Catherine Breillat, aussi insupportable que remarquable
Il y a trois ans, la citer dans mon article sur le film ADN de Maïwenn qui allait sortir en 2020 a sans doute contribué à me faire rayer de la liste des journalistes pouvant la rencontrer ou voir ses prochains films en projection de presse. ( ADN-un film de Maïwenn au cinema le 28 octobre 2020 )
Cela a sans doute beaucoup dĂ©plu Ă lâattachĂ© de presse qui sâoccupe de ses films.
Comparer MaĂŻwenn Ă Catherine Breillat ?!
Pour qui je me prenais ?!
Pourtant, jâavais aimĂ© ADN de MaĂŻwenn comme ses films prĂ©cĂ©dents et, cela, depuis son tout premier : Pardonnez-moi (2006).
Mais je nâavais pas encore tout Ă fait compris, alors, Ă quel point Catherine Breillat peut exaspĂ©rer les autres (elle dit elle-mĂȘme quâelle est souvent « dĂ©testĂ©e ») mais aussi comme on peut sâempresser de sâĂ©loigner dâelle comme dâune personne quâil faudrait de toute urgence rebouter. Elle pourrait faire penser un petit peu au boxeur Muhammad Ali, Breillat, lorsque celui-ci fanfaronnait et que ses adversaires ou ses dĂ©tracteurs se disaient entre eux :
« Il faudrait lui faire fermer sa gueule une bonne fois pour toutes ! Oui, mais qui peut le faire ? ».
Si la maladie de Parkinson finit par assagir Muhammad Ali, un AVC et une hémiplégie avaient entrepris de faire à peu prÚs pareil pour Breillat :
« Ma mĂšre mâa coupĂ© horizontalement et lâhĂ©miplĂ©gie, verticalement » raconte Breillat dans ce livre dâentretiens avec Murielle Joudet, sorti rĂ©cemment ( Je ne crois quâen moi) peu aprĂšs son dernier film LâĂ©tĂ© Dernier ( au cinĂ©ma depuis le 13 septembre 2023). Un film peut-ĂȘtre Ă©clipsĂ© par la prĂ©sence sur les Ă©crans de Anatomie dâune chute (Palme dâor Ă Cannes) derniĂšre rĂ©alisation de Justine Triet qui rencontre un bon succĂšs en salles depuis sa sortie le 23 aout 2023 (plus dâun million de spectateurs). Un film que jâai vu Ă un jour prĂšs aprĂšs ou avant celui du dernier Breillat et dont mĂȘme le titre peut aussi lâĂ©voquer.
Avant que, ces deux ou trois derniers mois, je ne rĂ©entende parler de Breillat, rĂ©alisatrice, la derniĂšre fois que je lâavais Ă©voquĂ©e, un peu amusĂ©, et en avais entendu parler, câĂ©tait vers 2010 ou 2011. Je venais dâassister Ă un dĂ©bat lors du festival ChĂ©ries, chĂ©ris au forum des halles.
Peut-ĂȘtre Ă propos du thĂšme « Quâest-ce quâĂȘtre Queer ? ». Je ne connaissais pas le terme. Je me demandais de quoi il sâagissait.
Aujourdâhui, jâen sais Ă peine beaucoup plus mais, ce soir-lĂ , jâavais entendu et appris que le rĂ©alisateur Jacques Demy Ă©tait homosexuel. Cela semblait un fait Ă©tabli mais aussi une sorte de prix ou de trophĂ©e acquis Ă la cause LGBT. CâĂ©tait donc important, lors de cette soirĂ©e, de dire que Jacques Demy, le rĂ©alisateur et modĂšle admirĂ© et reconnu par la critique et le monde du cinĂ©ma, Ă©tait homosexuel.
CâĂ©tait lâĂ©quivalent de James Brown chantant des annĂ©es plus tĂŽt:
« Say it loud, Iâm Black and proud ! ». LĂ , on Ă©tait dans « Say it loud, Iâm gay and proud ! ».
Je comprenais la logique. MĂȘme si jâĂ©tais un peu Ă©tonnĂ© par ce besoin de dire.
