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Marche jusqu’au viaduc

 

                                           Marche jusqu’au viaduc

Elles ont probablement pris le bus 361. On peut le trouver Ă  la gare d’Argenteuil d’oĂč il part. C’est Ă  une dizaine de minutes, en marchant bien, depuis le lycĂ©e Cognac-Jay.

 

Si elles sont parties du lycĂ©e, elles ont peut-ĂȘtre mĂȘme pris le bus depuis le centre-ville d’Argenteuil, avenue Gabriel PĂ©ri, pour aller jusqu’à la gare. Et puis, attendre et prendre le bus 361 ensuite jusqu’à l’arrĂȘt BelvĂ©dĂšre. LĂ  oĂč Argenteuil se rapproche de la ville d’Epinay sur Seine.

L’arrĂȘt ” BelvĂ©dĂšre” du bus 361 oĂč Alisha est peut-ĂȘtre descendue avec sa camarade, le 8 mars.

 

 

En partant depuis la gare d’Argenteuil jusqu’à l’arrĂȘt BelvĂ©dĂšre, prĂšs du viaduc qui passe sous l’autoroute A15,  en bus, cela doit prendre une dizaine de minutes.

 

Ce trajet peut mĂȘme se faire Ă  pied. C’est ce que je viens de faire, ce matin, aprĂšs avoir emmenĂ© ma fille Ă  l’école. MĂȘme si le bus 361 a un arrĂȘt prĂšs de chez nous.

 

Intérieur-Extérieur

 

Il y a quelques nuits, au travail, j’ai eu un moment de dĂ©prime, en sourdine, venu sans prĂ©venir. C’est passĂ©. Personne n’a rien vu. Ni au travail. Ni chez moi. Je suis comme beaucoup de monde : j’ai un extĂ©rieur. Et un intĂ©rieur. Entre les deux, je filtre. Je fais le tri entre ce que je choisis de montrer et d’exprimer selon le moment, selon l’interlocuteur que j’ai en face de moi, selon la situation, et, bien-sĂ»r, selon la gravitĂ© que j’attribue Ă  ce que je ressens ou pense.

 

Une histoire de confiance

 

Bien-sĂ»r, il y a aussi une histoire de confiance. Certaines personnes se racontent facilement voire Ă  n’importe qui par la voire orale. Je dirais que je sĂ©lectionne assez strictement celles et ceux Ă  qui je me confie.  Mais, aussi, que je n’aime pas inquiĂ©ter mon entourage d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale. Des coups durs et des contrariĂ©tĂ©s, on peut en vivre Ă  peu prĂšs tous les jours.

 

Apprendre Ă  encaisser et Ă  esquiver

 

Pour vivre, Il faut donc, aussi, apprendre Ă  encaisser et Ă  esquiver. Mais, aussi, Ă   alerter des personnes ad hoc, ou qui l’on peut, lorsque cela devient vraiment nĂ©cessaire.

 

S’il est certaines menaces et certains dangers que l’on ignore ou que l’on nĂ©glige, il est, aussi, trop de fausses urgences ou trop de fois oĂč l’on va brasser beaucoup de forces pour presque rien. On me dira : mieux vaut prĂ©venir que guĂ©rir. Bien-sĂ»r. Mais ça peut-ĂȘtre utile, aussi, pour d’autres qui peuvent vĂ©ritablement en avoir besoin, d’apprendre soi-mĂȘme la diffĂ©rence entre une vraie urgence et ce qui l’est moins.

 

Le mĂȘme pĂšre

 

A mon travail, donc, il y a quelques jours, personne n’a su, je crois, que j’ai eu un petit passage Ă  vide. A la maison, non plus, pour les mĂȘmes raisons. Ce matin, je suis restĂ© le mĂȘme pĂšre qui engueule sa fille avant de l’emmener Ă  l’école parce qu’elle traĂźnait. Alors que j’avais tout prĂ©parĂ© avec elle une bonne vingtaine de minutes plus tĂŽt pour Ă©viter ce genre de situation. Lors du trajet vers l’Ă©cole, aprĂšs quelques minutes de marche, ma fille a mis sa main dans la mienne. Bien-sĂ»r, je l’ai prise. Il arrivera un jour oĂč nous ne nous donnerons plus la main, elle et moi. D’ici lĂ , j’espĂšre ĂȘtre parvenu Ă  lui apprendre ce qu’est une vraie urgence, mais aussi Ă  se dĂ©fendre et Ă  avoir confiance en elle.

