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Crédibilité – Page 3 – Balistique du quotidien
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Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020

 

 » Aux Grands Hommes La Patrie Reconnaissante » peut-on lire sur le fronton du Panthéon. Jusqu’à tout à l’heure en rédigeant cet article et en le mettant en forme, j’avais ignoré cette phrase qui orne le Panthéon. 

Qu’est-ce qu’une Grande Femme ou un Grand Homme ? Qu’est-ce qu’une Patrie ? Qui peut en décider ?

Et quand ? Les dignitaires politiques officiels sont-ils toujours les plus légitimes et les plus sages pour en décider ?

Il est quantité de Grandes Femmes et de Grands Hommes qui appartiennent davantage à l’anonymat qu’à notre mémoire collective et médiatique.

Si l’on regarde « seulement » du côté des soignants, toutes professions confondues dans les établissements hospitaliers, que l’épidémie du coronavirus Covid-19 vient de placer en première ligne alors qu’une bonne partie de la population, pour des raisons fondées de prévention et de préservation sanitaire, est appelée à limiter autant que possible ses déplacements comme ses échanges interpersonnels, combien d’entre-eux ont figuré et figureront au Panthéon lorsque l’épidémie du coronavirus Covid-19 , après et avant d’autres, sera passée ?  Lesquels ?

Combien d’éboueuses et d’éboueurs, de femmes et d’hommes de ménage,  figureront-ils pour des raisons permanentes de prévention sanitaire au Panthéon de la Patrie reconnaissante ?

 

On pourrait multiplier les exemples avec d’autres professions et d’autres actions d’individus et de groupes d’individus qui effectuent une mission d’ordre et d’utilité publique dont on n’entendra pas parler contrairement à certaines « célébrités ».  

D’ailleurs, et  je me demande si c’est une vision biaisée de ma part, mais lorsque le Président Macron invite les soignants à se consacrer pleinement à l’effort sanitaire pour répondre à l’épidémie du coronavirus Covid-19 et aux frayeurs parasites qu’elle suscite, j’ai l’impression que seuls les soignants du service public sont appelés à répondre présents. Et non ceux du secteur privé. Pourtant, depuis des années, l’Etat Français, donc le gouvernement Macron-Philippe ainsi que les précédents, oblige les hôpitaux publics à ressembler de plus en plus aux établissements de soins privés. Ce qui consiste à adopter des modèles de gestion et de soins  indexés sur la mécanique du chiffre et de la rentabilité parfois à tombeau ouvert. Ce qui se traduit souvent au moins par  » une baisse des effectifs » en personnel soignant.

Concernant le personnel infirmier, on peut aussi mentionner l’allongement de la durée de carrière. Un « gel » des salaires. La diminution du nombre de jours de congés.  Un ralentissement de la montée d’échelon. Des difficultés renouvelées afin d’obtenir des formations professionnelles. La perte d’autres droits et avantages.  Selon moi, si on le souhaite,  on devrait avoir la possibilité de prendre sa retraite à cinquante ans un peu sur l’ancien modèle des militaires et bénéficier d’aides à la reconversion professionnelle. 

Pourquoi employer trois ou quatre infirmiers si deux parviennent à faire ce qu’on leur demande  ? Si le service est « calme » ?  Pourquoi en employer trois ou quatre si on peut mettre deux aides-soignants avec deux infirmières ? ça fait toujours quatre, non ? 

 

Je n’avais pas prévu de me poser ce type de questions et d’en arriver à ce genre de développement en prenant en passant cette photo et les autres autour du Panthéon.

Le Panthéon, je suis plusieurs fois passé à côté. Souvent dans un état d’esprit détendu.  J’en ai bien-sûr entendu parler à la faveur du « déménagement » de telle Personnalité dont les cendres y sont déposées ou susceptibles de l’être. Je ne l’ai jamais visité. Il y avait des années que je ne l’avais pas côtoyé d’aussi près. Et la bibliothèque Ste-Geneviève, je n’ai jamais pris le temps d’y entrer même si je possède une carte d’accès depuis des années.

 

 

Mais un jour seulement sépare ces photos prises près du Panthéon et la manifestation des gilets jaunes le lendemain, ce samedi 14 mars 2020 ( hier). Et, ce samedi 14 mars ( hier), je n’avais pas non plus prévu de me trouver face à cette manifestation en sortant du travail. Pas plus que je n’avais prévu d’écrire cet article lors du premier tour des élections municipales où, en raison de l’épidémie du coronavirus Covid-19, il est probable que l’absentéisme électoral batte de nouveaux records. Puisqu’aujourd’hui nous en sommes au stade 3 de l’épidémie comme en en matière de mesures de prévention. Et qu’aujourd’hui, cinémas, piscines et d’autres lieux publics encore ouverts hier ont été fermés. 

 

 

Depuis que le mouvement des gilets jaunes a débuté il y a plus d’un an maintenant, je n’ai assisté ou participé à aucune manifestation des gilets jaunes. Et sans doute est-ce parce-que beaucoup de personnes agissent comme moi que des gouvernements en France et ailleurs conservent leur façon de gérer certaines échéances sociales, économiques et environnementales, modelant à leur image le monde dans lequel nous vivons. Lorsque l’on parle de personnes conservatrices, on désigne souvent d’autres personnes. Mais moi qui n’ai jamais pris part à une seule manifestation des gilets jaunes, je fais bien partie à un moment donné, que je le veuille ou non, des conservateurs. C’est comme pour le vote : est principalement pris en compte le nombre de votes. Et non le nombre de personnes qui s’est abstenu de voter et qui exprime pourtant quelque chose. 

 

Je me méfie beaucoup des effets de groupe. Je redoute l’aspect « troupeau » que l’on peut conditionner. Et qui peut aussi s’affoler ou s’emballer pour le pire comme pour le meilleur. Mais mon attitude vis-à-vis du groupe et de la foule a ses limites.

Bien-sûr, chacun ses limites et il importe de les connaître comme il existe différentes manières de manifester et de militer. Mais à se tenir prudemment, peureusement, hors du « troupeau », du groupe, de la masse ou de la foule, en toutes circonstances, on se retrouve un moment isolé. Certaines fois, cela peut être avantageux. D’autres fois, on devient une proie de choix. 

Et puis -quoiqu’on en dise- on appartient à un groupe ou, le plus souvent, à plusieurs groupes :

Au moins à un groupe familial. A un groupe social. A un groupe professionnel. A un groupe amical. Et chacun de ces groupes nous inspire et nous incite à suivre et à adopter certains comportements que ce soit par la contrainte, par intérêt, par stratégie, par mimétisme ou par choix. 

Dans son livre La Dernière étreinte, l’éthologue et primatologue Frans de Waal écrit page 33 :

 » La société des chimpanzés n’est pas faite pour les humbles et les faibles ». 

Page 36, il écrit aussi :

 » Les chimpanzés jouent constamment à prouver qu’ils sont plus forts, à tester les limites de leur pouvoir ou du vôtre ». 

Et, page 31, il avait affirmé :  » Ce sont les émotions qui orchestrent le comportement ». 

 

Hier après-midi, vers 14h30, en sortant du travail, mes premières réactions en découvrant la présence de cette manifestation, ont été celles de l’étonnement et de la curiosité. Quelques minutes plus tôt,  j’avais interrogé un collègue arrivant de l’extérieur. Il avait eu un peu de mal à me dire ce qui se passait.

Il n’était pas prévu que je travaille hier matin. Quelques heures plus tôt, avec ma collègue, nous avions fait une sortie agréable et tranquille avec les jeunes hospitalisés. Tout était calme.

Je finis ma journée de travail, je tombe sur une manif. J’ai d’abord pensé que c’était un événement festif. Le déni sans doute. Puis, j’ai pensé à une manifestation des avocats. J’ai lu que les avocats, en ce moment, protestaient contre les mauvaises conditions de travail qui sont les leurs. J’avais lu un article montrant une course dans la rue effectuée par des avocats en guise de protestation. Une fois plus près de la manifestation, j’ai rapidement compris que je m’étais trompé.

 

Quelques personnes scandaient avec provocation :  » Gilets jaunes ! Gilets jaunes ! ». En regardant en contre-bas, j’ai aperçu des camions des forces de l’ordre sur la route. Un attroupement de personnes au carrefour. Cela faisait beaucoup de monde. Et, un peu plus haut, sur ma droite vers Place d’Italie, d’autres représentants des forces de l’ordre se tenaient immobiles, sur la route.

 

Même si cela se passait « bien » et qu’un certain nombre de personnes circulait librement, je me suis un peu senti pris en tenaille. J’ai un peu hésité. J’avais prévu de me rendre à la séance du film Kongo réalisé par Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav. Ce film sorti cette semaine passe dans une seule salle à Paris. Il passe aussi à Montreuil. Mais en tant que citoyen et en tant que créateur et rédacteur d’un blog qui s’appelle Balistique du quotidien, il m’était impossible de partir sans faire un minimum l’expérience de cette manifestation. 

 

 

J’ai regardé un peu. Quelques fumigènes ont été de sortie. Puis, en bas à droite,  j’ai aperçu plusieurs membres des forces de l’ordre attraper quelqu’un, une ou plusieurs personnes, et les emmener vers l’arrière de leurs camions. A ce moment-là, plusieurs des personnes qui figuraient du côté de celles et ceux qui scandaient  » Gilets jaunes ! Gilets jaunes ! » sur ma gauche ont battu en retraite et ont reflué un peu dans ma direction comme si elles s’en allaient. Alors que j’écris, je me demande maintenant ce que l’on doit ressentir lorsque l’on se fait alpaguer par des forces de l’ordre :

Si on a juste manifesté et que l’on est innocent, on doit avoir beaucoup de mal à le vivre. Par contre, si on a recherché l’affrontement et le contact, on doit sans doute un peu jubiler comme certains peuvent jubiler de pouvoir dire qu’ils ont fait de la taule. Car cela signifie que l’on n’a pas peur d’aller au combat. Et sans doute aussi que, d’une certaine manière, même arrêté puis enfermé, que l’on  est  libre ou que l’on s’estime plus libre que d’autres. 

 

De ce point de vue et depuis d’autres points de vue, je ne suis pas libre. Mais il me fallait passer de l’autre côté de la manif pour ma séance ciné. Ce qui a permis ces photos. Pour illustrer cet article, j’ai d’abord voulu d’éviter autant que possible les photos en noir et blanc qui peuvent donner un aspect « reportage de guerre » ou qui pourraient laisser croire que nous sommes en Mai 68.

Mais certaines photos en noir et blanc, parmi celles que j’ai prises hier, m’ont semblé incontournables. Et puis, pour essayer d’éviter le plus possible de manipuler celles et ceux qui regarderont ces photos, je me suis dit qu’il fallait en mettre un certain nombre afin d’essayer de restituer au mieux l’ambiance assez générale  là où j’étais durant la manif.

 

Je suis resté à peu près une quinzaine de minutes. A voir la « tranquillité » des représentants des forces de l’ordre, je me suis dit qu’un certain nombre d’entre eux avaient l’expérience de ce genre de situation sociale. J’ai bien-sûr été intimidé par le nombre de leurs effectifs. Par moments,  j’avais l’impression que la terre tremblait sous mes pieds ou qu’elle aurait pu le faire si cela dégénérait.

