étais dĂ©jĂ  senti dĂ©favorisĂ© devant la police, en France, rĂ©flĂ©chit Ă  voix haute en passant :

 

«  Rosa Parks
.c’est pas une histoire de bus, de racisme ? Je me souviens plus
. Â».

 

 

 

Franck Unimon, lundi 29 juin 2020.

 

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Echos Statiques

Situation irréguliÚre

 

                                                       Situation irrĂ©guliĂšre

 

 

 

 

Ils font partie des mutants. «  Ils Â» : ils et elles.

 

Ils sont les rĂ©sidents de situations particuliĂšres. Dans la fourmiliĂšre en mouvement que peut ĂȘtre un pays, une localitĂ© ou une rĂ©gion,  ou parfois un souvenir, ils sont celles et ceux qui voient, Ă©coutent, touchent de prĂšs les transes et les errances tandis que d’autres peuvent se permettre de les ignorer, de dĂ©battre ou de dĂ©jeuner tranquillement Ă  cĂŽtĂ© en terrasse, entre collĂšgues, entre amis ou en famille.

 

Les mutants essaient de remĂ©dier Ă  ce qu’ils voient, Ă  ce qu’ils vivent, Ă  ce qu’ils dĂ©codent de l’envers de ces personnes dont ils ont la charge. Chacune de ces personnes est Ă  sa maniĂšre un SOS ambulant.

 

Certains SOS sont temporaires. D’autres sont des SOS permanents.  SOS :

 

« Save our souls Â».

 

Peu importe le contexte : crise, chĂŽmage, Ă©pidĂ©mie, confinement, dĂ©confinement, montĂ©e des os, effondrement, conflits, suicides rĂ©els ou supposĂ©s, Ă©vĂ©nements immĂ©diats ou Ă  venir. Quel que soit le rĂ©gime alimentaire, religieux, ethnique ou politique, ils et elles seront prĂ©sents et essaieront d’ĂȘtre des escortes de la vie jusqu’à la voir repartir. MĂȘme si,  bien des fois, celle-ci restera enfermĂ©e dans des escaliers ou sera happĂ©e par le gravier. 

 

Il en faut des pouvoirs pour, la mission terminĂ©e, malgrĂ© les collisions et les accidents de parcours,  continuer Ă  servir tout en ayant un comportement compatible avec la vie sociale.

 

 

Souvent, on dit d’eux qu’ils ont «  la vocation Â». C’est peut-ĂȘtre vrai. Mais c’est aussi plus pratique comme ça afin de parler de leur mĂ©tier. Et aussi afin de pouvoir les juger lorsque leurs comportements dĂ©plairont. Le contraire de la « vocation Â» est la rĂ©vocation. Et la rĂ©vocation embroche sur l’opprobre et le bannissement :

 

Tant que tu es parfait(e), tu as la vocation. DĂšs que tu cesses de l’ĂȘtre, tu mĂ©rites le dĂ©goĂ»t.

 

Ce serait trop facile de dire que l’on parle d’un mĂ©tier ou d’une personne en particulier. De les borner avec un identifiant dĂ©finitif afin, une fois encore, de boucler rapidement le sujet parce qu’on a d’autres choses Ă  « faire Â». HĂ© bien, on va faire aussi compliquĂ© que la vie.

 

Ces mutants sont semblables Ă  celles et ceux que l’on peut voir dans les comics, dans les films ou dans les sĂ©ries :

 

Pourvus d’aptitudes particuliĂšres soit du fait d’une sensibilitĂ© ou d’une infirmitĂ© qui leur est propre ou d’un traumatisme connu ou ignorĂ© d’eux, ces mutants sont tantĂŽt recherchĂ©s, tantĂŽt  banalisĂ©s ou rejetĂ©s. Selon les humeurs et les besoins du pays, de la rĂ©gion, de la sociĂ©tĂ©, d’une pĂ©riode de vie ou d’une Ă©poque.

 

 

Ces mutants peuvent donc aussi ĂȘtre des migrants. Ce n’est pas Ă©tonnant.  

 

Notre monde nous confronte Ă  des frontiĂšres et des contrĂŽles permanents. Des cookies qu’il faut accepter pour pouvoir lire un simple article sur un site, aux codes Ă  passer ou Ă  fournir pour entrer chez soi ou accĂ©der Ă  ses comptes bancaires. L’argent aussi est une frontiĂšre et un contrĂŽle. Certains quartiers et certains milieux. Ainsi qu’un certain Savoir (oĂč ses revers : la peur et l’ignorance) comme le fait de dĂ©pendre d’une  piĂšce d’identitĂ©.

