Massage Ă lâhuile au Ban MaĂŻ ThaĂŻ
Auparavant, je nâavais jamais envisagĂ© quâune table de massage puisse ĂȘtre une table dâopĂ©ration. Et que la plus grande partie de mon corps recevrait cette opĂ©ration.
Nous nous plaignons de relations superficielles. Ce que jâai vĂ©cu hier avait un peu un caractĂšre sacrificiel. Mais je ne le savais pas en choisissant dâentrer dans ce salon de massage au 99, rue GlaciĂšre, dans le 14 Ăšme arrondissement de Paris, plutĂŽt que dans le salon de thĂ© un peu plus loin.
Tout ce que je voulais, tout ce que je voyais, câĂ©tait que jâavais besoin de me rĂ©chauffer.
A la fin de ce mois de janvier, je me sentais fatiguĂ©. Il faisait froid et humide depuis plusieurs jours. Et cela faisait plusieurs annĂ©es que je mâĂ©tais dit que ce serait bien dâaller me faire me masser de temps en temps.
Mais par oĂč commencer ? Dans quel lieu de massage ? Il y avait les instituts de beautĂ©, les forfaits massages sans Ăąme, les endroits oĂč lâon vous fait payer le cadre plus que la rĂ©elle habilitĂ© Ă vous relaxer, les dĂ©barras de sperme camouflĂ©sâŠ.
Jâen ai fait un peu lâexpĂ©rience : en France, lorsque vous parlez massage, on pense tout de suite aux prĂ©liminaires sexuels. On est encore assez peu sportif en France question massage.
MĂȘme si lâon parle de yoga, de zen, dâArts martiaux, dâapplication de mĂ©ditation, de lâimportance de prendre son temps, de se reconnecter avec soi-mĂȘme, dĂšs que lâon parle de massage, un trouble se dĂ©clare. Jâai lâimpression que celui qui se montre sympathique ou inoffensif et en profite pour verser en douce du GHB dans un verre est presque plus frĂ©quentable que celui qui va parler de « massage ».
« Je nâaime pas que lâon me touche » mâa dit hier soir une collĂšgue plutĂŽt sympathique alors que nous marchions tous les deux cĂŽte Ă cĂŽte en discutant vers le mĂ©tro. Pour plaisanter, je lui ai alors demandĂ© :
« JâespĂšre que je ne suis pas trop prĂšs de toi pendant qu’on parleâŠÂ». Elle a souri voire elle a rigolĂ©. Un peu.
Jâai un rapport diffĂ©rent au massage. Un jour, un de mes collĂšgues formĂ© Ă la psychanalyse qui doit Ă mon avis peu se faire masser mâa dit :
« Le corps, câest lâinconscient ». ça mâa marquĂ©. Notre corps nous marque et nous attache. Et un massage marche sur toutes ces marques et toutes ces attaches que notre histoire nous a laissĂ©e. Cela nâa pas grand chose de sexuel mĂȘme si un massage peut aussi ĂȘtre dâinspiration sexuelle.
Jâai Ă©tĂ© sportif et le suis encore un peu. Et, pour moi, un massage, cela a dâabord Ă©tĂ© dâordre sportif. Lorsquâun joueur de tennis se fait masser sur un court de tennis, le but recherchĂ© nâest pas lâobtention dâune plus grande Ă©rection mĂȘme si son but, ensuite, consistera Ă faire tout son possible pour envoyer profond sa balle de tennis (ne changez pas le mot en chemin dans votre tĂȘte, sâil vous plait) dans les limites du terrain adverse.
Mais avant le sport, jâavais appris dĂšs lâenfance Ă approcher un autre corps par la danse et la musique. CâĂ©tait une rĂšgle et mĂȘme une obligation culturelle et sociale. Ne pas savoir danser avec quelquâun dâautre, câĂ©tait la honte. Et, je parle dâune danse rapprochĂ©e. Avec des titres aussi longs voire plus longs que les slows cĂ©lĂšbres.
Enfin, le chĂątiment corporel, y compris en public, ça peut aussi dĂ©complexer question rapport Ă son propre corps. Cette semaine, ma fille mâa demandĂ© si, enfant, jâavais connu des maitres Ă lâĂ©cole qui tiraient les oreilles. Oui, ma fille. Et mĂȘme des maitres qui giflaient. Jâai mĂȘme reçu un coup de pied dans le derriĂšre. Tiens, je vais te raconter une histoire. Figure-toi quâun jour, ton grand-pĂšre est allĂ© voir mon maitre avec moi Ă lâĂ©cole. JâĂ©tais en CE2. Il a dit Ă mon maitre : « Vous savez, Franck, sâil fait des bĂȘtises, vous pouvez le frapperâŠ. ».
