
Embolie pulmonaire : balle de vie ?
Hier soir, pour la première fois depuis un an et demi, après une concertation avec le pneumologue qui me suit dans le service de consultation d’un hôpital parisien, je n’ai pas pris de comprimé d’Eliquis :
Un traitement que je continuais de prendre de manière préventive contre la récidive d’une embolie pulmonaire.
Fin novembre 2023, j’ai fait une embolie pulmonaire.
« Vous avez fait un infarctus pulmonaire » avait tenu à me dire le jeune pneumologue (il est plus jeune que moi d’environ une dizaine d’années) qui me suit.

Une embolie caractéristique
Une embolie pulmonaire « caractéristique » avait-il insisté. Il avait affuté son vocabulaire. Pour à la fois me faire comprendre et bien me faire entrer dans la tête que cette embolie pulmonaire qui avait créé sa boite dans mon corps afin d’y développer son chiffre d’affaires jusqu’à ma mort était grave :
J’avais alors 55 ans, j’étais plutôt sportif et non -fumeur. Jusque- là, j’avais plutôt été une personne en bonne voire en très bonne santé sans facteurs de risque me prédisposant à faire une embolie pulmonaire aussi jeune. Je n’avais pas le profil des patients qu’il suivait après une embolie pulmonaire. Car les patients dont il s’occupait suite à une embolie pulmonaire avaient généralement entre 70 et 80 ans et disposaient d’une santé moins bonne ou plus précaire que la mienne.
Hier, comme il y a un an et demi, il n’a pas su me dire ce qui avait pu causer mon embolie pulmonaire «caractéristique». Selon lui- nous en avions parlé- le fait d’avoir attrapé le Covid deux mois avant mon embolie pulmonaire n’était pas une raison suffisante.
L’ examen sanguin poussé réalisé dernièrement confirme que je n’ai aucune modification génétique de mes facteurs de coagulation. Une modification génétique de mes facteurs de coagulation aurait pu expliquer mon embolie pulmonaire. Mais j’aurais été très étonné d’apprendre que j’étais porteur de cette modification génétique. J’ai plutôt toujours été en bonne santé. Et, dans ma famille, où l’on vit vieux ( ma mère a 77 ans, mon père 81 ans, et ils vivent tous les deux dans leur maison en Guadeloupe depuis des années), je ne connais personne qui ait une modification génétique des facteurs de coagulation.

Je ne vois pas qui, non plus, aurait fait une embolie pulmonaire dans ma famille même du côté de mes grands-parents ou alors ils avaient déja 80 ans ou davantage.
Et je n’ai pas fait de phlébite.
Les premiers symptômes de l’embolie début novembre 2023
Je me rappelle encore des premiers symptômes ressentis au début de mon embolie pulmonaire :

Un essoufflement en montant quelques marches dans le métro alors que je me rendais au pot de départ de Zara, une amie et ancienne collègue de nuit.
Un essoufflement anormal en effectuant des efforts de la vie quotidienne. Pour monter les marches des escaliers pour rentrer à mon domicile au quatrième étage sans ascenseur ; monter les marches en prenant le métro ; une douleur persistante, un peu comme un coup de poignard, à droite de mes côtes.
Il m’est arrivé de remonter l’équivalent de quarante à cinquante kilos de courses ou plus chez moi et je n’avais jamais ressenti ça.
Ni cette sensation d’avoir perdu- d’être privé- d’à peu près la moitié de mon amplitude et de mon aisance respiratoire habituelle.

Je pratique l’apnée depuis quelques années et je suis assez sportif depuis l’adolescence. Un sportif sait être un minimum attentif à son souffle ainsi qu’à « l’état » de certaines de ses capacités physiologiques.
Chez le médecin
Si je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, je n’avais pas été particulièrement angoissé malgré mon progressif affaiblissement physique. Les trois ou quatre médecins consultés en deux semaines avaient été encore moins angoissés que moi :
La première, consultée à la maison médicale hospitalière de ma ville deux à trois jours après le début des symptômes, avait suggéré que j’étais peut-être stressé ou angoissé.

Le deuxième médecin, consulté dans un centre médical Cosem à Paris, que j’avais rencontré deux fois à quelques jours d’intervalle m’avait déclaré- après avoir regardé la radio pulmonaire qu’il m’avait demandé de faire- que j’avais sûrement une bronchiolite:
« Il n’y a que ça en ce moment ! ».
Je n’avais pas d’antécédents de bronchiolite ou de crise d’asthme mais j’avais néanmoins commencé à prendre le bronchodilatateur qu’il m’avait prescrit. En étant quelque peu dubitatif.
Faire des recherches sur internet :
Faire des recherches sur internet n’avait servi à rien. A part pour trouver des réponses différentes et contradictoires et, bien-sûr, des métastases de réponses de plus en plus repoussantes.
Ce que j’écris ici est un témoignage. Je peux avoir oublié des détails ou certaines informations mais j’ai un dossier médical.
Et quelques personnes ( des proches voire des anciens collègues) pourront attester un minimum de ce que je raconte. Internet n’atteste de rien. Il est même courant, sur internet, que les auteurs d’un article à contenu médical préviennent que ce qu’ils écrivent ne dispense pas de prendre avis auprès d’un professionnel de la santé agréé et que leur article ne remplace pas l’avis d’un professionnel de la santé que l’on part consulter.
Une des réponses que j’avais dénichée sur internet me suggérait que j’avais peut-être un cancer. Les recherches sur internet peuvent peut-être aiguiller lorsque l’on sait précisément ce que l’on cherche. Voire, elles peuvent confirmer ce que l’on a déjà trouvé ou compris ou conclu. (Les examens médicaux faits depuis le diagnostic et le traitement de mon embolie pulmonaire n’ont retrouvé à ce jour aucun cancer dans mon organisme).