 

Certaines informations rĂ©pĂ©tĂ©es, y compris par nos proches et par nous-mĂȘmes, sont aussi des frontiĂšres et des contrĂŽles. Certaines fois, nous rĂ©ussissons Ă  passer les frontiĂšres et les contrĂŽles. D’autres fois, non.

 

Plusieurs fois par jour, on peut devenir un migrant et un mutant Et certaines personnes plus que d’autres. Nous sommes ainsi, mutants et migrants, ignorants aussi, expulsĂ©s rĂ©guliĂšrement de notre horloge interne et passant une bonne partie de notre vie Ă  courir aprĂšs un badge qui nous ouvrira l’heure.

 

Certaines fois, il nous faudrait un bon marabout pour nous y retrouver. On l’a peut-ĂȘtre dĂ©jĂ  croisĂ© plusieurs fois, sous diffĂ©rentes formes, sauf que, pour nous, il sera d’abord classĂ© comme individu suspect ou en situation irrĂ©guliĂšre.

 

 

Franck Unimon, vendredi 19 juin 2020.

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Micro Actif

La mer repose au delĂ  de 100 pour cent

 

 

Marie m’a demandĂ© il y a bientĂŽt dix jours, ou peut-ĂȘtre plus, de lire un poĂšme ou un article. J’ai pris du temps pour le faire car je voulais ĂȘtre dans de bonnes conditions. 

 

Je prĂ©sente deux textes aujourd’hui : La mer repose et Au delĂ  de 100 %. J’espĂšre qu’ils vous plairont. J’ai eu une pensĂ©e particuliĂšre en Ă©crivant Au delĂ  de 100 % pour CĂ©cile ” Tu la plantes !”, Barbara ” Tu piges ?!”, Sylvie, Christelle ” Virgule Cats” et Eric car c’est en rigolant avec eux que ce texte a commencĂ©.

 Si vous le pouvez, faites-moi savoir quel texte vous prĂ©fĂ©rez.

 

 La mer repose

 

 

Au delĂ  de 100 %

 

 

F.Unimon, ce mercredi 10 juin 2020.

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Corona Circus Ecologie self-défense/ Arts Martiaux

Self-défense

Photo prise Ă  Paris, lors du dernier week-end de Mai 2020.

 

 

                                                                   Self-DĂ©fense

 

 Â« Je vous attendais Â».

 

 

MĂȘme s’il s’est mis Ă  pleuvoir abondamment hier soir, depuis plusieurs jours, les gens sont globalement plutĂŽt heureux de pouvoir sortir Ă  nouveau de chez eux. Ça se voit. Je le vois en partant au travail ou en sortant de chez moi. J’aperçois des couples trĂšs amoureux. Je m’attends Ă  ce qu’un certain nombre d’eux, rapidement, s’incitent Ă  arrĂȘter d’ĂȘtre deux. D’autres fois,  dans certains quartiers comme rĂ©cemment du cĂŽtĂ© de Denfert Rochereau, avec mon masque sur le visage, j’ai l’impression d’ĂȘtre un spĂ©cimen ou un attardĂ©. 

 

La deuxiĂšme vague du Covid-19 ne s’est pas faite sentir. Beaucoup de personnes en concluent que l’épidĂ©mie a disparu. Il a fait beau depuis pratiquement trois mois – mĂȘme si les tempĂ©ratures avaient pu ĂȘtre fraiches le matin en mars- et beaucoup de personnes en avaient assez d’ĂȘtre confinĂ©es depuis mi-mars. En plus, le gouvernement a dĂ©cidĂ© du dĂ©confinement le 11 Mai (et non le 12 comme je l’ai Ă©crit dans mon prĂ©cĂ©dent article Avec ou sans masques ). Et, depuis deux ou trois jours (le 2 juin, je crois) la limitation de dĂ©placement des 100 kilomĂštres a cessĂ© d’exister. Un certain nombre de personnes sont donc parties prendre l’air en province. Sur Facebook, rĂ©seau social bien connu par les plus de vingts ans et les vieux (sourire), j’ai ainsi pu voir des photos de connaissances parties s’aĂ©rer du cĂŽtĂ© de Paimpaul en Bretagne ou en Normandie, Ă  chaque fois prĂšs de la mer.

 Enfin, hier soir, en retournant au travail, j’ai revu pour la premiĂšre fois depuis trois mois des personnes installĂ©es en terrasse d’un cafĂ© ou d’une brasserie. Il y avait du monde. 

 

Photo prise Ă  Paris en allant au travail, lors du dernier week-end de Mai 2020.

