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Tu ne penses qu’Ă  toi !

 

                                            Tu ne penses qu’à toi !

Depuis deux ou trois jours, les tempĂ©ratures ont baissĂ©. Nous avons perdu une dizaine de degrĂ©s.  

Il pleut.

Celles et ceux qui portent des lunettes de vue- en plus de leur masque de prĂ©vention anti-covid – ont dĂ©sormais le regard partagĂ© entre des crottes d’eau sur leurs carreaux. Et la buĂ©e.

 

Mais le moral est bon. Il est un peu plus de midi. Je viens de dĂ©jeuner. Je suis debout depuis 6h30 et c’est seulement maintenant que je vais pouvoir faire un peu ce par quoi j’aurais prĂ©fĂ©rĂ© commencer cette journĂ©e : Ecrire un article.

 

J’avais prévu d’écrire sur le film Rouge de Farid Bentoumi qui sortira le 25 novembre. Avec Sami Bouajila, Zita Hanrot, Céline Sallette et Olivier Gourmet pour parler des acteurs les plus côtés et connus du film. J’aimerais bien parler de mon expérience d’il y a plusieurs jours, maintenant, de Google Trad. Mais c’est impossible.

 

Hier après-midi, un dimanche, j’ai travaillé dans mon service. J’ai effectué un remplacement, payé en heures supplémentaires. J’étais volontaire. L’après-midi s’est bien passée. Nous avons même écouté des contes audios. J’avais prévu d’en proposer un seul. Nous sommes d’abord allés sur l’île de Gorée avec Djeneba la bossue. Puis en Bretagne avec Jean Carré.

 

Une jeune a voulu que je mette un troisième conte audio. Je suis restĂ© avec elle, ce faisant, lors du conte De l’or et des dattes  qui nous a emmenĂ© en Tunisie. Tout en feuilletant le dĂ©but d’un livre de Patricia Higgins Clark du service. Ainsi qu’un dictionnaire de rimes. J’ai beaucoup aimĂ© le dĂ©but du livre de Patricia Higgins Clark. Sa technique. Je savais qu’elle Ă©tait une rĂ©fĂ©rence. Mais je n’avais rien approchĂ© de son Ă©criture.

 

 

Un peu plus tard, j’ai regardé quelques passages de l’émission Super nanny avec cette même jeune. Je ne suis pas sûr que ce soit elle qui l’ait choisie. Les jeunes du service sont souvent des adeptes du zapping avec la télé. Et, quand je peux, j’aime regarder avec les jeunes le programme qu’ils ont choisi. Quand je suis capable de le supporter.

 

Super nanny rappelait certains principes lors de trois journĂ©es d’action dans une famille :

 

L’importance de donner des limites à nos enfants. En plus d’une certaine affection bien-sûr.

L’utilité de savoir faire diversion en cas de conflit avec son enfant.

La nécessité pour le couple de savoir se retrouver dans une certaine intimité sans les enfants.

L’importance, aussi, d’avoir du plaisir à être tous ensemble.

Le couple concernĂ© avait deux filles. Une de 7 ans environ, et une, de trois ou quatre ans, qui, habituĂ©e Ă  recevoir un traitement de « petite princesse Â», avait tendance Ă  ĂŞtre tyrannique. Le père avait 34 ans. La mère, 28.

 

Je ne connais pas la formation ni l’expĂ©rience professionnelle de celle qui incarne Super nanny. Ni les critères de sĂ©lection des familles qu’elle part « aider Â». Mais il y a un cĂ´tĂ© magique dans ses interventions. J’ose espĂ©rer qu’après son passage, cela continue de bien se dĂ©rouler dans les familles oĂą elle est entrĂ©e.

 

 

Pendant le dĂ®ner, dans le service, nous avons participĂ© Ă  un autre type d’émission. Une Ă©mission assez frĂ©quente :

Deux ou trois jeunes ont commencé à déblatérer sur le service ceci et le service cela. Une, sans doute, avait donné le tempo puis les deux autres ont suivi. C’est souvent comme ça que ça marche.

Le synopsis Ă©tait le suivant : leur hospitalisation les empĂŞchait d’avancer. C’était Ă  cause du service (et de nous, les soignants) qu’elles allaient mal. Et qu’elles s’ennuyaient. Par consĂ©quent, c’était de notre faute si elles fumaient plus de cigarettes. J’ai rappelĂ© que c’était vrai : le service n’est pas le club Med. Mais que leur hospitalisation allait durer un temps puis s’arrĂŞterait. Je suis aussi allĂ© dans l’ironie :

J’ai suggĂ©rĂ© que cela irait peut-ĂŞtre beaucoup mieux pour elles si nous les attachions nuit et jour ; si nous les surveillions constamment ; et si nous limitions leur nombre de cigarettes. Elles ont bien-sĂ»r protestĂ©.  J’étais dans mon rĂ´le. Elles, aussi. Leur dĂ®ner terminĂ©, elles sont toutes les trois parties fumer dans la cour en se blottissant l’une contre l’autre, assises par terre, près de la porte. LĂ  oĂą elles pouvaient se protĂ©ger de la pluie qui tintait sur le sol.

 

Quelques minutes plus tard, une des trois jeunes est venue nous voir, assez catastrophĂ©e. Elle se sentait angoissĂ©e.  Mon collègue l’a vue en entretien. Pendant ce temps-lĂ , j’avais un Ĺ“il sur les autres jeunes. Tout en dĂ©barrassant et  en lavant la table puisque nous n’avions pas d’agent de service hospitalier ce dimanche après-midi. Du fait, sans doute, de plusieurs arrĂŞts maladie.

 

Ensuite, une autre jeune est partie aux toilettes. Je l’ai entendue vomir. Revenue de sa permission deux heures plus tĂ´t, elle avait Ă©tĂ© toute fière de clamer qu’elle s’était enfilĂ©e une certaine quantitĂ© de sushis. A sa sortie des toilettes, je lui ai demandĂ© :

« Ă§a va ? Â». Elle m’a rĂ©pondu :

 

« Je viens de vomir mais Ă  part ça, tout va bien ! Â». Ce que j’ai traduit par :

« Tu poses des questions de merde et tu ne sers Ă  rien ! Comme d’habitude…. Â».

Au lieu de mal le prendre, je lui ai demandĂ© :

« Qu’est-ce qui a pu te faire vomir ? Â».

Elle : «  Je n’en sais rien ! Â».

Moi : « Cela a peut-ĂŞtre un rapport avec les sushis ?…. Â». Elle ne voyait pas le rapport et elle a filĂ© dans la cour.

 

Dix minutes plus tard, la jeune angoissĂ©e qui allait mieux depuis son entretien avec mon collègue vient nous alerter, catastrophĂ©e :

La troisième est en train de faire « une crise d’épilepsie Â» par terre, dans la cour. Mon collègue et moi nous rendons sur les lieux. RecroquevillĂ©e, presque en chien de fusil, la troisième jeune a en effet des secousses des membres infĂ©rieurs. Il fait alors pratiquement nuit. Ses yeux sont fermĂ©s. Elle respire mais ne rĂ©pond pas lorsque je lui parle et lui prends la main.

 

Les deux autres jeunes qui Ă©taient encore avec elle quelques secondes plus tĂ´t sont parties se rĂ©fugier Ă  l’intĂ©rieur du service. Par terre, j’aperçois un paquet de tabac Ă  rouler, des filtres et un briquet. J’apprendrai plus tard que ce matĂ©riel appartient Ă  la jeune « aux sushis Â».

Je dis à mon collègue de rentrer, afin d’être avec les autres jeunes, et d’appeler le médecin de garde qui se trouve être le chef de service.

 

Le chef de service arrive très vite. Je suis toujours accroupi près de la jeune Ă  qui je tiens la main et Ă  qui je m’adresse. Je ne suis pas inquiet mĂŞme si elle ne me rĂ©pond pas et que ses yeux restent fermĂ©s. De temps en temps, elle est prise de secousses des membres infĂ©rieurs. Depuis le dĂ©but de la « crise Â», elle s’est mise d’elle-mĂŞme en position latĂ©rale de sĂ©curitĂ©. MĂŞme si c’est la première fois, pour ma part, que je la vois dans cet Ă©tat, je me dis que cela va passer. MĂŞme si je ne sais pas combien de temps ça va durer. Je lui suggère plusieurs fois de s’asseoir. Je lui parle de la pluie qui va peut-ĂŞtre tomber. Et que cela ne sera pas très agrĂ©able pour elle de se faire mouiller par la pluie, par terre, comme ça. Pas de rĂ©ponse. Je me tais aussi tout en continuant de lui donner la main. Je crois aussi que les trois jeunes, lorsqu’elles Ă©taient ensemble Ă  discuter dans la cour, se sont montĂ©es le « bourrichon Â». Car je ne crois pas Ă  une coĂŻncidence : en l’espace de trente Ă  quarante cinq minutes, toutes les trois, chacune son tour, s’est sentie mal.

 

Après quinze Ă  vingt minutes, la jeune ouvre les yeux. A ce moment-lĂ , restĂ© silencieux jusqu’alors, le mĂ©decin-chef lui parle et l’encourage Ă  se relever. Ce qu’elle fait calmement, sans dire un mot. Je me place un peu derrière elle afin de prĂ©venir une chute Ă©ventuelle. La jeune retourne dans le service tranquillement et part s’asseoir près d’une table oĂą elle commence aussitĂ´t Ă  Ă©crire, je crois. Car elle tient un journal. Les deux autres jeunes se tiennent Ă  distance comme si elles avaient vu un fantĂ´me en la personne de leur « copine Â». Celle-ci ne semble pas leur tenir rigueur pour leur attitude.

 

Mon collègue m’apprendra quelques minutes plus tard que, tous les jours, cette jeune fait ce genre de crise. Après avoir fait un résumé de l’après-midi à nos collègues de nuit, mon collègue et moi sommes rentrés à notre domicile.

 

Ce matin :

 

Ce matin, j’étais content de la façon dont les prĂ©paratifs de ma fille se sont passĂ©s pour aller Ă  l’école. Pas de colère de part et d’autre. Nous Ă©tions en avance. Nous marchions main dans la main et je ne crois pas que nous nous parlions. Nous Ă©tions presque arrivĂ©s Ă  l’école quand elle m’a dit :

 

« Tu ne penses qu’à toi ! Â».

 

Je lui ai demandé pourquoi elle me disait ça.

Elle : «  ArrĂŞte ! Si tu pouvais te taire maintenant…. Â». Et, elle de m’expliquer qu’elle ne supportait pas le bruit. Je me suis demandĂ© si elle m’en voulait d’avoir Ă©tĂ© absent hier après-midi. Ou si elle me rĂ©pĂ©tait des propos tels que « wesh Â» et d’autres termes que les mĂ´mes se transmettent. Pas de rĂ©ponse. Je lui ai quand mĂŞme rappelĂ© que dire Ă  son père de se « taire Â», ne passait pas. Elle s’est alors tue et s’est mise Ă  marcher un ou deux mètres devant moi, pleine d’une certaine autoritĂ©. Cela fait des annĂ©es que je lui connais certaines facilitĂ©s avec l’autoritĂ©. C’est seulement que j’ignore ce qui, ce matin,  a dĂ©clenchĂ© cette soudaine manifestation d’autoritĂ©.

 

 

Devant les grilles encore fermées de l’école, ma fille s’est postée quelques minutes. Puis, elle est venue se mettre contre moi sans rien dire. J’ai refermé mon bras sur elle. Lorsque les portes de l’école se sont ouvertes, nos relations étaient de nouveau détendues.

 

Formulaire :

 

 

 Il y a plus d’un mois maintenant, fin aoĂ»t, le tĂ©lĂ©phone portable de ma compagne a capitulĂ©. Nous avons dĂ©cidĂ© d’en acheter un nouveau. Je l’ai commandĂ© sur le site de Darty. A un de ses « vendeurs partenaires Â».  J’ai payĂ© par carte. Le tĂ©lĂ©phone devait arriver au bout de quelques jours.

 

Après l’achat, j’ai appris que le téléphone venait de Hong-Kong. Et qu’il y allait y avoir du retard à la livraison. Au vu du contexte politique à Hong-Kong, j’ai compris qu’il fallait patienter.

Le 5 septembre, le « vendeur partenaire Â» m’a appris que le tĂ©lĂ©phone allait arriver dans un dĂ©lai compris entre 7 et 10 jours.

Le 22 septembre, nous n’avions toujours pas reçu le téléphone. J’ai donc recontacté le vendeur qui m’a appris que nous avions reçu le téléphone….le 3 septembre. C’était ce que leur indiquait leur site. Et qu’il me fallait donc voir avec mon bureau de poste local.

 

Je suis allé à la poste près de chez moi la semaine dernière. Je m’étais trompé de référence et on m’a répondu qu’une réclamation sur place était impossible. Qu’il fallait passer par le 36 31. Ce que j’ai fait en rentrant. Là, après plusieurs minutes d’attente, j’ai fini par avoir quelqu’un qui m’a appris que c’était un colissimo qui m’avait été envoyé et non un chronopost. J’ai préféré remettre mes démarches à plus tard.

 

Ce matin, je suis retournĂ© Ă  la poste près de chez moi. On m’a rĂ©pondu que, pour eux, aussi, le colissimo m’avait Ă©tĂ© remis le 3 septembre. C’est ce qui Ă©tait indiquĂ© sur le terminal de l’agent qui m’a reçu. Cet agent m’a nĂ©anmoins remis un formulaire de rĂ©clamation. Elle m’a bien proposĂ© de joindre le 36 31 mais j’ai refusĂ© !

 

J’ai rempli le formulaire sur place. Derrière moi, un homme d’une bonne soixantaine d’annĂ©es expliquait avoir Ă©tĂ© envoyĂ© Ă  la Poste pour faire une rĂ©clamation pour un chronopost qu’il n’avait pas reçu. Le jeune agent qui l’a reçu lui a expliquĂ© que la Poste ne gĂ©rait pas les envois de Chronopost. La Poste se contentait de vendre les produits Chronopost. Le client lui a demandĂ© :

« Mais, alors, pourquoi m’a-t’on dit de venir Ă  la Poste ?! Â».

L’agent : «  Je n’en sais rien ! Â».

 

Pour les démarches que j’ai à effectuer pour la réclamation, il me faut une connexion internet correcte ainsi que, sans doute, l’imprimante qui va avec. Même si, pour l’instant, j’ai la contrariété de l’argent déboursé pour ce téléphone portable et du temps déjà liquidé pour le récupérer ou me faire rembourser, je m’en sors mieux que d’autres.

J’ai un emploi. Un toit. Je mange à ma faim. Ma fille est scolarisée (d’accord, sa maitresse a déjà été malade une dizaine de jours pratiquement dès la rentrée mais elle est revenue depuis hier). Je suis plutôt en bonne santé. J’ai accès à la culture et à certains loisirs. J’ai une connexion internet décente. Et une imprimante qui marche. La France des gilets jaunes, du chômage et du crédit à tue-tête ne dispose pas de tout ça. Ou, alors, elle le paie très cher. Pourtant, avoir dû attendre près de six heures entre l’heure de mon réveil ce matin et le moment où j’ai pu m’asseoir et disposer de mon temps- et de ma vie- à peu près comme je le souhaite, et pour une durée limitée, me paraît un délai assez long. D’autant que je reprends mon travail seulement ce soir, à 21 heures.