Epanchement pleural
Fin novembre 2023, deux bonnes semaines après le début de l’histoire de mon embolie pulmonaire, et après être déjà allé consulter des médecins à trois reprises, sur la suggestion de Florence-Jennifer, une de mes collègues de nuit d’alors, je m’étais fait ausculter par la médecin de garde pendant ma nuit de travail à l’IPPP. Quelques heures plus tôt, avant de revenir travailler de nuit avec elle et d’autres collègues, j’avais appelé Florence-Jennifer, cette collègue infirmière de l’IPPP, pour la prévenir de mon état de méforme. Un état de méforme qui durait depuis deux bonnes semaines donc et qui s’accentuait. Je ne venais plus au travail à vélo depuis plusieurs jours. Je marchais au ralenti dans le métro. J’étais fatigué. J’étais rapidement et constamment essoufflé.
A l’IPPP, La médecin de garde m’avait ausculté et avait entendu « un épanchement pleural » au stéthoscope. Puis, en souriant, elle avait ajouté :
« Je pense que, ce soir, on ne te demandera pas de travailler ».
«Un épanchement pleural », cela ne m’évoquait rien de particulier à part le fait que c’était un « épanchement pleural ». Mais c’était déjà quelque chose. C’était donc ça qui m’épuisait et me faisait mal comme ça ?!

Florence-Jennifer, ma collègue infirmière de nuit donc, avait demandé à notre collègue ADS (adjoint de sécurité) de m’emmener aux urgences de l’hôpital le plus proche. Des urgences qu’elle avait prévenues au préalable par téléphone de mon arrivée. Florence-Jennifer, toujours, m’avait dit de demander à notre médecin de garde de me faire un courrier à destination du médecin des urgences. Merci, Florence-Jennifer. Quand tu veux, tu peux.
Aux urgences
Le jeune collègue ADS m’avait déposé à environ une vingtaine de mètres de l’entrée des urgences. Puis, il était reparti :
Pour nous rendre en voiture jusqu’au parking réservé aux véhicules d’urgences, il lui aurait fallu faire des détours. Car cette nuit-là, la route était barrée. Et, lui, il avait sans doute eu une grosse journée de travail. Il devait être près de 23 heures. Il aurait dû terminer sa journée de travail à 19h ou 20 heures.
J’avais parcouru les quelques mètres à pied, seul dans la rue, jusqu’à l’accueil des urgences. Tout était tranquille. Pas de panique.
Puis, après m’être présenté à l’accueil, je m’étais assis sur une chaise et m’étais adossé à une colonne. Et je m’étais rapidement endormi dans la salle d’attente plutôt calme pour un samedi soir. Je dormais très très bien.

A peu près une demi-heure plus tard, j’avais été reçu dans un box. J’avais réexpliqué à la femme médecin des urgences :
« Un essoufflement anormal pour des efforts de la vie quotidienne, une douleur, là…. ».
Une médecin que je voyais impliquée, travailleuse.
On m’avait écouté. On m’avait pris mes constantes, fait un bilan sanguin, fait un ECG. J’étais resté allongé sur le brancard dans le box quelques heures. Puis, en fin de nuit, on m’avait orienté vers une autre partie des urgences où j’avais attendu un peu dans une autre salle d’attente. Puis, nouveau box, nouveau brancard.
Vers 7 ou 8 heures du matin, petit-déjeuner. Une soignante qui commençait sa journée m’avait appris que je restais afin que l’on puisse ponctionner mon épanchement pleural. Elle avait été étonnée d’être celle qui me l’apprenait.
Ensuite, direction un service d’hospitalisation dans ce même hôpital où j’avais été accompagné aux urgences.
Je n’étais pas emballé par une ponction pleurale. Je n’en n’avais jamais eue. Mais, pour moi, cela faisait plutôt mal.

A la recherche de l’épanchement pleural
Une jeune médecin, sans doute interne, était arrivée pour me faire une échographie pleurale. Pour savoir où ponctionner. Mais elle ne parvenait pas à bien voir l’épanchement pleural. Alors, elle m’avait envoyé passer un scanner ou une IRM.
Lorsque l’interne était venue m’annoncer le résultat de l’examen dans la chambre d’hôpital où j’étais retourné entre-temps, dans son regard, j’avais changé de catégorie.

Ce fut peut-être l’une des seules fois de ma vie où je devins une espèce de VIP. Et cela était dû au degré d’inquiétude que suscitait désormais mon état de santé.
Elle était restée calme en m’apprenant que je faisais « une embolie pulmonaire » et en m’informant des précautions d’usage. Mais c’était parce qu’elle se maitrisait. Mon sentiment de surprise contrastait avec, sûrement, le scénario catastrophe qui était en train de s’ériger dans sa tête. Je me souviens lui avoir dit, assis sur le rebord du lit face à elle :
«Une embolie pulmonaire ? Vraiment, je suis épaté ! ».
Je n’ai jamais envisagé qu’un jour, je puisse faire une embolie pulmonaire. Et je n’ai pas davantage entrevu que je pourrais y passer malgré mon épuisement physique de plus en plus affirmé.
Sauf que, jusque là, je ne trouvais pas la porte d’entrée ou de sortie du bon diagnostic. Et en entendant parler « d’embolie pulmonaire », j’avais compris que, cette fois, on tenait la véritable identité de mes ennuis de santé.

Transporté comme une bombe à neutrons
On m’avait transporté en lit roulant jusqu’à un autre service. Avec autant de précautions que possible. Et une certaine fébrilité. Comme si j’étais une bombe à neutrons pouvant exploser à n’importe quel moment.
On m’avait injecté un anticoagulant à dose curative en m’informant que j’aurais d’autres injections. Deux par jour. On m’avait posé une perfusion. Je devais rester allongé, en position demi-allongée. Désormais, j’urinerais dans un « pistolet » sans quitter mon lit.
Je resterais à l’hôpital.