Leur harnachement et leurs protections. Leur stature. Leur entraînement supposé aux confrontations dans la rue. Leur nombre. Leurs différentes positions stratégiques. Leur regroupement. Moi, je n’étais qu’une personne parmi d’autres qui passait par là. En cas d’assaut, impossible pour eux de le deviner si je me trouvais entre eux et des manifestants déterminés. Evidemment, mes émotions provenaient du fait que je découvrais ce que pouvait être une manif en présence d’autant de forces de l’ordre dans un contexte où un affrontement était possible.

Mais je ne me suis pas fait dessus non plus.  Pas plus que je n’ai inondé mes vêtements de couleurs suite à une trop forte stimulation de mes glandes sudoripares. 

 Je me suis aussi dit que nous étions encore dans une démocratie puisqu’une telle manifestation pouvait avoir lieu en présence d’autant de membres de forces de l’ordre qui, pour la plupart, se contentaient d’observer et de se déplacer en fonction de l’évolution et des déplacements de la manif. Même si, en raison de l’épidémie du coronavirus Covid-19 et du risque de contagion multiplié par ce rassemblement de personnes, cette manifestation et les suivantes seront sans doute reprochées à leurs organisateurs.  

Hier, le rassemblement autorisé maximal de personnes sur un lieu public, du fait de l’épidémie du coronavirus, devait être de cinq cents ou de mille personnes, je crois. A vue d’oeil, je crois que l’on peut facilement estimer qu’il devait bien y avoir plus de mille personnes à cette manifestation hier. Etant donné qu’aujourd’hui, nous en sommes au stade 3 de l’épidémie, cela limite désormais encore plus le nombre de personnes qui souhaite se rassembler ainsi que les lieux accueillant du public ( médiathèques, cinémas, restaurants, piscines…).

Il est prévu qu’il y aura moins de transports en commun. Les personnes qui le pourront resteront chez elles afin d’effectuer du télétravail. 

Vu que nous sommes toujours sous le plan vigipirate concernant le terrorisme ( New-York 2011 ), toute personne ou tout groupe de personne ayant l’intention de manifester va sans doute se sentir lésé de plus en plus dans ses libertés et ses droits fondamentaux. Ce qui risque de durcir certains mouvements sociaux. Mais aussi d’exaspérer des personnes qui, jusque là, étaient restées conciliantes et dociles en termes de revendication sociale. 

A un moment, à quelques mètres de moi, j’ai entendu une femme crier  » Arrêtez de nous gazer ! On est en train de manger ! ( au restaurant ou dans un Fast-Food) ».  Je n’ai pas senti d’odeur incommodante.

J’ai entendu un couple se disputer parce-que monsieur et madame ne s’étaient pas compris lorsqu’ils s’étaient dit là où l’un et l’autre se trouverait dans la manif. 

J’ai vu des personnes  prendre des photos. 

 

J’ai vu un représentant de l’ordre laisser passer civilement un couple d’un certain âge après que celui-ci lui ait dit qu’il habitait non loin de là. C’est sans doute ce représentant de l’ordre qui a répondu à un autre homme :  » Vous êtes déja passé tout à l’heure ». 

A moi, ce même représentant de l’ordre, ou un autre, m’a répondu poliment que pour aller vers le Panthéon, il me fallait passer ailleurs en tournant ensuite sur la droite. Ce que j’ai fait.

 

Après à peine quelques minutes de marche, même si j’ai croisé d’autres véhicules de police qui arrivaient en renfort, j’ai à nouveau été étonné de voir comme il suffit de franchir quelques rues pour retrouver la quiétude mais aussi l’ignorance. Les personnes que j’ai croisées ensuite dans la rue, dans un restaurant, vaquaient comme si de rien n’était. 

 

Je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite comme je n’ai pas vu d’images ou lu d’informations concernant ce qui s’était passé hier lors de la manifestation des gilets jaunes. Sans doute devrais-je le savoir. Sans doute que je ne suis pas un Grand Homme. 

 

Franck Unimon, dimanche 15 Mars 2020. 

Photos : Franck Unimon, le 13 et 14 Mars 2020. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Nouvelle épreuve olympique

 

 

 

 

 

                                                    Nouvelle épreuve olympique

 

 

On devrait inscrire le déni au tableau des épreuves olympiques. On assisterait à des  performances éblouissantes. Tous les jours, des records mondiaux seraient battus. Et tout cela sans le moindre microgramme de dopage. Enfants, adolescents, femmes, hommes. Beaucoup d’entre eux ridiculiseraient par leur très haut niveau de compétence nos champions habituels.

 

Cette nuit, j’ai essayé de démontrer à une de mes collègues comment, en tant qu’infirmiers, nous sommes arrimés à notre planning. Tout est parti d’une discussion à propos de la gentillesse. Lorsque l’on est trop gentil, on se fait marcher dessus. C’est ce que j’ai affirmé à nouveau devant elle. Elle s’est presque mise en colère :

 

Les gens trop gentils, ça n’existe pas ! Pour elle, on parlait plutôt de personnes « faibles » lorsque l’on parle de personnes qui se font marcher dessus !  

 

J’en suis arrivé à parler de cette violence qui peut nous être infligée à travers le planning.

 

On parle souvent de la pénibilité du travail infirmier. Sa charge émotionnelle. Ses responsabilités. Ses horaires en dents de scie et possibles tous les jours de l’année. Sa dévaluation constante, année après année. Ce nombre de jours de congés qui nous ont été supprimés. Ces primes de service bradées. Cette exigence de flexibilité («  Vous êtes titulaire mais pas titulaire de votre poste dans un service »). Ses effectifs diminués. Cette carrière rallongée de plusieurs années pour un métier désormais défini comme « sédentaire ». « Sédentaire » comme pépère. Des pépères qui, s’ils ont atteint leur nombre maximal de trimestres, pourront s’orienter vers une retraite à taux plein à peu près lorsqu’ils auront 64 ou 65 ans, on verra bien d’ici là. Où on en sera du côté des assurances privées.

 

Dans cet organigramme des tours de vis que subit la profession infirmière- comme dans d’autres professions- presque de façon programmée, le planning occupe une place particulière dans nos cœurs et dans nos artères. Car il est notre horoscope intime. Tantôt abîme, tantôt délivrance, c’est avec le stéthoscope fébrile et concentré que, souvent, on se penche au dessus de lui pour l’ausculter afin de savoir si notre avenir continue de luire entre les étoiles où s’il est devenu posthume. Pourrons-nous avoir la vie que nous souhaitons avoir en dehors de nos heures de travail ou serons-nous à nouveau contraints à faire plus d’efforts ? Pour « nécessités de service ». Pour les patients. Par solidarité. Par conscience professionnelle. Pour l’éthique.

 

Comme beaucoup, je connais tout cela. Ainsi que les arrangements de planning entre collègues. Je connais aussi les hiérarchies compétentes, engagées et compréhensives. Néanmoins, à moins de passer toute sa vie professionnelle dans un bunker, toute infirmière et tout infirmier connaîtra le supplice du planning. Le tour de piste des collègues, malades, non remplacés, de mauvaise foi ou récalcitrants à remplacer. Les hiérarchies qui vous placeront une kimura entre votre dimanche et votre lundi ; qui réinterprèteront votre planning- votre horoscope- autrement ou vous contacteront durant vos vacances.  

Si vous avez  encore un petit peu de chance et de l’argumentation, cela sera fait avec correction et vous trouverez des arrangements. Autrement, il vous faudra composer. N’oubliez pas en outre, qu’aujourd’hui, et c’est une règle pour l’instant implicite mais déjà active, avec le téléphone portable et la boite mail, tout le monde est supposé pouvoir être joint pratiquement vingt quatre heures sur vingt quatre.

 

On supporte et on accepte mieux certaines conditions de travail et sa communication selon ce que l’on a besoin de prouver ou de sauver.  Selon ce que l’on a besoin d’apprendre. Selon son âge et sa situation personnelle, aussi.

 

Comme la majorité, j’ai participé et continue de participer à l’effort de guerre. Je l’ai fait et le fais encore volontairement. Mais on peut très bien consentir à certains efforts ou sacrifices et palper encore un peu de lucidité :

 

Si  dans le service, quelqu’un manque à l’appel et à l’appui sur la chaine de montage du soin, tout le reste s’effondre nous fait-on comprendre. Même si on sait aussi, au besoin, laisser filtrer dans notre cervelle que toute infirmière ou infirmier est interchangeable.

 

 

J’ai essayé de faire comprendre à ma collègue que dans la Santé, d’autres professions collègues sont plus libres que nous par rapport au planning. Rien à faire. A quelques voix de la retraite, celle-ci a considéré qu’il était beaucoup trop facile de s’en prendre aux hiérarchies ! Qu’elle avait toujours travaillé en toute solidarité avec ses collègues ! J’ai loué et je loue ça. Pourtant, à part ça, le planning de l’infirmière et de l’infirmier est tout de même bien des fois un crucifix, non ? Hé bien, pour elle, non ! Nous nous sommes presque fâchés.  J’ai fini par lui dire :

 

«  Tant mieux pour toi ! ». «  Tu as de la chance ! ».

 

 

Avant de quitter notre service, un message vocal de ma compagne. Notre fille ayant encore fait de la fièvre cette nuit (otite ? Angine ? ), elle me demandait si je pouvais rentrer plus tôt afin qu’elle puisse partir au travail. Autrement, il allait manquer du personnel dans le service ce matin (oui, ma compagne est aussi infirmière). Dans son message, ma compagne se proposait de rentrer en début d’après-midi afin d’emmener notre fille chez le médecin. Je l’ai appelée. Je n’avais pas vu tous les messages. Entretemps, elle avait décidé de prendre une journée « enfant malade ». 

 

 

Après ça, je suis parti à la pharmacie. Afin de me faire rembourser les masques FFP2 dont j’ai parlé dans Coronavirus. D’un commun accord, ma compagne et moi avons opté pour nous procurer des masques à un tarif plus fréquentable. Elle savait comment. Un des articles de Le Canard Enchaîné  de ce mercredi 26 février 2020 (Coronavirus : les prix des masques s’envolent en France  puis Le ( corona) virus du commerce ! ) m’a depuis malheureusement conforté dans ce que j’avais compris :

 

 

«  (….) Car, dans les hôpitaux, les factures grimpent déjà à une vitesse vertigineuse. Exemple : entre le 20 janvier et le 4 février, le tarif facturé par un distributeur français, Paredes, a quasi triplé ».

 

« (….) Sur internet, des petits malins ont aussi flairé l’épidémie des bonnes affaires. Le dimanche 23 février, un lot de 20 masques FFP2 était en vente sur le site eBay au prix de 16 euros. Le lendemain matin, alors que l’Italie avait franchi un nouveau cap, le même lot était affiché à….32 euros ! ».

