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Tu ne penses qu’à toi !

 

                                            Tu ne penses qu’à toi !

Depuis deux ou trois jours, les températures ont baissé. Nous avons perdu une dizaine de degrés.  

Il pleut.

Celles et ceux qui portent des lunettes de vue- en plus de leur masque de prévention anti-covid – ont désormais le regard partagé entre des crottes d’eau sur leurs carreaux. Et la buée.

 

Mais le moral est bon. Il est un peu plus de midi. Je viens de déjeuner. Je suis debout depuis 6h30 et c’est seulement maintenant que je vais pouvoir faire un peu ce par quoi j’aurais préféré commencer cette journée : Ecrire un article.

 

J’avais prévu d’écrire sur le film Rouge de Farid Bentoumi qui sortira le 25 novembre. Avec Sami Bouajila, Zita Hanrot, Céline Sallette et Olivier Gourmet pour parler des acteurs les plus côtés et connus du film. J’aimerais bien parler de mon expérience d’il y a plusieurs jours, maintenant, de Google Trad. Mais c’est impossible.

 

Hier après-midi, un dimanche, j’ai travaillé dans mon service. J’ai effectué un remplacement, payé en heures supplémentaires. J’étais volontaire. L’après-midi s’est bien passée. Nous avons même écouté des contes audios. J’avais prévu d’en proposer un seul. Nous sommes d’abord allés sur l’île de Gorée avec Djeneba la bossue. Puis en Bretagne avec Jean Carré.

 

Une jeune a voulu que je mette un troisième conte audio. Je suis resté avec elle, ce faisant, lors du conte De l’or et des dattes  qui nous a emmené en Tunisie. Tout en feuilletant le début d’un livre de Patricia Higgins Clark du service. Ainsi qu’un dictionnaire de rimes. J’ai beaucoup aimé le début du livre de Patricia Higgins Clark. Sa technique. Je savais qu’elle était une référence. Mais je n’avais rien approché de son écriture.

 

 

Un peu plus tard, j’ai regardé quelques passages de l’émission Super nanny avec cette même jeune. Je ne suis pas sûr que ce soit elle qui l’ait choisie. Les jeunes du service sont souvent des adeptes du zapping avec la télé. Et, quand je peux, j’aime regarder avec les jeunes le programme qu’ils ont choisi. Quand je suis capable de le supporter.

 

Super nanny rappelait certains principes lors de trois journées d’action dans une famille :

 

L’importance de donner des limites à nos enfants. En plus d’une certaine affection bien-sûr.

L’utilité de savoir faire diversion en cas de conflit avec son enfant.

La nécessité pour le couple de savoir se retrouver dans une certaine intimité sans les enfants.

L’importance, aussi, d’avoir du plaisir à être tous ensemble.

Le couple concerné avait deux filles. Une de 7 ans environ, et une, de trois ou quatre ans, qui, habituée à recevoir un traitement de « petite princesse », avait tendance à être tyrannique. Le père avait 34 ans. La mère, 28.

 

Je ne connais pas la formation ni l’expérience professionnelle de celle qui incarne Super nanny. Ni les critères de sélection des familles qu’elle part « aider ». Mais il y a un côté magique dans ses interventions. J’ose espérer qu’après son passage, cela continue de bien se dérouler dans les familles où elle est entrée.

 

 

Pendant le dîner, dans le service, nous avons participé à un autre type d’émission. Une émission assez fréquente :

Deux ou trois jeunes ont commencé à déblatérer sur le service ceci et le service cela. Une, sans doute, avait donné le tempo puis les deux autres ont suivi. C’est souvent comme ça que ça marche.

Le synopsis était le suivant : leur hospitalisation les empêchait d’avancer. C’était à cause du service (et de nous, les soignants) qu’elles allaient mal. Et qu’elles s’ennuyaient. Par conséquent, c’était de notre faute si elles fumaient plus de cigarettes. J’ai rappelé que c’était vrai : le service n’est pas le club Med. Mais que leur hospitalisation allait durer un temps puis s’arrêterait. Je suis aussi allé dans l’ironie :

J’ai suggéré que cela irait peut-être beaucoup mieux pour elles si nous les attachions nuit et jour ; si nous les surveillions constamment ; et si nous limitions leur nombre de cigarettes. Elles ont bien-sûr protesté.  J’étais dans mon rôle. Elles, aussi. Leur dîner terminé, elles sont toutes les trois parties fumer dans la cour en se blottissant l’une contre l’autre, assises par terre, près de la porte. Là où elles pouvaient se protéger de la pluie qui tintait sur le sol.

 

Quelques minutes plus tard, une des trois jeunes est venue nous voir, assez catastrophée. Elle se sentait angoissée.  Mon collègue l’a vue en entretien. Pendant ce temps-là, j’avais un œil sur les autres jeunes. Tout en débarrassant et  en lavant la table puisque nous n’avions pas d’agent de service hospitalier ce dimanche après-midi. Du fait, sans doute, de plusieurs arrêts maladie.

 

Ensuite, une autre jeune est partie aux toilettes. Je l’ai entendue vomir. Revenue de sa permission deux heures plus tôt, elle avait été toute fière de clamer qu’elle s’était enfilée une certaine quantité de sushis. A sa sortie des toilettes, je lui ai demandé :

« ça va ? ». Elle m’a répondu :

 

« Je viens de vomir mais à part ça, tout va bien ! ». Ce que j’ai traduit par :

« Tu poses des questions de merde et tu ne sers à rien ! Comme d’habitude…. ».

Au lieu de mal le prendre, je lui ai demandé :

« Qu’est-ce qui a pu te faire vomir ? ».

Elle : «  Je n’en sais rien ! ».

Moi : « Cela a peut-être un rapport avec les sushis ?…. ». Elle ne voyait pas le rapport et elle a filé dans la cour.

 

Dix minutes plus tard, la jeune angoissée qui allait mieux depuis son entretien avec mon collègue vient nous alerter, catastrophée :

La troisième est en train de faire « une crise d’épilepsie » par terre, dans la cour. Mon collègue et moi nous rendons sur les lieux. Recroquevillée, presque en chien de fusil, la troisième jeune a en effet des secousses des membres inférieurs. Il fait alors pratiquement nuit. Ses yeux sont fermés. Elle respire mais ne répond pas lorsque je lui parle et lui prends la main.

 

Les deux autres jeunes qui étaient encore avec elle quelques secondes plus tôt sont parties se réfugier à l’intérieur du service. Par terre, j’aperçois un paquet de tabac à rouler, des filtres et un briquet. J’apprendrai plus tard que ce matériel appartient à la jeune « aux sushis ».

Je dis à mon collègue de rentrer, afin d’être avec les autres jeunes, et d’appeler le médecin de garde qui se trouve être le chef de service.

 

Le chef de service arrive très vite. Je suis toujours accroupi près de la jeune à qui je tiens la main et à qui je m’adresse. Je ne suis pas inquiet même si elle ne me répond pas et que ses yeux restent fermés. De temps en temps, elle est prise de secousses des membres inférieurs. Depuis le début de la « crise », elle s’est mise d’elle-même en position latérale de sécurité. Même si c’est la première fois, pour ma part, que je la vois dans cet état, je me dis que cela va passer. Même si je ne sais pas combien de temps ça va durer. Je lui suggère plusieurs fois de s’asseoir. Je lui parle de la pluie qui va peut-être tomber. Et que cela ne sera pas très agréable pour elle de se faire mouiller par la pluie, par terre, comme ça. Pas de réponse. Je me tais aussi tout en continuant de lui donner la main. Je crois aussi que les trois jeunes, lorsqu’elles étaient ensemble à discuter dans la cour, se sont montées le « bourrichon ». Car je ne crois pas à une coïncidence : en l’espace de trente à quarante cinq minutes, toutes les trois, chacune son tour, s’est sentie mal.

 

Après quinze à vingt minutes, la jeune ouvre les yeux. A ce moment-là, resté silencieux jusqu’alors, le médecin-chef lui parle et l’encourage à se relever. Ce qu’elle fait calmement, sans dire un mot. Je me place un peu derrière elle afin de prévenir une chute éventuelle. La jeune retourne dans le service tranquillement et part s’asseoir près d’une table où elle commence aussitôt à écrire, je crois. Car elle tient un journal. Les deux autres jeunes se tiennent à distance comme si elles avaient vu un fantôme en la personne de leur « copine ». Celle-ci ne semble pas leur tenir rigueur pour leur attitude.

 

Mon collègue m’apprendra quelques minutes plus tard que, tous les jours, cette jeune fait ce genre de crise. Après avoir fait un résumé de l’après-midi à nos collègues de nuit, mon collègue et moi sommes rentrés à notre domicile.

 

Ce matin :

 

Ce matin, j’étais content de la façon dont les préparatifs de ma fille se sont passés pour aller à l’école. Pas de colère de part et d’autre. Nous étions en avance. Nous marchions main dans la main et je ne crois pas que nous nous parlions. Nous étions presque arrivés à l’école quand elle m’a dit :

 

« Tu ne penses qu’à toi ! ».

 

Je lui ai demandé pourquoi elle me disait ça.

Elle : «  Arrête ! Si tu pouvais te taire maintenant…. ». Et, elle de m’expliquer qu’elle ne supportait pas le bruit. Je me suis demandé si elle m’en voulait d’avoir été absent hier après-midi. Ou si elle me répétait des propos tels que « wesh » et d’autres termes que les mômes se transmettent. Pas de réponse. Je lui ai quand même rappelé que dire à son père de se « taire », ne passait pas. Elle s’est alors tue et s’est mise à marcher un ou deux mètres devant moi, pleine d’une certaine autorité. Cela fait des années que je lui connais certaines facilités avec l’autorité. C’est seulement que j’ignore ce qui, ce matin,  a déclenché cette soudaine manifestation d’autorité.

 

 

Devant les grilles encore fermées de l’école, ma fille s’est postée quelques minutes. Puis, elle est venue se mettre contre moi sans rien dire. J’ai refermé mon bras sur elle. Lorsque les portes de l’école se sont ouvertes, nos relations étaient de nouveau détendues.

 

Formulaire :

 

 

 Il y a plus d’un mois maintenant, fin août, le téléphone portable de ma compagne a capitulé. Nous avons décidé d’en acheter un nouveau. Je l’ai commandé sur le site de Darty. A un de ses « vendeurs partenaires ».  J’ai payé par carte. Le téléphone devait arriver au bout de quelques jours.

 

Après l’achat, j’ai appris que le téléphone venait de Hong-Kong. Et qu’il y allait y avoir du retard à la livraison. Au vu du contexte politique à Hong-Kong, j’ai compris qu’il fallait patienter.

Le 5 septembre, le « vendeur partenaire » m’a appris que le téléphone allait arriver dans un délai compris entre 7 et 10 jours.

Le 22 septembre, nous n’avions toujours pas reçu le téléphone. J’ai donc recontacté le vendeur qui m’a appris que nous avions reçu le téléphone….le 3 septembre. C’était ce que leur indiquait leur site. Et qu’il me fallait donc voir avec mon bureau de poste local.

 

Je suis allé à la poste près de chez moi la semaine dernière. Je m’étais trompé de référence et on m’a répondu qu’une réclamation sur place était impossible. Qu’il fallait passer par le 36 31. Ce que j’ai fait en rentrant. Là, après plusieurs minutes d’attente, j’ai fini par avoir quelqu’un qui m’a appris que c’était un colissimo qui m’avait été envoyé et non un chronopost. J’ai préféré remettre mes démarches à plus tard.

 

Ce matin, je suis retourné à la poste près de chez moi. On m’a répondu que, pour eux, aussi, le colissimo m’avait été remis le 3 septembre. C’est ce qui était indiqué sur le terminal de l’agent qui m’a reçu. Cet agent m’a néanmoins remis un formulaire de réclamation. Elle m’a bien proposé de joindre le 36 31 mais j’ai refusé !

 

J’ai rempli le formulaire sur place. Derrière moi, un homme d’une bonne soixantaine d’années expliquait avoir été envoyé à la Poste pour faire une réclamation pour un chronopost qu’il n’avait pas reçu. Le jeune agent qui l’a reçu lui a expliqué que la Poste ne gérait pas les envois de Chronopost. La Poste se contentait de vendre les produits Chronopost. Le client lui a demandé :

« Mais, alors, pourquoi m’a-t’on dit de venir à la Poste ?! ».

L’agent : «  Je n’en sais rien ! ».

 

Pour les démarches que j’ai à effectuer pour la réclamation, il me faut une connexion internet correcte ainsi que, sans doute, l’imprimante qui va avec. Même si, pour l’instant, j’ai la contrariété de l’argent déboursé pour ce téléphone portable et du temps déjà liquidé pour le récupérer ou me faire rembourser, je m’en sors mieux que d’autres.

J’ai un emploi. Un toit. Je mange à ma faim. Ma fille est scolarisée (d’accord, sa maitresse a déjà été malade une dizaine de jours pratiquement dès la rentrée mais elle est revenue depuis hier). Je suis plutôt en bonne santé. J’ai accès à la culture et à certains loisirs. J’ai une connexion internet décente. Et une imprimante qui marche. La France des gilets jaunes, du chômage et du crédit à tue-tête ne dispose pas de tout ça. Ou, alors, elle le paie très cher. Pourtant, avoir dû attendre près de six heures entre l’heure de mon réveil ce matin et le moment où j’ai pu m’asseoir et disposer de mon temps- et de ma vie- à peu près comme je le souhaite, et pour une durée limitée, me paraît un délai assez long. D’autant que je reprends mon travail seulement ce soir, à 21 heures.

 

 

Donc, heureusement que, quelques fois, je ne pense qu’à moi.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 28 septembre 2020.

 

 

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Crédibilité Croisements/ Interviews

Conocido y conocido

 

                                              Conocido y  conocido

Beaucoup voudraient changer de vie. Puis, ils se figent.

 

Lui, il avait pris les choses en main. Il avait quitté son pays. Interpellé à Paris, sans papiers, inoffensif, il avait été relâché. Il n’avait pas démérité. Il était parti retrouver son père en Allemagne.

Détecté alors qu’il marchait le long de la voie ferrée dans le Val d’Oise, il avait été emmené à l’hôpital puis dans le service où je travaillais alors.

 

L’ambassade de son pays avait été contactée. Un de ses représentants s’était déplacé.

 

Au début, plusieurs collègues voulaient l’accompagner pour le rapatrier dans son pays, du côté de Séville. Mais, par moments, même si assez peu de collègues parlaient sa langue natale, elles comprenaient à sa façon de « cracher » les mots qu’il pouvait tenir des propos orduriers. Et qu’il pouvait, aussi, avoir un comportement inélégant.

 

J’avais donc pu l’accompagner en prenant l’avion avec lui.  Même si, au préalable, à l’aéroport, la fantaisie des réservations ou de l’administration m’avait révélé qu’il était  prévu de nous séparer. Moi en première classe et lui en seconde. Ou le contraire.

 

Après quelques explications, on avait bien voulu nous mettre ensemble. En Première.

 

Lorsque l’on nous avait proposé du champagne, il avait tenté sa chance en m’interrogeant poliment du regard. J’avais refusé. L’alcool et certains traitements sont antagonistes. Il avait accepté.

 

Le vol, de deux ou trois heures, s’était bien déroulé. A notre arrivée, l’infirmier en soins psychiatriques et lui s’étaient aussitôt reconnus. Auprès de lui, il avait alors arboré la mine de l’animal domestique tout content de retrouver une connaissance familière.

 

Interrogé, l’infirmier m’avait répondu en Espagnol :

 

« Conocido y  conocido ». Connu comme le loup blanc. A ses côtés, le patient avait approuvé par un petit sourire tendre de connivence.

 

J’avais ensuite passé deux ou trois jours délicieux à Séville.

 

C’est avec cette histoire en tête que j’ai été volontaire récemment  pour accompagner une patiente à l’aéroport afin qu’elle s’en retourne chez elle, en Corée….

 

Franck Unimon, lundi 7 septembre 2020.

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Corona Circus Crédibilité

Faire des images

 

 

                                                  Faire des images

 

L’économie est le canon d’une arme. Son barillet tourne aussi mécaniquement qu’une horloge dont chaque oscillation, répercutée contre nos tympans, est scrutée par des comptables qui désignent de nouveaux coupables à chaque retard de paiement.

 

Depuis Covid-19 (on aimerait l’appeler coït 19 mais ça ne sera pas pour aujourd’hui), colt viral qui a fait de notre présent son cheval, l’ombre de la note s’allonge. Pour certains, c’est celle de la mort, pour d’autres, la maladie ou le chômage. Pour d’autres encore, la musique d’un découragement et d’un dédoublement dont il est difficile de sortir.

 

Le dernier album de Brigitte Fontaine, Terre Neuve,  est depuis quelques jours celui que j’écoute. J’avais sûrement besoin de sa folie. L’album était chez moi depuis plusieurs semaines. Mais Manu Dibango avait alors toute mon attention. On va souhaiter à Brigitte (Fontaine) de tenir plus longtemps que Manu Dibango.

 

Le premier titre de Terre Neuve, «  Le Tout pour le Tout » qui parle de la vie et de la mort s’accorde bien avec le néon de nos préoccupations actuelles.

Il y a du Bashung dans sa façon de dire son texte. Plus loin dans son album, on pense à Gainsbourg, au groupe Portishead (le titre «  Ragilia ») et à d’autres influences.

 

Mais Brigitte Fontaine est bien-sûr Brigitte Fontaine dans cet album plutôt rock.  Je l’avais découverte en concert à l’Olympia grâce à une amie il y a plus de vingt ans. Et je l’avais revue ensuite en concert dans la salle de concert de Cergy St-Christophe, l’Observatoire, où j’ai vu d’autres très bons concerts :

 

Les groupes Brain Damage (Dub), Improvisator Dub ( Manutension était encore vivant), High Tone, Daby Touré, Susheela Raman. J’y avais même vu Disiz La Peste qui, malgré l’incorrection facile de certains spectateurs, avait su tenir son micro et sa scène.

 

 

Après l’album de Brigitte Fontaine, l’EP d’Aloïse Sauvage, Jimy, attend son passage. Puis, il y aura l’album de Damso, Lithopédion. Et, si j’en ai vraiment le temps vu que ma fille est à « l’école » aujourd’hui, je mettrais l’album de La Rumeur, Du Cœur à l’Outrage. Et j’extrairai à nouveau des titres de l’album The Downnward Spiral de Nine Inch Nails :

 

Au moins, les titres «  Mr Self Destruct », « Closer » que j’avais découverts à leur sortie grâce à un ancien collègue, Poupée, en 1994 ou 1995, et dont l’attrait, sur moi, persiste. Aujourd’hui, Poupée vit à la Réunion.

 

 

En parlant de Rap, j’aurais aimé pouvoir parler de l’album de Ausgang sorti il y a peu ou peut-être de celui d’Isha. Mais je n’ai pas encore eu la possibilité de les écouter. Ni la disponibilité.

 

 

Mais l’horloge de l’économie tourne et mes heures sont comptées. Qu’est-ce que je pourrais raconter, de pas trop long, et qui puisse intéresser un peu celles et ceux qui vont suivre ces lignes ?

 

J’ai connu ce week-end et ce matin mes premiers contrôles policiers en allant au travail et en revenant. A chaque fois à la gare St Lazare. Cela s’est très bien passé avec les policiers. Au point que, d’une façon un peu paradoxale et amusante, c’est même un ancien patient croisé par hasard hier matin près de la gare St Lazare en revenant du travail qui m’a assuré :

 

« ça va, ils sont cool ». Nous étions alors devant la gare St Lazare et pour le préserver d’un nouveau contrôle, je venais de lui proposer de nous en éloigner alors que deux cars de police se trouvaient à une dizaine de mètres de nous, sur le parvis de la gare.

 

J’ai fait la connaissance de ce patient dans un service spécialisé dans le traitement des addictions dans mon hôpital où il m’arrive de faire des remplacements. J’ai postulé trois fois dans ce service. Mon CV est bon m’a-t’on répondu. Et il est rassurant de me voir arriver lorsque je  me présente dans ce service.  Pour y effectuer des remplacements, payés en heures supplémentaires. Mais il y a toujours eu un « Mais » pour ne pas m’embaucher et embaucher quelqu’un d’autre à ma place lorsqu’un poste s’y est libèré. Au prétexte que je manque « d’expérience dans le domaine des addictions ».

 

Cette inexpérience dans le domaine des addictions mais aussi dans le domaine relationnel, hier matin, je l’ai modérément sentie, en présence de ce patient.

 

Il était d’abord drôle de nous reconnaître l’un et l’autre dans la rue. Je portais un masque chirurgical et un bonnet quand même.

 

 

Pourtant, nous nous sommes facilement reconnus. J’avais bien-sûr un « avantage » sur lui. Je voyais son visage découvert. Mais cela ne l’a pas empêché de « savoir » qu’il me connaissait. Même s’il m’a demandé ensuite d’enlever mon bonnet après mon masque.

 

Sans doute est-il un spécialiste de l’observation en temps ordinaire. Pour frayer, en tant que consommateur, dans l’univers des substances addictives illégales, j’imagine qu’il en faut des capacités d’observation. Et d’adaptation. A son environnement. A ses interlocuteurs. Aux situations rencontrées. Et, là, il venait de passer la nuit dehors.

 

Après plusieurs semaines d’abstinence, il avait rechuté, devant ses neveux, chez une de ses sœurs où il était en confinement. Sa sœur l’avait très mal pris. Dehors. Alors, il a pris le train pour venir sur Paris où il est allé chez un « ami » qui l’avait dépanné d’un bedo.

 

Quelques jours plus tôt, dans le service spécialisé dans le traitement des addictions où nous nous étions croisés, avait eu au téléphone le médecin qui le suit.

 

Il m’a ainsi appris que le service d’hospitalisation spécialisé dans les addictions où nous nous étions croisés allait bientôt rouvrir après avoir fermé pendant une dizaine de jours.

 

Il a ainsi répondu spontanément à une question que je m’étais posé ces derniers temps :

 

Les personnes sujettes aux addictions avec substance me semblent faire partie des personnes particulièrement exposées au Covid-19. Je pensais d’abord à l ‘affaiblissement  de leur organisme du fait de leur consommation. Mais, ce matin, je pense d’abord aux multiples contacts qui leur sont nécessaires pour se procurer leur substance, au milieu où ils se le procurent (coin de rue ou fêtes….), aux moyens employés ( la prostitution peut en faire partie) et au fait que respecter la distance sociale sera loin- pour certains- d’être leur première priorité.

 

D’ailleurs, pendant que je discute devant la gare St Lazare, avec ce patient, la distance sociale d’un mètre n’y est pas. Je le constate. Mais je ne peux rien dire. Au même titre que dans le service de pédopsychiatrie où je travaille, j’ai déjà plusieurs fois présenté mes excuses aux jeunes pour me présenter devant eux – comme mes collègues- avec un masque chirurgical sur le visage, avec ce patient, je constate à nouveau que l’une des bases de notre travail relationnel en psychiatrie, en pédopsychiatrie ou dans toute activité professionnelle psycho-sociale, c’est, avant tout de se montrer à visage découvert devant celle et celui que l’on « engage » à nous rencontrer.

