Chemin de halage
Je suis parti interroger mon corps. Jâavais besoin dâinformations. Il a bien voulu se laisser faire. MĂȘme si, au prĂ©alable, il mâa fallu tout un tas de prĂ©paratifs. Câen Ă©tait ridicule. CâĂ©tait beaucoup plus simple lorsque jâĂ©tais plus jeune.
Mais, lĂ , avais-je les bonnes chaussures ? Mes chaussettes Ă©taient-elles assez minces pour ne pas trop martyriser mes petits pieds ? Car les baskets, pendant le footing, avec le poids du corps et lâafflux du sang, ça comprime.
La veste. Avais-je la bonne veste ? Non, pas ce k-Way- lĂ dans lequel jâallais suer tel un champignon rissolĂ© mais plutĂŽt celle en goretex. Si je lâavais achetĂ©e, câĂ©tait bien pour quâelle me serve. Ah, oui, mes clĂ©s. Juste celles dont jâavais besoin. Je nâaime pas quand ça fait bling-bling quand je cours. Peut-ĂȘtre parce-que je crains que lâon confonde le bruit des clochettes avec celui du mouvement de recul de mes testicules.
Et, la petite compote, facile Ă avaler, ça peut servir en cas dâhypoglycĂ©mie. Avale-donc un peu dâeau avant de partir. Tu as la bouche sĂšche. Et un petit bout de chocolat, aussi, car la matinĂ©e est avancĂ©e. Tu as pris ton petit-dĂ©jeuner il y a plus de quatre heures. Et, on dirait que tu commences Ă avoir faimâŠ
Jâai rajoutĂ© un masque anti-covid que jâai mis dans une de mes poches. Jâai ouvert la porte de lâappartement et me suis engagĂ© sur le palierâŠ.une pensĂ©e.
Jâallais partir sans mes clĂ©s posĂ©es Ă lâentrĂ©e.
J’ai attrapĂ© mes clĂ©s, un peu contrariĂ©. Enfin, jâĂ©tais prĂȘt. Un vrai mariĂ©.
Dehors, la tempĂ©rature extĂ©rieure Ă©tait de 7 degrĂ©s. Mais, plus froid, ça nâaurait rien changĂ©. Je reste Ă©tonnĂ© de voir que certaines personnes attendent quâil fasse chaud pour sortir le vĂ©lo ou faire un peu de sport. « Viens, on va se mettre au sport, il fait beau, aujourdâhui ». Mais lorsque les tempĂ©ratures augmentent, notre corps se dĂ©shydrate plus vite. Câest rapidement la transe ou le sauna. Il faut ĂȘtre entraĂźnĂ©, condamnĂ© ou se prĂ©parer Ă aller courir dans le dĂ©sert pour sortir faire du sport en pleine chaleur. Ou, bien-sĂ»r, ne rien changer Ă sa vie sportive habituelle lorsque l’on a en une. Cela est assez oubliĂ©, mais l’un des propos du sport est aussi de nous prĂ©parer Ă nous adapter Ă notre environnement immĂ©diat (riviĂšre, escalade, barriĂšre de corail ou autre obstacle naturel ou mental se trouvant sur notre passage…). Cela dĂ©passe le simple fait de perdre des calories et du gras afin d’ĂȘtre suffisamment « slim » pour la sĂ©ance plage ou photo. La pratique sportive, seule, ne suffit pas Ă faire de nous des aventuriers ou des guerriers redoutables. Mais elle peut nous aider Ă nous Ă©lever au delĂ de certaines de nos faiblesses.
Ces faiblesses peuvent aussi bien ĂȘtre d’avoir le souffle court ou d’avoir le rĂ©flexe de facilement croire ou penser que tout ce qui vient de nous est forcĂ©ment nul. Pratiquer rĂ©guliĂšrement et Ă son rythme. En restant proche de la limite du plaisir. Cette rĂšgle est valable pour beaucoup de disciplines.
A « lâancienne » :
Je fais toujours mes footing à « lâancienne » : comme je l’ai appris Ă l’adolescence.
Pas dâĂ©couteurs dans les oreilles. Pas de podomĂštre. Pas de cardio frĂ©quencemĂštres, de montre connectĂ©e. Je prĂ©fĂšre.
Si je laisse mon tĂ©lĂ©phone portable allumĂ©, câest davantage pour connaĂźtre la distance parcourue, peut-ĂȘtre en cas dâappel ou de message important. Ou pour faire des photos. Surtout, aujourdâhui. Il fait beau. Et, ce matin, vers 7h, jâai repensĂ© au viaduc oĂč la jeune Alisha est morte le 8 mars dernier.
