Marche jusquâau viaduc
Elles ont probablement pris le bus 361. On peut le trouver Ă la gare dâArgenteuil dâoĂč il part. Câest Ă une dizaine de minutes, en marchant bien, depuis le lycĂ©e Cognac-Jay.
Si elles sont parties du lycĂ©e, elles ont peut-ĂȘtre mĂȘme pris le bus depuis le centre-ville dâArgenteuil, avenue Gabriel PĂ©ri, pour aller jusquâĂ la gare. Et puis, attendre et prendre le bus 361 ensuite jusquâĂ lâarrĂȘt BelvĂ©dĂšre. LĂ oĂč Argenteuil se rapproche de la ville dâEpinay sur Seine.
En partant depuis la gare dâArgenteuil jusquâĂ lâarrĂȘt BelvĂ©dĂšre, prĂšs du viaduc qui passe sous lâautoroute A15, en bus, cela doit prendre une dizaine de minutes.
Ce trajet peut mĂȘme se faire Ă pied. Câest ce que je viens de faire, ce matin, aprĂšs avoir emmenĂ© ma fille Ă lâĂ©cole. MĂȘme si le bus 361 a un arrĂȘt prĂšs de chez nous.
Intérieur-Extérieur
Il y a quelques nuits, au travail, jâai eu un moment de dĂ©prime, en sourdine, venu sans prĂ©venir. Câest passĂ©. Personne nâa rien vu. Ni au travail. Ni chez moi. Je suis comme beaucoup de monde : jâai un extĂ©rieur. Et un intĂ©rieur. Entre les deux, je filtre. Je fais le tri entre ce que je choisis de montrer et dâexprimer selon le moment, selon lâinterlocuteur que jâai en face de moi, selon la situation, et, bien-sĂ»r, selon la gravitĂ© que jâattribue Ă ce que je ressens ou pense.
Une histoire de confiance
Bien-sĂ»r, il y a aussi une histoire de confiance. Certaines personnes se racontent facilement voire Ă nâimporte qui par la voire orale. Je dirais que je sĂ©lectionne assez strictement celles et ceux Ă qui je me confie. Mais, aussi, que je nâaime pas inquiĂ©ter mon entourage dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale. Des coups durs et des contrariĂ©tĂ©s, on peut en vivre Ă peu prĂšs tous les jours.
Apprendre Ă encaisser et Ă esquiver
Pour vivre, Il faut donc, aussi, apprendre Ă encaisser et Ă esquiver. Mais, aussi, Ă alerter des personnes ad hoc, ou qui lâon peut, lorsque cela devient vraiment nĂ©cessaire.
Sâil est certaines menaces et certains dangers que lâon ignore ou que lâon nĂ©glige, il est, aussi, trop de fausses urgences ou trop de fois oĂč lâon va brasser beaucoup de forces pour presque rien. On me dira : mieux vaut prĂ©venir que guĂ©rir. Bien-sĂ»r. Mais ça peut-ĂȘtre utile, aussi, pour dâautres qui peuvent vĂ©ritablement en avoir besoin, dâapprendre soi-mĂȘme la diffĂ©rence entre une vraie urgence et ce qui lâest moins.
Le mĂȘme pĂšre
A mon travail, donc, il y a quelques jours, personne nâa su, je crois, que jâai eu un petit passage Ă vide. A la maison, non plus, pour les mĂȘmes raisons. Ce matin, je suis restĂ© le mĂȘme pĂšre qui engueule sa fille avant de lâemmener Ă lâĂ©cole parce quâelle traĂźnait. Alors que jâavais tout prĂ©parĂ© avec elle une bonne vingtaine de minutes plus tĂŽt pour Ă©viter ce genre de situation. Lors du trajet vers l’Ă©cole, aprĂšs quelques minutes de marche, ma fille a mis sa main dans la mienne. Bien-sĂ»r, je lâai prise. Il arrivera un jour oĂč nous ne nous donnerons plus la main, elle et moi. Dâici lĂ , jâespĂšre ĂȘtre parvenu Ă lui apprendre ce quâest une vraie urgence, mais aussi Ă se dĂ©fendre et Ă avoir confiance en elle.
Si Alisha, ce 8 mars 2021âŠ.
Si Alisha Khalid, ce 8 mars 2021, avait effectuĂ© le trajet jusquâau viaduc en marchant, jâai envie de croire que sa mort aurait pu ĂȘtre esquivĂ©e.