A ce jour, je nâai vu aucun des films de Demy mĂȘme si je connais bien sĂ»r de nom au moins Les Parapluies de Cherbourg. « On » nous en parle tellement ainsi que des sĆurs Deneuve si magnifiquesâŠ
Je le regarderai sans doute un jour mais je trouve que les critiques idolĂątrent beaucoup Demy ce qui me donne beaucoup envie de mâen Ă©loigner. Et puis, je nâai pas encore perçu, pour moi, la nĂ©cessitĂ© primordiale de voir ses films.
Lors de ce dĂ©bat trĂšs sĂ©rieux ( je ne me rappelle pas quâil y ait eu beaucoup dâhumour lors des interventions) jâavais aussi entendu un participant estimer que le cinĂ©ma de François Ozon ( dont jâai vu et aimĂ© plusieurs de ses premiers films) Ă©tait « queer ».
Assis en haut de cette salle amphithĂ©Ăątre plutĂŽt remplie dans mon souvenir, jâentendais et dĂ©couvrais ce soir-lĂ des avis et des visions qui mâĂ©taient Ă©trangers.
A la fin de ce dĂ©bat, alors quâun de ses animateurs en Ă©tait Ă remonter les marches afin de sortir de la salle, je lui avais dit, un peu provocateur et amusĂ©, alors quâil sâavançait devant moi :
« Il y a une personne dont vous avez oublié de parler : Catherine Breillat⊠».
Celui-ci mâavait alors regardĂ©, et, comme on annonce un dĂ©cret, mâavait rapidement et trĂšs sĂ©rieusement rĂ©pondu :
« Catherine Breillat ? Elle sâest faite escroquer, je crois ! ». Puis, aussitĂŽt, il Ă©tait parti, me plantant-lĂ avec des restes me permettant de comprendre que Catherine Breillat Ă©tait dĂ©finitivement sur la touche. Que lâon nâentendrait plus parler dâelle. Que sa bouche avait Ă©tĂ© clĂŽturĂ©e pour de bon.
Jâavais alors Ă peine entendu parler du fait quâelle sâĂ©tait en effet bien faite (dĂ©)plumer par Christophe Rocancourt- le « bien connu» arnaqueur des stars- alors quâelle Ă©tait encore quelque peu convalescente dâune hĂ©miplĂ©gie contractĂ©e Ă la suite dâun AVC.
Comme je suis un demi-tiĂšde et une personne fonciĂšrement peu curieuse, je nâavais pas beaucoup poussĂ© mes recherches pour chercher Ă en savoir plus. Catherine Breillat nâĂ©tait pas une de mes proches. Et, je nâavais pas encore forcĂ©ment compris, alors, comme ce quâelle Ă©tait ou pouvait raconter mâimportait beaucoup plus que le fait de voir Les Parapluies de Cherbourg (1963) de Jacques Demy.
Il nous faut parfois des annĂ©es pour nous apercevoir que telle personne ou telle Ćuvre a une importance trĂšs particuliĂšre pour nous. Lâune des premiĂšres fois oĂč je me rappelle avoir eue cette impression, ce fut aprĂšs la dissolution du groupeâŠ.NTM.
Tant que le groupe NTM de Kool Shen et de Joey Starr Ă©tait en activitĂ©, je les Ă©coutais et les regardais plus ou moins de loin. Je mâaccrochais plutĂŽt Ă leurs frasques que je rĂ©prouvais moralement. Je promettais alors Ă Joey Starr une existence courte et un Ă©pilogue existentiel douloureux, honteux et brutal en raison de ses excĂšs. Je ne lui donnais pas plus de quarante annĂ©es de vie.