 

 

La pandĂ©mie du covid-19 a simplifiĂ© mon agenda. Je me suis trĂšs bien passĂ© de certaines activitĂ©s que j’ai du plaisir Ă  faire : mĂ©diathĂšque, cinĂ©ma, pratique de l’apnĂ©e en club, librairies, achats de blu-ray, magasins de loisirs, etc
autant de dĂ©placements que j’ai arrĂȘtĂ© de pratiquer. LĂ  oĂč avant la pandĂ©mie, je me dĂ©multipliais voire me dispersais, pendant la pandĂ©mie, je me suis facilement limitĂ© Ă  continuer d’aller au travail, continuer de prendre des photos, continuer d’écrire, ĂȘtre davantage avec ma fille, continuer mes Ă©tirements, ĂȘtre davantage avec ma compagne, contacter certaines personnes.

 

Par contre, pendant plusieurs semaines,  j’ai fait plus de vĂ©lo pour me rendre au travail. Je suis parti bien plus tĂŽt de chez moi pour m’y rendre d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale. J’ai changĂ© mon itinĂ©raire pour me rendre au travail et ma façon de m’y rendre :

 

Avant la pandĂ©mie, je m’y rendais principalement en train et mĂ©tro en partant de chez moi 45 ou 50 minutes plus tĂŽt. Durant la pandĂ©mie, avec la raretĂ© des trains,  j’y suis plusieurs fois allĂ© Ă  vĂ©lo, et, surtout, aprĂšs avoir pris le train, j’ai beaucoup pris le bus. En partant de chez moi 90 minutes plus tĂŽt. Et, j’ai marchĂ© aussi. J’ai continuĂ© de marcher. Je marchais dĂ©jĂ  avant la pandĂ©mie mais moins pour me rendre au travail. Depuis deux Ă  trois semaines, sans doute depuis le 11 Mai, je me suis relĂąchĂ©. Je pars maintenant plus tard de chez moi : comme avant les mesures de confinement. Mais je continue de prendre le bus le plus possible, une fois arrivĂ© Ă  St Lazare.

 

On voit beaucoup mieux ce qui nous entoure en prenant le bus, je trouve. Et la pandĂ©mie m’a poussĂ© Ă  ça:

Beaucoup regarder autour de moi. Pas uniquement par inquiĂ©tude. Mais aussi par curiositĂ©. Cette curiositĂ© que j’avais perdue par habitude et aussi en m’immergeant dans le mĂ©tro et dans la foule qui sont souvent les cendriers de nos regards.

 

Avant la pandĂ©mie, j’avais commencĂ© Ă  lire La DerniĂšre Ă©treinte de l’éthologue Franz de Waal. Un trĂšs bon livre, trĂšs agrĂ©able, empruntĂ© Ă  la mĂ©diathĂšque de ma ville et que j’ai toujours.

Avec la pandĂ©mie, j’ai perdu ma lecture. BercĂ© par l’étreinte de la pandĂ©mie, je n’ai pas pu remettre ma tĂȘte Ă  cette lecture mĂȘme si je sais en thĂ©orie que son contenu aurait trĂšs bien servi Ă  dĂ©crypter ce que nous avons vĂ©cu et continuons de vivre depuis la pandĂ©mie.

Par contre, j’ai lu beaucoup plus de journaux que d’habitude durant la pandĂ©mie. Cela a Ă©tĂ© instinctif. Une mesure d’autoprotection personnelle : Ă  l’anxiĂ©tĂ© gĂ©nĂ©rale relayĂ©e par la tĂ©lĂ©, les rĂ©seaux sociaux, les collĂšgues, les amis et les proches, j’ai assez vite prĂ©fĂ©rĂ© le Savoir du papier, la diversitĂ© des journaux et des langues ainsi que l’expĂ©rience physique du dĂ©placement jusqu’au point presse. J’ai eu de la chance :

Il y a un point presse prĂšs de mon travail qui est restĂ© ouvert pendant toute la pandĂ©mie et, cela, dĂšs 7h30 jusqu’à 20h.

 

Lorsque l’on parle de self-dĂ©fense, on s’arrĂȘte souvent Ă  la dĂ©finition standard : on pense d’abord au fait d’apprendre Ă  se dĂ©fendre physiquement d’une attaque menĂ©e par un ou plusieurs agresseurs.

