Enfant de Nanterre, en banlieue parisienne, j’ai été un petit noir à lunettes et lent qui rigolait très fort dehors. A la maison, dans notre appartement d’immeuble HLM de 18 étages, j’ai appris assez vite que j’étais descendant d’esclaves parce-que j’étais noir ; que la France était le pays des blancs et que j’avais des devoirs.
Grâce aux cours particuliers de mon papa jusqu’à la tombée de la nuit et à ses coups de ceintures solaires, je me suis senti concerné par ma scolarité et me suis senti pousser à l’école primaire certaines facultés.
Adolescent, je ne suis pas devenu champion d’athlétisme. J’avais insuffisamment confiance en moi et des blessures ont ratissé mes sprints. Mais je suis un peu plus devenu l’aîné de ma sœur et de mon frère.
A l’approche de ma majorité, pour me rassurer, j’ai décidé d’aller « provisoirement » travailler comme maman dans un hôpital et de devenir fonctionnaire au lieu d’aller directement à l’université, de tenter une école de journalisme ou de prendre des cours de théâtre.
Ma peur du chômage et du Monde ainsi que ma persévérance m’ont permis de concrétiser ce projet à partir de mes 21 ans avec ma formation d’infirmier en soins généraux.
A partir de mes 25 ans, après mon service militaire, j’ai décidé de travailler exclusivement d’abord en psychiatrie générale puis en pédopsychiatrie. Mais je restais attiré par un ailleurs et par les pistes de la polyvalence.
Obtenir un Brevet d’Etat d’éducateur sportif, un DEUG d’Anglais, recevoir une initiation à la criminologie et un certificat d’aptitude en Massage Bien-être a fait partie du parcours.
Faire du judo, du théâtre, un peu de figuration au cinéma, reprendre des cours de théâtre au conservatoire, passer mes deux premiers niveaux de plongée, aussi.
Le journalisme cinéma avec le mensuel papier Brazil jusqu’au festival de Cannes puis avec le site Format Court s’est ajouté à mes quelques voyages (Guadeloupe, Yougoslavie, Ecosse, Australie, Japon, Israël….) lectures, écoutes et expériences. Depuis bientôt deux ans, dans un club d’apnée, j’apprends à mieux connaître mon souffle.
Naître à Nanterre et y vivre mes 17 premières années m’a permis de rencontrer bien plus d’Arabes et de blancs (Français ou non) que de noirs (Antillais ou Africains) dès mes débuts. Aujourd’hui, et depuis bientôt 20 ans (depuis le 11 septembre 2001 officiellement) le jihadisme islamiste fait partie des nouvelles peurs souveraines. Je suis gré à mon enfance à Nanterre de m’avoir permis de me dispenser de certains des préjugés qui, bien avant 2001, collaient – déjà- au henné et à la peau des Arabes, ou de tout ressortissant du Maghreb, du Moyen comme du Proche-Orient. Musulman ou non.
Mes relations avec les blancs (Français ou non) ont aussi heureusement échappé à ce miroir -tant manichéen qu’arachnéen- qui déclame que le blanc est automatiquement le nazi ou le négrier du noir ; que la femme est une murène pour l’homme ; Ou que les hommes-eau sont les épandeurs du Glyphosate, de la Chlordécone, du Médiator, de leurs clones et dérivés, sur le genre humain.
Un jour, il y’a plus de vingt ans, j’ai finalement appris que je « suis » Français ; grâce à un…Breton qui était alors conducteur de train à la SNCF. Après qu’il m’ait remis sur les rails de ma nationalité, je ne l’ai jamais revu. Parfois, on rencontre une personne une seule fois et cette rencontre unique, généralement brève, nous délivre un peu du sortilège puissant de notre quotidien et de nos habitudes.
Néanmoins, j’ai encore des préjugés et des appréhensions, lesquels sont des chaines de montage dont j’essaie, dans la mesure de mes moyens, de me détacher. S’en détacher est un ouvrage difficile. Car, oui, le terrorisme et le fanatisme (blanc, noir, autres) existent. Oui, le racisme, l’hypocrisie, l’ignorance et la lâcheté (noirs, blancs, masculins, féminins, autres) existent. Oui, leurs actions, leurs séquelles et conséquences sont effrayantes, meurtrières et, hélas, souvent générationnelles. Et, oui, le présent et l’avenir de la planète d’un point de vue écologique, politique, économique et social ont de quoi faire déprimer si l’on regarde de près et constamment bien des coutures et des infrastructures de notre Monde. Face à cela, une des réactions fréquentes consiste à se contracter, dans son univers, avec celles et ceux que l’on suppose être irréductiblement faits des mêmes pensées et de la même sensibilité que les nôtres. Soit une espèce de Big-Bang contradictoire.
Avec ce blog, je vais essayer, à mon rythme et à ma mesure, de provoquer des souricières d’ouvertures, une certaine forme d’amplitude ; de déguerpir d’une certaine zone d’ignorance comme de certaines peurs. Ma filleule a bien résumé mes intentions en parlant d’une « confrontation des cultures ».
J’espère aussi réussir à être drôle chaque fois que cela sera possible.
Franck Unimon, ce lundi 16 juillet 2018.