Je prĂ©fĂ©rais MC Solaar Ă NTM. Je lâavais vu en concert au ZĂ©nith une fois. MC Solaar Ă©tait tellement plus classe, plus respectable. Il nâavait pas ces tics de langage ou gestuels auxquels, schĂ©matiquement, on identifiait et auxquels on identifie encore les personnes de la banlieue. Je venais aussi de la banlieue et je nâavais pas les attitudes et les propos de Joey Starr et Kool Shen. Je nâaspirais pas Ă leur ressembler ou Ă ce que lâon me confonde avec eux. Eux, câĂ©taient des mauvais garçons. Ils Ă©taient violents, ils Ă©taient agressifs, ils parlaient mal, se comportaient mal. Avec eux, tout pouvait partir en vrille Ă nâimporte quel moment. Or, moi, jâavais plutĂŽt lâesprit gazon de jardin britannique. Tout devait ĂȘtre impeccable et carrĂ© au centimĂštre prĂšs comme sur le stade de Wimbledon. Il ne devait pas y avoir de trous ou de bouteilles vides de biĂšre, de rhum ou de vodka par terre. Kool Shen et Joey Starr, câĂ©tait sĂ»r que si vous les invitiez chez vous, quâen repartant, ils vous laissaient plein de mĂ©gots partout y compris dans les yaourts et les pots de confiture. En plus, votre logement Ă©tait dĂ©labrĂ© et, Ă coup sĂ»r, ils (ou leurs copains ) vous auraient tabassĂ©s entretemps pour vous remercier de les avoir invitĂ©s ou parce quâil n y avait pas assez de filles et que la musique ne leur avait pas plu.
Je nâaurais pas pris le risque de passer une soirĂ©e avec Kool Shen et Joey Starr. Alors quâavec MC Solaar, jâaurais pu lâenvisager. Nous aurions bu du thĂ©, discutĂ© de la banlieue et parlĂ© philosophieâŠ.
MĂȘme si le voir en concert mâavaitâŠ.déçu. Mais pendant des annĂ©es, jâai eu du mal Ă faire mon coming out et Ă reconnaĂźtre que son concert mâavait laissĂ© frustrĂ©. Cela voulait bien dire quelque chose mĂȘme si, sur scĂšne, et bien entourĂ© ( Soon MC, Les DĂ©mocrates DâŠ) MC Solaar ne sâĂ©tait pas mĂ©nagĂ©.
Les NTM, eux, jâavais eu peur dâaller les voir en concert. Pour leur public. Seul Ă vouloir mây rendre, je nâavais pas envie de me faire agresser en plein concert par une bande. Si on mâavait obligĂ© Ă y aller, peut-ĂȘtre que je serais restĂ© trĂšs prudemment proche de la premiĂšre issue de secours. Et, si on mây avait mal regardĂ©, peut-ĂȘtre que je me serais gelĂ© instantanĂ©ment sur place. Je nâaurais peut-ĂȘtre pas pu Ă©couter grand chose. Jâaurais peut-ĂȘtre passĂ© la plus grande partie de mon temps, durant le concert, Ă observer et Ă surveiller autour de moi si quelquâun me voulait du mal. Et, Ă la fin, je serais peut-ĂȘtre parti en courant. En sprintant pendant au moins cinq cents mĂštres. JusquâĂ ce que je me sente en sĂ©curitĂ© en quelque part.
Donc, Ă la place de NTM, jâĂ©tais allĂ© voir, toujours seul, le premier concert de MeâShell NdĂ©geocello Ă lâElysĂ©e Montmartre, je crois, aprĂšs son premier album : Plantation Lullabies. Une ambiance beaucoup plus safe. Sur scĂšne, MeâShell nous avait fait un festival. Chant, claviers, basse, prĂ©sence, avec ses petites lunettes rondes et son allure longiligne/androgyne, elle avait tenu son groupe et nous avait servi de la vie. A aucun moment, je ne mâĂ©tais senti menacĂ©. ( Me’Shell NdĂ©geocello au festival Jazz Ă la Villette ce 1er septembre 2023 )
Pour essayer de me racheter de ma lĂąchetĂ© concernant NTM, jâĂ©tais allĂ© voir I Am Ă lâOlympia. Ils y avaient fĂȘtĂ© leur million dâalbums vendus mais aussi entonnĂ© leur Je chante le Mia. Un des meilleurs concerts auxquels jâai assistĂ©s tant pour les artistes que pour lâambiance dans la salle. Mais aussi pour avoir la vie sauve peut-ĂȘtre.