 

Mais avant cela, toujours dans le même article signé J.C, page 3, ce passage :

 

« Le Ministère de la Santé a fait ses calculs : pour équiper les soignants, les flics et les pompiers face à l’épidémie de coronavirus, «  il faudra 200 millions de masques FFP2 sur les trois prochains mois » confie une huile du ministère. Ces masques qui empêchent d’être contaminé ont une « durée de vie » de trois heures seulement…. ».

 

 

Une « durée de vie de trois heures seulement ». Le pharmacien m’avait dit « huit heures ». Je me suis vraiment fait couillonner il y a un ou deux jours avec l’achat de ces masques. Ce qui s’est vérifié sur place en retournant à la pharmacie :

 

Impossible de les restituer pour des « conditions d’étanchéité ». Impossible d’obtenir un bon d’achat en contrepartie. C’est comme pour les médicaments m’a-t’on expliqué de façon aimable et intraitable : une fois vendus, on ne les reprend pas.   

 

J’ai donc payé à nouveau de ma poche pour les autres articles que j’avais prévus d’acheter en revenant dans cette pharmacie. Je vois ces trois masques que j’ai donc gardés comme des préservatifs un peu chers. Ce sont peut-être eux qui nous sauveront la vie puisqu’une seule fois suffit. Et cela me permettra peut-être un jour de lire El Watan.

 

 

J’avais quitté la pharmacie depuis plusieurs minutes et me dirigeais vers la ligne 14 lorsque j’ai croisé un homme et peut-être son fils, adolescent. Ils portaient tous les deux un masque et, la nouveauté, c’est qu’il s’agissait là de deux européens. Je me suis dit que ça commençait. Bientôt, on va voir de plus en plus de personnes portant un masque FFP2 au moins dans les rues de Paris ou dans dans ses transports en commun.

 

 

Mais cet article n’est pas encore terminé.

 

 

Je me suis enfourné dans le métro de la ligne 14. Un homme d’une trentaine d’années m’a accueilli presque bras ouverts. Le métro était bondé. Normal aux heures de pointe. Ce qui a été inhabituel, cela a été les traits d’humour de cet homme qui s’est mis à me parler. Des autres passagers plutôt maussades. Du fait de partir au travail. Je lui ai dit que je venais de terminer. Son visage s’est éclairé. Le travail de nuit, c’est bien, m’a-t’il dit. Même si ce n’est pas très bon pour l’organisme a-t’il continué. J’ai acquiescé et ajouté sans développer :

 

«  Pour la vie sociale, aussi ». Il a haussé un peu les épaules. La vie sociale, ce n’était pas important. Il a évoqué son projet d’obtenir de faire du télétravail trois jours par semaine. Il m’a assuré que si ses employeurs refusaient qu’il partirait. Il a ajouté :

 

«  De toute façon, je n’ai formé personne. Ils ont besoin de moi ».

 

A le voir habillé en Jeans, basket, portant la veste, décontracté et me parlant télétravail comme si son absence dans son service n’aurait aucune incidence, je me suis dit qu’il devait être informaticien. Ce que je lui ai demandé. Celui-ci m’a répondu :

 

« Dans l’informatique et la finance ». Et sans que je lui en demande davantage, voilà qu’il a commencé à me dire que, «  dans la finance », on était créatif pour utiliser des « produits toxiques » de façon illégale. Ou en jouant avec la loi. Bien-sûr, en entendant ça il me restait un fond de Jérome Kerviel dans la tête.  Mais il m’a fallu rechercher son prénom et son nom sur le net pour la rédaction de cet article. Car je les avais plus ou moins oubliés : Jérome Kerviel était un trader de 31 ans en 2008 lors de « l’affaire » de la Société Générale. A cette époque, je ne connaissais même pas ma compagne et je travaillais ailleurs. On ne parlait pas de réforme de retraite. Il n y avait pas de gilets jaunes. Pas de coronavirus.

 

 

Avant que les portes du métro de la ligne 14 ne s’ouvrent à St Lazare, j’ai informé mon interlocuteur que j’allais me dépêcher. Il m’a souhaité une bonne journée. J’aurais pu rester discuter avec lui. Mais je n’aime pas piétiner dans la foule dans les escalators, dans les escaliers et dans les transports en commun. Je ne voulais pas non plus que notre conversation dure trop longtemps. Mais je crois qu’il était bien dans l’informatique et dans la finance. Contrairement au livreur maussade qui est venu tout à l’heure alors que j’étais encore dans cet article. La dernière fois, ce livreur m’avait obligé à venir chercher notre commande dans la rue affirmant :

 

«  On n’a pas le droit de monter. C’est interdit ».

 

Aujourd’hui, il a dû monter. Avec une certaine colère en sourdine, devant moi,  le livreur m’a demandé : « Vous avez un stylo ? ». Oui, j’avais un stylo. Studieusement, je suis parti chercher un stylo. Il m’a indiqué avec autorité :

 

« Vous marquez votre nom là et vous signez ». J’ai marqué mon nom et j’ai signé. Il est ensuite parti, remonté. A la prochaine livraison, il me descendra peut-être.

 

Franck Unimon, ce jeudi 27 février 2020.

 

 

 

 

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Coronavirus : un petit sursis pour l’homme, un grand profit pour les pharmacies.

 

 

Je me trouvais du côté de la Gare du Nord. Je me suis dit que j’allais essayer de me procurer un numéro d’El Watan. Depuis que dans le 8ème arrondissement de Paris, j’ai croisé un journaliste d’El Watan, je me suis mis en tête de le lire. C’était avant d’interviewer le réalisateur Abdel Raouf Dafri dont j’ai déjà reparlé récemment. ( A Voir absolument ).

 

A entendre ce journaliste, il était facile de l’acheter dans un kiosque à journaux. C’était il y a plusieurs semaines. Toujours dans le 8 ème arrondissement, j’ai recroisé ce journaliste il y a quelques jours alors que je me rendais à la projection de presse du film Brooklyn Secret (Brooklyn Secret.) Mais avant que je puisse lui exposer mes difficultés pour trouver à la vente ce journal qui le rémunérait, il avait disparu.

 

Dans un point presse bien pourvu du 13ème arrondissement où on ne le vend plus depuis une dizaine d’années, on m’avait suggéré que j’avais mes chances à Barbès. C’est là que des anciens clients de ce point presse se rendraient désormais pour acheter El Watan.

 

Je me suis imaginé que j’avais mes chances à la Gare du Nord. Puisque c’est proche de Barbès. Je me suis trompé. A la place, le vendeur a fait de l’humour. El Watan ? L’Algérie ? J’ai commencé moi aussi à faire de l’humour :

« Vous savez que l’Algérie existe ? ». Il m’a répondu sans détour :

« Je sais que l’armée existe…je suis algérien ».

Il m’a confirmé qu’il était probable que El Watan soit en vente à Barbès. Mais je ne me voyais pas aller jusqu’à Barbès. Je me suis contenté du New York Time  et de El Pais.

 

Par paresse, je lis très peu de presse étrangère. C’est un tort. C’est un tort de se contenter du minimum de ce que l’on sait et de ce que l’on a pu apprendre ou commencé à apprendre à l’école ou ailleurs. De rester dans son confort. C’est comme ça qu’ensuite, avec l’habitude, le quotidien, notre regard sur nous-mêmes et sur notre environnement se rétrécit et qu’après on pleure sur soi-même parce-que notre vie est pourrie. Qu’il ne s’y passe jamais rien ou pas suffisamment selon nous.

Mais, là, j’ai acheté The New York Times  et El Pais. Même si je savais que je les lirais très partiellement, cela me permettrait déjà de partir ailleurs.

J’ai plus feuilleté le New York Times car mon manque de pratique de l’Espagnol m’handicapait avec El Pais.

 

Dans le train du retour, je me suis assis à quelques mètres d’un SDF bouffi par l’alcool que je connais de vue. Je crois qu’il réside dans ma ville. Une dame venait de lui donner de l’argent. Mais dès qu’il m’a aperçu près de lui, il m’a sollicité et en a redemandé. A défaut d’argent, il m’a d’abord demandé l’heure car il ne pouvait pas voir. Puis, il a fini par me demander de lui donner un journal. Pour lire. Pour s’informer. Il avait manifestement envie de parler à quelqu’un. Lorsque je lui ai dit que les journaux étaient en Anglais et en Espagnol, il a renoncé. Par contre, lorsque quelques minutes plus tard, un autre homme est venu faire la manche dans le même wagon en passant parmi les voyageurs, il l’a aussitôt menacé et lui a dit de se casser. L’autre homme a poursuivi son œuvre avec le sourire.

 

Ce matin, je suis passé à la pharmacie. Je savais que je n’y trouverais pas El Watan. Aussi me suis-je abstenu de le demander. J’étais là pour acheter une lotion capillaire pour ma compagne. J’ai déjà fait « pire » :

Je devais avoir à peine une vingtaine d’années lorsque ma mère m’avait demandé de lui acheter une paire de collants. Cela ne m’avait pas dérangé. Depuis le temps que ma mère m’envoyait faire des courses. J’étais ressorti du supermarché et, dans les rues de Pointe-à-Pitre, j’avais rapidement compris que certaines personnes qui m’avaient croisé avaient des yeux de drones leur permettant de voir parfaitement à travers le sac en plastique transparent que je portais en toute décontraction.

 

Ce matin, pas de collant parmi mes achats. J’étais à la caisse quand j’ai entendu un homme plus jeune que moi demander à une autre caisse un masque FFP2. J’ai aussitôt fait le rapprochement avec le coronavirus Covid-19 bien que, sans cet homme, j’aurais été incapable de savoir le définir de cette façon.

Devant moi, le pharmacien qui me servait m’a répondu qu’il allait voir s’il en restait. Il m’a d’abord dit qu’un masque coûtait 2,99 euros, l’unité. Puis, revenant avec trois masques, il m’a présenté ses excuses : un masque coûtait 3,99 euros. Je les ai néanmoins pris tous les trois.

 

Le pharmacien m’a confirmé que, oui, c’était bien les masques préventifs pour le coronavirus. Il m’a dit qu’il espérait que cela allait s’arranger. Il m’a répondu qu’ils n’en n’avaient pas toujours mais qu’il y avait en ce moment une certaine demande surtout des touristes. Il se trouve que les seuls touristes « reconnaissables » que j’ai pu voir dans cette pharmacie parisienne sont asiatiques. Peut-être chinois. Peut-être japonais.

 

Jusqu’à maintenant, j’ai entendu parler du coronavirus Covid-19 sans m’en inquiéter plus que ça. Mais, ce matin, je me suis dit que cela pouvait être bien de « s’équiper ». En sachant que, selon les dires de ce pharmacien un masque a une durée d’efficacité de 8 heures. Il serait donc convenable si l’épidémie du coronavirus arrive en France qu’elle soit très rapide. Ou d’avoir de quoi acheter un nombre plutôt conséquent de masques. Mais je me suis dit ça après avoir quitté la pharmacie et après avoir payé les trois masques. Parce qu’en reprenant le métro, j’ai pris le temps de lire le journal gratuit distribué devant la pharmacie. J’ai jeté ce journal depuis. Mais je me souviens qu’après un match laborieux, le PSG, hier, a battu Bordeaux 4-3 au parc des Princes. Que El Matador « Cavani » a marqué son 200ème but avec le PSG toutes compétitions confondues. Que Neymar a trouvé le moyen d’écoper d’un second carton jaune et de se faire exclure. Il sera donc absent pour le prochain match face à Dijon. Qu’au début du match, des supporters avaient montré une pancarte demandant à M’bappé, Neymar et Marquinhos de « porter leurs couilles ».