Ce trajet jusquâau viaduc oĂč elle a Ă©tĂ© tabassĂ©e puis dâoĂč elle a Ă©tĂ© jetĂ©e dans la Seine, je viens de le faire Ă pied Ă lâaller comme au retour. Bien-sĂ»r, lĂ -bas, personne ne m’attendait pour me faire la peau ou me foutre le feu.
A lâaller, comme jâavais du mal Ă situer oĂč ça se trouvait, jâai dĂ» demander mon chemin Ă plusieurs personnes.
14 ans
En Mai, cela fera 14 ans que jâhabite dans cette ville. Pourtant, je ne mâĂ©tais jamais rendu Ă cet endroit.
Il y a 14 ans, Alisha venait Ă peine de naĂźtre. Ses deux meurtriers avaient un an tout au plus. Cela nous rappelle quâil sâen passe du temps, avant de devenir meurtrier. Dans mon premier article ( Alisha, 14 ans, morte dans la Seine ce 8 mars 2021), jâai Ă©crit que « trois » personnes avaient tuĂ© Alisha. Deux garçons et une fille. Jâai dĂ» mal comprendre ou peut-ĂȘtre que câest une information qui a au dĂ©but circulĂ©.
J’ai dĂ©cidĂ© de laisser cette erreur dans cet article.
Deux visages
Cette erreur de « rĂ©cit » ne change rien : Alisha est morte aprĂšs sâĂȘtre faite piĂ©gĂ©e. On peut aussi se dire que le garçon qui lâa frappĂ© avait, comme nous tous (femmes ou hommes), au moins deux visages. Celui, le plus connu, du garçon tranquille et « sans histoire » ( qu’est-ce que ça veut dire, « ĂȘtre sans histoire » ? Nous avons tous une histoire). Et, ce 8 mars 2021, celui de lâagresseur qui a attendu sa victime qui lui a Ă©tĂ© apportĂ©e en sacrifice sur un plateau.
On peut bien-sĂ»r avoir deux visages, un visage public et un visage plus intime ou plus secret, sans ĂȘtre pour autant un meurtrier ou un criminel.
Mais il se trouve que pour Alisha, le deuxiÚme visage de ce jeune garçon et de sa complice, a été celui, le 8 mars 2021, de deux meurtriers.
Erreur de rĂ©cit et nombre dâagresseurs
Cette erreur de rĂ©cit concernant le nombre dâagresseurs dâAlisha ne change rien :
Lorsque des événements subits nous arrivent, nous recomposons et interprétons partiellement, difficilement, et souvent avec des erreurs, les informations que nous recevons.
Parce quâĂ©motionnellement et intellectuellement, nous sommes limitĂ©s et quâil nous faut un temps plus ou moins long pour nous ajuster Ă lâĂ©vĂ©nement. Pour bien et mieux comprendre. Lorsque nous sommes capables de bien reconstituer le puzzle :
Le trauma et la perte dâun ĂȘtre proche â ou non- peuvent nous empĂȘcher de « comprendre » et de reconstituer le puzzle des Ă©vĂ©nements.
Contributions Ă la rĂ©ussite du/dâun crime :
Le 8 mars, le trajet en bus- s’il a eu lieu– a contribuĂ© Ă la rĂ©ussite du crime. Pour la rapiditĂ© du trajet. Car il aurait fallu environ trente minutes, Ă pied, pour aller jusquâau viaduc depuis la gare d’Argenteuil. Et un peu plus depuis le lycĂ©e. Tout dĂ©pend bien-sĂ»r de lĂ oĂč elles sont parties et de lĂ oĂč elles se sont rencontrĂ©es pour aller « ensemble » jusqu’au viaduc.
En trente minutes, il faut pouvoir tenir son rĂŽle afin dâendormir la vigilance de la future victime. La complice du jeune agresseur et co-meurtrier avait peut-ĂȘtre la capacitĂ© Ă faire bonne figure. Mais, en trente minutes, on peut, un peu plus facilement Ă un moment ou Ă un autre, instinctivement sentir que quelque chose « cloche » dans lâattitude de la personne qui nous accompagne.