 

Si Alisha, ce 8 mars 2021
.

 

 

Si Alisha Khalid, ce 8 mars 2021, avait effectuĂ© le trajet jusqu’au viaduc en marchant, j’ai envie de croire que sa mort aurait pu ĂȘtre esquivĂ©e. 

Ce trajet jusqu’au viaduc oĂč elle a Ă©tĂ© tabassĂ©e puis d’oĂč elle a Ă©tĂ© jetĂ©e dans la Seine, je viens de le faire Ă  pied Ă  l’aller comme au retour. Bien-sĂ»r, lĂ -bas, personne ne m’attendait pour me faire la peau ou me foutre le feu.

 

A l’aller, comme j’avais du mal Ă  situer oĂč ça se trouvait, j’ai dĂ» demander mon chemin Ă  plusieurs personnes.

 

 

14 ans

 

En Mai, cela fera 14 ans que j’habite dans cette ville. Pourtant, je ne m’étais jamais rendu Ă  cet endroit.

 

Il y a 14 ans, Alisha venait Ă  peine de naĂźtre. Ses deux meurtriers avaient un an tout au plus. Cela nous rappelle qu’il s’en passe du temps, avant de devenir meurtrier. Dans mon premier article ( Alisha, 14 ans, morte dans la Seine ce 8 mars 2021), j’ai Ă©crit que « trois Â» personnes avaient tuĂ© Alisha. Deux garçons et une fille. J’ai dĂ» mal comprendre ou peut-ĂȘtre que c’est une information qui a au dĂ©but circulĂ©. 

J’ai dĂ©cidĂ© de laisser cette erreur dans cet article.

 

Deux visages

 

Cette erreur de « rĂ©cit Â» ne change rien : Alisha est morte aprĂšs s’ĂȘtre faite piĂ©gĂ©e. On peut aussi se dire que le garçon qui l’a frappĂ© avait, comme nous tous (femmes ou hommes), au moins deux visages. Celui, le plus connu, du garçon tranquille et “sans histoire” ( qu’est-ce que ça veut dire, “ĂȘtre sans histoire” ? Nous avons tous une histoire). Et,  ce 8 mars 2021, celui de l’agresseur qui a attendu sa victime qui lui a Ă©tĂ© apportĂ©e en sacrifice sur un plateau. 

 

On peut bien-sĂ»r avoir deux visages, un visage public et un visage plus intime ou plus secret, sans ĂȘtre pour autant un meurtrier ou un criminel.

 

Mais il se trouve que pour Alisha, le deuxiĂšme visage de ce  jeune garçon et de sa complice, a Ă©tĂ© celui, le 8 mars 2021, de deux meurtriers.

 

 

Erreur de rĂ©cit et nombre d’agresseurs

 

 

Cette erreur de rĂ©cit concernant le nombre d’agresseurs d’Alisha ne change rien :

 

Lorsque des événements subits nous arrivent, nous recomposons et interprétons partiellement, difficilement, et souvent avec des erreurs, les informations que nous recevons.

Parce qu’émotionnellement et intellectuellement, nous sommes limitĂ©s et qu’il nous faut un temps plus ou moins long pour nous ajuster Ă  l’évĂ©nement. Pour bien et mieux comprendre. Lorsque nous sommes capables de bien reconstituer le puzzle :

Le trauma et la perte d’un ĂȘtre proche – ou non- peuvent nous empĂȘcher de « comprendre Â» et de reconstituer le puzzle des Ă©vĂ©nements.