 

 

Donc, heureusement que, quelques fois, je ne pense qu’à moi.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 28 septembre 2020.

 

 

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Cinéma

Si le vent tombe-un film de Nora Martirosyan

A gauche, Alain Delage ( l’acteur GrĂ©goire Colin).

 

 

                                         Si le vent tombe  Un film de Nora Martirosyan

« L’armĂ©e aime la vitesse Â» dit un militaire Ă  un jeune pompiste dans Si le vent tombe.

 

Cette phrase explique et immatricule peut-ĂŞtre la durĂ©e des guerres. Depuis des millĂ©naires, chaque armĂ©e reste persuadĂ©e qu’elle va atteindre la première, Ă  la vitesse de la lumière, et en solitaire, l’Ă©ther de la victoire.

 

Il faut huit heures de route, en taxi, au Français Alain Delage pour atteindre cet aĂ©roport dont il est chargĂ© d’évaluer la conformitĂ©. Il y a des parcours plus rapides. Alain, loin de chez lui, est ainsi convoyĂ© dans une «  petite rĂ©publique autoproclamĂ©e du Caucase Â» peu connue oĂą la guerre a servi tout en passant inaperçue : Elle avait Ă©tĂ© Ă©clipsĂ©e par la guerre en Yougoslavie.

 

Un comitĂ© d’accueil plutĂ´t chaleureux attend Alain Ă  l’aĂ©roport. L’aĂ©roport, ou la « cathĂ©drale Â» en raison de sa rĂ©ussite architecturale , est  achevĂ© et ressemble Ă  ces programmes immobiliers en attente d’être livrĂ©s.  Pour la plus grande partie de la population de ce petit pays, militaires inclus, cet aĂ©roport permettrait de s’ Ă©loigner de la guerre et du passĂ©. De s’ouvrir au monde.

 

Alain Delage est interprĂ©tĂ© par l’acteur GrĂ©goire Colin.  Etonnamment, mĂŞme s’il a continuĂ© de tourner depuis, j’ai l’impression que GrĂ©goire Colin faisait davantage parler de lui en tant qu’acteur, durant les annĂ©es qui ont coĂŻncidĂ© avec le conflit « yougoslave Â». En particulier dans les annĂ©es 90. Dans Si le vent tombe, dĂ©sormais plus âgĂ© et aussi un peu plus « Ă©pais Â», GrĂ©goire Colin fait physiquement penser Ă  la fois Ă  l’acteur Benoit Magimel d’aujourd’hui (son aĂ®nĂ© d’un an) mais aussi Ă  l’acteur amĂ©ricain…Keanu Reeves. Son aĂ®nĂ© de 11 ans.

Mais la rĂ©alisatrice Nora Martirosyan est originaire de l’ArmĂ©nie oĂą elle a vĂ©cu jusqu’à ses 23 ans.  Et son film Si le vent tombe est bien entendu plus proche de la rĂ©alitĂ© gĂ©opolitique de l’ArmĂ©nie, de la Turquie et de la Russie que de la sĂ©rie de films John Wick qui vaut Ă  l’acteur Keanu Reeves de revenir au premier plan cinĂ©matographique depuis 2014 après son triple « pontage Â» mĂ©diatique rĂ©alisĂ© avec Matrix dans les annĂ©es 2000.

Rappelons que l’Arménie actuelle a obtenu son indépendance officielle en 1991 et qu’elle dispose aujourd’hui du dixième du territoire de l’Arménie historique ( d’après Wikipédia).

 

 

On ne sait rien et on n’apprendra rien de la vie personnelle d’Alain Delage. Homme pragmatique, missionnĂ© pour effectuer un audit, son seul rapport avec le monde extĂ©rieur se fera au travers de sa boite qu’il contacte avec son tĂ©lĂ©phone portable. De son cĂ´tĂ©, comme nous, Alain Delage ne sait rien de ce pays. Et ses habitants semblent vivre dans un autre temps que le nĂ´tre, en France. La logique d’un Alain Delage, aussi prĂ©cise qu’une montre suisse, se confronte Ă  une vie un peu plouc, un peu infantile, un peu superstitieuse aussi. Mais c’est une vie nĂ©anmoins bien courante alors que le Alain Delage, lui, inspire assez peu de passion tel le fonctionnaire ou l’administratif lambda qui dĂ©pend de ses supĂ©rieurs et ses « process Â».

 

Le film de Nora Martirosyan sent parfois la peinture fraĂ®che et on devine la jeune cinĂ©aste encore en friche, dans certaines scènes mais aussi pour le choix de certains acteurs. Cependant, Ă  la fin de Si le vent tombe, comme Alain Delage, nos certitudes et notre ignorance d’homme occidental sont dĂ©busquĂ©es. On admire cette sagesse d’un pays qu’on avait d’abord pu penser rĂ©trograde, pour ne pas dire arriĂ©rĂ©, et qui nous tombe dessus comme un couperet alors qu’on va le quitter.  On perçoit aussi, un peu, de la fougue et de la folie passĂ©es des rĂ©alisateurs Emir Kusturica et Fatih Akin. Alors, comme Nora Martirosyan et plusieurs de ses personnages, on y croit !

A gauche, Edgar ( l’acteur Hayk Bakhryan) avec Armen (l’acteur Vartan Petrossian)

 

Si le vent tombe devait sortir initialement dans les salles le 18 novembre 2020. Du fait de la pandĂ©mie du coronavirus, il sortira finalement ce 26 Mai 2021.  Ce film fait partie de la sĂ©lection officielle Cannes 2020 et de la sĂ©lection Acid Cannes 2020.

 

Le Français, le Karabatsi, l’Arménien, l’Anglais et le Russe sont les langues principalement parlées dans le film.

Acteurs principaux : 

Alain Delage : Grégoire Colin

Edgar : Hayk Bakhryan

Seirane : Arman Navasardyan

Armen : Vartan Petrossian

Kariné : Narine Grigoryan

 

 

Franck Unimon, ce lundi 21 septembre 2020.  ( rĂ©actualisĂ© ce lundi 17 Mai 2021).

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L’air de rien

 

                                                     L’air de rien

Il n’a l’air de rien. Mais il dit bonjour. Contrairement à sa collègue, plus haute placée, qui, me voyant les approcher, s’éloigne en m’ignorant.

 

J’ai déjà vu sa collègue, peut-être l’adjointe du gérant de ce supermarché, passer devant la clientèle attendant l’ouverture sans adresser le moindre bonjour. Nous étions alors à peu près une dizaine, dont des femmes et des hommes, et, parmi nous, sans doute un certain nombre d’habitués.

 

Dangereux

 

Je ne vois pas ce qu’il y a de si dangereux dans le fait de dire bonjour Ă  des clients mais aussi Ă  des patients dans une salle d’attente. Comme si les voir, et le leur  confirmer, c’était prendre un risque particulier. Equivalent Ă  celui d’entrer dans un poulailler. Sauf qu’à la place des poules, des coqs et des poulets, il y aurait une foule de mendiants qui, nous prenant pour des Ă©pis de maĂŻs, pourrait nous transformer en moignons. Bien portants le matin, nous pourrions rentrer chez nous le soir Ă  l’état de cul-de-jatte avec notre carte d’invaliditĂ© simplement parce-que nous avons sautĂ© sur une mine en disant « bonjour Â».

 

Mais cette collègue n’est pas le sujet : je ne crois pas que l’on puisse rĂ©aliser un saut de quatre mètres en s’enterrant. Laissons-la donc et toutes celles et ceux qui lui ressemblent dĂ©taler vers leurs apothĂ©oses et leurs fuites. Comme nous tous, ils n’iront pas plus loin, un jour ou l’autre, que la thrombose ou l’extinction. Et leurs signes de distinction sociale muette ou autre n’y changeront rien.

 

Lui, je ne l’avais pas vu depuis plusieurs mois. En souriant, il m’a demandĂ© :

 

«  Et la petite ? Â». Je lui ai rĂ©pondu qu’elle Ă©tait Ă  l’école. La dernière fois, il avait constatĂ© comme elle avait grandi. Sans aller jusqu’à la poursuite aux flatteries et aux compliments, en tant que parent, ça fait du bien et c’est utile d’entendre le tĂ©moignage extĂ©rieur, et sincère, de quelqu’un d’autre sur son enfant. Et il n’est pas nĂ©cessaire pour cela que ce « tĂ©moin Â» ou cette « tĂ©moin Â» soit notre ami. SincĂ©ritĂ©, nuance et contradiction bienveillante devraient, pourtant, aussi, faire partie des piliers de toute amitiĂ© rĂ©elle ou officielle.  

 

La maladie du temps

 

 

Nous sommes tous les témoins potentiels des uns et des autres. C’est un rôle qui peut être difficile. Mais, le plus souvent, il s’agit quand même, tout simplement, de se guérir partiellement de cette maladie du temps à laquelle nous souscrivons souvent.

 

Le plus souvent, il s’agit quand même, tout simplement, de prendre son temps.

 

J’ai donc pris à peu près cinq minutes pour discuter avec ce vigile de supermarché. Cela fait plusieurs années que je le croise lorsque je vais y faire quelques courses. Et que nous nous disons bonjour. Comme je le fais, aussi, avec ses autres collègues vigiles. Tous noirs.

 

Certains intellectuels très mĂ©diatisĂ©s en France savent affirmer que la plupart des dĂ©tenus et des dĂ©linquants, en France, seraient des noirs et des Arabes. Et quelques journalistes et patrons, tout autant bien « Ă©clairĂ©s Â» par les projecteurs et leurs fortes personnalitĂ©s- financières, mĂ©diatiques et politiques- boivent ça comme du petit lait.

 

Mais ces intellectuels disent beaucoup moins que beaucoup de vigiles, d’agents de sĂ©curitĂ©, d’entretien, de soignants ou d’ouvriers de chantier qui continuent de protĂ©ger, de nettoyer, de soigner et de  construire la France sont, aussi, des noirs et des Arabes.

 

 

Pour m’amuser, je veux bien essayer d’imaginer quelques uns de ces intellectuels et journalistes, femmes comme hommes, officiant en tant que vigile, agent de sĂ©curitĂ© ou ouvrier de chantier. En tant que mĂ©decin, infirmier ou aide-soignant. Ou, mĂŞme, en tant que caissière ou caissier. Ça changera un peu de certains hymnes nationaux qui voient les vaisseaux de l’immigration, lorsqu’ils ne coulent pas sous les flots et sous le bĂ©ton, comme la chienlit sĂ©paratiste qui ensevelit et abĂ®me la France sous tous les flĂ©aux :

 

Drogues, grand banditisme, terrorisme, maladies, intégrisme religieux, récession du niveau scolaire, carbonisation économique, viols, vols.

 

Car il faut savoir que, pour certaines et certains, un Noir et un Arabe, c’est forcément ça. Même si on lui dit bonjour.

 

Et je ne me fais aucune illusion : une personne originaire de l’Outre-Mer a bien la nationalitĂ© française de naissance. Mais ça reste nĂ©anmoins une personne noire. Donc, dans la rue, Ă  première vue, c’est une personne susceptible d’être une personne immigrĂ©e.

 

 

Norme de pensée

 

MĂŞme si je me sens Français, je connais cette « norme Â» de pensĂ©e. Je l’ai d’une certaine façon intĂ©riorisĂ©e comme une sorte de solfège. Un solfège que je me dois de transmettre en partie Ă  ma fille de manière circonstanciĂ©e (ni trop, ni pas assez) afin qu’elle soit suffisamment Ă©duquĂ©e pour s’adapter au monde qui l’entoure :

 

Chanter La Reine des Neiges comme d’autres enfants, oui. Mais la laisser croire que tout le monde voudra d’elle comme une personne « libĂ©rĂ©e, dĂ©livrĂ©e Â», non.

 

Il n’est pas nĂ©cessaire d’être allĂ© au conservatoire ou d’avoir fait de très hautes Ă©tudes pour apprendre ce solfège. Pas besoin non plus de mĂ©thode Assimil. Dès l’enfance, l’air de rien, on apprend ce solfège  un petit peu tous les jours. Chacun, chez soi, en Ă©coutant des gens très intelligents et très affirmĂ©s. On apprend ainsi que les Noirs, les Arabes, les Blancs, les asiatiques et les autres ceci…et cela. Et, il faut dire que certains faits collent très bien- comme certaines affiches et certains tracts politiques- Ă  l’image que l’on s’était fait et que l’on se fait de certaines personnes.

 

A la « fin Â», ce qui peut changer cette lecture de la partition des autres, c’est la rencontre. Le fait de prĂ©fĂ©rer l’action Ă  la superstition et  Ă  la mauvaise expĂ©rience. Quand il y  a eu une mauvaise expĂ©rience. En sortant de chez soi. Et ça commence par dire bonjour.

Par prendre le temps d’écouter ce que les autres sont et ont à nous dire. S’ils ont envie de nous le dire. S’ils sentent que l’on est prêt à les écouter un peu. Mais aussi à les croire. Et, donc, à les voir pour ce qu’ils sont.

 

Je ne parle pas d’aller discuter avec un proxĂ©nète qui est en train de tabasser une de ses « employĂ©es-victimes Â», avec un dealer qui est pleine livraison de marchandise ou avec un braqueur en train de faire l’amour avec sa voiture-bĂ©lier. Ou de vouloir sympathiser Ă  tout prix avec la voisine ou le voisin qui, pour une raison ou pour une autre, prĂ©fère entrer et sortir de l’immeuble par les toits plutĂ´t qu’en empruntant les escaliers communs.

 

Discuter

 

Je suis restĂ© Ă  peu près cinq minutes Ă  discuter avec ce vigile de sĂ©curitĂ©.  Ă‡a, c’était dans mes compĂ©tences. Dans ma vie de tous les jours, j’ai cette « chance Â» :

 

Je rencontre plus souvent des vigiles de sĂ©curitĂ© comme lui et avec lesquels ça se passe très bien. Je rencontre très rarement des proxĂ©nètes qui tabassent une de leurs « employĂ©es-victimes Â», un dealer livrant sa marchandise de plusieurs tonnes en bas de chez moi ou des braqueurs qui prĂ©parent leur prochain casse sur mon palier.  

 

 

Amazon fait le guet

 

A quelques mètres des casiers de livraison du site Amazon situés à l’entrée du supermarché, il m’a appris qu’il avait d’abord arrêté l’école en CM2.

Les 200 milliards d’euros ou de dollars d’Amazon ( la fortune du PDG d’Amazon, Jeff Bezos, l’homme le plus riche du monde, s’est tellement accentuĂ©e depuis l’épidĂ©mie du Covid que l’évaluer en dollars ou en euros n’a plus d’importance ) ont continuĂ© de faire le guet dans notre dos pendant notre conversation. 

