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Massage Ă  l’huile au Ban MaĂŻ ThaĂŻ

Au Ban MaĂŻ ThaĂŻ, ce jeudi 26 janvier 2023, aprĂšs le massage. Photo©Franck.Unimon

       Massage Ă  l’huile au Ban MaĂŻ ThaĂŻ

 

Auparavant, je n’avais jamais envisagĂ© qu’une table de massage puisse ĂȘtre une table d’opĂ©ration. Et que la plus grande partie de mon corps recevrait cette opĂ©ration.

 

Nous nous plaignons de relations superficielles. Ce que j’ai vĂ©cu hier avait un peu un  caractĂšre sacrificiel. Mais je ne le savais pas  en choisissant d’entrer dans ce salon de massage au 99, rue GlaciĂšre, dans le 14 Ăšme arrondissement de Paris, plutĂŽt que dans le salon de thĂ© un peu plus loin. 

 

Tout ce que je voulais, tout ce que je voyais, c’était que j’avais besoin de me rĂ©chauffer.

Paris, prĂšs de St Lazare, le 19 janvier 2023. Photo©Franck.Unimon

A la fin de ce mois de janvier, je me sentais fatiguĂ©. Il faisait froid et humide depuis plusieurs jours. Et cela faisait plusieurs annĂ©es que je m’étais dit que ce serait bien d’aller me faire me masser de temps en temps.

 

Mais par oĂč commencer ? Dans quel lieu de massage ? Il y avait les instituts de beautĂ©, les forfaits massages sans Ăąme, les endroits oĂč l’on vous fait payer le cadre plus que la rĂ©elle habilitĂ© Ă  vous relaxer, les dĂ©barras de sperme camouflĂ©s
.

 

J’en ai fait un peu l’expĂ©rience : en France, lorsque vous parlez massage, on pense tout de suite aux prĂ©liminaires sexuels. On est encore assez peu sportif en France question massage.

 

MĂȘme si l’on parle de yoga, de zen, d’Arts martiaux, d’application de mĂ©ditation, de l’importance de prendre son temps, de se reconnecter avec soi-mĂȘme, dĂšs que l’on parle de massage, un trouble se dĂ©clare. J’ai l’impression que celui qui se montre sympathique ou inoffensif et en profite pour verser en douce du GHB dans un verre est presque plus frĂ©quentable que celui qui va parler de « massage Â».

 

« Je n’aime pas que l’on me touche Â» m’a dit hier soir une collĂšgue plutĂŽt sympathique alors que nous marchions tous les deux cĂŽte Ă  cĂŽte en discutant vers le mĂ©tro. Pour plaisanter, je lui ai alors demandĂ© :

« J’espĂšre que je ne suis pas trop prĂšs de toi pendant qu’on parle ». Elle a souri voire elle a rigolĂ©. Un peu.

 

J’ai un rapport diffĂ©rent au massage. Un jour, un de mes collĂšgues formĂ© Ă  la psychanalyse qui doit Ă  mon avis peu se faire masser m’a dit :

« Le corps, c’est l’inconscient Â». ça m’a marquĂ©. Notre corps nous marque et nous attache. Et un massage marche sur toutes ces marques et toutes ces attaches que notre histoire nous a laissĂ©e. Cela n’a pas grand chose de sexuel mĂȘme si un massage peut aussi ĂȘtre d’inspiration sexuelle.

 

J’ai Ă©tĂ© sportif et le suis encore un peu. Et, pour moi, un massage, cela a d’abord Ă©tĂ© d’ordre sportif. Lorsqu’un joueur de tennis se fait masser sur un court de tennis, le but recherchĂ© n’est pas l’obtention d’une plus grande Ă©rection mĂȘme si son but, ensuite, consistera Ă  faire tout son possible pour envoyer profond sa balle de tennis (ne changez pas le mot en chemin dans votre tĂȘte, s’il vous plait) dans les limites du terrain adverse.

 

Mais avant le sport, j’avais appris dĂšs l’enfance Ă  approcher un autre corps par la danse et la musique. C’était une rĂšgle et mĂȘme une obligation culturelle et sociale. Ne pas savoir danser avec quelqu’un d’autre, c’était la honte. Et, je parle d’une danse rapprochĂ©e. Avec des titres aussi longs voire plus longs que les slows cĂ©lĂšbres.

 

Enfin, le chĂątiment corporel, y compris en public, ça peut aussi dĂ©complexer question rapport Ă  son propre corps. Cette semaine, ma fille m’a demandĂ© si, enfant, j’avais connu des maitres Ă  l’école qui tiraient les oreilles. Oui, ma fille. Et mĂȘme des maitres qui giflaient. J’ai mĂȘme reçu un coup de pied dans le derriĂšre. Tiens, je vais te raconter une histoire. Figure-toi qu’un jour, ton grand-pĂšre est allĂ© voir mon maitre avec moi Ă  l’école. J’étais en CE2. Il a dit Ă  mon maitre : «  Vous savez, Franck, s’il fait des bĂȘtises, vous pouvez le frapper
. Â».

 

Sourire.

 

Ça peut vous dĂ©complexer avec le fait que l’on touche votre corps. Ça et  toutes ces expĂ©riences sensorielles oĂč notre corps est sollicitĂ©. A travers une pratique sportive, pour peu que l’on se soit appliquĂ© Ă  ĂȘtre aussi performant que possible dans la durĂ©e, on fait l’apprentissage de certaines rĂ©actions de notre corps. Voire, on les accepte. Peut-ĂȘtre trop, aussi.

 

Quelqu’un m’a dit un jour : « Je n’aime pas transpirer Â». ça m’a marquĂ©.

 

Mais si le massage donne souvent l’impression Ă  certains d’ĂȘtre seulement l’antichambre d’Eros, la suite de cette anecdote a plutĂŽt Ă  voir avec le seuil de douleur que l’on accepte d’approcher. Car si ma collĂšgue –celle qui n’aime pas se faire masser-  a d’ores et dĂ©jĂ  de l’arthrose dans les genoux au point de prĂ©fĂ©rer l’escalator aux escaliers, le massage d’hier m’a catapultĂ© dans une expĂ©rience trĂšs engagĂ©e du massage. Il n’y avait absolument rien de superficiel dans ce que j’ai vĂ©cu hier.

 

Je l’ai dĂ©jĂ  fait comprendre, je n’avais pas d’apprĂ©hension en entrant dans ce salon de massage hier. J’avais Ă  peu prĂšs deux heures devant moi avant de retourner au travail pour une rĂ©union. Un peu plus tĂŽt dans l’aprĂšs-midi, dĂ©jĂ , je m’étais arrĂȘtĂ©, rue du Cherche-Midi, dans un salon de massage chinois bien recommandĂ© par certains avis lus sur internet. C’était sur mon trajet avant de me rendre Ă  une confĂ©rence Ă  mon travail sur les UMJ (les unitĂ©s mĂ©dico-judiciaires). Je me suis contentĂ© d’un massage des pieds de quinze minutes. Bain de pieds chaud au prĂ©alable. Puis, massage des pieds en commençant par les chevilles. Je m’attendais Ă  un massage plus poussĂ© des pieds mais cela fut agrĂ©able. En plus, comme c’était une pĂ©riode creuse, j’ai eu le droit Ă  un (petit) massage de la nuque. Avant de partir, on m’a aussi servi un thĂ©. 15 euros pour 15 minutes au lieu de 20 euros. Je me suis ensuite dirigĂ© vers la gare Montparnasse.

 

AprĂšs le sĂ©minaire, j’avais Ă  peu prĂšs deux heures de libres. J’en ai profitĂ© pour dĂ©couvrir un peu plus les environs. Je suis passĂ© devant ce salon de massage thaĂŻlandais, le Ban MaĂŻ ThaĂŻ. ExtĂ©rieurement, il m’a fait une plutĂŽt bonne impression. Et ses tarifs pour une heure de massage, bien qu’un peu Ă©levĂ©s par rapport Ă  mes enseignements (un euro par minute de massage) restaient observables. Je ne suis pas entrĂ© tout de suite. J’ai continuĂ© de me balader.

Paris, prĂšs de la rue GlaciĂšre, ce jeudi 26 janvier 2023. Photo©Franck.Unimon

 

Puis, je suis revenu environ trente minutes plus tard.

 

J’ai Ă©tĂ© formĂ© au massage bien-ĂȘtre. J’ai dĂ©jĂ  Ă©tĂ© massĂ© un certain nombre de fois. C’était un des principes de la formation. Masser des personnes diffĂ©rentes et se faire masser par des personnes diffĂ©rentes. Je suis donc entrĂ© hier en demandeur et en « connaisseur Â». Du moins, en connaisseur de ce que je connaissais dĂ©jĂ .

 

Massage (complet) aux huiles ou massage thaĂŻlandais ? Telle Ă©tait la question. On partait pour une heure, de toute façon, pour 70 euros. Je pouvais accepter ce tarif. C’était la fin du mois. Plus cher, j’aurais tiquĂ© pour une premiĂšre fois.

 

La femme qui m’accueillait, trĂšs certainement d’origine thaĂŻlandaise, Ă©tait tout sourire. Et, dans son Français, elle faisait de son mieux pour me renseigner. Elle m’a assez vite dirigĂ© vers le massage aux huiles. Mais je trouvais que ça faisait trop clichĂ©, le client qui demande un massage aux huiles. J’avais encore en tĂȘte le massage californien et peut-ĂȘtre aussi le titre HĂŽtel California des Eagles.  

 

MalgrĂ©  toutes les informations devant moi, je n’avais toujours pas traversĂ© l’ocĂ©an pacifique jusqu’à l’Asie.

 

J’ai vraiment eu envie du massage thaĂŻlandais. Je pensais Ă  des Ă©tirements tout en douceur


 

Lorsque je lui ai demandĂ© si ce massage faisait du bien ensuite, mon hĂŽtesse m’a rĂ©pondu en gardant son sourire qu’aprĂšs je prendrais peut-ĂȘtre du doliprane. Mais que le lendemain, je me sentirais bien. Puis, presqu’en forçant sa nature, elle s’est montrĂ©e un peu directive en me disant « Je pense que le massage aux huiles, ce serait bien pour la premiĂšre fois Â».

 

Je l’ai Ă©coutĂ©e. J’ai bien fait.

 

J’ai d’abord payĂ©. Puis, elle m’a apportĂ© une paire de sandales. Je me suis dĂ©chaussĂ©. J’ai voulu me lever pour amener mes chaussures. Elle m’a fait comprendre que c’était son travail et elle les a dĂ©posĂ©es prĂšs d’autres chaussures rangĂ©es Ă  l’entrĂ©e. Il y avait une paire de baskets Nike blanches.

 

Vous voulez aller aux toilettes ? J’ai acquiescĂ©.

 

Ensuite, toujours souriante, elle m’a demandĂ© si j’avais mal quelque part. J’ai donnĂ© quelques indications. Puis, elle s’est volatilisĂ©e. Peu aprĂšs, elle est revenue avec une jeune femme, d’une trentaine d’annĂ©es Ă  peine, aussi petite qu’elle, Ă  peu prĂšs un mĂštre soixante, peut-ĂȘtre moins. Toute aussi souriante, celle-ci m’a accompagnĂ© vers un escalier qui nous a fait descendre jusqu’à une petite piĂšce oĂč attendait une salle de massage. Je dirais que la salle devait faire dans les 6 mĂštres carrĂ©s. Tout Ă©tait optimisĂ©. La table, deux cintres, de quoi poser ses vĂȘtements. La lumiĂšre Ă©tait apaisante. Une musique mĂ©lodique et sans doute trĂšs uniforme aussi n’a cessĂ© de couler pendant la sĂ©ance.

 

Ma future masseuse m’a remis un sachet fermĂ© contenant  un slip jetable bleu qui avait l’allure d’un string et s’est Ă©clipsĂ©e. Lorsqu’elle est revenue et que je l’attendais, allongĂ©e sur le dos, celle-ci s’est aperçue que j’avais mis le slip Ă  l’envers. Petit rire. Nouvelle Ă©clipse. Nouveau retour.