 

 

Contributions Ă  la rĂ©ussite du/d’un crime :

 

Le 8 mars,  le trajet en bus- s’il a eu lieu– a contribuĂ© Ă  la rĂ©ussite du crime. Pour la rapiditĂ© du trajet. Car il aurait fallu environ trente minutes, Ă  pied, pour aller jusqu’au viaduc depuis la gare d’Argenteuil. Et un peu plus depuis le lycĂ©e. Tout dĂ©pend bien-sĂ»r de lĂ  oĂč elles sont parties et de lĂ  oĂč elles se sont rencontrĂ©es pour aller “ensemble” jusqu’au viaduc. 

 

En trente minutes, il faut pouvoir tenir son rĂŽle afin d’endormir la vigilance de la future victime. La complice du jeune agresseur et co-meurtrier avait peut-ĂȘtre la capacitĂ© Ă  faire bonne figure. Mais, en trente minutes, on peut, un peu plus facilement Ă  un moment ou Ă  un autre, instinctivement sentir que quelque chose « cloche Â» dans l’attitude de la personne qui nous accompagne.

 

A ce moment-lĂ , ce qui permet, ou non, la suite du scĂ©nario jusqu’à la mort, c’est peut-ĂȘtre l’optimisme,l’incrĂ©dulitĂ© ou la naĂŻvetĂ© de la victime. Mais, sĂ»rement, d’abord, le sentiment de confiance que la victime ressentait vis-Ă -vis de celle qui l’accompagnait. Ce sentiment de confiance a suffisamment pris le dessus sur les Ă©ventuels doutes que la victime ( Alisha, ici) a pu avoir Ă  un moment donnĂ©, lors du trajet.

Car elle « connaissait Â» celle qui l’accompagnait. Et, Ă  ce que j’ai appris, les lieux oĂč elles se sont rendues toutes les deux Ă©taient pour elle des lieux familiers qui entretiennent aussi la confiance.

 

Le sentiment de confiance :

 

 

Je pourrais ĂȘtre le pĂšre ou l’éducateur de ces trois jeunes, d’Alisha, et des deux meurtriers. Je suis un homme plutĂŽt en bonne santĂ© et que l’on dĂ©crit plutĂŽt comme une personne que, spontanĂ©ment, on ne va pas aller provoquer ou menacer dans la rue. Mais je suis aussi un trouillard. J’ai aussi Ă©tĂ© un ado. Et, je sais qu’ado, on aime bien avoir ses coins Ă  soi, avec des personnes de notre Ăąge, Ă  l’écart des adultes oĂč l’on fait notre vie : on y a notre intimitĂ© avec des gens de notre Ăąge ou Ă  peu prĂšs. 

 

Je suis incapable de dire, si, ado, j’aurais pu me rendre lĂ  oĂč Alisha et l’autre jeune fille se sont rendues ensemble ce 8 mars. Par contre, en m’y rendant tout Ă  l’heure pour la premiĂšre fois lĂ , je me suis dit qu’il fallait vraiment se sentir en confiance pour y aller. MĂȘme en plein jour.

 

Il faut passer Ă  droite pour rejoindre les berges de Seine. C’est par lĂ  que j’ai vu descendre un cycliste alors que j’arrivais.

 

 

 

 

MĂȘme si, avant de m’engager dans cet endroit, j’ai vu passer un cycliste qui semblait un habituĂ© de ce trajet.

 

Vers les berges de Seine en descendant.

 

 

Ce que l’on voit derriĂšre soi, quand on se retourne, quand on descend vers les berges de Seine.

 

 

 

 

On peut sĂ»rement passer de trĂšs bons moments et avoir de bons souvenirs ici. Mais ça fait aussi un peu “coupe-gorge”, non ? Et lorsque ces photos ont Ă©tĂ© prises, nous Ă©tions en plein jour ce mardi matin entre 9h et 9h30.

 

En sortant du petit tunnel.

 

 

Je n’ai pas compris tout de suite, en apercevant ce graf’ sur le viaduc qu’il concernait Alisha.