 

C’est le minimum.

 

Dans une rencontre « directe », en vis-à-vis,  il est très difficile d’inspirer confiance à quelqu’un si cette personne voit à peine la couleur de nos yeux, ce qui s’y passe ainsi que ce qui se passe sur notre visage. C’est le ba-ba.

 

Et, avec ce patient qui vient de passer la nuit dehors, qui vit une période un peu délicate, qui me répond que son traitement neuroleptique d’un mois est resté chez sa sœur, je ne me vois pas trop insister sur la distance sociale.

 

Pourtant, je dois aussi penser à moi. A ma compagne et à ma fille qui sont chez moi pour commencer.

 

Alors, mon masque chirurgical toujours sur le visage, à côté de ce patient, j’essaie de trouver une petite distance corporelle qui puisse être un bon compromis entre la distance sociale amicale élémentaire et la distance sanitaire recommandée. Officiellement, elle est de un mètre. Mais, la veille, un collègue pédopsychiatre nous a appris que c’est vraiment le minimum. L’idéal, ce serait trois mètres de distance sociale durant cette période de pandémie.

 

Je dois être dans une distance comprise entre 30 centimètres et 50 centimètres avec ce patient qui est sur ma droite. Et, de temps à autre, je tourne ma tête vers le côté opposé tout en l’écoutant.

Il est très renseigné à propos de l’épidémie. Il pense que ça va durer comme ça tout le mois de Mai. Il n’est pas plus inquiet que ça en le disant. Même si, bien-sûr, il est inquiet me répond-t’il, à l’idée d’être contaminé. 

 

Lui et moi, nous discutons ainsi pendant quinze à vingt minutes devant la gare St-Lazare. Lorsque je lui dis que je dois y aller, il comprend et me remercie d’être resté un peu avec lui. Je vois bien à son sentiment de gratitude que ce moment a été pour lui l’équivalent d’un remontant. J’insiste pour qu’il aille se mettre au chaud. J’insiste encore pour qu’il aille récupérer son traitement neuroleptique chez sa sœur. Il acquiesce. Il ne me paraît pas trop déprimé, pas trop persécuté. Pas trop fatigué. Il a manifestement des perspectives. Il m’a parlé de son patron actuellement bloqué en Martinique. J’ai un moment regardé près de nous si un lieu de restauration rapide était ouvert. Mais cela l’a plutôt mis un peu sur le qui-vive :

 

« Qu’est-ce que tu regardes ?! ».

 

Je lui ai expliqué. Mais tout était fermé. Lui donner un peu d’argent était selon moi à éviter alors je ne lui en ai pas parlé.  De son côté, il ne m’a rien demandé.

 

Après nous être séparés, j’ai essayé de joindre le service où lui et moi nous étions revus deux mois plus tôt. J’ai eu de la chance :

Le service était ouvert. Et le médecin de ce patient en particulier était présent m’a appris l’infirmier qui m’a répondu. Alors, j’ai pu lui raconter.

 

Ce contact direct, hors d’un bureau, voire d’un service, et de la paperasse,  me convient bien, je crois. Même si je l’ai assez peu vécu professionnellement (sauf si l’on pense à mes interviews de réalisateurs et d’acteurs en tant que journaliste cinéma) comparativement à mes années dans un service en tant qu’infirmier. Et que mon inquiétude, et celle de ma compagne, se concentre plutôt, dans ce genre de travail, dans le risque d’être exposé à certaines maladies ou infections.

 

J’ai eu cette inquiétude dernièrement pour une de nos collègues qui s’est portée volontaire pour aller travailler dans un des services de notre hôpital qui prend en charge les patients en psychiatrie adulte porteurs du Covid-19.

J’ai lu comme tout le monde que le patron de l’AP-HP, Martin Hirsch, a réclamé dernièrement plus de respirateurs. Et aussi plus de personnel soignant, en particulier infirmier, pour faire face à la pandémie, soit sur la base du volontariat ou en réquisitionnant ce personnel.

 

La nécessité de personnel soignant présent et compétent ( dans les techniques d’urgence et de réanimation médicale ou chirurgicale) pour « répondre » à la pandémie, personne ne la contestera. Et si j’ai d’abord pensé que seuls les hôpitaux publics étaient sollicités pour « répondre » à la pandémie, j’ai depuis lu dans un journal que les établissements privés appuyaient l’effort sanitaire en vue de « répondre » à la pandémie (article d’Antoine Boudet Comment le leader de l’hospitalisation privée en France, Ramsay Santé, fait front  dans Les échos du mercredi 1er avril 2020, page 21). Donc, j’avais une vision biaisée concernant l’attitude des établissements de soins privés. Même si j’imagine qu’après la pandémie, cette « solidarité » du privé avec le public, aura un coût d’une façon ou d’une autre. Car il faut se rappeler que « l’économie » dirige nos vies et que nous avons à payer, d’une façon ou d’une autre, pour avoir le droit de vivre dans nos sociétés modernes.

 

Mais parler de « réquisitionner » au besoin du personnel soignant, en particulier infirmier, est un vocabulaire à mon avis assez suspect ou étrange :

 

Car, que ce soit par sa culpabilité, son sens du Devoir ou du fait des décisions imposées par sa hiérarchie, le personnel infirmier se fait souvent réquisitionner en temps ordinaire. Pour toutes sortes de raisons. «  Pour le bien du malade et de ses proches ». « Pour l’éthique ». « Pour les besoins du service ».

 

Et, je n’ai même pas envie de redire- comme cela l’a déjà été fait à plusieurs reprises depuis cette pandémie- que cela fait des années (selon moi, depuis une génération) que le personnel soignant et les syndicats préviennent les différents gouvernements des effets délétères de la casse organisée des hôpitaux publics. Et avant son appel récent, Martin Hirsch a participé à cette casse organisée des hôpitaux publics. ( on peut lire l’article Crédibilité écrit en novembre de l’année dernière bien que Martin Hirsch n’en n’ait pas été un des acteurs directs). 

 

Martin Hirsch et d’autres personnes décisionnaires ont des connaissances sur la pandémie et sur les besoins sanitaires pour y « répondre » que n’ai pas. Par contre, j’ai appris qu’il se trouve dans mon hôpital au moins deux services où 75% du personnel infirmier est en arrêt de travail.  Et je ne sais pas tout. Et cela fait « seulement » trois semaines que les mesures de confinement sont appliquées avec distance sociale etc….

 

Donc, réquisitionner du personnel infirmier en arrêt de travail ou porteur du Covid-19 paraît être une drôle de façon de penser : C’est une façon  de penser à court terme. Comme d’habitude. Comme s’il suffisait de débusquer du personnel infirmier caché sous des rochers. Un peu comme des coquillages que l’on ramasse sur la plage à marée basse. Qu’il suffit de venir avec ses bottes, sa pelle et son seau et de se servir.

 

 Ces 75 % de personnels en arrêt de travail, je ne les connais pas. Mais il y avait déjà du personnel infirmier en arrêt de travail avant la pandémie. Et c’est assez facile de comprendre que ce pourcentage d’infirmiers en arrêt de travail augmente avec la pandémie après avoir contracté le Covid-19 ou par anxiété afin d’éviter de le contracter. Oui, on peut être «  Une héroïne ou un héros de la Nation » et avoir peur de tomber malade ou de mourir.

 

Parce-que c’est très joli d’être surnommés «  les Héros de la Nation ». Mais, concrètement, des héros de la Nation qui partent au combat sans armes (gants, masques FFP2, tenues de protection, avec moins de possibilités de jours de repos etc…), c’est plutôt des personnes suicidaires, sacrifiées ou inconscientes qui vont affronter pratiquement à mains nues, avec de l’eau et du savon, un virus plutôt inquiétant qui, lui, ne prend pas de jour de congé et se contrefiche de l’horloge de l’économie.

 

 

Ma collègue volontaire pour aller travailler dans une unité Covid en psychiatrie m’a répondu qu’elle estimait y être mieux protégée que dans notre propre service. Car dans l’unité Covid où elle va aller travailler, ils y portent des «  tenues de cosmonautes ». Et, elle m’a retourné les préventions que j’avais pour elle :

 

«  Toi, aussi, fais attention à toi ».

 

 

Ça et là, les avis divergent quant à la suite de la pandémie. On entend dire qu’un certain nombre de jours de vacances seront sucrés. Que pour une durée indéterminée, on renoncera aux 35 heures. Afin d’essayer de « rattraper » ce qui a été perdu en productivité. Car il est impératif de limiter le plus possible les répercussions économiques de la pandémie.

 

Un ancien Ministre de l’Education, spécialiste des croisières où il se fait bien payer pour ses conférences, et aussi grand philosophe qu’historien, dans un article, raille les collapsologues, les écologistes et Nicolas Hulot.

Pour lui, à l’évidence, après la pandémie, le business reprendra as usual.

(Chronique Les Vautours de Luc Ferry dans le Figaro du jeudi 26 mars 2020, page 25) :

 

«(….) La croissance libérale mondialisée repartira donc en flèche dès que la situation sera sous contrôle. Les revenus de nos concitoyens auront diminué, certes, mais ils auront aussi fait des économies et elles inonderont le marché dès la fin du confinement ».

 

« (….) Pour le reste, ce sera reparti, non pas comme en 14, mais comme dans les périodes d’après-guerre. «  Business as usual » est l’hypothèse la plus probable, et du reste la plus raisonnable, n’en déplaise aux collapsologues. Je crains qu’Hulot, Cochet et leurs amis ne doivent patiemment attendre la prochaine crise pour se frotter à nouveau les mains ».

 

Et, sans doute très content de son humour comme de son intelligence, Luc Ferry conclut sa chronique de cette façon :

 

« Ps : Pour ceux que ça intéresse, vous pouvez me retrouver chaque jour vers 15 heures sur Instagram, pour un cours sur les grands moments de l’histoire de la philosophie. C’est une histoire géniale et c’est gratuit ! ».

 

 

Je crois en effet que les Puissants et les privilégiés dont fait partie Luc Ferry mais aussi la patronne du RN (même si celle-ci réussit à se faire passer pour une proche du « peuple » et des gens modestes) resteront à leur place de Puissants et de privilégiés si la pandémie les laisse indemnes économiquement, socialement et personnellement.

 

Et qu’ils continueront d’excréter leurs certitudes et leurs visions du monde, et de les imposer, car ce monde dans lequel nous vivons encore leur convient. Ils y ont leurs entrées, leurs connexions, leurs intermédiaires, leurs bénéfices, et leurs remparts. Ils peuvent s’y permettre d’y dire à peu près tout et n’importe quoi. Le temps que la Justice les rappelle à l’ordre, d’une part, lorsque cela arrivera, ils auront une somme symbolique- en guise de réparation- à payer à la société et, d’autre part, entre-temps, ils auront continué à assurer leur promotion personnelle, économique et sociale. Ils courent peu de risques à s’exprimer dans tous les sens. Leur plus grand risque est de passer inaperçus et d’être oubliés ou exclus de la scène publique.

 

 

Et, il faudra un grand désastre, que la pandémie dure suffisamment longtemps et détruise une bonne partie de ces entrées, de ces connexions, de ces intermédiaires et de ces remparts qui protègent les Puissants et les privilégiés qui prônent un monde à l’identique après la pandémie pour qu’ils commencent à se dire qu’il faut peut-être changer de modèle d’action, de vie et de pensée. Et apprendre, peut-être, à coopérer avec les autres plutôt que de continuer à les mépriser.

 

Mais, pour l’instant, comme le dit Luc Ferry dans sa chronique, les Puissants et les privilégiés – qui sont favorables au fait de rester dans notre monde libéral tel qu’il est- sont convaincus qu’à un moment ou à un autre, ils reprendront «  le contrôle de la situation ». Que l’on parle de Luc Ferry, du Président Macron, de Donald Trump, Poutine, Bolsanaro et d’autres. Politiciens, Puissants hommes d’affaires etc….

 

 

Ce n’est pas étonnant de leur part : Un Puissant ou une Puissante, est une personne qui peut tenir une position, une volonté, en vue d’atteindre un but, un objectif, coûte que coûte et qui y parvient. C’est vrai pour un sportif de haut niveau. Mais c’est également vrai pour une femme ou un homme politique. Pour une PDG ou un PDG. Et celles et ceux qui nous gouvernent sont aux postes qu’ils occupent parce-que, en maintes occasions, elles ont su, ils ont su, tenir un cap, arriver là où ils le souhaitaient, malgré les difficultés rencontrées.

 

Pendant que le Président Macron parle des soignants comme des « Héros de la Nation », il livre ses propres combats dont il est convaincu qu’il sera, lui aussi, le Héros. Comme il a pu être le Héros des élections présidentielles. Et c’est pareil pour Trump, Poutine etc….

 

Donc, on peut leur faire « confiance » sur ce point :

 

Si, comme Luc Ferry l’avance, la pandémie s’arrête assez « vite », Macron, Poutine, Trump et toutes celles et ceux qui nous gouvernent, et celles et ceux qui les entourent, sauront s’attribuer les mérites de la grande victoire sur la pandémie du Covid-19. Et ils sauront s’affirmer comme les personnes les plus légitimes pour nous dicter encore plus de quelle façon notre monde et nos vies doivent tourner.

 

 

Le seul moyen pour que notre monde change véritablement est donc que nos Puissants actuels (hommes politiques, PDG etc….) se confrontent….à leur impuissance. Et ça, la pandémie peut aussi le décider. Par ses effets directs ou indirects qui touchent et toucheront quantité de gens avant de les atteindre, eux, les Puissants. Et nous n’en sommes pas là pour l’instant, je crois. Même si, déja, beaucoup de personnes souffrent depuis le début de l’épidémie.

 

C’est donc la raison pour laquelle on a un Luc Ferry qui peut crâner comme il le fait dans sa chronique du Figaro. Et c’est la raison pour laquelle, pour l’instant, on nous parle, après la pandémie, de « rattraper le temps perdu » etc…pour combler le déficit économique. Et, surtout, pour conserver exactement le même mode de vie mais en plus radical. En plus extrême.

 

Pour l’instant, nos Puissants et nos « penseurs » qui voient comme unique monde futur possible notre monde actuel à l’identique- mais en plus dur- me font penser au personnage de Cersei dans Games of Thrones  ( article Game of Thrones saison 8 ):

Jusqu’au bout, Cersei a cru au triomphe de sa vision. Et lorsqu’il lui a été impossible d’échapper à la défaite de sa vision, brûlée et détruite par la vision de Daenarys, une extrémiste plus puissante qu’elle, elle aurait pu se jeter dans le vide. A la place, elle s’effondre sous les pierres de son propre royaume avec son chéri.

 

A la fin de Games of Thrones, il est très difficile de réussir à trouver parmi les survivants une personne restée indemne de tout trauma. Il y a surtout des personnes qui s’en sortent un peu mieux que d’autres. Il y a beaucoup de victimes. Et une haine meurtrière éloignée et amadouée (Ver-Gris).

 

La refonte du système de santé dont parle le Président Macron à l’issue de la Pandémie ?

On va déjà essayer de tenir jusqu’à la fin de la pandémie. Parce-que, que l’on soit d’accord ou pas les uns avec les autres, on est au moins d’accord sur le fait qu’il faut continuer de serrer les fesses en vue de sortir de cette pandémie. Même si l’on devine que certains pays, certaines économies, certaines régions et certaines personnes s’en sortiront mieux que d’autres.

 

Mais ce qui, déjà, me fait une drôle d’impression, c’est le fait que l’on parle de prime pour les soignants à l’issue de la pandémie. Si l’on nous octroie une prime, je l’accepterais évidemment. Je ne vais pas la donner à Luc Ferry.

Mais j’ai l’impression que si l’on en reste uniquement à parler de « prime » pour les soignants, cela signifie que, d’une façon ou d’une autre, on veut acheter le silence des soignants tout en conservant le modèle sanitaire et social à peu près tel qu’il est. Et tel qu’il a exposé ses failles.

 

Et, comme l’ont dit d’autres personnes : à côté des soignants, il y a d’autres professionnels dont il faudra revaloriser et revoir l’évolution de carrière, le salaire, le statut social. Qu’il s’agisse des éboueurs, des caissières, des conducteurs de transports en commun ( surtout lorsqu’ils ont pu se montrer corrects voire avenants contrairement au chauffeur de bus d’hier soir) des pompiers, des policiers, des enseignants, des agriculteurs etc….enfin, toutes ces personnes qui sont soit au contact ou en première ligne de la population, ou à son service, au quotidien et qui, eux, ne bénéficient pas de remparts, de connexions, de raccourcis, d’intermédiaires, de trucs, de passe-droits lorsqu’il s’agit de mener un combat ou de tenir un contrat social garant de la bonne santé d’une société. Et dans le mot santé, je pense évidemment beaucoup au bien-être sous toutes ses formes.

 

 

Dans Le Figaro, toujours, de ce jeudi 26 mars 2020, page 24, donc une page avant celle où l’on trouve la chronique de Luc Ferry, il y a cette interview de Marcel Gauchet, historien et philosophe, que je ne connaissais pas (contrairement à Luc Ferry beaucoup plus médiatisé que Marcel Gauchet). Dans cette interview intitulée «  Si cette crise pouvait être l’occasion d’un vrai bilan et d’un réveil collectif »  réalisée par Alexandre Devecchio, il y a ces passages que je restitue :

 

Alexandre Devecchio demande : La crise du coronavirus a révélé les failles d’un système de santé que l’on croyait parmi les meilleurs du monde ainsi que notre extrême dépendance envers la Chine. Comment en est-on arrivé là ?

 

Réponse de Marcel Gauchet : « (….) Nous disposons d’établissements de pointe qui sont au meilleur niveau mondial. Mais cette brillante zone d’excellence (qui est celle que fréquentent nos élites) cache un tableau d’ensemble moins reluisant) ».

 

A.D demande Pourquoi l’Europe est-elle devenue l’épicentre de la crise sanitaire, tandis que des pays théoriquement moins développés, comme la Corée du Sud, la surmontent avec de très faibles pertes humaines et sans confinement généralisé ?

 

« (….) C’est que la Corée est mieux développée que nous ne le pensions. Elle monte tandis que nous descendons. Nous payons en Europe le prix d’un sentiment de sécurité mal fondé et d’un sens exacerbé jusqu’à l’anarchie des libertés personnelles. La discipline confucéenne est meilleure conseillère en la circonstance. Ajoutons que la proximité avec la bombe biologique que constitue la Chine incite à l’anticipation et à la prudence ».

 

Que révèle la crise sanitaire des fractures de notre pays ?

 

« (….) L’inégalité entre riches et pauvres n’est pas une découverte. Il est plus agréable de passer le confinement dans une grande maison avec jardin  à la campagne qu’entassé à plusieurs dans un appartement exigu.

(…..) Mais il y a une fracture que je n’avais pas perçue à ce point et que je trouve très inquiétante pour l’avenir, qui est la fracture générationnelle entre jeunes et vieux. Elle s’est manifestée en grand au travers des attitudes de défi, presque, vis-à-vis des règles de protection qu’on a observées dans un premier temps. Sans que rien ne soit dit ouvertement, il était visible qu’une population jeune se sentait peu concernée par le sort de la population âgée, victime prioritaire de la maladie pour le dire poliment. Les jeunes savent bien qu’ils seront vieux un jour. En attendant, ils voient un système social qui fonctionne massivement à l’avantage des seniors, sans qu’eux-mêmes soient assurés d’en bénéficier à l’avenir. Il y a là un décalage dans les perspectives existentielles qu’il va falloir prendre très au sérieux ».

 

Certains observateurs vont jusqu’à vanter le « modèle chinois ». La Chine peut-elle sortir gagnante de la crise ?

 

 » La force totalitaire a toujours eu et continue d’avoir ses admirateurs. (….) Et ne cédons pas bêtement au miracle de l’efficacité chinoise. Ne pas oublier que c’est à la volonté initiale d’escamoter le problème- caractéristique de ce genre de régimes- que nous devons la pandémie mondiale. Le point de départ est un Tchernobyl sanitaire qu’il a fallu ensuite compenser par des mesures policières extrêmes qui n’ont pas empêché la diffusion planétaire du virus. Les dirigeants chinois ont certainement l’intention de sortir gagnants de la crise. Ils le montrent déjà, en ne se privant pas de nous donner des leçons ».

 

Quelles leçons pouvons-nous d’ores et déjà tirer de cette crise ?

 

« (….) Arrêtons une bonne fois avec les âneries sur le postnational. Les marchés ne font pas le travail. Seconde leçon qui découle de la première : la qualité de la vie dépend plus du niveau des équipements collectifs que des revenus individuels. Le système de santé et le système d’éducation sont ce que nous avons ensemble de plus précieux. C’est à eux que doit aller la priorité ».

 

 

 

Depuis le début de cet article, l’album de Brigitte Fontaine, Terre Neuve, a été remplacé par l’EP d’Aloïse Sauvage. Si les deux titres, Présentement et Parfois Faut ont été plaisants à l’oreille, je ne peux pas dire que je les ai véritablement écoutés, concentré que j’étais sur l’écriture de cet article. Voyons ce que ça donne avec l’album Lithopédion  de Damso que j’avais écouté une première fois. Je me souviens avoir trouvé court son titre Silence avec Angèle : «  Ta vérité n’est pas la mienne ». Et un peu trop de gros mots jonchaient son Rap qui peut et sait s’en passer.

 

Ce matin, en arrivant devant la gare St Lazare, j’ai vu « venir » mon premier contrôle policier avec file d’attente. J’ai été principalement contrarié en voyant que la distance sociale était peu respectée par deux personnes derrière moi. Cela m’a poussé à me rapprocher de la policière après l’avoir entendue répéter qu’elle demandait au personnel hospitalier d’avancer jusqu’à elle. J’ai donc dû dépasser quelques personnes devant moi et suis entré rapidement dans la gare St Lazare.

 

 

Dans le train, j’ai constaté ce que nous sommes déjà plusieurs à constater : Les gens refluent de plus en plus dans les transports en commun. Par nécessité économique sûrement.

 

Le titre Baltringue de Damso traîne des gros mots «  sales » mais la dynamique me plait bien. Il me semble qu’on y trouve du Booba. Je sais que les deux sont fâchés. Mais ce n’est pas une raison pour s’empêcher de le voir.

 

 

Devant la gare St Lazare tout à l’heure, deux personnes venaient de s’installer. «  Pour faire des images ». J’ai demandé à l’homme pour quel média ils travaillaient. Il a différé pour parler dans son téléphone :

 

«  Je suis à St Lazare. On ma demandé de faire des images ».

 

Je suis parti avant qu’il ne me réponde. La file d’attente m’a aspiré. Puis la policière. Puis l’escalator. Le train. Puis cet article.

 

 

 Hier soir, j’avais pris avec moi un livre court :

 

Une femme d’ici et d’ailleurs «  La liberté est son pays »  de Fadéla M’Rabet.

 

L’idée était de lire autre chose que du Coronavirus Covid-19 comme je le fais depuis plusieurs semaines. Même si ça va mieux. Et que je me crois moins obsédé par lui.