 

Je me suis allongĂ© sur le ventre comme elle me l’a demandĂ©. J’ai fermĂ© les yeux. J’ai Ă©tĂ© recouvert de serviettes chaudes. Puis, sans beaucoup attendre, ma masseuse souriante a encastrĂ© son “savoir- fer” dans mon corps. Elle a bien dĂ» monter sur la table afin de  mettre tout son poids. En tout cas, elle m’est montĂ©e dessus ou a roulĂ© sur mon corps. Alors, je me suis rappelĂ© ce que j’avais entendu dire, dans le passĂ©, Ă  propos de ces massages en ThaĂŻlande qui pouvaient ĂȘtre difficiles Ă  supporter physiquement.

 

Cinq Ă  dix minutes Ă  peine s’étaient passĂ©es que je louais mes capacitĂ©s expiratoires afin d’accepter le programme essorage de ma jeune praticienne. Je n’ai pas perçu d’agressivitĂ© particuliĂšre de sa part mais je me suis bien demandĂ© oĂč Ă©tait la frontiĂšre  consciente entre un massage et un acte de guerre.

Bien-sĂ»r, j’ai pensĂ© Ă  la torture. Cet ensemble d’actions par lequel on refuse que l’autre nous Ă©chappe.

Mais quand je pense Ă  la guerre, c’est pour cette grande connaissance du corps humain. Tant pour la connaissance de ses points faibles que de ses zones de rĂ©sistance.

 

« You, Ok ? Â» m’a demandĂ© gentiment ma masseuse par intervalles de dix minutes. Elle semblait bien renseignĂ©e quant au fait que je pouvais connaĂźtre des moments difficiles.

 

J’ai rĂ©pondu, oui.

 

Je me suis dit que le peuple thaĂŻlandais devait ĂȘtre un peuple particuliĂšrement souple pour avoir ce type de massage-repassage.

 

Cependant, Ă©tant allongĂ© sur le ventre, et stimulĂ© en profondeur comme je l’étais, j’ai commencĂ© Ă  redouter la venue d’une Ă©rection. J’ai pensĂ© Ă  Desproges qui, dans un de ses sketches, racontait ce malaise qu’il avait pu ressentir en Ă©tant collĂ© Ă  un de ses voisins dans l’ascenseur exigu de son immeuble mais aussi sa crainte de voir survenir en lui une Ă©rection.

 

Mon inquiĂ©tude a Ă©tĂ© facilement Ă©conduite. La tonicitĂ© du massage et les Ă©tirements assez poussĂ©s ne s’accouplaient pas avec une Ă©rection. Et l’intention de ma masseuse aussi, sans aucun doute.

 

Tout cela, c’était la prise en main, Ă  sec, des jambes et des pieds. Nous n’en n’étions qu’au commencement.

De l’huile chaude est arrivĂ©e sur ma peau. Juste comme il faut. Ma masseuse a poursuivi son travail de conquĂȘte cutanĂ©e. Parvenue en haut de mon dos, mes jambes recouvertes Ă  nouveau par une serviette, il y a eu un premier craquement. Puis un second. Puis un troisiĂšme. Elle n’allait pas laisser passer ça.

 

« You, ok ? Â».

 

Dans cette sĂ©ance de massage particuliĂšrement satisfaisante, le summum a Ă©tĂ© atteint lorsqu’elle s’est occupĂ©e de mes omoplates. En particulier, peut-ĂȘtre du muscle trapĂšze. Elle m’a donnĂ© l’impression de le tasser avec son coude.

 

Coudes, poids du corps sur la table et poing Ă©taient en libre service lors de cette sĂ©ance.  

 

Le massage du ventre et des pectoraux Ă©tait moins accompli mais j’avais eu mon compte. Une fois installĂ© sur la table de massage, l’heure est passĂ©e rapidement.

 

AprĂšs m’ĂȘtre rhabillĂ©, je suis remontĂ©. Un thĂ© chaud m’attendait avec une coupelle contenant quelques fruits. Ainsi que mes chaussures.

AprĂšs le massage, hier. Photo©Franck.Unimon

J’ai revu celle qui m’avait massĂ© et lui ai demandĂ© son prĂ©nom. J’avais un peu de mal Ă  la reconnaĂźtre. Je n’avais fait que l’apercevoir.  Il m’a semblĂ© qu’elle estimait n’avoir fait que son travail. Ce qui Ă©tait vrai. Mais c’était un travail plutĂŽt bien fait et il fallait le remarquer. La jeune masseuse, aprĂšs m’avoir prononcĂ© son prĂ©nom Ă  la ThaĂŻlandaise m’a amenĂ© une carte du salon en souriant. Je l’ai prise mĂȘme si j’en avais dĂ©jĂ  une. Puis, elle a disparu pour rejoindre d’autres masseuses dans une piĂšce oĂč j’avais l’impression qu’elles s’y mettaient Ă  plusieurs pour s’occuper d’une personne.

 

 Â« L’ hĂŽtesse Â» s’est aussi assurĂ©e que tout s’était bien passĂ©. Dans ce genre de commerce souvent tenu par des femmes, j’ai l’impression, un homme est venu discrĂštement prendre la suite Ă  l’accueil. Le salon allait fermer dans moins d’une heure.

Devant le Ban MaĂŻ ThaĂŻ, ce jeudi 26 janvier 2023, vers 19h. Photo©Franck.Unimon

 

Entre 11h et 14h, l’heure de massage descend Ă  57 ou 56 euros. Je reviendrai sĂ»rement en profiter un jour.

 

Mon corps Ă©tait rĂ©chauffĂ© lorsque je suis parti. La prochaine fois, j’irai aussi au salon de thĂ© qui se trouve un peu plus loin.

 

Je suis arrivĂ© avec environ vingt minutes de retard Ă  ma rĂ©union au travail. J’étais un petit peu ailleurs. Mais il n’y avait pas de nĂ©cessitĂ© de s’agiter. Et puis, je faisais partie des prĂ©sents dans la salle. Quelques autres collĂšgues Ă©taient sur Skype.

 

La rĂ©union a durĂ© moins longtemps que je ne l’avais prĂ©vue. En partant, je n’ai pas eu l’impression d’avoir perdu mon temps. J’ai mĂȘme fait une partie du trajet avec une de mes collĂšgues qui n’aime pas qu’on la touche. Nous avons discutĂ©. C’était un moment assez privilĂ©giĂ©, personnel et dĂ©tendu. C’était la premiĂšre fois que nous le faisions en dehors du service.

 

Franck Unimon, ce vendredi 27 janvier 2023.

 

 

 

 

 

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En Concert

Rodolphe Burger, Sofiane Saïdi et Mehdi Haddab en concert au New Morning ce 15 décembre 2022

Rodolphe Burger avec Sofiane Saïdi et Mehdi Haddab au New Morning ce 15 décembre 2022

Sofiane SaĂŻdi, Rodolphe Burger et Mehdi Haddab au New Morning, ce 15 dĂ©cembre 2022 Ă  la fin du concert. Photo©Franck.Unimon

 

La musique et ses artistes. Nos choix, nos mesures. Ceux que l’on a retenus, ceux qui nous ont laissĂ© leur morsure et d’autres, leur monture. Je reste inconsolĂ©, dĂ©sormais, chaque fois que je repense Ă  Finley Quaye qui avait tout pour lui et qui a tout perdu Ă  la fin des annĂ©es 90 :

Le charme, le toucher de guitare Jazz,  la « soul Â», le Reggae, l’électronique, la voix, la chaleur, la crĂ©dibilitĂ©, la cĂ©lĂ©britĂ© Ă  moins de 25 ans aux cĂŽtĂ©s de piliers comme Massive Attack, Tricky, Portishead, Björk. Björk dont, dĂ©sormais, le montant des places de concert,  ressemble Ă  celui de certains restaurants luxueux que seules peuvent s’offrir des personnes aisĂ©es et mondaines qui vont se faire « Un Björk Â» comme on va « se faire un Picasso Â» ou des fans prĂȘts Ă  se mettre Ă  dĂ©couvert et Ă  endetter leur descendance sur trois gĂ©nĂ©rations pour rester fidĂšles Ă  « leur Â» artiste.

Finley Quaye ne connaĂźtra pas ça. Cette vie de star Ă©tait peut-ĂȘtre trop dure pour lui. Et, il n’est pas le seul Ă  qui cela est arrivĂ© et Ă  qui cela arrivera.

Cela n’arrivera pas ou ne devrait pas arriver Ă  Rodolphe Burger, Sofiane SaĂŻdi et Mehdi Haddab. Des trois, et il faudra m’excuser pour cela, le premier est celui que je connais le « mieux Â». MĂȘme si c’est peu, je ne compte pas m’inventer un Savoir artificiel pour parler d’eux.

Mehdi Haddab, Ă  droite, la main sur son oud, Rodolphe Burger au milieu, puis Sofiane SaĂŻdi au New Morning, ce 15 dĂ©cembre 2022 Ă  la fin du concert. Photo©Franck.Unimon

Mehdi Haddab, je sais qu’il a jouĂ© avec Smadj, qu’il a Ă©lectrifiĂ© son Oud dont il est l’un des plus grand maitres actuels depuis une bonne vingtaine d’annĂ©es. J’ai lu qu’aprĂšs avoir d’abord Ă©tĂ© guitariste rock qu’il avait ensuite appris Ă  jouer de son instrument avec les plus grands Maitres. En particulier, en Egypte. En cela, mĂȘme si son parcours est Ă©videmment singulier et personnel, il peut rappeler l’Anglaise Susheela Raman, lorsque celle-ci Ă©tait partie perfectionner son chant en Inde avant de se faire connaĂźtre internationalement.

 

Mehdi Haddab, franco-algĂ©rien, avant d’ĂȘtre un trĂšs grand musicien, a Ă©tĂ© un trĂšs grand cosmopolite. Sur le net, je suis tombĂ© sur une interview de lui (datĂ©e de 2016) par la journaliste Anne Berthod pour TĂ©lĂ©rama.  Ses propos concernant un concert de m’balax « pur et dur, hardcore, musicalement trĂšs Ă©levĂ© Â» de Pape Diouf au Thiossane, commencĂ© Ă  2 heures du matin pour se terminer Ă  6 heures, m’ont donnĂ© envie d’ĂȘtre avec lui Ă  ce moment-lĂ . Mais, pour cela, encore faut-il ĂȘtre prĂȘt Ă  voyager par la musique Ă  deux heures du matin en pays Ă©tranger.

Sofiane SaĂŻdi et Mehdi Haddab au New Morning, ce 15 dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Nos rencontres et nos soirĂ©es, tant que l’on en connaĂźt, nous permettent de nous dispenser de ce genre de dĂ©calage horaire comme de ce genre de trajet Ă  forte valeur ajoutĂ©e kilomĂ©trique, ou, au contraire, Ă  les rechercher. Typiquement, ces rencontres et ces soirĂ©es Ă  forte tendance musicale correspondent Ă  cette pĂ©riode grosso modo situĂ©e entre nos premiĂšres bouffĂ©es de chaleur dues Ă  la prĂ©adolescence jusqu’ Ă  leurs effets ou conclusions couronnĂ©es ou non de succĂšs au dĂ©but de l’ñge adulte. Un Ăąge adulte qui varie encore selon les individus mais qui dĂ©bouche quand mĂȘme Ă  peu prĂšs toujours et sensiblement sur la mĂȘme espĂšce de conclusions. Celles-ci consistent gĂ©nĂ©ralement Ă  se retrouver dans le monde du travail, aprĂšs avoir connu si possible quelques accouplements uniques ou rĂ©pĂ©tĂ©s plus ou moins satisfaisants, plus ou moins secondaires, avec ou sans progĂ©niture active, mais avec de la fatigue, quelques kilos et du ventre en trop. Et, aussi,  pour certaines et certains, en ayant « attrapĂ© Â» des addictions au passage.   

 

PassĂ© ce cap oĂč l’on sort le soir comme l’ensemble des personnes de notre entourage et d’à peu prĂšs notre Ăąge, il reste un noyau dur. Tant du cĂŽtĂ© des artistes que du cĂŽtĂ© de celles et ceux qui viennent les voir et les Ă©couter. Celui pour lequel, la musique reste une matiĂšre indispensable. Pour laquelle, on acceptera de continuer de se dĂ©placer qu’il s’agisse dans un festival, un concert ou, simplement, une mĂ©diathĂšque ou un fournisseur physique ou numĂ©rique d’accĂšs Ă  la musique.

