Yao un film de Philippe Godeau sorti le 23 janvier 2019.
Dâautres Ă©crits et dâautres prioritĂ©s mâont un peu Ă©loignĂ© de Balistique du quotidien. Des articles de rattrapage devraient bientĂŽt suivre aprĂšs celui-ci. Au moins un sur la nuit de la lecture Ă la mĂ©diathĂšque dâArgenteuil centre-ville. Un second sur un entretien. Un troisiĂšme sur un concert de jazz donnĂ© par MickaĂ«l Attias et Jean-Brice Godet. Un quatriĂšme parlera du livre Lâinstinct de vie de Patrick Pelloux. Les autres ?
Cette « pause » blog mâa permis de me dĂ©tendre. Et de me dĂ©faire un peu de cette injonction de prĂ©sence en surrĂ©gime qui nous commande en particulier sur les rĂ©seaux sociaux, cette addiction en plein essor. StratĂ©giquement, je crois bien-sĂ»r que ce blog bĂ©nĂ©ficierait de bien plus de vues si jây postais davantage de vidĂ©os via Youtube ainsi que des enregistrements audio type blog radio. Mais rien ne presse.
JâĂ©cris cet article en rĂ©Ă©coutant lâalbum Lost & Found de Jorja Smith. Un album empruntĂ© Ă la mĂ©diathĂšque. Jâai dâabord Ă©tĂ© perplexe lorsque jâai entendu parler de Jorja Smith- encore une artiste anglo-saxonne !- comparĂ©e Ă feu Amy Winehouse. Comme si Jorja Smith se devait absolument de remplacer quelquâun. Amy WinehouseâŠje souhaite Ă Jorja Smith dâavoir un destin plus serein. Mais il est vrai que bien des artistes et des cĂ©lĂ©britĂ©s ont ce « pouvoir » de supprimer certaines de nos peines tues comme dâĂȘtre parfois les rĂ©incarnations de certains de nos proches ou de nos moments perdus. Je ne ferai pas ici la critique de lâalbum de Jorja Smith. Avant le sien, je devrais au moins parler de celui dâAnn OâAro.
Mais je peux quand mĂȘme Ă©crire que Jorja Smith, aussi, chante son Ăąme Ă pleine bouche. Et, pour avoir aperçu un bout dâune de ses performances en Live, je crois quâaller lâĂ©couter et la voir en concert est sĂ»rement une expĂ©rience aussi singuliĂšre que d’aller Ă©couter et voir Ann O’Aro.
Avec tout ça, je nâai toujours par parlĂ© du film Yao de Philippe Godeau. Yao est sorti la semaine derniĂšre, le mercredi 23 janvier 2019. Avant hier, au lieu de Yao, jâaurais pu choisir dâaller voir Another Day of Life de RaĂŒl De La Fuente et Damian Nenow :
Le journaliste polonais Ryszard Kapuscinski- dont il est question dans le documentaire- a par exemple Ă©crit EbĂšne ( aventures africaines) qui mâavait beaucoup marquĂ©. Il avait aussi Ă©crit sur le NĂ©gus HaĂŻlĂ© SĂ©lassiĂ©, personnage qui a marquĂ© lâinconscient de toute personne un peu concernĂ©e par le Reggae et le Rastafarisme.
Jâaurais pu aller voir le documentaire Eric Clapton : Life In 12 Bars de Lili Fini Zanuck. Cela fait des annĂ©es que jâentends dire que Clapton est « God » et aussi quâil a pris peur ce jour oĂč, la premiĂšre fois, il avait croisĂ© Jimi Hendrix Ă un concert. Jimi Hendrix Ă©tait donc le diable? Je nâai jamais Ă©tĂ© converti à « God » Clapton mais dâaprĂšs certains avis, ce documentaire est trĂšs bien.
Avant hier, jâaurais aussi pu aller voir Green Book : sur les routes du sud de Peter Farrelly avec Viggo Mortensen et Mahershala Ali. Jâaime ces deux acteurs. Et, Ă©videmment, jâavais dĂ©couvert Mahershala Ali dans le film Moonlight (2016) de Barry Jenkins.
Jâaurais aussi pu aller voir Continuer de Joachim Lafosse. Lâactrice Virgine Efira mâĂ©pate pour son apparente « banalitĂ© » : il est des actrices qui captent bien plus le regard quâelle. Et, pourtant, on la voit dans des rĂŽles qui nĂ©cessitent une grande agilitĂ© dramatique ainsi quâune intelligence de jeu largement supĂ©rieure Ă la moyenne. Et puis, aller au Kirghizistan avec le film mâaurait plu.
La Mule de Clint Eastwood, Lâordre des mĂ©decins de David Roux, The Hate U Give : La Haine quâon donne de Georges Tillman jr. sont des films sortis Ă©galement ce 23 janvier 2019.