CâĂ©tait dans les annĂ©es 90. Alors que maintenant, Ă©couter du RAP, aller Ă un concert de Rap, câest tout Ă fait mainstream. Vous allez rencontrer des personnes de bonne famille, dâun (trĂšs) bon milieu social, trĂšs bonnes Ă©tudes, blanc cachemire, vous dire quâelle sont allĂ©es voir tel artiste de Rap ou les entendre employer des formules telles que « Je mâen bats les couilles » comme si câĂ©tait normal.
Câest Ă peu prĂšs au milieu des annĂ©es 2000, aprĂšs avoir appris la dissolution du groupe NTM, aprĂšs quatre albums, que jâavais commencĂ© Ă comprendre que plusieurs de leurs titres avaient Ă voir avec mon histoire. Tant quâils faisaient partie du dĂ©cor sonore ou mĂ©diatique et semblaient permanents, je ne leur prĂȘtais pas une attention particuliĂšre ou alors, plutĂŽt pour rĂ©prouver ou craindre leurs maniĂšres et leurs façons de faire.
Leurs apparences me dĂ©rangeaient. Ce nâĂ©tait pas comme ça quâil fallait faire. Pour tout dire, Ă lâĂ©poque, je trouvais mĂȘme Joey Starr trĂšs moche alors quâaujourdâhui, lorsque je revois des images de lui Ă cette Ă©poque, je le trouve beau gosse. Câest Ă©tonnant, hein ?
Lorsque Kool Shen et Joey Starr ont finalement disparu du dĂ©cor sonore et mĂ©diatique en tant que NTM, je me suis aperçu quâil me manquait quelque chose. Et, avec Breillat, il y a sĂ»rement eu le mĂȘme phĂ©nomĂšne et la mĂȘme prise de conscience.
Assez ironiquement, lâhistoire ou lâavenir, mâa donnĂ© en quelque sorte raison.
Puisque, par la suite, Joey Starr a commencĂ© Ă faire du cinĂ©ma ( il mâa tout de suite convaincu en tant quâacteur) et a rencontrĂ© MaĂŻwenn au moins pour faire le film Polisse (2011) qui avait marquĂ© le festival de Cannes, une annĂ©e oĂč jây avais Ă©tĂ© comme journaliste de cinĂ©ma.
Jây avais alors croisĂ© une journaliste (pour Le Parisien, je crois) dâune bonne quarantaine dâannĂ©es toute fiĂšre de me rĂ©pondre quâelle allait interviewer Joey Starr !
LâattachĂ© de presse qui sâoccupait du film Polisse de MaĂŻwenn Ă©tant fĂąchĂ© avec le mĂ©dia cinĂ©ma (le mensuel papier Brazil) pour lequel jâĂ©crivais, jâavais, moi, Ă©tĂ© privĂ© « de » Joey Starr comme lâon est privĂ© de dessert. Et, jâĂ©tais parti interviewer ValĂ©rie Donzelli pour La Guerre est dĂ©clarĂ©e, film quâelle avait co-rĂ©alisĂ© avec JĂ©rĂ©mie ElkaĂŻm, Ă©galement prĂ©sent en tant quâacteur dans Polisse.
De son cĂŽtĂ©, Kool Shen, lui, lâautre moitiĂ© de NTM, a fini par incarner Christophe Rocancourt au cinĂ©ma dans la fiction que Breillat a tirĂ©e de sa rencontre avec celui-ci dâaprĂšs son ouvrage Abus de faiblesse dont jâai terminĂ© la lecture hier soir.
Joey Starr/ MaĂŻwenn, Kool Shen/ Catherine Breillat, il sera difficile de me convaincre que lâune et lâautre nâont absolument rien en commun.