Si je ne disais que ça, je paraitrais ĂȘtre sous lâemprise dâun atavisme morbide.
Inconsolable
Lorsque ce matin, jâai eu lâidĂ©e dây retourner, jâai dâabord pensĂ© appeler cet article Inconsolable. Dans la musique que jâĂ©coute dĂ©sormais, Jimi Hendrix avait remplacĂ© AgnĂšs Obel depuis longtemps. AgnĂšs Obel dont un critique avait Ă©crit, il y a quelques annĂ©es, quâau dĂ©but dâun de ses concerts, concert auquel il avait assistĂ©, il avait dâabord eu lâimpression quâelle sortait dâun rĂ©frigĂ©rateur. Tant sa musique Ă©tait froide. Si jâavais aimĂ© et enviĂ© cet humour, le critique avait nĂ©anmoins remarquĂ© quâĂ mesure de lâĂ©coute, la musique dâObel avait fini par lâatteindre.
En Ă©coutant Jimi Hendrix, ce laveur de solo, ce technicien de toute notre surface cĂ©rĂ©brale mais aussi crĂ©pusculaire, jâavais fini par comprendre la raison pour laquelle, mĂȘme si jâai dansĂ© sur ses titres, jâai toujours conservĂ© une rĂ©serve envers Prince, ce gĂ©nie musical. Je me rappelle dâun article oĂč lâon parlait de la guitare de Prince, comme de son « arme de destruction massive ». Mettez vos oreilles au contact du coffret Songs for Groovy Children , lors des concerts donnĂ©s par Jimi Hendrix fin 1969, dĂ©but 1970 et vous changerez d’avis. Prince devait avoir 12 ou 13 ans en 1969. Il a sĂ»rement entendu parler de ce concert, et encore plus dâHendrix.
Quand je pense quâil a fallu payer « seulement » 6 dollars ( les dollars de lâĂ©poque) pour voir Hendrix en concert en 1969.
Un de mes collĂšgues mâa dit rĂ©cemment : « Lorsque des gens disent que Prince Ă©tait un trĂšs grand guitariste, ils mentent. MĂȘme si câĂ©tait un gĂ©nie ». On peut trouver ce jugement ingrat. A moins dâavoir Ă©coutĂ© Hendrix et de se rappeler, Ă nouveau, quâEric « God » Clapton, lui-mĂȘme, avait pris peur en dĂ©couvrant Hendrix sur scĂšne en Angleterre, dans son royaume uni. Jâai lu que Clapton peut raconter quâil avait en quelque sorte trouvĂ© son rythme de croisiĂšre avec son groupe (loin dâĂȘtre des musiciens amateurs) et quâil se croyait Ă©tabli. Lorsque Hendrix, arrivant des Etats-Unis, a dĂ©barquĂ© sur scĂšne. Hendrix qui avait, Ă ses dĂ©buts, tournĂ© un peu avec Ike Turner, avant que celui-ci, selon certains dires, en aurait eu assez. Car Hendrix prenait trop de solos. En Ă©coutant le coffret de Songs For Groovy Children, la durĂ©e des titres ( plusieurs dĂ©passent la dizaine de minutes) et la « longueur » des solos de Jimi Hendrix, on peut s’amuser Ă imaginer la tĂȘte d’Ike Turner s’il avait Ă©tĂ© sur scĂšne dans ces moments-lĂ .
Hendrix n’Ă©tait pas un artiste de foire. Et il Ă©tait encore moins prĂȘt Ă rester enfermĂ© dans une cage tel un hamster auquel on viendrait parler de temps en temps. Sa musique, dans ce coffret, mâa tellement consolĂ© quâen lâĂ©coutant, jâavais envie de pleurer. Le bibliothĂ©caire Ă qui jâen ai parlĂ© a paru surpris. Alors qu’il avait Ă©tĂ© le premier Ă avoir un air un peu navrĂ©, lorsqu’il y a quelques mois, je m’Ă©tais dĂ©cidĂ© Ă emprunter une anthologie de Johnny Halliday. Oui, Johnny Halliday. Dans un magazine de musique rĂ©putĂ©, j’avais lu une bonne critique sur un de ses albums qui datait des annĂ©es 60 ou 70. Je « savais » peut-ĂȘtre dĂ©ja que Johnny avait sollicitĂ© Hendrix afin que celui-ci fasse sa premiĂšre partie. Par contre, je savais beaucoup moins que Johnny et Jacques Brel Ă©taient trĂšs proches. Dans la musique, comme en art et dans la vie d’une façon gĂ©nĂ©rale, les gens les plus ouverts et les plus rock’n’roll, peuvent ressembler assez peu Ă celles et ceux Ă qui l’on s’attendait en prime abord.
