Au Hammam de la gare

« La nature punit toujours ceux qui se préservent » nous avertit Marc Verillote, ancien membre du RAID pendant vingts ans de 1998 à 2018, dans son ouvrage Au Cœur du RAID écrit avec Karim Ben Ismaïl et publié en 2022. Ouvrage dont j’ai commencé la lecture alors que je n’ai pas terminé ma relecture de Frantz portrait Fanon d’Alice Cherki paru en 2000 ainsi que la bande dessinée Frantz Fanon réalisée par Frédéric Ciriez et Romain Lamy et parue, elle, en 2020.
Après avoir connu plus de trois semaines de grève dite « dure » dans mon service, grève « fantôme » qui s’est terminée il y a quelques jours (en obtenant plusieurs réparations et avancées), et après avoir beaucoup travaillé, entre-autres de nuit, comme beaucoup, je me sens fatigué en ce début d’année.

Comme beaucoup, aussi, j’ai appris cette semaine l’officialisation du recul du départ de l’âge à la retraite qui est passé de 62 à 64 ans ainsi que la nouvelle de la grande manifestation prévue dans six jours, le 19 janvier, pour protester contre cette décision annoncée par la Première Ministre Elizabeth Borne soutenue en cela par le Président de la République, Emmanuel Macron, réélu l’année dernière pour son deuxième mandat.
La phrase de Marc Verillote, ancien membre du RAID, est bien sûr à prendre avec des pincettes dans ce contexte économique, social, culturel et historique qui est le nôtre.
La sienne se réfère à une compétition de Judo, à un très haut niveau, pour laquelle, rétrospectivement, il estime s’être trop ménagé lors de sa préparation pour se donner les moyens de gagner la finale. Marc Verillote se dit en effet qu’il aurait dû la prendre, cette « douche glacée » à laquelle il avait pensé avant la finale de cette compétition de judo en Georgie alors qu’il faisait encore partie de l’équipe de France de Judo.
Si nous prenons souvent les sportifs de haut niveau ou des professionnels qui, comme Marc Verillote, dans leur domaine, font partie de l’élite – féminine ou masculine-, c’est parce-que ceux-ci nous inspirent ou peuvent nous inspirer pour les usages ou les défis de notre vie quotidienne.
Notre vie quotidienne peut être usante, contraignante, insatisfaisante ou décourageante. Alors qu’il suffit parfois de peu pour commencer à se sortir du malaise dans lequel on s’est peu à peu enlisé. Et, cette élite ou ces modèles que nous regardons nous donnent l’exemple afin de nous dépêtrer de cet enlisement-isolement. Car, si, nous, la majorité et la plupart d’entre nous, nous nous embourbons et piétinons, si nous, nous nous étourdissons et nous épuisons dans des existences exsangues, l’élite a pour elle de savoir survoler les obstacles mais aussi de se survolter devant eux.
L’élite est un exemple ou un visage qui nous ressemble ou que nous connaissons et que nous essayons de suivre à notre mesure.

Si le fait de beaucoup travailler ou de beaucoup donner de soi peut user, je crois aussi que l’on s’use d’autant plus rapidement et d’autant plus durablement lorsque l’on « vit » et « fait » par habitude de manière systématique les mêmes erreurs. Nous avons la capacité de reproduire les mêmes gestes, les mêmes façons de pensée et les mêmes choix pendant des années en nous contentant du fait de les exécuter. Mais nous avons aussi une certaine capacité à pouvoir les imposer autour de nous.
A moins de nous apercevoir de nous-mêmes que quelque chose cloche même si ça « roule » ou « marche », ou d’avoir quelqu’un dans notre entourage capable de nous prévenir – quelqu’un que nous sommes disposés à entendre- il nous faut souvent un symptôme, une rupture, un accident ou un signal d’alarme pour percuter. Pour voir que sur notre belle chaine de montage, nous avons laissé se développer quelques erreurs qui nous éloignent plus qu’elles ne nous rapprochent de notre véritable projet.
A condition que nous soyons encore capables de voir et de réagir. Et, s’il n’est pas trop tard.

