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Alisha, 14 ans, morte dans la Seine ce 8 mars 2021

 

Alisha, 14 ans, morte dans la Seine ce 8 mars 2021

Aujourd’hui, dimanche 14 mars 2021, Ă  14 heures, une marche partira du LycĂ©e professionnel Cognac-Jay, oĂč elle Ă©tait scolarisĂ©e. La jeune Alisha, 14 ans, a Ă©tĂ© tuĂ©e par trois de ses camarades ce 8 mars 2021. JournĂ©e de la Femme.

 

Depuis des annĂ©es, une femme meurt tous les trois jours en France sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint. Ce chiffre est rappelĂ© dans le podcast oĂč la journaliste LĂ©a SalamĂ© interroge la colonelle de gendarmerie, Karine Lejeune. Un podcast rĂ©alisĂ© pour France Inter ce 2 janvier 2021. Deux mois avant la mort d’Alisha et d’autres.

 

A 14 ans, on pourrait dire qu’Alisha n’était pas encore une femme. Mais, pour ce que j’ai lu des Ă©vĂ©nements, c’est bien au moins dans un contexte passionnel, mĂȘme si l’acte a Ă©tĂ© prĂ©mĂ©ditĂ©, qu’elle est morte. Trois personnes l’ont tuĂ©e. Une jeune de son Ăąge qui l’a emmenĂ©e sur les lieux de l’embuscade. Et deux garçons qui « l’attendaient Â». Dont son ex-petit ami, si j’ai bien compris.

 

Cela s’est passĂ© Ă  Argenteuil, ville oĂč j’habite. Et je situe bien oĂč se trouve le lycĂ©e Cognac-Jay. Pour tout « arranger Â», un de mes proches, adulte, a connu l’auteur principal de l’homicide. Donc, tout cela me touche d’autant plus personnellement.

 

Je ne pourrai pas rejoindre la marche pour Alisha tout Ă  l’heure. J’ai travaillĂ© cette nuit. Je reprends le travail cette nuit. Et, Ă  14 heures, je me reposerai. Provisoirement. Contrairement Ă  Alisha dont le repos est dĂ©finitif.

 

Par contre, je peux Ă©crire. Pour elle, pour les autres. Et toujours pour moi.

 

Je tiens Ă  le prĂ©ciser tout de suite :

 

Je ne suis pas fĂ©ministe. Je le prĂ©cise parce-que, aujourd’hui, Ă  moins d’ĂȘtre un intĂ©griste d’une certaine religion, je trouve que c’est trĂšs facile de se dire « fĂ©ministe Â». Comme c’est trĂšs facile, aussi, de se dire « pour le mariage gay Â». C’est Ă  la mode. C’est comme, pour un homme,  aujourd’hui, porter une boucle d’oreille ou avoir le crĂąne rasĂ©. C’est trĂšs facile, en France. En plus, ça permet de donner de soi une belle image : celle d’une personne cool, tolĂ©rante et « évoluĂ©e », bien de son temps.

C’est trĂšs important tout ça, de donner de soi, une belle image. D’ĂȘtre « branché ». d’ĂȘtre « dans le coup ». D’ĂȘtre un adepte et un pratiquant de la Nouvelle norme. AprĂšs…la Nouvelle Vague….

 

Je ne rĂ©agis donc pas en tant que « fĂ©ministe Â» dans cet article. Mais en tant que personne. Car je suis une personne. Comme Alisha en Ă©tait et en reste une.

 

Dans les quelques commentaires que j’ai pu lire et entendre Ă  la tĂ©lĂ© Ă  propos des conditions de sa mort, l’adjectif « glaçant Â» a Ă©tĂ© utilisĂ©. Oui, la description du dĂ©roulement de son homicide est glaçante. Je n’arrive pas encore Ă  bien cerner d’oĂč, exactement, Alisha, a Ă©tĂ© balancĂ©e dans le vide. Mais si j’y parviens, je me suis dit que je m’y rendrais. En attendant, ce qui est « glaçant Â», pour moi, c’est d’imaginer ce moment oĂč ses meurtriers ont dĂ©cidĂ© de la soulever du sol, aprĂšs l’avoir tabassĂ©e, pour la faire passer par dessus le pont. Il en faut de la dĂ©termination pour cela. Et, qu’est-ce que cela a dĂ» ĂȘtre effroyable comme passage de la vie Ă  la mort pour Alisha.