Une hospitalisation courte et un état d’ahurissement
L’hospitalisation fut courte. Et cela me surprit beaucoup. Durant ces trois jours, j’eus de la visite de plusieurs de mes proches, particulièrement inquiets. Et de Florence-Jennifer, ma collègue infirmière de l’IPPP.
Ma fille, à peine dix ans, fut peut- être l’une des personnes les plus touchées surtout qu’elle était en train d’arriver dans le service avec sa mère, ma compagne, alors que du personnel exclusivement féminin était en train de me changer de service en déplaçant mon lit comme si j’étais la bombe à neutrons.
Mon état d’épuisement avancé explique peut-être cette espèce d’état de somnolence lors des visites que je reçus. Je me souviens des personnes. De leur visage. Du fait que l’on s’est parlé. De mon ahurissement devant ce qui m’était arrivé. Mais je dois aussi faire un certain effort pour bien me rappeler d’elles. Ma mémoire de ces trois jours me revient moins spontanément que pour d’autres circonstances.

Sortie d’hôpital
Je sortis après trois jours d’anticoagulants par injection à des doses curatives et une prescription d’anticoagulant oral, l’Eliquis, à prendre deux fois par jour. Je fus en arrêt de travail jusqu’à mon départ de l’IPPP car, deux ou trois mois avant de faire cette embolie pulmonaire, j’avais demandé et obtenu ma mutation pour partir travailler dans un nouvel établissement où j’exerce maintenant depuis un an et demi sans avoir connu de problème de santé. Bien-sûr, la médecine du travail de mon nouvel employeur avait été informée avant mon embauche.
La colère
Tu piges ?!, une de mes amies et ancienne collègue infirmière, m’a fait comprendre par la suite qu’à ma place, elle aurait été en colère. Et qu’elle serait par exemple retournée voir au centre Cosem, ce deuxième médecin qui m’avait vu à deux reprises en moins de cinq minutes, sans jamais m’ausculter, et qui m’avait diagnostiqué une bronchiolite.
Je ne peux pas donner tort à Tu Piges ?!. Et, je comprendrais que quelqu’un d’autre à ma place fasse ce genre de démarche. Mais j’avais d’autres priorités. D’abord, celle de bien me faire soigner et de faire le nécessaire pour cela. Donc, de m’économiser d’autant que, par ailleurs, ma vie continuait et elle ne se résumait pas à aller mieux et à repartir travailler.
Pratiquer la médecine
Et, puis, ce qui m’a beaucoup marqué dans cet itinéraire médical, c’est principalement l’absence de réflexion intellectuelle, d’ouverture d’esprit et de curiosité des médecins consultés malgré leur nombre d’années d’études supérieures.
Le nombre d’années d’études, véritablement, n’est pas un gage absolu.
Je n’ai jamais aspiré à devenir médecin. Mais j’ai été amené et je suis amené à en rencontrer un certain nombre soit comme patient soit comme professionnel de la santé.
Lorsque j’avais discuté plus tard avec le médecin du sport qu’il m’arrive de consulter ou avec celui qui était encore mon médecin traitant avant son départ à la retraite, tous deux s’étaient montrés plutôt ironiques envers leurs confrères médecins consultés qui n’avaient pas fait le bon diagnostic. Sauf que lorsque je leur avais parlé de cette mésaventure, le diagnostic avait déjà été trouvé. J’étais sorti de l’hôpital et j’étais « sous » Eliquis.
Je sais que des médecins auraient rapidement fait le bon diagnostic ou « suspecté » une embolie pulmonaire et donc orienté leurs recherches dans ce sens. Mais je sais aussi que les médecins peuvent aussi avoir des relations très conflictuelles entre eux et se dénigrer les uns, les autres, avec une violence ou une détestation dont le public n’a pas idée. En cela, les médecins sont très semblables aux femmes et aux hommes politiques ou à certains sportifs de haut niveau qui sont en compétition. Le thrash talk, les coups de pute, les délations mutilaloires ou les phrases gorgées de poison à la Game of Thrones sont des prescriptions que certains médecins savent parfaitement délivrer à destination de leurs confrères et consoeurs.
Et la médecine, en tant que telle, est une très vaste discipline. Je crois que c’est le médecin du sport- ou mon thérapeute- qui me l’a rappelé. Il y a tellement de maladies, de symptômes, de façons de décliner ou « d’exprimer » un même symptôme selon l’âge, le sexe, la culture et le contexte ou l’environnement du patient. Il peut exister tellement de variantes personnelles entre deux patients.
Certains diagnostics sont évidents aussi parce-que l’on se spécialise dans une discipline donnée et que l’on s’y « connait » un peu ou beaucoup dans cette discipline ou que l’on a entendu parler de tel cas. Ou parce-que que l’on peut demander conseil à une collègue ou un collègue plus expérimenté ou suffisamment expérimenté qui peut nous faire des suggestions.

Mais lorsque l’on est « seul » face à un patient, et, surtout, face à ses symptômes et, peut-être aussi face à son comportement et à son « profil », il peut nous arriver de passer à côté du bon diagnostic :
Parce-que l’on a rencontré peu de fois ce genre de situations. Parce-que cette situation ou ce profil de patient est dit « atypique». Parce-que l’on voit beaucoup de patients différents, et que l’on reçoit beaucoup d’informations à chaque fois. Et, aussi, parce-que, par moments ou souvent, on fait de l’abattage ou on est à côté de la plaque pour diverses raisons.
On travaille peut-être mécaniquement. Par habitude. Sans trop s’interroger. Ou en pensant à autre chose. Surtout si le patient ou la patiente est calme, coopérante voire se fait oublier. Ou se plaint trop ou souvent.

