JâĂ©tais au travail ce jeudi 14 mars, lorsque, dans lâaprĂšs-midi, en le lisant quelque part, jâai appris quâAnn Oâaro passait en concert le soir mĂȘme. A 20h30. Je finissais mon travail Ă 20 heures Ă Paris prĂšs de la gare Montparnasse.
Si je souhaitais y aller, il me faudrait aller chercher mes appareils (photos) dans ma ville de banlieue, à Argenteuil. Pour mon blog, je ne pouvais pas me contenter de photos prises avec mon smartphone. Et, aprÚs le concert, je me réveillerais, comme ce jeudi, le lendemain matin un peu avant 5h30 afin de retourner au travail pour une journée de 12 heures.
Mais il y avait ce concert dâAnn Oâaro dans quelques heures. Je lâavais dĂ©jà « ratĂ©e » comme jâai aussi ratĂ© les concerts de RenĂ© Lacaille ou de Rocio Marquez lorsquâils se sont prĂ©sentĂ©s. Je mâĂ©tais un peu rattrapĂ© la semaine prĂ©cĂ©dente avec le concert de Tricky Ă lâOlympia ( voir Tricky Ă l’Olympia ce 6 mars 2024).
Quand une ou un artiste nous « parle » ou nous a parlĂ©, on part souvent du principe quâautour de nous, tout le monde la connait ou le connait. En Ă©voquant Ann O’aro, je nâĂ©coute pas de la musique secrĂšte ou que je mettrais en cachette.
Jâai commencĂ© Ă la “connaĂźtre” par son premier album Ann O’aro sorti en 2018. J’avais publiĂ© un article dessus dans mon blog il y a environ quatre ans :
Ensuite, il y a eu lâalbum Longoz arrivĂ© en 2020 que jâai moins Ă©coutĂ© pour le moment et avec lequel jâai eu plus de mal.
Ce jeudi 14 mars, j’ai aussi appris quâun troisiĂšme album venait de sortir (fin fĂ©vrier 2024). Il sâappelle Bleu. Ann OâAro continue dâĂȘtre reprĂ©sentĂ©e par le label Cobalt dirigĂ© par Philippe Conrath.
« Ann Oâaro ? »
Câest la question quâa pu me poser, surpris, un de mes collĂšgues, rĂ©unionnais certifiĂ©, porteur de dreadlocks, la quarantaine, chanteur de Gospel et prĂ©cĂ©demment joueur de Reggae proche de la professionnalisation. Ce nâest donc pas un amateur ni un ignorant. Pourtant, il nâavait jamais entendu parler de Ann Oâaro. Je lui ai orthographiĂ© son nom tel quâelle lâa choisi à «la CrĂ©ole ». Un nom que jâai moi-mĂȘme encore du mal Ă bien Ă©crire. Et, il mâa dit quâil allait « regarder ».
La RĂ©union nâest pas mon pays. MĂȘme si, par la suite, jâai rencontrĂ© ma compagne, rĂ©unionnaise, et que notre fille, nĂ©e en France ( encore trop petite pour certains des thĂšmes des chansons de Ann Oâaro) a donc Ă©galement des origines rĂ©unionnaises.
La premiĂšre fois que je me rappelle avoir entendu du Maloya et son rythme ternaire, câĂ©tait dans la boite de nuit Le Manapany, dans les annĂ©es 90 oĂč, avec certains collĂšgues, nous Ă©tions plutĂŽt venus nous rapprocher (- je suis un Moon France mais voir aussi Tuer des noix de coco-) de nos origines antillaises et des femmes au travers du Zouk.
Ensuite, jâai voulu entendre un peu plus le Maloya dit traditionnel. Et, en particulier, sur ce quâil peut avoir en commun avec le Gro-Ka et le Lewoz. Car jâessaie de mâinspirer Ă ma mesure dâun des principes de mon artiste prĂ©fĂ©rĂ©, Miles Davis, qui disait aussi :
« Mon esprit nâest pas fermĂ© ». ( âMy mind is not shutâ).
A la mĂ©diathĂšque, jâavais trouvĂ© les Cds dâartistes comme Firmin Viry, Danyel Waro et dâautres de la RĂ©union que jâai essayĂ© dâĂ©couter et de comprendre. J’ai pu voir Daniel Waro en concert lorsqu’il est passĂ© en concert Ă Argenteuil il y a prĂšs d’une dizaine d’annĂ©es. Mon blog n’existait pas, alors. Je sais que Daniel Waro passe le 18 Mai au Cabaret Sauvage Ă Paris. Maya Kamaty le 21 mars Ă la Bellevilloise et Lindigo le 11 avril au Cabaret Sauvage.