A part ça, l’équipe de France de Rugby, en battant le Pays de Galles, confirmait qu’elle était une très belle équipe. Et puis, tout au début du journal, le coronavirus en Italie. L’inquiétude en Europe. Deux morts.

En rentrant, j’ai regardé à nouveau Le New York Times et El Pais. Hier, dans Le New York Times, j’avais pris le temps de lire l’article consacré à l’acteur, scénariste et réalisateur américain Ben Affleck qui parlait de son addiction à l’alcool. Au fait que son propre père était devenu sobre alors qu’il avait 19 ans. L’alcoolisme de son frère Casey, que l’on n’a plus vu depuis quelques temps sur les écrans, était aussi mentionné.

 

 

C’est sur El Pais que j’ai vu l’article dont s’est sans doute inspiré le journal gratuit d’aujourd’hui concernant le coronavirus. Entre-temps, les près de 4 euros par masque avaient commencé à me peser. Lorsque j’en ai discuté avec ma compagne, j’ai été obligé de me rendre compte que je m’étais fait arnaquer. Comme d’autres. Près de 4 euros pour un masque qui ressemble à un petit slip jetable pour bébé et dont le coût à la fabrication doit se compter en centimes et peut-être même en micro-centimes. Pour un slip jetable qui est peut-être fabriqué en Chine, ce qui serait comique en plus.

 

L’anxiété et l’esprit de prévention avaient encore frappé. Lorsque ce n’est pas sous forme de pub sur le net, dans la boite à lettres, à la télé, au cinéma, à la radio, dans la rue, dans les transports en commun, sur le téléphone portable, la tablette ou à la banque, c’est sous forme de terrorisme, d’extrémisme politique, de catastrophe, de meurtres ou d’épidémie sanitaire qu’ils s’infiltrent. Avant que le moindre virus n’ait eu le temps de visiter nos poumons, nous sommes déjà contaminés par l’anxiété et l’achat de prévention qui sont une forme de crachat civil réservé à ces êtres civilisés et socialisés que nous sommes. Jusqu’à ce qu’une rupture de stock apparaisse….

 

Mais je crois encore que je réussirai à me rendre à Barbès afin d’y trouver El Watan avant que le coronavirus ne trouve l’adresse de mon organisme.  

 

Franck Unimon, lundi 24 février 2020.

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Une gueule à connaissances

Il y a deux ans et demi (en juin ou juillet 2017), dans mon hôpital, j’ai  postulé pour travailler dans un service réputé dans le traitement des addictions.

J’ai postulé trois fois. Ma dernière candidature date de novembre 2018. Trois « échecs ».

 

Je me suis mal vendu au moins lors d’une de ces trois candidatures.

 

Mon CV est bon à ce qui m’avait été répondu lors de ma troisième et dernière  candidature à ce jour. Autrement, m’avait-il été expliqué, on m’aurait dit dès le début que mon profil ne convenait pas.

 

Aujourd’hui, j’ai effectué un peu plus de dix remplacements dans ce service. Si je le peux, je compte en effectuer davantage. Pas seulement pour des raisons financières.

 

Lors de ces remplacements- où je suis payé en heures supplémentaires comme tout(e) infirmier(e) volontaire de mon établissement venant combler une pénurie de personnel sur ses heures de repos ou sur ses congés- cela se passe plutôt bien avec les divers collègues de ce service. Ainsi que pour moi. Ni cauchemars, ni nausées.

 

Lors de ces remplacements, les échos sont bons à mon sujet. C’est, aussi, ce qui m’avait été répondu lors de ma troisième candidature il y a un peu plus d’un an.

 

 

Officiellement, ce qui me desservirait, ce serait «  mon manque d’expérience –professionnelle- dans les addictions ». Je ne crois pas à cette histoire. Mais je laisse celle qui, plusieurs fois déjà, me soumet à cette condition, se la raconter. Je suis l’outsider. Je n’ai pas le pouvoir de la contrer.

 

Mais, historiquement, je sais que ce service où j’ai postulé trois fois a embauché avant moi dans le passé- et dans un présent récent- avant moi des infirmières et des infirmiers de différents âges qui n’avaient aucune expérience professionnelle ou même personnelle, ou alors une petite, dans le domaine des addictions. Je le sais car je m’intéressais déja à ce service plusieurs années avant d’y postuler. Avant même qu’y travaille celle qui, aujourd’hui, m’explique qu’il faut impérativement une expérience dans le domaine des addictions pour pouvoir prétendre y exercer.

 

Et, je le sais aussi, parce-que j’ai discuté avec plusieurs infirmières et infirmiers qui y travaillent ou y ont travaillé. Le monde de la Santé est aussi un petit monde pour les infirmières et infirmiers. Et, en discutant, on peut découvrir qu’untel ou untel a travaillé dans tel service. Et quel avait été son parcours professionnel voire personnel auparavant.

 

Lors de ma troisième candidature, on s’était étonné l’air de rien du fait que, depuis ma première candidature, je n’avais fait aucune démarche afin de suivre une formation dans le domaine des addictions. J’avais alors répondu que j’étais « volontaire » pour suivre des formations. « L’échange » s’était arrêté là sur ce sujet. Même si on s’était empressé de me dire que cette remarque était sans conséquence particulière, j’avais pressenti que j’avais de nouveau « fauté » lors de cette nouvelle candidature. Je m’étais néanmoins exclamé :

« Mais si vous ne m’embauchez pas, je n’aurais jamais l’expertise ! ». Silence de mes deux interlocutrices. «  On te rappellera à la fin du mois mais sache qu’il y a d’autres candidats qui ont de l’expérience dans les addictions et qui ont des projets… ».

 

Dans mon service, quelques mois plus tard, on me refusait finalement la possibilité de suivre un D.U en addictologie. D’une part parce-que les budgets de formation de l’hôpital étaient de plus en plus difficiles à obtenir. Et d’autre part parce-que l’on avait appris mes intentions d’aller travailler dans ce service spécialisé dans les addictions. Aussi, ma hiérarchie estimait-elle que c’était plutôt à ce service spécialisé dans les addictions, et faisant partie du même hôpital, de me payer cette formation.

 

Selon moi, des raisons personnelles – que je ne peux pas définir avec précision pour l’instant- expliquent cette discrimination à l’embauche que je vis depuis un peu plus de deux ans dans mon hôpital lorsque je parle de ce service spécialisé dans le traitement des addictions.

 

Je ne parle pas de discrimination raciale.

 

Je crois qu’il y a quelque chose dans ma personnalité, qui a déplu, a dérangé ou effrayé lorsque je me suis présenté pour un poste dans ce service. Même si on y recherche  «  des profils atypiques ».

 

Je pense m’être très mal vendu au moins lors d’une de mes trois candidatures. J’ai sans doute exposé trop d’assurance. J’ai sans doute déstabilisé quelqu’un lors d’une ou plusieurs de mes candidatures. Il est vrai qu’avec mon expérience et mon CV, j’étais très « sûr » de moi au moins en apparence. Or, je peux aussi être bon comédien. Et, lorsque l’on est bon comédien, on réussit très bien à faire passer l’apparence pour soi-même. Même si ça peut nous desservir en dehors d’une scène de théâtre ou du plateau de tournage d’un film. Au travail comme dans la vie. Il est ensuite plus difficile voire impossible de rattraper l’image que l’on a donnée de soi. Avec laquelle on a marqué son territoire, son auditoire ou ses interlocuteurs.

 

J’ai peut-être été trop franc et trop direct. Ça peut faire peur. Après tout, il est bien des personnes rusées qui, en prime abord, font profil bas. ça plait, ça console, ça flatte et ça rassure car on estime que l’on pourra- au besoin- en disposer comme du bétail docile. Eduquer ou convertir cette personne. Parfois, une fois dans la place, le bétail docile du départ peut se révéler être fait de braises, de rocaille. Mais c’est trop tard. On fera avec puisqu’on l’a choisi. Comme en Amour, on peut rester avec une ou un partenaire que l’on a choisi même quand ça se passe mal. Et puis, on sait que dans chaque équipe, il y a un certain pourcentage de personnel plus ou moins instable. La gestion de personnel fait partie du travail.

 

Je pourrais aussi me dire que mon échec est un acte manqué car j’étais encore trop indécis : que je me suis rendu au moins à ma première candidature avec une certaine ambivalence. Que celle-ci m’a fait « déjouer », m’a rendu moins attractif et fait rater mon casting. 

 

 Je suis aussi allé jusqu’à me demander si, lors de mes candidatures, mes interlocuteurs et futurs cadres et collègues potentiels, telles des puissances extralucides surnaturelles, avaient pu percevoir en moi un potentiel addict ou celui qui, plutôt que de postuler comme infirmier, ferait peut-être mieux de consulter comme client ou patient.

 

Je me suis aussi demandé si j’étais apte à travailler dans ce genre de discipline. Je suis peut-être trop lisse. Trop normal. Trop déformé par la psychiatrie.

On peut très bien vouloir travailler dans un service prestigieux et ne pas disposer des capacités personnelles suffisantes. Ou ne plus être fait pour cela.  Je ne peux pas prétendre tout connaître de moi et, d’ailleurs, j’ai toujours affiché lors de mes candidatures ma grande ignorance dans le domaine des addictions. Et je le croyais sincèrement. Même si c’est faux.

 

En deux ans et demi, un peu à la façon des thèmes astrologiques,  j’ai eu le temps de laisser infuser dans ma tête le thème des addictions. Les addictions sont multiples. Le plus souvent, on pense d’abord aux addictions avec substance. Alors que l’on sait que se sont développées les addictions aux écrans,  aux dépenses en tout genre en ligne comme dans les magasins physiques que ce soit lors des périodes des soldes comme en ce moment ou en dehors de ces périodes, au sucre, au sexe etc….

 

Donc, que ce soit passivement ou en tant qu’acteur et consommateur, j’ai évidemment comme tout citoyen « normal » mes expériences personnelles en tant qu’addict. Et comme tout citoyen « normal » qui veut se faire bien voir, lors de ma première candidature, j’en ai eu honte. J’ai alors affirmé sans chercher à comprendre que, non, moi, Franck Unimon, je n’avais pas d’addiction !

 

Mais cela est plus comique que rédhibitoire à mon avis. Personnellement, ce déni me fait sourire lorsque j’y repense.  Aussi, je ne crois pas que ce soit là que je me sois le plus mal vendu en tant que postulant.

En attendant, je considère comme peu crédible et très ambivalente cette croyance ou ce principe selon lesquels, pour être embauché, seule me manquerait une formation en addiction.