Bien que nos yeux soient souvent des guichets ouverts, nous regardons souvent celles et ceux qui nous entourent tels des aveugles…
Tout amateur de musique attend ces moments oĂč lâartiste va lĂącher un solo. Et oĂč ce solo le saisira le plus longtemps possible. Dans le coffret Songs for Groovy Children, Hendrix en lĂąche, des solos. Ce faisant, il les tient en laisse bien au delĂ de la durĂ©e rĂ©glementaire. Et, sa voix ! Ce Blues. Solo/voix, solo/voix. Cela pourrait ĂȘtre deux personnes. Câen est une. Et, avec Hendrix, ses deux autres musiciens, basse, chant, batterie qui suivent et sont loin dâĂȘtre des scissions secondaires.
Cependant, avant Jimi Hendrix, jâavais rĂ©Ă©coutĂ© le Zouk de Jean-Michel Rotin. Un autre style. Un artiste plus « rĂ©cent », encore vivant, que j’ai sans doute trĂšs mal prĂ©sentĂ©.
Depuis, Jimi a Ă©tĂ© remplacĂ© ( le coffret Songs for Groovy Children, fastueux) par le concert dâAretha Franklin Live at filmore West. Jâai empruntĂ© ce cd, avec dâautres, avant que le nouveau confinement dĂ» Ă la pandĂ©mie ne « close » Ă nouveau les mĂ©diathĂšques et autres lieux estimĂ©s « non essentiels ».
Non-essentiels :
Les deux artistes, Jimi Hendrix et Aretha Franklin ont rĂ©alisĂ© ces performances sur scĂšne vraisemblablement dans le mĂȘme festival, mais Ă un ou deux ans dâintervalle.
On imagine un certain nombre de duos entre deux artistes que lâon aime bien. MĂȘme si, souvent pour des histoires dâego et de sous, la plupart de ces duos ou de ces collaborations, sont morts nĂ©s. Un artiste en plein Ă©panouissement poursuit souvent une trajectoire vers ce quâil pense ĂȘtre son chemin. Et, personne ne peut ou ne doit le faire en dĂ©vier, sauf sâil le dĂ©cide. Aretha Franklin, par exemple, Ă ce que jâai lu, toute croyante et fervente chanteuse de Gospel quâelle Ă©tait, nâaspirait Ă rien dâautre quâĂȘtre la meilleure et a considĂ©rĂ© dâautres chanteuses comme ses rivales, forcĂ©ment moins lĂ©gitimes quâelle (Natalie Cole, Diana RossâŠ.)
Ce matin, jâai pensĂ© Ă un duo Jimi Hendrix/ Aretha Franklin. Il nây avait peut-ĂȘtre pas de rivalitĂ© entre les deux. Je ne sais pas sâils se sont parlĂ©s ou rencontrĂ©s.
AprĂšs Aretha Franklin, jâai Ă©coutĂ© le dernier album dâAya Nakamura. Aujourdâhui, Aya Nakamura est une vedette internationale. On a pu voir des images du footballeur brĂ©silien, Neymar, superstar du Foot, et de lâĂ©quipe du PSG, danser sur son titre Djadja. Youtube nâexistait pas Ă lâĂ©poque dâAretha Franklin et de Jimi Hendrix.
Jâaime la musique dâAya Nakamura. Et ce n’est pas la premiĂšre fois que je la cite. Mais en dĂ©couvrant son album (achetĂ© hier Ă la Fnac St Lazare demeurĂ©e ouverte, en pleine pandĂ©mie du Covid, alors que la mĂ©diathĂšque de ma ville, pour les mĂȘmes raisons, a Ă©tĂ© obligĂ©e de fermer son accĂšs au public depuis samedi dernier), jâai bien Ă©tĂ© obligĂ© de constater que, comme me lâavait fait remarquer un des employĂ©s de la mĂȘme Fnac il y a environ deux ans, les paroles des chansons dâAya Nakamura sont loin dâĂȘtreâŠ. des.prophĂ©ties. Les gros mots ne me dĂ©rangent pas. Câest surtout le projet des textes :
« Je tâai aimĂ©. Tu mâas dĂ©sirĂ©. Tu mâas menti. Tu mâas trahi. Tu mâas pris pour une conne. Tu parles sur moi. Tiens, prends, ça dans ta figure. Et encore, ça. Je suis libre, j’ai de la fibre, je tâemmerde. Et je peux vivre sans toi. En plus, jâai beaucoup de succĂšs. Et, toi, tu nâas rien. Qui te connaĂźt ?! Tchip !».