Sourire.
Ăa peut vous dĂ©complexer avec le fait que lâon touche votre corps. Ăa et toutes ces expĂ©riences sensorielles oĂč notre corps est sollicitĂ©. A travers une pratique sportive, pour peu que lâon se soit appliquĂ© Ă ĂȘtre aussi performant que possible dans la durĂ©e, on fait lâapprentissage de certaines rĂ©actions de notre corps. Voire, on les accepte. Peut-ĂȘtre trop, aussi.
Quelquâun mâa dit un jour : « Je nâaime pas transpirer ». ça mâa marquĂ©.
Mais si le massage donne souvent lâimpression Ă certains dâĂȘtre seulement lâantichambre dâEros, la suite de cette anecdote a plutĂŽt Ă voir avec le seuil de douleur que lâon accepte dâapprocher. Car si ma collĂšgue âcelle qui nâaime pas se faire masser- a dâores et dĂ©jĂ de lâarthrose dans les genoux au point de prĂ©fĂ©rer lâescalator aux escaliers, le massage dâhier mâa catapultĂ© dans une expĂ©rience trĂšs engagĂ©e du massage. Il nây avait absolument rien de superficiel dans ce que jâai vĂ©cu hier.
Je lâai dĂ©jĂ fait comprendre, je nâavais pas dâapprĂ©hension en entrant dans ce salon de massage hier. Jâavais Ă peu prĂšs deux heures devant moi avant de retourner au travail pour une rĂ©union. Un peu plus tĂŽt dans lâaprĂšs-midi, dĂ©jĂ , je mâĂ©tais arrĂȘtĂ©, rue du Cherche-Midi, dans un salon de massage chinois bien recommandĂ© par certains avis lus sur internet. CâĂ©tait sur mon trajet avant de me rendre Ă une confĂ©rence Ă mon travail sur les UMJ (les unitĂ©s mĂ©dico-judiciaires). Je me suis contentĂ© dâun massage des pieds de quinze minutes. Bain de pieds chaud au prĂ©alable. Puis, massage des pieds en commençant par les chevilles. Je mâattendais Ă un massage plus poussĂ© des pieds mais cela fut agrĂ©able. En plus, comme câĂ©tait une pĂ©riode creuse, jâai eu le droit Ă un (petit) massage de la nuque. Avant de partir, on mâa aussi servi un thĂ©. 15 euros pour 15 minutes au lieu de 20 euros. Je me suis ensuite dirigĂ© vers la gare Montparnasse.
AprĂšs le sĂ©minaire, jâavais Ă peu prĂšs deux heures de libres. Jâen ai profitĂ© pour dĂ©couvrir un peu plus les environs. Je suis passĂ© devant ce salon de massage thaĂŻlandais, le Ban MaĂŻ ThaĂŻ. ExtĂ©rieurement, il mâa fait une plutĂŽt bonne impression. Et ses tarifs pour une heure de massage, bien quâun peu Ă©levĂ©s par rapport Ă mes enseignements (un euro par minute de massage) restaient observables. Je ne suis pas entrĂ© tout de suite. Jâai continuĂ© de me balader.
Puis, je suis revenu environ trente minutes plus tard.
Jâai Ă©tĂ© formĂ© au massage bien-ĂȘtre. Jâai dĂ©jĂ Ă©tĂ© massĂ© un certain nombre de fois. CâĂ©tait un des principes de la formation. Masser des personnes diffĂ©rentes et se faire masser par des personnes diffĂ©rentes. Je suis donc entrĂ© hier en demandeur et en « connaisseur ». Du moins, en connaisseur de ce que je connaissais dĂ©jĂ .
Massage (complet) aux huiles ou massage thaĂŻlandais ? Telle Ă©tait la question. On partait pour une heure, de toute façon, pour 70 euros. Je pouvais accepter ce tarif. CâĂ©tait la fin du mois. Plus cher, jâaurais tiquĂ© pour une premiĂšre fois.
La femme qui mâaccueillait, trĂšs certainement dâorigine thaĂŻlandaise, Ă©tait tout sourire. Et, dans son Français, elle faisait de son mieux pour me renseigner. Elle mâa assez vite dirigĂ© vers le massage aux huiles. Mais je trouvais que ça faisait trop clichĂ©, le client qui demande un massage aux huiles. Jâavais encore en tĂȘte le massage californien et peut-ĂȘtre aussi le titre HĂŽtel California des Eagles.