Il y a quelques jours, une nuit, sur un rĂ©seau social que tout le monde connaĂźt et sur lequel beaucoup de monde exprime ses Ă©tats d’ñmes et ses certitudes, moi y compris, une copine a postĂ© une vidĂ©o d’un cours de self-dĂ©fense. Cela m’a Ă©tonnĂ© venant de cette copine que je connais comme Ă©tant une trĂšs grande intellectuelle et qui Ă©tait assez peu portĂ©e, officiellement, sur ce genre de discipline la derniĂšre fois que nous nous Ă©tions rencontrĂ©s. C’était il y a plusieurs annĂ©es.

 

J’ai regardĂ© la vidĂ©o d’autant que la self-dĂ©fense, les sports de combats et les arts martiaux font aussi partie, depuis des annĂ©es, de mes centres d’intĂ©rĂȘt.

Dans un gymnase, un instructeur aguerri que j’ai dĂ©couvert, faisait ses dĂ©monstrations devant ses «élĂšves Â». La cinquantaine rugissante, en Jeans, tee-shirt et baskets, il en imposait Ă  ses trente ou quarante Ă©lĂšves. Et chacun de ses partenaires se retrouvait Ă©videmment au sol, immobilisĂ© ou contrĂ©, au moyen d’une clĂ© ou d’une soumission, d’une percussion. Ça ne traĂźnait pas. Collant le plus possible Ă  des situations rĂ©elles, son but Ă©tait Ă  l’évidence de pouvoir proposer Ă  ses Ă©lĂšves ou Ă  ses stagiaires des mĂ©thodes efficaces, rapides Ă  assimiler et Ă  reproduire, avec un minimum d’entraĂźnement.

Si je devais comparer son enseignement Ă  la façon dont nous essayons de soigner en santĂ© mentale, je dirais que son enseignement Ă©tait plus proche de la thĂ©rapie brĂšve et comportementale que de la psychanalyse. Avec la self-dĂ©fense, on est dans l’urgence, le comportementalisme, dans l’efficacitĂ© et dans l’action. Et non dans la masturbation intellectuelle et dans le bla-bla. Je peux d’autant plus l’écrire que je suis trĂšs attachĂ© Ă  la psychanalyse.

Si je devais comparer son enseignement Ă  la façon dont on apprend le jeu d’acteur, je dirais qu’il Ă©tait plus proche de ce que je comprends de l’actor’s studio et de toute formation oĂč l’on engage le corps et oĂč on lui fait acquĂ©rir- ou dĂ©sinhiber- des rĂ©flexes dont l’ĂȘtre humain, en tant qu’ĂȘtre animal, est dotĂ© en principe s’il veut pouvoir survivre et se dĂ©fendre. A moins d’avoir Ă©tĂ© « castrĂ© Â», tellement dĂ©truit et humiliĂ©, qu’il n’a plus la moindre force, volontĂ© ou aspiration Ă  se rĂ©volter. Ou Ă  moins de tout intellectualiser en permanence et de tout miser, en tant qu’acteur, sur la diction d’un texte.

 

La particularitĂ© de toutes ces dĂ©monstrations de self-dĂ©fense, de sports de combats ou d’arts martiaux auxquelles nous assistons en direct ou via une vidĂ©o, c’est qu’elles tournent souvent Ă  l’avantage de l’instructeur. Et ça donne envie. Ou ça suscite l’admiration. On se dit :

« J’aimerais bien apprendre ce qu’il enseigne pour pouvoir me dĂ©fendre en cas de besoin ou pour pouvoir dĂ©fendre celles et ceux Ă  qui je tiens Â».

 

De son cĂŽtĂ©, l’instructeur se doit d’ĂȘtre convaincant lors de ses dĂ©monstrations. Pas uniquement d’un point de vue technique. Mais aussi de par son attitude, son rĂ©alisme, et, voire, par son Ă©thique. Et l’instructeur en question mettait tant de conviction devant ses Ă©lĂšves, si volontaires et si inexpĂ©rimentĂ©s de toute Ă©vidence d’un point de vue pugilistique, que cela donnait l’impression qu’il passait vraisemblablement sa vie Ă  penser combat, self-dĂ©fense, combat, self-dĂ©fense. Cela en devenait un peu comique. Mieux vaut rire que mourir.

Mais attention : je ne critique pas. J’ai appris qu’il valait mieux  ĂȘtre Ă  mĂȘme de savoir se dĂ©fendre en certaines circonstances plutĂŽt que de compter sur des amabilitĂ©s et sur la chance. Sauf qu’il faut savoir quand se dĂ©fendre, comment, contre qui, dans quelles proportions et oĂč. Et Avoir aussi, une conscience. De soi, de nos actes, des autres, de notre environnement. 