 

Après le CM2, il  a effectuĂ© un mĂ©tier manuel  et technique. Sur les chantiers. Je n’ai pas l’impression, s’il en avait eu la possibilitĂ©, qu’il se serait arrĂŞtĂ© au CM2. Nos penseurs et nos patrons qui, eux, « savent tout Â» sont gĂ©nĂ©ralement allĂ©s bien plus loin que le CM2 et ont, plutĂ´t rarement, travaillĂ© sur un chantier comme cet homme. Pendant 12 ans, au Portugal. Un pays qu’il avait « dĂ©couvert Â».

 

Donc, oui, il m’a confirmĂ© avoir appris Ă  parler Portugais. En prenant des cours du soir. Ce qui lui a permis d’atteindre un niveau de 3ème. Mais, Ă©tudier dans ces conditions, tout en travaillant et en ayant une vie de famille, c’est « difficile Â» me dit-il. Et je le concède facilement.

 

Reconversion

 

Puis, il a Ă©tĂ© au chĂ´mage. Ce qui l’a amenĂ© Ă  venir vivre en France oĂą il est donc devenu vigile dans ce supermarchĂ©. Mais il a une maison au Portugal :

 

 Â« LĂ -bas, quand on a un travail, c’est plus facile qu’en France Â» m’explique-t’il.

J’ai un niveau d’études supĂ©rieur Ă  lui et je ne le savais pas. Pas plus que je ne sais parler Portugais. Et, je ne suis jamais allĂ© au Portugal, pays dont j’ai dĂ©jĂ  entendu dire du « bien Â».

 

Il préfère la vie au Portugal à la vie en France. Trop de stress si j’ai bien compris. Mais nous sommes en région parisienne. Il raisonnerait peut-être différemment en province me dis-je maintenant.

 

Du fait du Covid, il n’a pas pu retourner au pays cette annĂ©e. Je le croyais HaĂŻtien. Il est de la CĂ´te-d’Ivoire.  Et puis, en Ă©tĂ©, le billet d’avion revient Ă  1200 voire 1300 euros par personne. Donc, cette annĂ©e, les vacances estivales se sont dĂ©roulĂ©es en Normandie et Ă  la Rochelle. Il connaissait dĂ©jĂ  la Rochelle.

 

Vivre en disant bonjour

 

RĂ©sumons :

Cet homme, qui a fait moins  d’études que moi, parle autant de langues que moi si ce n’est davantage. Et il a su se reconvertir face au chĂ´mage en changeant de pays, de culture et de langue. Et il a une maison au Portugal. Un pays, qui, Ă©conomiquement, s’en sort plutĂ´t bien mĂŞme si, actuellement, le Portugal est moins « puissant Â» que la France.

 

 Je me demande si nos penseurs (politiques et autres) qui chient sur l’immigration en permanence auraient Ă©tĂ© capables, seraient capables, un jour, de faire ce que cet homme a fait :

Changer de pays, de culture et de langue. Et vivre, l’air de rien. En disant bonjour.

 

Franck Unimon, ce jeudi 17 septembre 2020.

 

 

 

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Cinéma

Police-un film d’Anne Fontaine

De gauche à droite, Grégory Gadebois, Virginie Efira au centre, Omar Sy, au volant.

 

 

 

                                                Police un film d’Anne Fontaine.

Dans la France d’aujourd’hui, en rĂ©gion parisienne, un triumvirat composite  – une blonde, un grand Noir,  un gros blanc –  part en virĂ©e  afin d’emmener un individu «  d’un point A Ă  un point B Â». Plus qu’une dĂ©monstration de gĂ©omĂ©trie, ou un contrat, il s’agit de leur mĂ©tier :

 

Virginie (Virginie Efira), Aristide (Omar Sy) et Erik (GrĂ©gory Gadebois) sont uniformĂ©ment policiers. Et ça se passe la nuit. Pourquoi la nuit ? C’est peut-ĂŞtre plus pratique d’un point de vue scĂ©naristique :

La nuit, on remise les apparences.  On dĂ©verrouille  nos  conduites intimes.  On peut mieux fuir ce qui nous dĂ©range dans notre vie personnelle.  D’autant que l’on est  en effectifs rĂ©duits.  Cela nous rend plus vulnĂ©rables mais aussi plus autonomes.  Car la hiĂ©rarchie est alors « claire-semĂ©e Â». Il est nĂ©anmoins indispensable d’être solidaires malgrĂ© nos insularitĂ©s personnelles.

 

Police de Pialat, L627 de Bertrand Tavernier, Polisse de MaĂŻwenn

Le soleil,  les lumières artificielles, la crème solaire, les muscles, le grand nombre et les sourires ne font pas une communautĂ© ni une solidaritĂ©. Ce sont avant tout des dĂ©cors. Des dĂ©cors dentifrice qu’Anne Fontaine, comme dans le film Police de Pialat (1985), Le L627 de Bertrand Tavernier (1992) et le Polisse  de MaĂŻwenn ( 2011) a crachĂ©s dans l’évier avant mĂŞme le dĂ©but du film.

 

J’ai vu ces trois films dont les deux derniers au cinĂ©ma, lors de leur sortie en salles. Et je voulais voir le Police d’Anne Fontaine, sorti ce mercredi 2 septembre 2020

 

Le titre Police de NTM

 

 A l’époque de sa diffusion, puisque je suis « vieux Â», J’avais aussi Ă©coutĂ© et réécoutĂ© le titre Police du groupe NTM(1992 ou 1993). Groupe de Rap qui a fait connaĂ®tre Joey Starr, un des acteurs prĂ©fĂ©rĂ©s, en tant que flic, du film Polisse qui avait fait partie des films marquants du festival de Cannes de 2011. J’étais sur les lieux cette annĂ©e-lĂ .

 

Je me rappelle encore du titre de NTM qui s’était enclenché dans ma tête alors que je me trouvais dans un commissariat du Val d’Oise pour y faire une main courante. Heureusement que je n’étais pas touché par le syndrome de Gilles de la Tourette.

 

Je l’ai Ă©crit et je vais le réécrire : Je n’aimerais pas ĂŞtre flic en 2020 en rĂ©gion parisienne dans certains endroits sensibles. La police est Ă  la fois  Â«  la baĂŻonnette et la marionnette de l’Etat Â».

 

Pages de Pub et bandes annonces

 

 Plusieurs pages de pub et quelques bandes annonces nous accueillent avant le dĂ©but du film.

 

La pub pour le tĂ©lĂ©phone portable Galaxy Flip Zip  de Samsung, les Podcast d’Arte Radio et les bandes annonces pour les films Mon Cousin de Jan Kounen et Antoinette dans les CĂ©vennes de Carole Vignal (avec l’actrice Laure Calamy) ont retenu mon attention. Ainsi que la bande annonce de Adieu les cons de et avec Albert Dupontel….et Virginie Efira, devenue une actrice très visible.

 

Virginie/ Virginie Efira

 

Virginie Efira ( Virginie), derrière, l’acteur Payman Mardi (dans le rĂ´le de Tohirov)

 

Dans le Police d’Anne Fontaine, on découvre en pleine nuit le personnage de Virginie dans son lit conjugal. Mariée, mère de famille, elle en est à son troisième réveil car son enfant se met à pleurer pour la troisième fois. Personne ne l’envie. Son mari, attaché et patient, la rejoint néanmoins dans la cuisine où elle a préparé un biberon et posé leur enfant sur une chaise haute. Et l’on apprend que Virginie est très peu avec son mari et leur enfant. Elle s’oublie dans son travail.

 

En quelques secondes, on comprend que l’ordinaire de Virginie, femme flic, est très éloigné du glamour de certaines productions. Qu’il s’agisse de séries télé ou de films. Il y a évidemment plusieurs ambiances de décalage entre le film et celle de Tenet réalisé par Christopher Nolan avec John David Washington, Robert Pattinson et Elizabeth Debicki et qui marche apparemment très bien commercialement en ce moment.

Le film Tenet nous montre des super policiers, descendants de James Bond, très à l’aise pour se faufiler dans les espaces temps. Le film d’Anne Fontaine nous montre de plus près des spécimens encartés dans la vie réelle. Des gens que l’on pourrait rencontrer ou connaître.

 

Virginie/Virginie Efira fait partie de ces innombrables soldats du peu dont l’activitĂ© professionnelle et personnelle est un si grand dĂ©barras qu’à voir leur façon de continuer de la servir  ils pourraient tout aussi bien ĂŞtre dans un couvent. On se demande oĂą elle trouve le remontant- et comment- pour continuer de rĂ©ussir Ă  nager Ă  contre courant.

 

Devant Police, du fait du personnage de Virginie, j’ai un moment pensé au très bon film Volontaire d’Hélène Fillières (2018).

Mais si Virginie est très volontaire, elle est aussi nettement moins  carriĂ©riste, et plus engagĂ©e – plus âgĂ©e aussi- dans sa vie de mère mariĂ©e, que le personnage de Laure (l’actrice Diane Rouxel) dans le film d’HĂ©lène Fillières.

 

Comme souvent, Virginie Efira a l’allure d’un rade  (je l’ai peu vue dans son univers comique Sibyl  ). Ce qui est parfait pour son rĂ´le de femme-flic. Et, comme souvent, aussi, cela la rend crĂ©dible pour jouer ces personnages qui s’accrochent Ă  une vie qui leur Ă©chappe. Elle a encore ce pouvoir de laisse poindre le nĂ©ant dans le regard et d’en faire un dĂ©part intermittent. Il est peut-ĂŞtre imminent. Mais c’est peut-ĂŞtre aussi une impression que l’on a trop exagĂ©rĂ©e.

 

Si l’on s’en tenait à sa seule présence, le personnage de Virginie suffirait. Mais Anne Fontaine a tenu à la doter de désirs alors que l’on est plutôt habitué à voir des femmes flics comme des êtres a-menstrués mais aussi très rarement désirables.

C’est Ă  travers le personnage de Virginie, qu’Anne Fontaine passe pour exprimer sa sensation que l’expulsion d’un ( corps) Ă©tranger, cela revient Ă  avorter. 

Aristide/ Omar Sy

Il est un peu « Ă©tonnant Â» qu’Anne Fontaine ait choisi Omar Sy, plutĂ´t que GrĂ©gory Gadebois, pour dĂ©velopper la voie sentimentale du personnage de Virginie/Virginie Efira. Je fais bien-sĂ»r un peu d’humour. Car dans d’autres films, GrĂ©gory Gadebois a aussi connu de très belles histoires d’amour. (Je repense Ă  Angèle et Tony, rĂ©alisĂ© en 2011 par Alix Delaporte).

 

Depuis le succès d’Intouchables, Omar Sy est un peu l’équivalent d’un  boxeur devenu champion du monde poids-lourds par K.O et par accident. Sa carrière n’est plus la mĂŞme depuis. Son nom, aussi, qui apparaĂ®t en premier sur l’affiche du film.

 

Omar Sy a fait d’autres films depuis Intouchables. Et je ne les ai pas tous vus. J’avais bien aimé Yao

Yao).

 

Mais j’ai tendance Ă  attendre de lui qu’il se « salisse Â» dans ses rĂ´les. Qu’il soit moins ce boxeur qui danse avec les angles et qu’il se transforme – parfois- en cogneur. Bien-sĂ»r, rien ne l’y oblige, que ce soit pour des raisons personnelles ou morales. Ou, simplement, quant Ă  sa façon de gĂ©rer sa carrière. Je ne suis pas son agent. Et il sait bien mieux que moi comment choisir ses rĂ´les. Et, heureusement, aussi, qu’il n’a pas comptĂ© sur moi pour toutes les dĂ©cisions lui important le plus. D’autant qu’il y a un certain nombre d’acteurs qui restent toujours du « bon Â» cĂ´tĂ© lorsqu’ils choisissent leurs rĂ´les.

 

Si je ne me trompe, Patrick Bruel avait refusé le premier rôle que Cyril Collard lui avait proposé dans son film Les Nuits fauves (1992) réalisé d’après son propre livre. Un film qui avait finalement créé la polémique ( Collard est mort du Sida quelques jours avant la cérémonie des Césars. Son film avait obtenu plusieurs prix) mais aussi eu beaucoup de succès :

Dans le film, Collard – alors que nous Ă©tions en pleine Ă©pidĂ©mie du sida- y rĂ©vĂ©lait avoir eu des relations sexuelles multiples sans se prĂ©munir du risque de contamination mais aussi en exposant ses partenaires.

  Le succès du film avait nĂ©anmoins plutĂ´t contribuĂ© Ă  bien lancer la carrière  l’actrice Romane Bohringer.

Même si cette anecdote date de l’âge de la poussière, il y a plein d’histoires plus récentes où des acteurs, pour soigner leur image ou afin d’éviter une éventuelle polémique, refusent des rôles. Le réalisateur et scénariste Abdel Raouf Dafri avait par exemple expliqué que l’acteur qu’il avait au départ sollicité pour le premier rôle de son premier film, Qu’un sang impur ( sorti le 22 janvier 2020) et qui relate la Guerre d’Algérie, avait préféré décliner l’offre. Par crainte de la polémique….

Qu’un sang impur…   Interview en apnĂ©e avec Abdel Raouf Dafri )

 

Par ailleurs, pour avoir croisĂ© Omar Sy quelques secondes par hasard alors que je me rendais Ă  une projection de presse qui n’avait rien Ă  voir avec lui, je peux tĂ©moigner que celui-ci Ă©met une simplicitĂ© et une telle sympathie immĂ©diates (   )que je me sens un peu dĂ©placĂ© de parler de lui comme je viens de le faire. Mais je parle ici de l’acteur et de cinĂ©ma. Pas de l’être humain. Et je parle en tant que personne qui est allĂ© voir un film et qui avait des exigences en allant voir ce film et les comĂ©diens que sont Efira, Sy et Gadebois.

 

Omar Sy, « cogneur Â».

 

Dans Police, il y a un moment oĂą l’on entrevoit ce que ça pourrait donner, un Omar Sy, « cogneur Â». Appelons, ce moment ou cette scène Je l’aime, moi, mon fils. Peut-ĂŞtre que lorsque Sy acceptera de se sĂ©parer un peu plus de sa pudeur et de sa prudence dans un film, qu’il nous donnera un peu plus, en tant qu’acteur noir (j’ai bien Ă©crit « acteur noir Â») de cette violence Ă  l’écran.

Samuel Jackson, depuis des années (oui, je mets la barre très très haute en parlant de Samuel Jackson) nous donne de la violence sur les écrans depuis des années. Et on en redemande. En tout cas, moi, j’en redemande. Pour moi, les deux meilleurs acteurs du Django Unchained de Tarantino (2012) sont de loin Samuel Jackson et Léonardo Dicaprio. Deux ordures dans le film, chacun à leur manière.

 

Dominique Blanc (je fais Ă©videmment exprès de choisir cette actrice aussi au vu de son nom) avait pu dire dans une interview, Ă  propos de Patrice ChĂ©reau :

 

« J’aime sa violence…. Â».

