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Au Hammam de la gare

 

 

                           Au Hammam de la gare

 

Le hammam de la gare à Argenteuil, rue du Dr Leray, ce vendredi 13 janvier 2023 vers 21h. Photo©️Franck.Unimon

 

« La nature punit toujours ceux qui se prĂ©servent Â» nous avertit Marc Verillote, ancien membre du RAID pendant vingts ans de 1998 Ă  2018, dans son ouvrage Au CĹ“ur du RAID Ă©crit avec Karim Ben IsmaĂŻl et publiĂ© en 2022. Ouvrage dont j’ai commencĂ© la lecture alors que je n’ai pas terminĂ© ma relecture de Frantz portrait Fanon d’Alice Cherki paru en 2000 ainsi que la bande dessinĂ©e Frantz Fanon rĂ©alisĂ©e par FrĂ©dĂ©ric Ciriez et Romain Lamy et parue, elle, en 2020.

 

Après avoir connu plus de trois semaines de grève dite « dure Â» dans mon service, grève « fantĂ´me Â» qui s’est terminĂ©e il y a quelques jours (en obtenant plusieurs rĂ©parations et avancĂ©es), et après avoir beaucoup travaillĂ©, entre-autres de nuit, comme beaucoup, je me sens fatiguĂ© en ce dĂ©but d’annĂ©e.

Paris, Bd Raspail, fin 2022. Au loin, la Tour Montparnasse. On peut m’apercevoir en train de traverser, la route : ). Photo©️Franck.Unimon

 

Comme beaucoup, aussi, j’ai appris cette semaine l’officialisation du recul du départ de l’âge à la retraite qui est passé de 62 à 64 ans ainsi que la nouvelle de la grande manifestation prévue dans six jours, le 19 janvier, pour protester contre cette décision annoncée par la Première Ministre Elizabeth Borne soutenue en cela par le Président de la République, Emmanuel Macron, réélu l’année dernière pour son deuxième mandat.

 

La phrase de Marc Verillote, ancien membre du RAID, est bien sûr à prendre avec des pincettes dans ce contexte économique, social, culturel et historique qui est le nôtre.

 

La sienne se rĂ©fère Ă  une compĂ©tition de Judo, Ă  un très haut niveau, pour laquelle, rĂ©trospectivement, il estime s’être trop mĂ©nagĂ© lors de sa prĂ©paration pour se donner les moyens de gagner la finale. Marc Verillote se dit en effet qu’il aurait dĂ» la prendre, cette « douche glacĂ©e Â» Ă  laquelle il avait pensĂ© avant la finale de cette compĂ©tition de judo en Georgie alors qu’il faisait encore partie de l’équipe de France de Judo.

 

Si nous prenons souvent les sportifs de haut niveau ou des professionnels qui, comme Marc Verillote, dans leur domaine, font partie de l’élite – fĂ©minine ou masculine-, c’est parce-que ceux-ci nous inspirent ou peuvent nous inspirer pour les usages ou les dĂ©fis de notre vie quotidienne.  

 

Notre vie quotidienne peut ĂŞtre usante, contraignante, insatisfaisante ou dĂ©courageante. Alors qu’il suffit parfois de peu pour commencer Ă  se sortir du malaise dans lequel on s’est peu Ă  peu enlisĂ©. Et, cette Ă©lite ou ces modèles que nous regardons nous donnent l’exemple afin de nous dĂ©pĂŞtrer de cet enlisement-isolement. Car, si, nous, la majoritĂ© et la plupart d’entre nous, nous nous embourbons et piĂ©tinons, si nous, nous nous Ă©tourdissons et nous Ă©puisons dans des existences exsangues, l’élite a pour elle de savoir survoler les obstacles mais aussi de se survolter devant eux. 

 

L’élite est un exemple ou un visage qui nous ressemble ou que nous connaissons et que nous essayons de suivre à notre mesure.