Parce-que, par ailleurs, mon CV est « bon ». Et, je suis un professionnel rassurant lorsque je viens effectuer des remplacements. « Cela me rassure que ce soit toi » m’a t’il par exemple été dit lors d’un de mes derniers remplacements. Juste après avoir fait la découverte suivante : « Unimon, c’est toi?!». Ce jour-là, après mes trois candidatures pour rien et ma dizaine de remplacements, j’ai fini par reconnaître :

 

« Oui, Unimon,  c’est moi ! ».  « Je suis content de savoir que je te rassure ! ».  Mimique pincée de mon interlocutrice qui a alors tenu à m’assurer de sa sincérité ! C’était il y a deux ou trois mois.

 

Un an plus tôt environ, après ma troisième candidature, et voyant que personne ne me rappelait comme on s’y était engagé,  j’avais un moment fini par me changer en colère. Puis, avec le concours de ma compagne, je m’étais raisonné. Me mettre en colère n’allait rien changer. Par contre, je pouvais continuer de me former en retournant effectuer des remplacements dans ce service où j’avais plaisir à me rendre lorsque je le pouvais.  Cela me permettrait par ailleurs de continuer de m’assurer que je ne suis bien à ma place et dans mon rôle dans un service d’addiction en tant que professionnel. Et, aussi, d’étoffer mon CV.

 

Mais il fallait quand même, à un moment donné, suivre une formation dans le domaine des addictions. Pour moi. Plus que pour me plier à cette obligation de formation théorique qui rassure et flatte surtout celle qui m’a servi cet argument ou ce prétexte :

 

Mon parcours personnel et professionnel en tant qu’infirmier (mais aussi au moins en tant que journaliste et en tant que comédien)  dit tout le contraire de cette obligation de formation très très scolaire.

 

Initialement, je suis infirmier diplômé en soins généraux. Ce qui signifie que si l’on regarde scolairement mon diplôme, on m’enverrait travailler dans un service de soins généraux en médecine ou chirurgie. Même si, lors de nos études et même après l’obtention de notre diplôme, nous comprenons très vite, en pratique, que nous avons beaucoup à apprendre. Comme tout étudiant d’une école de cinéma ou tout élève de conservatoire de théâtre s’aperçoit très vite qu’il a peut-être un très beau diplôme d’un institut prestigieux mais, sur le terrain, il va devoir se modeler sur son nouvel environnement professionnel, à de nouveaux rôles et à de nouvelles situations prévus et imprévus. Et s’y frotter.

Une fois diplômé en tant qu’infirmier, et après avoir tenté plusieurs fois l’expérience dans différents services par intérim, de nuit comme de jour, je m’étais aperçu que le milieu général me bouchait l’horizon en tant qu’individu. Je me suis rappelé de mes bonnes impressions lors d’un de mes stages en psychiatrie adulte. C’est comme ça que j’ai débuté ma carrière d’infirmier en psychiatrie adulte il y a bientôt trente ans. Malgré les inquiétudes répétées de ma mère qui craignait que je devienne « fou » et qui m’exhortait, aussi, à reprendre ma licence d’Anglais à la Fac. Pour la licence d’Anglais, j’aurais dû l’écouter mais j’avais été dépité par l’enseignement de l’Anglais, à la Fac, où l’on nous demandait beaucoup de technique, beaucoup de théorie et, aussi, beaucoup de par cœur. J’ignorais que cela pouvait s’arranger ensuite. Et, je me sentais très bien dans le milieu de la psychiatrie adulte. Personnellement. Professionnellement. J’avais un poste attitré et je gagnais ma vie correctement en effectuant des trajets confortables pour me rendre au travail.

 

Puis est arrivé le « virage » en pédopsychiatrie. Là aussi, j’aurais pu dire, et je l’ai dit d’ailleurs, que je n’y connaissais rien en pédopsychiatrie comme en psychiatrie adulte à mes débuts. Et comme pour les addictions. Là aussi, même s’il m’a fallu me former et affiner, c’était faux :

je savais des choses dans le domaine de la pédopsychiatrie comme dans le domaine de la psychiatrie adulte. Mais j’ai dû apprendre d’autres enseignements. D’autres codes relationnels. Ce que j’ai fait au contact des autres. Mes collègues. Les patients. J’ai aussi suivi quelques formations théoriques. J’ai également lu par moi-même. Je crois beaucoup au fait que certaines lectures, expériences, rencontres et découvertes que l’on peut faire dans différents domaines a priori très éloignés les uns des autres peuvent se recouper. Et que cela nous permet de mieux assimiler et pratiquer une discipline. Peut-être davantage qu’en subissant un cours théorique mécanique et informe dont certains  enseignants  semblent autant subir le corps et la durée que celles et ceux qui y assistent et y participent en tant qu’élèves et étudiants.  

Question un peu tendancieuse :

Un « bon » dealer doit-il obtenir un D.U en addictologie ou un diplôme d’une bonne école de commerce  pour réussir ? Ou apprend-t’il son métier par transmission et par entraînement au contact- répété- d’un certain milieu et de certaines connaissances ?

La réponse se passe, je crois, de démonstration. Mais si l’on doit parler de faire et de suivre des études théoriques, je suis preneur.

 

Pourvu que le menu des études résulte de mon choix, J’ai un assez grand plaisir à manger de la connaissance. Certaines personnes sont des « gueules à cannes ( à sucre) ». Je fais partie des personnes qui- dans certains domaines- ont une gueule à connaissances :

Théorique, intuitive mais aussi par le biais des rencontres, des discussions, de l’observation et de la réflexion. Même si je peux être très lent, aussi.

Mon problème n’est pas de rechigner à faire des études. Mon problème serait plutôt que j’ai encore le vif ressentiment que j’aurais pu, que j’aurais dû, plus jeune, et même aujourd’hui, prétendre à de plus longues études. Les projets d’études sont donc loin d’être rares dans mon esprit y compris dans d’autres univers que celui de la Santé. Et, mon blog, je crois, en donne un aperçu. 

 

J’ai donc un moment envisagé de payer ma formation pour obtenir ce diplôme universitaire en addictologie . Je me suis déjà payé une autre formation il y a plusieurs années. Pour un Brevet d’Etat d’éducateur sportif dont j’avais suivi le cursus sur mes congés personnels. Même si, à ce jour, je m’en suis très peu servi, je ne l’ai jamais regretté.  L’avantage, lorsque l’on paie soi-même sa formation, c’est que l’on ne doit rien à personne. Et que l’on évite aussi toutes ces convulsions administratives qui rendent bien des démarches et bien des initiatives aussi fastidieuses que l’activité d’un transit intestinal hautement colonisé et pourtant obstinément constipé.

 

Près de 2000 euros pour ce diplôme universitaire en addictologie. Et, je suis moins « riche » qu’auparavant.

 

Une responsable à la formation des ressources humaines de mon établissement – que j’ai rencontrée à la fin de l’année dernière- m’a expliqué que ce serait dommage de fournir un tel effort financier. Elle m’a aussi dit qu’à son avis, la motivation importait plus qu’une formation quelconque dans le domaine des addictions pour exercer dans un service d’addictologie. Elle m’a néanmoins encouragé, dès que je le pouvais, à profiter des formations- courtes- qui pouvaient m’être accordées en addictologie. J’avais déjà accepté d’aller suivre la formation en addictologie de quelques jours que mon service m’avait concédé. Depuis, je me suis renseigné sur ces formations internes à mon hôpital et auxquelles je peux accéder sans débourser un sou, sauf pour le déjeuner.

 

 

Ce samedi, après une nuit de travail, lorsque je me rends à cette nouvelle « formation »,  j’ai déja suivi d’autres formations courtes dans le domaine des addictions dans mon hôpital. Dont une, organisée par ce service où j’ai postulé. Service où je suis revenu effectuer un 13ème remplacement, lors de la journée du 25 décembre. Après avoir agréablement et sobrement fêté Noël en famille jusqu’à  trois heures du matin ou plus. La grève des transports se poursuivant depuis le 5 décembre afin de protester contre « la réforme » des retraites décidée par le gouvernement Macron-Philippe, je m’y étais rendu à vélo.

 

Ce samedi matin, je ne crois pas du tout au fait que cette nouvelle formation, pas plus que les précédentes et les suivantes, m’ouvrira davantage les pores de ce service d’addiction où j’avais postulé pour la première fois deux ans et demi plus tôt.  Je suis même devenu ambivalent envers ce service : je veux bien y retourner pour y effectuer des remplacements et continuer d’apprendre. Je crois que je serais désormais assez embarrassé si l’on m’y proposait un poste.

 

Je vais donc à cette formation pour moi. Pour mon plaisir. Mon plaisir est aussi assez agressif car, même si je recroisais ( ce qui est déja arrivé entre-temps en me rendant à une autre formation) celle qui m’a affirmé qu’il me manque de l’expérience et une formation dans les addictions, et que je ne peux donc pas faire partie de ce club très sélect que constitue ce service prestigieux à ses yeux, je sais que je ne lui parlerai pas de ces formations- formelles et informelles- que j’ai commencées à ajouter  ici et là à mon tableau de chasse. Car, oui, de banal candidat à un poste, dans un service, la situation répétée, d’irrespect à mon égard, a fait de moi un chasseur. Et ma proie n’est pas celle que l’on croit.

 

« Transfert et contre-transfert dans les addictions ». Voici ma proie, ce matin-là. Et, elle apparaît à partir de 9h30. A quelques minutes à pied des nouveaux locaux où mon service a emménagé cette semaine, le temps que les locaux originels de notre service  soient rénovés. On estime que les travaux prendront un an. Peut-être plus.

 

Franck Unimon, mercredi 22 janvier 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Crédibilité 2

 

Certaines personnes sont payées pour tuer et en sont fières. Le personnel infirmier est généralement payé pour s’exécuter.

 

J’écris et je pense parce que je ne peux pas m’en passer. Mais mes moyens sont limités. L’envie, la bonne volonté, le travail, l’humour- noir- et le sens du devoir peuvent être insuffisants pour convaincre.

En certaines circonstances, ces dispositions pourraient même empêcher de convaincre.

 

 

Les deux premières banques mondiales sont chinoises. La troisième est HSBC, une banque britannique, avant que le Brexit devienne bientôt effectif. Je l’ai appris par notre future conseillère bancaire qui a travaillé une dizaine d’années à HSBC. J’aurais probablement pu l’apprendre par moi-même en lisant un journal comme Les Echos par exemple ou un site qui parle d’économie. Mais ce genre d’informations me passe souvent au dessus de la tête. Je fais partie de toutes ces personnes qui ignorent à quel point les changements et les évolutions dans le monde de l’économie et de la finance ont une conséquence directe à court et moyen terme sur ma propre vie. Au lycée, j’avais pourtant suivi des cours d’économie. Et, dans ma propre vie, je connais et  ai pourtant plusieurs fois rencontré et croisé des gens qui l’avaient très bien et très tôt compris. Au point de décider d’en faire un métier et/ou une priorité. Mais je suis aussi le passager de mes alarmes personnelles. Et une fois que ces alarmes m’ont estimé à l’abri en termes de sécurité de l’emploi, de satisfaction au travail, et de salaire pour subvenir à mes « besoins », une fois adulte célibataire parti de chez de ses parents, ces alarmes se sont tues. Pendant des années. Et je suis dans l’impossibilité d’affirmer si cet article est une alarme que je m’adresse à moi-même.