 

En regardant cette vidĂ©o de « stage Â», j’avais l’impression que l’instructeur s’entraĂźnait et se prĂ©parait depuis des annĂ©es au combat :

La majoritĂ© des instructeurs, profs, enseignants et maitres de combats, de self-dĂ©fense et d’arts martiaux  parmi les plus connus et reconnus, Ă  ce que j’ai constatĂ©, sont gĂ©nĂ©ralement des pratiquants trĂšs expĂ©rimentĂ©s depuis dix, vingt annĂ©es ou davantage dans plusieurs disciplines de dĂ©fense et d’auto-dĂ©fense.  

 

Et, l’instructeur de la vidĂ©o  donnait l’impression que c’était comme s’il n’attendait que ça parce qu’au fond, sans combat,  il s’ennuyait :

C’était donc comme s’il attendait tous les jours que quelqu’un, enfin, vienne le « chercher Â» Ă  la sortie de son travail, dans son sommeil, dans un magasin de vĂ©lo ou sur la route pour l’agresser. Et j’avais aussi l’impression que la majoritĂ© des stagiaires, en le voyant aussi affĂ»tĂ© et percutant, n’avait qu’une envie (et moi aussi) en dĂ©couvrant la somme de travail et de vĂ©cu Ă  engranger pour lui ressembler :

 

Devenir son ami ou l’avoir comme ami dans la vie ou sur Facebook afin, qu’en cas de besoin, il vienne nous dĂ©fendre rapidement.

 

 

 

En matiĂšre de self-dĂ©fense, je me demande ce qui a manquĂ© Ă  Georges Floyd aux Etats-Unis ou Ă  Adama TraorĂ© et Ă  tous les autres, arabes, asiatiques, femmes, enfants, personnes ĂągĂ©es, citoyens lambdas, homosexuels, trans, juifs, armĂ©niens, les AmĂ©rindiens, les pauvres etc lorsqu’ils rencontrent leur prĂ©dateur.

 

 

Je parle du noir amĂ©ricain Georges Floyd et du Français Adama TraorĂ© car ils font dĂ©sormais partie de l’actualitĂ© funĂšbre maintenant que l’on n’a plus peur du Covid-19. Mais je crois qu’il faut aussi penser Ă  bien d’autre victimes et c’est pour ça que j’ai ajoutĂ© ces autres « catĂ©gories Â» de personnes qui font souvent partie des victimes que ce soit dans une dictature ou dans une dĂ©mocratie.

 

 

Dans le monde animal, la biche ou le cerf ne se fait pas toujours attraper par son prĂ©dateur. Mais il est quand mĂȘme un certain nombre de proies et de gibiers qui se font dĂ©vorer. Georges Floyd et Adama TraorĂ© font dĂ©sormais partie de ces victimes qui se sont faites “dĂ©vorer”.

 

J’ai ressenti une grande lassitude en apprenant « l’histoire Â» de Georges Floyd. Comment elle s’est terminĂ©e aprĂšs celle d’Adama TraorĂ© il y a quatre ans. Ce sentiment de lassitude m’a interrogĂ©. Je me suis demandĂ© si j’étais devenu indiffĂ©rent.  Plus jeune, j’aurais Ă©tĂ© en colĂšre.

 

 

Je me suis demandé si je me sentais au dessus de ce qui leur était arrivé ou si je les rendais responsables de leur propre mort.

 

 

Je ne crois pas ĂȘtre indiffĂ©rent Ă  leur mort.

 

Parce qu’avant Georges Floyd et Adama TraorĂ©, pour moi, lorsque j’avais 17 ans, il y avait eu le noir amĂ©ricain Georges Jackson et les frĂšres de Soledad. Ainsi que, bien-sĂ»r, le souvenir de Martin Luther King, Malcolm X, les Black Panthers. Plusieurs de mes modĂšles pour mon adolescence. Un groupe de Reggae comme Steel Pulse a composĂ© un titre en mĂ©moire de Georges Jackson. Le Reggae peut ĂȘtre perçu comme une musique juste festive pour l’étĂ© ou pour s’amuser alors que c’est une musique trĂšs militante.

 

Parmi mes modÚles, adolescent, il y avait aussi eu Nelson Mandela. Et Steve Biko dont on parle beaucoup moins que Mandela et qui a, lui, été vraisemblablement assassiné lors de son emprisonnement:

Officiellement, Steve Biko aurait glissé en prenant une douche. Le groupe Steel Pulse mais aussi Peter Gabriel ont composé une chanson en son hommage.