 

Rodolphe Burger, Sofiane Saïdi et Mehdi Haddab sont des artistes et des personnes pour lesquelles la musique est une matiùre indispensable. Il ne s’agit pas d’une mode pour eux.

 

Sofiane SaĂŻdi au premier plan au New Morning, ce 15 dĂ©cembre 2022. En arriĂšre plan, Mehdi Haddab. Photo©Franck.Unimon

Sofiane SaĂŻdi, AlgĂ©rien, je l’ai dĂ©couvert ce 15 dĂ©cembre sur scĂšne. Mehdi Haddab, je l’avais mĂȘme croisĂ© sur scĂšne en faisant partie des figurants d’une piĂšce de thĂ©Ăątre Ă  laquelle il participait en tant que musicien au Figuier blanc, Ă  Argenteuil. Une version modernisĂ©e d’Othello avec le rappeur Disiz la Peste dans le rĂŽle d’Othello, mais aussi avec l’acteur Denis Lavant et la musicienne Sapho et d’autres comĂ©diens et danseurs. Mais Sofiane SaĂŻdi, inconnu pour moi. Sur scĂšne, au New Morning, ce 15 dĂ©cembre, c’est lui qui rappellera la grande Cheikha Rimitti mais aussi que des personnes sont mortes en AlgĂ©rie pour s’ĂȘtre exprimĂ©es au travers du RaĂŻ. Et, leur premiĂšre partie, dont j’ai oubliĂ© le prĂ©nom et le nom, lui, rappellera Rachid Taha.

 

Rodolphe Burger, voix et guitare, c’est d’abord un Alsacien. Mais aussi le meneur ou l’un des meneurs du groupe Kat Onoma. C’est comme ça que j’avais entendu parler de Rodolphe Burger, la premiĂšre fois. Dans les annĂ©es 90-2000. Le titre Scie Ă©lectrique m’avait particuliĂšrement attirĂ©. Rodolphe Burger ne chante pas tout Ă  fait. Il « parle-chante Â» Ă  la façon d’un Alain Bashung (ou d’un Serge Gainsbourg sans les excĂšs de langage) que j’écoutais davantage dans les annĂ©es 90-2000 et que j’étais allĂ© voir en concert.

Rodolphe Burger au New Morning, ce 15 dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Je n’avais pas trop Ă©coutĂ© les paroles chantĂ©es-parlĂ©es par Burger. C’était la musique, principalement, qui avait occupĂ© mon attention. AprĂšs cet album intitulĂ© Kat Onoma, je n’avais pas essayĂ© d’en savoir plus sur Rodolphe Burger.

 

Puis, j’ai Ă©tĂ© surpris de tomber sur lui dans un des films de Rabah Ameur-ZaĂŻmeche, un rĂ©alisateur dont j’ai vu la plupart des films au cinĂ©ma. Il devait s’agir du film Dernier maquis (2008) ou Les Chants de mandrin (2012). On y voyait Rodolphe Burger jouer seul de la guitare en plein dĂ©sert. Un peu Ă  la façon du titre White dans l’album Aura de Miles Davis.

 

MalgrĂ© cette surprise, je n’ai pas Ă©tĂ© plus curieux que ça envers Rodolphe Burger.

 

Jusqu’à l’annĂ©e derniĂšre.

Rodolphe Burger au New Morning, ce 15 dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

J’ai oubliĂ© ce qui s’est passĂ©. La radio n’y est pour rien. Pas plus qu’un Ă©ventuel « tube Â» de Rodolphe Burger. Par contre, il y a quelques mois, j’ai empruntĂ© l’album Before Bach qui date de 2004 dans lequel Rodolphe Burger, Erik Marchand, le chanteur breton et
Mehdi Haddab jouent ensemble sur plusieurs titres pour ne pas dire tous les titres de l’album.

Mehdi Haddab au centre, et Rodolphe Burger au New Morning ce 15 dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

Il suffit d’une circonstance, d’une rencontre, d’une soirĂ©e ou d’un titre pour qu’ensuite tout s’enclenche. Ce peut donc ĂȘtre cet album oĂč le fait d’avoir vu une photo en noir en blanc de la musicienne Sarah Murcia, au Triton, aux Lilas, l’annĂ©e derniĂšre, puis d’avoir dĂ©couvert ensuite sa reprise avec Rodolphe Burger du titre Billie Jean de MichaĂ«l Jackson qui m’a « rattrapĂ© Â».

 

Aujourd’hui, avec ses cheveux blancs, sa longĂ©vitĂ©, ses diverses traversĂ©es de par le monde, et son absence voire son silence dans les mĂ©dia qui font le buzz, je vois Rodolphe Burger comme une sorte d’Eric Tabarly. Un Tabarly qui continue de multiplier les projets sur les divers ocĂ©ans de la musique. Sa musique n’est pas gentille. MĂȘme si elle peut ĂȘtre douce et mĂ©ditative, ou drĂŽle et absurde, elle laisse aussi fermenter ses rĂ©cifs qui se dirigent droit sur nous alors que l’on ne s’y attend pas.  

 

Quitte Ă  me contredire sur la « gentillesse Â», je vous invite aussi Ă  Ă©couter l’album Environs sorti en 2020. Pour l’instant, Lost & Looking (avec Sarah Murcia)  et La Chambre (avec Christophe et Philippe Poirier)  y sont mes titres prĂ©fĂ©rĂ©s.  

Sofiane SaĂŻdi et Mehdi Haddab au New Morning, ce 15 dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

Il eut Ă©tĂ© regrettable de rater ce concert du 15 dĂ©cembre au New Morning. Lequel Ă©tait complet. PlutĂŽt majoritairement masculin, d’une moyenne d’ñge de 40-45 ans, il se trouvait un public fĂ©minin bien prĂ©sent. Les trois artistes ont vraisemblablement attirĂ© leurs publics conjoints et respectifs. La place de concert a coĂ»tĂ© 40 euros.

Franck Unimon, ce mardi 17 janvier 2023.

 

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BD ou Bulles dessinées

Frantz Fanon dans une bande dessinée de Frédéric Ciriez et Romain Lamy

 

Frantz Fanon dans une bande dessinée de Frédéric Ciriez et Romain Lamy

 

Frantz Fanon dans une bande dessinĂ©e ? Cela a de quoi faire rigoler. Mes premiĂšres bandes dessinĂ©es n’avaient rien d’aussi rĂ©volutionnaire mĂȘme lorsqu’elles devinrent fantastiques. Mais cette bande dessinĂ©e n’a rien de rigolo.

 

Celle de FrĂ©dĂ©ric Ciriez et Romain Lamy, parue en 2020 aux Ă©ditions de la DĂ©couverte, raconte la rencontre en Italie entre Fanon – dĂ©jĂ  atteint de la leucĂ©mie dont la lave l’emportera dans un hĂŽpital amĂ©ricain-  et Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et Claude Lanzmann.

C’est Ă  dire quelques mois avant la mort du rĂ©volutionnaire, psychiatre, Ă©crivain et penseur martiniquais.

Au dĂ©but, en apprenant que cette bande dessinĂ©e se « rĂ©sumait Â» Ă  cette partie de l’existence brĂšve et trĂšs intensive de Fanon (celui-ci est mort Ă  36 ans), j’ai Ă©tĂ© un peu frustrĂ© qu’on la ramĂšne « encore Â» Ă  Sartre et Ă  Simone de Beauvoir.

 

Lanzmann, le rĂ©alisateur de La Shoah, l’ancien rĂ©sistant, l’écrivain et l’amant durant plusieurs annĂ©es de Simone de Beauvoir, a permis cette rencontre entre Fanon (qui la rĂ©clamait) et Sartre :

« Dites Ă  Sartre que je pense Ă  lui chaque fois que je me mets Ă  ma table de travail
 Â».

 

Il faut ĂȘtre vieux, fĂ©ministe, Juif, Africain, Antillais ou s’intĂ©resser un peu Ă  l’Histoire et Ă  la guerre d’AlgĂ©rie pour avoir entendu parler de Fanon, Sartre, Beauvoir et Lanzmann. Ou c’est peut-ĂȘtre un fantĂŽme qui revient.

 

Fanon est mort en 1961.

 

Si FrĂ©dĂ©ric Ciriez, nĂ© en 1971, est assez « vieux Â», sa naissance Ă  Paimpol ne fait pas de lui un Africain ou un Antillais Ă  premiĂšre vue. Et, pour Romain Lamy, le dessinateur, c’est encore « pire Â» car il est nĂ© Ă  Grenoble en 1982, le « jeunot Â» !

 

Et, il faut suffisamment aimer lire des bandes dessinĂ©es pour dĂ©couvrir Frantz Fanon de FrĂ©dĂ©ric Ciriez et Romain Lamy. Une bande dessinĂ©e assez imposante dont il « faut Â» tourner les plus de deux cents pages, impossible Ă  faire rentrer dans sa poche contre son smartphone et plus lourde qu’une tablette tactile.

 

Pourtant, en France, la bande dessinĂ©e, sous toutes ses formes, se porte bien. C’est un monde que je vois de trĂšs trĂšs loin depuis des annĂ©es. Car bien lire prend du temps et il y a tant Ă  lire.

Fanon est un nom qu’aujourd’hui Ă  l’époque de BĂ©yoncĂ©, Rihanna, Billie Eilish, Dua Lupa, Booba, Aya Nakamura, Niska ou Tiakola, beaucoup ne connaissent pas du tout. 

 

Il y a les nostalgiques et les quelques « spĂ©cialistes Â» qui voient bien ou un peu qui a pu ĂȘtre Fanon tout en dansant par ailleurs sur le dernier tube de Rihanna, Dua Lipa ou Niska.

Au spot 13, novembre 2022. Photo©Franck.Unimon

Et puis, il y a le plus grand nombre qui n’a jamais entendu parler de Frantz Fanon.

 

La salle ovale de la Bnf Richelieu, en octobre 2022, Ă  la fermeture. Photo©Franck.Unimon

 

Dans la salle ovale de la Bnf Richelieu, en plein Paris, Ă  la fin de l’annĂ©e derniĂšre, en 2022, j’avais dĂ» Ă©peler plusieurs fois le prĂ©nom et le nom de Frantz Fanon Ă  une des bibliothĂ©caires afin qu’elle effectue des recherches pour trouver la bande dessinĂ©e de Ciriez et de Lamy. Lorsque l’on sait que Frantz Fanon Ă©tait un trĂšs grand lecteur, du type « supersonique Â», et qu’il aurait sans aucun doute aimĂ© frĂ©quenter ce genre d’endroit, on peut se dire que l’univers de la Culture et du Savoir peut beaucoup manquer de mĂ©moire et connaĂźtre des trĂšs grands ratĂ©s.

Car Fanon, avec AimĂ© CĂ©saire et Edouard Glissant, fait partie des premiĂšres personnalitĂ©s noires et antillaises Ă  avoir faire connaĂźtre la Martinique dans le monde  depuis l’abolition de l’Esclavage en 1848. 

 

Sauf que Fanon, du fait de son engagement auprĂšs du FLN algĂ©rien durant la guerre d’indĂ©pendance contre la colonisation française (« L’AlgĂ©rie, c’est la France Â») et de ses Ă©crits en faveur d’une violence armĂ©e Ă©mancipatrice et « thĂ©rapeutique Â» car dĂ©colonisatrice et promettant l’avĂšnement d’un homme (et d’une femme) nouveau et libre a beaucoup crispĂ©.

 

Fanon, en France, a donc Ă©tĂ© « oubliĂ© Â» par l’Histoire officielle alors que son nom peut ĂȘtre trĂšs connu Ă  l’étranger, aux Etats-Unis ou en Afrique. C’est la raison pour laquelle la bande dessinĂ©e de Ciriez et Lamy est importante car elle rend plus visible et plus facilement accessible une partie de la vie de Fanon. On peut la voir comme un « prolapsus Â» de l’Histoire. Par ailleurs, l’écriture du projet a Ă©tĂ© aidĂ©e « de prĂšs ou de loin et parfois de maniĂšre informelle ou indirecte Â» par des proches de Fanon, incluant aussi bien ses enfants que des personnes qui l’ont connu mais aussi des personnes qui se sont intĂ©ressĂ©es Ă  son Histoire. Ce qui la rend encore plus lĂ©gitime.

 

C’est une trùs grande histoire que celle de Fanon.

