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Le Dojo de Jean-Pierre Vignau

Jean-Pierre Vignau, Ă  l’entrĂ©e du Fair Play Sport, ce 5 juillet 2022. Photo©Franck.Unimon

Le Dojo de Jean-Pierre Vignau

 

Jean-Pierre Vignau, 77 ans, Maitre d’Arts Martiaux, et en particulier de KaratĂ©, est une des personnes les plus libres que je connaisse. Mais pour cela, il lui faut un dojo.

 

Le dojo est un jardin. On y cultive celles et ceux qui sont volontaires pour venir y prendre racine en tant qu’élĂšves auprĂšs d’un Maitre. Lorsque l’on a la possibilitĂ© et la chance d’avoir un Maitre disponible et qui nous accepte.

 

Dans un commerce, on « trouve Â» et on achĂšte des outils, des produits ou des objets. Certains sont utiles et indispensables. D’autres pas.  Il est des outils dont il faut aussi apprendre Ă  se servir et d’autres qui se rĂ©vĂšlent dĂ©fectueux.

 

Un Maitre est le contraire d’un commerce : Dans un commerce, tout est fait pour nous donner envie de tout acheter ou de vouloir « toujours Â» plus. Un Maitre, lorsqu’on le rencontre, a dĂ©ja commencĂ© Ă  faire une grosse partie du tri. Et, il rĂ©serve ce qui est utile ou selon lui indispensable Ă  ses Ă©lĂšves selon ce qu’il a compris d’eux afin qu’ils vivent au mieux dans le monde qui les entoure.

Couverture du journal “Le Parisien” du lundi 4 juillet 2022.

 

Je crois aussi que l’on choisit son Maitre. On choisit le commerce, le bling-bling, la carriĂšre, la carotide, la vitrine ou le souffle. On peut rĂ©ussir plus ou moins Ă  concilier le tout mais, selon moi, un Maitre, c’est au minimum un souffle. Un souffle qui perdure et qui sert de socle alors que d’autres s’évaporent ou disparaissent.

 

Il y a des Maitres de l’abĂźme. Il ne faut pas hĂ©siter Ă  le penser ou Ă  le dire. Puisque, de toutes façons, ils et elles existent. Ces Maitres de l’abĂźme, ainsi que leurs intermĂ©diaires, ont leurs attraits et peuvent ĂȘtre irrĂ©sistibles. Qu’ils nous sĂ©duisent ou qu’ils soient fort prĂ©sents en nous. Car l’ĂȘtre humain est multiple.

 

Dans le journal “Le Parisien” de ce 4 juillet 2022.

J’ai choisi Jean-Pierre Vignau pour ses vies. Pour son Ăąge. Pour sa personnalitĂ©. ( Sensei Jean-Pierre Vignau : ” Mon but, c’est de dĂ©courager !” ) Pour son souhait de donner  Ă  ses Ă©lĂšves de quoi se dĂ©fendre sans s’illusionner. Pour ses cours du matin. Pour aller Ă  Paris, moi qui n’ai Ă©tĂ© qu’un banlieusard de passage Ă  Paris depuis ma naissance.

 

Cela fait soixante ans que Jean-Pierre Vignau est dans les Arts Martiaux. Et plus de vingt ans qu’il a ce dojo, le Fair Play, Ă  CitĂ© Champagne, dans le 20Ăšme arrondissement de Paris. Auparavant, il avait eu un autre dojo, plus grand,  dans Paris. Plusieurs de ses Ă©lĂšves, prĂ©sents avec lui depuis plus de dix ans, m’en ont parlĂ©.

 

La pandĂ©mie du Covid nous a beaucoup fait parler depuis plus de deux ans. Et mĂȘme lorsque l’on se tait Ă  son sujet, elle rĂ©apparait. Elle, aussi, est un Maitre Ă  sa façon et fait le tri ou nous oblige Ă  le faire. Ces deux annĂ©es de pandĂ©mie, nous a expliquĂ© Jean-Pierre, ont fait chuter le nombre de pratiquants et d’adhĂ©rents. A 4500 euros le loyer, multipliĂ© par deux ans, Jean-Pierre a Ă  s’acquitter d’une somme proche de 100 000 euros. Il ne les a pas.

