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La vie de ma mère-un film de Maïram Guissé

La vie de ma mère, un film de Maïram Guissé.

 

La vie existe ailleurs que sur notre planète Terre. Quelle que soit sa forme, sa force, sa finalité, sa mémoire ou sa présentation.

 

Il y a quelques jours, grâce au télescope James Webb envoyé depuis Kourou, en Guyane, à plus de un million de kilomètres de la Terre, nous avons pu regarder des photos inédites de galaxies datant de 13 milliards d’années. Des scientifiques et des journalistes nous ont expliqué à quel point cette prouesse technologique, résultat d’une coopération internationale, était exceptionnelle. Et ce qu’elle va ou pourrait nous apprendre concernant la création de notre univers, où se trouve la Terre, mais aussi concernant notre propre existence.

 

Alors que notre planète se réchauffe, car nous continuons de la détruire dans ses différentes matières, et que nous semblons bander toutes nos forces afin de mieux attirer notre propre déclin, il semblerait que nous n’ayons peut-être jamais été aussi proches de connaître l’origine du tout premier souffle qui nous a fait advenir sur Terre. Mais il nous faudra attendre avant d’éprouver cette confirmation scientifique. Car il est prévu que durant vingt ans le télescope James Webb prenne cinq photos par jour.

Nous serons peut-être tous morts ou au bord de l’extinction lorsque James Webb nous fera parvenir les photos résolvant l’énigme de la Création. Des photos que pourront observer avec étonnement ou indifférence les milliards de mythologies de vers auxquels nos cadavres auront donné naissance ainsi que les diverses espèces végétales, animales ou minérales- et toutes les autres- qui nous auront survécu et qui se passeront très bien de nous.  

 

Pourtant, avant que ne nous parviennent ces clichés, j’affirme déjà que la vie existe ailleurs que sur notre planète Terre. Car il faut faire partie de l’espèce humaine pour être incapable de voir certaines évidences : Pour croire ou imaginer que nous serions les seuls  à « exister ».

Si, aujourd’hui, la vie ailleurs que sur Terre, n’a pas encore été démontrée, c’est tout simplement parce-que nous ne savons pas regarder où nous ne savons pas où et comment regarder. Comme depuis toujours. Le peu que nous savons de l’histoire de l’Humanité sur Terre me pousse à de telles certitudes :

 

L’histoire de l’Humanité est faite de plus de massacres, de génocides, de pillages, de carnages, de viols et de destructions que notre mémoire ne peut en rassembler. Souvent parce-que des êtres humains ont estimé ou estiment que d’autres existences, humaines ou autres, devaient leur céder toute la place.

 

Il n’y a pas un jour où un être humain, soit par négligence ou par souhait, n’en pousse un autre vers son dernier souffle.

L’expression «  L’homme est un loup pour l’homme » m’apparaît finalement beaucoup trop indulgente pour définir certaines des caractéristiques de notre espèce.

 

On croit que je digresse ? Que cette longue introduction n’a rien à voir avec le film La vie de ma mère de Maïram Guissé consacré au portrait de sa mère ?!

La mère de la réalisatrice Maïram Guissé avec celle-ci et une partie de son équipe technique, lors du tournage au Sénégal.

 

Combien de fois, déjà, avons-nous pu lire ou entendre, à propos de certaines vedettes de cinéma, des expressions telles que :

 

« Le cinéma vous aime » ; « La caméra l’aime » ; « Il ( ou elle) a une très belle cinégénie » ; « Elle (ou) il éclaire toute la ville » ?!

 

Depuis des années, je suis un cinéphile parmi des millions en France, pays où je suis né et ai toujours vécu à ce jour. La France est un pays plutôt bien doté dans le monde en salles de cinéma mais aussi en variété de films :

 

Il est beaucoup de films que l’on peut encore aller voir, plutôt facilement, dans certaines salles de cinéma françaises alors que ces mêmes films sont invisibles ou inaccessibles ailleurs. Et, comme beaucoup de cinéphiles, je me laisse faire ou prendre par un certain nombre de productions dans lesquelles se trouvent des « vedettes » ou des « futures étoiles montantes » que le cinéma « aime » ; que la caméra « aime » et qui, bientôt, ou pendant des années, capteront beaucoup d’attention tandis qu’en dehors de leur cercle et de leurs regards, l’amnésie, l’ignorance et l’anonymat continueront de conditionner la charpente des cercueils dans lesquels des quantités astronomiques de gens partiront se faire « aimer ».

 

Photo prise dans le métro parisien quelques jours avant la sortie du “nouveau” film de super-héros que j’irai sans doute voir comme d’autres films avant lui. Un film que je n’aurai aucune difficulté à trouver dans une salle de cinéma : Ce mercredi 20 juillet 2022, lorsque je suis allé voir à Paris, à l’UGC les Halles, le film ” As Bestas” réalisé par l’Espagnol Rodrigo Sorogoyen, le film ” Thor Love and Thunder” y était projeté dans deux salles une semaine après sa sortie. Photo©️Franck.Unimon

 

 

Si l’on s’en tient à certains critères du cinéma que nous connaissons et que l’on voit le plus,  je pense au cinéma qui est le plus souvent et le plus facilement montré et distribué, un film comme La vie de ma mère de Maïram Guissé n’a aucune raison ou pratiquement aucune chance de se trouver devant nous, un jour.

