Maitre Jean-Pierre Vignau Ă la SACD, rue Ballu, Paris, ce mardi 25 avril 2023.
On trouve chez un Maitre ce que lâon croit et ce que lâon craint.
On trouve chez un Maitre ce que lâon cherche, ce que lâon a perdu ou Ă©garĂ©.
Jean-Pierre Vignau, prĂ©sident de lâI.B.A France, 9Ăšme dan I.B.A de KaratĂ© Shotokan, 6Ăšme dan I.B.A dâAtemi-jitsu (Self-dĂ©fense), 3Ăšme dan I.B.A de Kobudo, 2Ăšme dan I.B.A de judo et dâAĂŻkido, pour moi, fait partie de ces Maitres.
Peut-ĂȘtre que les apparences ou la forme de cet article sont contre lui et contre moi, son auteur. Et quâen commençant la lecture de cet article, on se dit quâil sâagit dâun exercice de philo ou dâune rĂ©vision avant les Ă©preuves du Bac dans quelques mois.
Peut-ĂȘtre aussi que lâon peut se dire que câest un article de plus Ă ranger dans la catĂ©gorie de la branlette intellectuelle. Alors que ce lâon que lâon veut, câest surtout, et rapidement, et toujours, plus dâefficacitĂ©, du concret et des techniques qui marchent tout de suite, tout le temps et Ă volontĂ©.
Pas du bla-bla.
Mais je crois quâil faut quand mĂȘme commencer cet article comme ça. Et que câest surtout de la vie, de notre vie, de nos choix, de notre santĂ© mentale et physique, de nos dĂ©cisions et de nos libertĂ©s dont je parle.
Et dont les Arts Martiaux, toujours, nous parlent.
Jean-Pierre Vignau ne dira rien Ă beaucoup de personnes aujourdâhui, en 2023. Moi-mĂȘme, il y a encore trois ans, je ne connaissais pas Jean-Pierre Vignau, Maitre dâArts Martiaux, 78 ou 79 ans cette annĂ©e.
Il y a encore trois ans, je ne connaissais pas Jean-Pierre Vignau malgrĂ© le fait que depuis plus dâune trentaine dâannĂ©es, jâai souvent Ă©tĂ© attirĂ© par les Arts Martiaux sous plusieurs de leurs reprĂ©sentations ou expĂ©riences. Sur un tatamis, au cinĂ©ma, dans mes lectures ou mĂȘme dans certains de mes voyages (le Japon en 1999).
Enfant, comme beaucoup, jâavais Ă©tĂ© fascinĂ© par Bruce Lee. Evidemment. Et, jâavais « fait » un peu de karatĂ© jusquâĂ la ceinture verte. Jâavais 12 ou 13 ans. JâĂ©tais assez appliquĂ©, je connaissais mes katas. Puis, jâai arrĂȘtĂ©. Sans doute parce-que, pour moi, alors, faire du karatĂ© ou de la boxe anglaise, câĂ©tait avant tout apprendre Ă se dĂ©fendre, Ă donner des coups de pied et des coups de poing. Apprendre Ă devenir « fort » et viril. A devenir un Homme.
A ne pas avoir peur. A nâavoir-jamais- peur de rien.
Peu mâimportait la diffĂ©rence quâil pouvait y avoir entre du Kung Fu et du karatĂ©. Le karatĂ© Ă©tait ce qui me parlait le plus ou ce qui Ă©tait connu de moi, lĂ oĂč je vivais alors, avec mes parents, dans une citĂ© Ă Nanterre. Dans un immeuble HLM de 18 Ă©tages. Si nous avions vĂ©cu Ă lâĂ©poque dans le 13Ăšme arrondissement de Paris, peut-ĂȘtre aurais-je pu mieux commencer Ă faire la diffĂ©rence entre le Kung Fu et du KaratĂ©.
Puis, grĂące Ă un concours de circonstances, aprĂšs le karatĂ©, plus tard, il y a eu la pratique du Judo pendant une dizaine dâannĂ©es. Un sport de combat dĂ©couvert Ă lâuniversitĂ© de Nanterre. Un peu par hasard. Une histoire dâhoraires de cours qui mâa empĂȘchĂ© dâaller plutĂŽt dĂ©couvrir la boxe anglaise comme je le souhaitais.