 

C’est une sorte de frisson et de colĂšre que je ressens. Frisson et colĂšre pour cette impuissance intraitable qu’elle a dĂ» ressentir face Ă  cette mort vers laquelle cette ultime rencontre l’a conduite. Elle qui, apparemment, avait Ă©conduit l’un des auteurs de sa mort. J’ai tendance Ă  croire que l’effet de groupe a – encore- jouĂ©. Seul, ce jeune garçon, mĂȘme en colĂšre, n’aurait sans doute pas osĂ© aller aussi loin. Une nouvelle fois, la dĂ©termination, la supĂ©rioritĂ© numĂ©rique, en plus de la supĂ©rioritĂ© physique et de l’effet de surprise l’a emportĂ© sur la raison. On peut ĂȘtre plusieurs Ă  penser la mĂȘme chose- et Ă  la rĂ©aliser- et Ă  ĂȘtre plus que cons ! Plusieurs annĂ©es aprĂšs sa mort, d’un cancer, Desproges continue d’avoir raison.

 

 

Vers la fin du podcast oĂč LĂ©a SalamĂ© interroge la colonelle Karine Lejeune, fille et petite fille de gendarme, il est aussi Ă©voquĂ© le travail colossal rĂ©alisĂ© par celle-ci pour combattre les violences faites aux femmes. On doit Ă  la colonelle Karine Lejeune, ainsi qu’à une autre personne (une autre femme), le premier recensement des violences faites aux femmes en France. Recensement qui date de 2006. RĂ©sultat d’un travail consĂ©quent obtenu en sollicitant les services de police et de gendarmerie de France.

 

A Ă©couter les deux femmes, ce chiffre d’une femme tuĂ©e tous les trois jours reste stable depuis qu’il a Ă©tĂ© trouvĂ© en 2006. Il y a 15 ans. Est-ce dĂ©sespĂ©rant ? La colonelle Lejeune explique que, malgrĂ© tout, non. Car, depuis, des campagnes de prĂ©vention rĂ©pĂ©tĂ©es rappellent et rendent public tel numĂ©ro d’urgence. Mais, aussi, que les services de police et de gendarmerie sont disponibles. Entre-temps, petit Ă  petit le personnel masculin- fĂ©minin ?- des forces de police et de gendarmerie commence Ă  ĂȘtre sensibilisĂ© au sujet. MĂȘme si c’est toute la sociĂ©tĂ© qui doit l’ĂȘtre est-il rappelĂ© dans le podcast.

 

En effet, le thĂšme du podcast « Des femmes puissantes Â» reste un sujet animĂ© par une femme- la journaliste LĂ©a SalamĂ©- lĂ  oĂč il faudrait que l’on trouve plus souvent des hommes. Ceci reste une constante aussi lorsque l’on parle d’ouvrages littĂ©raires ou autres Ă©crits par des femmes oĂč il est question d’abus ou de violences faites aux femmes par des hommes. Dans le magazine TĂ©lĂ©rama, par exemple, c’est une journaliste qui a parlĂ© de l’ouvrage de Camille Kouchner qui relate un inceste dans sa famille. Inceste subi par son frĂšre ou son cousin, donc un garçon. Sauf que c’est, elle, Camille Kouchner, une femme, qui raconte le vif de l’histoire. Comme si le sujet ne concernait ou ne pouvait concerner….que des femmes, journalistes, tĂ©moins ou victimes.