 

La rencontre avec Sartre-Beauvoir-Lanzmann dĂ©bute en aout 1961 en Italie. ( Fanon et Lanzmann avaient auparavant fait connaissance en Tunisie). Elle durera quelques jours et marquera le trio. 

Fanon dĂ©cĂ©dera aux Etats-Unis le 6 dĂ©cembre 1961. L’AlgĂ©rie, pays pour lequel Fanon s’est engagĂ© et dont il est alors l’ambassadeur aprĂšs avoir Ă©tĂ© le porte-parole du FLN, deviendra indĂ©pendante en mars 1962.

 

Dans cette bande dessinĂ©e, on voit un homme enchevĂȘtrĂ© dans sa cause mais aussi dans son idĂ©al. Un homme lancĂ© Ă  pleine vitesse et Ă  pleine puissance malgrĂ© le fait que son vaisseau, son propre corps, n’arrive plus Ă  suivre les trajectoires et les buts qu’il s’est fixĂ©.

 

« Je n’aime pas les gens qui s’économisent Â» peut dire Fanon dans les premiĂšres pages de cette bande dessinĂ©e. On peut dire que Fanon aura passĂ© une bonne partie de sa vie auprĂšs de personnes qui ne s’économisent pas. On comprend que plusieurs annĂ©es aprĂšs sa mort, celles et ceux qui l’ont connu, observĂ©, cĂŽtoyĂ©  ou affrontĂ©, se rappellent encore de lui. Mais celles et ceux qui se sont servis de lui ?

 

L’ouvrage de Ciriez et Lamy montre bien que si Fanon happe son entourage de par sa sincĂ©ritĂ© et ses connaissances qu’il est bien moins ou de moins en moins le maitre et l’architecte de ce qu’il souhaite et prĂ©voit. AttablĂ© Ă  forger son utopie, on le dirait entourĂ© de mains habiles toutes contentes de se servir de sa matiĂšre grise en lui laissant la bile de dĂ©sillusions grandissantes et Ă  venir.

 

En lisant, je me demande comment Fanon  a pu encore croire en la rĂ©volution algĂ©rienne aprĂšs l’assassinat d’Abane Ramdane. Il a dĂ» fournir un effort surhumain pour y parvenir. Ou refuser par orgueil de se faire contredire par les faits. Ou, peut-ĂȘtre, comme certains joueurs pathologiques, mais magnifiques, ĂȘtre victime de ses propres croyances erronĂ©es ( Marc Valleur nous parle du jeu pathologique ). Et, Sartre, De Beauvoir et Lanzmann, des personnalitĂ©s de premier plan engagĂ©es et capables de prendre des risques, au cƓur de l’action et de l’Histoire, ne pouvaient qu’ĂȘtre captivĂ©es par Fanon qui leur ressemblait et qui, comme eux, voulait faire l’Histoire plutĂŽt que la subir.

 

L’attachement viscĂ©ral de Fanon Ă  la cause algĂ©rienne vient peut-ĂȘtre aussi du fait qu’il aurait voulu voir cette rĂ©volution advenir en Martinique. Et que, pour lui, arrĂȘter de croire en la rĂ©volution algĂ©rienne serait peut-ĂȘtre revenu Ă  ne plus avoir d’espoir pour l’avenir de la Martinique et des « rĂ©gions Â» d’outre-mer. Fanon Ă©tait contre la dĂ©partementalisation choisie par AimĂ© CĂ©saire. La dĂ©partementalisation allait sans doute de pair avec la fonctionnarisation, ce qui Ă©tait contraire au rĂ©volutionnaire Fanon.

 

Ce qui a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© le plus reprochĂ© Ă  Fanon, et c’est aussi la raison pour laquelle il a Ă©tĂ© craint et dĂ©testĂ©, ou adorĂ©, c’est d’avoir Ă©tĂ© un homme sur-intelligent et instinctif souvent prĂȘt Ă  prendre tous les risques. Un homme noir mariĂ© Ă  une femme blanche. Donc, un homme affranchi dans tous les sens possibles   ( libre, formĂ© et informĂ©), dĂ©cidĂ©, dĂ©cideur, sur-mesurĂ©, indomptable et imprĂ©visible, plutĂŽt que sur mesure.

Il est donc l’Ă©quivalent ou a presque Ă©tĂ© l’Ă©quivalent d’un Lumumba, d’un Malcolm X….

Frantz Fanon, c’est beaucoup plus que le film  Django Unchained rĂ©alisĂ© en 2012 par l’AmĂ©ricain Quentin Tarantino  et avec quarante ans d’avance ! Car cela se passe pour de vrai et non alors que l’on est assis sagement devant un Ă©cran de cinĂ©ma pour lequel on a payĂ© sa place afin de connaĂźtre un (trĂšs) bon moment de divertissement. Avant de rentrer ensuite chez soi tout aussi sagement pour repartir le lendemain au travail oĂč l’on sera content d’en parler avec les collĂšgues ou les amis.

 

Aujourd’hui et demain encore, au cinĂ©ma mais d’abord dans toute forme de vie ou d’expression artistique, intellectuelle, culturelle ou personnelle, une nette distinction se fait et se fera entre, d’un cĂŽtĂ©, les femmes et les hommes attentistes qui s’engagent seulement aprĂšs avoir obtenu toutes les assurances d’ĂȘtre du bon cĂŽtĂ© et d’arriver au bon moment. Et celles et ceux qui s’engagent sans demander la permission et sans la moindre garantie de rĂ©ussite.

 

On s’allie souvent avec les premiers. Et on se rĂȘve ou on les trompe peut-ĂȘtre aussi- souvent- avec les seconds.

 

Franck Unimon, ce mardi 17 janvier 2023.

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Addictions

Marc Valleur nous parle du jeu pathologique

 

 

Marc Valleur nous parle du jeu pathologique

De gauche Ă  droite avec le micro, Mario Blaise, l’actuel mĂ©decin chef de Marmottan, Marc Valleur, le prĂ©cĂ©dent mĂ©decin chef de Marmottan, Jan Kounen, rĂ©alisateur, Marc Batard, alpiniste et Ă©crivain lors du cinquantenaire de Marmottan Ă  la Cigale, dĂ©cembre 2021. Photo©Franck.Unimon

 

Introduction

Ce samedi 14 janvier 2023, Ă  l’hĂŽpital Sainte Anne, nous sommes une petite dizaine Ă  ĂȘtre venus Ă©couter et rencontrer Marc Valleur. Marc Valleur, psychiatre retraitĂ©, est aussi celui qui Ă©tait devenu mĂ©decin chef de Marmottan, dans le 17Ăšme arrondissement de Paris, Ă  la suite de Claude Olievenstein (1933-2008) qu’il a bien connu.

 

Marmottan, situĂ© rue ArmaillĂ© entre l’avenue des Ternes et des Champs ElysĂ©es, qui compte aussi un CMP et un hĂŽpital de jour pour public adulte, Ă  cĂŽtĂ© du musĂ©e Marmottan, s’est fait connaĂźtre internationalement pour ses services de consultation et d’hospitalisation spĂ©cialisĂ©s dans le traitement des addictions.

 

Marmottan, le service spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions, avait Ă©tĂ© ouvert en 1971 par Claude Olievenstein (aussi surnommĂ© « Olive Â» ou « Monsieur Drogue Â») et dĂ©pendait Ă  l’origine administrativement du centre hospitalier Perray-Vaucluse ouvert en 1869 dans l’Essonne (d’abord asile puis hĂŽpital psychiatrique). Marmottan a fĂȘtĂ© son cinquantenaire  Ă  la salle de concerts la Cigale ainsi que par des portes ouvertes, des expositions et diverses manifestations lors du premier week-end de dĂ©cembre 2021.( La ferveur de Marmottan)

 

Ce matin du 14 janvier 2023, Marc Valleur est devant nous lors de ce sĂ©minaire proposĂ© un samedi par mois par Claude Orsel, Ă  l’hĂŽpital Sainte Anne, dans le 14 Ăšme arrondissement de Paris.

 

Avec Claude Olievenstein, psychiatre, Claude Orsel (nĂ© en 1937), psychiatre et psychanalyste, a Ă©tĂ© un des pionniers du traitement des toxicomanies en France en fondant l’Abbaye en 1969 Ă  St Germain des PrĂ©s.

 

Un samedi matin par mois, Ă  l’hĂŽpital Sainte Anne, dans le service du Dr Xavier Laqueille, psychiatre, Claude Orsel propose ce sĂ©minaire PsychothĂ©rapies, Psychanalyse et Addictions ( P. P. A) Transfert et Contre-Transfert.

 

L’accĂšs Ă  ce sĂ©minaire – qui se dĂ©roule de 9h30 Ă  12h30- est libre aprĂšs avoir pris  contact au prĂ©alable avec Claude Orsel.

 

S’il s’y trouve gĂ©nĂ©ralement des professionnels trĂšs expĂ©rimentĂ©s- voire retraitĂ©s- dans le traitement des addictions, dont plusieurs ont connu Claude Orsel et travaillĂ© avec lui, il arrive aussi que des patients de celui-ci y soient prĂ©sents et participent.

 

Un certain nombre des participants et des intervenants amĂšne avec lui un imposant abattage thĂ©orique, conceptuel mais aussi pratique. La moyenne d’ñge avoisine la bonne cinquantaine d’annĂ©es.

 

Mentionner la prĂ©sence de tous ces « psy Â» (psychiatres, psychothĂ©rapeutes, psychologues, psychanalystes
) pourrait donner l’impression que ces sĂ©minaires – filmĂ©s par Claude Orsel- sont des cercueils marbrĂ©s d’ennui et de thĂ©ories. Alors qu’ils sortent plutĂŽt des clous et des colonnes.

 

La psychiatrie et la sociĂ©tĂ© semblent dotĂ©es de moyens pour s’accroĂźtre en prioritĂ© comme des technologies et des pharmacies ombilicales par lesquelles et vers lesquelles nous sommes constamment entraĂźnĂ©s, faisant de nous des sidĂ©rurgies sidĂ©rĂ©es et jamais Ă  jour malgrĂ© nos libertĂ©s.

 

Un tel sĂ©minaire est une pause dans ces processus de constitution de notre cĂ©citĂ© que nous connaissons tous. D’autant plus que chaque fois que je peux y assister, j’ai l’impression de recueillir une toute petite parcelle de cette trĂšs grande Histoire et de  cette grande Culture de la pensĂ©e, du soin, de la psychiatrie, de la psychanalyse et de la SantĂ© mentale inaperçues par et pour la majoritĂ©. Ce sĂ©minaire fait partie de ces moments oĂč j’ai l’impression de me retrouver au pied de certaines immensitĂ©s de connaissances et d’expĂ©riences trop largement ignorĂ©es.

 

Des immensitĂ©s ou des personnalitĂ©s, dans diverses disciplines (pas seulement dans le domaine de la SantĂ© mentale comme lors de ce sĂ©minaire autour de Marc Valleur ) Ă  cĂŽtĂ© desquelles je suis aussi beaucoup passĂ© moi-mĂȘme, en m’en remettant beaucoup Ă  l’habitude, Ă  la facilitĂ© de mes certitudes mais aussi au hasard oĂč Ă  mon volontariat lĂ  oĂč l’on a bien voulu de moi. 

 

Alors que ces immensités nous aident ou peuvent nous aider à vivre.

 

 

Ce matin, je marque un temps d’arrĂȘt en voyant posĂ© sur la table, devant Claude Orsel, l’ouvrage La lionne du barreau de Clarisse Serre (aux Ă©ditions Sonatine) accompagnĂ© de cette accroche sur la page de couverture :

 

« Je suis une femme, je fais du pĂ©nal, j’exerce dans le 9-3, et alors?”.

 

Fin dĂ©cembre, dans la librairie de ma ville, aprĂšs avoir rĂ©cupĂ©rĂ© mes livres, j’étais tombĂ© sur cet ouvrage dans les rayons. Je l’avais un peu feuilletĂ©, tentĂ© de le prendre avant de me dĂ©cider finalement Ă  diffĂ©rer son acquisition


 

AmusĂ© par mon intĂ©rĂȘt soudain pour ce livre, ce samedi matin, Claude Orsel, m’a lancĂ© :

 

« Vous pouvez le prendre si vous le voulez. Je ne sais pas combien je l’ai acheté  Â».