Le judo mâavait rapidement flattĂ©. Parce-que la nouveautĂ© et mes aptitudes athlĂ©tiques, toniques, explosives et instinctives, enfin, me permettaient dâĂȘtre « bon ». De « battre » des pratiquants plus expĂ©rimentĂ©s que moi. Ou de leur donner du mal. Et puis, je pouvais, Ă nouveau, mâentraĂźner rĂ©guliĂšrement sans me blesser. Sans me donner ces contractures aux ischio-jambiers que le sprint, en athlĂ©tisme, mâavait « laissĂ©es ».
Beaucoup de pratiquants dâun sport ou dâune activitĂ© physique ou martiale ont dans leur pratique ou leurs « bagages » des cicatrices liĂ©es Ă lâengagement de leur corps et de leur volontĂ© dans leur activitĂ© sportive ou physique prĂ©fĂ©rĂ©e. Une activitĂ© ou, souvent, ils se sont constituĂ©s des amitiĂ©s, des amours ou des inimitiĂ©s passionnelles, profondes ou dĂ©finitives.
Ces cicatrices, liées à une pratique répétée ou intensive, sont souvent vécues comme des injustices ou, au contraire, regardées avec fierté comme des blessures de guerrier. Des blessures de combattant. Des blessures de samouraï.
Il faut du temps pour comprendre quâun certain nombre de ces blessures physiques, mais aussi morales, prĂ©datrices de notre temps et de notre organisme ou de nos relations, ne sont pas aussi nĂ©cessaires que lâon a besoin de le croire afin de devenir « bon » ou le « meilleur » ou le « champion » que lâon aspire Ă ĂȘtre Ă nos yeux ou dans le regard des autres.
Comme je ne lâavais pas encore compris en pratiquant le judo, jâai continuĂ© de me blesser. Ou jâai recommencĂ© Ă me blesser en «faisant » du judo.
Et puis, jâen ai eu assez du Judo. Jâai fait un petit peu de Ju-Jitsu brĂ©silien. A lâĂ©poque, les frĂšres Gracie Ă©taient la rĂ©fĂ©rence ultime du Ju-Jitsu brĂ©silien.
Puis, quelques annĂ©es plus tard, jâai « fait » un petit peu de boxe française oĂč, lĂ , je me suis cette fois rompu le tendon dâachille lors dâun exercice tout simple. AprĂšs ça, pendant quelques annĂ©es, jâai arrĂȘtĂ© tout ce qui pouvait ressembler Ă la pratique du combat ou dâun Art martial. Tout en continuant bien-sĂ»r, de temps Ă autre, Ă lire ou Ă regarder ici ou lĂ , ce qui pouvait avoir trait aux Arts Martiaux, au combat etcâŠ
Puis sont arrivĂ©s la pandĂ©mie du Covid en 2020 et les confinements. Le passe sanitaire, la restriction de nos sorties, de nos dĂ©placements gĂ©ographiques ou kilomĂ©triques. Lâangoisse et la peur massive de notre anĂ©antissement proche ou quasi-immĂ©diat.
Jâai fait partie des personnes dont la profession a Ă©tĂ© jugĂ©e comme « essentielle ». Je suis infirmier en pĂ©dopsychiatrie et en psychiatrie depuis des annĂ©es. Jâai donc continuĂ© Ă travailler durant la pandĂ©mie. Dâabord sans masque et sans protection matĂ©rielle rĂ©elle. Mais aussi, au dĂ©but, sans vaccin anti-Covid.
Et pour limiter ce refuge dans lâangoisse dans laquelle nous Ă©tions nombreux Ă ĂȘtre tombĂ©s et sĂ©questrĂ©s, jâai un moment dĂ©cidĂ© de trouver des Ă©chappatoires aussi dans la lecture de journaux.
Par chance, il y avait prÚs de mon lieu de travail, dans le 13 Úme arrondissement de Paris, à métro Gobelins, un des rares centres de presse restés ouverts durant la pandémie et les confinements successifs : Le Canon de la Presse.
Câest lĂ que jâai commencĂ© Ă me fournir, aussi, en Yashima, AĂŻkido, Self & DragonâŠ..et Ă dĂ©couvrir, donc, Maitre Jean-Pierre Vignau, lors de son interview par Maitre LĂ©o Tamaki dont jâavais dĂ©couvert lâexistence Ă peine quelques jours ou quelques semaines auparavant.