Car, si « La nature punit toujours ceux qui se préservent » comme l’annonce Marc Verillote, il est étonnant de voir comme nous pouvons très facilement être très performants et grandement dévoués en tant qu’inlassables bourrins continuant de labourer dans le même champ de nos mines anti-personnelles.
A moins d’avoir des projets en rapport avec cette période, les soldes qui ont commencé cette semaine vont assez peu nous aider à lever le pied. Et, le lieu où nous résidons peut avoir une incidence sur les moyens dont nous disposons pour prendre le temps de reprendre notre souffle.
Mais encore faut-il avoir une certaine estime pour ces moyens.

La ville d’Argenteuil, où j’habite, est une péripétie. Une partie d’elle se désiste, une autre partie est une pépite et l’autre, à mon avis, décline. Après plusieurs années dans ses murs et ses rues, ce constat est pour moi plutôt déprimant. A moins d’avoir bien su choisir son quartier ainsi que son lieu de travail par rapport à elle.
Pourtant, je n’ai pas envie de tirer d’elle un portrait plus délabré qu’il ne l’est d’autant qu’un certain nombre de beaux ou de très beaux quartiers à Paris ou ailleurs font selon moi rêver principalement parce qu’ils nous sont étrangers ou interdits. Mais aussi parce-que que l’on ne connaît pas beaucoup celles et ceux qui s’y trouvent.

Et puis, on l’aura compris, ce que je dis aujourd’hui d’Argenteuil s’applique à ce que je suis, aujourd’hui. Puisque cette ville, d’une façon ou d’une autre, me ressemble.
Il suffit parfois de peu pour commencer à se sortir du malaise dans lequel on s’est peu à peu enlisé. J’ai déjà écrit cette phrase. C’est aussi une situation que j’ai déjà vécue où il suffit, quelques fois, de sortir un peu de chez soi, de traverser deux ou trois rues pour qu’une rencontre ou une expérience nous procure un nouvel élan et nous éloigne de cette perspicacité défaitiste et dépressive dont un certain nombre de nos actions semblaient devenir le moteur.

Près de chez moi, il se trouve un hammam, où je suis déjà allé une ou deux fois, il y a deux ou trois ans. Plusieurs fois par semaine, je passe devant ce hammam. Plusieurs fois par semaine, aussi, je passe plus d’une heure dans les transports en commun, afin de me rendre à tel ou tel endroit. Il peut s’agir du travail ou d’une autre activité responsable, justifiée, incontournable. Ou d’une sortie de loisirs comme, demain soir, pour aller voir Sarah Murcia en concert à la Maison de la Radio. Vous ne connaissez pas Sarah Murcia ? Je ne la connaissais pas non plus il y a quelques mois. J’ai d’abord vu une photo en noir et blanc d’elle au Triton en me rendant à l’exposition des tableaux de Marie-Jo, une ancienne collègue infirmière qui avait pris sa retraite quelques mois plus tôt.
Pour découvrir Sarah Murcia, je vous propose de la voir en duo avec Rodolphe Burger lorsqu’ils ont tous les deux repris le titre Billie Jean de Michaël Jackson.