 

J’ai optĂ© pour partir m’asseoir en laissant le livre Ă  sa place et Ă  son propriĂ©taire.

 

Marc Valleur prend la parole

 

Marc Valleur est arrivĂ© Ă  Marmottan en 1974. Au dĂ©part, il s’occupait spĂ©cifiquement des toxicomanes :

HĂ©roĂŻne, CocaĂŻne, Crack.

 

En 1974, l’Abbaye et Marmottan Ă©taient les services pilotes pour s’occuper des toxicomanes.

 

En 1981, il a commencé à parler de conduite ordalique. AprÚs la mort de plusieurs patients par overdose qui ont beaucoup éprouvé les soignants, Marc Valleur a commencé à penser à la notion de conduite ordalique.

Dans la conduite ordalique, il y a une perception positive et subjective de la conduite Ă  risque : Le risque et le danger Ă©taient attirants.

Les toxicomanes prenaient des produits car c’était dangereux.

 

Marc Valleur cite l’ouvrage Sorcellerie et ordalies  (paru en 1974) d’Anne Retel-Laurentin (mĂ©decin et ethnologue dĂ©cĂ©dĂ©e) pour parler des Ă©preuves par le poison.

 

 

Marc Valleur :

 

« Dans le jeu de l’argent, on ne s’injecte pas le produit mais le joueur est reprĂ©sentĂ© par son enjeu Â».

 

Marc Valleur cite Le Joueur et Les FrĂšres Karamazov de DostoĂŻevski ainsi que l’ouvrage Figures du crime chez DostoĂŻevski  (paru en 1990) de Vladimir Marinov (psychologue et psychanalyste).

En 1991-1992, le jeu est alors peu abordé en psychanalyse.

 

En 1997, Marc Valleur Ă©crit un Que sais-je ? sur le jeu. AprĂšs la parution de ce livre, des joueurs ont commencĂ© Ă  demander Ă  consulter Ă  Marmottan. Des joueurs ont pu dire :

« Le crack, j’arrĂȘte quand je veux. Moi, c’est le jeu que je n’arrive pas Ă  arrĂȘter Â».

 

Cette nouvelle attention portĂ©e aux joueurs pathologiques a d’abord suscitĂ© du scepticisme au sein des Pouvoirs publics. Un scepticisme partagĂ© au sein de Marmottan lorsque les soignants ont appris qu’ils allaient ĂȘtre amenĂ©s Ă  s’occuper aussi de joueurs pathologiques.

 

Marc Valleur relate qu’un soignant du service d’hospitalisation de Marmottan avait d’abord Ă©clatĂ© de rire lorsqu’il lui avait annoncĂ© la venue d’un patient joueur pathologique. Le soignant avait cru que c’était une blague.

 

Marc Valleur explique : « Le toxicomane faisait peur. Cela donnait un cĂŽtĂ© sulfureux Ă  Marmottan. Le joueur, ça faisait rire Â».

 

Marc Valleur ajoute qu’il existait aussi des images prĂ©conçues du toxicomane et du joueur.

 

Le toxicomane Ă©tait vu comme quelqu’un « de gauche (politiquement), maigre et qui s’opposait au systĂšme Â». Alors que le joueur, lui, Ă©tait vu comme quelqu’un « de droite (politiquement), gros, bourgeois et portant de grosses bagues
 Â».

 

Et, puis, trĂšs vite, les soignants du service d’hospitalisation de Marmottan se sont aperçus que c’était plus dur avec les joueurs qu’avec les toxicomanes.

 

En 2006, les Pouvoirs publics montrent leurs premiers signes d’intĂ©rĂȘt pour les joueurs pathologiques.

 

En 2008, une Ă©tude de l’INSERM parle du jeu pathologique.

 

A partir de 2006-2008, le regard sur les joueurs a commencé à changer.

 

2010 marque le dĂ©but de la libĂ©ralisation des jeux en ligne. A partir de lĂ , les joueurs addict commencent Ă  vĂ©ritablement ĂȘtre pris en considĂ©ration.

 

« Le joueur tente Dieu en lui posant des questions Â» selon une perception thĂ©ologique du jeu.

 

En 2010, le poker et les paris en ligne se dĂ©veloppent. Mais, contrairement aux prĂ©visions (sauf pendant le confinement dĂ» Ă  la pandĂ©mie du Covid ) le poker en ligne s’est peu dĂ©veloppĂ©. Ce sont plutĂŽt les paris sportifs qui ont connu un grand essor sur internet.

 

Robert Ladouceur (nĂ© en 1945), psychologue, auteur et chercheur quĂ©becois, spĂ©cialisĂ© dans les jeux d’argent et de hasard, souligne les problĂšmes de croyance chez les joueurs. (croyances et cognitions erronĂ©es des joueurs)

« Il faut que je rejoue pour que je me refasse Â». Les joueurs croient avoir la prĂ©science.

Il existe une illusion de contrîle chez les joueurs alors que le hasard l’emporte souvent.

 

Marc Valleur cite un article psychanalytique datant de 1914 intitulĂ© Le plaisir de la peur et l’érotisme anal. Marc Valleur dit que cet article « n’est pas gĂ©nial Â» mais qu’il est une premiĂšre tentative de comprendre le jeu.

 

Selon la vision freudienne, en 1928, la chance et la malchance peuvent représenter les puissances parentales.

 

DostoĂŻevski, lui-mĂȘme, a Ă©tĂ© un joueur pathologique. Il est donc trĂšs pointu pour parler du jeu.

 

En 1945, Fenichel (psychiatre et psychanalyste autrichien décédé en 1946) parle des addictions sans substances.

 

En 1954, Skinner (psychologue et penseur amĂ©ricain dĂ©cĂ©dĂ© en 1990) Ă©crit un article sur les machines Ă  sous qu’il dĂ©crit comme « le meilleur conditionnement pour faire payer les gens Â».

 

Erving Goffman (sociologue et linguiste amĂ©ricain d’origine canadienne, 1922-1982) a Ă©crit sur le jeu.

Le joueur s’imagine qu’il va influer sur le destin.

On aime jouer car on se retrouve dans un monde magique et dans un espace qui n’est pas la vie quotidienne. Le jeu est quelque chose de trĂšs sĂ©rieux.

 

Le contraire du jeu, c’est la rĂ©alitĂ© quotidienne.

Les croyances erronĂ©es font partie de l’intĂ©rĂȘt du jeu.

Marc Valleur cite l’ouvrage En passant par hasard Ă©crit en 1999 par Gilles PagĂšs (mathĂ©maticien) et Claude Bouzitat.

Les gens jouent « pour le vertige du risque Â». Les joueurs non pathologiques arrivent Ă  faire en sorte que le jeu n’ait pas d’incidence sur leur vie.

 

R, un des patients de Claude Orsel, assis Ă  droite de Marc Valleur, se prĂ©sente comme « joueur depuis 35 ans Â». R
parle de sa frustration, de son Ă©chec. Et de son amertume. Il parle de ses expĂ©riences prĂ©coces du jeu qu’il a faites trĂšs tĂŽt.

 

R : «  On essaie de se convaincre qu’on est bon Ă  quelque chose Â». R dit que sa premiĂšre addiction a Ă©tĂ© une addiction aux Ă©crans Ă  l’ñge de 8 ans.

Marc Valleur commente :

« La tĂ©lĂ©vision est la grande addiction mondiale
mais personne n’en parle Â». « Il y a une seule personne en 50 ans qui est venue Ă  Marmottan pour une addiction Ă  la tĂ©lĂ©vision.. Â».

 

Pour soigner une addiction, Marc Valleur insiste sur :

 

Une approche multimodale (sociale, familiale et autre
)

La qualitĂ© de l’accueil (« Ce qui se passe au premier entretien est dĂ©terminant Â» ; « Une thĂ©rapie, c’est l’exĂ©gĂšse de ce qui s’est dit au premier entretien Â»)

La qualité de la relation

Marc Valleur poursuit :

« Le but de l’Abbaye et de Marmottan, c’était de crĂ©er
de recevoir les personnes sans conception canonique du traitement et du soin
De recevoir la personne et, Ă  partir de lĂ , aprĂšs l’avoir Ă©coutĂ©e, de voir ce que l’on peut faire Â».

 

Marc Valleur nous recommande particuliĂšrement de lire The Great Psychotherapy Debate Ă©crit par Wampold et Imel (paru en 2015).

Marc Valeur prĂ©cise que toutes les mĂ©thodes thĂ©rapeutiques « marchent Â» et ont de trĂšs bons rĂ©sultats. Et qu’il n’existe pas une mĂ©thode thĂ©rapeutique meilleure qu’une autre.

(Je m’abstiens de dire que l’on peut sĂ»rement transposer cela dans beaucoup de disciplines comme dans les mĂ©thodes de combats et les Arts Martiaux : la personnalitĂ© du combattant importe plus que les techniques de combats ou les Arts martiaux qu’il a « appris Â» ou pratique. La personnalitĂ© du Maitre ou du professeur importe plus que les techniques ou les Arts martiaux qu’il enseigne
).

 

Marc Valleur souligne qu’il est des mauvais thĂ©rapeutes qui, pourtant, sont « trĂšs compĂ©tents Â» en termes de formation et de connaissances.

 

Marc Valleur me confirme que, plus que les thĂ©rapies, le plus important, c’est la rencontre. La qualitĂ© de l’accueil. La qualitĂ© de la relation thĂ©rapeutique.

 

Marc Valleur parle aussi de ces patients qui en savent beaucoup plus sur l’objet de leur addiction que le thĂ©rapeute lui-mĂȘme. Il cite l’exemple d’un patient addict aux jeux vidĂ©os qui ne sortait plus de chez lui et qui refusait de rencontrer psychiatre ou psychologue. Marc Valleur a demandĂ© aux parents de ce patient de lui dire qu’il n’y connaissait rien en jeux vidĂ©os et qu’il aimerait bien qu’il vienne lui expliquer ce que c’est. (Marc Valleur confirme qu’il avait un rĂ©el intĂ©rĂȘt pour ce que pouvaient lui dire ses patients). Le patient Ă©tait venu rencontrer Marc Valleur et lui avait en quelque sorte fait  cours.

Marc Valleur me confirme que le dogmatisme (thĂ©rapeutique) va souvent de pair avec l’excĂšs de thĂ©orie thĂ©rapeutique.

(A ce moment du séminaire, comme à son habitude, Claude Orsel fait passer un paquet de chouquettes achetées à la boulangerie)

Marc Valleur me confirme l’importance de l’engagement du corps du thĂ©rapeute dans sa rencontre avec le patient. Il se remĂ©more qu’un patient lui avait dit s’ĂȘtre attachĂ© Ă  lui lors du premier entretien car, Ă  un moment donnĂ©, il (Marc Valleur) lui avait touchĂ© le genou.

R, patient de Claude Orsel, dit :

« Le jeu n’est pas un amusement. C’est un exutoire Â» ; « Entre joueurs, on s’intoxique. C’est aussi ce qui nous fait rester dans le jeu Â» ; « Si, lui, il joue aussi, ça veut dire que je ne suis pas fou Â».

(Plus tĂŽt, R
nous a aussi dit avoir consultĂ© un addictologue pendant dix ans avant que celui-ci ne lui parle de Claude Orsel qu’il voit maintenant depuis 2013 ou 2014. Selon R, l’addictologue, pourtant plutĂŽt rĂ©putĂ©, ne l’écoutait pas. En Ă©coutant R parler en termes Ă©logieux de Claude Orsel, j’ai eu l’impression que celui-ci trouvait Claude Orsel « plus puissant Â» en tant que thĂ©rapeute, que son thĂ©rapeute prĂ©cĂ©dent).

 

Marc Valleur rĂ©pond Ă  Claude Orsel qu’il existe diffĂ©rents profils dans la biographie des toxicomanes.

 

Marc Valleur cite Michel Foucault ( Philosophe français, 1926-1984) :

« Le but de la transgression, c’est de glorifier ce qu’elle paraĂźt exclure Â». ( Dits et Ă©crits de Michel Foucault, de 1954 Ă  1988, deux tomes de plus de 1700 pages chacun ).

Marc Valleur rĂ©pond que chez les consommateurs de crack, souvent, la protection maternelle s’est arrĂȘtĂ©e trĂšs tĂŽt (viols dans l’enfance, traumas rĂ©pĂ©tĂ©s
).