 

Sauf qu’il m’a fallu environ trois heures pour m’apercevoir que ma collègue d’hier soir, au travail, me parlait à plus de 90% uniquement de ça. Du Covid-19. Ce matin, quinze minutes avant que n’arrivent nos collègues de jour, rebelote. J’ai fini par lâcher la carte :

 

  • Tu arrives à penser à autre chose ?
  • Oui m’a-t’elle répondu. 

Puis, elle de me dire qu’il paraît qu’on pouvait désormais se procurer du CHA. Du CHA ? Oui, du gel Hydro-alcoolique. Et comment tu fais quand tu fais tes courses m’a-t’elle ensuite demandé ? Quand tu rentres chez toi ?

 

 

C’est seulement sur les dix minutes qui ont précédé l’arrivée de notre première collègue de jour, que nous avons pu véritablement parler d’autre chose. Cinéma.

 

Dans le train du retour chez moi, j’aurais pu ouvrir le livre de Fadéla M’Rabet. J’aurais aussi pu écouter de la musique via mon baladeur audiophile. Mais il y a ce besoin d’être vigilant fréquemment. Par rapport à la distance sociale.

 

Hier soir, j’ai appris que la jeune qui nous avait sollicité  mardi, toutes les 30 secondes, notre autre collègue de nuit et moi, à partir de 3 heures du matin, et avec qui la proximité physique était inévitable, avait été testée au Covid. Par la technique de l’écouvillon dont les résultats ont, comment dire, une marge d’erreur.

 

Les résultats sont revenus négatifs. Mais au vu de la fièvre de cette jeune et de sa perte d’odorat, « notre » médecin-chef a rappelé qu’il valait mieux la considérer comme « positive ». D’autant que l’intensité et l’expression des symptômes peut varier d’une personne à une autre.

 

Je suis peut-être contaminé. Je l’étais déjà peut-être avant. Il me reste encore quelques jours avant de « savoir » si je ressens certains des symptômes courants :

Fièvre,  difficultés respiratoires, épuisement, perte d’odorat, de goût, courbatures ou autres. Mais peut-être que mon symptôme principal consistera-t’il à faire des images.

 

Ps : ces photos ont été prises soit en me rendant au travail soit en en revenant.

 

Franck Unimon, lundi 6 avril 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Correspondance et introspection

 

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Ce week-end, nous sommes passés à l’heure d’été. Comme chaque année, à cette période de l’année, nous avançons nos montres d’une heure.

 

Mais nous avons tellement de retard sur nos peurs et nos angoisses qu’il faudrait avancer nos horloges internes de plusieurs heures ou de plusieurs années  pour essayer de le combler. Et même comme ça, ce ne serait peut-être pas suffisant.

 

Notre planète sera un jour à court de certaines de ses richesses mais le réservoir de nos peurs et de nos angoisses est, lui, inépuisable. Inévitable. Nous sommes chacune et chacun des quantités astronomiques de ces peurs et de ces angoisses et nous sommes désormais des milliards sur Terre. Même s’il nous arrive régulièrement de penser que nous sommes seuls sur Terre.

 

J’ai lu dans ce numéro du journal Les Echos que je cite et récite, au point que l’on pourrait se demander si c’est la seule fois de ma vie que j’ouvre et lis un journal, qu’il a vraisemblablement fallu «  en gros, 250 millions d’années pour constituer les stocks de charbon de gaz et de pétrole qu’on est en train de griller, d’après les spécialistes, en seulement 250 ans ! » (Chronique de Xavier Fontanet, dans le journal Les Echos du jeudi 26 mars 2020, page 12).

 

Pour que nos peurs et nos angoisses soient des réservoirs à ce point inépuisables, je me demande combien de temps il a fallu à l’Humanité pour les constituer. Le jour où on le saura, sans doute parviendrons-nous, aussi, à entrer dans l’immortalité.

 

Sur ces peurs et sur ces angoisses, je n’ai pas plus de droits que les autres. Et j’ai peur ainsi que des angoisses comme tout le monde. Peut-être pas de façon aussi visible que d’autres. Peut-être pas toujours pour les mêmes raisons que d’autres. Mais cela ne change rien :

 

Les peurs et les angoisses ne sont pas destinées à des défilés de mode. Et je ne me perçois pas comme un couturier de mes peurs et de mes angoisses que j’exposerais plus que d’autres à travers des mannequins vivants. A travers des bouquins, peut-être. Si j’y arrive un jour.

 

En attendant, je me résume aussi à des articles comme celui-ci.

 

 

Mon meilleur ami s’inquiète pour moi. Il me l’a dit il y a quelques jours.  Ma mère et ma sœur, aussi. Un autre ami, également. Et encore un autre.  Et d’autres personnes encore.

 

Ces attentions me font plaisir. Je les reçois au coup par coup. Cette épidémie est une épreuve d’endurance. Et il n’y pas que le physique qui compte. Il y a aussi le mental, le moral. Comment on se repose. Comment on détruit ses mauvaises « morales ». Oui, j’ai bien écrit « détruit ». « Détruit » plutôt que « couver » ou «  nourrir ». Détruire peut avoir du bon. Esquiver, aussi. Détruire l’invisible. Esquiver cette occupation invisible.

On est presque dans une expérience délirante (et dépersonnalisante ) : collectivement, et chacun à sa façon, nous essayons de détruire ou d’esquiver l’invisible.

 

Hors du contexte d’une épidémie, de cette épidémie,  qui est bien réelle, si on racontait ça à quelqu’un :

 

« J’essaie de détruire l’invisible. De l’esquiver ». Elle ou il nous prendrait pour un fou.

 

 

L’inquiétude de mon meilleur ami pour moi est bien réelle. Ainsi que celles d’autres personnes. Pourtant, avant hier soir, sur le périphérique, au volant de ma voiture, mon inquiétude était concentrée sur un autre sujet :

 

Je m’étais montré « dur » avec ma fille à la maison. On peut, comme me l’a dit plus tard mon meilleur ami, se dire que le principal, c’est de s’en rendre compte. Mais lorsque l’on est lancé dans une certaine attitude assez extrême et qu’il nous est en quelque sorte impossible de nous détendre, tout, absolument tout, peut être prétexte à nous « déclencher ». J’ai été comme ça avec ma fille pendant dix à quinze minutes avant hier.

 

A la fois, je percevais que j’étais trop dans le « dur ». Mais c’était plus fort que moi. Une sorte de dépersonnalisation. Une forme de transe sans jouissance. Où ce qui reste, ensuite, c’est le souvenir précis, immédiat, de ce que l’on a « accompli » :

 

 Un acte de torture mental.

 

Ma fille s’est défendue.  Ce qui est bon signe. Elle m’a dit :

 

«  Mais qu’est-ce que tu peux être pipelette ! ». Et, moi, pour moitié conscient et pour moitié incandescent, j’ai répondu :

 

« Parce-que je te répète des choses que tu es supposée savoir maintenant ! ».

 

Lorsque je suis parti au travail, j’étais revenu à mon état « normal » et ma fille et moi avions de nouveau une relation agréable et affectueuse. Mais je n’ai pas aimé ça de moi.

 

 

Je ne sais pas si cela a joué dans le fait qu’ensuite, je me sois relâché au moment de partir prendre mon train pour aller au travail.

Une fois à la gare, le panneau indiquait que le prochain arrivait dans…58 minutes. Impossible de l’attendre. Cela m’aurait fait arriver à 22h ou 22h30 dans mon service au lieu de 21h, heure à laquelle je commence.

 

En temps ordinaire, 45 minutes me suffisent en transports en commun pour arriver à mon travail. Là, j’étais à la gare avec une heure d’avance. Insuffisant pour être à l’heure avec un train qui arrive dans 58 minutes.

 

Alors, j’ai dû prendre ma voiture pour aller au travail. Une Première pour moi depuis que je travaille sur Paris. En bientôt 11 ans. La roue de mon vélo était toujours crevée. Et une heure aurait été trop juste de toute façon pour être au travail à vélo. Le temps de me changer. De me rendre au local où je range mon vélo. Je suis une vraie mariée quand je prends mon vélo pour aller au travail. J’emporte tout mon trousseau : vêtements de rechanges, compléments alimentaires, mon livret de famille, mon carnet de vaccinations etc…

 

 

Lorsque mon meilleur ami m’a appelé sur mon téléphone portable, je n’ai pas répondu. J’étais sur le périphérique. Même si c’est contre mes principes de prendre ma voiture pour aller au travail, je me disais qu’au moins, en prenant ma voiture, je faisais de «  la distance sociale » et donc de la prévention sanitaire.

 

Le trajet s’est déroulé sans incident. Même si, au début de mon trajet, sur la A15, j’avais aperçu sur l’autre voie, en sens inverse, une personne sur un brancard en train de se faire transporter. Accident de la route. L’accidenté (un homme apparemment) était conscient. A moitié assis sur le brancard. Plusieurs véhicules de secours étaient arrêtés sur l’autoroute. Vu le peu de trafic routier, les secours avaient dû arriver assez « vite ». A condition qu’ils ne soient pas trop surchargés et pas trop épuisés par les effets de l’épidémie qui se surajoutent aux interventions « courantes ».

 

 

J’ai écouté le message de mon meilleur ami une fois au travail. Il souhaitait avoir de mes nouvelles.

 

La nuit a été calme jusqu’à 3h du matin.

 

 

A partir de 3h du matin, une jeune patiente, réhospitalisée la veille, a commencé à nous solliciter. Toutes les 30 secondes. «  Vous avez de l’eau gazeuse ? ». « Vous avez une banane ? ».

 

Il nous a fallu la maintenir dans sa chambre. Pour éviter qu’elle ne déambule dans le service, entre dans la chambre des autres patients ou adopte certains comportements que l’on qualifiera d’inadéquats et qu’elle a déployés en notre présence, dans sa chambre où, à tour de rôle, ma collègue et moi avons fini par nous relayer.

 

Mains dans la culotte et simulation de masturbation. Tentative pour sortir de sa chambre. Tentative de s’installer dans l’armoire de sa chambre. S’allonger par terre. Simulation de coït par terre. Aller se voir dans le miroir. Baisser son pantalon. Relever le store. Tenter d’ouvrir la fenêtre de sa chambre (située en hauteur). Impossible de détailler avec précision le nombre de demandes, le nombre de fois où nous nous sommes adressés à elle et avons essayé de la « raisonner » et de l’enjoindre à aller se recoucher sur son lit.  Où elle ne restait pas tranquille. Le nombre de fois où il lui était impossible de passer plus d’une minute sans nous solliciter. Sans nous « provoquer ». Sans faire le contraire de ce qu’on lui disait de faire. Une conversation, un accord avec elle ? Impossible.

 

 

 

Comme ça, jusqu’à 7h10 environ. Heure à laquelle, une collègue du jour est venue me relever après que ma collègue de nuit ait fait les transmissions. Nous étions du même avis, cette collègue de jour et moi : il valait mieux que la jeune patiente descende avec nous.

 

Pourquoi n’avons-nous pas sollicité le médecin de garde ? Pour ma part, parce-que nous « connaissions » déjà cette patiente. Et que je me rappelle qu’il lui avait fallu plusieurs jours- et nuits- lors d’une de ses hospitalisations précédentes pour s’apaiser et « faire » ses nuits, le traitement aidant.

Qu’a t’elle comme diagnostic ou comme maladie ? Je ne le dirai pas. Je peux dire qu’elle « était » hypomane : agitée, désinhibée, plus ou moins confuse. Mais je parlerai pas de son diagnostic car ce qui me préoccupe, plus qu’un tableau ou une étiquette, c’est comment essayer d’entrer en relation, comment faire au mieux pour y parvenir, malgré l’état et la situation.

Plutôt que d’appliquer un protocole de manière mathématique en se disant : devant tel tableau diagnostic, je fais ceci ou je fais cela.

 

Il faut apprendre à penser. Autant voire plus que d’apprendre à appliquer et à systématiser un type de réponse et de comportement de manière bornée et automatique.

 

Or, avec l’épidémie, nos peurs et nos angoisses sont devenues automatiques. En quelques jours. A moins qu’elles ne l’aient toujours été, ce qui est bien possible, et qu’une certaine cosmétique sociale nous masquait certaines de nos peurs et de nos angoisses.

 

Pour avoir un aperçu de la vitalité de nos peurs et de nos angoisses concernant l’épidémie, il suffit de faire un petit « voyage » sur les réseaux sociaux. Le voyage est « gratuit » et peut être illimité.

 

 

Réseaux sociaux ou non, je me suis fait prendre à tout ça. L’épidémie ceci, l’épidémie cela. Et moi, je pense ça, et moi, je pense ceci.

 

 

Puis, j’ai fini par me dire que ça suffisait. Enfin. Qu’il me fallait changer d’état d’esprit. Au bout d’une bonne dizaine de jours, ou plus. Depuis l’appel, pardon, depuis l’allocution présidentielle du 16 Mars 2020. Et tout ce qui s’en est ensuivi.

 

 J’approuve complètement tout ce qui est relatif aux gestes barrières, à la distance sociale, au confinement etc….

 

Mais c’est de cet état de vocifération et d’excitation anxieuse générale, dont j’estime qu’il faut savoir sortir. Car cet état de vocifération et d’excitation anxieuse généralisée est une autre forme de confinement. Et, il est pire, je crois, que le confinement destiné à limiter et à esquiver l’épidémie.

 

Bien-sûr, pour moi qui peux sortir prendre l’air pour aller au travail, et ainsi augmenter à chaque fois le risque d’attraper le virus, c’est facile de dire ça.

 

Hier soir, j’ai pu reprendre le train. Cette fois, je suis parti de chez moi avec plus d’une heure trente d’avance. J’ai attendu quinze minutes le train direct pour St Lazare.

 

J’en ai profité pour appeler mon meilleur ami. Je lui ai donné de mes nouvelles. Puis, il m’a donné de leurs nouvelles, de lui et de sa compagne. Pardon, de sa femme. Certaines personnes sont très susceptibles avec les usages sociaux. Et je voudrais m’éviter une descente de décibels dans les oreilles.

 

Donc,  en discutant hier soir avec mon meilleur ami,  j’ai ainsi appris que sa compagne avait contracté le virus la semaine dernière. Au travail. Elle n’est pas soignante. Mais elle côtoie des personnes en situation précaire. Et une de ses collègues avait contracté le virus auparavant.

 

Donc, la compagne de mon meilleur ami était confinée chez eux depuis quelques jours. D’abord de la fièvre, jusqu’à 38°5, courbatures, fatigue, difficultés respiratoires. Ça allait mieux du côté de la fièvre et des courbatures. Par contre, il semblait que chaque jour apportait un nouveau symptôme. Diarrhée. Mal aux oreilles. Nausées. J’ai découvert tout ça en écoutant mon meilleur ami. Comment ça se fait ? Parce-que depuis le début de l’épidémie, je m’en tiens aux gestes selon moi prioritaires :

 

Se laver les mains, distance sociale, port du masque quand c’est possible. Et, rester calme, autant que possible. Et respecter le confinement.

 

 

Il faut bien rester calme en arrivant à la gare St Lazare. Même s’il y a moins de monde que d’habitude. Le hall de la gare est devenu un atelier de « zombies ». On y travaille sa vélocité comme à l’athlé. A petites foulées, il s’agit de slalomer entres les « zombies » :

 

Des êtres humains comme moi, qui, patiemment, attendent leur train en faisant semblant d’ignorer les embruns de l’urgence.

Certains portent des masques. D’autres pas. En masques, j’ai vu un peu de tout. Cela va du masque de chantier, au masque de couleur noir apparemment en tissu, en passant par le masque chirurgical (il y a beaucoup de chirurgiens désormais dans la rue) jusqu’à quelques masques FFP2. Il est certain qu’un marché des masques est en train de se créer et qu’après l’épidémie, il va y avoir toute une gamme de masques de prévention sanitaire qui va arriver. Même les grands couturiers vont s’en inspirer. Comme pour le voile.

 

 

Quelques heures plus tôt, le marchand de cycles qui m’a « dépanné », ne portait pas de masque. Pas plus que l’autre client avec lequel je l’ai trouvé. C’était déjà une très grande et très agréable surprise qu’il soit ouvert. D’abord, lundi, il m’avait rappelé alors que son magasin est fermé les lundis. Je ne suis pas certain qu’une enseigne comme Décathlon aurait fait ça. Ensuite, en fin de matinée ce mardi, il s’est en effet rapidement occupé de moi.

 

 

La veille, il m’avait appris avoir dépanné «  une infirmière » et « un cardiologue ». Et m’avait affirmé, lorsque je lui avais appris être également infirmier :

 

« Je vous soutiens ! ». Et quel soutien ! La première fois que j’étais venu dans son magasin de cycles, un des clients m’avait dit, content : « C’est un artisan, à l’ancienne ! ».

 

Il est certain que la relation clientèle est très différente avec lui. Pédagogue, celui-ci ma expliqué d’où venait selon lui la cause de ma crevaison. La « roue » de ma jante était usée. Elle était d’origine. Plus de vingt ans.

Perfectionniste, une fois ma roue de jante et ma nouvelle chambre à air posée, Monsieur est allé jusqu’à tenter d’insérer le mieux possible le pneu. Il m’a expliqué qu’il pouvait y avoir un effet de rebond vu que mon pneu s’était relâché.

 

J’en ai profité pour acheter d’autres chambres à air, et encore ceci, et encore ça.  Ainsi qu’un nouveau carnet de vaccinations et une robe de mariée. Pour mon vélo.

 

Lorsqu’il m’a présenté l’addition, il m’a dit : «  ça monte vite ! ». J’aurais peut-être payé moins cher à Décathlonmais ce que cet artisan m’a donné valait selon moi la somme qu’il m’a demandé.  Cet homme-là, pour moi, est un héros. Travailler dans ces conditions, sans masque. Le voir se pencher comme il l’a fait pour réparer ma roue de vélo. Sans plier les genoux. Sans s’asseoir.  Sans faire attention à son dos.

 

Je vois évidemment un grand parallèle entre l’attitude de cet artisan, entre le métier de soignant dans un hôpital public mais aussi de tout professionnel dans une institution publique et avec toutes ces personnes qui acceptent bien des contraintes inhérentes à leur travail et capables de donner plus que ce pour quoi on les paie ou les forme :

 

De la relation. Un réel conseil. Une attention véritable.  Et non pas des phrases toutes faites solubles dans des protocoles, des spots publicitaires, et des méthodes de pensée et d’action servant avant tout à se faire du fric et voir celle ou celui qui se présente principalement comme un mouton bon à tondre. J’ai tort de penser ça ?

 

 

On continue. Comme sur le chemin du retour, il y avait un Lidl. Je m’y suis arrêté pour faire quelques courses. Il y avait un peu de monde. Mais pas autant qu’il peut y en avoir dans un Lidl. C’était la première fois que je me rendais dans ce Lidl. Sur le parking, un homme d’une trentaine d’années, devant une voiture, côté passager, s’est allumé un pétard. Je croyais que lui et son copain partaient. Non. Ils venaient de se garer.

 

J’ai réussi à me garer plus loin. Et j’ai évidemment gardé mon masque chirurgical dans Lidl. Mais je n’étais pas très rassuré. J’ai fait quelques courses. Quelques personnes portaient un masque. D’autres, non. Puis j’ai patienté à une caisse. La caissière avait une double couche de masques. Un masque chirurgical sur un masque en tissu apparemment. Une protection plastifiée se trouvait devant elle. Les deux hommes que j’avais vu se garer étaient derrière moi. Ils n’ont pas toujours respecté la distance de un mètre. Et ils ne portaient pas de masque. J’ai fait avec en leur tournant le dos.

 

A la caisse, je n’avais même pas encore payé que le vigile, masqué, m’a demandé à voir l’intérieur de mon sac à dos. Je lui ai répondu :

 

« Je vais peut-être payer d’abord, et ensuite, je vous montre ? ». Il a accepté. J’avais donc une tête de suspect ?

 

Après avoir payé, je lui ai montré l’intérieur de mon petit sac à dos. Il a jeté un coup d’œil. Ça lui a suffi.

 

De retour chez moi, j’ai bien dormi. Plus que ce que j’avais prévu. Ma compagne est rentrée avec notre fille plus tard que prévu. Je ne m’en suis pas aperçu tout de suite.

 

Le temps de reprendre une douche, j’ai dû rester dix minutes en tout avec ma compagne et ma fille. Puis, je suis reparti au travail. Par le train. Comme je l’ai déjà dit. Avant de partir au travail  hier soir, ma fille m’a dit : «  Je t’adore ! ». J’ai beaucoup de chance. A son âge, on pardonne encore beaucoup à ses parents. Cela change à partir de l’adolescence.

Ou même avant.

 

Hier soir, en sortant de la gare St Lazare, il n’y avait plus les policiers des dernières fois. Ils ont disparu depuis plusieurs nuits. Peut-être l’effet du manque de masques que subissent aussi les policiers.

 

En m’éloignant de la gare St Lazare, j’ai aperçu une femme qui courait. Elle est venue sur ma droite. Elle courait sur la route. Comme on dit : «  Elle avançait bien ». Allure régulière, décontractée. Elle devait être sur la fin de son footing. Elle était facile. Belle foulée. Elle m’a rapidement distancé, moi qui marchais, et dont le principal effort a consisté à traverser la route afin de me rapprocher d’une station de métro. Ou de l’arrêt d’un bus.

 

La veille, ma collègue de nuit m’avait dit avoir trouvé qu’il y avait plus de monde dans les transports en commun. Pour elle, cela tenait au fait que bien des personnes travaillent au noir pour s’en sortir financièrement. Et que le confinement se prolongeant, il leur faut le rompre afin de pouvoir s’y retrouver un minimum économiquement. Moi, je crois aussi que certaines personnes trouvent le temps long, confinées chez elles. Et comme l’occupation virale que nous vivons est invisible, elle paraît inexistante. On croit s’être habitué au danger. On croit que le plus dur est passé. S’ajoute à cela l’effet psychologique de l’heure d’été et le fait que les jours se rallongent.

 

On pense plus facilement à la mort lorsqu’il fait nuit plus vite, plus tôt et plus longtemps. Et qu’il fait sombre et gris dehors. Mais lorsque les jours se rallongent de plus en plus et qu’il fait jour de plus en plus tôt comme c’est désormais le cas…..

 

Alors que même si les températures restent fraîches (1 degré ou deux  encore ce matin, je crois) il fait beau. Il y a du soleil et les lumières du jour sont belles. D’autant plus parce qu’il y a moins de pollution atmosphérique puisqu’il y a moins de voitures qui circulent et sans doute aussi moins d’usines en activité. Et moins d’activité économique d’une manière générale.

 

 

Hier soir, une fois dans Paris, j’ai fait une partie du trajet jusqu’à mon travail en bus. L’autre partie à pied. Il y avait un peu plus de monde dans le bus que la dernière fois à la même heure.

 

Lorsqu’une femme est descendue du bus, deux hommes montés dans le bus en même temps que moi, se sont ni plus ni moins installés juste devant moi. Comme au « bon vieux temps ». Bien que l’un porte un masque (chirurgical) et l’autre, une étoffe autour de son visage, Je leur ai dit :

 

« Messieurs, il n ‘y a pas un mètre, là ! ».