 

Je me suis demandĂ© pour quelle raison Biko avait Ă©tĂ© oubliĂ© et pour quelle raison, lui, contrairement Ă  Mandela, n’avait pas survĂ©cu Ă  son emprisonnement. Jusqu’à ce que j’apprenne, trĂšs rĂ©cemment, que Steve Biko Ă©tait bien plus critique que Nelson Mandela envers l’Apartheid. Qu’il Ă©tait mĂȘme critique envers l’ANC de Mandela. Et qu’il Ă©tait aussi, plus isolĂ©, mĂ©diatiquement, que Mandela.

 

Bien-sĂ»r, adolescent, parmi mes modĂšles, il y avait aussi eu au moins les auteurs noirs amĂ©ricains : Richard Wright, Chester Himes, James Baldwin. Tous parlaient du racisme anti-noir aux Etats-Unis d’une façon ou d’une autre. Je connaissais aussi l’histoire du boxeur Cassius Clay, devenu Muhammad Ali. Mon pĂšre avait un livre sur lui dans le salon de notre appartement HLM. Je l’avais lu plus jeune comme cette prĂ©face qui parlait du noir John Henry qui, avec ses deux masses, avait Ă©tĂ© plus fort que la machine du blanc pour creuser un trou dans la terre. Et qui, aprĂšs avoir remportĂ© son pari, Ă©tait rentrĂ© chez lui, s’Ă©tait douchĂ©, avait fait sa priĂšre, s’Ă©tait couchĂ© pour ne plus se relever. 

Je connaissais aussi l’histoire des Jeux olympiques de Mexico en 1968. Le poing noir levĂ© des athlĂštes noirs amĂ©ricains sur le podium : Lee Evans, Ron Freeman, John Carlos. Je connaissais aussi d’autres histoires Ă©galement plus vieilles que moi d’athlĂštes que je n’avais jamais vu Ă  la tĂ©lĂ© ( Zatopek, Wladimir Kuts, Peter Snell, Lasse Viren, Herb Elliot…). Je les avais lues dans les magazines de sport de mon pĂšre. 

 

Et j’avais entendu parler de l’esclavage bien plus tĂŽt (avant mes dix ans) : mon pĂšre m’avait racontĂ©. Et, pour lui, le Blanc de France, Ă©tait “l’ennemi”.

Mon pĂšre ne m’a pas parlĂ© de la NĂ©gritude. Adolescent, j’avais entendu parler de la NĂ©gritude, de CĂ©saire, Senghor et de Gontran Damas peut-ĂȘtre Ă  la bibliothĂšque de Nanterre, endroit sacrĂ© que notre instituteur de CE2, Mr Pambrun, un jour, nous avait fait dĂ©couvrir en nous y emmenant Ă  pied depuis notre Ă©cole publique, l’Ă©cole Robespierre.  

 

La diffĂ©rence entre un Martin Luther King, un Malcolm X, certains meneurs des Black Panthers, un George Jackson, un Georges Floyd, un Adama TraorĂ© et un Nelson Mandela qui meurt libre, et en symbole de Paix international,  tient peut-ĂȘtre aussi dans ces deux mots :

 

Self-défense.

 

Nelson Mandela ne pratiquait pas, je crois, de sport de combat. Je ne crois pas non plus qu’il portait d’arme sur lui. MĂȘme s’il a Ă©tĂ©, un temps, un adepte de la lutte armĂ©e.

Sans doute Nelson Mandela a-t’il eu la « chance Â» d’arriver au  bon moment  dans l’Histoire de l’Afrique du sud et dans l’histoire gĂ©opolitique internationale pour, finalement, aprĂšs une vingtaine d’annĂ©es d’emprisonnement, parvenir Ă  rester un interlocuteur incontournable. Ne pas oublier, aussi, l’engagement de son ex-femme, Winnie Mandela, et la menace qu’elle reprĂ©sentait pour le gouvernement sud-africain mĂȘme si, par la suite, certains faits ont Ă©tĂ© reprochĂ©s Ă  Winnie Mandela. Ne pas oublier non plus que Nelson Mandela Ă©tait entourĂ© de soutiens infaillibles (avocats, d’autres militants incarcĂ©rĂ©s comme lui, un soutien international…).

 

Mais la chance et le soutien médiatique et autre ne font pas tout. Mandela a su faire et a pu faire les bons choix stratégiques à certains moments.

Angela Davis, aussi, Ă  sa façon, lorsqu’elle avait Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e ennemie publique numĂ©ro un des Etats-Unis, a aussi Ă©tĂ© en mesure de pratiquer une self-dĂ©fense qui lui a sauvĂ© la vie. Et, cela est d’abord passĂ© par la fuite par exemple. Une fuite durant laquelle elle avait Ă©tĂ© bien entourĂ©e. Car il faut pouvoir Ă©chapper au FBI ou Ă  la CIA.  Angela Davis aussi avait Ă©tĂ© soutenue y compris de maniĂšre internationale.