«La musique, ça te permet un Ă©quilibre vu le mĂ©tier que tu fais » mâa dit quelquâun rĂ©cemment. Jâai acquiescĂ© car il y a du vrai dans cette affirmation. Et, cela m’a permis d’Ă©luder.
Car lâĂ©quilibre est aussi une limite. Ainsi qu’une souriciĂšre.
On peut ĂȘtre Ă©quilibrĂ© parce-que lâon est aussi trĂšs bien domestiquĂ©. On ne dĂ©range pas. On reste Ă sa place. On subit. On accepte. On endure. On sâendurcit. On croupit. On se terre en soi et en silence.
Mais on ne vit pas. On reste derriĂšre des barrages. Ou on passe son temps Ă attendre, emmitouflĂ©s dans nos mirages et parfois dans nos naufrages. Parfois, on s’auto-dĂ©truit en permanence, discrĂštement. De maniĂšre mĂ©thodique. Cathodique. Et Ă©quilibrĂ©e. Telles ces tours ou ces histoires dont les fondations et les Ă©manations explosent et s’affaissent, Ă©rigĂ©es, droites, et achĂšvent leur parcours pulvĂ©risĂ©es, tĂ©lĂ©visĂ©es, en Ă©tant toujours restĂ©es bien vissĂ©es sur place et fidĂšles au poste, tĂ©tant leur devoir et leur espoir en attendant une mue qui n’est jamais venue. D’elles, on dira peut-ĂȘtre plus tard :
“C’Ă©tait une belle tour ( ou une belle histoire) Ă l’origine. Dommage qu’elle soit devenue dĂ©suĂšte. Les temps ont changĂ©. Il a bien fallu s’en sĂ©parer. Qu’est-ce que tu veux ? C’est comme ça….”.
La musique, pour moi, ça reste de la vie. Ăa surgit et ça permet dâaller au-delĂ de nos limites. Les musiciens, les artistes ou les personnes qui nous « parlent », câest quand mĂȘme assez souvent, celles et ceux qui nous « font » ça. Un des premiers pouvoirs de la musique, comme le feu partagĂ©, câest de rassembler. Les forces, les volontĂ©s vers l’autre, vers l’ailleurs, vers l’inconnu mĂȘme si ce sont des souvenirs que l’on retrouve aussi.
La musique, pour moi, câest aussi un bagage et un hĂ©ritage. Câest Ă la fois les musiques que jâai Ă©coutĂ©es par les pores de mes parents en France, pays, oĂč, contrairement Ă moi, ils ne sont pas nĂ©s. Puis, celles de mon adolescence et de certaines amitiĂ©s quasi fraternelles, Ă cette pĂ©riode de la vie oĂč lâon a plein de notes et plein de projets mais oĂč lâon manque dâaudace, de confiance, de persĂ©vĂ©rance et de connaissances pour composer. Et oĂč lâon redoute plus les consĂ©quences de la matraque du jugement quâon ne prĂ©voit les rĂ©ussites de nos tentatives.
On peut penser que je me contente de parler de moi. Je ne le crois pas. Je n’Ă©cris pas seulement pour moi. Mais aussi parce-qu’il le faut. Parce-que c’est mon tour du sort.
J’Ă©cris d’ailleurs cet article en rĂ©Ă©coutant le dernier album de Fally Ipupa, Formule 7. Et puis, on sait maintenant que, Ă©videmment, je suis allĂ© au concert dâAnn Oâaro ce jeudi 14 mars 2024 au studio de lâermitage, Ă Paris. Les autres dates et les autres lieux de ses concerts prĂ©vus en 2024 ne mâont pas laissĂ© dâautre choix.
Hormis ce concert du 14 Ă lâErmitage, Ă Paris. Il restait possible de voir Ann Oâaro sur scĂšne ailleurs en mars 2024 :
Le 17 Ă Dunkerque. Le 19 Ă Guyancourt. Le 21 Ă Tourcoing. Le 23 Ă Aubusson et le 26 Ă Ljubliana, en SlovĂ©nie. Je serais bien allĂ© Ă lâun de ces endroits mais pour des raisons pratiques, le plus simple, restait Paris.
Les dates de ses concerts mais aussi de ceux de DanyĂšl Waro sont aussi affichĂ©es sur le site du label Cobalt qui reprĂ©sente dâautres artistes rĂ©unionnais tels que Christine Salem, Zanmari BarĂ© et dâautres.
Je suis arrivĂ© au concert avec une bonne demie heure de retard avec ma place achetĂ©e en prĂ©vente sur internet : 15 euros et 50 centimes. Soit prĂšs de quatre fois moins que le concert de Tricky Ă l’Olympia quelques jours plus tĂŽt.
En entrant dans la salle de concert du studio de lâermitage, Ann Oâaro Ă©tait en train de chanter, accompagnĂ©e de ses musiciens :
Teddy Doris au trombone ; Bino Waro au roulĂšr, sati, pikĂšr, kayamn et Ă la batterie et Brice Nauroy aux machines.