 

On parle Ă©videmment d’une violence acceptĂ©e, endossable et comprise par des acteurs et des actrices. Et non d’une violence subie. L’athlète ou le pianiste qui rĂ©pète ses enchaĂ®nements pendant des heures accepte une certaine violence afin d’être affĂ»tĂ© pour la performance.  Lorsque l’athlète Marie-JosĂ© PĂ©rec, l’ancienne sprinteuse française, plusieurs fois championne olympique, faisait 1500 abdominaux par jour, c’était son choix. Parce qu’elle savait qu’elle devait aussi en passer par ça pour ĂŞtre dans une forme physique (ainsi que mentale) optimale.

 

C’est de cette violence-là dont je parle dans le jeu d’acteur d’Omar Sy. Mais j’en demande peut-être trop. Et peut-être que, finalement, c’est seulement à moi que je parle en parlant, ici, d’Omar Sy. Car, dans Police, il fait tout de même beaucoup.

 

 Omar Sy  prend beaucoup de risques dans Police :

Je l’ai réécrit : Je n’aimerais pas ĂŞtre flic en 2020. Or, tout le monde Ă  peu près en France sait oĂą  Omar Sy a grandi. En banlieue parisienne, Ă  Trappes. Une ville connue depuis des annĂ©es plutĂ´t pour sa mauvaise rĂ©putation : dĂ©linquance, islamisme, drogues….

MĂŞme si des personnalitĂ©s comme Jamel Debbouze  (qu’il connaĂ®t) ou le footballeur Anelka ont Ă©mergĂ© de cet endroit, Trappes, ce n’est pas St-Germain en Laye, Le VĂ©sinet ou La Celle Saint Cloud. MĂŞme si ces trois dernières villes se trouvent Ă©galement dans les Yvelines.

 

Dans certaines banlieues et dans certains milieux, pas seulement populaires, être flic ou être copain des flics, c’est une tâche.

 

Question bavures policières, au faciès ou non, en tant que personne noire ayant grandi Ă  Trappes, dans un milieu social plutĂ´t modeste ou moyen, j’imagine facilement qu’Omar Sy, mĂŞme s’il a le sourire, a dĂ» « voir Â» ou entendre des choses qui mettent peu la police Ă  son avantage. Et,  si je ne me trompe pas, il s’est plutĂ´t engagĂ© aux cĂ´tĂ©s d’Assa TraorĂ©, la sĹ“ur d’Adama TraorĂ©

 

On pourrait me dire que dans « l’Affaire TraorĂ© Â», ce sont des gendarmes qui sont suspectĂ©s d’avoir fait une bavure. Et non des flics. D’accord.  Mais on parle de reprĂ©sentants de forces de l’ordre. Pour celles et ceux qui sont « anti-flics Â», flics et gendarmes, c’est souvent pareil.

 

Un rĂ´le de MaturitĂ© et de nuances :

Or, Omar Sy accepte de jouer le rôle d’un flic comme il aurait sans doute pu accepter de jouer le rôle d’un gendarme.

Joey Starr a jouĂ© un flic dans Polisse. Sy, jeune de « la Â» banlieue, joue un rĂ´le de flic. Et c’est un flic qui bĂ©nĂ©ficie de la dĂ©licatesse d’Omar Sy. De son Ă©lan vital et de son acuitĂ© mentale. Un flic, qui, au passage, en toute dĂ©contraction, combat les prĂ©jugĂ©s racistes. Ou, je devrais plutĂ´t Ă©crire :

 

« Qui continue de combattre les prĂ©jugĂ©s racistes Â». Car Omar Sy n’a pas attendu ce rĂ´le dans le film d’Anne Fontaine pour essayer de dĂ©samorcer bien des prĂ©jugĂ©s ( j’avais commencĂ© Ă  Ă©crire des «conflits Â» au lieu de « prĂ©jugĂ©s Â») racistes.

 

Dans les deux situations, que l’on parle de Joey Starr dans Polisse ou d’Omar Sy dans Police (il est temps que je rappelle qu’Anne Fontaine s’est inspirĂ© du livre d’Hugo Boris pour son film), deux PersonnalitĂ©s diffĂ©rentes de tempĂ©rament,  de comportement, comme par leur style contribuent Ă  donner une image plutĂ´t favorable et nuancĂ©e de la police.

Et ces deux personnalitĂ©s sont deux hommes noirs. Lesquels ont la quarantaine lorsqu’ils jouent un rĂ´le de flic.  44 ans pour Joey Starr dans Polisse.  42 ans  pour Omar Sy lors de la sortie de Police.   

 

A cet âge, Joey Starr, comme Omar Sy, se sont insérés socialement. On pourrait même dire qu’ils ont plutôt (très) bien réussi socialement. Même si une carrière d’artiste reste aléatoire et que, mal gérée, celle-ci peut très mal et très vite s’achever.

 

Ce sont aussi deux personnes qui sont sĂ»rement devenues pères. Et qui se sont peut-ĂŞtre ou sĂ»rement faites plus nuancĂ©es : il arrive frĂ©quemment que l’on raisonne un peu diffĂ©remment lorsque l’on a quarante ans et que l’on est devenu père comparativement Ă  l’époque ou on avait entre 15 et 25 ans et que l’on Ă©tait sans enfant. Certaines expĂ©riences de la vie et certaines rencontres sont passĂ©es par lĂ  entre-temps.

 

Réussir

 

Jusqu’à un certain point, on a le choix :

 

Rester dans une description permanente de la destruction.  Tout sur-interprĂ©ter de ce qui vient des autres comme une menace. Etre obsĂ©dĂ© par les autres. Participer Ă  la destruction des autres et de soi, d’une part.

 

Ou, Ă  un moment,  accepter de vivre, s’accepter un peu plus et accepter un peu plus les autres.

 

Je crois que Joey Starr et Omar Sy ont réussi parce qu’à un moment donné de leur vie, voire à plusieurs moments de leur vie, ils ont accepté de sortir de ce qu’ils connaissaient par cœur. Et qu’ils l’ont fait avec des personnes de confiance et au bon moment pour eux. Et pour leur époque.

 

Mais pour certaines sensibilités, réussir en s’éloignant de ce que l’on a connu, c’est s’embourgeoiser. C’est oublier ce que l’on a connu. C’est renier le passé. Son passé. Je crois que c’est plutôt le contraire. Même si on s’éloigne, on reste attaché à son passé et on s’en inspire pour aller plus loin. Comme une fusée qui décolle pour aller sur la lune.

 

Il est une question qu’Aristide/ Omar Sy pose Ă  deux ou trois reprises : 

” Mais, sur le terrain, je suis un bon flic ou pas ?!”. 

Peut-ĂŞtre que certains compatriotes verront dans cette question une tendance “banania” d’Omar Sy. Comme si Omar Sy se “prend pour un blanc”. Ce n’est pas du tout ce que je vois dans cette question. Dans cette question, je vois Omar Sy qui se pose cette question, mĂŞme en tant qu’acteur :

” Suis-je un bon acteur ?!” ( puisque je suis un autodidacte….).

Ma rĂ©ponse, en tant que spectateur, est oui ! MĂŞme si la première et la dernière personne la plus compĂ©tente pour y rĂ©pondre, c’est d’abord Omar Sy/ Aristide. Sur le terrain.

 

Ce qui nous amène à l’autre symbole auquel touche Omar Sy dans le film.

 

 

La Femme blanche

Dans Police, Omar Sy touche Ă  la femme blanche. Or, il n’y a pas plus femme blanche, en couleur de peau, face Ă  un homme noir….qu’une femme blonde.   Cette remarque pourra paraĂ®tre banale pour certaines personnes. Mais je continue de penser qu’en 2020, les relations mixtes, multiculturelles, ou multiconfessionnelles et multiraciales (appelons ça comme on le veut) restent très difficiles Ă  adopter pour bien des personnes en France. Sans parler des relations multi-genres. Et pas uniquement au sein des Ă©lectrices et des Ă©lecteurs du Rassemblement National, ex Front National. J’invite Ă  voir ou Ă  revoir le film Un Français rĂ©alisĂ© par Diastème en 2014 pour se faire une idĂ©e d’un certain Ă©tat d’esprit au sein des tenants de l’ExtrĂŞme droite. Je reste encore Ă©tonnĂ© par le niveau de connaissance de son film concernant une certaine extrĂŞme droite.

 

Omar Sy traverse donc plusieurs murs Ă  travers son rĂ´le de flic. D’une certaine façon, avec sa tenue de flic, il rĂ©alise plusieurs infractions Ă  certains codes comme Ă  une certaine “morale” :

 Il rĂ©habilite le flic. Le flic attentif Ă  son prochain. Et il rencontre la femme blanche. Une femme mariĂ©e et mère de famille.

 

Il ne la rencontre pas façon «  Vas- y Francky, c’est bon ! Â» clichĂ© qui sous-entend que tous les hommes noirs ont le sang chaud et le sexe dans la peau au mĂŞme titre que la musique. Ce qui serait bien commode pour entretenir le clichĂ© de l’homme noir chaud lapin et montĂ© «  pour ça Â».

 

 Aristide/ Omar Sy rencontre la femme blanche comme cela peut arriver pour n’importe qui sans aucune discrimination de couleur, de religion ou de classe sociale ou de sexe. Comme dans la vraie vie.  Au travail, lieu de rencontre parmi d’autres. Cela va peut-ĂŞtre changer avec le dĂ©veloppement du tĂ©lĂ©travail depuis la pandĂ©mie du Covid-19 et la prioritĂ© qui a Ă©tĂ© redonnĂ©e Ă  l’économie et Ă  la rentabilitĂ©, mais, pour l’instant, le travail reste un lieu de rencontres et de variables humaines.  Comme l’école, le club de sport, le cercle d’amis, les voyages, les associations ou les sites de rencontres.

 

Et l’on comprend dans le film que, même si Virginie et Aristide sont deux opposés sur bien des plans, qu’ils peuvent se rejoindre sur certaines valeurs communes d’autant que la Terre est ronde. Et si A part d’un endroit opposé à B sur la Terre, A et B peuvent néanmoins finir par se rejoindre. Sourire.

 

Moralement, dans la vie rĂ©elle, beaucoup de personnes, en France, et ailleurs, ne sont pas libres par rapport Ă  ce que Police montre Ă  ce sujet.  D’ailleurs, ce rapprochement de corps ( A et B)  que l’on voit dans le film entre Virginie Efira et Omar Sy reste rare dans le cinĂ©ma français encore en 2020. Et au théâtre comme en danse classique, c’est encore pire. Pourtant, nous sommes dans le pays dont la capitale est surnommĂ©e « La Ville lumière Â».

Pour parodier un vieux sketch de Philippe Noiret (oĂą il incarnait Louis XIV) face Ă   Jean-Pierre Darras, Ă  voir les rĂ©sistances robustes et assez artificielles devant le mĂ©tissage dans bien des rĂ©alisations culturelles françaises, on a de quoi trouver ces rĂ©sistances « Lu-gubres ! Â».

 

 

EriK/ GrĂ©gory Gadebois :

Si Aristide/ Omar Sy et Virginie/ Virginie Efira déversent la folie et la lumière sur la toile du film, Erik/ Grégory Gadebois, lui, est le lugubre de l’histoire. Mais c’est un lugubre à la Gadebois. C’est à dire, un flic qui, au départ, a beaucoup contre lui. Obèse, hyper-rigide. Une tête de cerbère plus que de complice. Autoritaire. Sans humour.

En plus, c’est l’alcoolique refoulĂ© du trio. RefoulĂ© par qui et par quoi ? On ne sait pas. Mais personne ne lui volera sa femme.

Erik est aussi un homme de Devoir et droit. Comme Aristide et Virginie. S’il devait avoir une religion, Erik serait peut-être protestant. On n’est pas là pour rigoler.

 

Gadebois ne fait rien de très nouveau dans ce film. Mais un peu comme Jean-Pierre Bacri, si on aime son amertume vigilante, on aura à nouveau de quoi faire le plein dans Police.

 

 

Le réalisme du film

 

 

Le film est-il rĂ©aliste ? Il est quand mĂŞme bien renseignĂ© sur le quotidien des policiers. Certains commentaires et certaines anecdotes concernant les conditions de travail des policiers ne viennent pas de nul part. Et c’est pareil pour leurs trucs et leurs astuces pour dĂ©compresser en rentrant du travail.

 

Tohirov, l’acteur Payman Maadi, et Virginie ( Virginie Efira).

 

Tohirov/ Payman Maadi d’un point A à un Point B

Tohirov, «  l’étranger Â» originaire du Tadjikistan que Virginie, Erik et Aristide sont chargĂ©s de transporter d’un « point A Ă  un point B Â» est interprĂ©tĂ© par l’acteur Payman Maadi.

L’acteur Payman Maadi rend très  bien la peur de son personnage. Et si ses comportements sembleront peut-ĂŞtre « dĂ©biles Â» ou invraisemblables, il est sĂ»rement le personnage le plus rĂ©aliste du film Ă  mon avis vu ce qu’il a vĂ©cu dans son pays. La torture.

 

 

En parlant de rĂ©alisme, je profite de cette partie de l’article pour (re)faire la promotion de la très bonne sĂ©rie française Engrenages qui va bientĂ´t se terminer. Et dont « l’impopularitĂ© Â», en France, m’a toujours Ă©tonnĂ© chaque fois que j’ai parlĂ© de cette sĂ©rie policière.

 

J’en profite Ă  nouveau pour Ă©crire qu’avant Engrenages, citĂ©e de manière lĂ©gitime comme une très bonne sĂ©rie par bien des critiques, il y avait eu la sĂ©rie Police District  (2000-2003) crééé par Hugues Pagan, ancien flic et très bon auteur de polars.  Police District est une sĂ©rie encore plus oubliĂ©e qu’Engrenages, alors qu’elle bĂ©nĂ©ficie, aussi, d’une bonne charge de rĂ©alisme de l’époque oĂą elle avait Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e. Ainsi que de bons acteurs. Dont Oliver Marchal, Francis Renaud, Rachid DjaĂŻdani, Sara Martins….

 

La série Braquo, plus connue, doit beaucoup au moins à la série Police District.

 

Ensuite, pour conclure Ă  propos du film d’Anne Fontaine, il y a bien-sĂ»r une certaine part romanesque.   Optimiste. Et plaisante. 

 

Cet article est le 200ème que j’écris pour mon blog balistiqueduquotidien.com. J’espère qu’il vous a plu.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 11 septembre 2020.

 

 

 

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Le Bonheur

 

                                                                 Le Bonheur

Je suis un père exigeant. Très exigeant. SĂ»rement psychorigide par certains cĂ´tĂ©s. A grande tendance obsessionnelle. Mais on peut faire confiance en ma mĂ©moire concernant  mes travers :

Je suis aussi exigeant avec moi-même. Si je connais et vis des périodes de répit, il est bien des moments où mon esprit me poursuit de ses morsures et de ses critiques à propos de ce que j’ai mal fait. De ce que j’aurais pu mieux faire. Ou de celui que je ne suis pas assez. Ou de celui que je ne suis que trop.

 

Et puis, il y a des trêves comme en ce moment. Les trêves ne durent pas. C’est le principe des trêves.

 

Les mômes ont la particularité de régulièrement nous faire sortir du passage clouté de nos programmes et de nos pensées. Ils nous font aussi sortir de nos gonds. Soit de par leurs initiatives. Ou de par leurs demandes.