ça fait trois albums que ça dure, et ça peut encore continuer comme ça longtemps puisque ses chansons ont du succĂšs. Je ne discute pas les atouts de sa musique. En Ă©coutant ses paroles, je comprends qu’une certaine jeunesse, en grande partie fĂ©minine dans un monde encore rĂ©glĂ© par et pour les hommes, puisse s’identifier Ă ses Ă©mois ainsi qu’Ă ses « exploits » ( sexuels, affectifs, Ă©conomiques ou autres).
Et puis, la musique d’Aya Nakamura donne particuliĂšrement envie de danser, toutes gĂ©nĂ©rations confondues. Ce qui est important pour toute personne qui aime danser ou qui est plutĂŽt Ă l’aise pour le faire. Ce que peut avoir beaucoup de mal Ă comprendre toutes celles et ceux, pour qui, le simple fait de taper nerveusement du pied suffit pour danser. Mais aussi celles et ceux qui voudraient dĂ©cortiquer du Shakespeare ou, pourquoi pas, du CĂ©saire, en toute circonstance.
La musique d’Aya Nakamura emballe tout le corps. Ses titres, limitĂ©s Ă 3 ou 4 minutes, semblent Ă©tudiĂ©s pour ça. Ses phrases sont trĂšs simples Ă retenir. Et, j’imagine trĂšs facilement un public conquis rĂ©pĂ©ter ses paroles en choeur en plein concert avec une trĂšs grande spontanĂ©itĂ© libĂ©ratrice. Et, aussi, frondeuse.
Je constate bien, depuis que jâai commencĂ© Ă Ă©couter son album hier que deux ou trois titres me pendent Ă lâoreille, tels Doudou ou Mon chĂ©ri, au moins. Si bien que je dois faire un effort pour remettre lâalbum dâAretha Franklin afin de bien choisir le titre que je compte vous prĂ©senter. Alors que, spontanĂ©ment, jâai surtout envie de remettre le Cd dâAya Nakamura. Alors que je « sais » comme lâalbum live dâAretha Franklin est plus que bon. Et quâAya Nakamura nâapprochera sans doute jamais de sa voix les contrĂ©es et les inspirations quâAretha est allĂ©e chercher et a fait descendre sur terre pour quâon puisse les entendre. Mais aussi, que mĂȘme en matiĂšre de « vice », Soeur Aretha Ă©tait encore bien plus indocile que petite soeur Aya. Amen.
Travailler, travailler, travailler :
Je ne doute pas non plus quâAya Nakamura soit une travailleuse dans sa veine artistique et musicale. Ainsi que celles et ceux qui lâentourent et la conseillent plutĂŽt bien.
Dans le dernier numĂ©ro du magazine Self &Dragon, il est demandĂ© au comĂ©dien Bruno Putzulu, un comĂ©dien dont jâaime beaucoup le travail et que jâavais aimĂ© voir au cinĂ©ma dans le film LâAppĂąt, film qui mâavait marquĂ© Ă sa sortie au dĂ©but des annĂ©es 90, de feu Bertrand Tavernier- rĂ©alisateur dĂ©cĂ©dĂ© rĂ©cemment – les conseils quâil pourrait donner Ă quelquâun voulant se lancer dans le mĂ©tier de comĂ©dien.
Pour pouvoir espĂ©rer rĂ©ussir dans le mĂ©tier de comĂ©dien, Putzulu commence par rĂ©pondre qu’il conseillerait Ă un (e) apprenti( e ) comĂ©dien (ne) de :
« Travailler, travailler, travailler ».
Putzulu connaĂźt Ă©videmment son sujet. Mais je vais pourtant le contredire. Dâabord, en tant que comĂ©dien, mĂȘme sâil vit de son mĂ©tier, il fait partie de ces trĂšs bons comĂ©diens, qui sont Ă mon avis sous-employĂ©s. Des comĂ©diens auxquels on ne propose pas des « grands rĂŽles » leur permettant dâĂ©taler vĂ©ritablement ce quâils savent faire. Parce-que lâon ne pense pas Ă eux. Parce-que lâon ne les choisit pas. Et, cela nâa rien Ă voir avec leur capacitĂ© de travail.