 

 

Je me demande donc ce qui a manquĂ© Ă  Georges Floyd et Ă  Adama TraorĂ© en self-dĂ©fense pour survivre. Le mĂȘme genre de soutien qu’un Nelson Mandela ou qu’une Angela Davis ?

 

Pour Georges Floyd, il faut se rappeler que les Etats-Unis sont ce pays oĂč des millions d’AmĂ©rindiens ont Ă©tĂ© exterminĂ©s par les colons europĂ©ens afin de prendre la tĂȘte du pays. Et, il est mĂȘme possible que des noirs enrĂŽlĂ©s dans l’armĂ©e « amĂ©ricaine Â» aient participĂ© Ă  cette extermination contre la promesse par exemple de leur Ă©mancipation ou de leur naturalisation amĂ©ricaine. Lorsqu’un tel pays, les Etats-Unis, devient ensuite la premiĂšre puissance Mondiale et une rĂ©fĂ©rence culturelle mondiale, on peut s’attendre Ă  ce que certains de ses citoyens considĂšrent en 2020 pouvoir continuer de faire avec des noirs ce qui a pu ĂȘtre fait dans le passĂ© en toute impunitĂ© avec des millions d’AmĂ©rindiens mais aussi durant la pĂ©riode de l’esclavage. D’autant plus dans un pays oĂč dans certains Etats il est parfaitement lĂ©gal et normal d’acheter et de possĂ©der plusieurs armes lĂ©tales. 

Le journal ” Le New York Times” de ce jeudi 4 juin 2020.

Aujourd’hui, aux Etats-Unis, si les Noirs font partie des plus touchĂ©s par l’Ă©pidĂ©mie du Covid-19, certains territoires amĂ©rindiens, aussi…   

 

 

 

Pareil pour la France, ex grande Puissance coloniale, et pays encore trĂšs cĂŽtĂ© Ă  travers le monde :

Il doit bien y avoir, aussi, un certain nombre de personnes qui estiment que ce qui a pu ĂȘtre fait par la France « avant Â» dans les colonies peut se refaire aujourd’hui et demain.

 

En France, je refuse pourtant de raser les murs quand je sors. Bien-sĂ»r, si je sais qu’une rĂ©gion ou une zone est une menace pour les personnes de ma couleur de peau, je ferai attention ou essaierai de l’éviter. Et si je sais qu’une certaine attitude peut m’attirer des ennuis, je ferai en sorte de m’en dispenser. ( Lire l’article C’est Comportemental ! ) Mais ça n’est pas toujours possible.

 

Il y a une  forme de mathĂ©matique mortuaire qui veut que si une proie se trouve un certain nombre de fois en contact avec son prĂ©dateur ou son agresseur potentiel, le risque de pressions et d’agressions augmente. C’est donc, finalement, un choix ou une incompĂ©tence au moins politique de permettre ou d’augmenter ce nombre de contacts, cette promiscuitĂ©, entre “chiens et chats”. Et, certains, chiens comme chats, prĂ©fĂšrent mourir au combat plutĂŽt que de se laisser faire. Pendant ce temps-lĂ , les maitres et les maitresses des « chiens et des chats Â», eux, s’en battent les mains. Ils peuvent se permettre de partir en week-end au bord de la mer ou d’aller voir ailleurs et d’ĂȘtre informĂ©s- de temps en temps- par quelques observateurs ou intermĂ©diaires. Et d’intervenir et de faire de la communication lorsque ça peut faire du bien Ă  leur image et Ă  leur carriĂšre.

 

Par dĂ©couragement ou par lassitude, on se dit que l’Histoire des meurtres au moins racistes se rĂ©pĂšte.

 

Les rĂ©seaux sociaux ont beaucoup de travers : beaucoup de personnes qui s’y expriment y sont expertes sur Ă  peu prĂšs tout puisqu’il est facile et gratuit de s’y exprimer. Et on y livre quantitĂ© d’informations personnelles qui rĂ©galent des entreprises dĂ©jĂ  multimilliardaires (les GAFA et autres) ainsi que nos divers gouvernements qui, durant la pandĂ©mie, ont dĂ» faire le plein d’informations pour des dĂ©cennies concernant notre façon de rĂ©agir et d’inter-rĂ©agir en pĂ©riode de pandĂ©mie, d’inquiĂ©tude et de confinement. Je l’ai fait et le fais comme tout le monde. 