 

Alors que j’écris, ma fille et moi sommes en plein bonheur depuis plusieurs minutes. Elle, dans la cabane qu’elle s’est construite (sous une table) et moi qui ai fini de prendre mon petit-déjeuner.

 

Ce bonheur a une musique : l’album MBO LOZA de l’artiste malgache D’Gary. Un album de plus empruntĂ© Ă  la mĂ©diathèque il  y a plusieurs semaines et que j’ai dĂ©couvert seulement ce matin. Je l’ai mis tout Ă  l’heure après que ma fille ait commencĂ© Ă  jouer, après son petit-dĂ©jeuner. Il y avait pourtant eu un peu de tension entre elle et moi après son petit-dĂ©jeuner :

 

Elle, assise par terre : « Je n’ai pas bien compris ce que tu m’as dit… Â».

Moi : «  Ce n’est pas grave car il n y a rien de nouveau Â».

Elle, rĂ©flĂ©chissant quelques secondes puis :

« Je n’aime pas me brosser les dents ! Â».

Moi : « Ă§a apporte quelque chose, ce que tu viens de dire ?! Â».

Elle : « Non…. Â».

 

Hier après-midi, pour la première fois depuis la rentrĂ©e, je suis allĂ© la chercher Ă  la sortie de l’école. Devant l’école, c’était un carnaval de masques anti-Covid attendant leurs enfants Ă  la sortie de l’école maternelle et de l’école primaire.  Une Première pour une rentrĂ©e scolaire.

 

Evidemment, la distance de un mètre entre nous était impossible.

 

Parmi les personnes qui patientaient, il en Ă©tait une minoritĂ© bravant les nouvelles normes sanitaires :

Deux ou trois personnes s’affirmaient à visage découvert sans masque. Dont le gardien de l’école, un jeune homme plutôt sympathique qui m’avait, quelques mois plus tôt alors que je l’avais rencontré dans la rue, exprimé son scepticisme quant à la nécessité de se protéger.

 

Enfin, quelques personnes persistaient Ă  baisser leur masque sous leur nez. J’imagine que ces personnes avaient selon elles une bonne raison : du mal Ă  respirer ; il fait chaud ; cela empĂŞche de bien se faire comprendre lorsque l’on parle….

 

La veille, pourtant,  le footballeur Kylian M’BappĂ©, un des joueurs vedettes en France mais aussi dans le Monde, avait Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© forfait pour le prochain match de l’équipe de France car positif au Covid. Un sportif de haut niveau – très mĂ©diatisĂ©- de plus touchĂ© par le Covid.

 

Face aux rĂ©calcitrants du masque, celles et ceux qui n’en portent pas, qui le portent mal ou gardent le mĂŞme plusieurs jours de suite, j’adopte une attitude passive et spectatrice. Et, quand je peux, je m’en Ă©loigne physiquement. Je n’ai pas beaucoup le choix. Les autres, aussi, nous font sortir du passage cloutĂ© de nos programmes et de nos pensĂ©es. Pour le pire comme pour le meilleur. Et sortir de nos gonds, dans ces moments-lĂ , n’est pas forcĂ©ment ce que nous avons de mieux Ă  faire :

 

L’annĂ©e scolaire vient de reprendre et je serai appelĂ© Ă  retourner chercher ma fille Ă  la sortie de l’école encore un certain nombre de jours. Ailleurs, on a dĂ©jĂ  entendu parler de personnes se faisant tabasser ou poignarder parce qu’elles avaient « osĂ© Â» reprocher ou essayĂ© de raisonner des personnes qui ne portaient pas de masque de prĂ©vention anti-Covid. J’estime qu’à moins d’avoir une personne qui me postillonne dessus, cela ne vaut pas la peine de prendre de tels risques. Comme on le voit, le bonheur est fragile. On attend son mĂ´me Ă  la sortie de l’école. Parce qu’à cĂ´tĂ© de nous, l’attitude d’une personne n’est pas conforme, on pĂ©nètre dans son univers. Ce faisant, on la dĂ©range comme un intrus. On la renforce dans son sentiment, dĂ©jĂ  préétabli, que le Monde entier lui en veut personnellement. Il ou elle s’était dĂ©jĂ  retenu(e) et avait pris sur elle ou sur lui mais, cette fois, avec vous, c’est la fois ou le jour de trop. Quelques minutes plus tard, au lieu d’avoir votre enfant dans les bras, vous vous retrouvez dans ceux du coma.

 

Certaines personnes pensent qu’il faut de la rĂ©pression et tout ira mieux dans notre Monde. D’accord. Mais face Ă  des personnes qui sont, dĂ©jĂ ,  constamment, dans la dĂ©pression, la revendication, la destruction, la surinterprĂ©tation et dans l’obsession qu’il y a toujours quelqu’un, quelque part, qui leur en veut ( et leur entourage proche pense gĂ©nĂ©ralement comme eux), la rĂ©pression peut se transformer en wagons de poudrière.

 

 

J’écris ça aujourd’hui. Mais peut-être que dans quelques jours, ou dans quelques semaines, j’aborderai une personne près de moi parce qu’elle porte mal son masque ou qu’elle n’en n’a pas sur elle.

 

 

Alors que ma fille joue dans son coin, je sais l’importance qu’il y a Ă  pouvoir gĂ©nĂ©rer son propre monde et Ă  s’y pelotonner. Parce-que je me rappelle de ces moments-lĂ , enfant, et qu’adulte, j’en vis encore. Ce sont des moments auxquels on tient. Sans doute sacrĂ©s. Et qu’il convient de protĂ©ger ou de ne pas dĂ©ranger. Ces personnes qui, comme moi, attendent leurs enfants Ă  la sortie de l’école, ont leur propre conception du bonheur. C’était dĂ©jĂ  comme ça avant les masques anti-Covid. Le Covid, tout ce qui l’entoure, lui ressemble ou en dĂ©coule, rajoute plus de colère et d’inquiĂ©tude quant Ă  la possibilitĂ©  d’être privĂ© de bonheur comme d’en ĂŞtre dĂ©jĂ  tenu Ă©loignĂ© alors que l’annĂ©e scolaire vient seulement de commencer.

 

Franck Unimon, ce mercredi 9 septembre 2020.

 

 

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Apnée Ecologie Interview

Interview des apnéistes Julie Gautier et Guillaume Néry en 2016

Cette interview de Julie Gautier et Guillaume NĂ©ry a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e le 17 Mai 2016 lors d’un stage d’apnĂ©e. Je faisais partie des stagiaires et c’Ă©tait mon second stage d’apnĂ©e ( le premier avait Ă©tĂ© animĂ© par Umberto Pelizzari). C’Ă©tait aussi avant que je ne m’inscrive dans un club d’apnĂ©e.

L’interview a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e pendant la pause-dĂ©jeuner. Nous avions eu de la chance car nous avions obtenu assez peu de temps avant le dĂ©but du stage l’accord de Julie Gautier et de Guillaume NĂ©ry (après avoir obtenu l’accord prĂ©alable de Fabrice Rolland qui supervise les lieux) pour cette interview.

Je m’y Ă©tais pris un peu Ă  la dernière minute pour envisager cette interview. Quelques jours avant le dĂ©but du stage, j’avais exprimĂ© Ă  Eddy ( Eddy Brière) mon envie de la faire. Eddy, qui avait dĂ©ja rencontrĂ© le couple, m’avait encouragĂ© Ă  la faire.

 Eddy, beaucoup plus calĂ© que moi pour tout ce qui concerne l’image, la rĂ©alisation et le montage, s’Ă©tait occupĂ© de toute la partie technique de l’interview. Je suis crĂ©ditĂ© Ă  la rĂ©alisation et au montage parce-que j’ai participĂ© et que j’Ă©tais Ă  l’initiative du projet mais c’est vraiment par gentillesse de la part d’Eddy. 

En Mai 2016, mon blog, balistiqueduquotidien.com n’existait pas. Ce soir, je me suis dit que ce serait bien d’y “rapatrier” cette interview et de la faire redĂ©couvrir. Car je suis très content de ce que nous avions rĂ©alisĂ©.

Franck Unimon, ce lundi 7 septembre 2020. 

 

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Croisements/ Interviews

Chercher son chemin

                                                Chercher son chemin

Chercher son chemin, cela arrive à tout le monde. Dans le métro. Sur la route. Dans un magasin. Sur le net. Dans une administration.

 

Je demande facilement mon chemin aux gens. Je préfère encore ça à une application. Lorsque je suis piéton.

 

Je renseigne aussi assez facilement les autres lorsque je le peux.

 

Il y a quelques semaines, alors que je reviens de la boulangerie près de chez moi, un homme m’aborde. La quarantaine ou la cinquantaine, il s’exprime difficilement en Français. Il me montre son tĂ©lĂ©phone portable. Sur l’écran, je vois une adresse. Le nom de la rue me dit quelque chose. Mais je ne suis pas sĂ»r. Machinalement, je lis en bas de l’écran :

 

« 100 euros pour 30 minutes. Fellation, massage, cunni…. Â». C’est tout ce que j’ai retenu.

 

Lorsque je relève la tĂŞte, je reste bien-sĂ»r maitre de moi-mĂŞme. Face Ă  moi, l’homme est restĂ©  impassible. Il ne me fait pas penser Ă  un rabatteur. Ni Ă  un adepte des plans Ă  trois. Et encore moins Ă  un humoriste.

 

Il me fait penser Ă  un travailleur loin de son pays qui a trouvĂ© ce « plan Â» pour s’évader de son ordinaire. Un ordinaire, ici, qui doit ĂŞtre très Ă©loignĂ© de ce qui peut faire rĂŞver dans le pays de la «ville-lumière Â».

 

J’essaie de faire comprendre à cet homme que je suis désolé. Je ne suis pas certain de savoir où se trouve cette rue. L’homme me remercie et continue. Il a sans doute montré son téléphone portable à d’autres personnes sur son chemin.

 

Quelques jours plus tard

 

Quelques jours plus tard, je consulte un médecin du sport. Je lui demande s’il connaît un bon médecin acupuncteur. Oui. Il me remet la carte de quelqu’un qu’il connaît. Je prends la carte.

 

Plus tard, je vais sur le site de ce médecin acupuncteur. Seule façon de prendre rendez-vous avec elle. Il y a aussi une photo d’elle. C’est plutôt une jolie femme sur la photo. C’est son droit.

 

Mais le tarif est le mĂŞme : 100 euros pour 30 minutes.

 

Franck Unimon, lundi 7 septembre 2020.

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Crédibilité Croisements/ Interviews

Conocido y conocido

 

                                              Conocido y  conocido

Beaucoup voudraient changer de vie. Puis, ils se figent.

 

Lui, il avait pris les choses en main. Il avait quitté son pays. Interpellé à Paris, sans papiers, inoffensif, il avait été relâché. Il n’avait pas démérité. Il était parti retrouver son père en Allemagne.

Détecté alors qu’il marchait le long de la voie ferrée dans le Val d’Oise, il avait été emmené à l’hôpital puis dans le service où je travaillais alors.

 

L’ambassade de son pays avait été contactée. Un de ses représentants s’était déplacé.

 

Au dĂ©but, plusieurs collègues voulaient l’accompagner pour le rapatrier dans son pays, du cĂ´tĂ© de SĂ©ville. Mais, par moments, mĂŞme si assez peu de collègues parlaient sa langue natale, elles comprenaient Ă  sa façon de « cracher Â» les mots qu’il pouvait tenir des propos orduriers. Et qu’il pouvait, aussi, avoir un comportement inĂ©lĂ©gant.

 

J’avais donc pu l’accompagner en prenant l’avion avec lui.  MĂŞme si, au prĂ©alable, Ă  l’aĂ©roport, la fantaisie des rĂ©servations ou de l’administration m’avait rĂ©vĂ©lĂ© qu’il Ă©tait  prĂ©vu de nous sĂ©parer. Moi en première classe et lui en seconde. Ou le contraire.

 

Après quelques explications, on avait bien voulu nous mettre ensemble. En Première.

 

Lorsque l’on nous avait proposé du champagne, il avait tenté sa chance en m’interrogeant poliment du regard. J’avais refusé. L’alcool et certains traitements sont antagonistes. Il avait accepté.

 

Le vol, de deux ou trois heures, s’était bien déroulé. A notre arrivée, l’infirmier en soins psychiatriques et lui s’étaient aussitôt reconnus. Auprès de lui, il avait alors arboré la mine de l’animal domestique tout content de retrouver une connaissance familière.

 

InterrogĂ©, l’infirmier m’avait rĂ©pondu en Espagnol :

 

« Conocido y  conocido Â». Connu comme le loup blanc. A ses cĂ´tĂ©s, le patient avait approuvĂ© par un petit sourire tendre de connivence.

 

J’avais ensuite passé deux ou trois jours délicieux à Séville.

 

C’est avec cette histoire en tĂŞte que j’ai Ă©tĂ© volontaire rĂ©cemment  pour accompagner une patiente Ă  l’aĂ©roport afin qu’elle s’en retourne chez elle, en CorĂ©e….

 

Franck Unimon, lundi 7 septembre 2020.

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Puissants Fonds/ Livres

Dany Laferrière-Tout bouge autour de moi

 

                            Dany Laferrière – Tout bouge autour de moi  

« Une secousse de magnitude 7.3 n’est pas si terrible. On peut encore courir. C’est le bĂ©ton qui a tuĂ©. Les gens ont fait une orgie de bĂ©ton ces cinquante dernières annĂ©es. De petites forteresses. Les maisons en bois et en tĂ´le, plus souples, ont rĂ©sistĂ©. Dans les chambres d’hĂ´tel souvent exigĂĽes, l’ennemi c’est le tĂ©lĂ©viseur. On se met toujours en face de lui. Il a foncĂ© droit sur nous. Beaucoup de gens l’ont reçu sur la tĂŞte Â» (chapitre Les projectiles, page 14 de Tout bouge autour de moi, paru en 2011).

 

Passer sa vie en mer

 

Passer sa vie en mer, c’est passer une certaine partie de son temps à voir des empires se former, s’écrouler et recommencer. Naviguer, c’est être l’aiguille qui peut être amenée à devoir passer au travers du tamis de ces empires. Mais avant même d’arriver jusqu’à la mer, nos histoires personnelles seront nos premiers empires. Nous y passerons tous et ce sera à nous de trouver de multiples façons et de multiples prises afin de passer au travers de leurs rouleaux en évitant le Ippon fatal qui nous laissera à terre.

La lecture du livre Le Monde comme il me parle d’Olivier de Kersauson est encore là. Je vous en ai parlé il y a quelques jours ( Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle). Sa lecture a été après celle du livre de Dany Laferrière. Mais les deux livres se retrouvent. Laferrière et Kersauson ont des univers communs. Et, moi, je suis ici l’aiguille qui va essayer de coudre ces univers ensemble. Et en plus court que je ne l’ai fait pour le livre de Kersauson.