Billie Jean, Michaël Jackson, c’est loin. J’ai de la « chance », pour aller demain soir au concert de Sarah Murcia la gare est proche de chez nous. Moins de cinq minutes à pied. Cette chance tient aussi au choix que nous avons fait de nous installer il y a dix ans près de la gare. Même si je passerai sans doute plus de temps dans les transports en commun demain soir pour aller au concert que pour y assister à la maison de la radio dans le 16èmearrondissement de Paris.
Le hammam est plus proche de chez nous que la gare. Mais, évidemment, je me rends bien plus souvent à la gare qu’au hammam. Et, évidemment, aussi, Sarah Murcia et tous les autres artistes, ne font pas encore leurs concerts dans un hammam.
Malgré cette désillusion, ce matin, un peu après 7h30, je suis retourné au hammam. Car, nous avons la chance, à Argenteuil, d’avoir un hammam qui ouvre dès 7 heures du matin. Il est ouvert tous les jours sauf le mardi.
« C’est 15 euros, maintenant. Le prix a augmenté à cause le gaz… » s’excuse le gérant qui me reçoit. Régulièrement, j’ai pu le saluer chaque fois que je l’avais croisé dehors, en passant, devant le hammam. Alors que j’emmenais ma fille à l’école ou au centre de loisirs.
Auparavant, l’entrée coûtait 12 euros, thé à la menthe inclus.

Le hammam de la gare est un hammam simple et propre. Peut-être rustique. Peut-être décati. Mais il a sa clientèle. Il est courant de voir une caisse garée à cheval quelques minutes sur le trottoir en face de son entrée. On pourrait penser au braquage de la caisse. C’est plutôt de la débrouille. Car trouver une place où se garer dans le centre ville d’Argenteuil est hasardeux et peut-être même, miraculeux.
Plusieurs mois sans pratiquer le karaté à Bagnolet avec Maitre Jean-Pierre Vignau. Plusieurs mois sans pratiquer l’apnée désormais à Villeneuve la Garenne avec le club Subaqua club de Colombes aujourd’hui « exilé » car la piscine de Colombes est désormais en travaux pour les Jeux Olympiques de 2024.
Plusieurs années sans faire de théâtre. Plusieurs années, aussi, sans pratiquer le massage bien-être. Plusieurs semaines sans écrire un seul article pour mon blog, lequel, a connu quelques ratés techniques durant plusieurs semaines. Jusqu’à ce qu’Eddy, l’ami photographe, l’ingénieur informatique, le créatif, n’accepte gentiment de se rendre disponible plusieurs heures à la fin de l’année dernière, dans son studio, afin de m’aider avec WordPress.
En ce début d’année 2023, et depuis plusieurs jours, j’ai l’impression de végéter. J’ai l’impression que « mes chakras sont bouchés » pour employer les termes tenus par un ancien collègue infirmier, formé au massage bien-être bien avant moi et qui avait commencé une formation de Shiatsu qu’il avait arrêté. Une formation qui m’avait un moment attiré sauf que je n’ai rien fait de concret à ce sujet. C’était avant le karaté. Avant l’apnée.

Hier soir, je me suis dit que le hammam de la gare était un très bon moyen de commencer à arrêter de circuler dans le mauvais sens. Et que j’avais trop attendu pour y retourner. Lorsque hier soir, j’ai effectué l’effort de me rendre en voiture jusqu’à la piscine de Villeneuve la Garenne afin de pouvoir renouer avec la vie sociale du club à l’occasion de la galette des rois offerte par le club, j’ai bien vu que j’encaissais au ralenti lorsque l’on me parlait. Alors que tout le monde débordait de tonus et trouvait cela parfaitement normal. Cela n’avait rien à voir avec la fève. Je n’ai rien bu et rien touché hier de liquide, gazeux ou de solide au club. J’avais déjà mangé suffisamment de parts de galettes de roi au travail ces derniers jours. Et puis, depuis quelques jours, on ne voit que ça. Des galettes de roi, des couronnes, des fèves. Bientôt, ce sera autre chose.
Ce matin, en me levant un peu avant 6h30, j’ai fait mes étirements et des abdos, suivis de quelques galipettes avant et arrière.