 

L’un des deux, l’aîné visiblement, m’a répondu dans un sourire :

 

« On ne va pas rester debout, quand même…. ».

 

Je me suis abstenu de faire du mauvais esprit et de dire :

 

« Lorsque vous serez mort, vous n’aurez plus besoin de vous asseoir ».

 

A la place, je me suis levé et je me suis reculé. Mais voilà qu’arrive un autre homme, « tendance » SDF qui vient s’asseoir presque en vis-à-vis avec moi. Je me lève et m’éloigne encore. Cette fois, je me rapproche de l’avant du bus où je m’assieds à une distance de un mètre d’autres passagers déjà assis. Dont une dame, sur ma gauche, qui porte un masque et qui tricote ou regarde son téléphone portable.

 

 

Dix minutes passent à peine lorsque mon ex-voisin « tendance » SDF commence à se plaindre et à demander à ce que l’on appelle les pompiers !  Le chauffeur de bus l’interpelle, alors : «  Qu’est-ce qui se passe, monsieur ?! » tout en continuant de rouler. Et les deux hommes «  On ne va pas rester debout, quand même », qui sont désormais les plus proches de l’homme qui se plaint attendant manifestement que ça se passe. Aucun des deux ne réagit particulièrement.

 

 

Trente secondes plus tard, je suis dehors et je marche. Je laisse le bus repartir. Je tombe sur ce coucher de soleil que je prends en photo avec la Tour Eiffel en arrière plan.

 

 

Après une bonne demi-heure de marche, je me rapproche de mon service quand je tombe sur une jeune hospitalisée, dehors. Elle est en pleurs et en compagnie d’un homme qui m’explique qu’il allait appeler ses parents.

La jeune me répond qu’elle vient de fuguer du service. Elle me suit sans difficulté. L’homme, rassuré de savoir que je connais cette jeune, nous salue.

 

 

Tout en marchant vers le service, la jeune me répond qu’elle voulait revoir ses parents. Que ceux-ci lui manquent. Elle me montre par où elle a fugué. Sa fugue me rappelle une autre fugue il y a plus de quinze ans dans un autre service où j’avais travaillé.

Ce jour-là, après être allé au cinéma, j’avais opté pour aller faire un tour au magasin Virgin à la Défense. Magasin depuis remplacé par un Mark & Spencer si je ne me trompe.

 

Alors que j’allais entrer dans le Virgin, j’étais tombé sur une jeune du service. Puis, une seconde. Puis, une troisième. Puis, celle qui était peut-être l’instigatrice de la fugue.

Le temps de comprendre, une des quatre jeunes m’avait déposé dans la main la « sécurité » de la fenêtre par laquelle elles avaient fugué. Le service était situé en rez de jardin.

Ensuite, cela s’était passé très vite. « L’instigatrice » de la fugue (une fugueuse multirécidiviste. Dont une des fugues solitaires s’était mal terminée pour elle en ce sens que, recueillie par un homme, elle s’était faite violer par lui) avait donné le signal et les quatre jeunes s’étaient mises à courir dans la Défense, me laissant sur place. J’avais prévenu mes collègues d’alors qui se demandaient où ces jeunes avaient bien pu passer. Elles avaient tout « simplement » pris le RER en fraudant et s’étaient rendues à la Défense. Elles étaient finalement revenues d’elles-mêmes, saines et sauves, dans le service un peu plus tard. Sauf, peut-être, l’instigatrice de la fugue. J’ai un peu oublié.

 

 

Hier soir, la fugue de cette jeune a été plus brève. Cinq à dix minutes. Mais j’aurais pu ne pas la croiser.  Elle aussi a des « conduites à risques » : tentatives de suicide, rapports sexuels (non-protégés ?) avec des hommes….

 

Plus tard hier soir, au moment d’aller dans sa chambre, elle me remerciera en quelque sorte. Et m’expliquera que ma présence l’avait rassurée. Car l’homme avec lequel je l’avais trouvée, lui faisait « peur » car elle ne le connaissait pas. Comme m’a dit ma collègue de nuit : peut-être que cette jeune s’est fait peur.

 

Ma collègue de nuit hier soir a d’abord été une collègue de jour terminant sa journée à 21H.

Mais à 21h15, aucune de mes collègues de nuit n’était présente. J’ai donc un peu mieux regardé le planning. Erreur de planning : une collègue encore en arrêt de travail avait été marquée comme présente hier soir avec moi.

Ma collègue de nuit mobilisable me répond qu’il n’y a déjà plus de train pour venir.

 

Je pourrais joindre le cadre d’astreinte comme on dit. Mais celle-ci ou celui-ci est un cadre qui ne connaît pas le service et qui s’occupe de l’hôpital d’une manière générale. De tous les services. Je ne sais pas sur quel genre de cadre je vais tomber. Une ou un administratif ? Un cadre ou une cadre  qui va tenter de « m’envoyer » un ou une collègue d’ailleurs qui ne connaît rien au service ? Un cadre ou une cadre qui va m’apporter plus de contraintes que d’aide ? Un cadre ou une cadre incapable de penser par lui-même ou par elle-même et va qui appliquer des protocoles et me les imposer ?

 

J’opte pour essayer de joindre nos cadres. Notre faisant fonction de cadre ne répond pas tout de suite lorsque je l’appelle. Alors, je me souviens que nous pouvons joindre notre cadre de pôle ( ex-cadre sup) à toute heure en cette période d’épidémie. Nous avons encore cette chance de pouvoir joindre notre cadre de pôle à toute heure du jour et de la nuit sur son téléphone portable. Elle nous en a informés. Je la joins rapidement. Elle me donne rapidement son aval pour que ma collègue de jour fasse cette nuit en heures sup avec moi. En deux minutes, c’est réglé, contre beaucoup plus de temps si j’étais tombé sur une cadre ou un cadre d’astreinte « collé » au protocole.

 

 

La nuit se passe bien.

 

 

 

Cette nuit, vers 5h15, une jeune vient nous trouver. Elle a une boule dans le ventre. Une angoisse. L’un de nous reste un peu avec elle, l’écoute. Discute avec elle. Lui  donne un traitement prescrit pour ce genre de situation. Cela s’apaise vers 6h05.

 

 

Dans la journée d’hier, la jeune qui nous avait sollicité toutes les 30 secondes la nuit précédente avait été transférée dans un service de psychiatrie adulte. Sans doute dans une chambre d’isolement ou chambre de contention. En tout cas, dans un service plus fermé que le nôtre.

 

 

Ce matin,  j’ai eu l’idée de retourner dans cette pharmacie où, fin février, j’avais acheté trois masques FFP2 comme je l’ai écrit à la fin de mon article Coronavirus.

 

Un peu sur la défensive, une pharmacienne m’a répondu qu’ils n’avaient plus de masques. J’ai demandé :

 

« Donc, il n’y en n’aura plus ?! ». Elle m’a répondu un peu sur le même ton, toujours sur la défensive:

 

« ça ne veut pas dire qu’il n’y en n’aura plus ! Mais on ne sait pas quand il y en aura ! ».

 

On sentait la femme qui avait été dû être agressée verbalement plus d’une fois par des clients angoissés et énervés. Mais on sentait aussi la personne apeurée par l’épidémie. Depuis mon passage dans cette pharmacie un mois plus tôt ( le 24 février), chaque caisse de cette pharmacie avait été protégée de manière éviter les contacts et….tous les personnels que j’ai croisés dans cette pharmacie, de la femme de ménage, en passant par les vigiles, ce matin, portaient un masque….FFP2. Soit, actuellement, la « Rolls » des masques préventifs en cette période d’épidémie.

 

Je me suis abstenu de dire à cette professionnelle que je « savais » que la France est en pénurie de masques. Que la Chine est aujourd’hui capable de produire 110 millions de masques par jour contre 1 million pour la France actuellement. Que je l’avais lu dans le journal Les échos que je cite, à nouveau, du jeudi 26 mars dernier. ( article de Frédéric Schaeffer, page 8 Comment la Chine est parvenue à produire 110 millions de masques par jour). ( Le sacrifice )

 

Je me suis abstenu de lui dire qu’en tant qu’infirmier dans un hôpital, j’étais un peu au courant de la pénurie de masques et de tenues préventives. Cette professionnelle et  personne subissait les événements comme tout le monde. Même si on pouvait supposer qu’elle, comme ses collègues, « bénéficiaient » sans doute d’un stock de masques FPP2. On pouvait se dire qu’elle comme ses collègues assuraient avant tout leurs arrières et que c’était chacun pour soi et le business comme d’habitude puisque la pharmacie restait ouverte et que j’imagine que son chiffre d’affaires devait être particulièrement attractif depuis l’épidémie, contrairement au chiffre d’affaires des kiosques à journaux. Et des hôpitaux publics.

 

A la place, j’ai préféré voir une certaine forme d’ironie dans ce genre de situation. Ainsi qu’un caractère comique dans ce revirement caricatural et extrême d’attitude :

 

Un mois plus tôt, le 24 février, un des collègues de cette pharmacienne me disait tranquillement qu’il espérait que « ça allait bientôt se calmer », toute cette inquiétude autour de l’épidémie du coronavirus. Tout en me vendant trois ou quatre masques à 3,99 euros l’unité, soit un tarif déja exorbitant. Un mois plus tard, cette pharmacie, entreprise privée dont le chiffre d’affaires doit être plutôt bon, ne vend plus ces masques FPP2 mais tous les personnels de cette pharmacie en portent. Pendant ce temps-là, dans mon service, dans un hôpital public, plusieurs de mes collègues sont régulièrement en colère devant cette pénurie de matériel de protection, dont, nous, «  les héros de la nation », nous manquons.

 

Pendant qu’on est encore un peu du côté des « héros de la nation », nous, les soignants.

 

Afin de témoigner du quotidien en tant «  qu’agent hospitalier » en période d’épidémie du coronavirus, j’avais pensé à une amie et collègue de ma compagne. J’en parle dans un de mes derniers articles.

 

On se souvient que cette personne que je considérais comme légitime voire plus légitime que moi pour témoigner avait finalement décliné au motif qu’elle s’estimait…. « illégitime » pour témoigner.

Depuis, cette personne a contracté le Covid. Et, je ne l’ai pas relancée pour témoigner.

 

Il semblerait qu’après s’être portée volontaire pour aller s’occuper de patients atteints du virus, en psychiatrie adulte, qu’elle l’ait attrapée. Si c’est vraiment comme ça qu’elle l’a attrapée, il lui a donc « suffi » » de quelques heures d’exposition en utilisant des masques chirurgicaux au lieu de masques FFP2 (puisqu’il n’y avait pas de masques FFP2 à disposition). Je ne me moque pas d’elle. Mais il y a quand même un aspect ironique dans la situation : se sentir illégitime pour témoigner, et, à peine une semaine plus tard, attraper le virus. C’est quand même au moins ironique. Voire comique. Fort heureusement, elle se remet chez elle du virus.

 

Il y a quelques jours, j’ai essayé de « draguer » une  de  mes collègues de jour afin qu’elle témoigne. Après que celle-ci vienne de me raconter qu’en passant par la station Stalingrad, le matin, assez tôt, pour venir au travail, qu’elle avait peur. Car elle croisait une population de toxicomanes. Et que cette population restait imprévisible. Or, à l’heure où elle passait à Stalingrad, du fait du confinement, il y avait très peu d’autres personnes dans les métros.

Ma compagne, aussi, m’avait déjà raconté l’équivalent de ce genre « d’anecdote ». En prenant le RER E, quasi-désert, en se rendant au travail.

Mais ma collègue « Stalingrad », lorsque je lui ai demandé :

« Voudrais-tu témoigner de ton quotidien durant l’épidémie ? » m’a alors répondu qu’elle ne comprenait pas ce que je lui demandais. Elle, qui venait de me dire que la prochaine fois qu’elle rencontrerait des policiers dans la rue, qu’elle leur dirait qu’il faudrait faire en sorte d’assurer la sécurité de certains endroits comme Stalingrad. Mais quand je lui ai proposé l’idée de témoigner, sous couvert d’anonymat, c’était comme si je lui avais parlé dans un métalangage.

 

Quelques nuits plus tôt, à une autre collègue, j’avais aussi fait la même proposition. Elle avait décliné, m’expliquant qu’elle avait trop de préoccupations personnelles en ce moment. Ce que je sais. Mais, aussi, sa méfiance. A quoi ce témoignage allait-il servir ? Pourquoi ? Pour qui ? Et, j’avais retrouvé certains des rouages de pensée et d’inquiétude que j’avais déjà connus il y a plusieurs années dès qu’il s’agit de demander à un infirmier de s’exprimer oralement ou par écrit. Publiquement.  Et de laisser une trace.

Laisser une trace de son expression personnelle, pour un infirmier, c’est comme laisser une empreinte sur une scène de crime.  On souffre peut-être particulièrement d’une forme de névrose de l’antiseptie, mais, cette fois, mentale : Tout doit rester propre et immaculé après notre passage. On ne doit pas pouvoir soupçonner ou suspecter que l’on a pu exister ou penser en dehors du groupe. Ou de la norme supposée du groupe dont on fait partie dans le corps médical et paramédical.

 

On peut aussi, par pudeur,  être un soignant travaillant dans le public et, pourtant, concevoir notre expression et ce que l’on pense comme relevant uniquement du domaine privé.

 

 

Donc, je ne sais pas si je fais vraiment « bien » d’écrire ce que j’écris et comment je l’écris dans ce témoignage en période d’épidémie, d’insomnie, coronavirus Covid-19. Mais je sais que d’autres ne se priveront pas et ne se privent pas de s’exprimer qu’ils soient du milieu de la santé ou étrangers à ce milieu.

 

 

La polémique autour du professeur Raoult ? D’éventuels traitements qui seraient ou pourraient être efficaces ? Je ne m’en occupe pas. Je suis concentré sur ma vie de tous les jours. Les gestes barrières. Sur mes relations avec mes collègues et les patients. Mais aussi appeler certaines personnes. Ou répondre aux messages lorsque l’on m’en envoie. Sur ma vie avec ma compagne et ma fille. Sur, par exemple, le fait que j’avais prévu de passer moins de temps sur cet article. Beaucoup moins de temps. Et, voilà, je n’ai pas encore déjeuné. Je ne me suis pas encore reposé et je suis encore en train d’écrire. Heureusement, je ne travaille pas cette nuit ni demain soir. Ce sont mes repos hebdomadaires. Demain et après-demain, je resterai avec ma fille à la maison. J’espère évidemment faire mieux qu’avant hier soir.

 

Ces derniers temps, ma compagne et moi avons commencé à regarder une série qui s’appelle Warrior, produite, je crois par la fille de Bruce Lee, Shannon Lee d’après « The Writings of Bruce Lee » peut-on lire sur la jaquette du dvd. Un des dvds empruntés à la médiathèque de ma ville lorsque celle-ci était encore ouverte. Avec Sanjuro  de Kurosowa, Guy Jamet de et avec Alex Lutz.

 

La série Warrior est moyenne. Elle réplique beaucoup ce que l’on a pu voir ailleurs. Le « héros » est un peu trop prétentieux. Il y a beaucoup de tics en ce qui concerne plusieurs des personnages. Mais cette série a un autre mérite en plus de nous faire penser à autre chose que l’épidémie. Elle nous rappelle le racisme antichinois des Etats-Unis car nous sommes, je crois, au début du 20ème siècle, au début de cette série.

 

Cette série nous rappelle que les Etats-Unis sont un pays qui s’est construit sur le racisme. Sur différents racismes. Anti-Amérindien( Dans les trois premiers épisodes de la première saison, on  n’en voit aucun dans Warrior, c’est dire !)  Antichinois, anti-Irlandais, anti-noir etc….

 

Ce pays a «  pris » le meilleur de diverses cultures, de diverses communautés tout en délimitant en permanence ces diverses cultures et ces diverses communautés. En les minant de rivalités et de haines solides. Et le pays, les Etat-Unis, s’est construit sur ça.

 

Alors, aujourd’hui, on parle beaucoup de l’épidémie, de la menace économique chinoise. On parle moins, pour l’instant, du terrorisme ou d’une catastrophe nucléaire.

Tout cela constitue, avec d’autres évidemment, des expériences bien concrètes qui peuvent nous menacer ou nous inquiéter. Mais lorsque l’on regarde d’un peu plus près l’histoire intestine des Etats-Unis, on peut se dire que Chine ou pas, épidémie de Coronavirus ou pas, les Etats-Unis possèdent déjà en eux, depuis le début, tout ce qu’il faut pour s’autodétruire un jour ou l’autre.

 

Donc, peut-être que, plutôt que de s’obséder uniquement sur l’épidémie du coronavirus et de tout ce dont elle nous prive ou peut nous priver, faut-il, aussi, prendre le temps de l’introspection. Et essayer de construire. Et essayer de voir ce qui, en nous, peut nous permettre d’esquiver notre tendance- assez automatique- à l’autodestruction. Et au déni.

 

Franck Unimon, ce mercredi 1er avril 2020.

 

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Corona Circus Crédibilité

Le sacrifice

 

                                                    Le Sacrifice

Pour la première fois hier soir et encore un peu plus, il y a quelques heures, j’ai remis de l’humour dans mes articles. Oui, je crois que je peux concevoir de l’humour. Et, quelques fois, d’autres personnes le croient aussi.

 

Depuis la première allocution du Président concernant l’épidémie (c’est étonnant, je n’ai déjà plus envie de citer le nom du Président ni même de l’appeler «  Général »), j’ai en effet transféré ce que je prends pour de l’humour dans un de mes articles intitulé Je l’aimerais peut-être. Article plus drôle que l’article Ce serait facile que j’avais écrit hier matin et que j’avais renoncé, pour l’instant, à publier. Car je m’étais dit que cet article, Ce serait facile,  n’était vraiment pas drôle.

Mon article Contrainte et motivation écrit auparavant et par contre, lui, publié sur mon blog, n’était pas particulièrement drôle non plus, je pense.

 

Donc, hier soir, j’ai commencé à me dire que ce serait bien, mieux, de respirer après ces articles que j’écris depuis bientôt dix jours ou un peu plus. Car, oui, depuis la première allocution du Président de la République (même le mot «  République » me dérange), j’avais perdu la notion du temps. J’avais oublié la date de l’allocution : Le 16 mars 2020. Il y a 11 jours. 11 jours pour changer d’époque. Et de vie.

 

Enfin, depuis hier ou avant hier, je commençais, je crois, à m’adapter. J’ai acheté plusieurs journaux avant hier afin de lire ce qui se dit et ce qui se passe dans le monde à la fois concernant l’épidémie. Mais aussi pour sortir la tête du chaudron. Et ça a marché, d’acheter ces journaux, de commencer à les lire ( Les Echos, The Times, El Pais, Le Parisien, Le Monde, Le Canard Enchaîné d’autres….j’en ai eu pour près de 30 euros de journaux papier. Non, non, les journaux ne se vendent pas tant que ça m’avait-il été répondu : « Entre choisir de sortir pour faire des courses ou venir acheter le journal, les gens préfèrent aller faire des courses » m’avait-il été expliqué. Par contre, toujours pas de trace du journal El Watan). 

Ce matin, j’ai aussi changé la chambre à air de la roue arrière de mon vélo. Je ne crois pas que le Tour de France acceptera de me prendre comme préparateur de vélos mais je suis néanmoins arrivé à rendre mon vélo de nouveau utilisable.

Des pompiers effectuant un Footing hier ou ce matin près des Galeries Lafayette.

 

Ensuite, je suis allé faire quelques courses- dont du thé Matcha- à propos duquel j’ai lu beaucoup de bien pour la santé en me disant que je n’aurai plus de raison de sortir pendant tout le week-end jusqu’à ma reprise du travail, ce lundi.

 

Mais, dans ma tête, ça a changé depuis moins d’une heure. Il a suffi d’un message laissé sur mon téléphone portable cette après-midi alors que je me reposais de ma nuit. Pour l’instant, je n’en n’ai pas parlé à ma compagne. Je la crois plus inquiète que moi vis-à-vis de ce qui se passe.

 

Dans ce message, mon ancien collègue infirmier qui est maintenant « faisant fonction de cadre infirmier » m’explique qu’il a reçu de nouvelles informations. Qu’il aimerait m’en parler. J’ai compris en écoutant qu’il est question soit d’aller remplacer de jour dans mon service ( je travaille de nuit) ou d’aller dans un service «  Covid » de l’hôpital qui m’emploie : Certains patients porteurs de troubles psychiatriques ont contracté le virus. Et, bien-sûr, il convient de les surveiller d’une façon particulière en raison du risque médical et vital. Jusque là, rien d’étonnant au vu des « événements».

 

 

Sauf que ma compagne étant aussi infirmière, elle est aussi susceptible que moi d’être sollicitée pour les mêmes raisons. Et que, elle comme moi, sommes un petit peu au courant…du manque de matériel de protection pour les soignants (masques, tenues, gel hydro-alcoolique….). Puisque nous sommes directement concernés.

 

Dans le journal Les Echos de ce jeudi 26 mars 2020, on apprend par exemple dans l’article  Comment la Chine est parvenue à produire 110 millions de masques par jour ( page 8, signé F.S pour Frédéric Schaeffer sans doute) que des milliers d’entreprises chinoises produisent des masques, y compris des entreprises ( tant publiques que privées), qui, initialement, étaient sur d’autres secteurs ( automobile, électronique etc…). L’article se conclut ainsi : « A lui seul, BYD produit 5 millions de masques par jour. Cinq fois plus que la France ».

 

Sur la même page de Les Echos, Guillèn del Barrio, un infirmier urgentiste à Madrid, déclare dans l’article de Cécile Thibaud :

 

«  A Madrid, nous manquons de lits, de matériel, de personnel, de tout…. ».

Nous apprenons aussi dans cet article que : « Avec 3.434 décès depuis le début de l’épidémie, le pays compte déjà plus de victimes mortelles que la Chine ( 3.281 selon les chiffres de Pékin).

 

Dans le même journal, à la même date, toujours, on peut apprendre néanmoins que la France, pour l’instant, gère (bien) mieux l’épidémie que les Etats-Unis  ( article Les Etats-Unis, prochain épicentre de la pandémie mondiale, article de Virginie Robert, page 7.

 

Les Etats-Unis ont mal géré l’épidémie,  d’abord, nous explique Les Echos parce qu’il y a encore un mois, le Président américain Donald Trump «  dédramatisant les risques de l’épidémie, demandait seulement au Congrès….2,5 milliards de dollars, pour acheter des équipements de protection et surveiller la progression du virus » ( article Washington déploie l’artillerie lourde pour sauver son économie de Véronique Billon, page 6, Les Echos du jeudi 26 mars 2020).

 

Sauf que, poursuit le même article «  Les Etats-Unis sont devenus entre-temps le troisième foyer mondial de l’épidémie de coronavirus derrière la Chine et l’Italie, avec plus de 55.000 cas de contamination, et plus de 800 décès, selon le décompte de l’université Johns Hopkins ».