Autant dire quâavant hier, il yâavait plein de raisons dâaller voir un autre film que Yao de Philippe Godeau. Omar Sy a beau ĂȘtre la personnalitĂ© « prĂ©fĂ©rĂ©e » des Français ou lâune des premiĂšres personnalitĂ©s « prĂ©fĂ©rĂ©es » des Français ainsi que lâacteur dont le statut a changĂ© depuis ses 20 millions dâentrĂ©es ( 19,5 plus exactement) avec Intouchables de Toledano et Nakache aux cĂŽtĂ©s de François Cluzet ( acteur dĂ©jĂ plus que confirmĂ©). Ses 20 millions dâentrĂ©es pĂšsent assez peu face aux poids lourds du cinĂ©ma que sont Clint Eastwood, Viggo Mortensen et ses Le Seigneur des Anneaux ( j’ai aussi beaucoup aimĂ© ses films avec Cronenberg)âŠou lâAura de la musique dâun Eric « God » Clapton.
Dans une autre vie, jâaurais vu tous ces films et documentaires et bien davantage. Mais je nâai plus cette vie. Il mâa fallu faire un choix. Lâanecdote que je relate dans lâarticle Donât Forget Me mâa poussĂ© vers Yao.
Dans ce film, Omar Sy est Seydou Tall, un « cĂ©lĂšbre acteur français » qui « se rend un jour au SĂ©nĂ©gal pour dĂ©dicacer son livre ». Le SĂ©nĂ©gal est son pays dâorigine. Mais il sây rend alors pour la premiĂšre fois de sa vie, autant dire comme un Ă©tranger Ă son propre passĂ©. On comprend que son livre est plutĂŽt autobiographique.
Yao est sans doute moins bien maitrisĂ© quâun film comme La Mule de Clint Eastwood, vieux roublard de lâhistoire qui empoigne. Mais Yao Ă©tale trĂšs vite un attachement sincĂšre au SĂ©nĂ©gal ainsi quâune connaissance solide de ce pays (le SĂ©nĂ©gal, est-ce lâAfrique ?).
Omar Sy met sa cĂ©lĂ©britĂ© dâacteur au service de sa double culture et de ce film. A travers son personnage « de cĂ©lĂšbre acteur français », on pense bien-sĂ»r Ă lui. MĂȘme si, dans les faits, Omar Sy connaĂźt mieux son pays dâorigine. En filigrane, Yao est un film plus critique quâil nây paraĂźt :
il reste rare dans le cinĂ©ma français quâun Noir (cela ne dĂ©range personne lorsque lâon parle dâun « Noir amĂ©ricain ») incarne la rĂ©ussite sociale en ayant le premier rĂŽle dâun film. Jâai par exemple lu beaucoup de bien sur la sĂ©rie Hippocrate et les autres films de Thomas Lilti que jâaurai sĂ»rement beaucoup de plaisir Ă dĂ©couvrir. Comme jâai pu lire une de ses rĂ©centes interviews avec beaucoup de plaisir. Mais je mâĂ©tonne que ce milieu mĂ©dical et paramĂ©dical -oĂč il existe une certaine diversitĂ© dans les faits- reste aussi peu reprĂ©sentĂ© au cinĂ©ma. En France. Avec Yao, lâhistoire se dĂ©roulant en Afrique, il est visiblement plus facile Ă faire accepter au cinĂ©ma que le hĂ©ros soit Noir. Bon.
Lâautre regard critique du film porte sur le grand galop entamĂ© par lâIslam. Un Islam prĂ©sent depuis plusieurs siĂšcles au SĂ©nĂ©gal et dans dâautres pays dâAfrique noire mais devenu envahissant. Le film Ă©tant peu portĂ© sur la polĂ©mique, il sâattarde peu sur le sujet. Mais lors dâune scĂšne qui doit sĂ»rement avoir Ă©tĂ© en partie improvisĂ©e ou Ă©crite en tenant compte du contexte religieux existant, le visage dâOmar Sy dit beaucoup Ă propos de son effarement voire de son inquiĂ©tude.
La critique du colonialisme mais aussi de lâexploitation des forces vives de lâAfrique par lâOccident (ici, la France) est douce-amĂšre. Yao nâest pas un film rageur.
Une autre critique indirecte vise peut-ĂȘtre ce manque de tolĂ©rance du Français moyen, blanc, envers ses autres concitoyens Français dâautres « origines ». Dans Yao, le personnage de Seydou Tall jouĂ© par Omar Sy reste vraiment trĂšs trĂšs sympa lorsque son ex-femme, mĂšre de leur enfant, lui fait ce quâil faut bien appeler un coup de crasse :
Les sĂ©parations conjugales sont Ă la fois trĂšs douloureuses et trĂšs difficiles. On ignore ce qui a provoquĂ© la sĂ©paration entre Seydou Tall et son ex-femme blanche. On peut supposer quâil Ă©tait peu disponible voire quâil a pu se montrer infidĂšle au mĂȘme titre que certaines personnalitĂ©s publiques. Mais je trouve quâil prend vraiment avec beaucoup de diplomatie le «coup » quâelle lui fait avant son dĂ©part pour son pays dâorigine. Jâai parlĂ© de « manque de tolĂ©rance ». Mais câest plus que ça, ici. Il yâa une forme de mĂ©pris qui la rend assez peu pardonnable Ă mes yeux quels que soient les sentiments amoureux quâelle ait pu avoir ou quâelle a toujours pour Seydou Tall.