A ce moment-lĂ , ce qui permet, ou non, la suite du scĂ©nario jusquâĂ la mort, câest peut-ĂȘtre lâoptimisme,lâincrĂ©dulitĂ© ou la naĂŻvetĂ© de la victime. Mais, sĂ»rement, dâabord, le sentiment de confiance que la victime ressentait vis-Ă -vis de celle qui lâaccompagnait. Ce sentiment de confiance a suffisamment pris le dessus sur les Ă©ventuels doutes que la victime ( Alisha, ici) a pu avoir Ă un moment donnĂ©, lors du trajet.
Car elle « connaissait » celle qui lâaccompagnait. Et, Ă ce que jâai appris, les lieux oĂč elles se sont rendues toutes les deux Ă©taient pour elle des lieux familiers qui entretiennent aussi la confiance.
Le sentiment de confiance :
Je pourrais ĂȘtre le pĂšre ou lâĂ©ducateur de ces trois jeunes, dâAlisha, et des deux meurtriers. Je suis un homme plutĂŽt en bonne santĂ© et que lâon dĂ©crit plutĂŽt comme une personne que, spontanĂ©ment, on ne va pas aller provoquer ou menacer dans la rue. Mais je suis aussi un trouillard. Jâai aussi Ă©tĂ© un ado. Et, je sais quâado, on aime bien avoir ses coins Ă soi, avec des personnes de notre Ăąge, Ă lâĂ©cart des adultes oĂč l’on fait notre vie : on y a notre intimitĂ© avec des gens de notre Ăąge ou Ă peu prĂšs.
Je suis incapable de dire, si, ado, jâaurais pu me rendre lĂ oĂč Alisha et lâautre jeune fille se sont rendues ensemble ce 8 mars. Par contre, en mây rendant tout Ă lâheure pour la premiĂšre fois lĂ , je me suis dit quâil fallait vraiment se sentir en confiance pour y aller. MĂȘme en plein jour.
MĂȘme si, avant de mâengager dans cet endroit, jâai vu passer un cycliste qui semblait un habituĂ© de ce trajet.
En bas du viaduc, devant les fleurs posĂ©es en mĂ©moire dâAlisha, jâai ensuite croisĂ© un jogger, qui, en sâapprochant, avec ses baskets de la marque Hoka, et en apercevant ces fleurs, a dâabord secouĂ© la tĂȘte en signe de dĂ©sapprobation puis sâest dĂ©tendu pour me rĂ©pondre :
De lĂ dâoĂč il venait, le long de la Seine, on pouvait aller loin. JusquâĂ la ville de Saint-Denis ! Et, selon lui, le chemin dans cette direction Ă©tait meilleur pour faire des footing. Puis, il est reparti sans peine.
Meurtres glaçants :
Ce matin, avant dâemmener ma fille Ă lâĂ©cole, jâai essayĂ© de trouver de nouvelles informations. Car jâavais vraiment du mal à « voir » oĂč pouvait bien se trouver ce viaduc !
Tout ce que jâai pu trouver comme article remontait Ă dimanche. Le 14 mars. Il y a deux jours. Jâai compris que pour les mĂ©dia, lâessentiel avait Ă©tĂ© fait. Couvrir lâĂ©vĂ©nement jusquâĂ la marche blanche. Figer les informations. Puis, passer Ă dâautres sujets. Comme dâautres fois. Comme images ou photos du Viaduc, je trouvais toujours les mĂȘmes. Mais rien pour mâindiquer prĂ©cisĂ©ment oĂč cela se trouvait.
Du meurtre, on lâa dĂ©crit comme « glaçant ». MĂȘme le journaliste Harry Roselmack a employĂ© ce terme. CâĂ©tait il y a quelques jours. Oui, ce meurtre est « glaçant ». Parce quâil a fini dans la Seine, dans la noyade et dans le sang.
Mais on parle beaucoup moins de tous ces meurtres, sans traces de sang, sans scĂšne de crime, bien mieux prĂ©mĂ©ditĂ©s, oĂč lâon licencie des personnes par centaines et par milliers pour assurer Ă des actionnaires et Ă des privilĂ©giĂ©s leur marge de profit annuelle.
Cela nâa rien Ă voir avec le meurtre dâAlisha, vraiment ?!
Il sâagit pourtant de meurtres dâautant plus « glaçants » quâils sont routiniers et invisibles. Parlez-en aux proches de celles et ceux qui se font licencier. Ou aux personnes licenciĂ©es. Expliquez-leur que tout va bien pour elles et eux. Quâils nâont pas Ă©tĂ© piĂ©gĂ©s. Que, personne, nâa endormi leur vigilance. Que, eux, au moins, ils sont vivants. Et quâils peuvent rebondir.