 

 

Pendant ce premier rendez-vous avec notre future conseillère bancaire, une femme d’une cinquantaine d’années, celle-ci avait voulu savoir ce que nous attendions d’une banque. Et si ma compagne et moi étions le genre de clients qui exigent un contact et une réponse rapides par mail ou par sms et capables de quitter une banque au bout d’un ou deux ans sitôt qu’ils ont trouvé de meilleures conditions bancaires ailleurs. C’était la première fois pour ma part qu’une conseillère bancaire m’entreprenait de cette manière.

« Notre » autre conseillère bancaire dans cette agence que nous allons quitter est une femme d’à peine une trentaine d’années, arrivée à l’agence il y a bientôt deux ans, avec laquelle notre relation est lapidaire. J’ai toujours eu l’impression d’être un dossier, une fonction, un protocole ou un chiffre bas lors de nos quelques « contacts » que ce soit en direct ou par mail. Et, même de cette façon, ses compétences en termes de « conseil » me semblent assez insolites. Elles pourraient peut-être inspirer une étude comportementale ou ethnographique.

 

Ma compagne et moi avons un compte commun depuis sept ans dans cette banque que nous allons quitter. Cette banque nous avait fait la meilleure offre pour un prêt immobilier destiné à durer vingt ans à l’origine. Le prêt immobilier classique du couple qui se forme, s’officialise, décide de faire vie commune et d’avoir un enfant. J’écris que c’est le « prêt immobilier classique » en essayant de me mettre à la place du conseiller bancaire voire de l’agent immobilier lambda qui prendrait connaissance notre projet.

 

Depuis la création de notre compte commun dans cette banque il y a bientôt sept ans, nous avons eu trois conseillers bancaires. L’actuelle conseillère est la troisième. A part peut-être la première conseillère bancaire qui nous avait « obtenu » notre prêt bancaire, le second conseiller, avec lequel les relations étaient correctes et qui faisait montre d’une compétence franche et tranquille, avait quitté l’agence sans nous en informer.

 

Je suis dans cette banque que nous allons quitter depuis 1987. Nous allons la quitter parce qu’en passant par une femme courtier recommandée par un couple d’amis, « notre » nouvelle banque va nous permettre de gagner un an sur notre prêt immobilier. Bien-sûr, au préalable, j’avais à nouveau sollicité notre banque actuelle. De par le passé, j’avais pu obtenir une renégociation de notre prêt immobilier. Pas cette fois.

 

L’homme le plus riche du monde s’appelle encore Jeff Bezos et il est Américain. C’est le PDG du site de vente en ligne, Amazon. Pendant quelques heures ou quelques jours, un Français (Pinault ou Arnault, je les confonds et je n’ai même pas envie de vérifier la bonne orthographe de leur nom de famille) a été l’homme le plus riche du monde. C’était son ambition suprême dans sa vie, alors: devenir l’homme le plus riche du monde.  C’est peut-être encore sa plus grande ambition. Devenir le plus grand Picsou de la terre.

 

Pinault ou Arnault (que je « sais » être deux ennemis jurés) a aujourd’hui  été « rétrogradé » à la troisième place de l’homme le plus riche du monde derrière Jeff Bezos et Bill Gates. Bill Gates, également américain, est devenu également riche grâce à la forte croissance ces vingt ou trente dernières années de l’industrie et de l’économie numérique.

 

La richesse de ces trois hommes se compte en milliards d’euros ou de dollars. Celles et ceux qui les « suivent » dans ce classement des plus riches du monde, aussi. Leur niveau de « richesse » et de puissance dépasse mon entendement. En terme de salaire, lorsque je commence à penser à une somme de 4000 à 4500 euros par mois, environ, je perds un peu « pied » :

Je ne sais pas ce que cela ferait de « toucher » autant d’argent. Je « sais » et m’imagine qu’en gagnant autant d’argent -et plus- que l’on peut « accéder » à certaines expériences particulières et que l’on peut aussi « acquérir » d’autres objets plus chers et aussi habiter dans de meilleurs quartiers. Bénéficier, quand ça se passe bien, de meilleurs conseils – pour soi comme pour les siens- dans différents domaines.

Je « sais » qu’il y a un certain nombre de personnes riches qui gagnent bien plus que 4000 euros par mois que ce soit par des moyens légaux ou illégaux. Mais, pour moi, actuellement, en France, ce samedi 4 janvier 2020, si l’on venait m’apprendre- ça n’arrivera pas- qu’à partir de maintenant, je toucherais 4000 euros au minimum tous les mois, j’aurais besoin d’un peu de temps pour bien saisir. Aujourd’hui, ce samedi 4 janvier 2020, si je cherche, en faisant un certain effort, je crois que je peux compter sur les doigts de mes mains, le nombre de personnes, parmi mes proches, que j’estime ou imagine toucher 4000 euros au minimum tous les mois. C’est ce que j’imagine. Ces personnes ne me le diront pas. Je ne le leur demanderai pas. Et ça me va très bien comme ça.

 

 

«  Vous savez combien gagne une infirmière ? » demande  une infirmière hilare et saoule, agenouillée près de lui, au flic ripoux qui vient de se réveiller dans le dernier film du Japonais Takashi Miike : First Love. Le Dernier Yakuza.

J’ai vu le film hier. Après Cats réalisé par Tom Hooper. Après avoir vu la veille, Star Wars, épisode IX : l’Ascension Skylwalker, réalisé par J.J Abrams.

 

J’aurais pu répondre – gratuitement- à l’infirmière du dernier film- très féministe- de Takashi Miike mais elle ne m’aurait pas entendu. Et les spectateurs dans la salle (j’ai été surpris qu’il y ait autant de femmes) auraient été surpris.

Il y a quelques jours, une de mes collègues m’a appris qu’une de nos collègues plus jeune, diplômée depuis dix ans, touche 1600 ou 1700 euros par mois. Une autre, diplômée depuis cinq ou six ans : 1500 euros.

Comme j’en parlais déjà un peu dans la première partie de cet article ( Crédibilité ) pour lequel je n’avais pas prévu de suite, il est des heures de travail qui tardent à être payées par notre hôpital employeur :

 

Des heure de travail effectuées durant les week-end ou en heures supplémentaires.

 

Notre collègue qui fait fonction de cadre-infirmier a appris à une de mes collègues qu’il en était pour l’instant à devoir solliciter à nouveau l’administration de notre hôpital pour qu’elle paie des heures de travail supplémentaires effectuées en aout de l’année dernière. Cela fait donc deux ou trois mois, facilement, dans notre service que nous sommes plusieurs à voir notre salaire amputé chaque mois de cent à trois cents euros en moyenne.

 

A cela s’ajoute la grève des transports en commun ( Jours de grève ) en région parisienne depuis ce 5 décembre pour protester contre la réforme de la retraite telle que tient à la faire le gouvernement Macron-Philippe : une « retraite universelle », « pareille » pour « tous » quel que soit le type de travail que l’on aura effectué si j’ai bien compris. Désormais, on parle bien plus de la grève des transports dans les média et entre nous que du mouvement des gilets jaunes qui a débuté il y a plus d’un an.

 

Le gouvernement actuel Macron-Philippe (Emmanuel Macron, pour le Président de la République/ Edouard Philippe, pour le Premier Ministre), comme d’autres gouvernements avant eux, entend à la fois repousser l’âge du départ à la retraite mais aussi, avec sa « retraite universelle », éliminer les avantages dont disposent certaines professions concernant l’âge de départ à la retraite. Ainsi que la façon dont est calculée le montant des pensions de retraite. Ce serait selon eux ( Macron et Philippe) une retraite plus « juste ».

 

Si on est infirmier en catégorie B, en catégorie  » active » , on pouvait auparavant partir à la retraite, si on le souhaitait, à partir de 57 ou 59 ans, à condition d’avoir accompli un certain nombre de trimestres travaillés (180 ?). Cet âge de départ à la retraite a été repoussé ou va l’être à 62 ans. Puis, à 63 ou 64 ans. Si l’on est infirmier en catégorie A, en catégorie « sédentaire », ce qui est le cas pour tout (es) les jeunes infirmier(es) diplômé(es) ou pour celles et ceux qui avaient choisi d’être dans cette catégorie, le départ à la retraite est plutôt prévu pour…67 ans.

Chaque métier a ses contraintes et ses pénibilités spécifiques. Je n’aimerais pas être caissier, manutentionnaire, ouvrier sur un chantier ou policier comme « agent de la paix » dans la rue depuis vingt ans.

 

Le métier d’infirmier consiste à manger de la souffrance et de la violence en permanence lors de nos heures de travail.  Qu’est-ce que tu manges ? De l’avocat ? Non, des angoisses de mort dont la date de péremption est illisible.

Et toi ? Moi ?  Juste une petite guimauve paranoïaque incestueuse récidiviste. 

 

Dans les offres de poste d’infirmier en psychiatrie , il est fréquent de lire les mises en garde suivantes:

 » Risque d’agression physique et verbale lors d’un contact avec certains patients en situation de crise et d’agitation et/ou des familles en état d’agressivité.

Risque de contamination par contact avec des virus lors de la manipulation du matériel souillé (piqûre, coupure, projection, griffures, morsures….)

Risque de contamination parasitaire du fait des soins quotidiens auprès des patients ( poux, gale…)

Développement de troubles musculo-squelettiques ( TMS) par non-respect ou méconnaissance des manutentions, gestes ou postures…. » 

 

 

 

En retranscrivant partiellement et en relisant cette offre d’emploi récente ( novembre 2019) sur laquelle je suis tombé hier, j’ai l’impression de lire l’affiche d’un film d’horreur à l’entrée d’une centrale nucléaire, d’un lieu d’expérimentations médicales ou de tout autre lieu dangereux. On pourrait presque exiger de notre part de signer une décharge lorsque l’on accepte d’aller travailler dans ce genre de service.  On a l’impression que les infirmières et les infirmiers qui s’aventurent dans ces endroits sont des intrépides aguerris. Or, la raison principale, à  l’hôpital et en clinique, du métier d’infirmier consiste à assurer une présence et une compétence tous les jours et toutes les nuits au cours de l’année, jours fériés inclus.

Pour cela, je considère que ce métier devrait, comme pour une carrière militaire auparavant, faire partie de ces professions où après 15 ou 20 ans de service, la professionnelle ou le professionnel  qui le souhaite peut prendre sa retraite et être aidé(e) à une reconversion professionnelle.

Depuis trente ans, je lis et entends dire que la « durée de vie d’un infirmier » serait de 6 ou de 7 ans. Je ne sais toujours pas d’où vient ce chiffre, à quoi il correspond et ce qu’il veut dire. J’en ai encore discuté avec des collègues il y a quelques mois. Certains m’ont dit connaître ou avoir connu des infirmiers qui avaient changé de profession. En trente ans, la majorité des personnes que j’ai connues infirmières, si elles sont encore en activité- et vivantes- aujourd’hui, le sont toujours….