Des Médecins devant un tableau
Dans ma situation, ce qui me marque, d’abord, c’est que, plusieurs médecins sont passés devant le tableau. Le tableau, c’est moi. Et devant le tableau, tous ne peuvent pas avoir pour explication ou excuse le fait d’avoir été dans l’urgence ou d’avoir eu beaucoup de difficultés pour m’examiner car j’aurais été très agité, non-coopérant ou mutique.
A chaque consultation médicale, j’avais été calme, j’avais parlé, j’avais coopéré et j’avais décrit. Sans déverser des litres de voyelles et de consonnes comme je peux le faire dans cet article.
Ensuite, même lorsque la piste de l’épanchement pleural a été trouvée par une femme médecin qui se destine à travailler en psychiatrie, il n’y a pas eu d’interrogation derrière. On s’est contenté de regarder « épanchement pleural » sur le tableau et de suivre.
La femme médecin des urgences, aussi professionnelle, travailleuse et compétente soit-elle par exemple, ne s’est pas demandée suffisamment ce qui avait pu provoquer cet épanchement pleural. Si elle m’a écouté, et je crois vraiment qu’elle a pris le temps de m’écouter, mon « profil » cadrait si peu avec le profil des personnes qui font une embolie pulmonaire qu’elle n’y a pas pensé. Et l’interne de médecine derrière, le lendemain matin, a continué de suivre la même logique sans trop s’interroger non plus. Peut-être parce-qu’elle n’était « que » interne et que ce n’était pas à » une petite interne » de remettre en question les conclusions émises par la collègue médecin des urgences vraisemblablement plus expérimentée qu’elle ne l’était.
Il a néanmoins fallu que cette même interne se trouve devant son incapacité technique et/ou personnelle à localiser mon épanchement pleural et que l’hôpital où nous nous trouvions dispose d’un scanner ou d’une IRM pour que, enfin, on découvre que je faisais une embolie pulmonaire et que celle-ci était déjà magnifique ou «très caractérisée ».

L’impossibilité de l’action oblige à chercher
Sans scanner ou IRM et sans cette impossibilité pour cette interne de faire son travail, c’est à dire réaliser son geste technique, la ponction pleurale, je serais peut-être reparti ensuite chez moi ponctionné de mon épanchement pleural mais en ayant toujours mon embolie pulmonaire suspendue à mes crochets.
Je suis marqué par cette absence de pensée ou de réflexion personnelle qui peut sévir à hautes doses chez des gens mais aussi chez des soignants :
Dans toutes ces disciplines médicales ou autres ou des divisions de soignants ( de l’aide-soignant au médecin) se donnent et sauvent des gens, sauvent des vies et en soignent par millions depuis des générations.

Déserter le monde des non-êtres et des non-dits
C’est parce-que l’on attendait trop de nous d’être des non-êtres, d’être des agents aussi dociles et disponibles que des ustensiles, des êtres humains stériles, que j’ai bifurqué vers la psychiatrie trois ans après l’obtention de mon diplôme d’Etat d’infirmier. C’était il y a plus de trente ans.
Il y a des professionnels qui pensent dans les soins généraux, dans les services de médecine et autres. Malheureusement, durant mes études d’infirmier et lors de mes premières années de pratique dans les hôpitaux et les cliniques, j’ai peu eu accès à eux. J’ai plutôt fait l’expérience d’un univers clos.
Et, vu ma petite histoire vécue avec mon embolie pulmonaire, il va être difficile de me convaincre que les médecins que j’ai rencontrés ont une capacité de réflexion personnelle très poussée en dehors de cet univers clos.
De son côté, la psychiatrie n’est pas si belle. Elle a mauvaise presse. C’est à la fois là où partent travailler les personnels infirmiers fainéants et ratés, les charlatans, celles et ceux qui ne savent pas réaliser des gestes techniques et qui passent leur temps à discuter ou à boire du café.
Il est vrai que cela fait des années que je n’ai pas fait de prise de sang ou eu à poser une perfusion.
Mais la psychiatrie est aussi l’endroit où se trouvent des patients dangereux ou très bizarres qu’il faudrait débarrasser de leurs perversions; qu’il faudrait décapiter, fusiller, castrer ou incarcérer à vie. C’est aussi en psychiatrie que se trouvent des soignants sadiques et maltraitants qui privent des êtres humains de leurs libertés les plus simples et les plus fondamentales. Je relate ici ce que certains comprennent ou préfèrent croire à propos de la psychiatrie qui ne servirait à rien. A part être une sorte d’ambassade qui accorderait une immunité diplomatique à toutes sortes de déviants, patients comme professionnels, tandis que, bien sûr, tous les gens modèles, fréquentables, respectueux et irréprochables se trouveraient eux hors des murs et des services de consultation de psychiatrie.
Se faire domestiquer et museler
Et puis, la psychiatrie, dans son ensemble, comme la médecine et toutes ses spécialités, s’est aussi faite domestiquer par la semence de l’abattage, de la déforestation intellectuelle et de la maitrise technologique, comptable et administrative.
Pour ne pas parler de maitrise décorative ou maitrise bling-bling.
En psychiatrie, aujourd’hui, un bon infirmier, c’est d’abord un infirmier qui sait allumer l’ordinateur du service, y entrer ses codes d’accès personnels afin d’y trouver le dossier du patient et les informations confidentielles qu’il comporte et qui sait faire de la bonne saisie informatique pour y entrer des paramètres de surveillance. Pour bien montrer qu’il a bien pris les constantes, bien distribué les médicaments, qu’il était bien présent à l’entretien, qu’il a fait telle activité avec tel patient.
Il faut faire. Et il faut montrer que l’on fait ou que l’on a fait. Cela ressemble un peu à une comédie ou à du fayotage. Même si je sais que beaucoup d’infirmiers sont sincères et véritablement impliqués dans leur travail.
La grosse boule blanche
La psychiatrie, comme dans la série Le Prisonnier, s’est aussi faite rattraper par la grosse boule blanche. Et, il faut désormais se contorsionner et bien choisir les services de psychiatrie où l’on part travailler, ainsi que nos collègues, si l’on veut pouvoir préserver un peu de notre horizon mental, intellectuel et personnel sans que celui-ci soit constamment zappé par des injonctions institutionnelles diverses qui pratiquent la destruction de pensée et estiment faire leur travail.
Je me dis aujourd’hui que la destruction de la pensée a quelque chose à voir aussi avec la destruction totalitaire du passé un peu comme en Chine sous Mao ou dans n’importe quel pays où l’intégrisme s’est installé et où tout ce qui a existé au préalable est soit pourchassé soit idéalisé. Il n’y a pas de nuance. Il n’existe pas d’entre deux. Pas ou peu de mise en perspective en fonction du contexte. Soit c’était parfait avant, soit tout le passé est désuet.
Le pneumologue et la boule blanche
Le pneumologue qui me suit peut-être un peu telle la boule blanche dans la série Le Prisonnier n’aborde pas ce genre de sujet avec moi. Mais sans doute que, moi, en tant que patient et « professionnel » de la santé, je pense aussi à ça lorsque je le regarde, l’écoute. Et lorsque je croise d’autres « confrères » qu’ils soient médecins ou autres. Ils pensent symptôme, diagnostic et traitement. Je pense aussi à ce qu’il y a autour. Mais peut-être aussi que nos doutes passent par des routes différentes.