R..dit : « La probabilitĂ©, c’est la vĂ©ritĂ© Â». « La probabilitĂ© ne ment pas Â».

Le livre Dans le jardin de l’ogre (citĂ© par qui ?) de LeĂŻla Slimani est mentionnĂ© pour Ă©voquer l’addiction sexuelle fĂ©minine.

 

Conclusions

Avec le micro, Marc Valleur, le prĂ©cĂ©dent mĂ©decin chef de Marmottan Ă  droite, Jan Kounen, rĂ©alisateur. Lors du cinquantenaire de Marmottan Ă  la Cigale. Photo©Franck.Unimon

 

Je demande Ă  Marc Valleur et Claude Orsel comment  ils font pour ne pas se dĂ©courager face Ă  des patients dont les addictions sont longues Ă  soigner. Mais aussi pour vivre dans un monde comme le nĂŽtre oĂč une « guerre Â» quotidienne nous est faite afin de nous rendre addict.

Marc Valleur rĂ©pond que, bien que retraitĂ©, il a encore des contacts par mail avec d’anciens patients qui lui donnent de leurs nouvelles et qui vont mieux. Lors de son intervention, Marc Valleur nous a aussi parlĂ© d’anciens patients qui ont trĂšs bien rĂ©ussi leur vie par la suite y compris mieux que lui-mĂȘme a-t’il ajoutĂ© dans un sourire. Et, tout en gardant le sourire, Marc Valleur a convenu qu’en effet, tout est fait dans notre sociĂ©tĂ© pour que l’on soit « accrochĂ© Â» et que cela est assez dĂ©sespĂ©rant. Il a ainsi citĂ© les producteurs d’alcool qui, malgrĂ© leurs discours empathiques, prospĂšrent grĂące Ă  toutes les personnes dĂ©pendantes qui consomment leurs produits.

 

(Un peu plus tĂŽt, R
avait fait rĂ©fĂ©rence Ă  ces joueurs de PMU, un lieu qu’il connaĂźt et dont il observe les usagers Ă  l’écouter, qui, dĂšs qu’ils gagnent un ou deux euros au jeu le rejouent alors qu’ils vivent dĂ©ja dans des conditions trĂšs prĂ©caires).

 

Claude Orsel, rĂ©pond en souriant, qu’il a envie de « connaĂźtre la suite Â». A l’entendre, lui comme Marc Valleur, cela semble trĂšs simple de s’occuper de personnes addict. Au point que je me demande pour quelle raison seule une minoritĂ© de personnes, Ă  laquelle je n’appartiens pas, parvient comme eux Ă  s’occuper de personnes addict sur du long terme :

Le travail qui peut ĂȘtre effectuĂ© dans un service de psychiatrie institutionnelle lambda- mĂȘme si cela peut aussi ĂȘtre sur du trĂšs long terme- est trĂšs diffĂ©rent de celui que j’ai pu voir pratiquĂ© Ă  Marmottan lors des quelques remplacements ( une quinzaine) que j’ai pu y faire. La distance relationnelle entre le patient/client et le soignant, par exemple, est trĂšs diffĂ©rente. Si, en psychiatrie adulte, la psychose des patients peut effrayer certains, l’absence de psychose, comme c’est souvent le « cas Â» Ă  Marmottan peut dĂ©stabiliser, enrayer certaines frontiĂšres et les rendre assez floues entre le patient/client et le soignant. Pour ne parler que de ça. Alors, si, en plus, dans le domaine de l’addiction, le patient/client en sait plus que le soignant, il peut y avoir de quoi ĂȘtre troublĂ©.

 

Claude Orsel m’apprend qu’il est possible que Patrick Declerck (philosophe, ethnologue, psychanalyste et Ă©crivain nĂ© en 1953) intervienne Ă  nouveau lors d’un prochain sĂ©minaire. Claude Orsel m’apprend aussi qu’il n’y a eu aucun article dans la presse Ă©crit sur le dernier ouvrage de Patrick Declerck, paru en 2022, Sniper en Arizona, dans lequel, celui-ci raconte sa formation de sniper aux Etats-Unis.

 

R, qui ne demandait qu’à parler, qui a beaucoup Ă  dire, entre-autres sur le poker, et qui a plusieurs fois pris la parole de façon assez intempestive au cours de l’intervention de Marc Valleur, m’a d’abord agacĂ© comme d’autres personnes assistant Ă  ce sĂ©minaire. Il fallait entendre R, arrivĂ© avec un peu de retard, dire ensuite Ă  Marc Valleur, Ă  un moment donnĂ©, avec une certaine autoritĂ© :

« Ce que vous avez oubliĂ© de dire
 Â».

Devant l’attitude rĂ©pĂ©tĂ©e de R, j’ai d’abord regardĂ© ces vieux briscards que sont Marc Valleur et Claude Orsel qui n’en n’étaient pas une interruption prĂšs. Lesquels ont poliment invitĂ© R,  Ă  tour de rĂŽle, Ă  attendre que Marc Valleur ait fini de s’exprimer. Ce qui n’a pas empĂȘchĂ© R de recommencer.

Ensuite, j’ai compris que R Ă©tait celui qui Ă©tait annoncĂ© par Claude Orsel comme le joueur venant nous faire part de son expĂ©rience. Et que R rĂ©agissait car Marc Valleur parlait de sa vie.

Puis, j’ai saisi que R Ă©tait porteur de connaissances dont j’étais dĂ©pourvu.

 

 Ce samedi, alors que Marc Valleur est dĂ©jĂ  parti aprĂšs nous avoir saluĂ© en nous disant que c’était « bien Â», je suis plus disposĂ© pour Ă©couter R qui, en plus, avait « contre lui Â», en prime abord, le fait de me rappeler un ancien collĂšgue qui a pu avoir tendance Ă  une Ă©poque Ă  me sortir par les yeux. Au travers de R, sans doute ai-je mieux perçu ce samedi, de maniĂšre consciente, la dimension addict et sub-agressive de la personnalitĂ© de cet ancien collĂšgue


 

R m’explique avoir connu un joueur de poker, « parti de rien Â», et qui, aujourd’hui « est millionnaire Â». R m’explique que, durant des annĂ©es, ce joueur a acceptĂ© de « ne rien gagner Â». En s’en tenant Ă  des rĂšgles de conduite- et Ă  des limites- qu’il s’était fixĂ©, acceptant de gagner petit et Ă©vitant de perdre de l’argent. En somme, ce joueur est restĂ© prudent, patient et persĂ©vĂ©rant. R, Ă  ce que je comprends, n’est ni patient ni prudent bien qu’intelligent et persĂ©vĂ©rant. Et, il est sĂ»rement aussi convaincu. Et convaincant. Lorsque R m’apprend qu’il a travaillĂ© pendant des annĂ©es dans « le phoning Â» et qu’il sent les gens, j’ai tendance Ă  le croire.

 

Franck Unimon, ce lundi 16 janvier 2023.

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Au Hammam de la gare

 

 

                           Au Hammam de la gare

 

Le hammam de la gare Ă  Argenteuil, rue du Dr Leray, ce vendredi 13 janvier 2023 vers 21h. Photo©Franck.Unimon

 

« La nature punit toujours ceux qui se prĂ©servent Â» nous avertit Marc Verillote, ancien membre du RAID pendant vingts ans de 1998 Ă  2018, dans son ouvrage Au CƓur du RAID Ă©crit avec Karim Ben IsmaĂŻl et publiĂ© en 2022. Ouvrage dont j’ai commencĂ© la lecture alors que je n’ai pas terminĂ© ma relecture de Frantz portrait Fanon d’Alice Cherki paru en 2000 ainsi que la bande dessinĂ©e Frantz Fanon rĂ©alisĂ©e par FrĂ©dĂ©ric Ciriez et Romain Lamy et parue, elle, en 2020.

 

AprĂšs avoir connu plus de trois semaines de grĂšve dite « dure Â» dans mon service, grĂšve « fantĂŽme Â» qui s’est terminĂ©e il y a quelques jours (en obtenant plusieurs rĂ©parations et avancĂ©es), et aprĂšs avoir beaucoup travaillĂ©, entre-autres de nuit, comme beaucoup, je me sens fatiguĂ© en ce dĂ©but d’annĂ©e.

Paris, Bd Raspail, fin 2022. Au loin, la Tour Montparnasse. On peut m’apercevoir en train de traverser, la route : ). Photo©Franck.Unimon

 

Comme beaucoup, aussi, j’ai appris cette semaine l’officialisation du recul du dĂ©part de l’ñge Ă  la retraite qui est passĂ© de 62 Ă  64 ans ainsi que la nouvelle de la grande manifestation prĂ©vue dans six jours, le 19 janvier, pour protester contre cette dĂ©cision annoncĂ©e par la PremiĂšre Ministre Elizabeth Borne soutenue en cela par le PrĂ©sident de la RĂ©publique, Emmanuel Macron, rĂ©Ă©lu l’annĂ©e derniĂšre pour son deuxiĂšme mandat.

 

La phrase de Marc Verillote, ancien membre du RAID, est bien sûr à prendre avec des pincettes dans ce contexte économique, social, culturel et historique qui est le nÎtre.

 

La sienne se rĂ©fĂšre Ă  une compĂ©tition de Judo, Ă  un trĂšs haut niveau, pour laquelle, rĂ©trospectivement, il estime s’ĂȘtre trop mĂ©nagĂ© lors de sa prĂ©paration pour se donner les moyens de gagner la finale. Marc Verillote se dit en effet qu’il aurait dĂ» la prendre, cette « douche glacĂ©e Â» Ă  laquelle il avait pensĂ© avant la finale de cette compĂ©tition de judo en Georgie alors qu’il faisait encore partie de l’équipe de France de Judo.

 

Si nous prenons souvent les sportifs de haut niveau ou des professionnels qui, comme Marc Verillote, dans leur domaine, font partie de l’élite – fĂ©minine ou masculine-, c’est parce-que ceux-ci nous inspirent ou peuvent nous inspirer pour les usages ou les dĂ©fis de notre vie quotidienne.  

 

Notre vie quotidienne peut ĂȘtre usante, contraignante, insatisfaisante ou dĂ©courageante. Alors qu’il suffit parfois de peu pour commencer Ă  se sortir du malaise dans lequel on s’est peu Ă  peu enlisĂ©. Et, cette Ă©lite ou ces modĂšles que nous regardons nous donnent l’exemple afin de nous dĂ©pĂȘtrer de cet enlisement-isolement. Car, si, nous, la majoritĂ© et la plupart d’entre nous, nous nous embourbons et piĂ©tinons, si nous, nous nous Ă©tourdissons et nous Ă©puisons dans des existences exsangues, l’élite a pour elle de savoir survoler les obstacles mais aussi de se survolter devant eux. 

 

L’élite est un exemple ou un visage qui nous ressemble ou que nous connaissons et que nous essayons de suivre Ă  notre mesure.

Paris, fin dĂ©cembre 2022, dans le 10Ăšme arrondissement, le matin. Photo©Franck.Unimon

Si le fait de beaucoup travailler ou de beaucoup donner de soi peut user, je crois aussi que l’on s’use d’autant plus rapidement et d’autant plus durablement lorsque l’on « vit Â» et « fait Â» par habitude de maniĂšre systĂ©matique les mĂȘmes erreurs. Nous avons la capacitĂ© de reproduire les mĂȘmes gestes, les mĂȘmes façons de pensĂ©e et les mĂȘmes choix pendant des annĂ©es en nous contentant du fait de les exĂ©cuter. Mais nous avons aussi une certaine capacitĂ© Ă  pouvoir les imposer autour de nous.

 

A moins de nous apercevoir de nous-mĂȘmes que quelque chose cloche mĂȘme si ça « roule Â» ou « marche Â», ou d’avoir quelqu’un dans notre entourage capable de nous prĂ©venir – quelqu’un que nous sommes disposĂ©s Ă  entendre- il nous faut souvent un symptĂŽme, une rupture, un accident ou un signal d’alarme pour percuter. Pour voir que sur notre belle chaine de montage, nous avons laissĂ© se dĂ©velopper quelques erreurs qui nous Ă©loignent plus qu’elles ne nous rapprochent de notre vĂ©ritable projet.