Par ailleurs, que ce soit chez lâune ou chez lâautre, on peut trouver, dans leur cinĂ©ma, plutĂŽt que du Jacques Demy, du Pialat, du Jean Yanne ou mĂȘmeâŠdu Jean-Pierre Mocky. Je sais quâen Ă©crivant ça, je leur attribue des rĂ©fĂ©rences « masculines » mais ce nâest pas une insulte. Dâautant que, dans une certaine mesure, malgrĂ© leur machisme et leurs outrances, ces trois artistes masculins ont sans doute, aussi, eu des traits fĂ©ministesâŠ.et fĂ©minins. Si lâon se rappelle, aussi, leur insolence, leur attachement Ă leur indĂ©pendance ou leur mĂ©pris pour certaines convenances, on doit bien parvenir Ă dĂ©boucher Ă nouveau sur des artistes tels que Catherine Breillat, MaĂŻwenn⊠NTM ou dâautres.
Jâavais donc vu juste, Ă la fin de ce dĂ©bat sur la question « Queer », en mentionnant Catherine Breillat. Et, jâavais aussi vu juste, dans mon article sur le film de MaĂŻwenn qui venait de sortir, de la citer Breillat Ă nouveau. Sauf que je lâavais fait intuitivement comme je le fais, aussi, de lâusage de certains mots ou de certaines tournures de phrases sans ĂȘtre toujours capable, sur le moment, de lâexpliquer ou de le thĂ©oriser.
Aujourdâhui, ce 1er novembre 2023, jour de la Toussaint, sâil me plait bien sĂ»r de parler de Catherine Breillat parce-que câest le jour de la Toussaint, bien que je ne sache pas trĂšs bien dans les dĂ©tails Ă quoi cela correspond Ă part pour rĂ©citer que câest « le jour de la fĂȘte des morts », je peux un peu plus expliquer ce qui me tient chez Breillat.
Dâabord, il est difficile de se dĂ©barrasser de Catherine Breillat. Elle est toujours quelque part en train de mijoter une recette ou une action qui nous sera servi Ă table Ă un moment ou Ă un autre, quâon le dĂ©cide ou non.
Lorsque jâai commencĂ© Ă essayer de me rappeler par quel film je lâai dĂ©couverte la premiĂšre fois, je me suis trompĂ©. Jâavais oubliĂ© le titre. Jâai essayĂ© Parfait Amour (1996), Romance ( 1999). Ăa ne collait pas. Lâhistoire dont je me rappelais, avec lâacteur Patrick Chesnay, ne figurait dans aucune distribution des films de Breillat que je regardais. Lâhistoire dâune femme, mariĂ©e, qui ne parvenait pas Ă faire le deuil de son histoire dâamour avec son amant. Deuil difficile que son mari, Patrick Chesnais, encaissait stoĂŻquement avec cette patte qui lui est spĂ©cifique, Mi-droopy, mi-Pierre Richard.
A la fin du film, la femme, qui passait par tous les Ă©tats, finissait par se jeter dans une riviĂšre depuis un gros rocher la surplombant dâune bonne dizaine de mĂštres. Puis, elle rĂ©apparaissait, bien vivante, Ă la surface. Pour moi, câĂ©tait du Breillat.
HĂ© bien, câĂ©tait du Brigitte RouĂ€n qui jouait dâailleurs le rĂŽle principal ! Mais lorsque lâon regarde le titre du film, rĂ©alisĂ© en 1996, on aurait pu dire que câĂ©tait du Breillat :
Post-coĂŻtum, animal triste.
Dans son film Romance, on retrouve de ça. Mais on retrouve, aussi, la mĂȘme colĂšre et la mĂȘme violence que peut mettre MaĂŻwenn dans son Pardonnez-moi . Sauf que dans Romance, Breillat sâen « prend » Ă lâAmour, au couple amoureux. Câest son sujet. Tandis que MaĂŻwenn ( mais je nâai pas vu Mon Roi, rĂ©alisĂ© en 2015 ) sâattaque plus Ă la famille. MĂȘme si jâai relevĂ© que dans Je ne crois quâen moi, le livre dâentretiens livrĂ© par Murielle Joudet, sâil est rĂ©guliĂšrement fait allusion Ă sa mĂšre, avec laquelle elle a nouĂ© des relations trĂšs difficiles, et Ă sa sĆur, son pĂšre nâest jamais mentionnĂ© une seule fois. Au point que jâai cru que celui-ci Ă©tait dĂ©cĂ©dĂ© lorsquâelle Ă©tait trĂšs jeune alors que dans les faits, il semble que non.