 

Cependant, un autre point continue de m’inquiĂ©ter concernant les violences d’une façon gĂ©nĂ©rale :

 

Vers la toute fin du podcast, LĂ©a SalamĂ© nous informe que depuis dix ans, les violences envers les forces de police et de gendarmerie ont augmentĂ© de « 80% Â». On remarquera au passage- mĂȘme si cela ne change rien- que les termes « forces de police et de gendarmerie » sont des termes…fĂ©minins.

LĂ©a SalamĂ© interroge la colonelle Karine Lejeune sur ce chiffre de « 80% ». A-t’elle une explication Ă  ce sujet ? ( on aimerait tous que notre salaire, par exemple, ces dix derniĂšres annĂ©es, ait connu une telle augmentation, non ?). 

 

Un peu plus tĂŽt, la colonelle avait condamnĂ© toute bavure Ă©manant d’un reprĂ©sentant de la Loi, policier ou gendarme. Et, elle avait critiquĂ© le fait que, trop souvent, le grand public amalgame le comportement de quelques policiers et de quelques gendarmes trop violents avec tout le corps de la gendarmerie et de la police. Par consĂ©quent, la Colonelle Karine Lejeune est contre ce terme de « violences Â» ou de « bavures»  policiĂšres qu’elle trouve trop rĂ©ducteur.

 

On peut la soupçonner un petit peu de dĂ©magogie ou de langue de bois dans un pays, oĂč, lors de la remise de son CĂ©sar de meilleur Espoir masculin il y a quelques jours, Jean-Pascal Zadi, rĂ©alisateur et acteur dans son dernier film Tout simplement Noir) cite les affaires Adama TraorĂ© et Michel Zecler dans son discours de remerciement. Pourtant, je crois encore, aussi, comme la Colonelle, que tout n’est pas noir dans la police comme dans la gendarmerie de France.

 

Ce qui m’a plus dĂ©rangĂ©, par contre, c’est cette rĂ©ponse de la colonelle Karine Lejeune, Ă  propos de son explication de cette augmentation des faits de violence ( « 80% Â») des citoyens envers les forces de police et de gendarmerie ces dix derniĂšres annĂ©es.

 

Aujourd’hui, la Colonelle Karine Lejeune incarne une certaine modernitĂ© dans la sociĂ©tĂ© française. C’est une femme hautement gradĂ©e au sein de la gendarmerie nationale, majoritairement composĂ©e d’hommes. Et, elle raconte une anecdote avantageuse pour elle Ă  propos d’un de ses anciens supĂ©rieurs, le « gĂ©nĂ©ral incongru », concernant certains propos sexistes au cours de sa carriĂšre.

 

  La Colonelle est aussi une femme « moderne Â»  dans sa propre vie personnelle : mariĂ©e et plusieurs fois mĂšre de famille, c’est son mari qui a pris un congĂ© parental  et mis en suspens sa carriĂšre professionnelle. Mais elle peut aussi ĂȘtre un peu coquette lorsqu’elle est en service, loin de cette image de la gendarme « hommasse Â» a priori.

 

 Pourtant, cette femme « moderne Â» a alors deux rĂ©ponses Ă  mon sens totalement archaĂŻques ou stĂ©rĂ©otypĂ©es. Bien-sĂ»r, personne n’est parfait, mĂȘme moderne, mais quand mĂȘme, ça dĂ©note :

 

D’abord, comme d’autres avant elle, Madame la Colonelle dĂ©plore le fait qu’aujourd’hui, l’uniforme de la police et de la gendarmerie ne fait plus peur. Je tiens Ă  prĂ©ciser que je respecte l’uniforme de la police et de la gendarmerie ainsi que les personnes qui le portent.

 

Mais, ce que je trouve plus grave, dans les propos de Mme la Colonelle, c’est qu’elle ne s’explique pas ou ne comprend pas cette montĂ©e des faits de violence envers les reprĂ©sentants des forces de l’ordre en France ces dix derniĂšres annĂ©es.