 

L’écrivain Dany Laferrière

 

Dany Laferrière, HaĂŻtien nĂ© Ă  HaĂŻti, obligĂ© de s’exiler pour raisons politiques, a vĂ©cu des annĂ©es (oĂą il vit peut ĂŞtre encore) au QuĂ©bec. Au QuĂ©bec, il a lu tous les auteurs quĂ©becois en activitĂ©. Membre de l’AcadĂ©mie Française- depuis dĂ©cembre 2013- Ă©crivain reconnu et adaptĂ© plusieurs fois au cinĂ©ma ( Comment faire l’Amour avec un Nègre sans se fatiguer (1989) avec Isaac de BankolĂ©, Vers le Sud  rĂ©alisĂ© en 2005 par Laurent Cantet avec Charlotte Rampling), Prix MĂ©dicis en 2009, Dany Laferrière Ă©tait dans un restaurant Ă  HaĂŻti quand la Terre y a tremblĂ© le 12 janvier 2010.

 

Une histoire personnelle de tremblement

 

C’est l’histoire personnelle de ce tremblement qu’il nous raconte, par des chapitres courts, dans Tout bouge autour de moi oĂą il navigue Ă  travers ce qu’il voit et reste d’HaĂŻti comme parmi ses souvenirs.  Fils du pays, comme cela peut ĂŞtre bien dĂ©crit dans son L’Enfant du pays ( très bien restituĂ© par Arthur H et Nicolas Repacdans l’album L’Or Noir ) il sillonne les Ă©tats de sa famille de ses amis intellectuels ( dont FrankĂ©tienne…) et d’inconnus. Ainsi que le traitement humanitaire et mĂ©diatique du sĂ©isme. Page 60 :

« (….). Le photographe Ivanoh Demers la talonne. Lui semble plutĂ´t gĂŞnĂ©. (….) Ses photos ont Ă©tĂ© reprises dans les journaux du monde entier. Et son Ă©mouvante photo du jeune garçon qui tourne son regard vers nous, avec un mĂ©lange de douleur et de gravitĂ©, restera longtemps dans notre mĂ©moire. La lumière douce qui Ă©claire son visage fait penser Ă  la peinture flamande. Pourtant, le photographe semble dĂ©chirĂ© entre cette soudaine cĂ©lĂ©britĂ© et la ville dĂ©truite- l’un n’allant pas sans l’autre. Il n’a pas Ă  se sentir mal. Sa photo du jeune garçon au regard si doux restera Â».

 

A une autre extrémité de la célébrité

Dans ce paragraphe, nous sommes aux antipodes de cette quĂŞte de « cĂ©lĂ©britĂ© Â» de tous les instants sur les rĂ©seaux sociaux, Ă  la tĂ©lĂ© ainsi que dans ses dĂ©rivĂ©s ( Ma vie en rĂ©alitĂ©). NĂ©anmoins, derrière chaque cĂ©lĂ©britĂ© que nous « suivons Â» ou regardons, il y a peut-ĂŞtre aussi l’équivalent d’une ville qui se forme, se dĂ©truit et se remonte indĂ©finiment. Le tout est de ne pas faire partie des dĂ©combres et des encombrants.

 

Cadavres et atelier de digestion

 

Il y a quelques cadavres dans le livre de Dany Laferrière. Et ce ne sont ni des bouteilles d’alcool, ni des merveilles d’alcĂ´ve.

Son chapitre Les projectiles décrit assez techniquement un tremblement de terre. Mais le chiffre de la magnitude pourrait correspondre au calibre d’une balle et nous pourrions très bien être dans le début d’un polar. Cadavres et viscères font partie des quelques points communs- et vitaux- qu’il peut y avoir entre le récit que Laferrière nous fait de ce tremblement et un polar.

 

D’ailleurs, Tout bouge autour de moi dĂ©bute dans un restaurant, page 11, extrait du chapitre La minute :

 

« Me voilĂ  au restaurant de l’hĂ´tel Karibe avec mon ami Rodney Saint-Eloi, Ă©diteur de MĂ©moire d’encrier, qui vient d’arriver de MontrĂ©al. Au pied de la table, deux grosses valises remplies de ses dernières parutions. J’attendais cette langouste ( sur la carte, c’était Ă©crit homard) et Saint-Eloi, un poisson gros sel. J’avais dĂ©jĂ  entamĂ© le pain quand j’ai entendu une terrible explosion. Au dĂ©but j’ai cru percevoir le bruit d’une mitrailleuse (certains diront un train), juste dans mon dos. En voyant  passer les cuisiniers en trombe, j’ai pensĂ© qu’une chaudière venait d’exploser. Tout cela a durĂ© moins d’une minute. On a eu huit Ă  dix secondes pour prendre une dĂ©cision. Quitter l’endroit ou rester (….) Â».  

 

 

Après la nourriture, le plus souvent, commence la partition de la digestion.  La digestion peut faire penser Ă  un tremblement sauf que celui-ci est routinier et imperceptible. On s’en prĂ©occupe gĂ©nĂ©ralement lorsque ça ne passe pas. Lorsque ça ne pousse pas. Quand notre digestion est montĂ©e sur ressort hydraulique et nous dĂ©sopercule de manière incontrĂ´lĂ©e par le haut ou par le bas.

 

Cet ouvrage de Laferrière ressemble Ă  un atelier de digestion de l’évĂ©nement. Comme tout Ă©vĂ©nement. Mais celui-ci se matĂ©rialise et s’impose plus que d’autres comme une  expĂ©rience hypertonique de tremblement intime, page 43, extrait du chapitre Le Court mĂ©trage :

 

« Si je repasse souvent dans ma tĂŞte ces minutes qui prĂ©cèdent l’explosion c’est parce qu’il est impossible de revivre l’évĂ©nement lui-mĂŞme. Il nous habite trop intimement. (….)C’est un moment Ă©ternellement prĂ©sent. On se rappelle l’instant d’avant dans les moindres dĂ©tails. (….) A partir de 16h53, notre mĂ©moire tremble Â».

 

Une expérience traumatique et traumatisante

 

Le tremblement de terre d’HaĂŻti peut faire passer Ă  toute expĂ©rience traumatique et traumatisante : attentat, assassinat, viol, accident, dĂ©cès soudain d’un proche, confinement.

Mais  le tremblement de terre peut aussi faire penser Ă  un soulèvement populaire. Comme celui des gilets jaunes. Ou dans les citĂ©s. Le titre du livre me rappelle aussi le court mĂ©trage Ce Chemin devant moi rĂ©alisĂ©- en 2012- par HamĂ© et EkouĂ© ( du groupe de Rap La Rumeur) avec l’acteur Reda Kateb dans le rĂ´le principal. L’acteur Slimane Dazi fait aussi partie du casting.

 

 

C’est aussi pour ces quelques raisons que Tout bouge autour de moi peut nous parler de manière rapprochée. Et aussi nous guider.

 

 

A un moment, Laferrière nous raconte que le tremblement ne passe pas. Lors d’une scène, quelques jours plus tard, oĂą il croit que le tremblement reprend. Alors que tout va « bien Â» et que ce sont seulement  ses jambes, qui portent encore la mĂ©moire, lourde, du tremblement, qui se mettent soudainement Ă  flageoler.

 

Les Choses :

 

Son court paragraphe sur Les Choses, page 19, vaut aussi davantage que sa lecture :

 

« L’ennemi n’est pas le temps mais toutes ces choses qu’on a accumulĂ©es au fil des jours. Dès qu’on ramasse une chose on ne peut plus s’arrĂŞter. Car chaque chose appelle une autre. C’est la cohĂ©rence d’une vie. On retrouvera des corps près de la porte. Une valise Ă  cĂ´tĂ© d’eux Â».

 

Parmi les décombres, les attraits du livre

 

 

Parmi ses attraits, le livre est simple à lire. Dans son quotidien. Et il est bâti sur la vie sans éluder certaines tragédies.

 

Je suis étonné, que parmi les intellectuels qu’il connaît et qu’il cite, le réalisateur haïtien engagé, Raoul Peck, ne soit jamais mentionné vu qu’ils doivent être à peu près du même âge. Mais Haïti a sans doute beaucoup plus d’histoires et de personnes à nommer qu’elle ne compte de kilomètres carrés. Laferrière souligne la très grande créativité de la culture haïtienne dont je suis un témoin mémoriel au travers de la musique Konpa qui a rythmé une partie de mon enfance mais aussi de certaines de mes vacances en Guadeloupe.

 

Avec le Brésil, Haïti fait partie de ces deux destinations dont j’ai eu envie depuis des années mais où je n’ai jamais osé aller. Par appréhension de la violence. Le livre de Laferrière m’a beaucoup donné envie d’aller à Haïti. Malgré ce tremblement de terre. Alors que nous sommes encore en pleine période de Covid. Et je ne vois dans cette envie aucune parenté avec la folie. C’est peut-être le plus étonnant. Mais je sais aussi que, parfois, ou souvent, seuls les gens fous survivent voire vivent véritablement en passant au travers des empires qui s’écroulent.

 

Franck Unimon, ce lundi 7 septembre 2020.

 

 

 

 

                     

 

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Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle

 

                    Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle

« Le plaisir est ma seule ambition Â».

 

 

Parler d’un des derniers livres de Kersauson

 

Parler d’un des derniers livres de Kersauson, Le Monde comme il me parle,  c’est presque se dĂ©vouer Ă  sa propre perdition. C’est comme faire la description de notre dentition de lait en dĂ©cidant que cela pourrait captiver. Pour beaucoup, ça manquera de sel et d’exotisme. Je m’aperçois que son nom parlera spontanĂ©ment aux personnes d’une cinquantaine d’annĂ©es comme Ă  celles en âge d’être en EHPAD.

 

Kersauson est sûrement assez peu connu voire inconnu du grand public d’aujourd’hui. Celui que j’aimerais concerner en priorité avec cet article. Je parle du public compris grosso modo entre 10 et 35 ans. Puisque internet et les réseaux sociaux ont contribué à abaisser l’âge moyen du public lambda. Kersauson n’est ni Booba, ni Soprano, ni Kenji Girac. Il n’est même pas le journaliste animateur Pascal Praud, tentative de croisement tête à claques entre Donald Trump et Bernard Pivot, martelant sur la chaine de télé Cnews ses certitudes de privilégié. Et à qui il manque un nez de clown pour compléter le maquillage.

 

Le Mérite

 

Or, aujourd’hui, nous sommes de plus en plus guidĂ©s par et pour la dictature de l’audience et du like. Il est plus rentable de faire de l’audience que d’essayer de se faire une conscience.  

 

Que l’on ne me parle pas du mĂ©rite, hĂ©ritage incertain qui peut permettre Ă  d’autres de profiter indĂ©finiment de notre crĂ©dulitĂ© comme de notre « gĂ©nĂ©rositĂ© Â» ! Je me rappelle toujours de cette citation que m’avait professĂ©e Spock, un de mes anciens collègues :

 

« Il nous arrive non pas ce que l’on mĂ©rite mais ce qui nous ressemble Â».

Une phrase implacable que je n’ai jamais essayé de détourner ou de contredire.

 

Passer des heures sur une entreprise ou sur une action qui nous vaut peu de manifestations d’intĂ©rĂŞt ou pas d’argent revient Ă  se masturber ou Ă  Ă©chouer. 

Cela Ă©quivaut Ă  demeurer  une personne indĂ©sirable.

Si, un jour, mes articles comptent plusieurs milliers de lectrices et de lecteurs, je deviendrai une personne de « valeur Â».  Surtout si ça rapporte de l’argent. Beaucoup d’argent. Quelles que soient l’originalitĂ© ou les vertus de ce que je produis.

 

Mais j’ai beaucoup de mal Ă  croire Ă  cet avenir. Mes Ă©crits manquent par trop de poitrine, de potins, d’images ad hoc, de sex-tapes, de silicone et de oups ! Et ce n’est pas en parlant de Kersauson aujourd’hui que cela va s’amĂ©liorer. Kersauson n’a mĂŞme pas fait le nĂ©cessaire pour intĂ©grer  l’émission de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© Les Marseillais !

 

Rien en commun

 

Mais j’ai plaisir à écrire cet article.

 

Kersauson et moi n’avons a priori rien Ă  voir ensemble. Il a l’âge de mon père, est issu de la bourgeoisie catholique bretonne. Mais il n’a ni l’histoire ni le corps social (et autre) de mon père et de ma mère. MĂŞme si, tous les deux, ont eu une Ă©ducation catholique tendance campagnarde et traditionnelle. Ma grand-mère maternelle, originaire des Saintes, connaissait ses prières en latin.  

 

Kersauson a mis le pied sur un bateau de pĂŞche Ă  l’âge de quatre ans et s’en souvient encore. Il a appris « tĂ´t Â» Ă  nager, sans doute dans la mer, comme ses frères et soeurs.

Je devais avoir entre 6 et 9 ans lorsque je suis allé sur mon premier bateau. C’était dans le bac à sable à côté de l’immeuble HLM où nous habitions en banlieue parisienne. A quelques minutes du quartier de la Défense à vol d’oiseau.

 

J’ai appris à nager vers mes dix ans dans une piscine. Le sel et la mer pour lui, le chlore et le béton pour moi comme principaux décors d’enfance.

 

Moniteur de voile Ă  13 ans, Kersauson enseignait le bateau Ă  des parisiens (sĂ»rement assez aisĂ©s) de 35 Ă  40 ans. Moi, c’est plutĂ´t vers mes 18-20 ans que j’ai commencĂ© Ă  m’occuper de personnes plus âgĂ©es que moi : c’était des patients  dans les hĂ´pitaux et les cliniques. Changer leurs couches, vider leur  bassin, faire leur toilette, prendre soin d’eux….

 

J’ai pourtant connu la mer plus tôt que certains citadins. Vers 7 ans, lors de mon premier séjour en Guadeloupe. Mais si, très tôt, Kersauson est devenu marin, moi, je suis un ultramarin. Lui et moi, ne sommes pas nés du même côté de la mer ni pour les mêmes raisons.

La mer a sĂ»rement eu pour lui, assez tĂ´t, des attraits qui ont mis bien plus de temps  Ă  me parvenir.  Je ne vais pas en rajouter sur le sujet. J’en ai dĂ©jĂ  parlĂ© et reparlĂ©. Et lui, comme d’autres, n’y sont pour rien.

 

Kersauson est né après guerre, en 1944, a grandi dans cette ambiance (la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie, la guerre du Vietnam) et n’a eu de cesse de lui échapper.

Je suis né en 1968. J’ai entendu parler des guerres. J’ai vu des images. J’ai entendu parler de l’esclavage. J’ai vu des images. J’ai plus connu la crise, la peur du chômage, la peur du racisme, l’épidémie du Sida, la peur d’une guerre nucléaire, les attentats. Et, aujourd’hui, le réchauffement climatique, les attentats, les serres d’internet, l’effondrement, le Covid.

 

Kersauson, et moi, c’est un peu la matière et l’antimatière.

 

En cherchant un peu dans la vase

 

Pourtant, si je cherche un peu dans la vase, je nous trouve quand mĂŞme un petit peu de limon en commun.

L’ancien collègue Spock que j’ai connu, contrairement Ă  celui de la sĂ©rie Star Trek, est Breton.

C’est pendant qu’il fait son service militaire que Kersauson, Breton, rencontre Eric Tabarly, un autre Breton.

