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Une gueule à connaissances

Il y a deux ans et demi (en juin ou juillet 2017), dans mon hôpital, j’ai  postulé pour travailler dans un service réputé dans le traitement des addictions.

J’ai postulé trois fois. Ma dernière candidature date de novembre 2018. Trois « échecs ».

 

Je me suis mal vendu au moins lors d’une de ces trois candidatures.

 

Mon CV est bon à ce qui m’avait été répondu lors de ma troisième et dernière  candidature à ce jour. Autrement, m’avait-il été expliqué, on m’aurait dit dès le début que mon profil ne convenait pas.

 

Aujourd’hui, j’ai effectué un peu plus de dix remplacements dans ce service. Si je le peux, je compte en effectuer davantage. Pas seulement pour des raisons financières.

 

Lors de ces remplacements- où je suis payé en heures supplémentaires comme tout(e) infirmier(e) volontaire de mon établissement venant combler une pénurie de personnel sur ses heures de repos ou sur ses congés- cela se passe plutôt bien avec les divers collègues de ce service. Ainsi que pour moi. Ni cauchemars, ni nausées.

 

Lors de ces remplacements, les échos sont bons à mon sujet. C’est, aussi, ce qui m’avait été répondu lors de ma troisième candidature il y a un peu plus d’un an.

 

 

Officiellement, ce qui me desservirait, ce serait «  mon manque d’expérience –professionnelle- dans les addictions ». Je ne crois pas à cette histoire. Mais je laisse celle qui, plusieurs fois déjà, me soumet à cette condition, se la raconter. Je suis l’outsider. Je n’ai pas le pouvoir de la contrer.

 

Mais, historiquement, je sais que ce service où j’ai postulé trois fois a embauché avant moi dans le passé- et dans un présent récent- avant moi des infirmières et des infirmiers de différents âges qui n’avaient aucune expérience professionnelle ou même personnelle, ou alors une petite, dans le domaine des addictions. Je le sais car je m’intéressais déja à ce service plusieurs années avant d’y postuler. Avant même qu’y travaille celle qui, aujourd’hui, m’explique qu’il faut impérativement une expérience dans le domaine des addictions pour pouvoir prétendre y exercer.

 

Et, je le sais aussi, parce-que j’ai discuté avec plusieurs infirmières et infirmiers qui y travaillent ou y ont travaillé. Le monde de la Santé est aussi un petit monde pour les infirmières et infirmiers. Et, en discutant, on peut découvrir qu’untel ou untel a travaillé dans tel service. Et quel avait été son parcours professionnel voire personnel auparavant.

 

Lors de ma troisième candidature, on s’était étonné l’air de rien du fait que, depuis ma première candidature, je n’avais fait aucune démarche afin de suivre une formation dans le domaine des addictions. J’avais alors répondu que j’étais « volontaire » pour suivre des formations. « L’échange » s’était arrêté là sur ce sujet. Même si on s’était empressé de me dire que cette remarque était sans conséquence particulière, j’avais pressenti que j’avais de nouveau « fauté » lors de cette nouvelle candidature. Je m’étais néanmoins exclamé :

« Mais si vous ne m’embauchez pas, je n’aurais jamais l’expertise ! ». Silence de mes deux interlocutrices. «  On te rappellera à la fin du mois mais sache qu’il y a d’autres candidats qui ont de l’expérience dans les addictions et qui ont des projets… ».

 

Dans mon service, quelques mois plus tard, on me refusait finalement la possibilité de suivre un D.U en addictologie. D’une part parce-que les budgets de formation de l’hôpital étaient de plus en plus difficiles à obtenir. Et d’autre part parce-que l’on avait appris mes intentions d’aller travailler dans ce service spécialisé dans les addictions. Aussi, ma hiérarchie estimait-elle que c’était plutôt à ce service spécialisé dans les addictions, et faisant partie du même hôpital, de me payer cette formation.

 

Selon moi, des raisons personnelles – que je ne peux pas définir avec précision pour l’instant- expliquent cette discrimination à l’embauche que je vis depuis un peu plus de deux ans dans mon hôpital lorsque je parle de ce service spécialisé dans le traitement des addictions.

 

Je ne parle pas de discrimination raciale.

 

Je crois qu’il y a quelque chose dans ma personnalité, qui a déplu, a dérangé ou effrayé lorsque je me suis présenté pour un poste dans ce service. Même si on y recherche  «  des profils atypiques ».