Le public Ă©tait posĂ©, majoritairement assis, trĂšs attentif. Il devait y avoir environ 200 personnes Ă vue dâĆil (pour une capacitĂ© dâaccueil de 250 personnes contre une capacitĂ© dâaccueil de 4000 personnes pour lâOlympia).
Lâambiance et lâacoustique de la salle Ă©taient intimistes et trĂšs confortables. Je me suis tout de suite senti bien. Jâai aussitĂŽt tout effacĂ©. Les doutes. La recherche de la salle. La fatigue. Le trajet. Le retard. La routine. La chevrotine. La journĂ©e de travail le lendemain matin.
Voir Ann Oâaro au studio de lâermitage aprĂšs Tricky Ă lâOlympia ?
Je me suis dit quâils Ă©taient proches tous les deux malgrĂ© ce que lâon pourrait estimer en prime abord. Tricky, “de” Bristol, plutĂŽt contrariĂ© par la notoriĂ©tĂ©, aimerait sans doute pouvoir se produire dans une salle comme le studio de lâermitage. En Ă©coutant Ann O’aro, j’ai aussi pensĂ© Ă la musicienne et compositrice bretonne Kristen NoguĂšs.
Bien-sĂ»r, Ann O’aro existe par elle-mĂȘme et a ses propres inspirations et rĂ©fĂ©rences. Mais lorsque lâon est amateur de musique, on aime certaines fois imaginer que se rencontrent les ombres de certains artistes. Des rencontres entre des artistes qui ne se matĂ©rialisent jamais- ou parfois mal- par manque dâinspiration, d’Ă©poques ( Kristen NoguĂšs est morte depuis 2007) ou du fait dâune mauvaise entente et quâil faut sans doute apprendre Ă imaginer ou Ă crĂ©er soi-mĂȘme.
Devant nous, nous avions peu Ă imaginer. La voix dâAnn Oâaro est trĂšs douce et forte. Elle sâempare de vous et chante comme un boxeur. Son chant part depuis ses pieds. Elle chante en emmenant tout son corps et en nous portant vers une…certaine tension Ă©motionnelle.
Câest ce que lâon appelle avoir une prĂ©sence. La prĂ©sence de celle qui sâapproche et aussi de la sentinelle.
Je me suis dit quâelle avait de quoi jouer dans un film ou au thĂ©Ăątre.
Son humour et son aisance, y compris au piano quâelle a dĂ©sormais ajoutĂ© Ă son usage des sorts- les sorts de lâenfance- sont aussi dĂ©concertants quâinsaisissables. Je me suis un peu demandĂ© :
« Comment fait-elle ? ».
On aurait presque dit que câĂ©tait nous qui Ă©tions Ă un enterrement (peut-ĂȘtre le nĂŽtre) tandis que, elle, et ses musiciens sâamusaient bien parce quâils le voulaient. Tandis que nous, hĂ© bien, nous restions trĂšs polis et trĂšs guindĂ©s sans faire de bruit de peur de dĂ©ranger ou de tĂącher en sortant de notre rĂ©serve militaire.
Soit parce-que nous nâavions jamais appris Ă remuer et Ă tinter au son de la musique ou parce-que nous Ă©tions intimidĂ©s et captivĂ©s par ce que nous voyions et entendions devant nous :
Nous avions un peu « peur » dâinterrompre la sĂ©ance dâhypnose. Ou nous nâosions pas moufter connaissant les sujets chargĂ©s quâelle abordait sous les dĂ©guisements aiguisĂ©s de sa voix apaisĂ©e.
Mon excuse Ă©tait que je prenais des photos. Mais jâimagine facilement ce que la mĂȘme musique jouĂ©e ce jeudi soir peut entraĂźner ailleurs ou dans un Kabar ( ou kabarĂ©), lĂ oĂč lâon sâautorise Ă danser plus vite que la lumiĂšre ne pense.
Nous avons Ă©tĂ© des privilĂ©giĂ©s dâassister Ă ce concert. Jâai Ă©tĂ© content, aprĂšs le concert, de pouvoir parler un peu Ă Ann Oâaro et de poser pour la photo avec elle et Philippe Conrath qui dirige le label Cobalt.
Ann Oâaro chante aussi dans le groupe Lagon Noir lors du festival Banlieues Bleue au centre culturel Jean Ă la Courneuve le vendredi 29 mars 2024 Ă 20h30.
Ce jeudi soir, elle a superbement clos son concert en nous chantant son titre Valval rouz ( si je ne me trompe) un de ses titres acapella, présent sur son premier album.
Franck Unimon, ce dimanche 17 mars 2024.