Après un thé en sachet bu dans une de ces tasses ramenées du Japon en 1999, ce pays, plus loin que le hammam, où je ne suis pas retourné, contrairement à ce que je m’étais dit à l’époque, je descends les escaliers de l’immeuble. Après avoir salué ma fille qui va partir à l’école et ma compagne. En laissant derrière moi toute cette panoplie de tentacules qui nous met aux prises avec de multiples (fausses) urgences et autres bienveillantes addictions et soumissions :
Carte bancaire, internet, téléphone portable, écran en tout genre, baladeur, montre…
Je n’existe plus pour le monde connecté, moderne, efficace, virtuel, instantané, lyophilisé. Et civilisé. Je n’existe plus. J’ai même disparu des réseaux sociaux, nouvelles zones érogènes dont les milliards de connexions se sont beaucoup plus vite développées ces dernières années que les forêts qui disparaissent après avoir d’abord disparu de notre regard.
Mais étant donné que je ne suis pas tout à fait l’homme invisible pour les autres dans la rue, je me suis tout de même habillé avant de partir de chez moi. J’ai pris mes clés d’appartement comme de quoi me changer et me laver. Et des espèces pour payer.

7h30, pour arriver au hammam, ce n’est pas si tôt que ça. C’est beaucoup moins tôt que 6h00 ou 6h30, moment où, au Dojo Tenshin, école Itsuo Tsuda de Régis et Manon Soavi (le père et la fille) tous les jours de la semaine, des pratiquants se retrouvent. Et le week-end, aussi, à 8 heures. ( Le Maitre Anarchiste Itsuo Tsuda au Dojo Tenshin avec Manon Soavi ce mardi 8 novembre 2022 )
7h30, c’est aussi beaucoup moins tĂ´t sans aucun doute que l’heure Ă laquelle Maitre LĂ©o Tamaki dĂ©bute ses journĂ©es et ses marathons de voyages et de stages ( Dojo 5, Hino Akira Sensei au Cercle Tissier ce samedi 3 septembre 2022 ) . C’est sans doute aussi plus tard que l’heure Ă laquelle Maitre Jean-Pierre Vignau (Arts Martiaux : un article inspirĂ© par Maitre Jean-Pierre Vignau) dĂ©marre ses journĂ©es ainsi que Yves ( PrĂ©paratifs pour le stage d’apnĂ©e Ă Quiberon, Mai 2021, Quiberon, Mai 2021. ) le responsable de la section apnĂ©e de mon club qui ne vit pas de cette activitĂ© et qui a aussi un emploi et une vie de famille.

Au hammam, à quelques mètres de la douche, je tombe sur un homme. En maillot de bain, torse nu, il porte des lunettes de vue. Même si j’ai laissé les miennes dans mon casier, je vois que c’est un Européen. Comme j’ai un peu oublié comment ça se passe, je l’interroge. Celui-ci me répond cordialement. J’apprends aussi qu’il va au hammam une fois par semaine. Tantôt à celui-ci. Tantôt à un autre, à Barbès. Il habite à Cormeilles en Parisis, pas très loin en train. Une ville que je connais et que j’aime bien. J’y vais quelques fois. A sa médiathèque très bien fournie en dvds.
Le hammam à Barbès « fait plus hammam » me répond-t’il. C’est aussi un peu plus cher. 22 euros. « Ici, ça fait plutôt sauna. Mais, ce qui est bien, c’est que ça ouvre à 7 heures. Alors qu’ailleurs, ça ouvre souvent à 10h ou 11h. Habituellement, ici, je viens plutôt le samedi matin. Entre 7h et 9h, c’est très bien. Il n’y a personne. Aujourd’hui, je suis en congé. Lorsque je ne vais pas au hammam pendant une semaine, je ne me sens pas bien. C’est comme faire du sport » me dit-il.

Avec mes horaires décalés et la proximité, je n’ai pas de bonne raison pour avoir ignoré aussi longtemps ce hammam de la gare. A part le fait et ma prétention d’avoir toujours eu d’autres priorités et d’être pressé. Car pour bien profiter du hammam, il faut bien avoir deux à trois heures devant soi au minimum.