Sur la table de chevet de Breillat mais aussi Ă lâintĂ©rieur de ses chevilles,, il doit sans doute y avoir en permanence une sorte de plan qui, toujours, la ramĂšne, vers ça. Le couple, lâAmour.
Et, elle bĂ©tonne, la Breillat. On peut dire, on a le droit de dire, quâelle tringle sec et dur, Ă mĂȘme la croupe, le sujet du couple et de lâAmour, Breillat.
Câest sans dĂ©tour.
Sâil est interdit dâen parler ou dây aller, câest que câest pour elle. Et, elle y va, Breillat. MaĂŻwenn, pour moi, nâest pas trĂšs diffĂ©rente. Elle, aussi, recherche le saut dâobstacles.
A cĂŽtĂ© de ça, on comprendra que LâAnatomie dâune chute de Justine Triet, mĂȘme sâil mâa plu (il mâa mĂȘme Ă©tĂ© recommandĂ© par mon thĂ©rapeute) mâa moins touchĂ© que LâĂ©tĂ© dernier de Catherine Breillat.
Dans LâĂ©tĂ© dernier, sorti donc il y a presque deux mois ( le 13 septembre), jâai retrouvĂ© tout Breillat. Ses excĂšs, sa franchise « Oui, câest vrai que câest beau, lâAmour conjugal mĂȘme si on sâemmerde » ( Breillat, dans le dernier livre dâentretiens sorti rĂ©cemment intitulĂ© Je ne crois quâen moi).
Son humour.
Il peut mâarriver dâĂȘtre mal Ă lâaise devant des images de Breillat. Mais je ne peux pas dire que câest faux. Breillat montre ce qui peut arriver ou ce qui arrive. Elle ne nous montre pas ce qui doit ou devrait arriver.
Jâai parlĂ© de Pialat, Jean Yanne, Mocky pour Breillat. Mais jâai aussi pensĂ© Ă Rohmer dont le cinĂ©ma me plait moins. Pialat, câest quand mĂȘme celui qui a rĂ©alisĂ©, avec MarlĂšne Jobert et Jean-Yanne :
Nous ne vieillirons pas ensemble.
Ăa a quand mĂȘme plus dâabattage que ce que peuvent se susurrer, avec un glaçon dans la bouche, les protagonistes des films de Rohmer que jâai envie de voir se faire dĂ©capiter dans un film de zombies. Alors que dans les films de Pialat, Breillat ou MaĂŻwenn, leurs personnages sâoccupent du service aprĂšs vente des aimables rĂ©glements de comptes.
Jâai oubliĂ© de dire que Breillat me fait penser, aussi, Ă Cioran :
« Lâhomme va disparaĂźtre. Câest ce que jâai dit un jour. Depuis, jâai changĂ© dâavis : Il doit disparaĂźtre ».
Jâen profite pour me rappeler de la premiĂšre fois que jâavais entendue la voix de Catherine Breillat. Une trĂšs belle voix, fort agrĂ©able. Dans son livre dâentretiens, Breillat dit quâelle a Ă©tĂ© une trĂšs belle femme, avec une poitrine affolante, mais elle parle seulement de son physique et non de sa voix, pour moi, trĂšs sĂ©duisante. Je mâattendais davantage Ă une voix de crĂ©celle vus ses films.
Or, lorsque jâai entendu la voix de Breillat pour la premiĂšre fois, câĂ©tait pour lâentendre dire :
« Les acteurs qui ne se donnent pas, moi, je les déteste ! ».
Dans Abus de faiblesse, quâelle a Ă©crit avec lâaide de Jean-François KervĂ©an, elle affirme :
« En tant que réalisatrice, je suis la propriétaire des corps ».