C’est « bien » de me dire que j’ai fait une (grave) embolie pulmonaire. Et d’ajouter, comme il l’a fait hier, que les médecins que j’ai consultés ne sont pas responsables du fait que j’ai développé une embolie pulmonaire. Mais c’est bien, aussi, de (lui) rappeler que durant deux semaines, nos confrères médecins consultés sont passés à côté du diagnostic. Et si je me permets devant lui qui est médecin, alors que je ne suis qu’infirmier, de dire « nos confrères médecins », c’est par volonté de rester diplomate. Mais aussi parce-que mon expérience dans le milieu de la santé me fait relativiser cette aura de toute puissance et d’omniscience à laquelle un certain nombre de médecins, femmes comme hommes, est abonnée. Ce qui leur permet aussi de passer rapidement sur certains de leurs ratés professionnels ou personnels.
Je l’ai dit encore récemment à Hagi Ware, une de mes collègues médecins que j’aime bien et celle-ci en a plutôt convenu :
Un certain nombre de personnes deviennent médecins ou « font médecine » plutôt pour accéder à un certain prestige. Leurs motivations humanistes sont secondaires ou dérisoires. Ils peuvent être (très) compétents en tant que médecins et, par ailleurs, être humainement délétères. Peut-être que les médecins que j’ai consultés étaient-ils tous plutôt humanistes. Hormis peut-être celui qui m’a vu moins de cinq minutes à chaque fois sans jamais m’ausculter.
J’ai du mal à savoir si le pneumologue que je vois est humaniste. Il s’y essaie en tout cas.
J’aurais dû le revoir un mois plus tôt. Au début du mois de juin.
Mais la secrétaire m’avait contacté pour décaler notre rendez-vous à hier. Dans son message par téléphone et par mail, la secrétaire m’informait de la nouvelle date de rendez-vous et du nouvel horaire. A moi de m’y faire ou de rappeler pour demander une autre date et un autre horaire. J’ai eu de la chance.

Mon planning, qui n’est pas fixe, et que je découvre entre le milieu et la fin de chaque mois pour le mois suivant, s’accordait bien avec cette nouvelle date de rendez-vous avec le pneumologue.
Pourtant, hier, j’ai failli rater mon rendez-vous avec le pneumologue. Car je m’étais d’abord trompé d’horaire. J’ai failli arriver avec une heure et demie de retard. Si je l’avais raté, j’aurais peut-être dû prendre un autre rendez-vous. Et continuer de prendre de l’Eliquis.
Humaniste ou alambiqué ?
Depuis le début, je trouve que le pneumologue fait des phrases alambiquées pour me dire les choses. Je le crois compétent et désireux de bien faire comme de bien formuler les choses. Mais c’est alambiqué :
« Je ne peux pas vous dire si vous faites partie des 20% qui peuvent refaire une embolie pulmonaire ou des 80% qui n’en referont pas ». « Aujourd’hui, tous les résultats de vos examens m’indiquent que nous pourrions arrêter l’Eliquis. Les résultats de votre dernière épreuve d’effort sont même meilleurs que ceux de l’année dernière et sont très bons. Il n’y a plus, aujourd’hui, de séquelles de votre embolie pulmonaire. Mais c’est une discussion que nous avons à deux. Si vous me dites que vous préférez continuer l’Eliquis pour éviter de refaire une embolie pulmonaire, je le comprendrais. Si vous continuez, je n’aurais pas de raison ensuite pour arrêter de vous en prescrire. Donc, vous aurez de l’Eliquis pour un moment…(note de la rédaction moment = à vie) ».
Ce que je vis avec ce pneumologue me semble très typique :
Pendant des semaines, j’ai consulté des médecins qui ne se sont pas beaucoup inquiétés de mon état de santé. Et, désormais, parce-que, dans mon fichier médical, il est spécifié que, un jour, j’ai fait une embolie pulmonaire tout ou beaucoup de ma santé médicale mais aussi de mon avenir personnel semblent désormais être conditionné par cet événement. Il faudrait presque que je pense en permanence à cette embolie pulmonaire. Voire peut-être que j’expie jusqu’à ma mort pour ma faute qui consiste à avoir fait une embolie pulmonaire.
D’un côté, lorsque je l’ai faite et qu’elle a été diagnostiquée, le discours médical a consisté à chercher à me convaincre que ce qui m’arrivait était bien connu et donc que l’on savait comment s’y prendre avec. Maintenant que mon embolie pulmonaire a disparu et que j’ai bien ou très bien récupéré, ce qui a été attesté par divers instruments de mesure médicaux auxquels je me suis appliqué à me conformer, il faudrait presque que je m’inquiète davantage.
La médecine n’aime pas qu’on lui échappe ou que l’on puisse se passer d’elle. Mais c’est aussi vrai de la psychiatrie.