Paris, fin décembre 2022, dans le 10ème arrondissement, le matin. Photo©️Franck.Unimon

Si le fait de beaucoup travailler ou de beaucoup donner de soi peut user, je crois aussi que l’on s’use d’autant plus rapidement et d’autant plus durablement lorsque l’on « vit Â» et « fait Â» par habitude de manière systĂ©matique les mĂŞmes erreurs. Nous avons la capacitĂ© de reproduire les mĂŞmes gestes, les mĂŞmes façons de pensĂ©e et les mĂŞmes choix pendant des annĂ©es en nous contentant du fait de les exĂ©cuter. Mais nous avons aussi une certaine capacitĂ© Ă  pouvoir les imposer autour de nous.

 

A moins de nous apercevoir de nous-mĂŞmes que quelque chose cloche mĂŞme si ça « roule Â» ou « marche Â», ou d’avoir quelqu’un dans notre entourage capable de nous prĂ©venir – quelqu’un que nous sommes disposĂ©s Ă  entendre- il nous faut souvent un symptĂ´me, une rupture, un accident ou un signal d’alarme pour percuter. Pour voir que sur notre belle chaine de montage, nous avons laissĂ© se dĂ©velopper quelques erreurs qui nous Ă©loignent plus qu’elles ne nous rapprochent de notre vĂ©ritable projet.

 

A condition que nous soyons encore capables de voir et de réagir. Et, s’il n’est pas trop tard.

Paris, fin 2022, dans le RER B, station Luxembourg.

 

Car, si «  La nature punit toujours ceux qui se prĂ©servent Â» comme l’annonce Marc Verillote, il est Ă©tonnant de voir comme nous pouvons très facilement ĂŞtre très performants et grandement dĂ©vouĂ©s en tant qu’inlassables bourrins continuant de labourer dans le mĂŞme champ de nos mines anti-personnelles.

 

A moins d’avoir des projets en rapport avec cette période, les soldes qui ont commencé cette semaine vont assez peu nous aider à lever le pied. Et, le lieu où nous résidons peut avoir une incidence sur les moyens dont nous disposons pour prendre le temps de reprendre notre souffle.

 

Mais encore faut-il avoir une certaine estime pour ces moyens.

La Gare d’Argenteuil centre ville, fin 2022. En regardant vers Paris. Photo©️Franck.Unimon

La ville d’Argenteuil, où j’habite, est une péripétie. Une partie d’elle se désiste, une autre partie est une pépite et l’autre, à mon avis, décline. Après plusieurs années dans ses murs et ses rues, ce constat est pour moi plutôt déprimant. A moins d’avoir bien su choisir son quartier ainsi que son lieu de travail par rapport à elle.

 

Pourtant, je n’ai pas envie de tirer d’elle un portrait plus dĂ©labrĂ© qu’il ne l’est d’autant qu’un certain nombre de beaux ou de très beaux quartiers Ă  Paris ou ailleurs font selon moi rĂŞver  principalement parce qu’ils nous sont Ă©trangers ou interdits.  Mais aussi parce-que que l’on ne connaĂ®t pas beaucoup celles et ceux qui s’y trouvent.

Paris, dans le 13ème arrondissement, en décembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

Et puis, on l’aura compris, ce que je dis aujourd’hui d’Argenteuil s’applique à ce que je suis, aujourd’hui. Puisque cette ville, d’une façon ou d’une autre, me ressemble.

 

 

Il suffit parfois de peu pour commencer à se sortir du malaise dans lequel on s’est peu à peu enlisé. J’ai déjà écrit cette phrase. C’est aussi une situation que j’ai déjà vécue où il suffit, quelques fois, de sortir un peu de chez soi, de traverser deux ou trois rues pour qu’une rencontre ou une expérience nous procure un nouvel élan et nous éloigne de cette perspicacité défaitiste et dépressive dont un certain nombre de nos actions semblaient devenir le moteur.