 

Le dernier film de Takashi Miike, First Love. Le Dernier Yakuza est au moins une critique du conservatisme de la société japonaise. Le gouvernement Macron-Philippe, et d’autres avant eux, et celles et ceux qui exécutent leurs décisions, sont aussi faits d’un certain conservatisme en ce qui concerne, au moins, la retraite et la profession infirmière. Mais il y a trente ans, un Emmanuel Macron et un Edouard Philippe, même s’ils en avaient peut-être déjà l’ambition, étaient très loin du Pouvoir qu’ils ont aujourd’hui. Il y a au moins trente ans, puis, année après année, car suffisamment rassuré, rassasié  et entouré par d’autres priorités, je m’en suis laissé conter dans certains domaines sans entrevoir le reste. Pendant ce temps-là, d’autres, formés, auto-didactes et payés pour ça, inventaient de grands projets pour le monde et la société.

 

En 2002 ou 2003, comme mes collègues dans mon service d’alors,  nous avons vu partir « Georgette » à la retraite, notre cadre-infirmière, avant ses 60 ans : Ce qu’elle avait vu se profiler pour l’avenir de la profession l’avait décidée à prendre sa retraite. Cela restait pour moi abstrait. Georgette a vingt ans de plus que moi. Et je garde de son pot de départ plutôt le souvenir d’une grande et très agréable fête dans un jardin d’un des services de l’hôpital qui m’employait alors.

 

Cinq ans plus tard, dans un autre service et dans un autre hôpital, j’étais à nouveau présent lors du pot de départ de notre cadre-infirmier. La soixantaine et également en bonne santé, G…  dans son discours, avait dit être embarrassé. A la fois, il savait  partir au bon moment car que ce qui se dessinait comme conditions de travail à l’hôpital était très sombre. Mais  nous, avait-il ajouté, nous restions-là.

 

Il y a bientôt cinq ans maintenant, dans mon service actuel, notre cadre sup infirmière partait, elle, à la retraite, en affirmant à des collègues : «  Protégez-vous ! ». Elle ne parlait ni du Sida, ni du réchauffement climatique, ni du terrorisme islamiste ou de la catastrophe de Fukushima. Elle parlait des projets futurs pour le service et l’hôpital.

Popeyette, une de mes anciennes collègues infirmières, d’un précédent service, aujourd’hui à la retraite, ne me parlait pas non plus de Fukushima ou des attentats terroristes lorsqu’elle m’a affirmé:

 

« Si tu peux, change de métier ! ».

 

De son côté, Milotchka, ancienne collègue retraitée, et amie, veuve de l’ami Scapin décédé d’un cancer deux ou trois ans avant sa retraite, a été obligée de continuer de travailler en tant qu’infirmière pour des raisons financières. Elle semble plutôt bien s’ y faire.

 

Dans mon service, la grève des transports en commun depuis le 5 décembre, a contraint certaines et certains à rester chez eux. Ou à s’adapter. Plusieurs sont venus et viennent à vélo, en trottinette, en voiture,  en bus  quand il y en a, à pied depuis une gare ou une station de métro stratégique lorsqu’y circule un engin roulant et habilité à transporter des passagers.

 

 

 

Cette semaine, une de nos collègues est arrivée dans le service plusieurs jours de suite à 5h30. Elle commençait à 6h45. Le dernier jour de la semaine, pour venir au travail, elle a fini par prendre un UBER. Coût de la course : 29 euros. «  Les prix ont baissé » lui a dit une de nos collègues.

Une autre collègue nous a parlé d’une application, blabla line,  qui permet le covoiturage. Le conducteur est rétribué par la région d’île de France.

 

 

L’allocution présidentielle d’Emmanuel Macron était visiblement attendue à la fin de l’année ou au début de l’année. Je l’ai appris il y a quelques jours au travail, en discutant avec deux jeunes hospitalisées et scolarisées. L’une d’elle a expliqué qu’Emmanuel Macron s’était dit décidé à faire appliquer cette réforme des retraites. Une autre a dit qu’il s’était exprimé comme celui qui «  va faire le bien de tous même si tout le monde l’ignore ».

Je me suis abstenu d’ajouter que j’avais lu ailleurs que le projet sous-jacent du gouvernement Macron/Philippe était d’offrir au secteur privé des assurances le marché juteux des retraites complémentaires. Car même si soigner- et éduquer- est aussi souvent un engagement politique, même si on l’envisage autrement, il y a des limites à ce que l’on peut dire et expliquer à des patients.

 

Par contre, je peux écrire dans cet article que « l’admiration » souvent portée au personnel infirmier est un sentiment très différent de celui du «  respect ».

 

Dans notre pays et dans notre culture, en France, quoiqu’on en dise, on respecte en priorité celles et ceux qui gagnent beaucoup d’argent : les deux premières banques mondiales qui sont chinoises, HSBC, Pinault, Bezos, Gates…

 

Le métier d’infirmier ne fait pas partie des métiers qui permettent de gagner beaucoup d’argent. Même si le salaire d’une infirmière ou d’un infirmier est supérieur au salaire d’autres métiers et professions. Et, je crois que, généralement, lorsque l’on décide de faire ce métier, c’est rarement pour gagner beaucoup d’argent. Cela se passe bien ou plutôt bien tant que l’on reste célibataire et sans enfant ou que l’on peut se contenter de projets qui nécessitent un engagement financier moyen ou modéré. Par contre, dès que l’on devient mère ou père,  dès que l’on aspire à acheter un appartement ou une maison, ou à se loger dans certains endroits, on s’aperçoit très vite que malgré toute l’admiration qui nous est prodiguée ici ou là,  cela ne suffit pas à la fin du mois.

 

 

Offrez comme salaire à un Bill Gates, un Jeff Bezos, un Emmanuel Macron, un Edouard Philippe ou aux cadres dirigeants des premières banques mondiales le salaire d’une infirmière ou d’une infirmier et multipliez-le par deux ou trois. Malgré toute leur admiration pour le métier d’infirmier, il est plausible qu’ils ne voudront et ne pourront pas l’exercer :

On devient riche et puissant lorsque l’on réussit à faire faire par d’autres un métier ou un travail que l’on serait incapable de réaliser soi-même, que l’on refuserait de faire ou que l’on n’a plus envie de faire.

 

Franck Unimon, ce samedi 4 janvier 2020.

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Nous étions une cinquantaine ce matin à attendre l’arrivée des membres de la direction. Il faisait un peu frais et l’atmosphère était humide. Certaines et certains portaient le brassard de leur délégation syndicale voire un drapeau. Un bon nombre, comme moi, portait uniquement ses vêtements ordinaires.

 

La veille, une de mes collègues avait insisté pour être présent afin d’exprimer de nouveau à notre direction certaines de nos doléances. Elle m’avait convaincu de venir. Et, ce matin, je ne la voyais pas. Mais j’avais reconnu deux autres collègues que je n’attendais pas. Et, j’avais fait la toute dernière partie du trajet avec une militante qui était venue un matin faire un remplacement dans notre service et que j’avais reconnue.

 

Un des délégués syndicaux, animant la manifestation, a fait du bruit avec d’autres manifestants. Assez vite, une personne est venue « nous » prier de nous faire plus discrets car des personnes étaient en train de passer un examen. Je suis resté là à regarder et à écouter ce qui se passait :

Ce matin, comme lors des quelques fois où j’ai manifesté depuis mes études, j’étais venu pour être présent, écouter, éventuellement faire des rencontres et comprendre un peu mieux ce qui se passait. Pas pour faire du bruit et encore moins pour casser que ce soit une ambiance ou des objets.

 

Devant la persistance du « bruit », d’autres personnes, présentes comme nous dehors devant le bâtiment de la direction, ont alors entrepris de nous « raisonner » afin de faire moins de bruit. Jusqu’alors, je les prenais pour des manifestantes comme nous (c’étaient exclusivement des femmes). Un de mes collègues, dont j’ai découvert ce matin le militantisme éprouvé, a rétorqué à l’une d’entre elles que ce n’était pas son problème ! Puis, il lui a tourné le dos.

 

J’ai essayé d’en savoir un peu plus. Je me suis approché de ce groupe de femmes qui nous avait adressé quelques sourires et dont plusieurs fumaient une cigarette en attendant une échéance qui se révélait être différente de la nôtre.

L’une d’elle m’a alors expliqué que le bruit que nous faisions alors que d’autres personnes, des collègues, passaient leur examen, nuisait à notre démarche. Et que notre attitude avait plutôt pour effet de nous retirer de la « crédibilité ». Il fallait donc comprendre que nous étions une cinquantaine de demeurés et que nous ferions mieux de la fermer tel un troupeau en quarantaine afin d’être écoutés et pris en considération.

 

J’ai répondu plutôt diplomatiquement à cette personne :

« Il n’y a pas de façon idéale pour s’y prendre ». «  Avant ce matin, il y a eu toutes ces fois où nous n’avons pas fait de bruit et où nous nous sommes bien tenus. Et, finalement, nous sommes obligés de revenir pour redire des choses qui ont déjà été dites ».

J’ai ajouté :

« Ce matin, je ne suis pas venu pour faire du bruit ou pour déranger celles et ceux qui passent un examen ».

 

Je ne me souviens pas de ce que m’a alors répondu cette « collègue ». Mais j’ai néanmoins retenu que celles et ceux que nous étions susceptibles de perturber lors de leurs examens avaient pour but de devenir de futurs cadres. Et que celle à laquelle je venais de m’adresser faisait vraisemblablement partie de ces futurs cadres ou en tout cas aspirait à le devenir.

Je n’ai pas développé ce sujet avec elle. Je n’étais pas venu pour ça et le dialogue, ce matin, était déjà devenu impossible entre elle, ses semblables, et nous. Mais je me suis ensuite demandé quel genre d’employé(e) avait été cette éphémère interlocutrice et ses semblables et ce qu’elle avait bien pu percevoir de son milieu professionnel.

 

L’ironie veut qu’en me rendant ce matin à cette manifestation, je suis passé à côté du bâtiment de l’ANFH. L’ironie réside dans le sujet marqué au tableau dans une des salles de l’ANFH devant un groupe de professionnels :

 

« Connaissez-vous vraiment l’environnement professionnel dans lequel vous évoluez?».

 

En m’éloignant de cette salle de cours, aperçue depuis la rue, afin de me rendre à cette manifestation, j’avais jugé cette question très sensée d’une manière générale. J’ignorais que dix minutes plus tard, j’allais faire l’expérience concrète que nous pouvons, en exerçant le même métier, avoir une connaissance opposée de notre environnement professionnel. A moins que mon interlocutrice éphémère et moi ayons, dès le début, toujours évolué dans des environnements professionnels totalement différents en exerçant, pourtant, le même métier.

 

Il y a presque dix ans maintenant, je m’étais rendu à l’hôpital Ville-Evrard pour assister à un colloque dont le sujet était : « Patients difficiles et dangereux ».

 

Lors d’une intervention, une cadre infirmière, accompagnée d’une infirmière, avait décrit une situation dans un service où, « administrée » au moins par une pénurie de personnel et de tabac, en l’absence d’un médecin un jour de week-end, le personnel soignant présent pouvait se retrouver durement exposé à la violence- et aux manques- des patients. J’avais voulu faire le beau et, au micro, j’avais alors dit qu’en entendant cette description, cela donnait l’impression d’une « profession à bout de souffle ». Très vite, des soignantes s’étaient empressées de me voir comme le traître qui les méprisait et les jugeait. Et plusieurs d’entre elles avaient tenu à affirmer qu’elles n’étaient pas à bout de souffle !