La science et l’ignorance des avions de chasse
Peut-être parce-que le pneumologue ignore la cause de mon embolie pulmonaire. Celle-ci reste un mystère. S’il avait rapidement éliminé comme cause possible, le fait que j’aie attrapé le Covid deux mois avant de la faire, à aucun moment, il n’a mentionné le fait que la vaccination anti-Covid pourrait ou pouvait, chez certaines personnes, provoquer, peut-être, dans certaines circonstances, une embolie pulmonaire. Hier, je n’ai même pas pensé à lui en parler. Il existe un tel interdit de la pensée à ce sujet. Aller dans cette direction, c’est comme être le diable qui tenterait un homme de foi scientifique. C’est comme être un homo qui essaierait de détourner un hétéro du droit chemin. Et ce n’est sûrement pas lui, médecin de formation et de profession, qui peut prendre l’initiative de ce genre de doute ou de réflexion personnelle. On frôlerait l’hérésie. La déchéance éthique.
Lors de la pandémie du Covid, il y a eu une différence très nette entre l’adhésion des médecins, quasiment unanime en faveur des vaccins anti-Covid, et la défiance des personnels infirmiers par exemple envers les vaccins anti-Covid. J’ai maintenant oublié les pourcentages et mes sources, mais autant on avait plus de 90 pour cent des médecins qui étaient favorables aux vaccins anti-Covid, autant, du côté des infirmiers, on était, je crois, plutôt dans les 50 pour cent d’adhésion à la légitimité de ces vaccins anti-Covid.
Pour certains collègues médecins avec lesquels il m’est arrivé d’en parler un peu « après » la pandémie du Covid, seuls l’obscurantisme, l’ignorance et l’imbécilité peuvent expliquer la défiance qui a pu exister à l’encontre des vaccins anti-Covid.
Lors de la pandémie du Covid, j’avais croisé deux médecins, qui ne se sont pas faits vacciner contre le Covid. Ils exercent en libéral et j’avais commencé à les consulter avant l’obligation vaccinale.
J’en avais un peu discuté avec eux. Une femme, un homme.
L’ une et l’autre m’avait donné leurs arguments. Ce sont des médecins qui exercent toujours dans des quartiers de Paris plutôt bien référencés et qui, lorsque je les avais consultés, m’ont toujours donné le sentiment de s’y connaître en médecine. J’évite évidemment de donner plus d’indices pour préserver autant que possible leur anonymat. Ils passeront et sont sûrement passés pour de dangereux irresponsables et pour des professionnels indignes de la profession médicale.
Car il y a, je trouve, chez un bon nombre de nos collègues médecins vis-à-vis de la question des vaccins anti-Covid, un mélange de conviction sincère et inébranlable dans les bienfaits de la science, et, ici, des bienfaits des vaccins anti-Covid. Mais il y a aussi, chez un certain nombre d’entre eux, ce sentiment féroce, voire impitoyable, d’appartenir à une élite qui pense toujours ou souvent beaucoup mieux, beaucoup plus vite et beaucoup plus haut que la masse de péquenauds ou de dégénérés qui se cramponne frénétiquement ou désespérément, pour ne pas dire avidement, et toujours de manière réflexe, à des superstitions et à des conneries aussi manifestes que supersoniques.
Il peut y avoir chez les médecins la même certitude que pouvait avoir le colon, religieux ou non, lorsqu’il apportait la civilisation aux peuples et aux populations regardées comme attardées et reculées et qui résistaient. Et qui s’accrochaient à leurs gris-gris malgré leur faible bénéfice thérapeutique.
Les médecins sont à la pensée et au Savoir ce que les avions de chasse et les fusées sont à l’aviation et aux programmes spatiaux. Ce sont des explorateurs de l’univers et des couches supérieures de l’intelligence hors des frontières de la terre et du cadastre commun. Et tous les autres, les presque cadavres , sont tolérés selon nos humeurs tant qu’ils restent sympas, nous font le café, nous obéissent et nous admirent.
Tout scientifique qu’est le pneumologue qui me suit, à ce jour, il n’a aucune explication rationnelle pour « justifier » mon embolie pulmonaire. Et cela fait maintenant un an et demi qu’il me suit et m’étudie. Il a donc eu toute latitude, au gré de divers examens et de plusieurs observations pour trouver la cause de cette embolie pulmonaire.