Pendant quâon nous montre, et câest normal, ce meurtre dâAlisha, on passe sous silence, tous ces meurtres de notre vie quotidienne, que nous subissons et acceptons en bons citoyens Ă©duquĂ©s, civilisĂ©s, apeurĂ©s et dĂ©sarmĂ©s.
Rebondir
Je ne supporte pas ce terme prĂ©mĂąchĂ© et formolĂ©. » Rebondir »….telle une balle de tennis Ă Roland-Garros.
Mais, Alisha, câest certain, nâa pas pu rebondir le 8 mars. Une fois sur place, tout Ă lâheure, lĂ oĂč sa vie sâest terminĂ©e, je me suis dâabord senti subitement seul ( avant de passer « derriĂšre » le graf et le bĂ©ton). On ne rĂ©agit pas tous avec la mĂȘme luciditĂ© ni avec la mĂȘme combattivitĂ© lorsque lâon se sent subitement seul. Quel que soit lâendroit, le moment ou les personnes avec lesquelles on se trouve.
Sur le papier, en thĂ©orie, ou lorsque lâon se sait entourĂ© de personnes de confiance solides et fortes, on peut peut-ĂȘtre se reposer sur elles ou sâinspirer de leur exemple. Mais, lorsque câest tout le contraire. Et que lâon est vĂ©ritablement, et soudainement seul, face Ă soi-mĂȘme. Et que toutes les apparences, tous les maquillages et tous les mensonges- les nĂŽtres et ceux de nos agresseurs- qui nous prĂ©servent et nous dissimulent disparaissent dâun seul coup, comment fait-on ?
Il fallait vraiment se sentir en confiance, ĂȘtre un(e) habituĂ©(e) de lâendroit ou avoir des intentions pacifiques pour ne pas se sentir menacĂ© sous cette autoroute.
Jâai vu ce qui Ă©tait sans doute le « domicile » du SDF qui se trouve prĂšs de lĂ oĂč Alisha a Ă©tĂ© passĂ©e Ă tabac. Jâai vu, je crois, les traces de sang que le SDF a dĂ©signĂ©es quand il a tĂ©moignĂ©. Jâavais vu la vidĂ©o de son tĂ©moignage sur le net.
Je ne lâai pas rencontrĂ©. Mais jâai vu ses paires de chaussures, lâamĂ©nagement de son lieu de vie. Jâai mĂȘme vu sa paire de gants de boxes accrochĂ©e. Jâaurais voulu discuter un peu avec lui. Savoir comment on fait pour continuer de vivre aprĂšs « ça ». Mais aussi, le connaĂźtre un peu. ConnaĂźtre sa vie. Ce qui lâa amenĂ© jusquâĂ venir vivre ici. Cependant, je nâinsisterai pas car je nâai pas envie de lâenquiquiner ou de faire le voyeur. Et, câest pour ces raisons que je ne montre pas de photos de son « foyer » ou des traces de sang supposĂ©es dâAlisha sur le sol.
Biographie brĂšve des deux jeunes meurtriers :
A ce que jâai compris un peu de la biographie des deux jeunes meurtriers, ceux-ci ont en commun de ne pas avoir connu leur pĂšre. Ou de lâavoir perdu. Alisha Ă©tait tout le contraire : câĂ©tait, Ă entendre une partie du discours de sa mĂšre, une adolescente heureuse dans une famille plutĂŽt unie, avec un pĂšre, et une bonne Ă©lĂšve. Elle Ă©tait aussi jolie.
« Le » meurtrier, lui, nâa pas connu son pĂšre et avait beaucoup dâabsentĂ©isme scolaire. MĂȘme si, une fois Ă lâĂ©cole, il semblait plutĂŽt content et dans le coup dâun point de vue scolaire dâaprĂšs le tĂ©moignage de sa mĂšre. Ses absences scolaires semblaient principalement dues au fait quâil jouait beaucoup aux jeux vidĂ©os. Mais bien dâautres jeunes qui prĂ©fĂšrent passer leur temps devant des jeux vidĂ©os, au lieu dâaller Ă lâĂ©cole, ne deviennent pas des meurtriers.