Le hammam de la gare, à Argenteuil, ce vendredi 13 janvier 2023 vers 21h. Photo©️Franck.Unimon

Près de chez moi, il se trouve un hammam, oĂą je suis dĂ©jĂ  allĂ© une ou deux fois, il y a deux ou trois ans. Plusieurs fois par semaine, je passe devant ce hammam. Plusieurs fois par semaine, aussi,  je passe plus d’une heure dans les transports en commun, afin de me rendre Ă  tel ou tel endroit. Il peut s’agir du travail ou d’une autre activitĂ© responsable, justifiĂ©e, incontournable. Ou d’une sortie de loisirs comme, demain soir, pour aller voir Sarah Murcia en concert Ă  la Maison de la Radio. Vous ne connaissez pas Sarah Murcia ? Je ne la connaissais pas non plus il y a quelques mois. J’ai d’abord vu une photo en noir et blanc d’elle au Triton en me rendant Ă  l’exposition des tableaux de Marie-Jo, une ancienne collègue infirmière qui avait pris sa retraite quelques mois plus tĂ´t.

Pour découvrir Sarah Murcia, je vous propose de la voir en duo avec Rodolphe Burger lorsqu’ils ont tous les deux repris le titre Billie Jean de Michaël Jackson.

Paris, fin 2022. Photo©️Franck.Unimon

Billie Jean, MichaĂ«l Jackson, c’est loin.  J’ai de la « chance Â», pour aller demain soir au concert de Sarah Murcia la gare est proche de chez  nous. Moins de cinq minutes Ă  pied. Cette chance tient aussi au choix que nous avons fait de nous installer  il y a dix ans près de la gare. MĂŞme si je passerai sans doute plus de temps dans les transports en commun demain soir pour aller au concert que pour y assister Ă  la maison de la radio dans le 16èmearrondissement de Paris.

 

Le hammam est plus proche de chez nous que la gare. Mais, évidemment, je me rends bien plus souvent à la gare qu’au hammam. Et, évidemment, aussi, Sarah Murcia et tous les autres artistes, ne font pas encore leurs concerts dans un hammam.

 

Malgré cette désillusion, ce matin, un peu après 7h30, je suis retourné au hammam. Car, nous avons la chance, à Argenteuil, d’avoir un hammam qui ouvre dès 7 heures du matin. Il est ouvert tous les jours sauf le mardi.

 

« C’est 15 euros, maintenant. Le prix a augmentĂ© Ă  cause le gaz… Â» s’excuse le gĂ©rant qui me reçoit. RĂ©gulièrement, j’ai pu le saluer chaque fois que je l’avais croisĂ© dehors, en passant, devant le hammam. Alors que j’emmenais ma fille Ă  l’école ou au centre de loisirs.

 

Auparavant, l’entrée coûtait 12 euros, thé à la menthe inclus.

Paris, le 15 décembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

Le hammam de la gare est un hammam simple et propre. Peut-être rustique. Peut-être décati. Mais il a sa clientèle. Il est courant de voir une caisse garée à cheval quelques minutes sur le trottoir en face de son entrée. On pourrait penser au braquage de la caisse. C’est plutôt de la débrouille. Car trouver une place où se garer dans le centre ville d’Argenteuil est hasardeux et peut-être même, miraculeux.

 

Plusieurs mois sans pratiquer le karatĂ© Ă  Bagnolet avec Maitre Jean-Pierre Vignau. Plusieurs mois sans pratiquer l’apnĂ©e dĂ©sormais Ă  Villeneuve la Garenne avec le club Subaqua club de Colombes aujourd’hui « exilĂ© Â» car la piscine de Colombes est dĂ©sormais en travaux pour les Jeux Olympiques de 2024.

 

Plusieurs annĂ©es sans faire de théâtre. Plusieurs annĂ©es, aussi, sans pratiquer le massage bien-ĂŞtre. Plusieurs semaines sans Ă©crire un seul article pour mon blog, lequel, a connu quelques ratĂ©s techniques durant plusieurs semaines. Jusqu’à ce qu’Eddy, l’ami photographe, l’ingĂ©nieur informatique, le crĂ©atif, n’accepte gentiment de se rendre disponible plusieurs  heures Ă  la fin de l’annĂ©e dernière, dans son studio, afin de m’aider avec WordPress.