Et que lâon ne me parle pas de la « grĂące ». Parce-que, personne ne trouve Samuel Jackson ou Joey Starr ou Jean-Pascal Zadi ( Tout simplement Noir), ni mĂȘme Omar Sy ( Yao, Police-un film d’Anne Fontaine ) gracieux. Pourtant, personne, aujourdâhui, ne contestera leur « particularitĂ© », leur « originalitĂ© », leur « style », leur « personnalitĂ© » ou leur « talent ». Parce-que, entre leurs dĂ©buts, et maintenant, ils ont chacun, de diffĂ©rentes façons, rencontrĂ© le succĂšs. Et se sont rendus « dĂ©sirables ».
Et, le succĂšs, tout comme le dĂ©sir, lorsque tu Ă©volues dans un domaine artistique et public, ça se respecte voire ça se gĂšre ou ça se craint. Car cela reprĂ©sente un jackpot Ă©conomique potentiel si tu fais partie du « deal » ou de l’entourage immĂ©diat du poulain ou de la pouliche qui est trĂšs en vue ou qui peut remporter d’autres grands prix.
Que tu tâappelles Aya Nakamura, Aretha Franklin ou Jean-Pascal Zadi. Peu importe le message que tu passes ou que tu essaies de faire passer. Peu importe que, dans le cas dâune Aretha Franklin, Martin Luther King soit venu dormir chez ton pĂšre, lors de certains meeting, ou que tu aies fait des concerts, gratuitement, en soutien pour le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis dans les annĂ©es 60. Ou que, comme Aya Nakamura, tu parles de ruptures sentimentales, et de mecs qui nâassurent pas.
Le succĂšs, ça se respecte, et, il nây a pas de rĂšgle Ă©tablie pour y parvenir. On peut se dĂ©foncer toute sa vie pour rĂ©ussir. Y compris avec son derriĂšre. Et Ă©chouer. Câest ça, le secret que tout le monde connaĂźt. Et pour enterrer un peu plus lâidĂ©e selon laquelle, la grĂące permettrait de diffĂ©rencier une personne qui en a dâune autre qui en serait dĂ©pourvue, on va se rappeler que, pour certaines et certains, la grĂące est tout de mĂȘme bien mise sur orbite, ou « aidĂ©e », par lâentourage stratĂ©gique que lâon connaĂźt, et le moment, aussi, oĂč lâon apparaĂźt en public. Ensuite, c’est Ă nous de jouer. Soit on fait tout de travers. Soit on « fait le travail » pour lequel on a Ă©tĂ© prĂ©parĂ©.
Cependant, pour rĂ©ussir, il faut bien, Ă un moment ou Ă un autre, rencontrer, dĂ©cider ou dĂ©rider quelquâun qui jettera sur notre trajet un peu de cette de poudre magique qui nous permettra de rĂ©ussir. Et, rĂ©ussir, qu’on le veuille ou non, cela signifiera toujours rĂ©ussir Ă©conomiquement.
Ce que n’ont toujours pas compris quantitĂ©s d’idĂ©alistes et d’abrutis- dont je fais partie- qui se condamnent d’eux-mĂȘmes. C’est parce-que je me suis condamnĂ© Ă faire partie des invisibles et des ratĂ©s du box-office Ă©conomique que je fais partie des abrutis.
Si des professions comme les professions soignantes sont maltraitĂ©es de maniĂšre rĂ©pĂ©tĂ©e, c’est aussi, parce-que, Ă moins d’ĂȘtre une personnalitĂ© trĂšs mĂ©diatisĂ©e ( ça existe parmi quelques soignants gĂ©nĂ©ralement mĂ©decins ou psychologues), la majoritĂ© des soignants sont des anonymes, donc, Ă©loignĂ©s du « succĂšs » public mais, surtout, Ă©conomique. Lorsque l’on contribue Ă sauver une vie, par exemple, cela ne fait pas des millions d’entrĂ©es au box-office. Cela ne fait pas vendre de la pub, du pop corn ou du coca-cola. Il n’existe pas de festival de Cannes du soin qui serait convoitĂ© et visitĂ© par des millions de spectateurs, avec limousine, grandes cĂ©lĂ©britĂ©s et retransmission mĂ©diatisĂ©e dans le monde entier de l’Ă©vĂ©nement. Alors, au mieux, on « admire » les soignants ou on les applaudit. Et, tout ordinairement, on peut les nĂ©gliger. On peut aussi les plaindre car cela ne coĂ»te pas grand chose non plus. Pourtant, les soignants, comme bien d’autres gens, des artistes inconnus, ou d’autres personnes exerçant dans d’autres professions, sont des travailleurs. Mais pas de petite poudre magique pour eux afin d’amĂ©liorer leur statut ou leurs conditions de travail. Pour eux, et pour tant d’autres- les invisibles et les ratĂ©s du box-office de la rĂ©ussite Ă©conomique- la vie sera dure. Les conditions de travail. Le salaire. L’Ă©pargne ou la retraite. La santĂ©. Tout sera susceptible d’ĂȘtre dur ou de le devenir pour eux, s’ils n’apprennent pas Ă encaisser et Ă esquiver.