Sortir de certains standards de pensée
Je ne crois pas qu’à sa place une ou un autre pneumologue puisse faire « mieux » ou plus que lui en termes de recherche scientifique ou d’examens. Sauf si cette professionnelle ou ce professionnel est capable de penser par elle-même ou par lui-même et se permet de sortir de certains standards de la pensée comme on peut se sortir de certains guêpiers.
A mon avis, d’autres hommes aussi jeunes que moi, et en aussi bonne santé que moi, ont fait ou feront des embolies pulmonaires dans des conditions similaires à la mienne. Ils n’auront pas le profil type. On n’aura ou on a eu aucune explication rationnelle concernant la survenue de leur embolie pulmonaire.
A aucun moment, le pneumologue n’a suggéré ou envisagé que, peut-être, dans certaines circonstances, on pouvait penser ou qu’il avait été écrit dans « la littérature scientifique » (médicale) que certaines personnes qui avaient été vaccinées contre le Covid avaient pu faire une embolie pulmonaire. Ou que certains lots de vaccins anti-Covid avaient pu avoir cet effet-là pour des raisons que l’on ne savait pas trop expliquer dès lors qu’une personne attrapait le Covid. Mais que, à choisir entre une assez forte probabilité que des vaccins anti-Covid favorisent la survenue d’embolies pulmonaires et le fait de décéder du Covid, qu’il avait été « décidé» (par qui ?) de « prendre le risque ».
J’ai reçu trois injections de Moderna contre le Covid. J’ai attrapé le Covid en été 2023, alors qu’il faisait particulièrement chaud. Plusieurs mois après mes injections de vaccin Moderna contre le Covid qui m’avaient permis d’éviter ma suspension professionnelle. Ce sont les seuls événements notables et objectifs dont je me souvienne qui auraient pu perturber la routine de ma santé avant de faire cette embolie pulmonaire. Avant d’attraper le covid en été 2023 et de faire cette embolie pulmonaire deux à trois mois plus tard, j’avais traversé la pandémie du Covid sans affection médicale particulière.
Cependant, le mois dernier, en se fiant à certains éléments de ma vie d’avant mon embolie pulmonaire mais aussi à mon exposition à la psychose, à la souffrance et à la violence, de par mon travail d’infirmier en psychiatrie, un psychologue m’a suggéré que j’avais peut-être somatisé mon embolie pulmonaire.
Il n’y a, ici, aucune démonstration scientifique et rien qui puisse se mesurer objectivement au travers d’une prise de sang, une IRM, un ECG ou un autre type d’exploration fonctionnelle. C’est donc évidemment une piste vers laquelle le pneumologue ne s’est à aucun moment dirigé. Et qu’il n’a jamais formulé. Puisque la psychologie n’est pas son domaine. Et qu’il y accorde sans doute peu d’importance en tant que facteur qui pourrait influer sur la santé physique d’une personne. Sait-il en quoi consiste la somatisation ? Y croit-il ? En est-il convaincu ?
Il y a des médecins qui sont très sceptiques quant aux bénéfices thérapeutiques de l’hypnose. Ce ne sont pas ces médecins qui vont prêter une attention particulière à ces histoires de somatisation. Vous rigolez.
Pourtant, la somatisation est plutôt courante.
Il nous arrive de supporter certaines charges personnelles, émotionnelles, psychologiques, sans nous plaindre, jusqu’à ce jour où l’on se rompt. Aujourd’hui, on parle assez souvent du burn-out voire de la dépression qui peuvent survenir après que l’on se soit « brûlé intérieurement » et émotionnellement. Mais le burn-out et la dépression sont la conséquence de cette « brûlure intérieure et émotionnelle » lente et profonde.
Et, excepté le fait, peut-être, que l’on voit (lorsqu’on peut le voir) chez la personne des signes de fatigue, d’irritabilité, de perte de poids, l’apparition de comportements, de propos ou d’idées plutôt inquiétantes ou inhabituelles qui ne lui ressemblent pas trop, il n’existe pas de dosage sanguin, de signe sur un ECG ou à l’IRM qui permettent de dépister un burn-out ou une dépression en cours de constitution.
Il existe d’autres équivalents physiques de la dépression ou du burn-out.
Il y a quelques années, je me suis rompu un tendon d’Achille en pratiquant de la boxe française que j’avais débutée depuis quelques semaines. Il y a l’explication mécanique de la rupture du tendon d’Achille : il est des sports qui prédisposent ( souvent les hommes) à une rupture du tendon d’Achille à partir d’un certain âge lorsqu’ils s’approchent de la quarantaine. Tennis, boxe, football, basket, sports de combat, athlétisme…. tous les sports qui nécessitent beaucoup d’appuis toniques au sol avec des impacts et des changements brutaux de déplacement.
J’avais l’âge et j’avais pratiqué un de ces sports. Classique.
Mais cela m’était aussi arrivé à une époque de ma vie où, célibataire, je me trouvais à un moment de rupture personnelle entre mon passé, et mon présent, et où je voulais être partout.
Il y a encore quelques années, après l’accouchement difficile de ma compagne et la naissance prématurée et difficile de notre fille, j’ai fait une infection urinaire et j’ai aussi traîné une hypotension pendant plusieurs mois. Je n’avais jamais fait d’infection urinaire auparavant, une affection plutôt réservée à la gente féminine. Et c’est la première hypotension aussi persistante dont je me rappelle.
J’avais aussi perdu du poids.
Le médecin que j’avais consulté et qui m’avait diagnostiqué mon infection urinaire ne m’a jamais dit que j’avais probablement somatisé. A mon avis, il l’ignorait ou ne s’était même pas posé la question. Il avait fait une règle de quatre:
symptôme, diagnostic, traitement, addition.
J’ai compris tout seul, rétrospectivement, que j’avais probablement somatisé après la naissance de notre fille. Je n’ai pas besoin que cela me soit « objectivé » et confirmé par des examens médicaux. Et cela n’a rien à voir avec de la superstition. Certains événements affectent ou ébranlent notre psyché plus que d’autres. Même si voire surtout peut-être si nous avons souhaité ces événements. Et cela peut ensuite se répercuter sur notre corps.
Parce-que ces événements sont une rupture décisive avec notre vie d’avant. Parce-qu’ils nous inquiètent particulièrement. Parce-que l’inquiétude et l’anxiété, ça peut nous galvaniser pour nous mettre en état d’alerte afin que beaucoup de nos forces mentales et physiques soient rapidement disponibles pour affronter l’épreuve ou l’événement. Mais cela peut aussi nous user ou nous défigurer.