MalgrĂ© toutes les informations devant moi, je nâavais toujours pas traversĂ© lâocĂ©an pacifique jusquâĂ lâAsie.
Jâai vraiment eu envie du massage thaĂŻlandais. Je pensais Ă des Ă©tirements tout en douceurâŠ
Lorsque je lui ai demandĂ© si ce massage faisait du bien ensuite, mon hĂŽtesse mâa rĂ©pondu en gardant son sourire quâaprĂšs je prendrais peut-ĂȘtre du doliprane. Mais que le lendemain, je me sentirais bien. Puis, presquâen forçant sa nature, elle sâest montrĂ©e un peu directive en me disant « Je pense que le massage aux huiles, ce serait bien pour la premiĂšre fois ».
Je lâai Ă©coutĂ©e. Jâai bien fait.
Jâai dâabord payĂ©. Puis, elle mâa apportĂ© une paire de sandales. Je me suis dĂ©chaussĂ©. Jâai voulu me lever pour amener mes chaussures. Elle mâa fait comprendre que câĂ©tait son travail et elle les a dĂ©posĂ©es prĂšs dâautres chaussures rangĂ©es Ă lâentrĂ©e. Il y avait une paire de baskets Nike blanches.
Vous voulez aller aux toilettes ? Jâai acquiescĂ©.
Ensuite, toujours souriante, elle mâa demandĂ© si jâavais mal quelque part. Jâai donnĂ© quelques indications. Puis, elle sâest volatilisĂ©e. Peu aprĂšs, elle est revenue avec une jeune femme, dâune trentaine dâannĂ©es Ă peine, aussi petite quâelle, Ă peu prĂšs un mĂštre soixante, peut-ĂȘtre moins. Toute aussi souriante, celle-ci mâa accompagnĂ© vers un escalier qui nous a fait descendre jusquâĂ une petite piĂšce oĂč attendait une salle de massage. Je dirais que la salle devait faire dans les 6 mĂštres carrĂ©s. Tout Ă©tait optimisĂ©. La table, deux cintres, de quoi poser ses vĂȘtements. La lumiĂšre Ă©tait apaisante. Une musique mĂ©lodique et sans doute trĂšs uniforme aussi nâa cessĂ© de couler pendant la sĂ©ance.
Ma future masseuse mâa remis un sachet fermĂ© contenant un slip jetable bleu qui avait lâallure dâun string et sâest Ă©clipsĂ©e. Lorsquâelle est revenue et que je lâattendais, allongĂ©e sur le dos, celle-ci sâest aperçue que jâavais mis le slip Ă lâenvers. Petit rire. Nouvelle Ă©clipse. Nouveau retour.
Je me suis allongĂ© sur le ventre comme elle me lâa demandĂ©. Jâai fermĂ© les yeux. Jâai Ă©tĂ© recouvert de serviettes chaudes. Puis, sans beaucoup attendre, ma masseuse souriante a encastrĂ© son “savoir- fer” dans mon corps. Elle a bien dĂ» monter sur la table afin de mettre tout son poids. En tout cas, elle mâest montĂ©e dessus ou a roulĂ© sur mon corps. Alors, je me suis rappelĂ© ce que jâavais entendu dire, dans le passĂ©, Ă propos de ces massages en ThaĂŻlande qui pouvaient ĂȘtre difficiles Ă supporter physiquement.
Cinq Ă dix minutes Ă peine sâĂ©taient passĂ©es que je louais mes capacitĂ©s expiratoires afin dâaccepter le programme essorage de ma jeune praticienne. Je nâai pas perçu dâagressivitĂ© particuliĂšre de sa part mais je me suis bien demandĂ© oĂč Ă©tait la frontiĂšre consciente entre un massage et un acte de guerre.
Bien-sĂ»r, jâai pensĂ© Ă la torture. Cet ensemble dâactions par lequel on refuse que lâautre nous Ă©chappe.
Mais quand je pense Ă la guerre, câest pour cette grande connaissance du corps humain. Tant pour la connaissance de ses points faibles que de ses zones de rĂ©sistance.
« You, Ok ? » mâa demandĂ© gentiment ma masseuse par intervalles de dix minutes. Elle semblait bien renseignĂ©e quant au fait que je pouvais connaĂźtre des moments difficiles.
Jâai rĂ©pondu, oui.
Je me suis dit que le peuple thaĂŻlandais devait ĂȘtre un peuple particuliĂšrement souple pour avoir ce type de massage-repassage.