 

C’est pendant mon service militaire que j’entends parler pour la première fois de Kersauson. Par un étudiant en psychologie qui me parle régulièrement de Brautigan, de Desproges et de Manchette sûrement. Et qui me parle de la culture de Kersauson lorsque celui-ci passe aux Grosses Têtes de Bouvard. Une émission radiophonique dont j’ai plus entendu parler que je n’ai pris le temps de l’écouter.

 

Je crois que Kersauson a bien dĂ» priser l’univers d’au moins une de ces personnes :

Desproges, Manchette, Brautigan.

 

Pierre Desproges et Jean-Patrick Manchette m’ont fait beaucoup de bien à une certaine période de ma vie. Humour noir et polar, je ne m’en défais pas.

 

C’est un Breton que je rencontre une seule fois (l’ami de Chrystèle, une copine bretonne de l’école d’infirmière)  qui m’expliquera calmement, alors que je suis en colère contre la France, que, bien que noir, je suis Français. J’ai alors entre 20 et 21 ans. Et je suis persuadĂ©, jusqu’à cette rencontre, qu’il faut ĂŞtre blanc pour ĂŞtre Français. Ce Breton, dont j’ai oubliĂ© le prĂ©nom, un peu plus âgĂ© que moi, conducteur de train pour la SNCF, me remettra sur les rails en me disant simplement :

« Mais…tu es Français ! Â».

C’était Ă  la fin des annĂ©es 80. On n’entendait pas du tout  parler d’un Eric Zemmour ou d’autres. Il avait beaucoup moins d’audience que depuis quelques annĂ©es. Lequel Eric Zemmour, aujourd’hui, a son trĂ´ne sur la chaine Cnews et est la pierre philosophale de la PensĂ©e selon un Pascal Praud. Eric Zemmour qui se considère frĂ©quemment comme l’une des personnes les plus lĂ©gitimes pour dire qui peut ĂŞtre Français ou non. Et Ă  quelles conditions. Un de ses vĹ“ux est peut-ĂŞtre d’être le Montesquieu de la question de l’immigration en France.

 

Dans son livre, Le Monde comme il me parle, Kersauson redit son attachement Ă  la PolynĂ©sie française. Mais je sais que, comme lui, le navigateur Moitessier y Ă©tait tout autant attachĂ©. Ainsi qu’Alain Colas. Deux personnes qu’il a connues. Je sais aussi que Tabarly, longtemps cĂ©libataire et sans autre idĂ©e fixe que la mer, s’était quand mĂŞme  achetĂ© une maison et mariĂ© avec une Martiniquaise avec laquelle il a eu une fille. MĂŞme s’il a fini sa vie en mer. Avant d’être repĂŞchĂ©.

 

Ce paragraphe vaut-il Ă  lui tout seul la rĂ©daction et la lecture de cet article ? Toujours est-il que Kersauson est un inconnu des rĂ©seaux sociaux.

 

Inconnu des rĂ©seaux sociaux :

 

 

 

Je n’ai pas vĂ©rifiĂ© mais j’ai du mal Ă  concevoir Kersauson sur Instagram, faisant des selfies ou tĂ©lĂ©chargeant des photos dĂ©nudĂ©es de lui sur OnlyFans. Et il ne fait pas non plus partie du dĂ©cor du jeu The Last of us dont le deuxième volet, sorti cet Ă©tĂ©,  une des exclusivitĂ©s pour la console de jeu playstation, est un succès avec plusieurs millions de vente.

 

Finalement, mes articles sont peut-ĂŞtre trop hardcore pour pouvoir attirer beaucoup plus de public. Ils sont peut-ĂŞtre aussi un peu trop « mystiques Â». J’ai eu cette intuition- indirecte- en demandant Ă  un jeune rĂ©cemment ce qu’il Ă©coutait comme artistes de Rap. Il m’a d’abord citĂ© un ou deux noms que je ne connaissais pas. Il m’avait prĂ©venu. Puis, il a mentionnĂ© Dinos. Je n’ai rien Ă©coutĂ© de Dinos mais j’ai entendu parler de lui. J’ai alors Ă©voquĂ© Damso dont j’ai Ă©coutĂ© et réécoutĂ© l’album LithopĂ©dion (sorti en 2018) et mis plusieurs de ses titres sur mon baladeur.  Le jeune m’a alors fait comprendre que les textes de Damso Ă©taient en quelque sorte trop hermĂ©tiques pour lui.

Mais au moins Damso a-t’il des milliers voire des millions de vues sur Youtube. Alors que Kersauson…. je n’ai pas fouillé non plus- ce n’est pas le plus grave- mais je ne vois pas Kersauson avoir des milliers de vues ou lancer sa chaine youtube. Afin de nous vendre des méduses (les sandales en plastique pour la plage) signées Balenciaga ou une crème solaire bio de la marque Leclerc.

 

J’espère au moins que « Kersau Â», mon Bernard Lavilliers des ocĂ©ans, est encore vivant. Internet, google et wikipĂ©dia m’affirment que « oui Â». Kersauson a au moins une page wikipĂ©dia. Il a peut-ĂŞtre plus que ça sur le net. En Ă©crivant cet article, je me fie beaucoup Ă  mon regard sur lui ainsi que sur le livre dont je parle. Comme d’un autre de ses livres que j’avais lu  il y a quelques annĂ©es, bien avant l’effet « Covid».

 

L’effet « Covid Â»

 

Pourvu, aussi, que Kersauson se prĂ©serve du Covid.  Il a 76 ans cette annĂ©e. Car, alors que la rentrĂ©e (entre-autre, scolaire)  a eu lieu hier et que bien des personnes rechignent Ă  continuer de porter un masque (dont le très inspirĂ© journaliste Pascal Praud sur Cnews), deux de mes collègues infirmières sont actuellement en arrĂŞt de travail pour suspicion de covid. La première collègue a une soixantaine d’annĂ©es. La seconde, une trentaine d’annĂ©es. Praud en a 54 si j’ai bien entendu. Ou 56.

Un article du journal ” Le Canard EnchainĂ©” de ce mercredi 2 septembre 2020.

 

Depuis la pandĂ©mie du Covid-19, aussi appelĂ© de plus en plus « la Covid Â», la vente de livres a augmentĂ©. Jeff Bezos, le PDG du site Amazon, premier site de ventes en ligne, (aujourd’hui, homme le plus riche du monde avec une fortune estimĂ©e Ă  200 milliards de dollars selon le magazine Forbes US  citĂ© dans le journal Le Canard EnchaĂ®nĂ© de ce mercredi 2 septembre 2020) n’est donc pas le seul Ă  avoir bĂ©nĂ©ficiĂ© de la pandĂ©mie du Covid qui a par ailleurs mis en faillite d’autres Ă©conomies.

 

Donc, Kersauson, et son livre, Le Monde comme il me parle, auraient pu profiter de « l’effet Covid Â». Mais ce livre, celui dont j’ai prĂ©vu de vous parler, est paru en 2013.

 

Il y a sept ans.  C’est Ă  dire, il y a très très longtemps pour beaucoup Ă  l’époque.

 

Mon but, aujourd’hui, est de vous parler d’un homme de 76 ans pratiquement inconnu selon les critères de notoriĂ©tĂ© et de rĂ©ussite sociale typiques d’aujourd’hui. Un homme qui a fait publier un livre en 2013.

Nous sommes le mercredi 2 septembre 2020, jour du début du procès des attentats de Charlie Hebdo et de L’Hyper Cacher.

 

 

Mais nous sommes aussi le jour de la sortie du film Police d’Anne Fontaine avec Virginie Efira, Omar Sy et Grégory Gadebois. Un film que j’aimerais voir. Un film dont je devrais plutôt vous parler. Au même titre que le film Tenet de Christopher Nolan, sorti la semaine dernière. Un des films très attendus de l’été, destiné à relancer la fréquentation des salles de cinéma après leur fermeture due au Covid. Un film d’autant plus désiré que Christopher Nolan est un réalisateur reconnu et que l’autre grosse sortie espérée, le film Mulan , produit par Disney, ne sortira pas comme prévu dans les salles de cinéma. Le PDG de Disney préférant obliger les gens à s’abonner à Disney+ (29, 99 dollars l’abonnement aux Etats-Unis ou 25 euros environ en Europe) pour avoir le droit de voir le film. Au prix fort, une place de cinéma à Paris peut coûter entre 10 et 12 euros.

 

 

Tenet, qui dure près de 2h30,  m’a contrariĂ©. Je suis allĂ© le voir la semaine dernière. Tenet est selon moi la bande annonce des films prĂ©cĂ©dents et futurs de Christopher Nolan dont j’avais aimĂ© les films avant cela. Un film de James Bond sans James Bond. On apprend dans Tenet qu’il suffit de poser sa main sur la pĂ©dale de frein d’une voiture qui file Ă  toute allure pour qu’elle s’arrĂŞte au bout de cinq mètres. J’aurais dĂ» m’arrĂŞter de la mĂŞme façon avant de choisir d’aller le regarder. Heureusement qu’il y a Robert Pattinson dans le film ainsi que Elizabeth Debicki que j’avais beaucoup aimĂ©e dans Les Veuves rĂ©alisĂ© en 2018 par Steve McQueen.

 

Distorsions temporelles

 

Nolan affectionne les distorsions temporelles dans ses films. Je le fais aussi dans mes articles :

 

 

En 2013, lorsqu’est paru Le Monde comme il me parle de Kersauson, Omar Sy, un des acteurs du film Police, sorti aujourd’hui,  Ă©tait dĂ©jĂ  devenu un « grand acteur Â».

Grâce Ă  la grande audience qu’avait connue le film Intouchables rĂ©alisĂ© en…2011 par Olivier Nakache et Eric Toledano. Près de vingt millions d’entrĂ©es dans les salles de cinĂ©ma seulement en France. Un film qui a permis Ă  Omar Sy de jouer dans une grosse production amĂ©ricaine. Sans le succès d’Intouchables, nous n’aurions pas vu Omar Sy dans le rĂ´le de Bishop dans un film de X-Men (X-Men : Days of future past rĂ©alisĂ© en 2014 par Bryan Singer).

 

J’ai de la sympathie pour Omar Sy. Et cela, bien avant Intouchables. Mais ce n’est pas un acteur qui m’a particulièrement épaté pour son jeu pour l’instant. A la différence de Virginie Efira et de Grégory Gadebois.

Virginie Efira, d’abord animatrice de télévision pendant une dizaine d’années, est plus reconnue aujourd’hui qu’en 2013, année de sortie du livre de Kersauson.

J’aime beaucoup le jeu d’actrice de Virginie Efira et ce que je crois percevoir d’elle. Son visage et ses personnages ont une allure plutĂ´t fade au premier regard : ils sont souvent le contraire.

GrĂ©gory Gadebois, passĂ© par la comĂ©die Française, m’a « eu Â» lorsque je l’ai vu dans le Angèle et Tony rĂ©alisĂ© par Alix Delaporte en 2011. Je ne me souviens pas de lui dans Go Fast rĂ©alisĂ© en 2008 par Olivier Van Hoofstadt.

 

Je ne me défile pas en parlant de ces trois acteurs.

 

Je continue de parler du livre de Kersauson. Je parle seulement, à ma façon, un petit peu du monde dans lequel était sorti son livre, précisément.

 

Kersauson est évidemment un éminent pratiquant des distorsions temporelles. Et, grâce à lui, j’ai sans doute compris la raison pour laquelle, sur une des plages du Gosier, en Guadeloupe, j’avais pu être captivé par les vagues. En étant néanmoins incapable de l’expliquer à un copain, Eguz, qui m’avait surpris. Pour lui, mon attitude était plus suspecte que d’ignorer le corps d’une femme nue. Il y en avait peut-être une, d’ailleurs, dans les environs.

 

Page 12 de Le Monde comme il me parle :

 

« Le chant de la mer, c’est l’éternitĂ© dans l’oreille. Dans l’archipel des Tuamotu, en PolynĂ©sie, j’entends des vagues qui ont des milliers d’annĂ©es. C’est frappant. Ce sont des vagues qui brisent au milieu du plus grand ocĂ©an du monde. Il n y  a pas de marĂ©e ici, alors ces vagues tapent toujours au mĂŞme endroit Â».

 

Tabarly

 

A une époque, adolescent, Kersauson lisait un livre par jour. Il le dit dans Le Monde comme il me parle.

 

J’imagine qu’il est assez peu allĂ© au cinĂ©ma. Page 50 :

 

« (….) Quand je suis dĂ©mobilisĂ©, je reste avec lui ( Eric Tabarly). Evidemment. Je tombe sur un mec dont le seul programme est de naviguer. Il est certain que je n’allais pas laisser passer ça Â».

 

Page 51 :

 

«  Tabarly avait, pour moi, toutes les clĂ©s du monde que je voulais connaĂ®tre. C’était un immense marin et, en mer, un homme dĂ©licieux Ă  vivre Â».

 

Page 54 :

« C’est le temps en mer qui comptait. Et, avec Eric, je passais neuf mois de l’annĂ©e en mer Â».

 

A cette Ă©poque, Ă  la fin des annĂ©es 60, Kersauson avait 23 ou 24 ans. Les virĂ©es entre « potes Â» ou entre « amies Â» que l’on peut connaĂ®tre dans les soirĂ©es ou lors de certains sĂ©jours de vacances, se sont dĂ©roulĂ©es autour du monde et sur la mer pour lui. Avec Eric Tabarly, rĂ©fĂ©rence mondiale de la voile.

 

Page 51 :

 

« (…..) Il faut se rendre compte qu’à l’époque, le monde industriel français se demande comment aider Eric Tabarly- tant il est crĂ©atif, ingĂ©nieux. Il suscite la passion. C’est le bureau d’études de chez Dassault qui règle nos problèmes techniques ! Â».

 

 

Le moment des bilans

 

 

Il est facile de comprendre que croiser un mentor comme Tabarly à 24 ans laisse une trace. Mais Kersauson était déjà un ténor lorsqu’ils se sont rencontrés. Il avait déja un aplomb là ou d’autres avaient des implants. Et, aujourd’hui, en plus, on a besoin de tout un tas d’applis, de consignes et de protections pour aller de l’avant.

J’avais lu Mémoires du large, paru en Mai 1998 (dont la rédaction est attribuée à Eric Tabarly) quelques années après sa mort. Tabarly est mort en mer en juin 1998.

 Tabarly Ă©tait aussi intraitable que Kersauson dans son rapport Ă  la vie. Kersauson Ă©crit dans Le Monde comme il me parle, page 83 :

«  Ce qui m’a toujours sidĂ©rĂ©, chez l’être humain, c’est le manque de cohĂ©rence entre ce qu’il pense et ce qu’il fait (…). J’ai toujours tentĂ© de vivre comme je le pensais. Et je m’aperçois que nous ne sommes pas si nombreux dans cette entreprise Â».

 

Tabarly avait la mĂŞme vision de la vie. Il  l’exprimait avec d’autres mots.

 

Que ce soit en lisant Kersauson ou en lisant Tabarly, je me considère comme faisant partie du lot des ruminants. Et c’est peut-être aussi pour cela que je tiens autant à cet article. Il me donne sans doute l’impression d’être un petit peu moins mouton même si mon intrépidité sera un souvenir avant même la fin de la rédaction de cet article.