 

Lors du tournage de ” La vie de ma mère” de Maïram Guissé, au Sénégal.

 

 

Je dois à un mail envoyé par la société de distribution SUDU Connexion le fait d’avoir entendu parler de La Vie de ma mère il y a deux ou trois jours. 

Pendant un an, j’ai été abonné au Média panafricain bilingue Français/Anglais  Awotele qui parle de ce cinéma que l’on voit “moins” :

Celui d’Afrique et de la Caraïbe et des Outremers. 

Awotele, édité par Sudu Connexion, parait trois fois par an. Après avoir couvert les journées cinématographiques de Carthage ( en Tunisie); le Fespaco ( au Burkina Faso) et le Durban International Film Festival ( en Afrique du Sud).Trois festivals de cinéma qui se déroulent en Afrique. Les films qui y passent sont ensuite distribués au compte gouttes en occident.

Awotele nous donne et nous montre donc des nouvelles d’un monde estimé comme peu “cinégénique” par les grands distributeurs qui nous approvisionnent régulièrement en oeuvres cinématographiques comme certaines régions du monde, ou du pays, peuvent être approvisionnées en riz, en lait, en méthodes de pensées, en oeuvres humanitaires et sanitaires. Ou en effectifs industriels, militaires ou policiers. 

Mais j’ai négligé et néglige la lecture d’Awotele. Je me comporte vis à vis du Média Awotele comme d’autres lorsqu’ils veulent se mettre au régime, à faire du sport à ou à arrêter de fumer :

Je prends des résolutions que j’ai beaucoup de mal ensuite à transcrire par des actes. Puis, je me sens coupable. Puis, j’oublie que je suis coupable de négligence. Car c’est tellement  facile, aussi, de se laisser guider-et conditionner- par les mêmes regards et éclairages familiers.

 

Maïram Guissé, un jour, s’est faite à peu près la même remarque. Mais en sens inverse. Un jour, nous raconte Maïram Guissé en voix off, dans son La Vie de ma mère, Maïram Guissé a regardé sa mère et s’est alors demandée :

 

Mais, qui est-elle ?

La mère de la réalisatrice Maïram Guissé dans ” La Vie de ma mère”.

 

 

Le réalisateur David Lynch, en partant de cette même question, nous parachuterait dans une autre atmosphère que Maïram Guissé. Parce-que la démarche identitaire est différente. La façon de se répondre est différente.

 

 

Maïram Guissé est une femme, noire, d’origine Sénégalaise, issue d’un milieu social modeste, née en France, et qui a toujours principalement vécu en France. Le Sénégal est une ancienne colonie française. Les réponses dont avait besoin Maïram Guissé en faisant son La Vie de ma mère ne pouvaient être que différentes de celles perçues par un David Lynch qui, en outre, avant de devenir réalisateur, avait un parcours, je crois, dans le milieu artistique. Le cinéma, pour Lynch, était un média ou un moyen d’expression sûrement moins sacralisé, plus abordable, que pour Maïram Guissé au départ :

Lynch s’est sûrement senti plus légitime que Maïram Guissé pour décider un jour de prendre une caméra et pour voir ce que « ça faisait ». Et ce que l’on pouvait raconter avec une caméra. Rien que cette attitude change tout dans la façon que l’on a d’aller vers une caméra comme de s’en servir. On peut soit se sentir libre de faire et de filmer ce que l’on veut avec une caméra ou avoir l’impression de devoir porter le marteau de Thor ainsi que toutes les responsabilités, et uniquement elles, qui vont avec.

Je ne crois pas que David Lynch, ou d’autres réalisateurs reconnus, se sentent tenus par le Devoir lorsqu’ils “font” un film. Alors, qu’à mon avis, il y a une forme de sentiment de Devoir dans ce qui a amené la réalisation de La Vie de ma mère. Même s’il y a pu y avoir, aussi, du plaisir à faire le film ( je persiste à écrire “film” alors que La Vie de ma mère est officiellement présenté comme un documentaire).

 

Qui aurait pu réaliser ce film, assorti de ses réponses, dont Maïram Guissé, et d’autres, avait envie et besoin ?

 

La Nasa ? La Comédie Française ? La banque la Société Générale ? Banque où, pendant vingt ans, la mère de la réalisatrice va aller faire le ménage dans l’une de ses agences, sans être remerciée pour quoi que ce soit lors de son départ à la retraite.

 

Une scène de ” La vie de ma mère” de Maïram Guissé.