 

LĂ , non plus, je n’avais pas encore dĂ©chiffrĂ© le prĂ©nom d’Alisha. On peut me trouver Te-bĂȘ, mais il faut bien comprendre que je dĂ©couvrais l’endroit dans des circonstances Ă©motionnelles particuliĂšres. Le lieu est loin d’ĂȘtre paradisiaque et a plus eu tendance Ă  mobiliser ma vigilance que mes facultĂ©s pour le dĂ©cryptage et la mĂ©ditation.

 

Les bouquets de fleurs m’ont aidĂ© Ă  voir.

 

 En bas du viaduc, devant les fleurs posĂ©es en mĂ©moire d’Alisha, j’ai ensuite croisĂ© un jogger, qui, en s’approchant, avec ses baskets de la marque Hoka, et en apercevant ces fleurs, a d’abord secouĂ© la tĂȘte en signe de dĂ©sapprobation puis s’est dĂ©tendu pour me rĂ©pondre :

 

La direction prise par le cycliste vers St-Denis. Le jogger a pris la direction inverse. Vers moi. Le viaduc est alors pratiquement derriĂšre moi.

 

De lĂ  d’oĂč il venait, le long de la Seine, on pouvait aller loin. Jusqu’à la ville de Saint-Denis ! Et, selon lui, le chemin dans cette direction Ă©tait meilleur pour faire des footing. Puis, il est reparti sans peine.

 

Meurtres glaçants :

Ce matin, avant d’emmener ma fille Ă  l’école, j’ai essayĂ© de trouver de nouvelles informations. Car j’avais vraiment du mal Ă  « voir Â» oĂč pouvait bien se trouver ce viaduc !

 

Tout ce que j’ai pu trouver comme article remontait Ă  dimanche. Le 14 mars. Il y a deux jours. J’ai compris que pour les mĂ©dia, l’essentiel avait Ă©tĂ© fait. Couvrir l’évĂ©nement jusqu’à la marche blanche. Figer les informations. Puis, passer Ă  d’autres sujets. Comme d’autres fois. Comme images ou photos du Viaduc, je trouvais toujours les mĂȘmes. Mais rien pour m’indiquer prĂ©cisĂ©ment oĂč cela se trouvait.

 

Du meurtre, on l’a dĂ©crit comme « glaçant Â». MĂȘme le journaliste Harry Roselmack a employĂ© ce terme. C’était il y a quelques jours. Oui, ce meurtre est « glaçant Â». Parce qu’il a fini dans la Seine, dans la noyade et dans le sang.

 

Mais on parle beaucoup moins de tous ces meurtres, sans traces de sang,  sans scĂšne de crime, bien mieux prĂ©mĂ©ditĂ©s, oĂč l’on licencie des personnes par centaines et par milliers pour assurer Ă  des actionnaires et Ă  des privilĂ©giĂ©s leur marge de profit annuelle.

 

 

Cela n’a rien Ă  voir avec le meurtre d’Alisha, vraiment ?!

 

Il s’agit pourtant de meurtres d’autant plus « glaçants Â» qu’ils sont routiniers et invisibles. Parlez-en aux proches de celles et ceux qui se font licencier. Ou aux personnes licenciĂ©es. Expliquez-leur que tout va bien pour elles et eux. Qu’ils n’ont pas Ă©tĂ© piĂ©gĂ©s. Que, personne, n’a endormi leur vigilance. Que, eux, au moins, ils sont vivants. Et qu’ils peuvent rebondir.

Pendant qu’on nous montre, et c’est normal, ce meurtre d’Alisha, on passe sous silence, tous ces meurtres de notre vie quotidienne, que nous subissons et acceptons en bons citoyens Ă©duquĂ©s, civilisĂ©s, apeurĂ©s et dĂ©sarmĂ©s.

 

Photo prise “derriĂšre” le graf. Depuis lĂ , oĂč, vraisemblablement, Alisha a Ă©tĂ© frappĂ©e puis jetĂ©e dans la Seine. J’ai dĂ» rester lĂ  deux Ă  trois minutes. Pas plus. C’est de lĂ  que j’ai aperçu le “foyer” du SDF, sur la droite. Mais je ne l’ai pas vu. Le sentiment dominant que j’ai alors ressenti a Ă©tĂ© la peur. La peur du vide.