 

 

Ensuite, la France offre une « assurance-santé quasi gratuite alors qu’elle est liée à l’emploi aux Etats-Unis » (propos de Roland Lescure, député ( LREM) des Français d’Amérique du Nord, président de la commission des Affaires économiques dans l’article intitulé Quand on est dans la tranchée, on ne s’interroge pas sur le coût des munitions, signé V.L.B, page 7 toujours dans Les Echos de ce jeudi 26 mars 2020.

 

« Avant même d’en mesurer les conséquences, le modèle social made in USA en lui-même aura participé à la profondeur de la crise : Un quart des salariés ne bénéficient d’aucun congé maladie payé et même un sur deux dans les métiers les moins rémunérés (….) quel choix, dès lors, avait un salarié légèrement fiévreux travaillant dans un hôtel, un restaurant ou un supermarché ? » (article coronavirus : un «  stresse test » pour le modèle social américain, de Véronique Le Billon, page 9 Les Echos  du jeudi 26 mars 2020.

 

Autre handicap des Etats-Unis pour gérer l’épidémie comparativement à la France, toujours dans le même article :

 

« Vu de l’extérieur, il n’y a qu’un président aux Etats-Unis- Donald Trump. Mais, en réalité, cinquante gouverneurs décident chacun du degré de confinement dans leur Etat, sans beaucoup de concertation. Avec un Donald Trump alternant déni, prise de conscience et optimisme démesuré, l’absence de cap clair aggrave aussi la crise et le « chacun pour soi ».

 

Le « Chacun pour soi », ça peut donner ça (à nouveau, l’article Les Etats-Unis, prochain épicentre de la pandémie mondiale) :

 

« A Manhattan, l’argent fait plus que jamais la différence pour se procurer au marché noir des masques vendus à prix d’or ou carrément des appareils de ventilation ( s’ils en trouvent) que les plus riches gardent sous le coude, au cas où, rapportent des résident effarés ».

 

 

Néanmoins, les Etats-Unis ont réussi à adopter un plan de sauvetage de «  2.000 milliards de dollars » dont « 100 milliards » sont destinés aux « hôpitaux » et aux « prestataires de soins » ( article Prêts, chèques et allégements de charges : un plan hors normes de V.L.B et N.Ra, page 6 de Les Echos de ce jeudi 26 mars 2020).

 

 

La France aussi fait des efforts avec de moindres moyens financiers. « 100 milliards de dollars » aux Etats-Unis pour les hôpitaux et les prestataires de soins ? J’ai oublié ce que le gouvernement français avait proposé ou a proposé en termes d’aide financière pour les hôpitaux. Dans les 300 millions d’euros ou quelque chose comme ça, non ?

 

 

De notre côté, en France, le « chacun pour soi » a aussi commencé. Hier matin en rentrant, j’étais à peine descendu du train dans ma ville que deux ou trois hommes commençaient déjà à entrer. J’ai dû un peu m’imposer. Il y avait pourtant largement le temps, et la place dans la voiture, pour me laisser sortir. Même s’il peut y avoir du meilleur chez l’être humain, devant ce comportement,  je me suis demandé ce que ça allait donner après deux ou trois semaines de couvre-feu et de confinement.

 

 Un peu plus tôt, dans le service, deux de mes collègues du matin étaient en colère :

Dans la rue, on pouvait voir des personnes porter un masque FFP2 alors qu’il en manquait à l’hôpital. Des stocks de masques et de gel hydro-alcoolique auraient été volés dans des hôpitaux.

Un de mes collègues a affirmé que dans d’autres services de psychiatrie, le personnel était fourni en tenues, alors que nous, nous n’en n’avions plus et devions nous contenter de masques chirurgicaux. Il fallait savoir ! Il y a encore peu, en raison de suspicion de coronavirus, nous devions tous porter dans le service une tenue et porter un masque. Et, maintenant, on nous disait que cela n’était plus nécessaire de porter une tenue. Parce qu’il en manquait ?! Ou parce-que cela n’était plus nécessaire?! 

 

De nuit, dans mon service, en ce moment, quatre collègues sont en arrêt de travail.

Ce matin, une aide-soignante intérimaire déjà venue travailler dans notre service est revenue. Les hôpitaux et les établissements de santé (tant publics que privés) font appel à du personnel intérimaire ou vacataire depuis au moins trente ans. Ce n’est donc pas une nouveauté. J’ai aussi été intérimaire et vacataire. Et, j’avais même entendu dire que sans ce personnel intérimaire ou vacataire, bien des établissements de santé ne pourraient pas tenir. Ceci pour souligner que la pénurie de personnel soignant qui s’est accentuée ces dix dernières années – en décidant de ne pas remplacer le personnel parti ou convalescent, ou en supprimant des postes- a, à mon avis, amplifié une pénurie qui était déjà persistante dans les murs des établissements de soins.  Un peu comme un incendie à combustion lente.

Et ces choix «  très avisés » de gestion de personnel, de locaux, de façon de soigner et de planning éclaboussent en premier lieu les soignants qui sont dans les services et qui doivent « assurer » en servant de contre-feu.

 

On peut se dire que le fait de devoir dépendre de personnel intérimaire, donc particulièrement « itinérant », est une incohérence supplémentaire dans la gestion de la crise sanitaire actuelle. J’ai préféré voir « dans » cette collègue intérimaire la possibilité de savoir comment ça se passait dans un autre service de l’hôpital : Celle-ci m’a appris avoir effectué une mission récemment dans un service d’hospitalisation psychiatrique adulte où il n y avait pas assez de matériel de protection pour tous les soignants. J’en ai donc déduit- si comme un de mes collègues l’a affirmé, certains services de l’hôpital sont bien équipés en matériel de protection- que tous les services de notre hôpital ne bénéficient pas, de manière égale, des mêmes moyens de protection en masques, tenues, gels hydro-alcooliques etc….

 

 

Ce qui nous amène un peu plus au sujet de cet article. Il y a une heure maintenant, je suis allé souhaiter une bonne nuit à ma fille. Pour la première fois depuis les mesures relatives au couvre-feu et au confinement débutées il y a une dizaine de jours, je l’ai regardée différemment. Alors que ma fille me parlait et me souriait, et m’interrogeait sur le soleil, les étoiles, le carburant, comment ça se fabrique… mon cerveau se dédoublait. S’il est assez fréquent d’entendre que les hommes ne peuvent pas faire deux choses en même temps contrairement aux femmes, cela est faux pour les hommes qui sont pères, éducateurs ou se sentent responsables de quelqu’un d’autre.

 

Je n’ai pas particulièrement peur, pour l’instant, de mourir du coronavirus en allant au travail. Par contre, l’idée que ma fille soit exposée à la perte d’un ou de ses deux parents en raison d’un manque de matériel de protection alors même que « l’on » nous demande d’aller au casse-pipe ne passe pas. Ça ne passe pas. On peut me parler de «  héros de la Nation », de médaille, de nom de rue, de Panthéon, des « honneurs de la France » et de tout ce que l’on veut. Je ne prends pas. A la place de «  Héros de la Nation », j’entends plutôt les termes de «  Couillon de la Nation » si je décède ou que ma compagne décède parce-que nous aurons été mis en contact du coronavirus par manque de matériel. Du fait de mauvais choix répétés depuis des années concernant la façon de gérer les hôpitaux ainsi que le personnel soignant.

 

Par ailleurs, je n’ai pas été étonné d’apprendre que des soignants avaient été ostracisés car leur voisinage craignait qu’ils ne propagent l’épidémie.

Après l’épidémie, je suis curieux de voir ce que l’on nous dira à propos de notre fille quand elle retournera à l’école. Devra-t’elle observer une quarantaine supplémentaire par rapport aux autres enfants ? Sera-elle suspectée de pouvoir contaminer l’école ?

Et, même nous, les « héros ». On veut des héros qui se sacrifient pour nous. Ensuite, si les conditions sont réunies, et qu’on le souhaite, et aussi selon certains critères, on en choisira quelques unes ou quelques uns que l’on remerciera publiquement. Ou on permettra peut-être à leurs cadavres d’être enterrés avec des honneurs qui lui étaient interdits de leur vivant où leur statut était à peu près équivalent à celui d’un ver. On assurera à leurs proches ou à leurs descendants  » toute la reconnaissance » que la Nation leur porte. 

 

Mais il y a néanmoins des bonnes nouvelles. Dans le journal Les Echos de ce 26 mars que j’ai abondamment cité, il y a plusieurs articles où des personnes louent le numérique, la très haute capacité d’adaptation des Start-Up et les vertus de l’informatique, du télétravail, de la « communication » etc…que toutes les nouvelles technologies permettent. Puisqu’elles permettent de continuer de travailler, de s’adapter et de rester confinés.

 

Je ne conteste pas ces atouts. Sauf que ce sont- aussi- des personnes férues des nouvelles technologies, des algorithmes et des calculs en tout genre qui ont fini par être convaincues et par convaincre que l’on pouvait tout maitriser à la seconde près et s’ajuster en permanence aux événements. Cette épidémie, et d’autres catastrophes, avant et après elle, démontrent bien le contraire. Quels que soient les réels avantages que donnent les nouvelles technologies.

 

Et je suis très sceptique concernant notre monde s’il dépendait du tout numérique, du tout informatique. En cas de panne. En cas de virus informatique. En cas de piratage. En cas de désinformation. Lorsque l’on voit à quelle vitesse, et dans quelles proportions, une mauvaise information peut désormais se transmettre.

 

Il se trouve que, pour moi, notre Président actuel, mais aussi une bonne partie de celles et ceux qui l’entourent que ce soit au gouvernement ou ailleurs qui l’admirent et l’envient sont acquis depuis longtemps à cette conception qui est que le monde évolue et les technologies avec lui. Et que refuser ça, c’est avoir des difficultés «  à accepter le changement ». Je ne vois pas de changement dans le fait qu’il y a toujours des milliers voire des millions de personnes qui se font sacrifier ou se doivent de se sacrifier pour quelques uns qui restent bien à l’abri quelles que soient les conséquences de leurs actes et de leurs décisions. Et j’ai beaucoup de mal à l’idée de me sacrifier ou de devoir me sacrifier pour ce genre de personnes. On parle des irresponsables qui ne respectent pas les règles du confinement. D’accord. Mais ça ne m’empêche pas de voir qu’il y a des responsables tout autant irresponsables mais d’une autre façon concernant la façon de gérer ma vie.

 

Donc, pour moi, c’est évident : ma compagne ou moi, ira en renfort ou en remplacement dans un des services « Covid » de l’hôpital si nécessaire.  Je veux bien être celui qui ira. Mais pas nous deux.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 27 mars 2020.

 

 

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Je l’aimerais peut-être

                                                     

 

 

 

 

 

 

 

Peluches disposées pour marquer la distance sociale de prévention sanitaire pendant l’épidémie du coronavirus Covid-19.

 

 

 

                                                            Je l’aimerais peut-être

 

J’ai vraiment eu très peur quand elle m’a dit :

« Désormais que nous sommes confinés ensemble, je saurai quand tu mens ».

 

 

J’ai écrit ça sur ma page Facebook hier soir et ça a permis de faire sourire quelques personnes. J’en suis content. On pourra trouver ce genre d’humour misogyne et facile. Mais ça m’a fait du bien. Il était temps de transférer un peu d’humour dans ce que j’écris depuis une dizaine de jours.

 

Puis, j’ai failli ajouter :

 

« C’est le moment où jamais de revoir le film The Mask ».

 

Et, tout à l’heure, je viens de « trouver » :

 

« On a l’impression qu’aller faire des courses ou aller au travail est un acte héroïque tant on prend de risques. Ce soir, je regarderai dans le ciel comme dans Hunger Games pour voir si  j’y reconnais mon visage avec la petite musique ».

 

 

Mon humour ne plaira pas à tout le monde. Certaines personnes ne le comprendront pas et le trouveront déplacé car ce qui se passe en moment est grave et pesant. Mais ça fait des années, depuis l’enfance, que l’humour me permet de m’échapper de certaines situations très mal embouchées où l’anéantissement semble le  seul aboutissement possible. Evidemment, j’aimerais permettre à d’autres personnes de s’échapper avec moi par la porte de secours de l’humour. Mais je ne suis pas seul à en décider. Et je ne peux pas tout le temps faire «  le clown ».  Je trouve que faire rire tout le temps revient à en faire des tonnes et, pour ça, je n’envie pas les humoristes professionnels qui se doivent en permanence d’être des athlètes de –très- haut niveau de l’humour et en mesure de prouver rapidement et facilement qu’ils sont « bons ».

 

Moi,  je ne fais que tenter quelques pirouettes comme on essaie de réaliser un plat ou de lancer une crêpe en l’air avant de la rattraper. Des fois, ça passe et on est content. D’autres fois, non, et c’est comme ça. Ce n’est pas une raison pour s’arrêter de faire de l’humour si d’autres fois on a pu réussir son coup. Et si on a envie de tenter une « figure ».

 

On parle de mécanique du rire mais il est des moments où le rire arrive parce que nous sommes dans un moment de tension et d’émotion que la « farce » rompt  telle une poche des eaux. Et c’est ça qui fait rire ou sourire.  Cet écoulement possible hors de soi  par le rire ou le sourire. Mais personne, je crois, ne peut vraiment le prévoir avec certitude sans tenter cette figure.

 

Confinés 1.

 

En plus austère, j’ai d’emblée beaucoup aimé ce titre d’une chanson de Jimi Hendrix lorsque je l’ai lue la première fois il y a des années :

 

« I Woke up this morning And Found Out I Was dead ». J’ai peu de fois écouté ce titre. Ce n’est pas celui que je préfère de lui. Je préfère le titre à la chanson mais je n’ai pas écouté les paroles et c’était il y a très longtemps lorsque j’ai écouté cette chanson. Peut-être faudrait-il que je la réécoute lorsque je serai mort. Et, alors, je l’aimerais peut-être.  

 

En attendant, je préfère des titres comme If 6 was 9 ;  Castles made of sand ; Bold Love et d’autres…..

 

Confinés 2.

 

 

Franck Unimon, vendredi 27 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Ce serait facile

  

                                                   Ce serait facile

 

«  Aux Grands Hommes La Patrie Reconnaissante » peut-on lire à l’entrée du Panthéon.

Je vais finir par connaître cette phrase par cœur. Mais il y a une autre affirmation que depuis le couvre-feu décidé la semaine dernière, l’épidémie du Coronavirus Covid-19 va continuer de m’apprendre pendant plusieurs semaines :

 

« Hier à l’abandon, aujourd’hui, les soignants des hôpitaux publics sont les héros de la Nation ».

 

L’épidémie est dérangeante car en plus de nous désarmer et de tuer, elle nous oblige à comprendre que notre mémoire est changeante. Même si des monuments présents depuis des siècles sont là pour nous rappeler l’Histoire.

 

Cela a été facile d’oublier l’Histoire des hôpitaux publics. Même moi, je la connais peu.

 

Mais je me souviens encore que les mouvements de contestation des soignants  existent depuis plus d’une génération : ils n’ont pas débuté « seulement » en 2004 ou en 2005 avec la T2A, depuis dix ans ou quelques mois comme on peut encore le lire.  

 

A la fin des années 80, déjà  (au 20ème siècle). Cela serait très facile de continuer de l’oublier.

 

Comme cela serait très facile de croire qu’une prime et une revalorisation salariale vont suffire, comme d’autres fois, à gagner du temps, alors que les hôpitaux publics, comme d’autres institutions publiques, sont le miroir de la société mais aussi son socle.

 

Cela a été très facile de l’oublier. De l’ignorer. De (se) regarder dans d’autres miroirs. De « gérer » le sujet. De considérer qu’il y avait d’autres priorités.   

 

Et l’épidémie s’est imposée. C’est l’équivalent d’un Krach en bourse- mais en direct- que peu de personnes ont vu venir. Sauf que donner de l’argent, du matériel, s’ils font partie de la solution, ne vont pas suffire. Il va falloir donner de la pensée, du temps et du futur qu’on a bradé. Donner ce que l’on n’a pas ou plus que ce que l’on a, c’est souvent ce que l’on fait à l’hôpital tandis que d’autres prennent beaucoup plus qu’ils ne donnent. Ce n’est pas nouveau dans notre société. Ce serait facile de l’oublier.

 

Il va falloir rendre une autre vision du monde plutôt que de continuer à contribuer à sa division. Car, aujourd’hui, la division du monde est blindée et couverte par l’épidémie.

 

Ce serait facile de croire qu’après elle, nous serons prêts, que nous aurons tout prévu, que nous aurons tout modélisé et serons capables de tout maitriser. C’est ce que nous avons cru avant l’épidémie. 

 

Franck Unimon, jeudi 26 mars 2020.

 

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Objectif de conscience

 

Lorsque l’ami Zez m’a demandé de témoigner concernant mon quotidien en tant « qu’agent hospitalier », j’ai commencé à me gratter l’arrière-train et à entonner un refrain plus rôdé que mes pensées.

 

Tout d’abord, je lui ai proposé de lire mes deux derniers articles Vent d’âme et Adaptations que l’on peut trouver sur mon blog en lui disant :

 

«  Peut-être que tu trouveras dedans ce que tu cherches ». J’étais content de moi. Je me suis dit qu’encore une fois, même si lui et moi nous connaissons finalement assez peu, certaines de nos préoccupations se rejoignent.

 

Et, puis, Zez m’a recontacté :

 

« J’aime beaucoup tes articles mais c’est trop (ou très) poétique. Ce n’est pas ce que je recherche. Ce que je veux, vraiment, c’est comment tu vis, comment, lorsque l’on est agent hospitalier, on vit l’épidémie dans son quotidien. Comment vous vivez avec ça. Parce-que vous êtes quand même supposés être les sauveurs de la Nation… ».

 

Et, là, j’ai été coincé. J’ai à nouveau ressenti en mon fors intérieur cet interdit déjà ressenti plusieurs fois lorsqu’il s’agit de s’exprimer en tant qu’infirmier sur la place publique.  Bien-sûr,  entre-temps, j’avais compris que lorsque Zez parle «  d’agent hospitalier », il ne pense pas forcément à un ASH, un agent de service hospitalier comme je l’ai d’abord pensé. Mais à tout agent hospitalier. A toute personne qui travaille dans un hôpital public et qui, du fait de l’épidémie, se trouve officiellement engagé depuis cette semaine dans cette « Guerre sanitaire » dont a parlé et reparlé notre Président de la République à la télé. Ainsi que son Premier Ministre et/ou son Ministre de l’intérieur, je ne sais plus.

 

Mais il existe souvent un mur entre cette demande, spontanée, de bien des personnes qui souhaiteraient que des professionnels de l’hôpital s’expriment. Et les professionnels de l’hôpital qui peuvent hésiter ou refuser de le faire. Je ne parle pas, évidemment, des médecins et des psychologues qui sont souvent les plus sollicités ou les plus volontaires dès qu’il s’agit de s’exprimer sur une situation donnée dès qu’il s’agit de l’hôpital et, cela, bien avant l’épidémie actuelle.

 

Non, je parle de tous les autres qui sont, par ailleurs, souvent les plus nombreux et que l’on pourrait presque surnommer la « majorité » silencieuse, souvent anxieuse, peureuse ou voire honteuse à l’idée de s’exprimer à visage découvert. Et même sous couvert d’anonymat.

 

Parce-que, comme je l’ai expliqué à Zez au téléphone, car il m’a semblé nécessaire de le lui dire directement par téléphone plutôt que de poursuivre notre correspondance par sms :

«  A l’hôpital, la parole n’est pas libre ».

 

J’ai ajouté :

«  Moi, encore, j’écris et je suis plus ou moins à l’aise pour m’exprimer en public mais ça n’est pas le cas de beaucoup de mes collègues ».

J’ai continué à expliquer à Zez :

« Dans certains de mes articles, je parle de certaines et de certains de mes collègues. Pourtant, même si je fais en sorte que personne ne les reconnaisse et qu’à mon avis, personne ne les reconnaîtra en lisant mes articles, je ne suis pas sûr que certaines et certains d’entre eux, en  se reconnaissant dans un de mes articles, ne m’en veuillent pas ».

 

Et, très content de moi et de mon argumentation, car j’étais inspiré et Zez semblait de plus en plus convaincu par mes arguments, j’ai placé ce qui était l’estocade :

«  Il faut savoir que dès le début de notre formation, nous sommes formés au secret professionnel…», ce que Zez a traduit de son côté : «  Ah, oui, le serment d’Hippocrate ».

 

Je n’ai même pas essayé de lui dire que le serment d’Hippocrate concerne les médecins. Pour moi, Zez, avait compris ce que je voulais dire : notre parole, en tant qu’agent hospitalier, n’est pas libre. Nous sommes surtout libres dans le silence et l’anonymat.

 

Je me rappelle que Zez et moi, nous sommes quittés au téléphone avec l’idée qu’il essaierait de piocher dans mes deux articles ce qu’il pourrait. J’ai oublié si je lui ai dit que j’allais réfléchir. Par, contre, oui, je voulais bien lui fournir la play-list des morceaux de musique que j’écoute pour me changer les idées en ce moment.

 

Depuis, une nuit est passée. Et, cela m’a apparemment permis de « dé-rusher » ma conscience.

 

D’abord, je suis retourné au travail à vélo. A 20h, hier soir,  je me trouvais dans une des rues- plutôt désertes- d’Asnières, lorsque j’ai entendu des gens applaudir. Je « savais » que ces personnes, depuis leur balcon,  applaudissaient les soignants pour les remercier et les encourager. J’en avais été informé par une chaine de messages reçus sur ma messagerie messenger. Mais aussi sur un des panneaux d’information dans ma ville.

 

Je sais très bien que je ne suis pas Superman. Que je ne suis pas un héros. Mais entendre ces applaudissements alors que me dirigeais à vélo au travail a fini par m’atteindre. Même si ces gens qui applaudissaient dans cette pénombre claudicante ne pouvaient pas savoir qui j’étais vraiment. Même si je me suis dit que sur mon lit de mourant, ces applaudissements ne me guériraient pas. L’attention et la bonne humeur de ces personnes étaient sincères et cela m’a quand même fait plaisir de faire partie de celles et ceux à qui ces applaudissements étaient adressés.

Pourtant, j’ai été soulagé lorsque les applaudissements se sont arrêtés. Oui, soulagé. Sans doute estimais-je que je ne méritais pas ces applaudissements. Et que « d’autres », des vrais soignants, des vrais héros, les méritaient bien plus que moi.

 

Mais, comme on le dit, on est souvent « l’autre » de quelqu’un ou de quelque chose.

 

Près de Levallois, j’avais un pied posé à terre au feu rouge lorsqu’une fusée est passée à côté de moi. Une femme à vélo. Sans casque. Elle m’a rapidement mis à peu près cent mètres dans la vue. Je compte reparler des femmes que j’aperçois dans les rues lorsque je vais au travail à vélo ou en reviens ces derniers temps. ( L’Avenir de l’Humanité).

 

A quelques mètres de mon service, rebelote, je tourne la tête, qu’est-ce que je vois ?

 

Une jeune femme à vélo sur la route, portant un cycliste noir. Celle-ci, dotée  d’un fessier de pistarde grimpait la route avec conviction. Comme la précédente, quelques kilomètres plus tôt, elle roulait sans casque.