 

Le fait d’être noir, « mais » d’origine antillaise, m’a bien sûr aidé à m’identifier rapidement à cette histoire, de sa mère, que nous raconte Maïram Guissé. Mais ce qu’elle raconte dans son La Vie de ma mère se trouve aussi dans des familles chypriotes, portugaises, asiatiques ou tout simplement bretonnes, normandes, alsaciennes, basques ou corses. Comme chez des pratiquants catholiques, juifs, bouddhistes, animistes ou musulmans. Sauf que ces histoires ne figurent pas dans les scripts de la Nasa, de la Comédie Française, des films dont on « parle beaucoup », ou dans les publicités des banques qu’il s’agisse de la Société Générale ou d’autres.

 

 

Qu’est-ce qui rend « ciné-génique » la mère de Maïram Guissé ? Sa seule personnalité ?

 

Il est vrai que la mère de la réalisatrice apparaît être une femme plus que robuste et déterminée. Durant le film, on n’entend pas parler de « burn out », de fatalisme ou de pessimisme, de colère ou de rancune. Malgré six enfants. Malgré des conditions de vie économique plutôt modestes. Malgré le fait d’avoir quitté le soleil natal, près de la mer, la famille mais aussi la musique et une grande maison au Sénégal, soit plutôt une certaine forme de liberté et de légèreté, que l’on a troquée pour un appartement exigu  dans une cité ; dans une région – à Canteleu, en Normandie, du côté de Rouen- et un pays ( la France) où il n’y a que des blancs, une autre musique, une autre religion dominante, d’autres façons de bouger sur la musique mais aussi dans la vie, d’autres façons de regarder les autres, de parler….

Le film ” La vie de ma mère” de Maïram Guissé.

 

Je me suis un petit peu amusé à penser à certaines de ces stars de cinéma, « qui prennent la lumière » et que « le cinéma aime », à la place de la mère de la réalisatrice. Avec un seau et une serpillère à la main. Avec six enfants dans un pays étranger et dans un appartement exigu. Avec un mari, qui, pendant des années, refuse qu’elle trouve un travail car il a peur qu’il la quitte ensuite…..

Scarlett Johansson. Isabelle Huppert. Adèle Exarchopoulos. Juliette Binoche. Vanessa Paradis. Léa Seydoux….

 

Ce que j’écris est bien sûr injuste pour elles ainsi que pour tous/toutes les autres (femmes comme hommes). Ce que j’écris est sans doute aussi très raciste. Mais c’est moins injuste et moins raciste que toutes ces absurdités dont on fait des vérités qui nous sont imposées à coups-répétés- de :

 

 « La caméra l’aime », « il (ou elle) est tellement ciné-génique ». Sans oublier, aussi, et peu importe que l’acteur ou l’actrice soit noir(e) ou arabe, l’insupportable :

 

« C’est l’un des acteurs (ou l’une des actrices) le/la plus doué(e) de sa génération ».

 

Quelle génération ?!

 

Lorsque l’on regarde et admire constamment telle actrice ou tel réalisateur, il en est combien d’autres que l’on empêche d’exister ou que l’on néglige depuis des générations ?!

 

La Vie de ma mère est un film qui parle de beaucoup de personnes, sans doute la majorité d’entre nous, femmes, hommes, quelles que soient nos origines, notre couleur de peau et nos croyances et qu’une minorité de personnes verra.

 

” La vie de ma mère” de Maïram Guissé.

 

Parce-que cette forme de vie-là, on ne sait pas la voir. Où on ne veut pas la voir. On la considère peu glamour. On estime que cette vie-là n’a rien à nous apprendre alors que, souvent, beaucoup ou tout part de ce genre, de ce type de vie-là. Y compris parmi les futures « stars » ou « vedettes » qu’une caméra va tant aimer plus tard alors que, sans doute, parmi leurs propres ascendants et ancêtres, certains ont pu être négligés, déclassés, humiliés, opprimés ou exterminés. Comme tant d’autres. Parmi d’autres.

 

Plus nos moyens technologiques deviennent performants et plus il semble que nous voyions et percevions de moins en moins notre environnement.

 

Mais aussi ce que nous sommes. Au delà de la forme. 

 

Pour une espèce comme la nôtre, émotionnellement, intellectuellement et psychologiquement  myope, presbyte, astigmate ou tout simplement autiste, aveugle – et sourde !-  un film comme La Vie de ma mère fait partie des films-remèdes. Mais il faut des médecins clairvoyants et reconnus pour le prescrire. Un traitement long et répété. Des endroits où délivrer le remède sur une durée longue. Et des malades conscients qu’ils ne vont pas (toujours) bien, qui décident de consulter, et qui, ensuite, vont accepter de prendre et suivre leur traitement- comme l’indique l’ordonnance- dans une salle ou ailleurs.

La réalisatrice Maïram Guissé assise à côté de sa mère, devant la mer au Sénégal dans ” La vie de ma mère”.

 

Pour recevoir son traitement, Le film est disponible du 29 juin jusqu’au 30 septembre 2022 sur France. Tv

 

Franck Unimon, ce dimanche 17 juillet 2022. (amélioré le 20 et le 21 juillet 2022). 

 

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