 

 

Rebondir

 

 Je ne supporte pas ce terme prĂ©mĂąchĂ© et formolĂ©.” Rebondir”….telle une balle de tennis Ă  Roland-Garros.

 

Mais, Alisha, c’est certain, n’a pas pu rebondir le 8 mars. Une fois sur place, tout Ă  l’heure, lĂ  oĂč sa vie s’est terminĂ©e, je me suis d’abord senti subitement seul ( avant de passer “derriĂšre” le graf et le bĂ©ton).  On ne rĂ©agit pas tous avec la mĂȘme luciditĂ© ni avec la mĂȘme combattivitĂ© lorsque l’on se sent subitement seul. Quel que soit l’endroit, le moment ou les personnes avec lesquelles on se trouve.

 

Sur le papier, en thĂ©orie, ou lorsque l’on se sait entourĂ© de personnes de confiance solides et fortes, on peut peut-ĂȘtre se reposer sur elles ou s’inspirer de leur exemple. Mais, lorsque c’est tout le contraire. Et que l’on est vĂ©ritablement, et soudainement seul, face Ă  soi-mĂȘme. Et que toutes les apparences, tous les maquillages et tous les mensonges- les nĂŽtres et ceux de nos agresseurs- qui nous prĂ©servent et nous dissimulent disparaissent d’un seul coup, comment fait-on ?

 

Il fallait vraiment se sentir en confiance, ĂȘtre un(e)  habituĂ©(e) de l’endroit ou avoir des intentions pacifiques pour ne pas se sentir menacĂ© sous cette autoroute.

 

J’ai vu ce qui Ă©tait sans doute le « domicile Â» du SDF qui se trouve prĂšs de lĂ  oĂč Alisha a Ă©tĂ© passĂ©e Ă  tabac. J’ai vu, je crois, les traces de sang que le SDF a dĂ©signĂ©es quand il a tĂ©moignĂ©. J’avais vu la vidĂ©o de son tĂ©moignage sur le net.

 

Je ne l’ai pas rencontrĂ©. Mais j’ai vu ses paires de chaussures, l’amĂ©nagement de son lieu de vie. J’ai mĂȘme vu sa paire de gants de boxes accrochĂ©e. J’aurais voulu discuter un peu avec lui. Savoir comment on fait pour continuer de vivre aprĂšs « Ă§a Â». Mais aussi, le connaĂźtre un peu. ConnaĂźtre sa vie. Ce qui l’a amenĂ© jusqu’à venir vivre ici. Cependant, je n’insisterai pas car je n’ai pas envie de l’enquiquiner ou de faire le voyeur. Et, c’est pour ces raisons que je ne montre pas de photos de son « foyer Â» ou des traces de sang supposĂ©es d’Alisha sur le sol.

 

Biographie brĂšve des deux jeunes meurtriers :

 

 

A ce que j’ai compris un peu de la biographie des deux jeunes meurtriers, ceux-ci ont en commun de ne pas avoir connu leur pĂšre. Ou de l’avoir perdu. Alisha Ă©tait tout le contraire : c’était, Ă  entendre une partie du discours de sa mĂšre, une adolescente heureuse dans une famille plutĂŽt unie, avec un pĂšre, et une bonne Ă©lĂšve. Elle Ă©tait aussi jolie.

 

« Le Â» meurtrier, lui, n’a pas connu son pĂšre et avait beaucoup d’absentĂ©isme scolaire. MĂȘme si, une fois Ă  l’école, il semblait plutĂŽt content et dans le coup d’un point de vue scolaire d’aprĂšs le tĂ©moignage de sa mĂšre. Ses absences scolaires semblaient principalement dues au fait qu’il jouait beaucoup aux jeux vidĂ©os. Mais bien d’autres jeunes qui prĂ©fĂšrent passer leur temps devant des jeux vidĂ©os, au lieu d’aller Ă  l’école, ne deviennent pas des meurtriers.

