
Le Dojo de Jean-Pierre Vignau
Jean-Pierre Vignau, 77 ans, Maitre d’Arts Martiaux, et en particulier de Karaté, est une des personnes les plus libres que je connaisse. Mais pour cela, il lui faut un dojo.
Le dojo est un jardin. On y cultive celles et ceux qui sont volontaires pour venir y prendre racine en tant qu’élèves auprès d’un Maitre. Lorsque l’on a la possibilité et la chance d’avoir un Maitre disponible et qui nous accepte.
Dans un commerce, on « trouve » et on achète des outils, des produits ou des objets. Certains sont utiles et indispensables. D’autres pas. Il est des outils dont il faut aussi apprendre à se servir et d’autres qui se révèlent défectueux.
Un Maitre est le contraire d’un commerce : Dans un commerce, tout est fait pour nous donner envie de tout acheter ou de vouloir « toujours » plus. Un Maitre, lorsqu’on le rencontre, a dĂ©ja commencĂ© Ă faire une grosse partie du tri. Et, il rĂ©serve ce qui est utile ou selon lui indispensable Ă ses Ă©lèves selon ce qu’il a compris d’eux afin qu’ils vivent au mieux dans le monde qui les entoure.

Je crois aussi que l’on choisit son Maitre. On choisit le commerce, le bling-bling, la carrière, la carotide, la vitrine ou le souffle. On peut réussir plus ou moins à concilier le tout mais, selon moi, un Maitre, c’est au minimum un souffle. Un souffle qui perdure et qui sert de socle alors que d’autres s’évaporent ou disparaissent.
Il y a des Maitres de l’abĂ®me. Il ne faut pas hĂ©siter Ă le penser ou Ă le dire. Puisque, de toutes façons, ils et elles existent. Ces Maitres de l’abĂ®me, ainsi que leurs intermĂ©diaires, ont leurs attraits et peuvent ĂŞtre irrĂ©sistibles. Qu’ils nous sĂ©duisent ou qu’ils soient fort prĂ©sents en nous. Car l’être humain est multiple.

J’ai choisi Jean-Pierre Vignau pour ses vies. Pour son âge. Pour sa personnalitĂ©. ( Sensei Jean-Pierre Vignau : ” Mon but, c’est de dĂ©courager !” ) Pour son souhait de donner Ă ses Ă©lèves de quoi se dĂ©fendre sans s’illusionner. Pour ses cours du matin. Pour aller Ă Paris, moi qui n’ai Ă©tĂ© qu’un banlieusard de passage Ă Paris depuis ma naissance.
Cela fait soixante ans que Jean-Pierre Vignau est dans les Arts Martiaux. Et plus de vingt ans qu’il a ce dojo, le Fair Play, à Cité Champagne, dans le 20ème arrondissement de Paris. Auparavant, il avait eu un autre dojo, plus grand, dans Paris. Plusieurs de ses élèves, présents avec lui depuis plus de dix ans, m’en ont parlé.
La pandémie du Covid nous a beaucoup fait parler depuis plus de deux ans. Et même lorsque l’on se tait à son sujet, elle réapparait. Elle, aussi, est un Maitre à sa façon et fait le tri ou nous oblige à le faire. Ces deux années de pandémie, nous a expliqué Jean-Pierre, ont fait chuter le nombre de pratiquants et d’adhérents. A 4500 euros le loyer, multiplié par deux ans, Jean-Pierre a à s’acquitter d’une somme proche de 100 000 euros. Il ne les a pas.

Jean-Pierre a donc dû annoncer il y a quelques semaines aux enfants à qui il enseigne que le dojo allait devoir fermer. Certains de ces enfants en ont parlé à leurs parents. Les mères de ces enfants ont entrepris des démarches pour empêcher cette fermeture.

Jean-Pierre n’est pas le seul Maitre d’Arts Martiaux concerné par ce risque économique. Avant lui, Maitre Léo Tamaki, avait dû trouver un autre lieu pour continuer d’enseigner ses cours d’Aïkido. Et, j’étais allé le voir enseigner l’année dernière, lors d’un stage d’été l’année dernière dans ce nouveau lieu d’enseignement : le Dojo 5. ( Dojo 5 ).
Les consĂ©quences Ă©conomiques de la pandĂ©mie du Covid (et, depuis six mois, de la guerre en Ukraine) ont aussi fait augmenter le prix d’un certain nombre de matières premières telles que le blĂ©, la farine, le pĂ©trole, mais aussi le papier…
Avant hier, Jean-Pierre m’a appelé pour me prévenir que son dojo, le Fair Play, serait fermé demain matin. Pour dépôt de bilan. Et qu’il m’informerait dès qu’un autre endroit aurait pu être trouvé pour pratiquer de nouveau.
Un dojo est un endroit qui ne parle pas ou qui ne parle plus à beaucoup de gens. Le mot est aussi étranger donc extérieur à l’expérience de la vie courante de beaucoup de personnes. J’imagine donc que parmi les personnes qui ont pu passer devant ces banderoles ou qui ont lu cet article du journal Le Parisien, que cette « histoire » de dojo qui ferme évoque au mieux quelques souvenirs de judo ou de karaté dans l’enfance ou l’adolescence (« j’ai fait du judo ») ou qu’il est estimé qu’il y a des sujets plus prioritaires. Tels que le manque de personnel dans les hôpitaux ou dans les écoles publiques.
Si c’est le cas, en tant qu’infirmier en soins psychiatriques et en tant que père d’une enfant encore scolarisée dans une école publique, je peux témoigner du fait que pratiquer un Art martial auprès d’un Maitre contribue à la salubrité publique. C’est sans doute ignoré ou oublié mais pratiquer un Art Martial auprès d’un Maitre ne se résume pas à faire des gestes ou à répéter des formules comme on peut faire machinalement un certain nombre d’actions dans sa vie courante.
Finalement, si nous nous sentons de plus en plus oppressés et opprimés, c’est aussi parce-que ferment des endroits où une certaine liberté est accessible. Et que nous sont de plus en plus accessibles des endroits et des moyens où nos libertés sont supprimées.
Selon les circonstances et les Ă©tapes de notre vie, un dojo a des vertus complĂ©mentaires avec une mĂ©diathèque, une Ă©cole publique, un lieu de soins ou d’action sociale et culturelle, un club de sport, une salle de danse, un cours de musique ou de dessin…
Soit des endroits où l’on apprend, où l’on se remet, où l’on s’éduque, où l’on se rencontre et où l’on vit.

Franck Unimon, ce jeudi 21 juillet 2022.
2 réponses sur « Le Dojo de Jean-Pierre Vignau »
Avez-vous des nouvelles de Jean-Pierre Vignau et du Fair Play Sport ?
Bonsoir Emmanuel, excusez-moi, je découvre votre message seulement maintenant. Oui, Jean-Pierre continue à enseigner à la Maison du Tai-Chi, métro Robespierre si je ne me trompe pas. Les lundis, mercredis et vendredis soirs.