« Les Arts Martiaux, ça ne se résume pas à seulement apprendre à donner des coups de pied et des coups de poing⊠».
Câest ce que jâai affirmĂ© il y a encore quelques jours Ă ma propre compagne qui avait voulu voir dans mon souhait de participer au Masters Tour proposĂ© et organisĂ© annuellement au Japon par LĂ©o Tamaki, Maitre dâAĂŻkido, un temps Ă©lĂšve de Maitre Jean-Pierre Vignau, une simple dĂ©marche touristique.
La quĂȘte dâune certaine spiritualitĂ© et dâun certain sens Ă notre vie se trouve aussi dans la pratique des Arts Martiaux. Les religions ne sont pas les seuls domaines ou les seules disciplines grĂące auxquelles on peut sâaider Ă sâĂ©lever spirituellement mais aussi en tant quâĂȘtre humain. Et, il me semble que beaucoup de personnes lâignorent ou lâont oubliĂ© lorsquâelles (vous) parlent des Arts Martiaux. Pour ces personnes, les Arts Martiaux mais aussi les sports de combat, câest surtout du spectacle, une mise en scĂšne proche du cirque. Ou ça revient Ă se rendre Ă un concert ou Ă une sĂ©ance de cinĂ©ma afin de se distraire ou de se dĂ©fouler pour se vider la tĂȘte avant de rentrer chez soi ou repartir au travail le soir ou le lendemain. Ou ça revient Ă apprendre Ă se « dĂ©fendre » et Ă pouvoir se sentir fort lorsque lâon sort ou afin de protĂ©ger une personne Ă laquelle on tient.
Je me suis plusieurs fois senti trĂšs fort il y a plusieurs annĂ©es alors que je revenais dâune bonne sĂ©ance de Judo dans mon club. Je marchais trĂšs sĂ»r de moi en rentrant. CâĂ©tait une sensation trĂšs agrĂ©able et, pourtant, trompeuse. Surtout dans des rues dĂ©sertes, la nuit, oĂč personne ne nous veut du mal. Alors quâen plein jour, lors de certaines situations Ă©motionnellement et affectivement difficiles pour moi, je pouvais perdre mes moyens comme si je nâavais rien appris ou Ă©tais un incapable majeur.
Ce mardi soir, Ă la SACD, un des Ă©lĂšves de Maitre Jean-Pierre Vignau depuis plus de quarante ans, lâa dâabord remerciĂ© pour tout ce quâil lui avait apportĂ© dans sa vie. Puis, il lui a demandĂ© :
« Pourquoi tu contiens toujours autant tes émotions, Jean-Pierre?».
Debout face Ă nous tous dans la salle, aprĂšs la projection du premier documentaire (de Jean de Loriol) qui faisait son portrait dans Le Maitre et le batard, et avant la projection du documentaire Dans la tĂȘte du videur ( toujours rĂ©alisĂ© par Jean de Loriol) Jean-Pierre a rĂ©pondu :
« Je nâai pas le temps ! ».
Nous avons sans doute tous rigolé dans la salle. Beaucoup de Jean-Pierre est contenu dans cette phrase. Simple. Concret. Direct. Pratique. Tranchant. Efficace. Impliqué.
Un Maitre dâArts martiaux, câest quelquâun, qui, incessamment, se remet Ă son ouvrage et donne le meilleur de lui.
Sans se décourager.
AprĂšs plus dâune vingtaine dâannĂ©es dâexistence, son dojo le Fair-Play Sport a dĂ» fermer, pour raisons Ă©conomiques, Ă cause de la pandĂ©mie et du Covid ( lire Le Dojo de Jean-Pierre Vignau ?) DĂ©sormais, Jean-Pierre dispense ses enseignements Ă la Maison du Taiji au 57, rue Jules Ferry Ă Bagnolet, mĂ©tro Robespierre, ligne 9.
Dans son interview par LĂ©o Tamaki, par lequel je lâavais dĂ©couvert en plein confinement sanitaire, Jean-Pierre disait Ă un moment donnĂ© :
« Mais, moi, pour certains, je suis un malade mental ! ». Cela mâavait beaucoup plu.
Mais ce qui mâavait aussi beaucoup plu, câĂ©tait ce quâil disait de son Dojo, le Fair-Play Sport. Un endroit oĂč il demandait Ă chaque pratiquant de laisser ses soucis Ă lâextĂ©rieur et oĂč il acceptait tout le monde dĂšs lors que celui-ci respectait les rĂšgles du Dojo.