 

 

Dans le service, lorsque j’ai rejoint les collègues dans la salle de soins pour les transmissions, cela a été très vite une autre ambiance.

 

Depuis ma dernière nuit de travail, deux nuits plus tôt, notre service de pédopsychiatrie s’était transformé en service de bloc opératoire. Deux jours plus tôt, nous étions tous avec nos vêtements de la vie civile comme d’habitude. Là, par dessus leurs vêtements civils, ou voire avec simplement leurs sous-vêtements en dessous ( c’est ce que j’ai fait. J’ai pris une taille bien trop grande), tous mes collègues portaient un masque chirurgical et s’étaient mis en « pyjama » en papier, de bloc, de la tête aux pieds. Manquaient la charlotte, les gants stériles et les chaussures de bloc. Mais tout le monde était déjà suffisamment équipé pour que soit tourné un épisode de la série Urgences.

J’étais bien-sûr au courant : un jeune hospitalisé récemment avait été en contact, avant son hospitalisation dans « notre » service de pédopsychiatrie, avec une personne qui s’était avérée porteuse du coronavirus Covid-19.

 

Alors que les transmissions se déroulaient, je digérais l’information suivante : notre environnement professionnel et, donc, notre comportement de professionnel et d’individu, avait été modifié rapidement.  Telle une fonte brutale des glaces entre l’hiver et le printemps dans certains régions.

 

Qu’y’ a-t’il de si particulier dans le fait d’apprendre que des soignants, dans un service hospitalier, portent chacun un pyjama de bloc et un masque chirurgical dans un contexte de grande épidémie qui concerne le pays ?

 

D’abord le fait que ce genre de précautions et d’attitudes tranche avec notre univers mental en psychiatrie. Même si, on s’en doute bien, le coronavirus  covid-19 ne va pas faire d’exception pour nous qui travaillons en psychiatrie.

Le virus ne va pas se dire :

« Je suis le Grand Méchant Loup qui laisse tranquille tous les petits cochons qui se sont réfugiés en psychiatrie et en pédopsychiatrie…. ».

 

Ce qu’il y a de particulier, c’est qu’un soignant, quelle que soit sa spécialité, en psychiatrie ou en soins somatiques, n’est pas un individu que l’on sort d’un coma artificiel prolongé- ou d’une éprouvette- comme on le voit dans un film de science-fiction et à qui l’on dit :

 

«  Réveille-toi, va soigner et sauver les gens sans te retourner derrière toi ».  Ce sera peut-être comme ça un jour. Mais, pour l’instant, une soignante, un soignant, c’est encore souvent et toujours, une personne qui a une vie en dehors de son travail. Et qui a un entourage amical, familial ou autre. C’est une personne qui a des tracas personnels. Et qui est perméable aux tracas que peuvent vivre ou susciter des membres de leur entourage.

 

Une soignante et un soignant, c’est aussi une personne qui écoute les informations et qui reçoit des informations par différents canaux. Et, lorsqu’elle ou il arrive au travail, une soignante et un soignant est donc loin d’être une personne « neutre » ou « vierge » de toute influence de l’extérieur. Même si, lors de mes études d’infirmier, on savait nous rappeler qu’en tant que professionnels, nous nous devions d’être…. « objectifs ». Evidemment, il s’agit, pour rester professionnel de savoir trancher, de savoir délimiter mentalement notre vie extérieure de notre vie professionnelle. Certaines personnes y arrivent mieux que d’autres voire peut-être trop bien d’ailleurs, mais penser, néanmoins, que ce qui se passe à l’extérieur, dans notre vie personnelle, n’a aucune incidence, jamais, sur notre vie professionnelle……

 

 

Concernant l’épidémie, il y a donc bien-sûr la «  Guerre sanitaire » qu’on lui livre actuellement. Mais il en est une autre, plus personnelle et plus solitaire que chaque soignante et chaque soignant livre tous les jours comme tout un chacun. Et, cette guerre personnelle et solitaire, il n’y a qu’elle, il n’y a que lui, qui peut en parler, qui pourra en parler, car il s’agit de la sienne et elle n’intéresse que lui, ses intimes, et, peut-être quelques auteurs et quelques chercheurs qui s’intéresseront ensuite à ce genre de sujet.

 

C’est à propos de cette guerre-là que Zez m’a interrogé et que, spontanément, j’ai voulu me taire sous tout un tas de prétextes.

 

Même si j’ai fini par lui envoyer un sms où je lui ai proposé d’en parler à quelqu’un que je « connais» que je sais être engagé et qui, selon moi, serait plus « légitime » que moi pour parler.

 

Oui, «  légitime ». Car c’est aussi ce que j’avais expliqué à Zez :

 

« Tu vas peut-être trouver ça étonnant mais je ne me sens pas légitime pour parler de ce sujet ».

 

C’était en effet très étonnant !

 

Depuis des années, je passe mon temps à réclamer la parole,  à la prendre, à m’exprimer, que ce soit en écrivant et en me mettant en scène, quand je le fais,  en tant que comédien, et par mes écrits et, là, on me demande de parler- j’ai quartier libre- de mon quotidien au cours de l’épidémie et je suis pressé de disparaître des radars.

 

 

J’ai réfléchi à ce sentiment d’illégitimité.

 

 

Premier constat : je me suis senti illégitime parce-que, par rapport à nos collègues des soins somatiques (chirurgie, urgences, réanimation, SAMU et autres….) la psychiatrie et la pédopsychiatrie traînent depuis longtemps ce sentiment d’infériorité. Je croyais m’être plutôt vacciné contre cette « supériorité » de la technique des soins somatiques qui m’avait été inculquée dès ma formation. Mon sentiment d’illégitimité m’oblige à me rendre compte que, en pleine «Guerre sanitaire » et alors que l’on parle d’urgence médicale et chirurgicale, un soignant en soins psychiatriques a moins de « valeur » et de « compétences » qu’un soignant de soins somatiques. Un soignant en soins psychiatriques apparaît, en pleine « Guerre sanitaire », comme un sous-soignant ou un soignant au rabais. Et, les quelques infirmières et infirmiers diplômés en soins psychiatriques qui restent pourront très certainement parler de cette déconsidération qui les a souvent concernés lorsqu’il existait encore deux diplômes d’infirmier : un, général, afin de pratiquer dans tous les services hospitaliers avec ou sans spécialisation (anesthésie par exemple). Un autre, en soins psychiatriques, pour pratiquer en psychiatrie, et, éventuellement, en gériatrie.

Pourtant, je sais suffisamment que toute Guerre provoque ses trauma et que l’on sera bien content, à ce moment-là, d’avoir des soignants en psychiatrie et en pédopsychiatrie. Que  ce soit pendant la Guerre sanitaire actuelle ou après l’épidémie, on peut s’attendre à ce que les services de pédopsychiatrie et de psychiatrie révèlent aussi toute leur nécessité.

 

Mais, ça, c’était néanmoins de l’auto-analyse et de l’autodénigrement automatique.

 

Si nos collègues en soins somatiques ont d’évidentes aptitudes techniques que nous n’avons pas, ou oublions, en psychiatrie et en pédopsychiatrie, je me suis avisé ce matin qu’en fait, mon sentiment d’illégitimité était de toute façon antérieur au début de mes études afin de devenir infirmier. Et c’est mon second constat. Pourquoi ?

D’une part, parce-que je sais un petit peu de quoi est fait ma vie personnelle. Et, pour cela, je peux plutôt remercier mes expériences professionnelles et personnelles en psychiatrie.

D’autre part, parce-que je crois connaître un peu le monde infirmier, d’un point de vue personnel et professionnel, qu’il exerce dans un milieu général ou dans un milieu psychiatrique. Et lorsque j’ai expliqué à Zez qu’à « l’hôpital, la parole n’est pas libre », je parlais autant de la parole d’une infirmière ou d’un infirmier en soins généraux que d’une infirmière ou d’un infirmier en soins psychiatriques :

Parce-que ce n’est pas dans notre culture infirmière de prendre la parole. Même s’il y a des infirmières et des infirmiers qui prennent la parole. Et qui écrivent. Mais il s’agit d’une minorité. Et cette minorité est plus restreinte que la minorité de médecins somatiques ou psychiatriques et de psychologues cliniciens qui « parlent » et écrivent.

On n’est pas étonné d’entendre s’exprimer une personne qui sort de l’ENA ou de Polytechnique ou qui sort d’une école de la Magistrature ou d’une formation d’avocat. Ces professionnels sont formés et poussés à l’art oratoire, à apprendre à séduire l’auditoire comme à lui jouer du pipeau.

Et je ne serais pas surpris que, quelque part, dans le cursus de formation d’un médecin ou d’un psychologue, on retrouve ça : le fait d’être formé – et incité- au fait de s’exprimer, de « présenter un cas » mais aussi de réfléchir et pousser à réfléchir à son sujet.

Dans un film comme Elephant Man, la « créature » est recueillie par un médecin brillant qui en fait un cas clinique à même de critiquer la société. Pareil dans l’histoire de L’Enfant sauvage dont François Truffaut ( « né de père inconnu ») a réalisé un film. On ne parle pas d’une infirmière ou d’un infirmier que ce soit dans l’histoire de Elephant Man ou de L’enfant sauvage.

 

L’infirmier et l’infirmière en soins généraux ont bien les démarches de soins et ce qu’il en reste pour faire ça mais, disons, que ce n’est pas véritablement ce qu’on leur demande le plus. Ce que l’on demande le plus à une infirmière et à un infirmier en soins généraux, même s’il y a des variantes, c’est, d’abord : d’exécuter. Soigner. Soigner et exécuter intelligemment bien-sûr. De savoir pourquoi on réalise telle action pour soigner et comment. Et quand.  Pas de penser à ce qu’est la vie en Société ou à ce qu’elle pourrait être, ou à ce qu’elle devrait être. L’infirmier diplômé en soins psychiatriques est sûrement différent. Mais il y en a de moins en moins. Le diplôme d’Etat d’infirmier qui prépare en priorité aux soins généraux a désormais le monopole en terme de formation infirmière. Et, je suis moi-même un infirmier diplômé en soins généraux ( donc diplômé d’Etat) qui a choisi d’aller travailler en psychiatrie il y a plus de vingt ans.

C’est peut-être pour ces raisons qu’hier, je me suis senti illégitime pour parler de mon quotidien durant l’épidémie lorsque Zez me l’a demandé. Alors que, lorsque j’y ai repensé dans la nuit, j’avais ce qu’il me demandait :

Il n’est pas nécessaire d’accomplir de grandes prouesses techniques pour prendre part à une « Guerre sanitaire ». Il y a bien des bénévoles qui aident à distribuer des repas ( ou des couvertures) pendant l’épidémie et personne ne contestera qu’en faisant ça, ils prennent part à la Guerre sanitaire contre l’épidémie.  

En tant qu’infirmier, être présent pour assurer «  la continuité des soins », pour remplacer des collègues malades ou absents, s’occuper des patients, que ce soit dans un service ou au téléphone, c’est déjà participer à la Guerre sanitaire alors que d’autres préfèrent sans aucun doute rester à l’abri chez eux et faire du télétravail. Et c’est, là aussi, un constat. Le Dr House et le Dr Ross ne sont pas les seuls à permettre que la résistance hospitalière l’emporte sur l’ennemi viral et bactérien qui présente des particularités mortelles.

 

Et puis, je me suis rappelé de mon journal intime.  Hier après-midi, j’ai écrit ça dans mon journal après avoir parlé à Zez. Je n’avais pas prévu de le mettre dans cet article puisque j’étais encore dans mon sentiment d’illégitimité et qu’ensuite je me suis dit que j’allais lui proposer quelqu’un d’autre pour s’exprimer sous couvert d’anonymat  ( j’ai évidemment retiré et modifié certains passages pour des raisons d’intimité et pour que ça serve l’article) :

« Identité en crescendo, album de Rocé.

 

Ma fille est dans sa chambre depuis 14h30/15h00 officiellement pour faire sa sieste.

 

Depuis la dernière fois que j’ai écrit dans ce journal, le couvre-feu a été déclaré par le Président Macron du fait de l’épidémie du coronavirus Covid-19. Il a pris effet cette semaine, mardi ou mercredi. Ma compagne et moi faisons partie des professionnels en première ligne de cette « Guerre sanitaire » qu’a évoquée plusieurs fois le Président Macron dans son allocution présidentielle lundi soir, je crois. Je travaillais cette nuit-là avec F… ma collègue de nuit depuis plusieurs années.

 

Il s’en est ensuivi une atmosphère assez irréelle : tout, pratiquement, tourne autour de l’épidémie. Confinement, plus de contrôles. Obligation d’avoir sur soi un laissez-passer sur soi en cas de contrôle quand on sort. Je n’ai pas encore été contrôlé mais j’ai vu des contrôles.

Dès l’allocution du Président Macron, j’ai décidé de reprendre mon vélo pour aller au travail. C’est plus loin que pour se rendre à notre ancien service ( 1h05 contre 40 à 45 minutes) mais, au moins, je suis à l’air libre et me farcis moins de contrôles ( des contrôleurs + les policiers) dans les transports en commun. Et puis, ainsi, je subis moins la diminution des transports en commun.

 

J’ai le moral. Mais je suis étonné de voir comme l’épidémie a opéré une véritable voire une totale occupation mentale de la plupart des esprits. Et nous n’en sommes qu’au début de l’épidémie en France. Je crois que des personnes vont devenir folles à force d’avoir la tête mangée par l’angoisse et en permanence fourrée dans la pensée du coronavirus Covid-19.

 

Il y a deux jours, un soir, à l’heure du coucher, j’étais au téléphone avec ma compagne lorsqu’elle s’est mise  à pleurer. Soudainement. Cela m’a surpris. Je lui ai demandé si elle pensait que nous allions mourir. Elle m’a répondu qu’elle ne savait pas. Qu’elle était fatiguée. Je lui ai dit que je pense que nous ne mourrons pas. Ni elle, ni notre fille, ni moi.

 

Par contre, je crois qu’il est possible que quelqu’un que je connais meure du coronavirus. Puisque cette épidémie tue.

 

Rues désertes, transports en commun déserts, télétravail et confinement pour celles et ceux qui peuvent. Les supermarchés, les boulangeries, certains bureaux de tabac ainsi que certains points de presse sont ouverts. Tous les centres culturels et lieux publics divers sont fermés : médiathèques, musées, salles de concerts, salles de projection de presse, cinémas, piscines.

 

Notre fille, comme les autres enfants de soignants, est accueillie dans une école et un centre de loisirs dans notre ville. Cela lui permet de prendre l’air et de s’amuser avec d’autres enfants. Ses devoirs lui sont envoyés par sa maitresse via internet.

 

Quelques amis et proches s’inquiètent pour nous, ma compagne et moi, puisque nous sommes appelés à être en première ligne comme d’autres soignants. Pour l’instant, je suis plus inquiet de voir que nous perdons des libertés, que nous entrons dans un Etat policier, et que nous aurons beaucoup de mal à récupérer certaines de ces libertés après l’épidémie.

 

Je crois que savoir couper moralement de l’angoisse, bien se reposer, et, aussi, éviter d’être trop au contact avec des personnes trop angoissées, font partie des munitions à avoir avec soi pour supporter l’épidémie et la surmonter.

Je n’aime pas cette ambiance de folie générale hébergée par la majorité sur les réseaux sociaux par exemple. Tous les jours, tous les jours. Même s’il y  aussi de la solidarité, de l’humour.

J’ai aussi appelé quelques amis et proches. Mais je vais aussi veiller à me reposer et à savoir me tenir à l’écart de celles et ceux qui sont trop angoissés. A couper mon téléphone portable.

Mes prochains articles sur mon blog seront si possible « hors » épidémie, hors du sujet de l’épidémie. Je vais aussi prendre soin de lire ( en ce moment, je lis La Dernière étreinte du primatologue et éthologue Frans de Waal, bon, le titre a un côté funeste mais je l’avais commencé avant le couvre-feu). Et écouter de la musique.

Avant le couvre-feu, nous pensions que X… serait la ville où nous aimerions vivre. L’épidémie va peut-être changer la donne. Sans notre métier, ma compagne et moi serions confinés en permanence lors du couvre-feu car nous n’avons pas de terrasse ou de jardin. Rester tout le temps dans son appartement, c’est usant. Même si on peut sortir pour faire des courses, emmener son enfant à l’école et faire un footing matinal ou emmener son animal faire ses besoins. Ou partir au travail pour celles et ceux qui ne peuvent pas faire du télétravail.

 

Hier soir, ma compagne et moi avons fait le même constat : nous étions vendredi et, en raison de l’épidémie, nous n’avions pas pu prendre le temps de nous occuper de notre fille afin qu’elle fasse ses devoirs. Nous en étions encore aux devoirs de mardi. Nous nous sommes dit qu’elle allait être pénalisée. 

 

Ma play-list pour le moment :

 

1)  A La Claire Fontaine      5:02    Manu Dibango          Afro-Soul Machine [Disc 1]            

 

2) No Monopoly On Hurt    2:55    Kennedy Milteau Segal       CrossBorder Blues (2018) Blues 

 

3) Mirza         3:52    Nino Ferrer   Nino Ferrer Et Cie – La Vie Chez Les Automobilistes      Pop                

4) Verdi: Pater Noster         5:49    Riccardo Chailly: Milan Symphony Orchestra & Chorus « Giuseppe Verdi »    Verdi: Messa Solenne          Classical                      

 

5) Rebellion In Heaven       4:17    Inna De Yard Feat. Cedric Myton  Inna De Yard            Reggae                      

6 ) The Wind Blew It Away – Qua Câu Gio Bay    7:33    Nguyên Lê     Tales From Viêt-Nam           Jazz                

 

7) Fugue En Rire      2:44    Henri Salvador         Ses Plus Grandes Chansons [Disc 2]         Pop                

 

8) Louxor J’adore     3:02    Katerine        Robots après tout     Chanson française              

9) Andy         5:23    Les Rita Mitsouko     The No Comprendo Rock              

 

10 ) Dadoué  4:47    Njie (MJthriller)       Best Of (MJthriller)  Zouk              

 

11) Verdi: Laudate Pueri    6:28    Eldar Aliev, Kenneth Tarver, Etc.; Riccardo Chailly: Milan Symphony Orchestra « Giuseppe Verdi », Verdi Chorus Milan  Verdi: Messa Solenne          Classical                    

 

12) Kanou     3:52    Mamani Keita           Kanou            Pop     ».

 

La personne que je pensais plus légitime que moi afin qu’elle parle à Zez de son quotidien pendant l’épidémie a répondu ce matin :

 

Elle ne se sent pas légitime pour en parler.

 

Peut-être que mon article va la faire changer d’avis ou inspirer d’autres personnes que je vais contacter et que celles-ci se sentiront suffisamment légitimes pour parler de leur quotidien au cours de cette épidémie. Ce serait bien d’avoir plusieurs points de vue.

 

Franck Unimon, ce samedi 21 mars 2020.  

 

 

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Corona Circus Crédibilité Ecologie

Adaptations

 

                                                   Adaptations

«  Soleil ! Soleil ! ». On entendait d’assez loin cette voix rocailleuse alors que l’on se rapprochait du service en venant travailler. Ce patient enfermé dans sa chambre d’isolement, convaincu d’être Dieu, croyait pouvoir influer sur la marche du soleil.

 

Un autre jour, l’alarme incendie ou l’alarme anti-agression venait de se déclencher alors que je me trouvais avec ce patient dans le secteur protégé de son service. Tout s’était bien passé jusqu’alors avec lui. Pourtant, Je m’étais alors  dit :

«  Vu son état délirant, cela va être difficile de le faire retourner dans sa chambre…. ». J’avais à peine eu le temps de former cette pensée, que, de lui-même, ce Dieu-Soleil avait de lui-même réintégré sa chambre. Ce faisant, il m’avait en quelque sorte délivré de lui. Et, je pouvais donc me rendre à l’endroit où l’alarme s’était déclenchée et où un renfort était peut-être nécessaire.

 

On pourrait être étonné par l’extraordinaire faculté d’adaptation ainsi que par la très grande lucidité de celles et ceux que l’on dénomme les « fous » qu’ils soient hospitalisés en psychiatrie ou qu’ils soient en « liberté ». 

 

Cette histoire fait partie de celles que j’aime raconter. Elle a plus de vingt ans. L’Humanité a peu changé en plus de vingt ans. Il y a plus de vingt ans, nous avions un certain nombre de peurs et d’inquiétudes qui sont toujours présentes aujourd’hui. Au moment de choisir une destination de voyage. Un mode de déplacement. L’endroit où nous allons habiter. L’école où nous allons inscrire nos enfants. Le genre de personnes que nous allons fréquenter. Pour choisir celle ou celui avec lequel nous allons « faire » notre vie. Lorsqu’il s’agit de changer d’emploi, de métier, de pays ou de région. Le concert où nous allons nous rendre. Le plat que nous allons prendre au restaurant. Le film que nous allons voir.

 

Bien-sûr, depuis quelques jours et les mesures et restrictions décidées par le gouvernement afin d’endiguer les conséquences de l’épidémie que nous connaissons, un certain nombre de ces actions et activités ont été limitées et sont contrôlées. Le « temps » de l’épidémie. Officiellement.

 

J’écris « officiellement » car j’appréhende beaucoup qu’après l’épidémie, fort de certains chiffres et de résultats que le gouvernement saura nous asséner, que certains contrôles deviennent une norme inacceptable et inconcevable avant l’épidémie.

 

Précisons tout de suite : il y a du bon dans les contrôles. On contrôle bien son poids. Sa tension artérielle. L’argent que l’on dépense. Le nombre de verres d’alcool que l’on boit avant de reprendre le volant. S’il fait beau ou froid dehors avant de sortir. Si l’on dispose d’assez de nourriture et de boissons lorsque l’on reçoit des invités et que l’on fait la fête.

 

Et je m’attends à ce qu’avec la multiplication des contrôles du fait de l’épidémie,  et le couvre-feu, que diverses sortes de criminalités diminuent, que la menace anti-terroriste recule. Avant hier soir, je crois, je me suis imaginé ça en passant devant un coin de rue :

 » ça fait drôle de voir un dealer qui porte un masque chirurgical dans la rue ».

On sait aussi qu’une moindre circulation routière et une moindre activité « humaine » fait du bien à l’atmosphère de la planète et du pays. Même si on sait aussi nous dire que cela est catastrophique pour l’économie et les finances même si certains en profitent pour faire un très bon chiffre d’affaires ou pour y gagner en popularité :

Du revendeur et du producteur de papier toilettes à certains financiers en passant par d’autres activités. Je veux bien croire que mon blog, comme d’autres blogs, d’autres sites, et bien des auteurs,  sera un peu plus lu en ce moment qu’avant la période de l’épidémie.

 

Mais c’est la fréquence des contrôles, leur justification et leurs caractères obligatoires qui peuvent devenir oppressants et rendre certaines réactions et certaines résistances….explosives.  