 

Je pense m’être très mal vendu au moins lors d’une de mes trois candidatures. J’ai sans doute exposé trop d’assurance. J’ai sans doute déstabilisé quelqu’un lors d’une ou plusieurs de mes candidatures. Il est vrai qu’avec mon expérience et mon CV, j’étais très « sûr » de moi au moins en apparence. Or, je peux aussi être bon comédien. Et, lorsque l’on est bon comédien, on réussit très bien à faire passer l’apparence pour soi-même. Même si ça peut nous desservir en dehors d’une scène de théâtre ou du plateau de tournage d’un film. Au travail comme dans la vie. Il est ensuite plus difficile voire impossible de rattraper l’image que l’on a donnée de soi. Avec laquelle on a marqué son territoire, son auditoire ou ses interlocuteurs.

 

J’ai peut-être été trop franc et trop direct. Ça peut faire peur. Après tout, il est bien des personnes rusées qui, en prime abord, font profil bas. ça plait, ça console, ça flatte et ça rassure car on estime que l’on pourra- au besoin- en disposer comme du bétail docile. Eduquer ou convertir cette personne. Parfois, une fois dans la place, le bétail docile du départ peut se révéler être fait de braises, de rocaille. Mais c’est trop tard. On fera avec puisqu’on l’a choisi. Comme en Amour, on peut rester avec une ou un partenaire que l’on a choisi même quand ça se passe mal. Et puis, on sait que dans chaque équipe, il y a un certain pourcentage de personnel plus ou moins instable. La gestion de personnel fait partie du travail.

 

Je pourrais aussi me dire que mon échec est un acte manqué car j’étais encore trop indécis : que je me suis rendu au moins à ma première candidature avec une certaine ambivalence. Que celle-ci m’a fait « déjouer », m’a rendu moins attractif et fait rater mon casting. 

 

 Je suis aussi allé jusqu’à me demander si, lors de mes candidatures, mes interlocuteurs et futurs cadres et collègues potentiels, telles des puissances extralucides surnaturelles, avaient pu percevoir en moi un potentiel addict ou celui qui, plutôt que de postuler comme infirmier, ferait peut-être mieux de consulter comme client ou patient.

 

Je me suis aussi demandé si j’étais apte à travailler dans ce genre de discipline. Je suis peut-être trop lisse. Trop normal. Trop déformé par la psychiatrie.

On peut très bien vouloir travailler dans un service prestigieux et ne pas disposer des capacités personnelles suffisantes. Ou ne plus être fait pour cela.  Je ne peux pas prétendre tout connaître de moi et, d’ailleurs, j’ai toujours affiché lors de mes candidatures ma grande ignorance dans le domaine des addictions. Et je le croyais sincèrement. Même si c’est faux.

 

En deux ans et demi, un peu à la façon des thèmes astrologiques,  j’ai eu le temps de laisser infuser dans ma tête le thème des addictions. Les addictions sont multiples. Le plus souvent, on pense d’abord aux addictions avec substance. Alors que l’on sait que se sont développées les addictions aux écrans,  aux dépenses en tout genre en ligne comme dans les magasins physiques que ce soit lors des périodes des soldes comme en ce moment ou en dehors de ces périodes, au sucre, au sexe etc….

 

Donc, que ce soit passivement ou en tant qu’acteur et consommateur, j’ai évidemment comme tout citoyen « normal » mes expériences personnelles en tant qu’addict. Et comme tout citoyen « normal » qui veut se faire bien voir, lors de ma première candidature, j’en ai eu honte. J’ai alors affirmé sans chercher à comprendre que, non, moi, Franck Unimon, je n’avais pas d’addiction !

 

Mais cela est plus comique que rédhibitoire à mon avis. Personnellement, ce déni me fait sourire lorsque j’y repense.  Aussi, je ne crois pas que ce soit là que je me sois le plus mal vendu en tant que postulant.

En attendant, je considère comme peu crédible et très ambivalente cette croyance ou ce principe selon lesquels, pour être embauché, seule me manquerait une formation en addiction.

Parce-que, par ailleurs, mon CV est « bon ». Et, je suis un professionnel rassurant lorsque je viens effectuer des remplacements. « Cela me rassure que ce soit toi » m’a t’il par exemple été dit lors d’un de mes derniers remplacements. Juste après avoir fait la découverte suivante : « Unimon, c’est toi?!». Ce jour-là, après mes trois candidatures pour rien et ma dizaine de remplacements, j’ai fini par reconnaître :

 

« Oui, Unimon,  c’est moi ! ».  « Je suis content de savoir que je te rassure ! ».  Mimique pincée de mon interlocutrice qui a alors tenu à m’assurer de sa sincérité ! C’était il y a deux ou trois mois.