« Lâautre » meurtriĂšre, jâai oubliĂ©, si elle Ă©tait bonne Ă©lĂšve. Mais elle Ă©tait aussi sans pĂšre. Câest aussi une jolie fille, apparemment, et celle qui est devenue la petite amie du « meurtrier ». AprĂšs quâAlisha ait eu une histoire amoureuse « dâune semaine » avec lui.
DâaprĂšs ce que jâai « lu » ou « entendu » en glanant sur le net, jâen dĂ©duis que le tandem qui a tuĂ© Alisha Ă©tait fusionnel.
Devant lâobstacle : prĂ©mĂ©ditation et acharnement
A un moment donnĂ©, Alisha, pour eux, a sans doute pris lâapparence de celle qui pouvait devenir un obstacle Ă leur fusion. Un obstacle, ça sâĂ©vite, ou ça se dĂ©truit. Ou ça se jette dans la Seine ou dans le vide.
On parle de « prĂ©mĂ©ditation ». On apprendra plus tard peut-ĂȘtre jusquâĂ quel point. Pour lâinstant, je crois que ce qui a Ă©tĂ© prĂ©mĂ©ditĂ©, câest surtout lâembuscade, le passage Ă tabac ou le rĂšglement de comptes. Ensuite, je veux bien croire que, pour se « dĂ©barrasser » du problĂšme, ou sous lâeffet de la colĂšre, et parce-que lâendroit sây « prĂȘtait, quâAlisha a « fini » dans la Seine. Dans un autre endroit, dans un parc, par exemple, loin dâun fleuve, Alisha ne serait peut-ĂȘtre pas morte de noyade. Mais peut-ĂȘtre dâune autre forme dâacharnement.
Une colĂšre et une tristesse aveugles qui viennent de loin :
Jâexplique cet acharnement des deux jeunes par une colĂšre et une tristesse â aveugles- qui viennent de loin. De plusieurs annĂ©es. Dâavant leur rencontre avec Alisha au lycĂ©e Cognac-Jay. Une colĂšre et une tristesse invisibles, indicibles, quâils portaient en eux depuis leur histoire personnelle.
Une colĂšre quâils ont « mutualisĂ©e » en fusionnant et, dont, la personne et le corps dâAlisha, sont devenus la cible. Je raisonne bien-sĂ»r en « psy Babou » ou en « psy de supermarchĂ© ». Je nâai pas de certitudes sur la façon dont ça sâest passĂ©. Je compose avec ce que j’ai attrapĂ© comme informations Ă droite, Ă gauche. Mais je sais que lorsque les mots Ă©chouent, les coups peuvent tuer.
Etre puissants :
Je crois, que, lorsquâils ont frappĂ©, les deux jeunes meurtriers, ont estimĂ© quâils leur fallait frapper fort et ĂȘtre « puissants » pour se guĂ©rir ou se libĂ©rer dâune offense ou dâune menace qui avait les traits dâAlisha.
Ensuite, aprĂšs le dĂ©ferlement ou la bouffĂ©e dâadrĂ©naline, est arrivĂ©e la redescente sur terre et la prise de conscience. Le : « Jâai fait une bĂȘtise ». Sauf que ce nâĂ©tait plus une bĂȘtise dâun enfant de cinq ans qui a cassĂ© la jolie tasse de maman ou de papa sous lâeffet de la colĂšre. Une tasse que lâon peut rĂ©parer, racheter ou oublier.
Non. CâĂ©tait une personne, cette fois, qui avait pris ou bu la tasse. AprĂšs avoir Ă©tĂ© tabassĂ©e. CâĂ©tait plus grave. Une bĂȘtise de « grand » : de quelquâun qui a grandi, qui a dĂ©sormais plutĂŽt une apparence et une force dâadulte mais qui, dans le fond, doit encore apprendre Ă devenir adulte et Ă se maitriser. A savoir faire la part des choses entre son intĂ©rieur et son extĂ©rieur. On a toute une vie pour apprendre ça. Sans prendre pour autant la vie des autres. Câest un travail difficile. Plein de personnes ne rĂ©ussissent pas Ă rĂ©aliser ce travail. Et, on ne touche pas de salaire pour lâeffectuer.
Une heure et quinze minutes :
Sous ce viaduc, aprĂšs avoir pris des photos et filmĂ©, aprĂšs avoir fait « le tour », dâun seul coup, je ne savais plus quoi faire de mes mains. CâĂ©tait le moment pour moi de partir. Je nâavais plus rien Ă faire lĂ .