 

Les causes de ces faits de violence sont bien-sĂ»r multiples. Et je ne vais pas me prĂ©tendre spĂ©cialiste du sujet. Par contre, en tĂ©moignant de son ignorance Ă  ce point, Mme la Colonelle rappelle tristement  ce fait :

 

MĂȘme en devenant pionniĂšre dans un domaine, Ă  mesure, en France, que l’on incorpore  une certaine Ă©lite, on s’éloigne de plus en plus d’un nombre grandissant de citoyens qui ,lui,  cumule les Ă©checs et les exclusions de toutes sortes tandis qu’une minoritĂ©- qui vit dans un Ă©cosystĂšme apparemment protĂ©gĂ© dont la journaliste LĂ©a SalamĂ© fait aussi partie- s’accapare la  majoritĂ© des rĂ©ussites, des privilĂšges comme des prestiges.

Cette minoritĂ© vit dans un vase clos. Et, plus les annĂ©es passent, plus les ambitions de cette minoritĂ© tendent Ă  rendre ce vase clos de plus en plus Ă©tanche. MĂȘme si certains ou plusieurs membres de cette minoritĂ© peuvent ensuite publiquement, gratuitement – ou sincĂšrement- trouver « glaçant » le rĂ©cit du dĂ©cĂšs de la jeune Alisha. 

 

Cette cĂ©citĂ© ou ce manque de conscience de Mme la Colonelle m’inquiĂšte particuliĂšrement du fait de son grade et de ses capacitĂ©s en principe supĂ©rieures d’analyse, de jugement mais aussi de dĂ©cision. Or, si elle n’est qu’un des rouages dĂ©cisionnels et exĂ©cutifs en France, elle en est nĂ©anmoins l’un des plus puissants.

 

 

On pensera peut-ĂȘtre que tout cela n’a rien Ă  voir avec la mort de la jeune Alisha. Que je mĂ©lange des sujets et des genres trĂšs diffĂ©rents. Ou que je fais passer la mort de celle-ci au second plan.

 

Je ne crois pas.

 

Je suis trĂšs touchĂ© par la mort de la jeune Alisha. Mon article n’est pas rĂ©digĂ© ici pour faire « genre Â», pour faire « joli Â» ou pour faire « style Â». Par ailleurs, malgrĂ© le temps que j’ai passĂ© Ă  le rĂ©diger, comme pour la plupart de mes articles, je sais qu’il sera, pour l’instant du moins, assez peu lu. Car, je fais aussi partie de la majoritĂ© des anonymes obĂ©issants et dĂ©pourvus de charisme. Et, je fais assez peu d’efforts en matiĂšre de communication pour avoir plus de « retentissement » mĂ©diatique.

 

J’approuve cette « fĂ©minisation Â» de la gendarmerie et d’autres corps de mĂ©tiers.

 

Par contre, je ne crois pas que la fĂ©minisation, Ă  des postes clĂ©s de la sociĂ©tĂ©, ou dans le monde, va suffire Ă  elle-mĂȘme pour tout rĂ©soudre- mĂ©caniquement- en termes de violences et d’espĂ©rance.

 

Je tiens Ă  rappeler ceci :

 

La norme, chez l’ĂȘtre humain, que l’on soit un homme ou une femme, c’est l’extrĂȘme.

 

Et, il faut beaucoup de travail, beaucoup de patience et de diplomatie, beaucoup d’optimisme,  beaucoup de conscience sur soi et aussi Ă  propos de son environnement et des autres, pour ne pas se laisser guider ou fasciner par notre goĂ»t immĂ©diat et spontanĂ© ou par notre appĂ©tence pour l’extrĂȘme.

 

La jeune Alisha est morte Ă  cause de cette norme.

 

 

 

Franck Unimon, ce dimanche 14 mars 2021.

 

 

 

 

 

2 réponses sur « Alisha, 14 ans, morte dans la Seine ce 8 mars 2021 »

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