 

Un an plus tôt environ, après ma troisième candidature, et voyant que personne ne me rappelait comme on s’y était engagé,  j’avais un moment fini par me changer en colère. Puis, avec le concours de ma compagne, je m’étais raisonné. Me mettre en colère n’allait rien changer. Par contre, je pouvais continuer de me former en retournant effectuer des remplacements dans ce service où j’avais plaisir à me rendre lorsque je le pouvais.  Cela me permettrait par ailleurs de continuer de m’assurer que je ne suis bien à ma place et dans mon rôle dans un service d’addiction en tant que professionnel. Et, aussi, d’étoffer mon CV.

 

Mais il fallait quand même, à un moment donné, suivre une formation dans le domaine des addictions. Pour moi. Plus que pour me plier à cette obligation de formation théorique qui rassure et flatte surtout celle qui m’a servi cet argument ou ce prétexte :

 

Mon parcours personnel et professionnel en tant qu’infirmier (mais aussi au moins en tant que journaliste et en tant que comédien)  dit tout le contraire de cette obligation de formation très très scolaire.

 

Initialement, je suis infirmier diplômé en soins généraux. Ce qui signifie que si l’on regarde scolairement mon diplôme, on m’enverrait travailler dans un service de soins généraux en médecine ou chirurgie. Même si, lors de nos études et même après l’obtention de notre diplôme, nous comprenons très vite, en pratique, que nous avons beaucoup à apprendre. Comme tout étudiant d’une école de cinéma ou tout élève de conservatoire de théâtre s’aperçoit très vite qu’il a peut-être un très beau diplôme d’un institut prestigieux mais, sur le terrain, il va devoir se modeler sur son nouvel environnement professionnel, à de nouveaux rôles et à de nouvelles situations prévus et imprévus. Et s’y frotter.

Une fois diplômé en tant qu’infirmier, et après avoir tenté plusieurs fois l’expérience dans différents services par intérim, de nuit comme de jour, je m’étais aperçu que le milieu général me bouchait l’horizon en tant qu’individu. Je me suis rappelé de mes bonnes impressions lors d’un de mes stages en psychiatrie adulte. C’est comme ça que j’ai débuté ma carrière d’infirmier en psychiatrie adulte il y a bientôt trente ans. Malgré les inquiétudes répétées de ma mère qui craignait que je devienne « fou » et qui m’exhortait, aussi, à reprendre ma licence d’Anglais à la Fac. Pour la licence d’Anglais, j’aurais dû l’écouter mais j’avais été dépité par l’enseignement de l’Anglais, à la Fac, où l’on nous demandait beaucoup de technique, beaucoup de théorie et, aussi, beaucoup de par cœur. J’ignorais que cela pouvait s’arranger ensuite. Et, je me sentais très bien dans le milieu de la psychiatrie adulte. Personnellement. Professionnellement. J’avais un poste attitré et je gagnais ma vie correctement en effectuant des trajets confortables pour me rendre au travail.

 

Puis est arrivé le « virage » en pédopsychiatrie. Là aussi, j’aurais pu dire, et je l’ai dit d’ailleurs, que je n’y connaissais rien en pédopsychiatrie comme en psychiatrie adulte à mes débuts. Et comme pour les addictions. Là aussi, même s’il m’a fallu me former et affiner, c’était faux :

je savais des choses dans le domaine de la pédopsychiatrie comme dans le domaine de la psychiatrie adulte. Mais j’ai dû apprendre d’autres enseignements. D’autres codes relationnels. Ce que j’ai fait au contact des autres. Mes collègues. Les patients. J’ai aussi suivi quelques formations théoriques. J’ai également lu par moi-même. Je crois beaucoup au fait que certaines lectures, expériences, rencontres et découvertes que l’on peut faire dans différents domaines a priori très éloignés les uns des autres peuvent se recouper. Et que cela nous permet de mieux assimiler et pratiquer une discipline. Peut-être davantage qu’en subissant un cours théorique mécanique et informe dont certains  enseignants  semblent autant subir le corps et la durée que celles et ceux qui y assistent et y participent en tant qu’élèves et étudiants.  

Question un peu tendancieuse :

Un « bon » dealer doit-il obtenir un D.U en addictologie ou un diplôme d’une bonne école de commerce  pour réussir ? Ou apprend-t’il son métier par transmission et par entraînement au contact- répété- d’un certain milieu et de certaines connaissances ?

La réponse se passe, je crois, de démonstration. Mais si l’on doit parler de faire et de suivre des études théoriques, je suis preneur.