 

A condition que nous soyons encore capables de voir et de rĂ©agir. Et, s’il n’est pas trop tard.

Paris, fin 2022, dans le RER B, station Luxembourg.

 

Car, si «  La nature punit toujours ceux qui se prĂ©servent Â» comme l’annonce Marc Verillote, il est Ă©tonnant de voir comme nous pouvons trĂšs facilement ĂȘtre trĂšs performants et grandement dĂ©vouĂ©s en tant qu’inlassables bourrins continuant de labourer dans le mĂȘme champ de nos mines anti-personnelles.

 

A moins d’avoir des projets en rapport avec cette pĂ©riode, les soldes qui ont commencĂ© cette semaine vont assez peu nous aider Ă  lever le pied. Et, le lieu oĂč nous rĂ©sidons peut avoir une incidence sur les moyens dont nous disposons pour prendre le temps de reprendre notre souffle.

 

Mais encore faut-il avoir une certaine estime pour ces moyens.

La Gare d’Argenteuil centre ville, fin 2022. En regardant vers Paris. Photo©Franck.Unimon

La ville d’Argenteuil, oĂč j’habite, est une pĂ©ripĂ©tie. Une partie d’elle se dĂ©siste, une autre partie est une pĂ©pite et l’autre, Ă  mon avis, dĂ©cline. AprĂšs plusieurs annĂ©es dans ses murs et ses rues, ce constat est pour moi plutĂŽt dĂ©primant. A moins d’avoir bien su choisir son quartier ainsi que son lieu de travail par rapport Ă  elle.

 

Pourtant, je n’ai pas envie de tirer d’elle un portrait plus dĂ©labrĂ© qu’il ne l’est d’autant qu’un certain nombre de beaux ou de trĂšs beaux quartiers Ă  Paris ou ailleurs font selon moi rĂȘver  principalement parce qu’ils nous sont Ă©trangers ou interdits.  Mais aussi parce-que que l’on ne connaĂźt pas beaucoup celles et ceux qui s’y trouvent.

Paris, dans le 13Ăšme arrondissement, en dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

Et puis, on l’aura compris, ce que je dis aujourd’hui d’Argenteuil s’applique à ce que je suis, aujourd’hui. Puisque cette ville, d’une façon ou d’une autre, me ressemble.

 

 

Il suffit parfois de peu pour commencer Ă  se sortir du malaise dans lequel on s’est peu Ă  peu enlisĂ©. J’ai dĂ©jĂ  Ă©crit cette phrase. C’est aussi une situation que j’ai dĂ©jĂ  vĂ©cue oĂč il suffit, quelques fois, de sortir un peu de chez soi, de traverser deux ou trois rues pour qu’une rencontre ou une expĂ©rience nous procure un nouvel Ă©lan et nous Ă©loigne de cette perspicacitĂ© dĂ©faitiste et dĂ©pressive dont un certain nombre de nos actions semblaient devenir le moteur.

Le hammam de la gare, Ă  Argenteuil, ce vendredi 13 janvier 2023 vers 21h. Photo©Franck.Unimon

PrĂšs de chez moi, il se trouve un hammam, oĂč je suis dĂ©jĂ  allĂ© une ou deux fois, il y a deux ou trois ans. Plusieurs fois par semaine, je passe devant ce hammam. Plusieurs fois par semaine, aussi,  je passe plus d’une heure dans les transports en commun, afin de me rendre Ă  tel ou tel endroit. Il peut s’agir du travail ou d’une autre activitĂ© responsable, justifiĂ©e, incontournable. Ou d’une sortie de loisirs comme, demain soir, pour aller voir Sarah Murcia en concert Ă  la Maison de la Radio. Vous ne connaissez pas Sarah Murcia ? Je ne la connaissais pas non plus il y a quelques mois. J’ai d’abord vu une photo en noir et blanc d’elle au Triton en me rendant Ă  l’exposition des tableaux de Marie-Jo, une ancienne collĂšgue infirmiĂšre qui avait pris sa retraite quelques mois plus tĂŽt.

Pour dĂ©couvrir Sarah Murcia, je vous propose de la voir en duo avec Rodolphe Burger lorsqu’ils ont tous les deux repris le titre Billie Jean de MichaĂ«l Jackson.

Paris, fin 2022. Photo©Franck.Unimon

Billie Jean, MichaĂ«l Jackson, c’est loin.  J’ai de la « chance Â», pour aller demain soir au concert de Sarah Murcia la gare est proche de chez  nous. Moins de cinq minutes Ă  pied. Cette chance tient aussi au choix que nous avons fait de nous installer  il y a dix ans prĂšs de la gare. MĂȘme si je passerai sans doute plus de temps dans les transports en commun demain soir pour aller au concert que pour y assister Ă  la maison de la radio dans le 16Ăšmearrondissement de Paris.

 

Le hammam est plus proche de chez nous que la gare. Mais, Ă©videmment, je me rends bien plus souvent Ă  la gare qu’au hammam. Et, Ă©videmment, aussi, Sarah Murcia et tous les autres artistes, ne font pas encore leurs concerts dans un hammam.

 

MalgrĂ© cette dĂ©sillusion, ce matin, un peu aprĂšs 7h30, je suis retournĂ© au hammam. Car, nous avons la chance, Ă  Argenteuil, d’avoir un hammam qui ouvre dĂšs 7 heures du matin. Il est ouvert tous les jours sauf le mardi.

 

« C’est 15 euros, maintenant. Le prix a augmentĂ© Ă  cause le gaz
 Â» s’excuse le gĂ©rant qui me reçoit. RĂ©guliĂšrement, j’ai pu le saluer chaque fois que je l’avais croisĂ© dehors, en passant, devant le hammam. Alors que j’emmenais ma fille Ă  l’école ou au centre de loisirs.

 

Auparavant, l’entrĂ©e coĂ»tait 12 euros, thĂ© Ă  la menthe inclus.

Paris, le 15 dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

Le hammam de la gare est un hammam simple et propre. Peut-ĂȘtre rustique. Peut-ĂȘtre dĂ©cati. Mais il a sa clientĂšle. Il est courant de voir une caisse garĂ©e Ă  cheval quelques minutes sur le trottoir en face de son entrĂ©e. On pourrait penser au braquage de la caisse. C’est plutĂŽt de la dĂ©brouille. Car trouver une place oĂč se garer dans le centre ville d’Argenteuil est hasardeux et peut-ĂȘtre mĂȘme, miraculeux.

 

Plusieurs mois sans pratiquer le karatĂ© Ă  Bagnolet avec Maitre Jean-Pierre Vignau. Plusieurs mois sans pratiquer l’apnĂ©e dĂ©sormais Ă  Villeneuve la Garenne avec le club Subaqua club de Colombes aujourd’hui « exilĂ© Â» car la piscine de Colombes est dĂ©sormais en travaux pour les Jeux Olympiques de 2024.

 

Plusieurs annĂ©es sans faire de thĂ©Ăątre. Plusieurs annĂ©es, aussi, sans pratiquer le massage bien-ĂȘtre. Plusieurs semaines sans Ă©crire un seul article pour mon blog, lequel, a connu quelques ratĂ©s techniques durant plusieurs semaines. Jusqu’à ce qu’Eddy, l’ami photographe, l’ingĂ©nieur informatique, le crĂ©atif, n’accepte gentiment de se rendre disponible plusieurs  heures Ă  la fin de l’annĂ©e derniĂšre, dans son studio, afin de m’aider avec WordPress.

 

En ce dĂ©but d’annĂ©e 2023, et depuis plusieurs jours, j’ai l’impression de vĂ©gĂ©ter. J’ai l’impression que « mes chakras sont bouchĂ©s Â» pour employer les termes tenus par un ancien collĂšgue infirmier, formĂ© au massage bien-ĂȘtre bien avant moi et qui avait commencĂ© une formation de Shiatsu qu’il avait arrĂȘtĂ©. Une formation qui m’avait un moment attirĂ© sauf que je n’ai rien fait de concret Ă  ce sujet. C’était avant le karatĂ©. Avant l’apnĂ©e.

Le hammam de la gare, Ă  Argenteuil, ce vendredi 13 janvier 2023 vers 21h. Photo©Franck.Unimon

Hier soir, je me suis dit que le hammam de la gare Ă©tait un trĂšs bon moyen de commencer Ă  arrĂȘter de circuler dans le mauvais sens. Et que j’avais trop attendu pour y retourner. Lorsque hier soir, j’ai effectuĂ© l’effort de me rendre en voiture jusqu’à la piscine de Villeneuve la Garenne afin de pouvoir renouer avec la vie sociale du club Ă  l’occasion de  la galette des rois offerte par le club, j’ai bien vu que j’encaissais au ralenti lorsque l’on me parlait. Alors que tout le monde dĂ©bordait de tonus et trouvait cela parfaitement normal. Cela n’avait rien Ă  voir avec la fĂšve. Je n’ai rien bu et rien touchĂ© hier de liquide, gazeux ou de solide au club. J’avais dĂ©jĂ  mangĂ© suffisamment  de parts de galettes de roi au travail ces derniers jours. Et puis, depuis quelques jours, on ne voit que ça. Des galettes de roi, des couronnes, des fĂšves. BientĂŽt, ce sera autre chose.

 

Ce matin, en me levant un peu avant 6h30, j’ai fait mes Ă©tirements et des abdos, suivis de quelques galipettes avant et arriĂšre.

Photo©Franck.Unimon

AprĂšs un thĂ© en sachet bu dans une de ces tasses ramenĂ©es du Japon en 1999, ce pays, plus loin que le hammam, oĂč je ne suis pas retournĂ©, contrairement Ă  ce que je m’étais dit Ă  l’époque, je descends les escaliers de l’immeuble. AprĂšs avoir saluĂ© ma fille qui va partir Ă  l’école et ma compagne. En laissant derriĂšre moi toute cette panoplie de tentacules qui nous met aux prises avec de multiples (fausses) urgences et autres  bienveillantes addictions et soumissions :

 

Carte bancaire, internet, téléphone portable, écran en tout genre, baladeur, montre


 

Je n’existe plus pour le monde connectĂ©, moderne, efficace, virtuel, instantanĂ©, lyophilisĂ©.  Et civilisĂ©. Je n’existe plus. J’ai mĂȘme disparu des rĂ©seaux sociaux, nouvelles zones Ă©rogĂšnes dont les milliards de connexions se sont beaucoup plus vite dĂ©veloppĂ©es ces derniĂšres annĂ©es que les forĂȘts qui disparaissent aprĂšs avoir d’abord disparu de notre regard.

 

Mais Ă©tant donnĂ© que je ne suis pas tout  Ă  fait  l’homme invisible pour les autres dans la rue, je me suis tout de mĂȘme habillĂ© avant de partir de chez moi. J’ai pris mes clĂ©s d’appartement comme de quoi me changer et me laver. Et des espĂšces pour payer.

Paris, novembre 2022, prĂšs de Nation. Photo©Franck.Unimon

7h30, pour arriver au hammam, ce n’est pas si tĂŽt que ça. C’est beaucoup moins tĂŽt que 6h00 ou 6h30, moment oĂč, au Dojo Tenshin, Ă©cole Itsuo Tsuda de RĂ©gis et Manon Soavi (le pĂšre et la fille) tous les jours de la semaine, des pratiquants se retrouvent. Et le week-end, aussi, Ă  8 heures. ( Le Maitre Anarchiste Itsuo Tsuda au Dojo Tenshin avec Manon Soavi ce mardi 8 novembre 2022 )

 

7h30,  c’est aussi beaucoup moins tĂŽt sans aucun doute que l’heure Ă  laquelle Maitre LĂ©o Tamaki dĂ©bute ses journĂ©es et ses marathons de voyages et de stages ( Dojo 5Hino Akira Sensei au Cercle Tissier ce samedi 3 septembre 2022  ) . C’est sans doute aussi plus tard que l’heure Ă  laquelle Maitre Jean-Pierre Vignau (Arts Martiaux : un article inspirĂ© par Maitre Jean-Pierre Vignau) dĂ©marre ses journĂ©es ainsi que Yves ( PrĂ©paratifs pour le stage d’apnĂ©e Ă  Quiberon, Mai 2021, Quiberon, Mai 2021.  ) le responsable de la section apnĂ©e de mon club qui ne vit pas de cette activitĂ© et qui a aussi un emploi et une vie de famille.