 

En ce dĂ©but d’annĂ©e 2023, et depuis plusieurs jours, j’ai l’impression de vĂ©gĂ©ter. J’ai l’impression que « mes chakras sont bouchĂ©s Â» pour employer les termes tenus par un ancien collègue infirmier, formĂ© au massage bien-ĂŞtre bien avant moi et qui avait commencĂ© une formation de Shiatsu qu’il avait arrĂŞtĂ©. Une formation qui m’avait un moment attirĂ© sauf que je n’ai rien fait de concret Ă  ce sujet. C’était avant le karatĂ©. Avant l’apnĂ©e.

Le hammam de la gare, à Argenteuil, ce vendredi 13 janvier 2023 vers 21h. Photo©️Franck.Unimon

Hier soir, je me suis dit que le hammam de la gare Ă©tait un très bon moyen de commencer Ă  arrĂŞter de circuler dans le mauvais sens. Et que j’avais trop attendu pour y retourner. Lorsque hier soir, j’ai effectuĂ© l’effort de me rendre en voiture jusqu’à la piscine de Villeneuve la Garenne afin de pouvoir renouer avec la vie sociale du club Ă  l’occasion de  la galette des rois offerte par le club, j’ai bien vu que j’encaissais au ralenti lorsque l’on me parlait. Alors que tout le monde dĂ©bordait de tonus et trouvait cela parfaitement normal. Cela n’avait rien Ă  voir avec la fève. Je n’ai rien bu et rien touchĂ© hier de liquide, gazeux ou de solide au club. J’avais dĂ©jĂ  mangĂ© suffisamment  de parts de galettes de roi au travail ces derniers jours. Et puis, depuis quelques jours, on ne voit que ça. Des galettes de roi, des couronnes, des fèves. BientĂ´t, ce sera autre chose.

 

Ce matin, en me levant un peu avant 6h30, j’ai fait mes étirements et des abdos, suivis de quelques galipettes avant et arrière.

Photo©️Franck.Unimon

Après un thĂ© en sachet bu dans une de ces tasses ramenĂ©es du Japon en 1999, ce pays, plus loin que le hammam, oĂą je ne suis pas retournĂ©, contrairement Ă  ce que je m’étais dit Ă  l’époque, je descends les escaliers de l’immeuble. Après avoir saluĂ© ma fille qui va partir Ă  l’école et ma compagne. En laissant derrière moi toute cette panoplie de tentacules qui nous met aux prises avec de multiples (fausses) urgences et autres  bienveillantes addictions et soumissions :

 

Carte bancaire, internet, téléphone portable, écran en tout genre, baladeur, montre…

 

Je n’existe plus pour le monde connectĂ©, moderne, efficace, virtuel, instantanĂ©, lyophilisĂ©.  Et civilisĂ©. Je n’existe plus. J’ai mĂŞme disparu des rĂ©seaux sociaux, nouvelles zones Ă©rogènes dont les milliards de connexions se sont beaucoup plus vite dĂ©veloppĂ©es ces dernières annĂ©es que les forĂŞts qui disparaissent après avoir d’abord disparu de notre regard.

 

Mais Ă©tant donnĂ© que je ne suis pas tout  Ă  fait  l’homme invisible pour les autres dans la rue, je me suis tout de mĂŞme habillĂ© avant de partir de chez moi. J’ai pris mes clĂ©s d’appartement comme de quoi me changer et me laver. Et des espèces pour payer.

Paris, novembre 2022, près de Nation. Photo©️Franck.Unimon

7h30, pour arriver au hammam, ce n’est pas si tĂ´t que ça. C’est beaucoup moins tĂ´t que 6h00 ou 6h30, moment oĂą, au Dojo Tenshin, Ă©cole Itsuo Tsuda de RĂ©gis et Manon Soavi (le père et la fille) tous les jours de la semaine, des pratiquants se retrouvent. Et le week-end, aussi, Ă  8 heures. ( Le Maitre Anarchiste Itsuo Tsuda au Dojo Tenshin avec Manon Soavi ce mardi 8 novembre 2022 )

 