 

« L’autre Â» meurtriĂšre, j’ai oubliĂ©, si elle Ă©tait bonne Ă©lĂšve. Mais elle Ă©tait aussi sans pĂšre. C’est aussi une jolie fille, apparemment, et celle qui est devenue la petite amie du « meurtrier Â». AprĂšs qu’Alisha ait eu une histoire amoureuse « d’une semaine Â» avec lui.

 

D’aprĂšs ce que j’ai « lu Â» ou « entendu Â» en glanant sur le net, j’en dĂ©duis que le tandem qui a tuĂ© Alisha Ă©tait fusionnel.

 

 

Devant l’obstacle : prĂ©mĂ©ditation et acharnement

 

 

A un moment donnĂ©, Alisha, pour eux, a sans doute pris l’apparence de celle qui pouvait devenir un obstacle Ă  leur fusion. Un obstacle, ça s’évite, ou ça se dĂ©truit. Ou ça se jette dans la Seine ou dans le vide.

 

On parle de « prĂ©mĂ©ditation Â». On apprendra plus tard peut-ĂȘtre jusqu’à quel point. Pour l’instant, je crois que ce qui a Ă©tĂ© prĂ©mĂ©ditĂ©, c’est surtout l’embuscade, le passage Ă  tabac ou le rĂšglement de comptes. Ensuite, je veux bien croire que, pour se « dĂ©barrasser Â» du problĂšme, ou sous l’effet de la colĂšre, et parce-que l’endroit s’y « prĂȘtait, qu’Alisha a « fini Â» dans la Seine. Dans un autre endroit, dans un parc, par exemple, loin d’un fleuve, Alisha ne serait peut-ĂȘtre pas morte de noyade. Mais peut-ĂȘtre d’une autre forme d’acharnement.

 

 

Une colĂšre et une tristesse aveugles qui viennent de loin :

 

J’explique cet acharnement des deux jeunes par une colĂšre et une tristesse – aveugles- qui viennent de loin. De plusieurs annĂ©es. D’avant leur rencontre avec Alisha au lycĂ©e Cognac-Jay. Une colĂšre et une tristesse invisibles, indicibles, qu’ils portaient en eux depuis leur histoire personnelle.

 

Une colĂšre qu’ils ont « mutualisĂ©e Â» en fusionnant et, dont, la personne et le corps d’Alisha, sont devenus la cible. Je raisonne bien-sĂ»r en « psy Babou Â»  ou en “psy de supermarchĂ© Â».  Je n’ai pas de certitudes sur la façon dont ça s’est passĂ©. Je compose avec ce que j’ai attrapĂ© comme informations Ă  droite, Ă  gauche. Mais je sais que lorsque les mots Ă©chouent, les coups peuvent tuer.

 

 

Etre puissants :

Je crois, que, lorsqu’ils ont frappĂ©, les deux jeunes meurtriers, ont estimĂ© qu’ils leur fallait frapper fort et ĂȘtre « puissants Â» pour se guĂ©rir ou se libĂ©rer d’une offense ou d’une menace qui avait les traits d’Alisha.

 

Ensuite, aprĂšs le dĂ©ferlement ou la bouffĂ©e d’adrĂ©naline, est arrivĂ©e la redescente sur terre et la prise de conscience. Le : «  J’ai fait une bĂȘtise Â». Sauf que ce n’était plus une bĂȘtise d’un enfant de cinq ans qui a cassĂ© la jolie tasse de maman ou de papa sous l’effet de la colĂšre. Une tasse que l’on peut rĂ©parer, racheter ou oublier.

 

Non. C’était une personne, cette fois, qui avait pris ou bu la tasse. AprĂšs avoir Ă©tĂ© tabassĂ©e. C’était plus grave. Une bĂȘtise de « grand Â» : de quelqu’un qui a grandi, qui a dĂ©sormais plutĂŽt une apparence et une force d’adulte mais qui, dans le fond, doit encore apprendre Ă  devenir adulte et Ă  se maitriser. A savoir faire la part des choses entre son intĂ©rieur et son extĂ©rieur. On a toute une vie pour apprendre ça. Sans prendre pour autant la vie des autres. C’est un travail difficile. Plein de personnes ne rĂ©ussissent pas Ă  rĂ©aliser ce travail. Et, on ne touche pas de salaire pour l’effectuer.