Mais les rĂ©seaux sociaux expriment aussi ce souhait, notre souhait idĂ©alisĂ© et rĂ©pĂ©tĂ©, de faire partie d’une communautĂ©. Sauf que, pour l’instant, ce souhait est souvent boiteux car nous avons beaucoup de mal Ă  nous Ă©couter et Ă  nous accepter. Nous prĂ©fĂ©rons encore trop trancher et dĂ©cider quand  les autres ont tort et qui a tort. Tandis que nous, nous estimons ĂȘtre du cĂŽtĂ© de la raison et de la luciditĂ©. Nous sommes donc encore un peu trop nombreux Ă  ĂȘtre des dictateurs au moins virtuels ou digitaux. Peut-ĂȘtre qu’avec le temps et certaines expĂ©riences, nous finirons par ĂȘtre un peu moins dictateurs et Ă  former un peu mieux cette communautĂ© vivante (humaine et non-humaine) que, trĂšs maladroitement et trĂšs brutalement, nous essayons de crĂ©er et vers laquelle nous tĂątonnons.

 

 

 

Je n’ai pas parlĂ© de ça hier matin, Ă  la jeune vendeuse du Relay  de la gare d’Argenteuil. J’étais venu acheter le dernier numĂ©ro du Canard EnchaĂźnĂ© lorsque j’ai vu que mĂȘme le Relay, maintenant, vendait des masques de self-dĂ©fense contre le covid-19. Un mois et demi plus tĂŽt, environ, cette jeune vendeuse, comme ses collĂšgues, travaillait sans aucune protection. Je m’en Ă©tais Ă©tonnĂ© sans insister. Comprenant que leur employeur Ă©tait responsable de cette nĂ©gligence, je m’étais abstenu de tout commentaire bruyant afin d’éviter de l’accabler davantage.

Deux ou trois semaines plus tard, la mĂȘme vendeuse, d’autoritĂ©, se pointait Ă  la sortie du Relay avec son flacon de gel hydro-alcoolique. C’était sa self-dĂ©fense sanitaire et elle Ă©tait dĂ©terminĂ©e Ă  sauver sa peau. Comme les autres clients prĂ©sents, je m’étais soumis Ă  la leçon du gel hydro-alcoolique mĂȘme si, Ă  mon avis, j’étais suffisamment renseignĂ© sur le sujet du fait de mon mĂ©tier de soignant en pĂ©dopsychiatrie (ce qu’elle ignore). Et puis, par expĂ©rience, je reproche au gel hydro-alcoolique d’abĂźmer les mains. Je lui prĂ©fĂšre donc le savon qui n’a pas attendu la fabrication  et la diffusion du gel hydro-alcoolique pour nous donner une hygiĂšne respectable.

 

Hier matin, non seulement le flacon de gel hydro-alcoolique Ă©tait  Ă  disposition de façon facultative devant l’entrĂ©e du Relay mais la jeune vendeuse, non-masquĂ©e, derriĂšre la protection plastifiĂ©e de sa caisse, dansait en reprenant les paroles d’un tube qui passait.

 

J’ai reconnu Aya Nakamura alors que la vendeuse rĂ©pĂ©tait :

 Â« Ah, je m’en tape ! Si tu veux qu’on le fasse!».

 

Quand je lui ai demandĂ© des renseignements concernant les masques rĂ©utilisables (2 pour 4, 40 euros. Une affaire ! ) elle n’a pas compris tout de suite. Ce n’est pas la premiĂšre fois qu’elle rĂ©agit de cette maniĂšre. Mais avec la musique en plus, cette fois-ci, sĂ©rieuse, elle a tendu l’oreille comme une jeune femme qui vaque dans une boite de nuit et que j’aurais essayĂ© de draguer comme un plouc.  J’ai eu l’impression de revenir plusieurs annĂ©es-lumiĂšre en arriĂšre. Et d’ĂȘtre transformĂ© malgrĂ© moi en l’homme Ă  tĂȘte de chou de Gainsbourg. Chanson que cette jeune n’a peut-ĂȘtre jamais Ă©coutĂ©e. Et elle s’en battrait sans doute les couilles si elle le faisait.

 

« Il n’y a plus de masques rĂ©utilisables Â» a fini par me lĂącher la jeune vendeuse totalement indiffĂ©rente Ă  mon corps. Elle a nĂ©anmoins fait l’effort de me rĂ©pondre rapidement qu’elle ne savait pas quand il y ‘ en aurait. Peut-ĂȘtre la semaine prochaine. AprĂšs ça, elle Ă©tait au maximum de son accomplissement commercial. Et elle a repris le refrain de sa chanson. 

 

Franck Unimon, jeudi 4 juin 2020.