 

J’avais opté pour ne pas répondre. J’aurais sans doute dû. J’aurais sans doute dû reprendre la parole- et le micro qui s’était « envolé »- et mieux expliquer que je ne comprenais pas que des professionnels continuent- encore- d’accepter des conditions de travail contraignantes et dévalorisantes en restant dans le même service. Tout en se plaignant. Pendant des années.

Ce jour-là, j’aurais sans doute dû dire aussi que dans ce colloque, comme souvent, la parole était (reste ) la propriété et la proie de celles et ceux qui ont le pouvoir hiérarchique et administratif tandis que le « petit » personnel attend plutôt sagement ou avec crainte qu’on la lui donne ou que les « puissants » délivrent la solution magique tant espérée ou un quelconque sortilège à même d’annihiler tous ces cauchemars qui repoussent plus vite que l’hydre.

 

Depuis, environ dix ans plus tard, et plusieurs fois, lors de manifestations (pas uniquement à l’hôpital), j’ai déjà vu écrit les termes «  à bout de souffle ». Je ne connais pas ces personnes qui ont écrit ça.

 

 

Ce matin, il y avait trop de bruit pour moi dans les escaliers lorsque nous sommes montés rejoindre les dirigeants de l’hôpital. Nous étions pourtant censés le faire discrètement. Fort heureusement, nous avons seulement eus un ou deux étages à monter.

 

La salle était déja préparée pour un CTE. Et d’une cinquantaine, nous sommes passés à environ soixante dix ou quatre vingt personnes dans cette assez grande salle. Du café chaud, du sucre et du jus d’orange étaient à disposition à l’entrée. Quelques personnes, parmi les manifestants, se sont servies.

 

Le directeur de l’hôpital et ses adjoints étaient debout côte à côte. Sur la « pancarte » posée sur la table devant eux, à leur place, se trouvaient leur prénom et leur nom.  C’était la première fois que je pouvais mettre un visage sur trois de ces noms dont j’avais déjà entendu parler. Je ne crois pas qu’ils se soient amusés à intervertir leur place. Je ne crois pas non plus que ce soit eux qui aient écrit leur propre prénom et leur propre nom sur leur « pancarte ». Et, je ne crois pas non plus qu’ils se soient chargés de l’intendance qui avait permis à cette salle d’être présentable comme elle l’était.

 

Le délégué syndical « animateur » s’est adressé en priorité à nos trois dirigeants principaux. Trois hommes. Tout le reste du staff des dirigeants était constitué de femmes. La secrétaire du CTE était aussi une femme. Mais séparons-nous tout de suite de certains préjugés si c’est possible :

 

Dès qu’une personne adopte les codes et la culture d’un certain mode de management et de décision, le fait qu’il soit un homme ou une femme importe peu. Là, je souligne que les trois dirigeants principaux et officiels sont des « hommes » pour rappeler comment s’organise encore le Pouvoir dans « notre » hôpital à l’image du monde politique, de notre pays, de notre culture. Et du monde.

 

C’est bien à des hommes politiques que nos trois dirigeants en costume m’ont fait penser ce matin. Chacun son style :

 

L’un avait un visage avec les yeux cernés du cuir de celui qui a de la poigne, de l’endurance et dont l’énergie est celle d’une locomotive que rien ni personne ne doit arrêter.

L’autre, crâne rasé, lunettes bien pensées, avait l’attitude zen de celui qui  reste en équilibre stable quelle que soit l’averse ou le courant.

Le troisième enfin, avait le petit sourire fin, presque invisible, de celui qui vous lacère entre deux rais de lumière avec le savoir-faire et le savoir-taire de la hyène.

Et puis, il y avait celles qui étaient à leurs côtés ou de part et d’autre de la pièce et dont il est difficile de connaître avec précision l’exacte capacité de décision et de réflexion ainsi que leur plan de carrière ou de cimetière.

 

Le trio nous a tranquillement regardé entrer dans la salle comme s’il assistait pour la énième fois au même cirque de manifestation : slogans, quelques coups de sifflet.

 

Après deux ou trois minutes, le calme s’est fait et le délégué syndical « animateur » a parlé et dit que la parole allait être donnée aux employés présents. Le directeur de l’hôpital a répondu qu’une CTE était prévue pour débuter à 9h30 (à peu près l’heure où nous sommes entrés dans la salle). Il a demandé à la secrétaire de la CTE s’il était possible d’accorder «  cinq minutes » pour écouter. La secrétaire de la CTE, debout et à l’écart des dirigeants, derrière les manifestants, a rapidement répondu qu’elle était d’accord ! Elle ne paraissait pas plus effrayée que ça.

 

 Après un petit silence, un employé a pris la parole. Au bout d’une minute environ, le directeur lui a coupé la parole au ton de :

« Nous n’abordons pas les situations personnelles en CTE ! ». L’employé ne s’est pas laissé faire. Un délégué syndical a fait valoir que cet employé exprimait une situation qui concernait tout un service.

 

D’autres doléances ont été exprimées. Des heures sup non payées. L’impossibilité de joindre le service de la DRH et l’obligation d’en passer désormais par une boite vocale. La pénurie de personnel. L’absence d’une stratégie de recrutement. La fermeture des services. La disparition de ce qui faisait l’attractivité d’un hôpital (crèche, aide au logement…). L’hygiène : une employée a remarqué qu’il y avait des souris dans certains services mais a constaté qu’il n’y en n’avait pas dans cette salle de réunion !

 

Une militante a interpelé le directeur :

« Certaines personnes ont fait une heure trente de trajet pour venir ce matin, alors regardez-les bien!». Le directeur a alors répondu qu’il venait de remercier toutes les personnes présentes. Comme il avait aussi dit que certains des sujets qui venaient d’être évoqués allaient être abordés lors de cette CTE.

 

Un peu plus tôt, le dirigeant « zen », lorsqu’il avait répondu, avait levé l’index tout en s’exprimant. Le dirigeant « hyène », lui, n’a pas lâché un seul mot.

Une des dirigeantes a eu quelques sourires. Cela a fini par lui être reproché par une employée qui a trouvé insupportable qu’elle puisse sourire ainsi alors que l’on parlait de « burn-out » du personnel. La dirigeante s’est alors défendue de prendre cela à la légère.

 

J’aimerais revoir plusieurs de ces personnes, isolées et sorties de leur rôle de dirigeant lors de circonstances imprévues, par exemple en vacances, avec femmes ou compagnons ainsi qu’avec leurs enfants voire avec leur animal domestique s’ils en « ont ». Si certaines resteraient bien-sûr emmurées dans le même type de relation, d’autres seraient sans doute plus fréquentables. Mais nous n’étions pas là pour parler de ça.

 

Nous sommes partis vers 10h. Nos cinq minutes d’intervention avaient finalement duré vingt bonnes minutes.

Puis, en bas, et dehors, à nouveau devant le bâtiment où nous nous étions donnés rendez-vous ce matin, le délégué syndical « animateur » a fait la conclusion de ce qui s’était passé. Il a dit que nous nous étions très bien exprimés. Que maintenant allait se dérouler la CTE au cours de laquelle des représentants du personnel allaient nous défendre. Et qu’il importait d’être présent pour la manifestation le 14 novembre.

 

 

Ce 20 novembre, le film Les misérables ( prix du jury à Cannes cette année)  de Ladj Ly va sortir en salles. Dans une interview, Ladj Ly a déclaré que cela faisait des années que bien des gens sont  des gilets jaunes dans les banlieues. Dans différentes catégories de la population et de certaines professions, les gilets jaunes sont légion depuis des années voire depuis une bonne génération. Et c’est bien-sûr le cas dans le milieu de la Santé. Dans les années 80, le professeur Schwartzenberg, bref Ministre de la Santé et cancérologue réputé, devant les manifestations infirmières, avait à peu près dit :

 

«  Le gouvernement n’a pas le droit de laisser pourrir cette grève ». C’est pourtant ce qui s’était produit. Il y a trente ans et depuis plus de trente ans, les différents gouvernements ont laissé pourrir bien des grèves infirmières et autres ( voir le documentaire récemment sorti de Jean-Pierre Thorn L’âcre parfum des immortelles).

C’est une certaine vision du monde, une certaine méthode de gestion et de management intensive et répétitive qui nous a amenés à être là, ce matin, comme d’autres et d’autres fois. Pourtant, ce matin,  aucun d’entre nous ne portait de gilet jaune. Bien qu’il soit possible que certains d’entre nous aient déja manifesté avec des gilets jaunes. Comme si, sans même nous concerter, nous nous étions tous appliqués à bien nous démarquer du mouvement des gilets jaunes.

Et, évidemment, aucun d’entre nous n’a cassé, menacé ou insulté non plus qui que ce soit ou quoique ce soit. Un classique lors de nos manifestations. Comme il est aussi classique que le personnel soignant, lui, parte à la casse, le plus souvent en silence et dans l’oubli des «dirigeants ». Lesquels dirigeants font peut-être véritablement, par moments, quand ils sont pris d’un sursaut de conscience et lorsque la durée de leur « mandat » le leur permet, ce qu’ils peuvent, mais qui ne peuvent pas, aussi, combler tout ce qui a pu être négligé et oublié pendant des années avant eux.

 

Les trois dirigeants que nous avons vus ce matin n’avaient pas peur de nous. A l’hôpital, c’est une tradition séculaire d’avoir des employés qui ont, dans leur grande majorité, peur de leurs dirigeants. Que les dirigeants soient directeurs d’hôpital, responsables du service de DRH, médecins ou cadres. Comme dans toute entreprise, il y a une sorte d’organigramme un peu militaire qui y régente les relations humaines selon les vertiges hiérarchiques. Avec cette particularité, je le rappelle, que nous parlons d’un personnel majoritairement féminin dans un monde dirigé par des hommes. Personnel soignant dont les principales motivations sont de soigner et d’assister et non de se bagarrer à l’image de ces combattants- armés- qui sont entraînés et aguerris pour survivre, nuire, détruire, tuer et proscrire. Les dirigeants politiques-  et bien d’autres dirigeants- savent construire leurs discours, leurs attitudes et leurs projets en fonction de ces motivations et de ces particularités d’engagement :

On ne s’adresse pas à Rambo ou à Terminator de la même façon que l’on va s’adresser à un soignant, celui-ci fut-il légitimement en colère et en nombre.

 

 

Ce matin, nous sommes repartis sans faire de bruit. Le jour où des dirigeants décideront de faire matraquer  par des forces de l’ordre celles et ceux dont le métier est de soigner, sans doute que beaucoup changera. En attendant, nous continuons de nous adresser à celles et ceux qui ont pouvoir de décision, et, en principe de réflexion, car nous pensons que c’est comme ça qu’il faut faire. Que c’est comme cela que nous pouvons gagner en crédibilité.

 

 

 

Franck Unimon, mardi 5 novembre 2019.

 

 

 

 

 


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