 

Une heure et quinze minutes :

 

 

Sous ce viaduc, aprĂšs avoir pris des photos et filmĂ©, aprĂšs avoir fait « le tour Â», d’un seul coup, je ne savais plus quoi faire de mes mains. C’était le moment pour moi de partir. Je n’avais plus rien Ă  faire lĂ .

 

Un peu plus tĂŽt, en arrivant et en m’approchant des bouquets de fleurs, comme je l’ai Ă©crit, je me suis senti seul. Et, j’ai entendu un peu un titre de John Lee Hooker oĂč celui-ci confirme Ă  quelqu’un qu’il est seul. Peut-ĂȘtre ce titre oĂč il chante Oh, Come back, Baby, Let’s Talk it Over
 One More Time.

 

On trouvera peut-ĂȘtre que j’en ai trop fait avec ce « fait divers Â» ( Alisha, 14 ans, morte dans la Seine ce 8 mars 2021HarcĂšlement et rĂ©seaux sociaux : la dĂ©mocratisation et la sophistication des guillotines). Qu’il m’obsĂšde par rapport Ă  ma fille  ou que je suis excessif. Ou, limite timbrĂ© et paranoĂŻaque. Mais, ce n’est pas grave. En tout et pour tout, cela m’a pris 1h15 pour faire l’aller et retour Ă  pied jusqu’à cet endroit.

 

Je ne vois pas en quoi donner 1h15 de mon temps pour cette marche m’a privĂ© de quoique ce soit. Je ne vois pas pourquoi passer 1H15 dans les rayons d’un supermarchĂ© ou pour regarder un Ă©niĂšme dvd ou pour zoner sur internet Ă  la place aurait eu plus de valeur.   

 

Je suis dĂ©solĂ© si je donne l’impression d’ĂȘtre morbide :

 

Mais si l’agonie d’Alisha jusqu’à sa mort a sĂ»rement Ă©tĂ© longue, son passage Ă  tabac puis son rejet dans la Seine a sĂ»rement pris beaucoup moins de temps qu’une heure et quinze minutes.

 

 

 

En m’éloignant du viaduc

En commençant Ă  m’éloigner du viaduc, ce qui devait arriver est arrivĂ© :

 

Je me suis mis Ă  pleurer.

 

 

Mais je n’étais pas dĂ©truit. J’ai pensĂ© au navigateur Jean Le Cam lors du dernier VendĂ©e Globe. Lorsqu’il avait compris, vers la fin de la course que son navire, endommagĂ©, aurait pu couler et, lui, mourir avec. Une fois arrivĂ© sain et sauf, Ă  terre, il avait expliquĂ© sur le plateau tĂ©lĂ© que l’ĂȘtre humain Ă©tait « bien fait Â». Car, pleurer lui avait d’abord fait du bien. Ensuite, il s’était repris.

 

Je me suis rapidement arrĂȘtĂ© de pleurer en m’éloignant du viaduc.

 

Alors que je marchais dans la rue d’Epinay pour rentrer, la colĂšre que j’ai ressentie, il m’a semblĂ© que rien ne pourrait l’arrĂȘter. Lorsque je suis comme ça, personne, jamais, Ă  ce jour, n’est venu m’enquiquiner.

 

Une fois, chez moi, j’ai jetĂ© mon masque anti-Covid, j’ai changĂ© de chaussures et je me suis mis Ă  Ă©crire.

 

Depuis, j’essaie aussi d’Ă©couter  un album d’AgnĂšs Obel en me disant que cela ne peut que me faire du bien. 

 

Franck Unimon, ce mardi 16 mars 2021.

 

 

 

4 rĂ©ponses sur « Marche jusqu’au viaduc »

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