7h30,  c’est aussi beaucoup moins tĂ´t sans aucun doute que l’heure Ă  laquelle Maitre LĂ©o Tamaki dĂ©bute ses journĂ©es et ses marathons de voyages et de stages ( Dojo 5Hino Akira Sensei au Cercle Tissier ce samedi 3 septembre 2022  ) . C’est sans doute aussi plus tard que l’heure Ă  laquelle Maitre Jean-Pierre Vignau (Arts Martiaux : un article inspirĂ© par Maitre Jean-Pierre Vignau) dĂ©marre ses journĂ©es ainsi que Yves ( PrĂ©paratifs pour le stage d’apnĂ©e Ă  Quiberon, Mai 2021, Quiberon, Mai 2021.  ) le responsable de la section apnĂ©e de mon club qui ne vit pas de cette activitĂ© et qui a aussi un emploi et une vie de famille.

 

A l’arrière plan, on peut voir une affiche montrant Fela, beaucoup plus NigĂ©rian qu’EuropĂ©en. Photo©️Franck. Unimon, Paris, fin 2022.

Au hammam, à quelques mètres de la douche, je tombe sur un homme. En maillot de bain, torse nu, il porte des lunettes de vue. Même si j’ai laissé les miennes dans mon casier, je vois que c’est un Européen. Comme j’ai un peu oublié comment ça se passe, je l’interroge. Celui-ci me répond cordialement. J’apprends aussi qu’il va au hammam une fois par semaine. Tantôt à celui-ci. Tantôt à un autre, à Barbès. Il habite à Cormeilles en Parisis, pas très loin en train. Une ville que je connais et que j’aime bien. J’y vais quelques fois. A sa médiathèque très bien fournie en dvds.

 

Le hammam Ă  Barbès « fait plus hammam Â» me rĂ©pond-t’il. C’est aussi un peu plus cher. 22 euros. « Ici, ça fait plutĂ´t sauna. Mais, ce qui est bien, c’est que ça  ouvre Ă  7 heures. Alors qu’ailleurs, ça ouvre souvent Ă  10h ou 11h. Habituellement, ici, je viens plutĂ´t le samedi matin. Entre 7h et 9h, c’est très bien. Il n’y a personne. Aujourd’hui, je suis en congĂ©. Lorsque je ne vais pas au hammam pendant une semaine, je ne me sens pas bien. C’est comme faire du sport Â» me dit-il.

A la Gare du Nord, en juin 2022.

 

Avec mes horaires décalés et la proximité, je n’ai pas de bonne raison pour avoir ignoré aussi longtemps ce hammam de la gare. A part le fait et ma prétention d’avoir toujours eu d’autres priorités et d’être pressé. Car pour bien profiter du hammam, il faut bien avoir deux à trois heures devant soi au minimum.

 

Une des oeuvres exposĂ©es de CĂ©cile Thonus, lors d’une journĂ©e portes ouvertes des artistes Ă  Argenteuil. Photo©️Franck.Unimon

La douche est très chaude. Cela m’étonne. Celui qui m’a prĂ©cĂ©dĂ© dans le hammam me rĂ©pond que c’est lui qui l’a rĂ©glĂ©e de cette façon. Il « ramène Â» l’eau froide. Mes premières expĂ©riences de sauna et de hammam datent de mon adolescence. Lorsque je faisais de l’athlĂ©tisme. L’eau très froide, le très chaud. L’alternance. Douches froides, bain froid, sauna. Courir dehors par temps froid, faire des cross, y compris dans la boue.  C’est Ă  cette Ă©poque que j’avais dĂ©couvert ça. Je n’ai jamais gagnĂ© le moindre cross mais je les avais toujours finis.

 

Plusieurs années plus tard, je continue de suivre les mêmes principes. Ceux que l’on m’avait appris dans ce club d’athlétisme, à Nanterre, mais aussi chez moi. Dans ma famille.

 

Nous entrons tous les deux dans le hammam ou le sauna car il s’agit d’une chaleur sèche. Nous continuons encore de discuter. L’homme est devant moi en train de parler depuis Ă  peine deux minutes quand il me dit :

 

« Il fait chaud ! Â». Puis, il sort. Ou, plutĂ´t, il se dĂ©pĂŞche de sortir.