A un moment donné, soit, on sait encaisser. Soit, on se fait lessiver.
Enfin, si les polars connaissent autant de succĂšs, câest aussi parce quâils racontent souvent lâhistoire de grĂąces et dâinnocences qui ont Ă©tĂ© saccagĂ©es. Et nous connaissons, intimement, ce genre de vĂ©ritĂ©s. Donc, travailler, travailler, travailler, ne suffit pas.
Câest Ă©tonnant comme le simple fait de reprendre les footing peut vous dĂ©vergonder. JâĂ©tais plus Ă©teint que ça en partant courir ce matin.
La « petite » Aya Nakamura, elle, avait compris tout ça bien plus tĂŽt que moi, et sans avoir besoin de faire des footing. C’est pour ça qu’elle a rĂ©ussi et, qu’aujourd’hui, elle peut nous faire danser.
La librairie Presse Papier :
Il y a quelques jours, un collĂšgue habitant aussi dans ma ville, a un moment fait allusion Ă la mort dâAlisha ( Marche jusqu’au viaduc). Mais câĂ©tait pour lui un Ă©vĂ©nement comme un autre. Il a vite occupĂ© ses pensĂ©es Ă tenir sa tasse de cafĂ© ou Ă dâautres sujets. ( Quelques jours plus tard, sans que cela ait Ă©videmment de rapport avec le dĂ©cĂšs de la jeune Alisha, j’apprenais que ce collĂšgue avait attrapĂ© le Covid)
Ce matin, en allant acheter le journal dans la librairie du centre-ville, jâai pris le temps de discuter avec le gĂ©rant et un habituĂ©. Les deux hommes se connaissent bien visiblement. Le premier habite Argenteuil depuis quarante ans. Le second, enseignant Ă la retraite, est nĂ© Ă Argenteuil. Militant, je lâai dĂ©jĂ vu distribuer des tracts Ă la sortie de lâĂ©cole. Il mâa appris ce matin ĂȘtre Ă lâorigine de la crĂ©ation du salon du livre dâArgenteuil. Mais aussi de lâassociation Lire sous les couvertures.
Mais il mâa appris davantage : la voie expresse qui, aujourdâhui, coupe les Argenteuillais des berges de la Seine nâexistait pas avantâŠ.1970. Grosso modo, lorsque Jimi Hendrix a fait son concert fin 1969 et dĂ©but 1970 ( le concert dâAretha Franklin date de 1971), il existait une promenade le long de la Seine. On organisait mĂȘme des cross sur cette promenade qui aurait existĂ© de 1820 Ă 1970.
Tout Ă son rĂ©cit, D mâa parlĂ© du chemin de halage du cĂŽtĂ© du viaduc. Marcheur, D sâest enthousiasmĂ© pour le travail « extraordinaire » qui avait Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© sur ce chemin de halage pour le rendre agrĂ©able. Il mâa confirmĂ© briĂšvement. Oui, câĂ©tait bien lĂ , sous le viaduc quâil y avait eu le fait diversâŠ.puis, il a poursuivi son argumentaire concernant la façon dont lâamĂ©nagement de la ville Ă©tait mal gĂ©rĂ©. D mâa appris quâil avait un blog, trĂšs bien fait, alimentĂ© rĂ©guliĂšrement, dans lequel il parlait dâArgenteuil. Il mâa invitĂ© Ă le lire. Je lui ai aussi parlĂ© du mien mais cela nâa pas paru lui parler plus que ça. Je ne sais pas si D prĂ©fĂšre Ă©couter Aya Nakamura ou lire son blog. Je ne sais pas non plus si elle en a un. Par contre, en quittant la librairie, je savais que jâallais retourner au viaduc. Jâai un moment pensĂ© Ă faire le parcours Ă vĂ©lo afin de bien profiter de la Seine sans trop me fatiguer. Puis, je me suis rapidement dit que ce serait une bonne occasion de reprendre le footing. Afin de voir oĂč jâen Ă©tais.