Et ce qui continue de me plaire chez lui, câest sa longĂ©vitĂ©, sa libertĂ©.
Jâai appris seulement cette semaine que le boxeur Marvin Hagler, surnommĂ© « The Marvelous », trĂšs grand champion de boxe, Ă©tait dĂ©cĂ©dĂ© seulement Ă lâĂąge de 66 ans en 2021.
Pour moi, un Maitre, câest aussi sa longĂ©vitĂ©. Car sa longĂ©vitĂ© dĂ©montre aussi que ce quâil pratique et enseigne est favorable Ă la vie. Et au meilleur de la vie. Entre-autres, Ă une vie active oĂč, au delĂ de soixante dix ans au minimum, on continue de pouvoir pratiquer, de transmettre et dâĂȘtre un exemple pour dâautres.
Cette remarque est sans doute lapidaire ou peut-ĂȘtre injuste. Mais lorsque lâon prend le temps de regarder de prĂšs lâĂąge de dĂ©cĂšs de bien des Maitres dâArts Martiaux, Ă©trangers ou français, ou encore en activitĂ©, on sâaperçoit quâils dĂ©passent souvent ou rĂ©guliĂšrement les 70 annĂ©es dâexistence.
Lorsque lâon sait que Jean-Pierre a eu le contraire dâune vie pĂ©pĂšre et casaniĂšre, cela nous convainc encore plus facilement des bienfaits de la pratique martiale.
Cette longĂ©vitĂ© nous assure aussi que les choix de vie, les dĂ©cisions mais aussi les libertĂ©s que ces Maitres ont pris ou su prendre, avec les risques quâont comportĂ© et que comportent ces choix de vie et ces dĂ©cisions, Ă©taient les bons ou les meilleurs pour eux mais aussi pour celles et ceux qui les entourent et viennent chercher auprĂšs dâeux Savoir et ExpĂ©rience.
Le terme de « Maitre » peut aussi beaucoup dĂ©ranger dans un pays dĂ©mocratique et libre oĂč lâon confond facilement les libertĂ©s dont on croit disposer avec nos libertĂ©s rĂ©elles et vĂ©ritables. Pourtant, il est tout un ensemble de Maitres que nous prĂ©fĂ©rons suivre ou croire par facilitĂ©, conformitĂ©, fainĂ©antise, ignorance ou volontĂ© de « rĂ©ussite » ouâŠde maitrise :
Le smartphone dernier cri, tous nos Ă©crans dans lesquels nous sommes plongĂ©s et ancrĂ©s en permanence, gagner plus dâargent, certaines influenceuses ou influenceurs, certaines tendances, certains types dâinformations, certains types de rencontres ou de relations. LâanxiĂ©tĂ©. La peur. Lâenvie. Certains dĂ©sirs.
Donc, pour moi, le terme de « Maitre dâArts martiaux » ne doit pas faire peur pour peu que lâon a bien-sĂ»r pris le temps de bien choisir ce qui nous correspond et ce que lâon recherche chez un Maitre.
Enfin, la reconnaissance par certains de leurs pairs, Maitres dâArts martiaux Ă©galement, nous confirme aussi la lĂ©gitimitĂ© de ces Maitres dâArts martiaux.
Ce mardi 25 avril 2023, Ă la SACD, rue Ballu, Ă Paris, lors de cette soirĂ©e consacrĂ©e Ă Maitre Jean-Pierre Vignau, jâai ainsi pu reconnaĂźtre en personne Maitre Pierre Portocarrero ainsi que Maitre Remi Mollet. Malheureusement, je nâai pas eu la prĂ©sence dâesprit de les prendre en photo.
Cependant, je crois que leur prĂ©sence comme celle de diffĂ©rents Ă©lĂšves de Jean-Pierre Vignau, comme celle de certains de ses proches et amis de plusieurs annĂ©es ( dont sa femme Tina et Jean-Pierre Leloup) continuait dâattester de sa totale lĂ©gitimitĂ© en tant que Maitre.
Sur Jean-Pierre Vignau, on peut aussi lire entre-autres dans ce blog Arts Martiaux : un article inspiré par Maitre Jean-Pierre Vignau
Franck Unimon, jeune Ă©lĂšve de Maitre Jean-Pierre Vignau, ce jeudi 27 avril 2023.