La douche est très chaude. Cela m’étonne. Celui qui m’a précédé dans le hammam me répond que c’est lui qui l’a réglée de cette façon. Il « ramène » l’eau froide. Mes premières expériences de sauna et de hammam datent de mon adolescence. Lorsque je faisais de l’athlétisme. L’eau très froide, le très chaud. L’alternance. Douches froides, bain froid, sauna. Courir dehors par temps froid, faire des cross, y compris dans la boue. C’est à cette époque que j’avais découvert ça. Je n’ai jamais gagné le moindre cross mais je les avais toujours finis.
Plusieurs années plus tard, je continue de suivre les mêmes principes. Ceux que l’on m’avait appris dans ce club d’athlétisme, à Nanterre, mais aussi chez moi. Dans ma famille.
Nous entrons tous les deux dans le hammam ou le sauna car il s’agit d’une chaleur sèche. Nous continuons encore de discuter. L’homme est devant moi en train de parler depuis à peine deux minutes quand il me dit :
« Il fait chaud ! ». Puis, il sort. Ou, plutôt, il se dépêche de sortir.

Je m’installe et m’assieds sur la plaque de marbre sous ce soleil de pierre. Et, peut-être, de prières. Je pense très vite à mon travail. Puis à ma compagne dans une situation décisive. Ensuite, c’est un bombardement de pensées. Un carnage. Je me dis qu’avant un acte amoureux, il faudrait d’abord aller au hammam ou au sauna chacun de son côté. Puis, ensuite, se retrouver. Pourquoi s’enquiquiner dans un restaurant à s’alourdir la panse en restant coincés dans des vêtements de convenance ou à rester assis dans une salle de cinéma à se frotter les yeux avec de la 3D alors que ce que l’on veut, c’est le plan B ?
Avatar 2, Black Panther 2, Pacifiction, Les Rascals, Grand Marin et d’autres œuvres cinématographiques attendront encore un peu malgré leur (très) grand succès public et critique. Car je suis au hammam de la gare d’Argenteuil et au summum de ma pensée.

Lorsque mon « guide » du hammam revient, il commence à s’enduire le corps de savon noir. Puis, en me tournant le dos et en baissant un peu son maillot de bain, il me demande si je veux bien lui en mettre sur le dos. Je sais que cela peut se faire. Mais je me dis maintenant que savonner quelqu’un peut être une pratique risquée. Car je me rappelle que le hammam peut être un lieu de rencontres sociales mais aussi de drague.
Les autres risques, c’est le bruit et l’agitation. Ici, pour celles et ceux qui l’auraient imaginé, je ne pense pas du tout aux coups de feu du colt du coït dans un hammam et au risque d’y être découvert. Mais au fait que je vais aussi au hammam pour être au calme. Certains s’isolent dans un cloître ou dans une maison de campagne. Moi, je vais au hammam. Chacun ses moyens.
Mon « voisin » ne tient pas en place. Trop forte chaleur ou érection, il sort à peu près toutes les quatre minutes ou plus rapidement. Il part se doucher. Puis revient après quelques minutes. Cependant, il ne m’envahit pas. S’il m’a tutoyé au départ, il s’est ensuite fidélisé à mon vouvoiement.
J’estime qu’à peu près dix minutes se sont écoulées lorsque je pars prendre ma première douche froide.
ça passe.
Je retourne dans le hammam oĂą, cette fois, je m’allonge sur cette petite plage de marbre en gardant mes jambes repliĂ©es car il n’y a pas la place pour s’étendre de tout son long. Pendant ce temps, mon voisin poursuit ses pĂ©rĂ©grinations. J’entends le bruit de ses claquettes mais aussi de son maillot de bain qui glisse lorsqu’il se remet debout. Ses pas accĂ©lĂ©rĂ©s. La porte poussĂ©e avec hâte quand il sort comme s’il quittait un saloon de western.