Le chemin de halage :
Je mâĂ©tais mis en tĂȘte de courir trente minutes pour une reprise. Sans aucune idĂ©e du temps quâil me faudrait pour arriver au viaduc.
Les dix premiĂšres minutes ont Ă©tĂ© un peu inconfortables. Car mon corps nâĂ©tait plus habituĂ© au footing. Mais, trĂšs vite, jâai perçu que mon cĆur, lui, Ă©tait au rendez-vous. Peut-ĂȘtre les effets de mes trajets Ă vĂ©lo depuis bientĂŽt deux mois depuis la gare St-Lazare pour aller Ă la travail. A chaque fois, Ă lâaller comme au retour, trente minutes de vĂ©lo.
Il mâa fallu douze minutes, Ă allure douce, pour arriver au viaduc. Jâavais le soleil de face. Jâai continuĂ© sur le chemin de halage jusquâĂ arriver Ă Epinay sur Seine, ville de tournage de cinĂ©ma. Mais ville, aussi, oĂč se trouve une clinique psychiatrique oĂč il a pu mâarriver de faire des vacations. Je pouvais alors mây rendre en environ vingt minutes en voiture. LĂ , jâavais mis Ă peu prĂšs trente trois minutes en footing. A vĂ©lo, jâen aurais sĂ»rement pour 20 minutes, peut-ĂȘtre quinze, par le chemin de halage. Le centre Aqua92 de Villeneuve-la-Garenne, oĂč les trois fosses et le bassin de 2,20 de profondeur, permettent de pratiquer apnĂ©e et plongĂ©e nâĂ©tait pas si loin que ça. MĂȘme sâil devait rester quinze Ă vingt minutes de footing pour y arriver.
Je me suis arrĂȘtĂ© pour marcher. Prendre le temps de souffler. Quelques photos. AprĂšs dix minutes, je suis reparti en sens inverse. A lâaller comme au retour, les gens que jâai croisĂ©s, promeneurs, coureurs, Ă©taient enclins Ă dire bonjour. Lâabsorption des relations sociales par le confinement et la pandĂ©mie favorisaient peut-ĂȘtre ces Ă©changes simples.
Je prenais des photos de ce « bateau-Ă©cole » lorsque G…, me voyant faire, a ouvert la porte pour me renseigner. Elle mâa donnĂ© quelques explications, mâa remis une brochure avec les tarifs. Puis, je suis reparti.
Je commençais Ă en avoir plein les cuisses. Lâacide lactique. Ăa mâa Ă©tonnĂ© parce-que je ne courais pas particuliĂšrement vite. Cela devait venir du manque dâentraĂźnement, sans doute.
A lâapproche du viaduc, jâai ralenti. Encore quelques photos. JâĂ©tais prĂšs du mur des fleurs Ă la mĂ©moire dâAlisha, lorsque la sirĂšne du premier mercredi du mois a retenti. Je ne pouvais pas filmer meilleure minute de silence quâavec cette sirĂšne.
Devant tout ce bleu, tout ce soleil, je me suis dit que la mort dâAlisha, dâune certaine maniĂšre Ă©tait un sacrifice. Et, quâest-ce quâun sacrifice, si ce nâest une mort- ou un soleil- qui permet Ă dâautres de vivre ou qui leur indique le chemin quâils doivent suivre pour continuer de vivre ?
AprĂšs la minute de silence, jâai fait le tour du viaduc dans le sens inverse de la derniĂšre fois sans mâattarder. En faisant ça instinctivement, jâai eu la soudaine impression de dĂ©faire le cercle de la mort.
Evidemment, je nâirai pas expliquer ça aux parents dâAlisha, ni Ă ses proches ou Ă celles et ceux qui lâont connue de prĂšs. Et, je ne crois pas que jâaimerais que quelquâun vienne me tenir ce genre de propos si je perdais une personne chĂšre.
Pourtant, sans cette mort le 8 mars, je ne serais pas venu jusquâĂ ce viaduc. Je nâaurais peut-ĂȘtre jamais pris ce chemin de halage alors que cela fait dĂ©jĂ 14 ans que je vis Ă Argenteuil.