Lorsqu’une personne connue pour être solide ou inébranlable, un beau jour, se suicide, c’est souvent un choc pour son « entourage ». Mais que croit-on ?! Qu’on peut toujours tout encaisser sans jamais, à un moment ou à un autre, s’abîmer ? Que celle ou celui qui ne se plaint et qui ne pleure jamais ne déguste jamais ?!
Parce-que seuls les coups physiques et les maladies peuvent nous faire flancher ?!
La somatisation, pour mon embolie pulmonaire, me paraît être une bonne piste. Et, je me suis aussi déjà demandé ce que devenait toute cette souffrance et toute cette violence que je recevais en tant qu’infirmier psychiatrique sans avoir trouvé de réponse complète.
Cette embolie pulmonaire est peut-être un signe de fragilité et de vieillesse intérieure. Si extérieurement, je fais plus jeune que mon âge, peut-être que mon organisme, ou mon moral, surtout, lui, s’est détérioré ou brûlé plus vite.
Sortir de l’angoisse
Hier, j’ai répondu au pneumologue que je préférais arrêter l’Eliquis car je refusais de vivre dans l’angoisse. Le pneumologue m’a répondu qu’il comprenait ma décision. Je ne suis pas sûr qu’il ait compris que je refusais aussi de continuer de vivre (dans) son angoisse.
Je n’ai pas eu besoin, moi, de lui faire passer un scanner, d’épreuves d’efforts, d’examens sanguins, de lui faire prendre un traitement, pour le trouver, assez rapidement, quelque peu anxieux voire angoissé même si, devant moi, il a toujours tenu un discours très cohérent et a toujours suivi une logique protocolaire. Mathématique.
Celle de la prudence, officiellement.
Et moi, de mon côté, je ne suis ni un irresponsable ni un optimiste béat. Puisque, j’ai ajouté que, bien-sûr, j’étais d’accord pour continuer de venir le consulter mais aussi pour effectuer les examens nécessaires.
Depuis hier soir, je suis donc redevenu libre de l’Eliquis.
Ou en sursis. Je reverrai le pneumologue dans six mois puis, si tout va bien, une fois par an.
Prendre de l’Eliquis deux fois par jour pendant un an et demi n’a pas été très contraignant. Deux petits comprimés par jour. C’est rien du tout comparativement à des médicaments qui ont certains effets secondaires désagréables.
Mais je pense aussi aux personnes diabétiques insulino-dépendantes. Récemment, dans un service de pédopsychiatrie où j’ai fait une nuit en heures sup, j’ai croisé une jeune fille de 14 ans, diabétique, obligée de contrôler sa glycémie plusieurs fois par jour, de se faire au minimum quatre injections d’insuline par jour, deux injections d’insuline rapide, deux injections d’insuline lente. A quatre heures du matin, elle a fait une une hypoglycémie qui l’a réveillée alors que deux heures plus tôt, sa glycémie était un peu au dessus de la normale. Près d’une demie-heure a été nécessaire pour qu’elle retrouve une glycémie « normale » en reprenant du sucre à deux reprises ( c’était la prescription médicale).
Ces ennuis médicaux se rajoutaient à une situation sociale et personnelle délicate.
J’ai eu de la peine pour cette jeune fille.
Blade Runner
Le pneumologue n’a pas menti. Dans la salle d’attente, hier, avant qu’il ne me reçoive en consultation, j’ai regardé les patients présents. Deux couples en particulier âgés de 70 à 80 ans en moyenne.
J’ai vu une femme anxieuse s’adressant pratiquement toutes les 60 secondes à son mari. Pour avoir la bouteille d’eau. Pour lui demander combien il avait acheté les cadres de tableau au magasin Action. Pour connaître le trajet pour se rendre à tel endroit. Au départ, l’homme expédiait ses réponses et les répétait plusieurs fois tout en regardant son téléphone portable. Elle aussi avait son téléphone portable à la main mais elle n’en faisait rien. C’était à lui qu’elle parlait.
Par la suite, l’homme s’est vraiment mis à lui parler. Il a même fait un peu d’humour. Ils ont rigolé ensemble tous les deux.
L’ autre couple était plus discret. Le monsieur se déplaçait avec un appareil roulant qui lui fournissait manifestement de l’oxygène. La jeune femme médecin s’est avancée vers eux en souriant en leur disant « A nous ! ». La femme médecin leur a demandé si ça allait. Le couple lui a répondu par l’affirmative. L’ homme s’est levé. Tandis que sa femme commençait à soulever son sac, lui s’est aperçu qu’une partie du tuyau de sa sonde s’était quelque peu entortillée autour d’une des deux roues de l’appareil. La jeune femme médecin et son sourire étaient déja hors de vue.
J’ai un moment envisagé de me lever pour aller aider le monsieur mais il est finalement parvenu plutôt facilement à résoudre son problème. Puis, le couple assez âgé est parti à la suite de la jeune femme médecin.
Je suis plus jeune et a priori en meilleure condition physique que ces personnes. Et mon premier réflexe serait de penser que je suis de passage et que je n’ai rien à voir avec ces personnages âgées. De refuser de vieillir.
De refuser de me voir vieillir.
Cependant, un jour, je serai comme eux. Et comme d’autres. Car être jeune, se sentir jeune, c’est peut-être d’abord se sentir différent des autres même si l’on est souvent comme beaucoup d’autres.
J’ai un peu essayé d’imaginer comment ces couples étaient lorsqu’ils étaient plus jeunes sans pouvoir vraiment le deviner.
Je ne suis pas parvenu à m’imaginer plus vieux, plus affaibli. Mais hier, avant de rentrer chez moi, j’ai tenu à partir acheter le polar Balanegra de Marto Pariente et je me suis mis à la recherche de 1275 âmes de Jim Thompson. Pour cela, je suis allé à la librairie Delamain, près de la Comédie Française. J’aime bien y aller de temps en temps ou passer par là lorsque je sors du cinéma UGC des Halles.
L’idée d’aller voir Burning Spear en concert au Kilowatt m’était passée.
Hier soir, j’ai commencé à lire Balanegra. Et ce matin en me levant, j’ai commencé à écrire cet article. Un article qui sera peut-être lu à 20 % ou par 20 % de personnes. Je n’ai pas encore 1275 âmes de Jim Thompson parce qu’il est en rupture de stock. La libraire m’a répondu hier qu’il me fallait le chercher en seconde main. Je vais le trouver.
Franck Unimon, samedi 5 juillet 2025.