 

Pourvu que le menu des études résulte de mon choix, J’ai un assez grand plaisir à manger de la connaissance. Certaines personnes sont des « gueules à cannes ( à sucre) ». Je fais partie des personnes qui- dans certains domaines- ont une gueule à connaissances :

Théorique, intuitive mais aussi par le biais des rencontres, des discussions, de l’observation et de la réflexion. Même si je peux être très lent, aussi.

Mon problème n’est pas de rechigner à faire des études. Mon problème serait plutôt que j’ai encore le vif ressentiment que j’aurais pu, que j’aurais dû, plus jeune, et même aujourd’hui, prétendre à de plus longues études. Les projets d’études sont donc loin d’être rares dans mon esprit y compris dans d’autres univers que celui de la Santé. Et, mon blog, je crois, en donne un aperçu. 

 

J’ai donc un moment envisagé de payer ma formation pour obtenir ce diplôme universitaire en addictologie . Je me suis déjà payé une autre formation il y a plusieurs années. Pour un Brevet d’Etat d’éducateur sportif dont j’avais suivi le cursus sur mes congés personnels. Même si, à ce jour, je m’en suis très peu servi, je ne l’ai jamais regretté.  L’avantage, lorsque l’on paie soi-même sa formation, c’est que l’on ne doit rien à personne. Et que l’on évite aussi toutes ces convulsions administratives qui rendent bien des démarches et bien des initiatives aussi fastidieuses que l’activité d’un transit intestinal hautement colonisé et pourtant obstinément constipé.

 

Près de 2000 euros pour ce diplôme universitaire en addictologie. Et, je suis moins « riche » qu’auparavant.

 

Une responsable à la formation des ressources humaines de mon établissement – que j’ai rencontrée à la fin de l’année dernière- m’a expliqué que ce serait dommage de fournir un tel effort financier. Elle m’a aussi dit qu’à son avis, la motivation importait plus qu’une formation quelconque dans le domaine des addictions pour exercer dans un service d’addictologie. Elle m’a néanmoins encouragé, dès que je le pouvais, à profiter des formations- courtes- qui pouvaient m’être accordées en addictologie. J’avais déjà accepté d’aller suivre la formation en addictologie de quelques jours que mon service m’avait concédé. Depuis, je me suis renseigné sur ces formations internes à mon hôpital et auxquelles je peux accéder sans débourser un sou, sauf pour le déjeuner.

 

 

Ce samedi, après une nuit de travail, lorsque je me rends à cette nouvelle « formation »,  j’ai déja suivi d’autres formations courtes dans le domaine des addictions dans mon hôpital. Dont une, organisée par ce service où j’ai postulé. Service où je suis revenu effectuer un 13ème remplacement, lors de la journée du 25 décembre. Après avoir agréablement et sobrement fêté Noël en famille jusqu’à  trois heures du matin ou plus. La grève des transports se poursuivant depuis le 5 décembre afin de protester contre « la réforme » des retraites décidée par le gouvernement Macron-Philippe, je m’y étais rendu à vélo.

 

Ce samedi matin, je ne crois pas du tout au fait que cette nouvelle formation, pas plus que les précédentes et les suivantes, m’ouvrira davantage les pores de ce service d’addiction où j’avais postulé pour la première fois deux ans et demi plus tôt.  Je suis même devenu ambivalent envers ce service : je veux bien y retourner pour y effectuer des remplacements et continuer d’apprendre. Je crois que je serais désormais assez embarrassé si l’on m’y proposait un poste.

 

Je vais donc à cette formation pour moi. Pour mon plaisir. Mon plaisir est aussi assez agressif car, même si je recroisais ( ce qui est déja arrivé entre-temps en me rendant à une autre formation) celle qui m’a affirmé qu’il me manque de l’expérience et une formation dans les addictions, et que je ne peux donc pas faire partie de ce club très sélect que constitue ce service prestigieux à ses yeux, je sais que je ne lui parlerai pas de ces formations- formelles et informelles- que j’ai commencées à ajouter  ici et là à mon tableau de chasse. Car, oui, de banal candidat à un poste, dans un service, la situation répétée, d’irrespect à mon égard, a fait de moi un chasseur. Et ma proie n’est pas celle que l’on croit.

 

« Transfert et contre-transfert dans les addictions ». Voici ma proie, ce matin-là. Et, elle apparaît à partir de 9h30. A quelques minutes à pied des nouveaux locaux où mon service a emménagé cette semaine, le temps que les locaux originels de notre service  soient rénovés. On estime que les travaux prendront un an. Peut-être plus.

 

Franck Unimon, mercredi 22 janvier 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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