En y repensant, je me suis aperçu que ce je dis et ressens vis-à-vis d’un « contrôle » qui nous est fréquemment imposé, s’applique autant à la façon dont nous éduquons nos enfants où nous avons beaucoup tendance à les « contrôler » ou à vouloir les « contrôler ». Mais aussi à ce que peuvent vivre des détenus…en prison. Hier, j’ai lu que les conditions de prévention sanitaire dans des cellules de prison déjà surchargées étaient pratiquement irréalisables. On peut donc s’attendre à des émeutes prochainement dans certaines prisons comme dans tout endroit qui cumulera trop d’enfermement et trop de contrôle. Et pas assez….de folie.

 

J’ai  véritablement compris ce matin la raison pour laquelle, en apprenant les mesures relatives au couvre-feu, la diminution des transports etc…, j’avais d’un seul coup éprouvé le besoin de me rendre au travail au vélo. Alors que cela m’impose une certaine contrainte physique :

 

Prendre les transports en commun, le métro, s’est s’enfermer. Se priver de l’air et de la lumière extérieure. C’est accepter de se déplacer dans un espace restreint avec peu de possibilités d’échappatoires en cas de besoin ou si je le souhaite. Quand je le souhaite.

 

Je ne suis pas particulièrement claustrophobe. J’aime beaucoup prendre les transports en commun. En région parisienne, je préfère largement prendre les transports en commun à conduire ma voiture. Et je ne suis pas particulièrement inquiet à l’idée d’être contaminé parce-que j’aurais partagé un espace public confiné dans les transports en commun.

 

Par contre, savoir qu’aux contrôles de titres de transport déjà fréquents bien avant l’épidémie, vont désormais s’ajouter, en toute légalité, d’autres contrôles pour, officiellement, des raisons sanitaires du fait de l’épidémie. Tout en sachant que chaque fois que l’on appose notre pass navigo sur une porte de validation, notre itinéraire est déjà contrôlé ; et que chaque fois que notre téléphone portable ou notre ordinateur est allumé qu’il est possible non seulement de contrôler notre itinéraire mais aussi notre activité…..

 

Toutes ces mesures de contrôles et d’enfermement ont soudainement fait trop pour moi. Même si, je le répète, j’approuve toutes les mesures de précautions sanitaires et m’applique à les suivre de mon mieux comme la majorité des citoyens de France et des pays concernés par l’épidémie.

 

Je veux pour preuve de ce « trop-plein » d’enfermement et de contrôle le premier rêve que j’ai fait cette nuit directement inspiré de l’épidémie.

 

Dans mon rêve, il n’était pas question d’un hôpital, de patients exsangues, ou de moi, ou d’un proche, mourant sur un lit d’hôpital alors que ces éventualités sont pourtant probables.

Dans mon rêve, il était question….d’un Etat policier et de contrôles permanents. Voilà ce qui, pour l’instant, m’inquiète et m’épouvante plus que le coronavirus Covid-19.

 

 

 

 

Je devrais être content d’être dans un pays puissant qui dispose d’un gouvernement qui essaie de son mieux de prendre la mesure de l’épidémie afin d’éviter qu’elle se répande et tue beaucoup de gens. Mais ce sentiment, s’il est présent, reste habité, infecté, percé, par un très grand sentiment de défiance envers ce même gouvernement.

 

Je n’ai pourtant rien, spontanément, je me répète, contre les contrôles, la police et l’Etat.

Mais ce qui fait la différence entre ma fille qui, ce matin, alors que je la ramenais à l’école, m’a dit «  J’adore la police. Parce-que la police est là pour nous protéger et arrêter les méchants » et moi, c’est, sans doute, la somme de tous ces contrôles, leur fréquence comme leurs justifications, que j’ai déjà vécus et subis comme la majorité des citoyens.

 

Et, cela, bien avant l’épidémie.

 

Et, j’ajoute tout de suite que, ici, je me mets dans le même lot que n’importe quel citoyen, blanc ou noir. En excluant tout critère racial.

 

Il y a deux jours, en apprenant le couvre-feu à venir, lorsque j’ai décidé de reprendre mon vélo pour aller au travail, je ne me suis pas dit :

 

« Avec ma tête de noir, je suis bon pour battre tous mes scores de contrôles au faciès ! ».

 

Même si je peux imaginer que des noirs mais aussi des Arabes ou des asiatiques se sont peut-être dit, eux, qu’avec le couvre-feu et la multiplication des contrôles, qu’ils allaient en bouffer, des contrôles, pendant l’épidémie.

 

Il y a deux jours, en apprenant le couvre-feu, je me suis simplement dit – sans prendre le temps de réfléchir- que ce serait bien et mieux de rester à l’air libre. Et de moins subir le fait qu’il y ait moins de transports en commun. De ne pas avoir à attendre une demie heure ou plus pour avoir un train.

 

Les faits m’ont déjà donné un peu raison.

 

Hier matin, une collègue a appelé vers 6h10. Elle était contrariée et semblait culpabilisée :

 Il n y avait pas de train près de chez elle. Elle ne savait pas quand il allait y en avoir un. Et elle ne savait pas à quelle heure elle allait pouvoir arriver dans le service. Cette collègue censée commencer à 6H45 arrive habituellement avec dix à quinze minutes d’avance. Elle est donc un modèle de ponctualité.

Notre autre collègue qui commençait également à 6h45  a, en temps ordinaire,  plus de difficultés pour arriver à l’heure dans le service.

Depuis le « déménagement » provisoire de notre service, cette seconde collègue met environ une heure trente pour venir dans le service en prenant les transports en commun. 

Avec le « déménagement » de notre service, certains collègues ont vu leur temps de trajet diminuer et d’autres, sensiblement augmenter. Je fais partie des chanceux :

 

Par les transports en commun, mon trajet a été augmenté d’environ dix minutes, ce qui est peu. Par contre, à vélo, comme je l’ai écrit plus ou moins ( Vent d’âme) mon trajet a été augmenté de vingt bonnes minutes. C’est un effort physique supplémentaire supportable à condition de bénéficier d’un minimum d’entraînement et à condition, évidemment, de pouvoir bien récupérer entre les périodes d’effort. Je rappelle que je travaille de nuit et que le travail de nuit comporte certaines conséquences sur la santé très bien connues depuis des années par la médecine du travail. Même si, pour l’instant, à part quelques moments de fatigue, je m’accommode, je crois, plutôt bien du travail de nuit. Et je m’en accommode aussi parce-que c’est mon choix, pour l’instant, de rester de nuit dans ce service.

 

Hier matin, ma collègue embêtée par son retard incompressible, est finalement arrivée bien plus tôt que ce à quoi je m’attendais. En sueurs, assez contrariée, elle m’a dit avoir « speedé » pour venir. Au téléphone, j’avais pourtant fait mon possible pour dédramatiser la situation. Ma collègue de nuit et moi pouvions attendre. Nous connaissions très bien le contexte. Par ailleurs, j’ai toujours en tête ce qu’avait pu me dire mon ancien ami et collègue, Scapin, Bertrand pour l’Etat-civil, décédé d’un cancer quelques années avant de prendre sa retraite :

Se dépêcher lorsque l’on est en retard, c’est courir le risque de l’accident idiot qui peut être mortel.

Scapin n’avait pas eu besoin de forcer pour me convaincre de ce genre de raisonnement. J’ai longtemps été un retardataire chronique et cela m’arrive encore d’être en retard.

 

Lorsqu’il n’y a pas d’urgence.

 

J’essaie de faire le tri et la différence entre les véritables urgences….et les fausses urgences. J’ai continué à apprendre à le faire lorsque j’ai travaillé dans un service d’hospitalisation de psychiatrie adulte il y a plus de vingt ans. J’avais commencé à apprendre à le faire auparavant en travaillant comme vacataire et comme intérimaire. En prenant certaines personnes et certaines situations pour modèles. En faisant le ratio entre le stress ressenti, maximal, et le résultat final d’un certain nombre de situations vécues au travail mais aussi dans la vie. Après avoir conclu un certain nombre de fois :

 » Tout ça ( autant de stress et d’inquiétudes, tout un pataquès ) pour ça ?! « .

J’étais sans doute volontaire pour ce genre d’apprentissage. Cet apprentissage s’accorde peut-être assez bien avec mon tempérament. Avec mes croyances. Avec, aussi, ce que j’imagine, à tort ou à raison, de mes capacités réelles et supposées d’adaptation en cas de problème. 

 L’anxiété et la peur nous font souvent voir des situations d’urgences là où, en fait, nous avons affaire à des fausses urgences.

C’est ce que je crois d’après mes expériences.  

 

Mais il me sera difficile de convaincre celles et ceux qui voient des urgences à peu près partout et qui ont aussi de l’expérience  :

Cette attitude et cette vision des événements n’est pas une science exacte ni démontrable. Même en donnant des exemples « concrets ». Le sentiment de vulnérabilité et d’impuissance fluctue d’une personne à un autre. 

Et puis, voir des urgences partout est une façon personnelle de s’adapter aux échéances. De se préparer ou de se « sentir » prêt.

Les façons de s‘adapter à une même échéance peuvent énormément varier d’une personne à une autre selon les environnements : une personne très à l’aise dans un environnement donné peut complètement perdre ses moyens dans un autre environnement à un point inimaginable. 

Je me rappelle avoir recroisé une étudiante infirmière qui avait effectué un stage dans le service de psychiatrie adulte que je mentionne dans le début de cet article. Lors de son stage, cette jeune étudiante ne m’avait pas marqué par une aisance particulière. Lorsque je l’ai revue plusieurs années plus tard, je reprenais des cours de plongée dans un club en région parisienne. Et, nous avions à nous immerger dans une fosse pouvant atteindre les vingt mètres de profondeur. Cette étudiante-infirmière, qui était peut-être diplômée depuis, n’était alors plus dans la situation de l’étudiante face à un infirmier. Et elle n’était plus, non plus, dans un service de psychiatrie. Elle était dans un univers aquatique où, de toute évidence, elle avait ses marques et une grande aisance. Alors que moi, je reprenais la plongée après plusieurs années d’inactivité dans ce club que je découvrais. Hé bien, ce jour-là, le grand anxieux et l’inadapté, ce fut moi sans aucune discussion. Qu’est-ce que je fus ridicule peut-être lors de cette séance lorsqu’il fut question de nous jeter à l’eau depuis un plongeoir, tout harnachés de notre équipement de plongeur ! Ridicule, hors de propos, pas dans le coup, flippé. Un vrai sketch comique. 

 

De temps à autre, j’essaie de me rappeler, comme, selon les circonstances, nous sommes beaucoup moins assurés et beaucoup moins beaux à avoir que lorsque nous évoluons dans un univers que nous connaissons et maitrisons. Mais, aussi, que celles et ceux qui nous « commandent » ou nous épatent, sont aussi exactement pareils une fois sortis de leur domaine de compétences et de prédilection. Ce que nous avons pourtant souvent bien du mal à imaginer et à accepter. 

 

Et puis, il y a aussi du bon dans le fait d’être entouré de certaines personnes anxieuses ou prévoyantes comme de savoir les écouter. Car l’excès d’assurance peut nuire.  

Et, évidemment, il  existe bien-sûr des façons communes de réagir à une même échéance.

Certaines urgences sont indiscutables

 

Hier matin, pour moi, mes deux collègues du matin pouvaient prendre leur temps pour arriver. Je savais que leur retard leur était imposé par les circonstances. Je savais que j’avais de la marge pour les attendre. Il n’y avait pour moi pas d’urgence à ce qu’elles arrivent. Le service était calme. Et si nécessité il y avait, ma collègue de nuit et moi aurions pu nous occuper des patients en attendant l’arrivée de nos collègues du matin. Du reste, en les attendant, je me suis rappelé que j’avais dans mon vestiaire une enceinte portable. Je suis allé la chercher et ai raccordé mon baladeur audiophile pour lancer le titre Reggae Makossa de Manu Dibango.

 

Plus tard, et alors que la musique continuait de tourner là où je l’avais laissée , lors de ma conversation avec ma collègue du matin dans la salle de soins , celle-ci m’a répondu avoir renoncé à venir à vélo dans notre « nouveau » service :

D’une part, elle s’était faite très peur en passant par l’Arc de Triomphe en raison de la densité de la circulation routière. C’était avant le couvre-feu et avant que l’épidémie prenne autant d’ampleur. Je n’ai pas discuté son propos. Je me rappelle encore d’une anecdote qu’un kiné m’avait raconté il y a plusieurs années : une connaissance, qui avait principalement vécu quelque part en Afrique, s’était retrouvée sur l’Arc de Triomphe en voiture. Cette personne avait tourné pendant une demie-heure autour de l’Arc de Triomphe avant de réussir à en sortir. 

 

D’autre part, toujours pour cette collègue,  l’effort physique pour venir à vélo dans notre « nouveau » service avait été si éprouvant  qu’en arrivant dans le service, elle était au bord du malaise. Et elle avait dû prendre le temps de récupérer de son effort avant de pouvoir prendre son service.

 

Le repos, la capacité de récupérer physiquement et mentalement, de savoir se limiter,  mais aussi de s’y autoriser, fera partie de la solution  pour gagner la  « Guerre ».

 

Cette vérité-là, concrète, je doute que le Général Macron l’ait prise en compte lors de l’effort de guerre qu’il a demandé aux soignants dans son allocution. Ou alors il connaît cette vérité et en a rajouté une couche en parlant et en reparlant de « Guerre sanitaire » pour enjoindre et pousser les soignants à se lancer, à se jeter pratiquement tête baissée, sans prendre le temps de respirer, dans le combat contre l’épidémie :

Avant toute épidémie, quelle qu’elle soit, et avant d’être « mobilisés » ou «  réquisitionnés » par leur hiérarchie ou des circonstances sanitaires particulières,  les soignants sont avant tout des personnes engagées qui ont une conscience morale et professionnelle et qui travaillent dans des conditions qui peuvent être particulièrement exigeantes et contraignantes.

 

Les soignants sont souvent des personnes qui s’autocontrôlent  et s’autocensurent d’elles-mêmes en permanence.

 

Elles se mettent d’elles-mêmes, et toutes seules, une grande pression. Elles ont souvent  un sens des responsabilités, du Devoir, mais également de culpabilité et d’autocritique particulièrement élevé.

 

Ce qui est souvent bien pratique pour les manager. Et les maltraiter.

 

Oui, j’ai bien écrit «  soignants » car dans mon article Vent d’âme , j’ai beaucoup centré mon attention sur le personnel infirmier. Alors qu’évidemment, il y a d’autres professionnels et d’autres métiers soignants que celui d’infirmier. Et que l’on peut du reste ajouter tout le personnel socio-médical, administratif ainsi que le personnel de ménage et hôtelier lorsque l’on parle d’un établissement de soins.

Il faut aussi ajouter le personnel technicien. Car un établissement de soins tient aussi grâce à son personnel technicien :

Lorsqu’un ascenseur tombe en panne, que l’informatique se déchausse et se dérègle, ou qu’un incendie débute, il faut bien faire appel à des techniciens. Et c’est tout ce personnel soignant et non-soignant qui permet à des lieux de soins de tenir et de bien fonctionner. Pas uniquement le personnel infirmier ou médical.

Et, sans doute, aussi, doit-on ajouter dans cet organigramme, à côté des services de direction… les syndicats. Les syndicats qui ont connu une certaine désaffection par rapport à il y a vingt ou trente ans,  sont des organisations, du moins à l’hôpital, pour ce que j’en vois, souvent constituées de personnel hospitalier initialement soignant comme non-soignant.

 

Tout le personnel, soignant et non soignant,  syndiqué ou non syndiqué, indispensable à la bonne marche d’un lieu de soins, a, connaît, vit, un certain nombre de contraintes personnelles et professionnelles variables en dehors de tout contexte d’épidémie.

 

Certaines de ces contraintes peuvent être le fait de tomber malade. Car, oui, du personnel soignant et non-soignant, hors de tout contexte d’épidémie, ça tombe aussi malade. Où ça a des enfants ou des proches qui tombent malades comme tout le monde hors de tout contexte d’épidémie. Et ce personnel soignant et non-soignant, ne bénéficie pas toujours des égards auxquels il pourrait avoir droit lors de ces circonstances de maladie et autres qui l’empêchent de se rendre au travail. D’où la raison pour laquelle, oui, j’ai bien écrit le mot «  Maltraiter ».

 

Avant l’épidémie, dans mon hôpital, il y avait régulièrement du personnel manquant dans un certain nombre de services. Dont le mien. Pour raisons de maladies qui n’ont rien à voir avec l’épidémie. Pour des arrêts de travail. Mais aussi du fait de départs de personnels non remplacés.

 

Alors, en période d’épidémie et de « Guerre sanitaire », je vous laisse imaginer ce qu’il peut être possible, pour certains managers et décideurs, d’exiger du personnel soignant et non-soignant pour combler ce manque de personnel.  Pour des raisons « d’éthique », de « solidarité ».

 

Et je ne crois pas que le Général Macron soit bien au fait de tout cela. Ses différents intermédiaires se garderont bien de lui faire part de ce genre d’informations. D’autant qu’un Général en pleine guerre peut avoir bien d’autres préoccupations que de s’assurer du bien-être de ses soldats.

 

Je le précise tout de suite :

 

Dans mon service, je nous crois , pour l’instant,  préservés de ces travers en termes de maltraitance. Nous sommes plutôt solidaires. Du médecin-chef, à la cadre de pôle jusqu’à la femme de ménage.

 

Par exemple, un des praticiens hospitaliers du service avait créé un groupe What’S App plusieurs semaines avant qu’on en arrive au couvre-feu et aux mesures actuelles. Et ce groupe What’s App permet bien des échanges d’informations concernant les adaptations à faire au vu du contexte ainsi que d’informations qui permettent de déminer le climat anxiogène actuel.

 

 

Mais je « connais » suffisamment, je crois, mon environnement professionnel, ainsi que d’autres soignants ailleurs, pour savoir ce que le mot «  Maltraiter »  peut vouloir dire concrètement, dans le milieu hospitalier lorsque l’on y exerce en tant que soignant. Ou non-soignant. 

 

Si j’ai autant pris le temps d’écrire tout ça, c’est parce-que, l’on a vite fait de dresser un portrait convenable et présentable de l’engagement des soignants en occultant ce qu’il peut y avoir derrière comme souffrance personnelle et professionnelle du côté des soignants ( mais aussi du côté des non-soignants), et, cela, bien avant l’épidémie qui nous occupe en ce moment.

 

Maintenant, que j’ai écrit ça, passons aux bonnes nouvelles, car il y en a.

 

Ça passe évidemment par ces initiatives diverses sur les réseaux sociaux. Avec des chaînes de solidarité et de reconnaissance envers les personnels soignants.

 

Par des messages d’amis.

 

Par la solidarité qui peut exister au sein de certaines équipes et dans certains services.

 

 

Par cette initiative de l’Opéra de retransmettre gratuitement sur le net certains de ses spectacles. Une collègue nous en a informés.

 

Par des actions comme celle de ce réalisateur, de ce caméraman et de ce danseur croisés devant le Louvre.

 

Le danseur Dany, avec le réalisateur Cyril Masson. Je ne connais pas le prénom du cameraman.

 

Un certain nombre de lieux publics sont aujourd’hui fermés. Les cinémas et les médiathèques par exemple. Les salles de cinéma sont fermées jusqu’au 15 avril pour l’instant. Les projections de presse ont été annulées jusqu’à cette date pour le moment. Bien d’autres manifestations artistiques et culturelles ( concerts, expositions….) ont été toutes autant suspendues du fait de l’épidémie. 

 

En circulant à vélo, je suis passé plusieurs fois devant l’affiche du film Brooklyn Secret qui devait sortir ce 18 mars et à propos duquel j’ai écrit ( Brooklyn Secret  ). Je sais par un mail des attachés de presse que la sortie de ce film, comme celle de bien d’autres films, est repoussée à plus tard. Cela m’a rappelé que je n’ai toujours pas écrit d’article sur les derniers films que j’avais vus au cinéma avant le couvre-feu :

 

L’appel de la forêt, EMA mais aussi Kongo. J’ai toujours prévu de le faire.

 

 

Hier matin, en revenant du travail à vélo, j’ai été étonné de voir autant de personnes effectuer un footing matinal. Pratiquement autant de femmes que d’hommes. Je me suis demandé si cela était dû au fait que les températures extérieures, depuis quelques jours, sont plutôt douces ( 17 degrés hier à Paris) et que l’on se rapproche du printemps ( le 21 mars). Ou si l’obligation de confinement pousse davantage certaines personnes à aller évacuer leur trop-plein d’enfermement et de télétravail en allant par exemple courir dans des rues de Paris désormais plutôt désertes. Il y a un ou deux jours, près de chez nous, des jeunes d’un foyer jouaient bruyamment dehors au basket alors qu’ils auraient « dû » plutôt éviter les contacts avec l’extérieur. Si leur attitude est contraire aux règles sanitaires décidées pour éviter et limiter la contagion, cette partie de basket leur a peut-être aussi permis d’évacuer un trop-plein d’anxiété et de stress et les aidera peut-être aussi à supporter moralement les nouvelles restrictions décidées concernant les déplacements à l’extérieur et les regroupements. 

 

 

En rentrant mon vélo dans son local, hier matin, je suis tombé, dans le hall de l’immeuble, sur un mot d’une personne qui avait scotché l’exemplaire désormais nécessaire d’attestation de déplacement dérogatoire. Cette voisine avait ajouté un mot dans lequel elle expliquait comment obtenir ce formulaire. Mais elle fournissait également son numéro de téléphone portable afin d’aider aux courses. J’imagine qu’il est d’autres initiatives comme celle-là à d’autres endroits.

 

 

J’ai bien-sûr appelé et contacté quelques personnes afin de m’assurer qu’elles vont bien. J’en contacterai sûrement d’autres.

 

 

Si j’ai exprimé mes réserves envers le gouvernement, je reconnais évidemment le bien-fondé des mesures de précautions sanitaires qu’il préconise.

 

 

Certains amis m’ont témoigné leur inquiétude du fait de mon métier d’infirmier en psychiatrie et en pédopsychiatrie. Parce-que, comme bien des soignants, je suis exposé plus que d’autres au virus. C’est vrai. Mais je peux sortir pour aller travailler et donc prendre l’air. Et, je peux plus ou moins agir. En espérant que mon action soit plus bénéfique que porteuse du virus. Lors des grandes catastrophes, les personnes qui peuvent- aussi- avoir le plus de mal à s’en remettre sont celles et ceux qui ont été principalement spectatrices ou victimes de la catastrophe. Celles et ceux qui agissent, s’ils peuvent mourir ou se voir infliger des blessures ou des douleurs du fait de la catastrophe, se sentent au moins utiles. Ne serait-ce que pour remplacer une collègue ou un collègue malade ou absent. Ou en retard. Et puis, face à l’épidémie, je ne suis pas seul. Tout cela, en plus des encouragements adressés de part et d’autres aux soignants,  change beaucoup la donne.

 

Sur la première photo de cet article, prise près du Louvre avant hier matin, en revenant du travail, on peut voir des barrières. Lorsque je suis passé hier matin au même endroit, et à peu près à la même heure, toujours à vélo, en plus des barrières,  trois maitres-chiens étaient présents de part et d’autre de la pyramide du Louvre.  Cette présence m’a intrigué.