Ce chemin de halage, je lâavais supposĂ© depuis Epinay Sur Seine oĂč je mâĂ©tais rendu en voiture ou Ă vĂ©lo. Mais sans savoir quâil pouvait aller jusquâĂ Argenteuil.
Et, jâavais dĂ©jĂ entendu un Argenteuillais, adepte du footing, en parler, il y a trois ou quatre annĂ©es, mais cela Ă©tait restĂ© trĂšs abstrait pour moi. Je nâimaginais pas un tel chemin, aussi Ă©tendu, aussi large, aussi agrĂ©able. Et, Ă travers tout le bleu de ce mercredi 7 avril, je comprends quâAlisha, le 8 mars, ait pu trĂšs facilement accepter de suivre celle qui a servi dâappĂąt, comme le titre du film de Bertrand Tavernier qui avait Ă©tĂ© inspirĂ© dâun fait divers.
Lorsque je suis venu ici pour la premiĂšre fois ( Marche jusqu’au viaduc ), il faisait plus sombre. Et je m’Ă©tais dit qu’Alisha avait vraiment dĂ» se sentir en confiance pour venir dans un endroit pareil. Mais le 8 mars, il faisait peut-ĂȘtre beau.
Lorsque l’on compare les photos que j’ai faites de cet endroit la premiĂšre fois que j’y suis venu, le 16 mars, avec celles de ce mercredi 7 avril, on remarque que la lumiĂšre et l’atmosphĂšre sont trĂšs opposĂ©es. Ce mercredi 7 avril, la lumiĂšre est trĂšs belle. J’ai postĂ© une des photos de ce jour, prise depuis le chemin de halage ( celle qui ouvre cet article) sur ma page Facebook, et elle a plu Ă plusieurs personnes. Elle me plait aussi. Tout ce bleu. Ce soleil.
Comme ces photos prises deux jours diffĂ©rents, malgrĂ© tout le bĂ©ton dont l’ĂȘtre humain s’entoure, notre nature se lĂ©zarde et mue. Ces mues ne sautent pas aux yeux Ă premiĂšre vue. Elles sont d’abord invisibles, souterraines, imperceptibles, lĂ©gitimes ou illĂ©gitimes. Mais elles surviendront, pour le pire ou le meilleur, si elles trouvent un moyen ou un chemin pour s’affirmer et s’affranchir de nos secrets. De nos codes. De nos limites.
Ces mues, nos changements, de comportement, tenteront de s’adapter et de s’habituer au grand jour et au monde. Ils seront parfois aussi violents qu’Ă©phĂ©mĂšres. On peut d’abord penser Ă des crimes ou Ă des actes monstrueux. Mais on peut aussi penser Ă certaines carriĂšres fulgurantes :
Jimi Hendrix est mort ultra-cĂ©lĂšbre Ă 27 ans alors qu’il ne pratiquait la guitare que depuis une douzaine d’annĂ©es…… on nous parle encore d’Amy Winehouse, de Janis Joplin, de tel acteur ou tel actrice « parti(e) trop vite… » . On peut aussi penser Ă des aventuriers de l’extrĂȘme morts trop jeunes tels que l’apnĂ©iste LoĂŻc Leferme . Ou mĂȘme Ă l’apnĂ©iste… Audrey Mestre.
En mâĂ©loignant du viaduc, un homme noir dâune soixante dâannĂ©es semblant venir de nulle part, partait comme moi. Il marchait et avait du mal Ă remonter la pente. Il avait baissĂ© son masque anti-covid sĂ»rement pour mieux reprendre son souffle. Je lâai dĂ©passĂ© en reprenant mon trot. Ce faisant, je lâai saluĂ©. Il mâa rĂ©pondu, un peu Ă©tonnĂ©. Puis, je lâai distancĂ©. Je serai peut-ĂȘtre ce vieil homme, un jour.
Lorsque jâai retrouvĂ© la route dâEpinay, en allant vers Argenteuil, un bus 361 mâa dĂ©passĂ©. Puis, jâen ai un croisĂ© un autre un peu plus loin. A lâaller, aussi, jâavais croisĂ© un 361. Cet itinĂ©raire est vraiment bien desservi par le bus.
En rentrant chez moi, je suis repassĂ© devant le hammam. Il avait lâair ouvert. Je me suis dit que jây retournerais. Et que cela me permettrait, aussi, de profiter de leur trĂšs bon thĂ© Ă la menthe.
Franck Unimon, ce mercredi 7 avril 2021.( complété et finalisé ce mardi 13 avril 2021).