 

A l’arriĂšre plan, on peut voir une affiche montrant Fela, beaucoup plus NigĂ©rian qu’EuropĂ©en. Photo©Franck. Unimon, Paris, fin 2022.

Au hammam, Ă  quelques mĂštres de la douche, je tombe sur un homme. En maillot de bain, torse nu, il porte des lunettes de vue. MĂȘme si j’ai laissĂ© les miennes dans mon casier, je vois que c’est un EuropĂ©en. Comme j’ai un peu oubliĂ© comment ça se passe, je l’interroge. Celui-ci me rĂ©pond cordialement. J’apprends aussi qu’il va au hammam une fois par semaine. TantĂŽt Ă  celui-ci. TantĂŽt Ă  un autre, Ă  BarbĂšs. Il habite Ă  Cormeilles en Parisis, pas trĂšs loin en train. Une ville que je connais et que j’aime bien. J’y vais quelques fois. A sa mĂ©diathĂšque trĂšs bien fournie en dvds.

 

Le hammam Ă  BarbĂšs « fait plus hammam Â» me rĂ©pond-t’il. C’est aussi un peu plus cher. 22 euros. « Ici, ça fait plutĂŽt sauna. Mais, ce qui est bien, c’est que ça  ouvre Ă  7 heures. Alors qu’ailleurs, ça ouvre souvent Ă  10h ou 11h. Habituellement, ici, je viens plutĂŽt le samedi matin. Entre 7h et 9h, c’est trĂšs bien. Il n’y a personne. Aujourd’hui, je suis en congĂ©. Lorsque je ne vais pas au hammam pendant une semaine, je ne me sens pas bien. C’est comme faire du sport Â» me dit-il.

A la Gare du Nord, en juin 2022.

 

Avec mes horaires dĂ©calĂ©s et la proximitĂ©, je n’ai pas de bonne raison pour avoir ignorĂ© aussi longtemps ce hammam de la gare. A part le fait et ma prĂ©tention d’avoir toujours eu d’autres prioritĂ©s et d’ĂȘtre pressĂ©. Car pour bien profiter du hammam, il faut bien avoir deux Ă  trois heures devant soi au minimum.

 

Une des oeuvres exposĂ©es de CĂ©cile Thonus, lors d’une journĂ©e portes ouvertes des artistes Ă  Argenteuil. Photo©Franck.Unimon

La douche est trĂšs chaude. Cela m’étonne. Celui qui m’a prĂ©cĂ©dĂ© dans le hammam me rĂ©pond que c’est lui qui l’a rĂ©glĂ©e de cette façon. Il « ramĂšne Â» l’eau froide. Mes premiĂšres expĂ©riences de sauna et de hammam datent de mon adolescence. Lorsque je faisais de l’athlĂ©tisme. L’eau trĂšs froide, le trĂšs chaud. L’alternance. Douches froides, bain froid, sauna. Courir dehors par temps froid, faire des cross, y compris dans la boue.  C’est Ă  cette Ă©poque que j’avais dĂ©couvert ça. Je n’ai jamais gagnĂ© le moindre cross mais je les avais toujours finis.

 

Plusieurs annĂ©es plus tard, je continue de suivre les mĂȘmes principes. Ceux que l’on m’avait appris dans ce club d’athlĂ©tisme, Ă  Nanterre, mais aussi chez moi. Dans ma famille.

 

Nous entrons tous les deux dans le hammam ou le sauna car il s’agit d’une chaleur sĂšche. Nous continuons encore de discuter. L’homme est devant moi en train de parler depuis Ă  peine deux minutes quand il me dit :

 

« Il fait chaud ! Â». Puis, il sort. Ou, plutĂŽt, il se dĂ©pĂȘche de sortir.

Paris, fin 2022. Photo©Franck.Unimon

Je m’installe et m’assieds sur la plaque de marbre sous ce soleil de pierre. Et, peut-ĂȘtre, de priĂšres. Je pense trĂšs vite Ă  mon travail. Puis Ă  ma compagne dans une situation dĂ©cisive. Ensuite, c’est un bombardement de pensĂ©es. Un carnage. Je me dis qu’avant un acte amoureux, il faudrait d’abord aller au hammam ou au sauna chacun de son cĂŽtĂ©. Puis, ensuite, se retrouver. Pourquoi s’enquiquiner dans un restaurant Ă  s’alourdir la panse en restant coincĂ©s dans des vĂȘtements de convenance ou Ă  rester assis dans une salle de cinĂ©ma Ă  se frotter les yeux avec de la 3D alors que ce que l’on veut, c’est le plan B ?

 

 

Avatar 2, Black Panther 2, Pacifiction, Les Rascals, Grand Marin et d’autres Ɠuvres cinĂ©matographiques attendront encore un peu malgrĂ© leur (trĂšs) grand succĂšs public et critique. Car je suis au hammam de la gare d’Argenteuil et au summum de ma pensĂ©e.

Une des oeuvres de Thibaut Dapoigny lors d’une des portes ouvertes des artistes Ă  Argenteuil. Photo©Franck.Unimon

 

Lorsque mon « guide Â» du hammam revient, il commence Ă  s’enduire le corps de savon noir. Puis, en me tournant le dos et en baissant un peu son maillot de bain, il me demande si je veux bien lui en mettre sur le dos. Je sais que cela peut se faire. Mais je me dis maintenant que savonner quelqu’un peut ĂȘtre une pratique risquĂ©e. Car je me rappelle que le hammam peut ĂȘtre un lieu de rencontres sociales mais aussi de drague.

 

Les autres risques, c’est le bruit et l’agitation. Ici, pour celles et ceux qui l’auraient imaginĂ©, je ne pense pas du tout aux coups de feu du colt du coĂŻt dans un hammam et au risque d’y ĂȘtre dĂ©couvert. Mais au fait  que je vais aussi au hammam pour ĂȘtre au calme. Certains s’isolent dans un cloĂźtre ou dans une maison de campagne. Moi, je vais au hammam. Chacun ses moyens.

 

Mon « voisin Â» ne tient pas en place. Trop forte chaleur ou Ă©rection,  il sort Ă  peu prĂšs toutes les quatre minutes ou plus rapidement. Il part se doucher. Puis revient aprĂšs quelques minutes. Cependant, il ne m’envahit pas. S’il m’a tutoyĂ© au dĂ©part, il s’est ensuite fidĂ©lisĂ© Ă  mon vouvoiement.

 

 

J’estime qu’à peu prĂšs dix minutes se sont Ă©coulĂ©es lorsque je pars prendre ma premiĂšre douche froide.

 

ça passe.

 

Je retourne dans le hammam oĂč, cette fois, je m’allonge sur cette petite plage de marbre en gardant mes jambes repliĂ©es car il n’y a pas la place pour s’étendre de tout son long. Pendant ce temps,  mon voisin poursuit ses pĂ©rĂ©grinations. J’entends le bruit de ses claquettes mais aussi de son maillot de bain qui glisse lorsqu’il se remet debout. Ses pas accĂ©lĂ©rĂ©s. La porte poussĂ©e avec hĂąte quand il sort comme s’il quittait un saloon de western.

Affiche du chanteur Renaud, dans le métro, en 2022.

A ma deuxiĂšme douche froide, je sens que je vacille un peu sous l’eau lorsque je ferme les yeux. J’ai un peu le souffle coupĂ© lorsque celle-ci me tombe sur la tĂȘte, la nuque, et recouvre mon visage.

 

Je titube un peu en allant vers ma troisiĂšme douche froide. Entre temps, alors que j’étais allongĂ©, un Arabe massif est arrivĂ©. Il doit bien faire dans les 110 ou 120 kilos. Nous nous sommes retrouvĂ©s Ă  trois dans le hammam :

 

Un Européen, un Antillais et un Arabe. Belle mixité.

 

Mais si l’Antillais est bien sĂ»r indolent, il se trouve avec, d’un cĂŽtĂ©, un agité .et un compĂ©titeur.

L’aventurier Mike Horn, en couverture du magazine Survivre, en 2022.

Je me dis qu’il doit souvent se retrouver ces trois catĂ©gories dans un hammam ou dans un sauna. Celui qui multiplie les expositions brĂšves de trois Ă  cinq minutes (les sprints) dans le trĂšs chaud. Celui qui prend son temps, l’endormi ou l’aguicheur, c’est selon. Et, celui qui veut faire le maximum et, si possible, qui tient Ă  rester plus longtemps que les autres.

 

Peut-ĂȘtre que j’en rajoute.

 

Peut-ĂȘtre que notre lutteur du hammam avait peu de temps devant lui. Mais cela m’a fait drĂŽle de l’entendre s’encourager, de boire un peu d’eau Ă  deux ou trois reprises. Comme s’il essayait de gagner une course contre l’augmentation de la tempĂ©rature. 

 

ll avait l’air de serrer les dents. Il lui fallait tenir la corde jusqu’au bout et garder la position ainsi que la tĂȘte haute. Etait-il satisfait de lui lorsque je l’ai entendu sortir en se ruant presque  hors de la piĂšce ?  Alors qu’il Ă©tait en train se faire « gommer Â» ?

 

« Gommeur Â», dans un hammam, c’est dur. Passer des heures, torse nu, dans la chaleur, Ă  passer sur les peaux des autres.

 

 

Ma quatriĂšme douche froide est rĂ©ussie. Je me sens bien sous l’eau froide. Je respire de maniĂšre apaisĂ©e.

 

AprĂšs Ă§a, en sortant, j’ai le plaisir de voir le thermos prĂšs du plateau qui contient quelques verres de thĂ©. Ils sont tous retournĂ©s sauf un. D’emblĂ©e, je sais ce qui se trouve dans le thermos. Je me sers aussitĂŽt un premier verre. C’est chaud. C’est bon. SucrĂ© comme il le faut.

A Montreuil, le 4 juin 2021. Photo©Franck.Unimon

 

 

Je me dirige vers la salle de repos. Je cherche l’heure. 9h05. A peu prĂšs 1h30. Je crois que c’est plutĂŽt une bonne sĂ©ance pour une reprise.

 

Ce temps dans la salle de repos est selon moi aussi important que celui passé dans le hammam et sous la douche froide.

 

Je prends la dĂ©cision rĂ©solue de m’en tenir Ă  trois verres de thĂ©. J’en boirai cinq.

 

TrĂšs vite, trente minutes passent. Puis, c’est le moment d’aller se rhabiller et de partir aprĂšs avoir remerciĂ© le gĂ©rant et la dame, assise dans la cuisine derriĂšre lui, prĂšs de la table. C’est elle qui a prĂ©parĂ© le thĂ© Ă  la menthe. PrĂšs du comptoir, je vois aussi plein de canettes de sodas sucrĂ©s. Je dis que j’espĂšre prendre moins de temps pour revenir la prochaine fois.

Gare St Lazare, Paris, 22 septembre 2020. Photo©Franck.Unimon

Je sors lĂ©ger en optant pour avoir une vraie journĂ©e de repos. Pour faire une vraie sieste cette aprĂšs-midi avant de retourner ce soir au karatĂ©. Un Maitre comme Jean-Pierre Vignau, 77 ans, qui prend la peine d’appeler tous ses Ă©lĂšves pour leur souhaiter la nouvelle annĂ©e est un Maitre qu’il faut aller retrouver. MĂȘme si c’est Ă  une heure de transports en commun de chez soi. MĂȘme si demain, matin, j’ai prĂ©vu de me rendre Ă  Ste Anne Ă  un sĂ©minaire animĂ© par Claude Orsel sur les addictions au jeu avec la prĂ©sence, entre autre, de Marc Valleur, l’ancien mĂ©decin chef de Marmottan.

 

J’attends une heure au minimum avant de manger.  En attendant, je me mets Ă  Ă©crire cet article, et, Ă©videmment, j’écris pendant plus d’une heure. Plus de quatre heures sont passĂ©es depuis ma sortie du hammam.

 

 

Je ne pourrai peut-ĂȘtre pas aller dans un hammam une fois par semaine comme cet homme que j’ai rencontrĂ©. Mais j’aimerais bien recommencer ici et ailleurs ce genre de sĂ©ance. En allant aussi me faire masser dans des lieux de massage.

 

 

Bonne annĂ©e 2023, et meilleurs vƓux !

 

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 13 janvier 2023.