 

Les photos pour cet article ont été prises entre le 17 au  matin et ce matin, le 19. Parmi elles, des photos d’articles de presse, ou de couvertures de la presse. 

 

A priori, toutes ces barrières devant la pyramide du Louvre gâchent la vue sur la première photo de cet article. Mais en la regardant ce matin, je me dis qu’elle est très  bien comme ça :

 

Car on voit bien que le soleil passe à travers. Soleil ! Soleil !

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 19 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans  » Le Canard Enchainé » de cette semaine.

 

Dans  » Le Canard Enchaîné » de cette semaine.

 

 

Dans  » Le Canard Enchainé » de cette semaine.

 

 

Dans  » Le Canard Enchainé » de cette semaine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Vent d’âme

    

                                                   

  Vent d’âme

Selon les principes de la Commedia dell a’rte, nos masques sont nos vrais visages. Il est bien des cultures et bien des pratiques ignorées et disparues où l’on porte des masques en certaines circonstances. Et c’est un combat, parfois de toute une vie, que d’échapper à ces visages ou, au contraire, de les accepter.

 

Nos peurs sont sans doute aussi nos véritables visages ainsi que nos véritables voix. Aucun maquillage, aucune mise en scène et aucun angle mort ne sera suffisamment résistant et solide pour les obliger à se tenir dociles indéfiniment. Un jour ou l’autre, nos peurs défileront et parleront pour nous. Qu’on les y autorise ou non.

 

Nos peurs connaissent nos rêves et nos cauchemars. Nos peurs, nos rêves, nos cauchemars, nos voix et nos visages, voici ce qui nous définit tous à un moment ou à un autre.

Et l’épidémie, que ce soit celle aujourd’hui du coronavirus Covid-19 ou une autre  (la crise sanitaire actuelle me fait beaucoup penser à celle du Sida dans les années 80 pour cette ambiance de fin du monde et d’effondrement qui semble se refermer sur nous ) fait partie de ces expériences propres à permettre notre métamorphose :

 

Nous vivons plein d’expériences depuis notre naissance qui nous inclinent vers certaines métamorphoses. La plupart de ces expériences sont invisibles. Une épidémie, une grève – comme celle des transports il y a encore quelques mois en région parisienne afin de protester contre la réforme des retraites-  une guerre, une catastrophe ou un attentat terroriste font partie de ces expériences visualisables et indéniables qui nous obligent à nous transformer. Et notre transformation est notre façon de nous adapter à l’événement. On peut louer, regretter, reprocher ou pleurer cette adaptation :

Mourir est aussi une certaine forme d’adaptation. Même si selon certaines croyances et certaines valeurs, mais aussi selon nos peurs,  mourir est plutôt une adaptation qui a échoué et qui, en plus, peut être très douloureuse et très angoissante.

 

Mais même si nous nous aimons et nous côtoyons tous les jours, lorsque nous nous aimons et nous côtoyons, nous ne sommes pas – toujours- faits des mêmes rêves, des mêmes cauchemars et des mêmes peurs. Et nos choix comme nos rituels afin d’essayer de composer avec eux peuvent être très différents de ceux que l’on aimerait pour nous ou que l’on estime « faits » pour nous.

 

Mais je n’ai pas la science infuse pour parler de tout ça. Je raconte sans doute énormément de conneries comme à peu près tous les jours. J’ai peut-être attrapé froid en rentrant tout à l’heure, à vélo, du travail.  J’essaie d’attraper ce qui me reste de ces idées qui me sont venues après une nuit- tranquille – de travail dans le service de pédopsychiatrie où je suis en poste depuis quelques années.

 

Je suis partagé entre prendre toutes mes précautions pour ne pas m’enrhumer, rester disponible devant une éventuelle sollicitation sociale du téléphone portable, qu’il est un peu plus difficile d’éteindre au vu du contexte de l’épidémie -depuis le couvre-feu décidé hier par le gouvernement et qui deviendra effectif dès ce soir – et aller voir si je peux aller faire quelques courses alimentaires en espérant qu’il n’y aura pas trop de monde.

 

 

 

Hier soir, j’ai repris mon vélo pour aller au travail.  Lorsque j’ai entendu que, par précaution sanitaire, il y aurait moins de transports en commun et aussi que nous devrions respecter, autant que possible, une distance de un mètre entre chaque passager, je me suis dit que j’allais reprendre mon vélo autant que je le pourrais.

 

D’une part, parce-que j’avais déjà envie de le faire : s’enfermer dans le métro, subir régulièrement des contrôles de titre de transport, monter et descendre des escalators a quelque chose d’usant alors que faire du vélo permet d’éviter certains de ces désagréments en même temps que de rester à l’air libre. Et de faire un peu de sport en même temps que de découvrir son environnement autrement.

 

Hier soir,  j’ai ainsi découvert un nouvel itinéraire puisque notre service a déménagé il y a plusieurs semaines en raison de travaux dans notre service « originel ». Notre service a donc été provisoirement délocalisé. Le trajet est désormais plus long à vélo pour aller au travail. J’ai sûrement fait quelques petites erreurs de parcours. Et j’ai roulé prudemment. Sans chercher à remporter une épreuve contre-la-montre. Je pensais mettre 45 minutes. J’ai mis vingt minutes de plus. Soit j’ai beaucoup vieilli ces dernières semaines. Soit j’avais tout simplement surestimé mes capacités de rouleur. La seconde option est la plus vraisemblable. Mais la première va  aussi se vérifier un jour ou l’autre. C’est inéluctable.

 

Je suis passé devant le Louvre. Il y a pire comme itinéraire. Mais je ne pouvais pas m’arrêter pour prendre des photos. Ça, je l’ai fait ce matin. En rentrant du travail.

 

 

Je vois deux aspects face à une épidémie :

 

Les dispositions et les précautions sanitaires, logistiques incontournables ( se laver les mains, éviter les contacts, limiter ses déplacements, se protéger et protéger les autres etc…) que l’on s’applique à suivre de son mieux.

 

Et notre attitude vis-à-vis de l’épidémie. Nous sommes vraiment très différents les uns des autres.  Impossible d’échapper au sujet du Coronavirus Covid-19 depuis quelques jours. Et c’est d’autant plus impossible depuis l’allocution présidentielle d’hier soir d’Emmanuel Macron qui a parlé et reparlé de « Guerre Sanitaire » et a officialisé le couvre-feu à partir de 18h ce soir ou demain.

 

Hier soir, au travail, j’ai prévenu ma collègue que je n’allais pas passer la nuit à regarder et  à discuter de l’allocution du Président Macron concernant l’épidémie du Coronavirus Covid-19. Elle a acquiescé. J’avais réagi de la même manière lors des attentats du Bataclan. Une autre collègue- que j’aime aussi beaucoup- cette nuit-là, avait un moment voulu allumer la télé pour « voir » et pour « avoir plus d’infos ». Je lui avais répondu :

 

« Tu peux. Mais sans moi ! ». Ma collègue avait choisi de laisser la télé éteinte. Peut-être s’était-elle ensuite rattrapée chez elle.

Samedi matin, au travail, après que les jeunes hospitalisés se soient farcis plusieurs tours d’informations concernant le coronavirus Covid-19  sur BFM, je les ai obligés à changer de chaîne de télé. J’estime que c’est aussi notre rôle de personne responsable et de professionnel, que de limiter cette intoxication permanente que certaines informations anxiogènes répétées  nous impose.

Dans le service, les jeunes ont alors remis une chaine de clips musicaux. Puis, avec ma collègue, nous avons proposé une sortie que les jeunes ont acceptée. C’était il y a quelques jours. Et c’était déjà à une « autre époque ». J’en parle un peu dans l’article Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020.

 

 

Décider de me « calfeutrer » mentalement contre des informations sinistres et permanentes ne m’ empêche pas de regarder, d’écouter ou de lire ce qui se passe autour de moi. C’est ce que j’avais fait dans les transports dès le lendemain « des » attentats du Bataclan.  Cela  a été pareil ce matin alors que je rentrais à vélo.

 

Si je me suis concentré- avec mes photos- sur les bons moments de ce retour « cycliste », j’ai bien vu, devant le centre commercial So Ouest , à Levallois,  cet attroupement de personnes qui faisait la queue vers huit heures. Je m’en demandais la raison. Plusieurs centaines de mètres plus tard, après avoir vu un peu plus de gens portant des masques dans la rue et d’autres personnes faisant la queue devant des pharmacies encore fermées, j’en ai déduit que toutes ces personnes faisaient la queue sans doute pour acheter des masques de protection et peut-être aussi des solutions hydro-alcooliques. Plus tard, j’ai aussi aperçu des personnes qui attendaient l’ouverture de la Western Union.

 

 

Je pense aussi au Coronavirus Covid-19. Ne pas en parler, ne jamais y penser, revient à un moment donné à être dans le déni. Il m’est donc impossible d’éviter d’y penser. Mais tout est dans la façon de laisser ce sujet s’emparer de notre âme. Certaines personnes sont déjà à « bloc ». On en est au tout début des mesures les plus strictes et, déjà, un certain nombre de personnes n’ont que le Coronavirus comme perspective. Tout tourne autour de lui.  Concernant le Sida, il y avait une campagne qui disait, je crois :

 

« Le Sida, il ne passera pas par moi ! ».  Pour le Coronavirus Covid-19, j’aimerais bien-sûr affirmer la même chose. Mais je ne peux pas le confirmer. Peut-être que lorsque l’épidémie sera passée, que je ferai partie des maccabées nouveaux-nés. Peut-être que des proches ou des connaissances en feront partie aussi. Alors qu’aujourd’hui, pour moi, ces éventualités sont impensables. Mais il était impensable pour moi il y a encore deux semaines que l’épidémie du Coronavirus Covid-19 nous fasse autant de mal ou puisse nous faire autant de mal. Mon article Coronavirus posté il y a trois semaines ne fait pas vraiment un pronostic très alarmiste. Même si je parle en filigrane de cet affolement qui surviendrait en cas de rupture de stocks de masques FFP2, je parle aussi du « business » que la vente de ces masques va constituer pour certaines entreprises telles que les pharmacies. Car la mort rapporte beaucoup à certaines entreprises en terme de commerce. On peut même dire que la mort, comme toute «activité » humaine est un commerce ou une niche susceptible d’être un commerce pour certains hommes d’affaires ainsi que pour certains hommes politiques et militaires inspirés.   

 

 

Quoiqu’il en soit, au cours de l’épidémie,  je mourrai peut-être parce-que je me serai fait percuter à vélo par une voiture. Se faire renverser par une voiture lorsque l’on circule à vélo est  assez courant. Surtout au vu de la conduite de certains automobilistes qui vous serrent sur la route ou vous coincent entre la carrosserie de leur véhicule et le bitume du trottoir ou vous forcent à freiner quand ils tournent devant vous.

 

Mais aussi au vu de la conduite de certains cyclistes :

 

Ce matin, une jeune gazelle portant un sac à dos de marque Eastpak m’a laissé sur place. Le temps de l’entendre qui se rapprochait, elle m’avait mis une dizaine de mètres dans la vue. Bon, je ne suis pas là pour faire la course et une femme peut me doubler sur la route que ce soit à vélo ou en voiture. Mais à vélo, Mademoiselle, au feu rouge, on s’arrête ! Surtout lorsque l’on passe devant une sortie de périphérique et que l’on ne porte pas de casque sur la tête. Ça fait bien, lorsque le feu passe au vert sur votre droite et qu’une voiture commence à s’avancer, de dévier un peu sa trajectoire tout en continuant à pédaler. C’est adroit. Mais ça peut aussi faire passer l’âme à gauche. Ceci dit, je sais aussi que ce ne sont pas toujours les personnes les plus prudentes et les plus respectueuses des règles qui s’en sortent toujours le mieux dans la vie. Ce que je viens d’écrire est dur et ressemblera à un acte moralement irresponsable en période de Coronavirus Covid-19 ou de toute autre épidémie. Mais si on prend un peu le temps d’y penser, on s’apercevra que l’on a bien connu au moins une fois dans sa vie une personne qui a toujours été droite, toujours été dans le respect des règles, et qui, pourtant, a eu une vie et une mort très conne, injuste ou incompréhensible pendant que d’autres ont pu batifoler et vivre tout un tas d’excès, et, finalement, s’en sortir pas si mal que ça.

 

Donc, avoir des Devoirs, oui. Respecter les règles, oui. Mais il ne faut pas confondre faire montre de prudence et s’enfermer de soi-même en toutes circonstances dans un cercueil ou un bunker, ainsi que celles et ceux qui nous entourent comme si notre mort était assurée alors que l’épidémie vient à peine de commencer. Et que l’on s’entoure d’un certain nombre de précautions….et d’informations. Lesquelles informations nous apprennent que ce coronavirus Covid-19 est quand même moins mortel, par exemple, qu’une catastrophe nucléaire : Oui,  je pense aux effets d’ une catastrophe nucléaire similaire à celle de Tchernobyl  s’il s’en produisait une en France ! Pourtant, nous vivons plutôt bien grâce au nucléaire même s’il nous fait peur : c’est lui qui nous fournit la plus grosse partie de notre électricité domestique.

 

 

Quoiqu’il en soit, je crois qu’il résultera de cette épidémie et des transformations qui en découleront de nouvelles amitiés ou de nouvelles solidarités. Car on se révèle aussi à soi-même et aux autres dans ces moments-là. Et on a de bonnes et de mauvaises surprises. On peut soi-même être une mauvaise surprise pour certaines et certains qui nous plaçaient sur un piédestal ou sur un trône dont on n’a jamais voulu. C’est comme ça.

 

 

L’allocution du Président de la République, hier soir, m’a contrarié parce-que, même si les mesures sanitaires qu’il a officialisées sont justifiées, j’ai beaucoup trop vu en lui l’homme politique et de Pouvoir qui jouit de sa position de supériorité. J’ai trop vu en lui l’homme politique qui, en nous enfonçant dans la tête le concept de « Guerre sanitaire », en profite un peu plus pour nous dominer et nous gouverner à sa main. Et, je me demande ce que, en échange de notre salut sanitaire et civil, nous allons perdre en libertés et en droits divers,  pendant cette période d’épidémie mais aussi après elle. Parce qu’après l’épidémie, il sera encore possible de trouver  bien des raisons pour justifier d’un couvre-feu et d’un certain type de contrôles et d’interdits inédits jusqu’alors ou moins fréquents. Que deviendra le mouvement des gilets jaunes après l’épidémie ? La réforme des retraites ? Combien de temps réfléchirons-nous à ce genre de question après plusieurs jours, plusieurs semaines de couvre-feu, lorsque la peur de la mort sera devenue un peu plus la couleur de nos rues et de nos regards ?

 

Je sais pourquoi j’avais préféré voter pour lui au second tour des dernières élections présidentielles : pour être sûr d’éviter l’élection de celle que je refuse de nommer. Parce-que j’ai l’impression que le simple fait de la nommer contribue déja à lui donner un vote de plus ou plus d’aura. Elle qui, depuis des années, fait sa thérapie familiale voire sa thérapie de couple au travers de sa vie politique qu’elle a transformé en une scène publique et médiatique, comme son papa. Cela a été une grande surprise pour moi lorsque j’ai appris que de plus en plus de personnel infirmier votait pour cette candidate aux élections présidentielles. On peut vraiment dire qu’il s’agit d’un vote de colère.

 

J’ai écouté une petite partie de l’allocution du Président Emmanuel Macron lorsqu’il a annoncé le couvre-feu à venir, la  » Guerre sanitaire » etc…Mais en y repensant, je me suis dit que j’avais du mal à me faire à ce Général Macron qui, à mon avis, aurait eu beaucoup de mal, si en tant que soignant, on lui avait dit :

« On te laisse la dame de la chambre 8. C’est toi qui lui fera sa toilette complète. Pas plus de dix minutes.  Parce qu’il y a d’autres toilettes à faire et, après, il y a tous les médicaments à distribuer « .

Ou si on lui avait dit :  » On t’attend pour faire l’entretien avec ce patient qui est persuadé que tu couches avec sa femme et que tu lui bloques ses spermatozoïdes ».

 

Etre Président de la République est bien-sûr un métier difficile. Et chaque métier a ses difficultés. Mais disons qu’il s’intercale tellement d’intermédiaires entre un Président de la République et celles et ceux qui, à peu près tout en bas, doivent s’écraser et obéir coûte que coûte, que j’ai l’impression que cette « Guerre sanitaire » contre le Coronavirus Covid-19 fait des soignants des hôpitaux publics un peu les équivalents des liquidateurs qui, lors de la catastrophe de Tchernobyl, s’étaient plongés dans la fosse afin d’arrêter le réacteur nucléaire.

 

En rangeant mon vélo dans son local tout à l’heure, je me suis dit qu’après l’épidémie, si notre « cher » Président est véritablement si concerné par le personnel soignant, dont le personnel infirmier , il abrogera ce statut de soignant « sédentaire » et révisera ce qui concerne l’âge de départ à la retraite ainsi que le niveau du montant des pensions de retraite infirmières :

 

Il y a quelques années, les infirmiers ont été sommés de choisir entre une catégorie A, dite « Sédentaire » et une catégorie B dite « active ».

Depuis, tous les nouveaux infirmiers diplômés sont d’office considérés comme relevant de la catégorie A, dite « sédentaire » : ils sont supposés être mieux payés que ceux de la catégorie B dite « active » mais, aussi, avoir une carrière plus longue de cinq années que ces derniers.

Avec les décrets et toutes les démarches législatives effectués par les gouvernements successifs concernant la réforme des retraites, on en arrive à ce que les infirmiers de catégorie B qui pouvaient prendre leur retraite plus tôt ( avant leurs 60 ans) avec une pension de retraite convenable , à condition d’avoir effectué un certain nombre d’années de travail, sont désormais de plus en plus obligés de tabler sur un départ à la retraite au delà de 60 ans ( 62 ans semble pour l’instant l’âge moyen de départ à la retraite pour les infirmiers de catégorie B) s’ils veulent éviter une certaine précarité. 

 

 

Le Président de la République et ses Ministres préconisent le télétravail quand c’est possible lors de « notre » épidémie du Coronavirus Covid-19. Mais cela est impossible pour du personnel infirmier en période d’épidémie et de «  Guerre sanitaire ». Hier soir, un ami m’a demandé où nous allions choisir de rester « confinés » pendant les 45 jours à compter de demain. Et il a ajouté : «  On reste en contact ».  Je lui ai rappelé que, si « confinement » il peut y avoir pour nous, infirmières et infirmiers, ce sera peut-être dans un cercueil parmi des maccabées. Que l’on soit infirmier de catégorie A ou de catégorie B.

 

J’ai néanmoins tenu à assurer mon ami que nous resterions bien-sûr en contact même si je doutais un peu que, en cas de décès, ma toute nouvelle constitution l’incite à m’accueillir les bras grands ouverts.

 

 

Je crois que je survivrai à cette épidémie. Et je pratique bien évidemment l’humour noir, ce qui est une mes particularités qui m’a déjà desservi et qui peut encore me coûter certaines désaffections sociales. Mais je préfère l’humour noir à me carboniser la cervelle en bouffant en boucle la junk Food d’informations toxiques à la télé, sur les réseaux sociaux, dans d’autres média ainsi que, bien-sûr, dans la vie réelle. L’attention de cet ami ainsi que celle d’un autre m’a fait plaisir et aussi un peu étonné :

Je n’ai pas prévu de mourir maintenant. Je ne bombe pas le torse. C’est juste que j’estime que j’ai encore à vivre et à transmettre et que je suis encore assez loin de l’âge où je me dis que je pourrais mourir.

 

 

Hier matin , devant l’école de ma fille,  j’aurais aimé être capable d’humour  lorsque j’ai vu une « collègue » infirmière devoir rebrousser chemin avec ses trois enfants. La directrice de l’école maternelle, très accueillante par ailleurs, a expliqué avoir reçu des directives selon lesquelles,  pour que des enfants soient accueillis par l’école en période d’épidémie, que les deux parents se doivent d’être des professionnels du secteur hospitalier….

J’ai dit à cette directrice qu’une telle exigence ne pouvait pas tenir. Mais, une fois de plus, l’administratif a encore gagné. Et, une fois de plus, une infirmière a dû prendre sur elle. Tout en se montrant compréhensive, très polie et très disciplinée, cette « collègue » infirmière- que je rencontrais pour la première fois- a accepté de repartir avec ses trois enfants sans faire d’esclandre. C’était à elle qu’il incombait  de trouver une solution pour faire garder ses enfants mais aussi de se rendre disponible pour participer à «  La Guerre Sanitaire ». 

J’imagine qu’il s’agissait d’un couac. Le temps que la logistique et la société s’adaptent à l’épidémie qui, demain, pourrait être remplacée par l’effondrement dont parlent les collapsologues depuis quelques années. Lesquels collapsologues disent peut-être que la façon dont cette épidémie du coronavirus Covid-19 nous prend de court et nous met à nu révèle ce qu’il en sera en cas d’effondrement plus visible de notre civilisation. Mais, aussi, que cette épidémie du Coronavirus Covid-19 et ses conséquences sont une des manifestations, parmi d’autres, de l’effondrement dont ils parlent. 

 

En attendant, c’est la tête un peu baissée que je suis rentré chez moi à pied. Non par honte ou par abattement :

 

A force de prendre mon temps ce matin pour faire des photos sur mon trajet de retour, j’avais un peu attrapé froid. Mon nez coulait. Et je n’avais pas de mouchoir à portée de main. Je ne voulais pas inquiéter qui que ce soit dans la rue.

 

Quelques minutes plus tôt, après avoir parlé à ma compagne, j’avais eu  un peu eu ma fille au téléphone. Alors qu’elle allait passer la journée dans cette école qui recueille les enfants de personnel hospitalier.

Comme le sont souvent les enfants, alors que les adultes sont plus que préoccupés par un sujet donné, ma fille était contente de se rendre dans cette école où elle allait être avec d’autres enfants et sans doute s’amuser. Son attitude m’a rassuré : en tant qu’adultes et en tant que parents, nous ne l’avions pas trop contaminée avec nos inquiétudes concernant le Coronavirus Covid-19.

 

Hier, nous avions découvert avec elle cette nouvelle scolarité qui se passe à travers des vidéos et des cours envoyés par sa maitresse via internet. C’était une expérience assez insolite et assez drôle de voir la maitresse de notre fille donnant ses explications face caméra avant chaque exercice et de comprendre que tout cela était aussi très nouveau pour elle. Aujourd’hui, internet et la téléphonie mobile peuvent être des très bons moyens d’échapper à la dépression morale qu’amène l’épidémie du Coronavirus Covid-19 et toute autre catastrophe. A condition de s’en servir avec cette volonté-là. Et si internet et la téléphonie mobile flanchent ou nous en empêchent, il nous faudra être capables de savoir nous en passer pour continuer d’entendre le vent de notre âme. Beaucoup d’autres l’ont fait avant nous. Et un certain nombre d’entre eux avaient nos visages.

 

 

Franck Unimon, mardi 17 mars 2020.