Annonce immobiliĂšre vue dans Paris ce 27 juin 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Jean-Pierre a donc dĂ» annoncer il y a quelques semaines aux enfants Ă  qui il enseigne que le dojo allait devoir fermer. Certains de ces enfants en ont parlĂ© Ă  leurs parents. Les mĂšres de ces enfants ont entrepris des dĂ©marches pour empĂȘcher cette fermeture.

 

Photo©Franck.Unimon

 

Jean-Pierre n’est pas le seul Maitre d’Arts Martiaux concernĂ© par ce risque Ă©conomique. Avant lui, Maitre LĂ©o Tamaki, avait dĂ» trouver un autre lieu pour continuer d’enseigner ses cours d’AĂŻkido. Et, j’étais allĂ© le voir enseigner l’annĂ©e derniĂšre, lors d’un stage d’étĂ© l’annĂ©e derniĂšre dans ce nouveau lieu d’enseignement : le Dojo 5. ( Dojo 5 ).

Les consĂ©quences Ă©conomiques de la pandĂ©mie du Covid (et, depuis six mois, de la guerre en Ukraine) ont aussi fait augmenter le prix d’un certain nombre de matiĂšres premiĂšres telles que le blĂ©, la farine, le  pĂ©trole,  mais aussi le papier…

 

Avant hier, Jean-Pierre m’a appelĂ© pour me prĂ©venir que son dojo, le Fair Play, serait fermĂ© demain matin. Pour dĂ©pĂŽt de bilan.  Et qu’il m’informerait dĂšs qu’un autre endroit aurait pu ĂȘtre trouvĂ© pour pratiquer de nouveau.

 

Un dojo est un endroit qui ne parle pas ou qui ne parle plus Ă  beaucoup de gens. Le mot est aussi Ă©tranger donc extĂ©rieur Ă  l’expĂ©rience de la vie courante de beaucoup de personnes. J’imagine donc que parmi les personnes qui ont pu passer devant ces banderoles ou qui ont lu cet article du journal Le Parisien, que cette « histoire Â» de dojo qui ferme Ă©voque au mieux quelques souvenirs de judo ou de karatĂ© dans l’enfance ou l’adolescence (« j’ai fait du judo Â») ou qu’il est estimĂ© qu’il y a des sujets plus prioritaires. Tels que le manque de personnel dans les hĂŽpitaux ou dans les Ă©coles publiques.

 

Si c’est le cas, en tant qu’infirmier en soins psychiatriques et en tant que pĂšre d’une enfant encore scolarisĂ©e dans une Ă©cole publique, je peux tĂ©moigner du fait que pratiquer un Art martial auprĂšs d’un Maitre contribue Ă  la salubritĂ© publique. C’est sans doute ignorĂ© ou oubliĂ© mais pratiquer un Art Martial auprĂšs d’un Maitre ne se rĂ©sume pas Ă  faire des gestes ou Ă  rĂ©pĂ©ter des formules comme on peut faire machinalement un certain nombre d’actions dans sa vie courante.

 

Finalement, si nous nous sentons de plus en plus oppressĂ©s et opprimĂ©s, c’est aussi parce-que ferment des endroits oĂč une certaine libertĂ© est accessible. Et que nous sont de plus en plus accessibles des endroits et des moyens oĂč nos libertĂ©s sont supprimĂ©es.

 

Selon les circonstances et les Ă©tapes de notre vie, un dojo a des vertus complĂ©mentaires avec une mĂ©diathĂšque, une Ă©cole publique, un lieu de soins ou d’action sociale et culturelle, un club de sport, une salle de danse, un cours de musique ou de dessin…

 

Soit des endroits oĂč l’on apprend, oĂč l’on se remet, oĂč l’on s’éduque, oĂč l’on se rencontre et oĂč l’on vit.  

Photo©Franck.Unimon

 

Franck Unimon, ce jeudi 21 juillet 2022.

2 réponses sur « Le Dojo de Jean-Pierre Vignau »

Bonsoir Emmanuel, excusez-moi, je découvre votre message seulement maintenant. Oui, Jean-Pierre continue à enseigner à la Maison du Tai-Chi, métro Robespierre si je ne me trompe pas. Les lundis, mercredis et vendredis soirs.

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