Paris, fin 2022. Photo©️Franck.Unimon

Je m’installe et m’assieds sur la plaque de marbre sous ce soleil de pierre. Et, peut-ĂŞtre, de prières. Je pense très vite Ă  mon travail. Puis Ă  ma compagne dans une situation dĂ©cisive. Ensuite, c’est un bombardement de pensĂ©es. Un carnage. Je me dis qu’avant un acte amoureux, il faudrait d’abord aller au hammam ou au sauna chacun de son cĂ´tĂ©. Puis, ensuite, se retrouver. Pourquoi s’enquiquiner dans un restaurant Ă  s’alourdir la panse en restant coincĂ©s dans des vĂŞtements de convenance ou Ă  rester assis dans une salle de cinĂ©ma Ă  se frotter les yeux avec de la 3D alors que ce que l’on veut, c’est le plan B ?

 

 

Avatar 2, Black Panther 2, Pacifiction, Les Rascals, Grand Marin et d’autres œuvres cinématographiques attendront encore un peu malgré leur (très) grand succès public et critique. Car je suis au hammam de la gare d’Argenteuil et au summum de ma pensée.

Une des oeuvres de Thibaut Dapoigny lors d’une des portes ouvertes des artistes Ă  Argenteuil. Photo©️Franck.Unimon

 

Lorsque mon « guide Â» du hammam revient, il commence Ă  s’enduire le corps de savon noir. Puis, en me tournant le dos et en baissant un peu son maillot de bain, il me demande si je veux bien lui en mettre sur le dos. Je sais que cela peut se faire. Mais je me dis maintenant que savonner quelqu’un peut ĂŞtre une pratique risquĂ©e. Car je me rappelle que le hammam peut ĂŞtre un lieu de rencontres sociales mais aussi de drague.

 

Les autres risques, c’est le bruit et l’agitation. Ici, pour celles et ceux qui l’auraient imaginĂ©, je ne pense pas du tout aux coups de feu du colt du coĂŻt dans un hammam et au risque d’y ĂŞtre dĂ©couvert. Mais au fait  que je vais aussi au hammam pour ĂŞtre au calme. Certains s’isolent dans un cloĂ®tre ou dans une maison de campagne. Moi, je vais au hammam. Chacun ses moyens.

 

Mon « voisin Â» ne tient pas en place. Trop forte chaleur ou Ă©rection,  il sort Ă  peu près toutes les quatre minutes ou plus rapidement. Il part se doucher. Puis revient après quelques minutes. Cependant, il ne m’envahit pas. S’il m’a tutoyĂ© au dĂ©part, il s’est ensuite fidĂ©lisĂ© Ă  mon vouvoiement.

 

 

J’estime qu’à peu près dix minutes se sont écoulées lorsque je pars prendre ma première douche froide.

 

ça passe.

 

Je retourne dans le hammam oĂą, cette fois, je m’allonge sur cette petite plage de marbre en gardant mes jambes repliĂ©es car il n’y a pas la place pour s’étendre de tout son long. Pendant ce temps,  mon voisin poursuit ses pĂ©rĂ©grinations. J’entends le bruit de ses claquettes mais aussi de son maillot de bain qui glisse lorsqu’il se remet debout. Ses pas accĂ©lĂ©rĂ©s. La porte poussĂ©e avec hâte quand il sort comme s’il quittait un saloon de western.

Affiche du chanteur Renaud, dans le métro, en 2022.

A ma deuxième douche froide, je sens que je vacille un peu sous l’eau lorsque je ferme les yeux. J’ai un peu le souffle coupé lorsque celle-ci me tombe sur la tête, la nuque, et recouvre mon visage.

 

Je titube un peu en allant vers ma troisième douche froide. Entre temps, alors que j’étais allongĂ©, un Arabe massif est arrivĂ©. Il doit bien faire dans les 110 ou 120 kilos. Nous nous sommes retrouvĂ©s Ă  trois dans le hammam :

 

Un Européen, un Antillais et un Arabe. Belle mixité.