On peut reprocher Ă Breillat ses mĂ©andres bourgeois, sa mauvaise foi, son Ă©gocentrisme, sa nĂ©gligence envers celles et ceux quâelle est censĂ©e protĂ©ger et non exposer.
Il demeure que , sans employer les termes dĂ©sormais trĂšs Ă la mode tels que « dĂ©construire », « empowerment », « transgresser », sans sâaffirmer ĂȘtre une personne « rock and roll » et sans ĂȘtre une influenceuse pourvue de millions de followers, Breillat est, pense et fait ce que dâautres ne font quâannoncer, fantasmer ou rĂ©pĂ©ter.
Breillat, toute entiĂšre, nâen fait quâĂ sa tĂȘte. Elle le fait comme quelquâun dâinsupportable peut le faire mais aussi comme un Joao CĂ©sar Monteiro que jâai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© quâelle cite et dont La ComĂ©die de Dieu (1995) mâavaitâŠĂ©poustouflĂ©. Pour aimer ce film, il faut au moins aimer les gentils fous, la fantaisie, lâinsolence, mais aussi le plaisir et lâĂ©rotisme.
Câest comme cela que je mâexplique que Breillat puisse ĂȘtre lâamie de la rĂ©alisatrice Claire Denis (je lâai appris en lisant Abus de faiblesse). Mais câest aussi comme ça que je mâexplique lâapparition dans LâĂ©tĂ© dernier de lâavocat- aux extrĂȘmes limites de la loi et des bonnes convenances- Karim Achoui.
Karim Achoui, en plus dâĂȘtre cet avocat douĂ©, rouĂ© et charismatique trĂšs fortement soupçonnĂ© de baigner dans le grand banditisme, serait ou a Ă©tĂ© un des « amis » de Christophe Rocancourt dâaprĂšs ce quâen dit Breillat Ă©galement dans Abus de faiblesse, paru en 2009. Karim Achoui est celui qui a « Ă©crit » en 2008 Un avocat Ă abattre dâaprĂšs la tentative dâassassinat dont il a Ă©tĂ© victime en 2007. On peut le voir, Ă lâimage de Rocancourt, mais aussi de Breillat, comme quelquâun qui joue ou a souvent jouĂ© sa vie- et ses rĂ©ussites- Ă la roulette :
Achoui, avec son savoir faire avec la loi et son mĂ©tier dâavocat ; Rocancourt avec son habilitĂ© Ă habiter ses mensonges et Ă y faire entrer et participer – en toute confiance, jusquâĂ les amener Ă un Ă©tat avancĂ© de dĂ©pendance- ses victimes ; Breillat, avec son Ćuvre cinĂ©matographique et littĂ©raire dans lesquelles elle transpose sa conscience et son intimitĂ©.
Breillat aurait Ă©tĂ© capable de suivre le tueur en sĂ©rie Guy Georges dans une chambre dâhĂŽtel, de lui faire payer la chambre, de lui faire une scĂšne, sans coucher avec lui, de lâĂ©tudier et de lui parler toute la nuit de telle façon, quâĂ la fin, soulagĂ© dâĂȘtre dĂ©livrĂ© dâelle, Guy Georges aurait pu sâexclamer : « Elle mâa pris la tĂȘte ! ».
Pour ces quelques raisons autant que pour ces dĂ©raisons, je nâai pas fini de voir ou revoir, mais aussi de lire ou dâentendre les propos et les Ćuvres de Madame Catherine Breillat, aussi insupportable que remarquable. Jâaimerais bien, si elle le peut, si elle le veut, que Catherine Breillat fasse quelque chose avec « lâautre » Catherine, celle qui reste des Parapluies de Cherbourg de Demy. Mais câest peut-ĂȘtre dĂ©jĂ trop tard ou cela lâa peut-ĂȘtre toujours Ă©tĂ©. AprĂšs tout, LĂ©a Drucker dans LâĂ©tĂ© dernier, câest un peu Catherine Deneuve ou Isabelle Huppert, plus jeunes.
Franck Unimon, ce mercredi 1er novembre 2023.