A ma deuxième douche froide, je sens que je vacille un peu sous l’eau lorsque je ferme les yeux. J’ai un peu le souffle coupé lorsque celle-ci me tombe sur la tête, la nuque, et recouvre mon visage.
Je titube un peu en allant vers ma troisième douche froide. Entre temps, alors que j’étais allongé, un Arabe massif est arrivé. Il doit bien faire dans les 110 ou 120 kilos. Nous nous sommes retrouvés à trois dans le hammam :
Un Européen, un Antillais et un Arabe. Belle mixité.
Mais si l’Antillais est bien sûr indolent, il se trouve avec, d’un côté, un agité….et un compétiteur.

Je me dis qu’il doit souvent se retrouver ces trois catégories dans un hammam ou dans un sauna. Celui qui multiplie les expositions brèves de trois à cinq minutes (les sprints) dans le très chaud. Celui qui prend son temps, l’endormi ou l’aguicheur, c’est selon. Et, celui qui veut faire le maximum et, si possible, qui tient à rester plus longtemps que les autres.
Peut-être que j’en rajoute.
Peut-être que notre lutteur du hammam avait peu de temps devant lui. Mais cela m’a fait drôle de l’entendre s’encourager, de boire un peu d’eau à deux ou trois reprises. Comme s’il essayait de gagner une course contre l’augmentation de la température.
ll avait l’air de serrer les dents. Il lui fallait tenir la corde jusqu’au bout et garder la position ainsi que la tête haute. Etait-il satisfait de lui lorsque je l’ai entendu sortir en se ruant presque hors de la pièce ? Alors qu’il était en train se faire « gommer » ?
« Gommeur », dans un hammam, c’est dur. Passer des heures, torse nu, dans la chaleur, à passer sur les peaux des autres.
Ma quatrième douche froide est réussie. Je me sens bien sous l’eau froide. Je respire de manière apaisée.
Après ça, en sortant, j’ai le plaisir de voir le thermos près du plateau qui contient quelques verres de thé. Ils sont tous retournés sauf un. D’emblée, je sais ce qui se trouve dans le thermos. Je me sers aussitôt un premier verre. C’est chaud. C’est bon. Sucré comme il le faut.

Je me dirige vers la salle de repos. Je cherche l’heure. 9h05. A peu près 1h30. Je crois que c’est plutôt une bonne séance pour une reprise.
Ce temps dans la salle de repos est selon moi aussi important que celui passé dans le hammam et sous la douche froide.
Je prends la décision résolue de m’en tenir à trois verres de thé. J’en boirai cinq.
Très vite, trente minutes passent. Puis, c’est le moment d’aller se rhabiller et de partir après avoir remercié le gérant et la dame, assise dans la cuisine derrière lui, près de la table. C’est elle qui a préparé le thé à la menthe. Près du comptoir, je vois aussi plein de canettes de sodas sucrés. Je dis que j’espère prendre moins de temps pour revenir la prochaine fois.

Je sors léger en optant pour avoir une vraie journée de repos. Pour faire une vraie sieste cette après-midi avant de retourner ce soir au karaté. Un Maitre comme Jean-Pierre Vignau, 77 ans, qui prend la peine d’appeler tous ses élèves pour leur souhaiter la nouvelle année est un Maitre qu’il faut aller retrouver. Même si c’est à une heure de transports en commun de chez soi. Même si demain, matin, j’ai prévu de me rendre à Ste Anne à un séminaire animé par Claude Orsel sur les addictions au jeu avec la présence, entre autre, de Marc Valleur, l’ancien médecin chef de Marmottan.
J’attends une heure au minimum avant de manger. En attendant, je me mets à écrire cet article, et, évidemment, j’écris pendant plus d’une heure. Plus de quatre heures sont passées depuis ma sortie du hammam.
Je ne pourrai peut-être pas aller dans un hammam une fois par semaine comme cet homme que j’ai rencontré. Mais j’aimerais bien recommencer ici et ailleurs ce genre de séance. En allant aussi me faire masser dans des lieux de massage.
Bonne année 2023, et meilleurs vœux !
Franck Unimon, ce vendredi 13 janvier 2023.