 

Mais si l’Antillais est bien sûr indolent, il se trouve avec, d’un côté, un agité….et un compétiteur.

L’aventurier Mike Horn, en couverture du magazine Survivre, en 2022.

Je me dis qu’il doit souvent se retrouver ces trois catégories dans un hammam ou dans un sauna. Celui qui multiplie les expositions brèves de trois à cinq minutes (les sprints) dans le très chaud. Celui qui prend son temps, l’endormi ou l’aguicheur, c’est selon. Et, celui qui veut faire le maximum et, si possible, qui tient à rester plus longtemps que les autres.

 

Peut-être que j’en rajoute.

 

Peut-ĂŞtre que notre lutteur du hammam avait peu de temps devant lui. Mais cela m’a fait drĂ´le de l’entendre s’encourager, de boire un peu d’eau Ă  deux ou trois reprises. Comme s’il essayait de gagner une course contre l’augmentation de la tempĂ©rature. 

 

ll avait l’air de serrer les dents. Il lui fallait tenir la corde jusqu’au bout et garder la position ainsi que la tĂŞte haute. Etait-il satisfait de lui lorsque je l’ai entendu sortir en se ruant presque  hors de la pièce ?  Alors qu’il Ă©tait en train se faire « gommer Â» ?

 

« Gommeur Â», dans un hammam, c’est dur. Passer des heures, torse nu, dans la chaleur, Ă  passer sur les peaux des autres.

 

 

Ma quatrième douche froide est réussie. Je me sens bien sous l’eau froide. Je respire de manière apaisée.

 

Après Ă§a, en sortant, j’ai le plaisir de voir le thermos près du plateau qui contient quelques verres de thĂ©. Ils sont tous retournĂ©s sauf un. D’emblĂ©e, je sais ce qui se trouve dans le thermos. Je me sers aussitĂ´t un premier verre. C’est chaud. C’est bon. SucrĂ© comme il le faut.

A Montreuil, le 4 juin 2021. Photo©️Franck.Unimon

 

 

Je me dirige vers la salle de repos. Je cherche l’heure. 9h05. A peu près 1h30. Je crois que c’est plutôt une bonne séance pour une reprise.

 

Ce temps dans la salle de repos est selon moi aussi important que celui passé dans le hammam et sous la douche froide.

 

Je prends la décision résolue de m’en tenir à trois verres de thé. J’en boirai cinq.

 

Très vite, trente minutes passent. Puis, c’est le moment d’aller se rhabiller et de partir après avoir remercié le gérant et la dame, assise dans la cuisine derrière lui, près de la table. C’est elle qui a préparé le thé à la menthe. Près du comptoir, je vois aussi plein de canettes de sodas sucrés. Je dis que j’espère prendre moins de temps pour revenir la prochaine fois.

Gare St Lazare, Paris, 22 septembre 2020. Photo©️Franck.Unimon

Je sors léger en optant pour avoir une vraie journée de repos. Pour faire une vraie sieste cette après-midi avant de retourner ce soir au karaté. Un Maitre comme Jean-Pierre Vignau, 77 ans, qui prend la peine d’appeler tous ses élèves pour leur souhaiter la nouvelle année est un Maitre qu’il faut aller retrouver. Même si c’est à une heure de transports en commun de chez soi. Même si demain, matin, j’ai prévu de me rendre à Ste Anne à un séminaire animé par Claude Orsel sur les addictions au jeu avec la présence, entre autre, de Marc Valleur, l’ancien médecin chef de Marmottan.

 

J’attends une heure au minimum avant de manger.  En attendant, je me mets Ă  Ă©crire cet article, et, Ă©videmment, j’écris pendant plus d’une heure. Plus de quatre heures sont passĂ©es depuis ma sortie du hammam.

 

 

Je ne pourrai peut-être pas aller dans un hammam une fois par semaine comme cet homme que j’ai rencontré. Mais j’aimerais bien recommencer ici et ailleurs ce genre de séance. En allant aussi me faire masser dans des lieux de massage.

 

 

Bonne annĂ©e 2023, et meilleurs vĹ“ux !

 

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 13 janvier 2023.  

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