Un peu plus tĂŽt, en arrivant et en mâapprochant des bouquets de fleurs, comme je lâai Ă©crit, je me suis senti seul. Et, jâai entendu un peu un titre de John Lee Hooker oĂč celui-ci confirme Ă quelquâun quâil est seul. Peut-ĂȘtre ce titre oĂč il chante Oh, Come back, Baby, Let’s Talk it Over⊠One More Time.
On trouvera peut-ĂȘtre que jâen ai trop fait avec ce « fait divers » ( Alisha, 14 ans, morte dans la Seine ce 8 mars 2021, HarcĂšlement et rĂ©seaux sociaux : la dĂ©mocratisation et la sophistication des guillotines). Quâil mâobsĂšde par rapport Ă ma fille ou que je suis excessif. Ou, limite timbrĂ© et paranoĂŻaque. Mais, ce nâest pas grave. En tout et pour tout, cela mâa pris 1h15 pour faire lâaller et retour Ă pied jusquâĂ cet endroit.
Je ne vois pas en quoi donner 1h15 de mon temps pour cette marche mâa privĂ© de quoique ce soit. Je ne vois pas pourquoi passer 1H15 dans les rayons dâun supermarchĂ© ou pour regarder un Ă©niĂšme dvd ou pour zoner sur internet Ă la place aurait eu plus de valeur.
Je suis dĂ©solĂ© si je donne lâimpression dâĂȘtre morbide :
Mais si lâagonie dâAlisha jusquâĂ sa mort a sĂ»rement Ă©tĂ© longue, son passage Ă tabac puis son rejet dans la Seine a sĂ»rement pris beaucoup moins de temps quâune heure et quinze minutes.
En mâĂ©loignant du viaduc
En commençant Ă mâĂ©loigner du viaduc, ce qui devait arriver est arrivĂ© :
Je me suis mis Ă pleurer.
Mais je nâĂ©tais pas dĂ©truit. Jâai pensĂ© au navigateur Jean Le Cam lors du dernier VendĂ©e Globe. Lorsquâil avait compris, vers la fin de la course que son navire, endommagĂ©, aurait pu couler et, lui, mourir avec. Une fois arrivĂ© sain et sauf, Ă terre, il avait expliquĂ© sur le plateau tĂ©lĂ© que lâĂȘtre humain Ă©tait « bien fait ». Car, pleurer lui avait dâabord fait du bien. Ensuite, il sâĂ©tait repris.
Je me suis rapidement arrĂȘtĂ© de pleurer en mâĂ©loignant du viaduc.
Alors que je marchais dans la rue dâEpinay pour rentrer, la colĂšre que jâai ressentie, il mâa semblĂ© que rien ne pourrait lâarrĂȘter. Lorsque je suis comme ça, personne, jamais, Ă ce jour, nâest venu mâenquiquiner.
Une fois, chez moi, jâai jetĂ© mon masque anti-Covid, jâai changĂ© de chaussures et je me suis mis Ă Ă©crire.
Depuis, j’essaie aussi d’Ă©couter un album d’AgnĂšs Obel en me disant que cela ne peut que me faire du bien.
Franck Unimon, ce mardi 16 mars 2021.
4 rĂ©ponses sur « Marche jusqu’au viaduc »
[…] nâavais pas envie de zouker quand jâai Ă©critMarche jusqu’au viaduc . Câest sĂ»rement pour cela que jâai alors « oubliĂ© » de citer RĂ©tĂ© […]
[…] jours, un collĂšgue habitant aussi dans ma ville, a un moment fait allusion Ă la mort dâAlisha ( Marche jusqu’au viaduc). Mais câĂ©tait pour lui un Ă©vĂ©nement comme un autre. Il a vite occupĂ© ses pensĂ©es Ă tenir sa […]
[…] Alisha nâest pas remontĂ©e. Et, elle nâest pas rentrĂ©e. ( Marche jusqu’au viaduc) […]
[…] dâorigine antillaise, au conservatoire. CâĂ©tait en Avril ou Mai 2007. La jeune Alisha ( Marche jusqu’au viaduc )Ă©tait alors bĂ©bĂ© ou pas encore nĂ©e. Ses deux futurs camarades et meurtriers qui , […]