Cependant, Ă©tant allongĂ© sur le ventre, et stimulĂ© en profondeur comme je lâĂ©tais, jâai commencĂ© Ă redouter la venue dâune Ă©rection. Jâai pensĂ© Ă Desproges qui, dans un de ses sketches, racontait ce malaise quâil avait pu ressentir en Ă©tant collĂ© Ă un de ses voisins dans lâascenseur exigu de son immeuble mais aussi sa crainte de voir survenir en lui une Ă©rection.
Mon inquiĂ©tude a Ă©tĂ© facilement Ă©conduite. La tonicitĂ© du massage et les Ă©tirements assez poussĂ©s ne sâaccouplaient pas avec une Ă©rection. Et lâintention de ma masseuse aussi, sans aucun doute.
Tout cela, câĂ©tait la prise en main, Ă sec, des jambes et des pieds. Nous nâen nâĂ©tions quâau commencement.
De lâhuile chaude est arrivĂ©e sur ma peau. Juste comme il faut. Ma masseuse a poursuivi son travail de conquĂȘte cutanĂ©e. Parvenue en haut de mon dos, mes jambes recouvertes Ă nouveau par une serviette, il y a eu un premier craquement. Puis un second. Puis un troisiĂšme. Elle nâallait pas laisser passer ça.
« You, ok ? ».
Dans cette sĂ©ance de massage particuliĂšrement satisfaisante, le summum a Ă©tĂ© atteint lorsquâelle sâest occupĂ©e de mes omoplates. En particulier, peut-ĂȘtre du muscle trapĂšze. Elle mâa donnĂ© lâimpression de le tasser avec son coude.
Coudes, poids du corps sur la table et poing étaient en libre service lors de cette séance.
Le massage du ventre et des pectoraux Ă©tait moins accompli mais jâavais eu mon compte. Une fois installĂ© sur la table de massage, lâheure est passĂ©e rapidement.
AprĂšs mâĂȘtre rhabillĂ©, je suis remontĂ©. Un thĂ© chaud mâattendait avec une coupelle contenant quelques fruits. Ainsi que mes chaussures.
Jâai revu celle qui mâavait massĂ© et lui ai demandĂ© son prĂ©nom. Jâavais un peu de mal Ă la reconnaĂźtre. Je nâavais fait que lâapercevoir. Il mâa semblĂ© quâelle estimait nâavoir fait que son travail. Ce qui Ă©tait vrai. Mais câĂ©tait un travail plutĂŽt bien fait et il fallait le remarquer. La jeune masseuse, aprĂšs mâavoir prononcĂ© son prĂ©nom Ă la ThaĂŻlandaise mâa amenĂ© une carte du salon en souriant. Je lâai prise mĂȘme si jâen avais dĂ©jĂ une. Puis, elle a disparu pour rejoindre dâautres masseuses dans une piĂšce oĂč jâavais lâimpression quâelles sây mettaient Ă plusieurs pour sâoccuper dâune personne.
« Lâ hĂŽtesse » sâest aussi assurĂ©e que tout sâĂ©tait bien passĂ©. Dans ce genre de commerce souvent tenu par des femmes, jâai lâimpression, un homme est venu discrĂštement prendre la suite Ă lâaccueil. Le salon allait fermer dans moins dâune heure.
Entre 11h et 14h, lâheure de massage descend Ă 57 ou 56 euros. Je reviendrai sĂ»rement en profiter un jour.
Mon corps Ă©tait rĂ©chauffĂ© lorsque je suis parti. La prochaine fois, jâirai aussi au salon de thĂ© qui se trouve un peu plus loin.
Je suis arrivĂ© avec environ vingt minutes de retard Ă ma rĂ©union au travail. JâĂ©tais un petit peu ailleurs. Mais il nây avait pas de nĂ©cessitĂ© de sâagiter. Et puis, je faisais partie des prĂ©sents dans la salle. Quelques autres collĂšgues Ă©taient sur Skype.
La rĂ©union a durĂ© moins longtemps que je ne lâavais prĂ©vue. En partant, je nâai pas eu lâimpression dâavoir perdu mon temps. Jâai mĂȘme fait une partie du trajet avec une de mes collĂšgues qui nâaime pas quâon la touche. Nous avons discutĂ©. CâĂ©tait un moment assez privilĂ©giĂ©, personnel et dĂ©tendu. CâĂ©tait la premiĂšre fois que nous le faisions en dehors du service.
Franck Unimon, ce vendredi 27 janvier 2023.