Evidemment, dâun point de vue scĂ©naristique, cela permet la rencontre avec le jeune Yao. Et si le procĂ©dĂ© est sĂ»rement modĂ©rĂ©ment original, cette rencontre permet Ă deux enfants (Yao et Seydou Tall) de se reconnaĂźtre lâun en lâautre. Je ne suis jamais allĂ© en Afrique mais le film semble montrer assez fidĂšlement ce que peut ĂȘtre le SĂ©nĂ©gal. Dans son livre EbĂšne, je crois, Kapuscinski parle de cette lumiĂšre-assez aveuglante- spĂ©cifique Ă lâAfrique. Yao est fait de cette lumiĂšre ainsi que de cette temporalitĂ© auxquelles nos existences dâoccidentaux nĂ©vrosĂ©s nous ont rendu Ă©trangers. Je me demande ce que cela aurait donnĂ© si un rĂ©alisateur comme Woody Allen avait pu sâen inspirer.
Dans ce film, on parlera bien-sĂ»r de voyage initiatique pour Seydou Tall mais aussi pour Yao. Lâun vers son enfance et son passĂ©. Lâautre vers son visage dâadulte et son avenir. Un passage en particulier- Ă la mer- mâa fait penser au film Moonlight. Câest peut-ĂȘtre une coĂŻncidence.
On pourra penser aussi au chemin de Compostelle. Et cela mâa rappelĂ© le rĂ©cit quâen a fait la journaliste Laurence Lacour dans son ouvrage Jendia, JendĂ© ( Tout homme est homme) . Bien que cĂ©lĂšbre et riche matĂ©riellement et socialement, Seydou Tall accepte de se dĂ©pouiller au fur et Ă mesure du film. Car ce qui lui importe le plus, finalement, Ă lui lâautodidacte qui a tout fait pour « rĂ©ussir », nâest pas dans le matĂ©riel. Câest aussi ce que rappelle dâune autre façon- plus douloureuse- le mĂ©decin urgentiste et journaliste Patrick Pelloux dans son livre-tĂ©moignage Lâinstinct de vie :
« (âŠ.) Contrairement Ă ceux qui pensent que les indemnitĂ©s ou de lâargent pourraient aider Ă reconstruireâŠnon, ça, câest du matĂ©riel, ce nâest pas ça qui va reconstruire. Ce qui aide Ă se reconstruire, câest la bienveillance et lâamour ».
Je crois que les films rĂ©alisĂ©s par Clint Eastwood font mouche parce quâils rappellent aussi peu ou prou les mĂȘmes thĂšmes mais dans un style cow-boy, macho. A savoir que ce qui compte le plus, câest la capacitĂ© de sacrifice et dâhĂ©roĂŻsme dont on est capable pour soi ainsi que pour celles et ceux que lâon dĂ©cide dâaimer et de protĂ©ger.
Yao fera sĂ»rement assez peu dâentrĂ©es comparativement Ă dâautres films sortis ce 23 janvier 2019 et aprĂšs cette date. Car dâautres affiches sont plus attractives. Et Yao est un film «gentil». Il fait et fera peu de bruit. Mais câest un film tout public qui devrait trĂšs bien vieillir. Jâai plusieurs fois Ă©tĂ© Ă©mu devant ce film avec des larmes en formation. Je comprends quâOmar Sy ait eu envie dâen faire partie. On parlera sĂ»rement pour lui de film de « la maturitĂ© ». Jâai envie de croire quâil Ă©tait en France pour assurer la promotion de ce film plutĂŽt que pour Le Chant du Loup dâAntonin Baudry qui sortira le 20 fĂ©vrier. MĂȘme si voir Ă ses cĂŽtĂ©s François Civil (que jâai beaucoup aimĂ© dans la premiĂšre ou la deuxiĂšme saison de Dix Pour Cent) et Reda Kateb me donne envie dâaller voir Le Chant du Loup.
Sorti le 23 janvier 2019, Yao aurait dĂ» sortir un mois plus tĂŽt car câest un vrai film de NoĂ«l.
Franck Unimon, ce mercredi 30 janvier 2019.
3 réponses sur « Yao »
Jâai entendu parler de« Yao », mais je ne savais pas quâil cachait une histoire si profonde. Le film est dĂ©jĂ en salle et je ferais mieux dâaller le regarder au plus vite.
Bonsoir Emmanuelle,
Oui, ” Yao” passe inaperçu mais il vaut plus qu’un simple regard. Sans l’anecdote que je relate dans l’article ” Don’t Forget Me” ( Ă©crit avant ma critique du film de Ram Nehari : ), je serais passĂ© Ă cĂŽtĂ© de ” Yao” en salles. Je t’encourage Ă aller le voir.
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