 

« DiffĂ©rence entre la technologie et l’esclavage. Les esclaves ont pleinement conscience qu’ils ne sont pas libres Â» affirme Nicholas Nassim Taleb dont les propos sont citĂ©s par le Dr Judson Brewer dans son livre Le Craving ( Pourquoi on devient accro et comment se libĂ©rer), page 65.

 

Un peu plus loin, le Dr Judson Brewer rappelle ce qu’est une addiction, terme qui n’a Ă©tĂ© employĂ© par aucun des intervenants, hier, lors du « dĂ©bat Â» animĂ© par Pascal Praud sur Cnews Ă  propos de la consommation de Cannabis. Comme Ă  propos des amendes qui seront dĂ©sormais infligĂ©es automatiquement Ă  toute personne surprise en flagrant dĂ©lit de consommation de cannabis :

D’abord 135 euros d’amende. Ou 200 euros ?

En Ă©coutant Pascal Praud sur Cnews hier ( il a au moins eu la sincĂ©ritĂ© de confesser qu’il n’avait jamais fumĂ© un pĂ©tard de sa vie)  la solution Ă  la consommation de cannabis passe par des amendes dissuasives, donc par la rĂ©pression, et par l’autoritĂ© parentale.

 

Le Dr Judson Brewer rappelle ce qu’est une addiction (page 68 de son livre) :

 

«  Un usage rĂ©pĂ©tĂ© malgrĂ© les consĂ©quences nĂ©gatives Â». 

 

Donc, rĂ©primer ne suffira pas Ă  endiguer les addictions au cannabis par exemple. RĂ©primer par le porte-monnaie provoquera une augmentation des agressions sur la voie publique. Puisqu’il faudra que les personnes addict ou dĂ©pendantes se procurent l’argent pour acheter leur substance. J’ai rencontrĂ© au moins un mĂ©decin addictologue qui nous a dit en formation qu’il lui arrivait de faire des prescriptions de produits de substitution pour Ă©viter qu’une personne addict n’agresse des personnes sur la voie publique afin de leur soutirer de l’argent en vue de s’acheter sa dose. On ne parlait pas d’une addiction au cannabis. Mais, selon moi, les consĂ©quences peuvent ĂŞtre les mĂŞmes pour certains usagers de cannabis.

 

Le point commun entre une addiction (avec ou sans substance) et cette « incohĂ©rence Â» par rapport Ă  la vie que pointe un Kersauson ainsi qu’un Tabarly avant lui, c’est que nous sommes très nombreux Ă  maintenir des habitudes de vie qui ont sur nous des « consĂ©quences nĂ©gatives Â». Par manque d’imagination. Par manque de modèle. Par manque de courage ou d’estomac. Par manque d’accompagnement. Par manque d’estime de soi. Par Devoir. Oui, par Devoir. Et Par peur.

 

La Peur

On peut bien-sûr penser à la peur du changement. Comme à la peur partir à l’aventure.

 

Kersauson affirme dans son livre qu’il n’a peur de rien. C’est là où je lui trouve un côté Bernard Lavilliers des océans. Pour sa façon de rouler des mécaniques. Je ne lui conteste pas son courage en mer ou sur la terre. Je crois à son autorité, à sa détermination comme ses très hautes capacités d’intimidation et de commandement.

 

Mais avoir peur de rien, ça n’existe pas. Tout le monde a peur de quelque chose, Ă  un moment ou Ă  un autre. Certaines personnes sont fortes pour transcender leur peur. Pour  s’en servir pour accomplir des actions que peu de personnes pourraient rĂ©aliser. Mais on a tous peur de quelque chose.

 

Kersauson a peut-être oublié. Ou, sûrement qu’il a peur plus tardivement que la majorité. Mais je ne crois pas à une personne dépourvue totalement de peur. Même Tabarly, en mer, a pu avoir peur. Je l’ai lu ou entendu. Sauf que Tabarly, comme Kersauson certainement, et comme quelques autres, une minorité, font partie des personnes (femmes comme hommes, mais aussi enfants) qui ont une aptitude à se reprendre en main et à fendre leur peur.

 

Je pourrais peut-être ajouter que la personne qui parvient à se reprendre alors qu’elle a des moments de peur est plus grande, et sans doute plus forte, que celle qui ignore complètement ce qu’est la peur. Pour moi, la personne qui ignore la peur s’aperçoit beaucoup trop tard qu’elle a peur. Lorsqu’elle s’en rend compte, elle est déjà bien trop engagée dans un dénouement qui dépasse sa volonté.

 

Cette remarque mise à part, je trouve à Kersauson, comme à Tabarly et à celles et ceux qui leur ressemblent une parenté évidente avec l’esprit chevaleresque ou l’esprit du sabre propre aux Samouraï et à certains aventuriers. Cela n’a rien d’étonnant.

 

L’esprit du samouraï

 

Dans une vidéo postée sur Youtube le 13 décembre 2019, GregMMA, ancien combattant de MMA, rencontre Léo Tamaki, fondateur de l’école Kishinkai Aikido.

 

GregMMA a rencontrĂ© d’autres combattants d’autres disciplines martiales ou en rapport avec le Combat. La particularitĂ© de cette vidĂ©o (qui compte 310 070 vues alors que j’écris l’article) est l’érudition de LĂ©o Tamaki que j’avais entrevue dans une revue. Erudition Ă  laquelle GregMMA se montre heureusement rĂ©ceptif. L’un des attraits du MMA depuis quelques annĂ©es, c’est d’offrir une palette aussi complète que possible de techniques pour se dĂ©fendre comme pour survivre en cas d’agression. C’est La discipline de combat du moment. MĂŞme si le Krav Maga a aussi une bonne cote.  Mais, comme souvent, des comparaisons se font entre tel ou telle discipline martiale, de Self-DĂ©fense ou de combat en termes d’efficacitĂ© dans des conditions rĂ©elles.

 

Je ne donne aucun scoop en Ă©crivant que le MMA attire sĂ»rement plus d’adhĂ©rents aujourd’hui que l’AĂŻkido qui a souvent l’ image d’un art martial dont les postures sont difficiles Ă  assimiler, qui peut faire penser «  Ă  de la danse Â» et dont l’efficacitĂ© dans la vie rĂ©elle peut ĂŞtre mise en doute  :

 

On ne connaît pas de grand champion actuel dans les sports de combats, ou dans les arts martiaux, qui soit Aïkidoka. Steven Seagal, c’est au cinéma et ça date des années 1990-2000. Dans les combats UFC, on ne parle pas d’Aïkidoka même si les combattants UFC sont souvent polyvalents ou ont généralement cumulé différentes expériences de techniques et de distances de combat.

 

Lors de cet Ă©change avec GregMMA, LĂ©o Tamaki confirme que le niveau des pratiquants en AĂŻkido a baissĂ©. Ce qui explique aussi en partie le discrĂ©dit qui touche l’AĂŻkido. Il explique la raison de la baisse de niveau :

 

Les derniers grands Maitres d’AĂŻkido avaient connu la Guerre. Ils l’avaient soit vĂ©cue soit en Ă©taient encore imprĂ©gnĂ©s. A partir de lĂ , pour eux, pratiquer l’AĂŻkido, mĂŞme si, comme souvent, ils avaient pu pratiquer d’autres disciplines martiales auparavant, devait leur permettre d’assurer leur survie. C’était immĂ©diat et très concret. Cela est très diffĂ©rent de la dĂ©marche qui consiste Ă  aller pratiquer un sport de combat ou un art martial afin de faire « du sport Â», pour perdre du poids ou pour se remettre en forme.

 

Lorsque Kersauson explique au début de son livre qu’il a voulu à tout prix faire de sa vie ce qu’il souhaitait, c’était en réponse à la Guerre qui était pour lui une expérience très concrète. Et qui aurait pu lui prendre sa vie.

Lorsque je suis parti faire mon service militaire, qui Ă©tait encore obligatoire Ă  mon « Ă©poque Â», la guerre Ă©tait dĂ©jĂ  une probabilitĂ© Ă©loignĂ©e. Bien plus Ă©loignĂ©e que pour un Kersauson et les personnes de son âge. MĂŞme s’il a vĂ©cu dans un milieu privilĂ©giĂ©, il avait 18 ans en 1962 lorsque l’AlgĂ©rie est devenue indĂ©pendante. D’ailleurs, je crois qu’un de ses frères est parti faire la Guerre d’AlgĂ©rie.

 

On retrouve chez lui comme chez certains adeptes d’arts martiaux , de self-dĂ©fense ou de sport de combat, cet instinct de survie et de libertĂ© qui l’a poussĂ©, lui, Ă  prendre le large. Quitte Ă  perdre sa vie, autant la perdre en  choisissant de faire quelque chose que l’on aime faire. Surtout qu’autour de lui, il s’aperçoit que les aĂ®nĂ©s et les anciens qui devraient ĂŞtre Ă  mĂŞme de l’orienter ont dĂ©gustĂ© (Page 43) :

« Bon, l’ancien monde est mort. S’ouvre Ă  moi une pĂ©riode favorable (….). J’ai 20 ans, j’ai beaucoup lu et je me dis qu’il y a un loup dans la combine :

Je m’aperçois que les vieux se taisent, ne parlent pas. Et comme ils ont fait le trajet avant, ils devraient nous donner le mode d’emploi pour l’avenir, mais rien ! Ils sont vaincus. Alors, je sens qu’il ne faut surtout pas s’adapter Ă  ce qui existe mais crĂ©er ce qui vous convient Â».

 

Nous ne vivons pas dans un pays en guerre.

 

Jusqu’à maintenant, si l’on excepte le chĂ´mage,  certains attentats et les faits divers, nous avons obtenu une certaine sĂ©curitĂ©. Nous ne vivons pas dans un pays en guerre. MĂŞme si, rĂ©gulièrement, on nous parle « d’embrasement Â» des banlieues, « d’insĂ©curitĂ© Â» et «  d’ensauvagement Â» de la France. En tant que citoyens, nous n’avons pas Ă  fournir un effort de guerre en dehors du territoire ou Ă  donner notre vie dans une armĂ©e. En contrepartie, nous sommes une majoritĂ© Ă  avoir acceptĂ© et Ă  accepter  certaines conditions de vie et de travail. Plusieurs de ces conditions de vie et de travail sont discutables voire insupportables.

Face Ă  cela, certaines personnes dĂ©veloppent un instinct de survie lĂ©gal ou illĂ©gal. D’autres s’auto-dĂ©truisent ( par les addictions par exemple mais aussi par les accidents du travail, les maladies professionnelles ou les troubles psychosomatiques). D’autres prennent sur eux et se musèlent par Devoir….jusqu’à ce que cela devienne impossible de prendre sur soi. Que ce soit dans les banlieues. Dans certaines catĂ©gories socio-professionnelles. Ou au travers des gilets jaunes.  

 

Et, on en revient à la toute première phrase du livre de Kersauson.

 

Le plaisir est ma seule ambition

 

J’ai encore du mal à admettre que cette première phrase est/soit peut-être la plus importante du livre. Sans doute parce-que je reste moins libre que Kersauson, et d’autres, question plaisir.

 

Plus loin, Kersauson explicite aussi la nécessité de l’engagement et du Devoir. Car c’est aussi un homme d’engagement et de Devoir.

 

Mais mettre le plaisir au premier plan, ça délimite les Mondes, les êtres, leur fonction et leur rôle.

 

Parce- qu’il y a celles et ceux qui s’en remettent au mĂ©rite – comme certaines religions, certaines Ă©ducations et certaines institutions nous y entraĂ®nent et nous habituent- et qui sont prĂŞts Ă  accepter bien des sacrifices. Sacrifices qui peuvent se rĂ©vĂ©ler vains. Parce que l’on peut ĂŞtre persĂ©vĂ©rant (e ) et mĂ©ritant ( e) et se faire arnaquer. Moralement. Physiquement. Economiquement. Affectivement. C’est l’histoire assez rĂ©pĂ©tĂ©e, encore toute rĂ©cente, par exemple, des soignants comme on l’a vu pendant l’épidĂ©mie du Covid. Ainsi que l’histoire d’autres professions et de bien des gens qui endurent. Qui prennent sur eux. Qui croient en une Justice divine, Ă©tatique ou politique qui va les rĂ©compenser Ă  la hauteur de leurs efforts et de leurs espoirs.

 

Mais c’est aussi l’histoire répétée de ces spectateurs chevronnés que nous sommes tous plus ou moins de notre propre vie. Une vie que nous recherchons par écrans interposés ou à travers celle des autres. Au lieu d’agir. Il faut se rappeler que nous sommes dans une société de loisirs. Le loisir, c’est différent du plaisir.

 

Le loisir, c’est différent du plaisir

 

 

Le loisir, ça peut être la pause-pipi, la pause-cigarette ou le jour de formation qui sont accordés parce-que ça permet ensuite à l’employé de continuer d’accepter des conditions de travail inacceptables.

 

Ça peut aussi consister à laisser le conjoint ou la conjointe sortir avec ses amis ou ses amies pour pouvoir mieux continuer de lui imposer notre passivité et notre mauvaise humeur résiduelle.

 

C’est les congés payés que l’on donne pour que les citoyens se changent les idées avant la rentrée où ils vont se faire imposer, imploser et contrôler plus durement. Bien des personnes qui se prendront une amende pour consommation de cannabis seront aussi des personnes adultes et responsables au casier judiciaire vierge, insérées socialement, payant leurs impôts et effectuant leur travail correctement. Se contenter de les matraquer à coups d’amende en cas de consommation de cannabis ne va pas les inciter à arrêter d’en consommer. Ou alors, elles se reporteront peut-être sur d’autres addictions plus autorisées et plus légales (alcool et médicaments par exemple….).

 

Le plaisir, c’est l’intégralité d’un moment, d’une expérience comme d’une rencontre. Cela a à voir avec le libre-arbitre. Et non avec sa version fantasmée, rabotée, autorisée ou diluée.

 

Il faut des moments de loisirs, bien-sûr. On envoie bien nos enfants au centre de loisirs. Et on peut y connaître des plaisirs.

 

Mais dire et affirmer «  Le plaisir est ma seule ambition Â», cela signifie qu’à un moment donnĂ©, on est une personne libre. On dĂ©pend alors très peu d’un gouvernement, d’un parti politique, d’une religion, d’une Ă©ducation, d’un supĂ©rieur hiĂ©rarchique. Il n’y a, alors, pas grand monde au dessus de nous. Il s’agit alors de s’adresser Ă  nous en consĂ©quence. Faute de quoi, notre histoire se terminera. Et chacun partira de son cĂ´tĂ© dans le meilleur des cas.

 

Page 121 :

 

« Je suis indiffĂ©rent aux fĂ©licitations. C’est une force Â».

 

Page 124 :

 

« Nos contemporains n’ont plus le temps de penser (….) Ils se sont inventĂ© des vies monstrueuses dont ils sont responsables-partiellement Â». Olivier de Kersauson.

 

 

Article de Franck Unimon, mercredi 2 septembre 2020.